Mercredi 13 mars 2013

- Présidence de M. David Assouline, vice-président -

Diffusion des oeuvres conservées dans les musées et autres institutions culturelles - Audition de M. Alain Seban, président du Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou

La commission auditionne M. Alain Seban, président du Centre national d'art et de culture (CNAC) Georges-Pompidou, sur la mission qui lui a été confiée sur l'amélioration de la diffusion des oeuvres conservées dans les musées et autres institutions culturelles.

M. David Assouline, président. - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Alain Seban, président du Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou, et Mme Agnès Saal, directrice générale.

Lors de votre dernière audition le 17 avril 2012, monsieur le président, vous nous aviez présenté le projet du Centre Pompidou mobile (CPM), qui depuis a connu un grand succès en termes de fréquentation. Aujourd'hui, il est toujours question de la diffusion des oeuvres d'art mais dans une perspective plus large. En effet, la ministre de la culture et de la communication vous a très récemment confié une mission exploratoire relatives aux voies et moyens d'une amplification de la politique actuelle de diffusion des oeuvres, non seulement dans les musées et institutions culturelles, mais aussi dans d'autres lieux publics tels que les mairies, les écoles ou encore les salles communales. Selon la lettre de mission, il s'agit de « Rapprocher les oeuvres d'un public qui, quelle qu'en soit la raison, ne se déplace pas pour les voir ».

La ministre vous a notamment demandé de porter une attention toute particulière à l'évaluation des dispositifs actuels, aux dimensions de sûreté et de protection du patrimoine, et, enfin, au coût et aux sources de financement de la politique nouvelle que vous proposerez en la matière.

Vos conclusions sont attendues à la fin du mois d'avril. Aussi avez-vous suggéré de venir rencontrer les membres de notre commission pour échanger autour du thème de votre mission, la diffusion des oeuvres d'art, qui nous préoccupe également.

J'ajoute que cette réflexion ne peut passer sous silence l'examen en cours du projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école, qui est l'occasion de repenser les modalités de l'éducation artistique et culturelle. Notre rapporteure, Mme Françoise Cartron, est actuellement retenue par les auditions qu'elle a engagées sur ce texte.

En son absence, je crois pouvoir traduire le sentiment général qui nous anime : comment assurer l'égalité d'accès de tous les jeunes aux oeuvres d'art, dans le cadre des projets éducatifs territoriaux ?

Je vous laisse la parole, monsieur le président, pour une rapide présentation de vos travaux en cours, puis les sénateurs de la commission qui le souhaitent pourront vous interroger ou réagir à vos propos.

M. Alain Seban, président du CNAC Georges-Pompidou. - Je vous remercie d'avoir accepté cet échange qui s'inscrit dans une démarche peut-être inhabituelle puisque nous en sommes aux débuts des travaux pour la mission que la ministre m'a confiée. Elle vise, comme vous l'avez rappelé, à explorer les voies et moyens d'une amplification de la politique de diffusion des oeuvres des collections publiques sur le territoire national.

Nous nous étions effectivement présentés devant vous alors que le Centre Pompidou mobile n'était qu'une simple idée et vous l'aviez accueilli avec enthousiasme. L'appui de votre commission a été déterminant pour nous permettre de concrétiser ce projet. On connaît aujourd'hui le succès du CPM en matière de fréquentation avec 180 000 visiteurs lors des quatre premières étapes. En outre, 35 % de ces visiteurs sont issus de la catégorie socio-professionnelle « CSP- », regroupant les ouvriers et les employés, contre 14 % au Centre Pompidou à Paris. Nous sommes actuellement au Havre où les premières indications confirment une amplification de cette tendance.

Dans le cadre de la mission confiée par la ministre, il nous a semblé très important de tenir compte de la dimension territoriale, compte tenu du nécessaire partenariat entre l'État et les différents niveaux de collectivités territoriales. C'est pourquoi il nous paraissait nécessaire d'avoir ce temps d'échange avec la commission de la culture du Sénat qui assure la représentation des collectivités territoriales de la République.

La lettre de mission en date du 4 février 2013 envisage deux dimensions distinctes et complémentaires :

- les dépôts et prêts à l'égard des institutions muséographiques ;

- les expériences et initiatives qui permettent une diffusion des oeuvres en dehors des musées.

Cette double dimension doit permettre à la fois de valoriser les collections nationales en évitant que les oeuvres ne dorment dans des réserves, et d'élargir les publics. En effet, elles doivent être partagées avec tous, elles appartiennent à tous les citoyens.

D'après les statistiques disponibles, un tiers des Français n'est jamais allé dans un musée et 50 % ne sont jamais entrés dans un musée de Beaux Arts. Cette considération a d'ailleurs été déterminante pour la création du CPM.

En ce qui concerne le premier enjeu, celui des dépôts dans les musées existants, je rappelle qu'il s'agit d'une politique très ancienne qui remonte aux attributions révolutionnaires, et concomitante de la création du Museum, ancêtre de l'ensemble des musées nationaux. Elle n'a cessé de se poursuivre et de s'intensifier. Elle est particulièrement active au Centre Pompidou et d'ailleurs je m'étais engagé à ce que la création du Centre Pompidou Metz ne s'accompagne pas d'un amoindrissement de la politique des prêts et dépôts à l'égard des musées en région.

La politique des dépôts, que l'on peut intensifier, peut être aussi l'occasion de valoriser et favoriser des expériences innovantes en termes de médiation, de rencontre de nouveaux publics, mais aussi de sorties en dehors des musées. On peut envisager une plus grande conditionnalité des dépôts à une politique active en direction des publics.

Enfin, on constate que la politique des dépôts reste le fait exclusif des chefs d'établissement des musées nationaux ou du fonds national d'art contemporain, et ne fait pas l'objet d'une impulsion nationale, coordonnée. On pourrait imaginer qu'il existe un échelon d'impulsion et de synthèse au niveau national.

Le deuxième axe de la mission, relatif aux expériences nouvelles, appelle quatre développements :

- les auteurs de la décentralisation sont des grands musées nationaux : le Louvre à Lens, le Château de Versailles à Arras et le Centre Pompidou à Metz. Il faut analyser et évaluer cette politique dont on connaît le succès en termes de fréquentation ;

- l'opération « un jour, une oeuvre » que le Centre Pompidou a engagée pour les communes de l'Ile-de-France, permet aujourd'hui avec un simple camion d'exposer une oeuvre pendant une journée, sans avoir à gérer les contraintes habituelles de conservation et de gardiennage compte tenu de la courte durée d'exposition. Cette expérience vise en priorité les publics individuels et donc les lieux hors établissements scolaires. Elle permet à l'artiste, épaulé par un historien d'art, de présenter son oeuvre. Elle a été prolongée dans les établissements pénitentiaires d'Osny et Melun selon les mêmes principes ;

- le CPM est prévu pour une durée de trois mois dans des conditions de conservations précises. La structure mobile réalisée avec Patrick Bouchain permet de rassembler ces conditions dans un lieu d'exposition dans lequel un public peu familier des musées peut découvrir une quinzaine d'oeuvres. Les partenaires sont les régions et les communes. J'ajoute que le dispositif au coeur du CPM est une cimaise climatisée qui permet, dans de bonnes conditions de conservation, une excellente vision des oeuvres. Il peut être dissocié de la tente du CPM et pourrait donc être utilisé dans d'autres lieux comme des monuments historiques, des espaces commerciaux ou industriels, pour des durées allant de trois mois à quelques années. Cela pourrait constituer une formule intermédiaire entre le CPM et les antennes permanentes des grands musées nationaux.

M. Vincent Eblé. - Je vous remercie de venir nous rencontrer. Vous êtes dans une posture qui n'est pas conclusive et je vous remercie de considérer la commission de la culture du Sénat comme un de vos interlocuteurs dans le cadre de votre mission. Je voudrai vous dire tout l'intérêt que l'on porte à cette perspective qui a été inscrite dans le contexte budgétaire que nous connaissons. J'ai pu l'identifier comme rapporteur du budget de la direction générale des patrimoines. L'exercice budgétaire en cours est marqué par une réduction sensible des crédits alloués à l'acquisition des oeuvres. Cette décision est douloureuse et nous l'espérons conjoncturelle mais la ministre a tenu à l'inscrire dans une perspective d'amélioration de l'accessibilité aux oeuvres car nos établissements culturels disposent de collections importantes. Se pose alors la question de l'accès à ces collections patrimoniales qui est essentielle dès lors que l'on ralentit l'extension desdites collections.

Vous avez évoquez plusieurs dispositifs existants. Il y a deux grandes catégories : les dépôts et les prêts. Si les prêts sont régulés selon des modalités arrêtées par les professionnels de longue date. C'est moins vrai pour les dépôts sur lesquels la doctrine et la coordination de la politique conduite par les différents établissements en la matière trouveraient à dynamiser ses possibilités. Je suis toujours frappé par la part des collections qui sont dans les réserves. Je préférerai que l'on crée des mètres carrés de musées que des mètres carrés de dépôts.

Il ne faut pas perdre de vue une autre grande mission de nos établissements culturels : la conservation et la préservation des oeuvres et des collections. Je pense que rendre l'oeuvre accessible ne gêne en aucun cas la connaissance scientifique de l'oeuvre mais il faut qu'elle soit bien conservée pour assurer sa pérennité.

On est très intéressé par l'ensemble de ces dispositifs et de leur dynamisation. Nous observons avec beaucoup d'intérêt le concept du Centre Georges Pompidou Mobile et celui d'« un jour, une oeuvre ». Ces initiatives sont-elles reproductibles ou bien d'autres établissements peuvent-ils imaginer des dispositifs qui leur sont propres ? Vous travaillez sur des oeuvres contemporaines, d'autres établissements ont des collections plus patrimoniales. Les problématiques peuvent être différentes, y compris du point de vue de la conservation. Les oeuvres qui ont une longue histoire nécessitent une plus grande vigilance pour leur conservation, mais toutes ont pour vocation de rencontrer le public.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous sommes heureux de vous retrouver après vous avoir entendu lors du démarrage de vos projets de décentralisation qui correspondaient à une vraie attente. La mission qui vous est confiée est une vraie problématique. Vous avez évoqué des chiffres significatifs. Dans les territoires, on vit cette difficulté de conquérir de nouveaux publics, et nous souhaitons que l'institution muséale se démocratise davantage. L'objet de votre mission est tout à fait essentiel.

J'en viens à mes questions.

Concernant l'amélioration de la mise à disposition des oeuvres dans un souci de décentralisation et de déconcentration de nos institutions parisiennes, une fois les oeuvres installées, comment convaincre les publics de s'y rendre et comment provoquer le désir de fréquenter ces lieux ?

Comment travaillez-vous avec les collectivités territoriales, sont-elles partenaires ou clients ? Avez-vous rencontré les représentants de l'association des maires de France (AMF) et comment s'engage cette réflexion ?

Quand on parle de l'amélioration de la diffusion, c'est aussi évoquer la question de l'accessibilité des handicapés. Est-ce que cela a été pris en compte ?

Comment améliorer cette diffusion en utilisant les outils du numérique ? Vous avez été l'initiateur d'un tel projet, est-il possible de l'étendre à d'autres collectivités ?

Enfin, je m'interroge sur la diffusion des oeuvres à l'international. Cela mérite également une réflexion.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je souhaite vous faire part de plusieurs remarques. Le dynamisme du Centre Georges Pompidou sera certainement un atout dans votre mission.

La question du partenariat avec les collectivités locales a été évoquée par ma collègue Catherine Morin-Desailly, mais qu'en est-il du partenariat avec l'éducation nationale ?

Il faudra être vigilant sur l'évolution des budgets. Les demandes d'effort ne doivent pas venir contredire toute cette belle ambition de promotion de la culture de façon générale pour gagner de nouveaux publics.

Par ailleurs, je préside la délégation aux droits des femmes qui va engager cette année une réflexion sur l'accès des femmes aux postes de direction. Avez-vous des éléments sur cette question ?

Mme Corinne Bouchoux. - Comment intégrer, dans votre démarche et dans votre réflexion, la dimension patrimoniale, artistique et historique d'une oeuvre ? J'évoque ici son parcours, son histoire, ses conditions de production, ses conditions de transmission... Je fais évidemment référence aux tableaux ayant un passé douteux. Même si cela représente un nombre infime d'oeuvres, ce sujet reste très sensible.

Mme Maryvonne Blondin. - Je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement avec le spectacle vivant. Vous êtes hors les murs avec une volonté d'aller vers le public et de le faire venir, et de la même manière, se pose la question de la diffusion à l'internationale.

Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier le département dans vos liens avec les collectivités territoriales.

Enfin, avez-vous un bilan des actions menées dans les maisons pénitentiaires ?

M. Jean-Pierre Leleux. - En complément de l'intervention de Catherine Morin-Desailly sur la décentralisation des oeuvres, les actions importantes sont issues d'une forte demande des régions comme pour Pompidou-Metz et le Louvre-Lens. C'est un grand progrès et c'est une prise en compte d'une forte attente du public. Je suis intéressé par votre suggestion de trouver une solution intermédiaire entre les grandes implantations et le concept d'« un jour, une oeuvre » limité à l'Ile-de-France. Je suis favorable à une solution intermédiaire que l'on pourrait prolonger dans les régions situées à plus de 200 ou 300 kilomètres de Paris.

Avez-vous plus d'informations sur vos quatre expériences de Centre Pompidou mobile qui ont accueilli quelques 180 000 personnes ? Êtes vous satisfait de cette expérience et va-t-elle se prolonger ?

Enfin, ma dernière question portera sur le partenariat avec le privé, le mécénat. Dans un contexte de diminution des fonds publics, peut-on envisager d'ouvrir davantage une contribution partenariale avec de grandes entreprises locales ?

M. Jean-Étienne Antoinette. - Je souscris aux orientations définies par la ministre, en particulier sur l'amélioration de la diffusion et la circulation des oeuvres d'art sur le territoire et notamment en outre-mer. Ma première observation porte sur la stratégie de pénétration dans les écoles. Qu'en est-il ? Vous avez été un avant-gardiste concernant la numérisation des oeuvres d'art et de leur diffusion. Y aura-t-il une rupture dans cette politique menée par le Centre Pompidou ou bien cela viendra-t-il en complément de ces nouvelles orientations ? Enfin, un plan de financement public est-il prévu pour diminuer les inégalités du territoire ou bien allez vous faire appel au mécénat pour favoriser la diffusion ? Je m'associe également aux questions sur l'international, ne serait-ce que d'un point de vue opérationnel.

M. David Assouline, président. - J'ai une question à rajouter. J'ai été frappé lors des dernières rencontres d'Avignon, par une démonstration utilisant le numérique et les possibilités de concevoir la mise en place d'expositions virtuelles. Quelle est l'utilisation de cette technologie ? Est-ce que cela donne envie d'aller voir l'oeuvre originale ?

Mme Agnès Saal, directrice générale du CNAC Georges-Pompidou. - Je vous remercie pour l'intérêt manifeste que vous portez à ce sujet de la diffusion des oeuvres. Je vais répondre en abordant successivement les trois grands thèmes de vos questions : les partenaires, les publics et les moyens.

Plusieurs types de partenaires sont à prendre en compte, tant pour le Centre Pompidou que dans le cadre de la mission confiée par la ministre :

- la question fondamentale du rôle des collectivités territoriales a été soulevée et, pour répondre à Mme Catherine Morin-Desailly, les collectivités sont incontestablement des partenaires. Pour chaque projet, l'échange et le dialogue sont absolument nécessaires avec les collectivités de tous niveaux et nous sommes tous mobilisés pour des durées longues, avec les antennes de Lens, Metz ou Arras, ou pour des durées plus courtes qu'il s'agisse du CPM ou de l'opération « un jour, une oeuvre ». La diffusion des oeuvres patrimoniales représente un impératif politique, social et économique qui ne peut donc se concevoir sans les collectivités, elles-mêmes responsables de la gestion d'un territoire. Ce sont donc des partenaires indispensables pour toute politique de diffusion, comme d'ailleurs pour le spectacle vivant auquel Mme Maryvonne Blondin faisait allusion ;

- parmi les autres partenaires figurent évidemment les entreprises - via le mécénat ou d'autres types de partenariat - avec lesquelles nous avons des échanges très positifs. Elles trouvent un intérêt direct, propre, dans les expériences proposées pour les nouveaux publics. Il existe d'ailleurs une double échelle de mécénat avec, d'une part, les grands mécènes nationaux et, d'autre part, les petites et moyennes entreprises, voire les grandes, implantées territorialement. Ces dernières favorisent l'identification de moyens financiers nouveaux, autour de projets territoriaux, pour les institutions et les collectivités. A nous de trouver les moyens de les convaincre ;

- les partenaires étrangers constituent des interlocuteurs essentiels pour le rayonnement international des collections publiques mais aussi de l'expertise, du savoir-faire, du savoir scientifique de nos musées. Pour les grandes institutions patrimoniales, ces partenaires étrangers sont une manière de diffuser la culture, l'image, la marque de la France. Au-delà des expositions, nous sommes convaincus qu'il existe des champs nouveaux en matière d'expertise et d'ingénierie pour les pays émergents qui souhaitent concevoir des lieux culturels et des parcours de médiation pour des publics novices. Ce sont de nouveaux territoires à conquérir.

Les publics constituent la clé de toute politique, au-delà de la diffusion. Seule une démarche de médiation est capable d'accompagner les publics vers des oeuvres afin qu'ils s'approprient un patrimoine qui est le leur. Des questions ont été soulevées sur les femmes, les personnes handicapées, les détenus. Je souhaite simplement vous apporter les éléments d'information suivants :

- au CPM, nous avons prévu des parcours scénarisés, y compris pour les publics en situation de handicap, physique, visuel ou mental. Ce dialogue fonctionne très bien. Les expériences décentralisées montrent que la médiation permet de n'exclure personne ;

- l'expérience du Centre Pompidou avec des maisons d'arrêt a permis de réunir à chaque fois environ 50 détenus et l'artiste, toujours très impliqué. L'inscription à ces présentations se fait sur une base volontaire et fait l'objet d'un travail de préparation très en amont, avec les associations présentes sur le territoire. Chaque rencontre a permis, pendant trois heures, de favoriser des échanges d'une grande richesse. Ce dispositif pourrait être étendu à d'autres publics présentant des caractéristiques particulières ;

- les expériences « un jour, une oeuvre » ont permis de toucher des publics inhabituels, avec des expositions au centre commercial de Cergy Pontoise ou aux Mureaux. A chaque fois, les personnes présentes ont pris le temps d'échanger avec l'artiste, de contempler l'oeuvre.

Enfin, en ce qui concerne les moyens, je veux souligner l'apport du numérique. Si rien ne remplace le contact avec l'oeuvre originale, en revanche tout doit être fait pour accroître les connaissances et améliorer l'environnement documentaire. Cela ne peut que favoriser les échanges directs entre le public et les oeuvres.

M. Michel Le Scouarnec. - Un tiers des Français ne vont jamais dans un musée. Il faut que cela s'améliore de façon significative par un travail approfondi dans le temps consacré à l'éducation nationale et dans le temps péri scolaire. Les acteurs locaux doivent également s'impliquer plus fortement et les résultats devraient progresser rapidement.

M. Jean Boyer. - En matière d'archéologie, à qui appartiennent les objets trouvés ?

M. Jean-Jacques Lozach. - Il y a eu des initiatives symboliques en matière de décentralisation culturelle. Qu'est-ce qui a été déterminant dans ce type de réalisation, quels sont les éléments déclencheurs : le volontarisme politique des collectivités, le choix des thématiques, l'opportunité, la programmation ... ?

M. Alain Seban, président du CNAC Georges-Pompidou. - Les antennes qui existent aujourd'hui sont le fruit d'initiatives isolées. Mon prédécesseur, Jean-Jacques Aillagon, avait souhaité diffuser plus largement nos collections, une grande partie de celles-ci se situant dans les réserves, 2 000 oeuvres sur 74 000 étant exposées. Il avait décidé de s'inscrire dans un partenariat avec les collectivités territoriales pour devenir un acteur de la décentralisation culturelle et non plus un simple spectateur.

Cette initiative de Jean-Jacques Aillagon a donné lieu à des échanges avec certaines collectivités locales désireuses de souscrire au cahier des charges, la collectivité d'accueil prenant en charge les frais d'investissements et de fonctionnement, le Centre Pompidou apportant son savoir-faire, son nom, sa collection...

Les discussions se sont concentrées sur un petit nombre de collectivités locales aux termes desquelles le choix s'est porté sur Metz. Le même schéma s'est reproduit à Lens et à Arras. Il faut voir ces trois initiatives comme des laboratoires pas forcément reproductibles, ne serait-ce que pour des raisons financières évidentes. Le Centre Pompidou Metz, c'est 72 millions d'euros d'investissement et un budget de fonctionnement de 10 millions d'euros assumé par les collectivités territoriales. Les temps ont changé.

Pour nous, le Centre Pompidou Metz, c'est un laboratoire de format d'exposition nouveau, d'une nouvelle relation avec les publics. Il a fallu apprendre à travailler avec les collectivités territoriales. Maintenant, il faut tirer les leçons de ces expériences pour aller vers de nouvelles initiatives comme le Centre Pompidou mobile. Il est nécessaire de ne pas limiter notre action à Metz et d'irriguer davantage le territoire national, d'imaginer de nouvelles initiatives. Par ailleurs, ces nouvelles formes d'exposition n'ont pas forcément vocation à la pérennité.

S'agissant du Centre Pompidou mobile, il est financé par le mécénat pour l'essentiel et sa poursuite est subordonnée au recueil de mécénats nouveaux, qui s'annonce, d'ores et déjà, difficile. Nous en tirerons des leçons. Cela nous a permis de concevoir de nouveaux dispositifs de présentation des oeuvres, de tester de nouvelles modalités de médiation. Si cette opération doit s'interrompre, elle se réincarnera d'une autre manière. Les nouvelles expériences sont essentiellement liées au mécénat. Par ailleurs, ces dispositifs répondent à des normes de conservation particulièrement exigeantes. C'est fondamental.

Ces initiatives sont aussi observées à l'étranger. La dimension internationale est fondamentale et le Centre Pompidou mobile va faire école en Arabie Saoudite. C'est une terre de mission pour amener au musée des publics qui sont peu familiers de ce type de lieux.

L'international est également une source de financement. Quand on parle de valoriser nos collections nationales, il ne faut pas être timide, cette valorisation est également financière. Les grands musées nationaux présentent des expositions « hors les murs » qui sont un moyen de pénétrer des territoires nouveaux et d'attirer un large public. En 2012, les expositions à l'étranger du Centre Pompidou ont attiré 800 000 visiteurs et généré des revenus de l'ordre de 3,2 millions d'euros, soit 10 % de nos recettes propres.

Dans bien des cas, si notre base budgétaire est préservée, ces revenus doivent permettre de financer notre développement territorial. Il en a été ainsi de l'exposition Chagall, en 2011, à Grenoble, financée par les expositions de Tokyo et de Toronto.

De la même manière, j'ai évoqué l'idée de centres Pompidou provisoires dans des structures existantes pour éviter des investissements immobiliers lourds. Cette formule peut être un élément intéressant d'un développement décentralisé plus large et plus approfondi de l'institution. Il peut aussi devenir un élément important d'une stratégie internationale en permettant une implantation dans des territoires comme la Chine, le Brésil ou l'Inde. L'art est mondial.

Le numérique a été évoqué par plusieurs d'entre vous. La copie ne remplacera jamais l'original. L'idée du Centre Pompidou virtuel est une nouvelle plateforme de diffusion des oeuvres et des connaissances. C'est également un outil fondamental qui créé le désir, prépare la venue de l'oeuvre, laisse entrevoir la possibilité de réconcilier l'approche sensible et l'approche savante en donnant son contexte historique. Une collection, c'est aussi l'histoire de cette collection.

Créer le désir, c'est l'enjeu essentiel : la dimension événementielle, l'école, l'éducation artistique... sont des moyens de créer ce désir. Mais on ne pas se reposer uniquement sur l'école, il faut s'appuyer sur un réseau beaucoup plus large comprenant les associations, la famille...

M. David Assouline, président. - Nous attendons avec intérêt vos propositions.

Jeudi 14 mars 2013

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Économie numérique de la presse et du livre - Audition de Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des PME, de l'innovation et de l'économie numérique

La commission entend Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des PME, de l'innovation et de l'économie numérique sur le thème de l'économie numérique de la presse et du livre.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous avons souhaité vous entendre, madame la ministre, sur des sujets qui préoccupent notre commission : fiscalité numérique, accord signé entre Google et le Gouvernement en matière de plainte de la Commission européenne contre la France s'agissant du taux réduit de TVA sur le livre.

Si l'économie numérique, dont vous êtes en charge, ne se résume pas à la diffusion ou à la vente, sous une forme dématérialisée, de contenus culturels, les créateurs de ces contenus produisent une richesse dont les grands diffuseurs récoltent les fruits. Comment rendre cette économie plus équitable ? Comme assurer la juste rémunération des auteurs et protéger la diversité culturelle ? Comment instaurer une justice fiscale entre tous les acteurs ? Comment faire, en somme, pour que chacun bénéficie des revenus de cette nouvelle économie de façon durable, proportionnelle et juste ?

Notre motivation à vous entendre est d'ordre culturel et démocratique. L'impact du numérique sur la presse est fort, tant les contenants façonnent, formatent les contenus, les sélectionnent, en faisant disparaître certains. Notre information, notre culture méritent mieux que les aléas des algorithmes, la course à la privatisation, par quelques majors, de toutes les images ou la spoliation des ressources des journaux en échange d'une somme forfaitaire, pour solde de tous comptes. Nous avons beaucoup d'espoir, madame la ministre, en une mutation éthique.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Le numérique et le culturel sont des sujets éminemment imbriqués, au point que nous avons longtemps abordé l'émergence de l'économie numérique principalement sous le prisme culturel. La révolution digitale nous est ainsi d'abord apparue comme un nouvel outil de diffusion des oeuvres culturelles.

Internet a effectivement bouleversé les secteurs de la culture, en créant de nouveaux modes de transmission des oeuvres, mais la numérisation des oeuvres a également permis leur duplication en masse, les rendant de plus en plus accessibles à tous.

Cependant, la révolution numérique, loin de se borner à la culture, touche aujourd'hui tous les secteurs de l'économie. De nouveaux concepts sont à construire afin de garantir les droits des citoyens, les prérogatives des États, les droits des auteurs, les relations contractuelles et commerciales entre les entreprises, mais aussi l'équité fiscale.

Pour le livre et la presse, le numérique constitue un formidable moyen de diffusion, ouvrant leur accès au plus grand nombre grâce à des moyens technologiques toujours plus efficaces. Mais les modèles économiques traditionnels, liés à la distribution des écrits et à la rémunération des professionnels de ces secteurs, ont été bouleversés.

Si le développement de la presse en ligne a profondément modifié et remis en cause les outils de production et de diffusion de la presse traditionnelle, les nouveaux modèles économiques ne sont pas encore matures.

Les États généraux de la presse lancés par la précédente majorité n'ont pas apporté de solution. Comme l'a souligné le député Michel Françaix dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2013, le précédent gouvernement n'a mis en place aucune stratégie de redressement financier durable et les aides n'ont fait que compenser des pertes de recettes liées à l'effondrement des ventes et au tarissement des ressources publicitaires. (Mmes Colette Mélot et Sophie Primas s'exclament).

Alors que les États généraux avaient fait du développement de la presse sur les supports numériques une priorité, l'aide au développement en ligne n'a représenté que 20 millions d'euros sur des aides à la presse s'élevant au total à près de 1,2 milliard d'euros. Le fonds d'aide au développement des services de presse en ligne (SPEL) n'a été créé que pour trois ans et n'a pas été ciblé sur la presse d'information politique et générale. Au lieu d'aider l'investissement, il a servi à prendre en charge de dépenses de fonctionnement telle que les salaires des journalistes. Michel Françaix souligne que les aides, affectées à près de 40 % à des salaires, ont créé un effet d'aubaine. Ainsi, les aides à la presse ont été mal ciblées, trop saupoudrées et non conditionnées.

Enfin, le taux de TVA appliqué à la presse en ligne demeure un handicap. Le principe de neutralité des supports aurait dû conduire à un alignement sur les taux applicables à la presse papier.

Malgré les aides, le secteur reste donc en grande difficulté.

C'est dans ce contexte que les éditeurs de la presse d'information politique générale (IPG) ont fait part au Gouvernement de leur souhait de voir Google rémunérer les éditeurs de presse dont les titres sont référencés par le moteur de recherche. Nous avons privilégié la voie de la médiation, confiée à Marc Schwartz. Au terme de deux mois de discussions, un accord a été conclu. Tout imparfait qu'il soit, il est historique car, au-delà de son volet commercial, destiné à aider les éditeurs de presse à monétiser leurs contenus et à mieux valoriser leurs revenus publicitaires, il crée un fonds de 60 millions d'euros qui les soutiendra dans leur transition numérique. Dans aucun autre pays, Google n'avait fait un tel pas. C'est une voie fructueuse de soutien à la presse dans sa mutation numérique qui est ainsi ouverte.

Le périmètre de l'accord concerne la presse dite d'information politique et générale qui regroupe la presse quotidienne nationale, la presse-magazine d'information politique et générale, ainsi que la presse quotidienne régionale. Tous les sites d'informations politiques et générales sont concernés, y compris les pure players. Est exclue, a contrario, la presse de divertissement.

Ce fonds sera mis en place dans quelques semaines. Il est prévu de le doter d'une gouvernance ouverte, avec un conseil d'administration qui comprendra des membres indépendants. Le fonds sélectionnera des projets sur le fondement de leur capacité d'innovation, de transition vers le numérique et de transformation des modèles économiques. Il n'est pas là pour aider à surmonter des difficultés momentanées d'exploitation, mais bien pour faciliter la transition vers le numérique.

La Commission européenne a lancé une consultation afin de redéfinir les taux de TVA. La France a clairement indiqué qu'elle serait favorable à un alignement sur la presse papier afin de respecter le principe de neutralité des supports.

Qu'il n'y ait pas ambiguïté, le fonds de modernisation ne se substitue pas à la réflexion que mène le Gouvernement sur la fiscalité numérique, ni à celle que conduit la ministre de la culture sur la modernisation des aides à la presse.

J'en viens au livre. Bien que le marché du livre numérique ne représente aujourd'hui que 1,2 % du chiffre d'affaires des éditeurs, les usages connaissent un développement exponentiel avec la diffusion auprès du grand public des tablettes tactiles et des liseuses.

Le nombre de références d'e-books français se situe entre 60 000 et 90 000. Si les éditeurs français peinent encore à basculer vers la numérisation, 70 % à 90 % des livres de la dernière rentrée littéraire ont bénéficié d'une sortie numérique ; 42 % des lecteurs ont téléchargé des livres gratuits, notamment des classiques passés dans le domaine public.

Le deuxième baromètre du livre numérique de novembre 2012 indiquait que 14 % des Français avaient déjà lu totalement ou partiellement un livre numérique, soit une multiplication par trois en six mois.

Pour accompagner le développement de ce nouvel outil de diffusion des oeuvres littéraires, la France a décidé de pratiquer le même taux de TVA que pour le livre papier. Le taux de 5,5 % s'applique ainsi depuis le 1er janvier 2012. Par avis motivé du 24 octobre 2012, la Commission européenne a cependant appelé l'attention de la France sur le fait que ce taux réduit est incompatible avec la directive TVA. Elle a saisi la Cour de justice de l'Union européenne en février, contre la France mais aussi le Luxembourg, qui applique un taux de 3 % depuis le 1er janvier 2012.

Il s'agit pour nous d'avancer vers un traitement égal, indépendamment du support retenu pour la commercialisation. Une mission a été confiée à Jacques Toubon, délégué de la France pour la fiscalité des biens culturels. La Commission reconnaît la légitimité de cette cause, dont elle a inscrit le principe dans la consultation sur l'avenir des taux réduits de TVA lancée fin 2012. Elle estime pourtant que le droit communautaire ne permet actuellement pas d'appliquer le taux réduit de TVA au livre numérique. Alors qu'un livre vendu sur un support physique constitue un bien éligible au taux réduit, son équivalent numérique est considéré comme un service électronique et exclu, comme tel, du taux réduit par la directive.

Si l'enjeu budgétaire, à l'image de la part de marché du livre numérique, est modeste, de l'ordre d'une dizaine de millions d'euros, reste que la transition numérique ne doit pas être obérée par des écarts de traitement fiscal entre les supports. C'est pourquoi nous maintenons notre position, en espérant que nous ayons un temps d'avance sur la Commission. L'Espagne a abondé dans notre sens l'an dernier.

Au-delà, la mission Lescure sur l'exception culturelle à l'ère du numérique mène une réflexion d'ensemble. On ne pourra assurer des conditions favorables à la transition numérique qu'en rétablissant l'équité fiscale aujourd'hui rompue par les comportements des géants du Net, faits d'optimisation et d'évasion fiscale.

J'ai donc confié à Pierre Collin et Nicolas Colin une mission sur la fiscalité du numérique. J'ai eu l'occasion de venir exposer, au sein de la Haute Assemblée, lors de la discussion de la proposition de loi Marini en commission des finances, les conclusions de leur rapport, ainsi que le plan d'action du Gouvernement.

Sur le plan de la fiscalité internationale, le Gouvernement a décidé d'être très proactif au sein des instances européennes mais également de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), du G8 et G20, pour que soit modifié le droit conventionnel applicable.

Au niveau européen, la France appuiera les propositions du Commissaire Semeta, visant à lutter contre les « États tunnels » qui ne se sont pas dotés des outils de lutte contre l'évasion vers les paradis fiscaux. La volonté d'activer les travaux sur une assiette commune consolidée à l'impôt sur les sociétés (ACCIS) pour les entreprises du numérique, a été actée lors du séminaire numérique que nous avons tenu le 28 février 2013.

Au niveau de l'OCDE, la France s'associe pleinement à la démarche BEPS (Base erosion and profit shifting), fondée sur le constat qu'il existe aujourd'hui un décalage croissant entre le lieu de réalisation du profit et celui où il est taxable, les stratégies d'optimisation conduisant à une imposition minimale. La Commission européenne estime que cette évasion fiscale représente une perte de 10 % du PIB de l'Union européenne. Les États-Unis font les mêmes calculs.

Le débat ne porte plus seulement sur la juste répartition de l'assiette entre les États, mais également sur le fait qu'une partie de la richesse aujourd'hui créée échappe à l'ensemble des États. Ceci justifie une action collective, sauf à en venir à un dumping contre-productif et des mesures de protection dissuasives pour les investissements.

L'enjeu porte donc sur la reconstitution d'une assiette en voie d'érosion, ou quasiment inexistante dans certains secteurs d'activité, ce qui rejoint les intérêts des pays développés et des émergents. Seuls pourraient y perdre les paradis fiscaux.

Sous l'impulsion de la France et des États-Unis, le sommet des chefs d'État et de gouvernement du G20 réunis en juin 2012 à Los Cabos a demandé à l'OCDE de faire des propositions en vue de contrer cette érosion généralisée des bases fiscales. Cette demande a été reprise dans le communiqué de la réunion des ministres des finances du G20 à Mexico le 5 novembre dernier. Le rapport présenté au G20 de février dernier établit un diagnostic d'ensemble, et la nécessité d'engager un travail transversal et simultané dans tous les domaines concernés.

L'objectif est d'identifier un éventail de solutions concrètes et réalisables dans un calendrier cohérent avec les attentes exprimées par le G20, de façon à présenter d'ici juin 2013 un plan d'action. Les travaux vont concerner trois grands domaines : la répartition du droit d'imposer entre les États au travers des règles de territorialité lorsque celles-ci permettent aux profits de n'être imposés nulle part, comme c'est le cas en matière d'économie numérique ; les prix de transfert, en s'attachant plus précisément aux actifs incorporels ; l'amélioration des mesures qui permettent d'éviter les stratégies d'optimisation fiscale agressive, notamment au moyen de législations anti-abus. La France co-préside avec les États-Unis le groupe de travail sur le premier sujet et participe aux deux autres.

Sur la fiscalité domestique, j'ai demandé aux services de Bercy d'expertiser les hypothèses de taxe sur les données personnelles, taxe au clic et taxes sur bandes passantes et au Conseil national du numérique d'émettre un avis sur les problématiques de données personnelles, notamment au regard de la fiscalité.

Ces actions sont essentielles pour sauvegarder nos recettes fiscales et mettre fin au parasitage de la valeur créée sur notre territoire, notamment en matière culturelle. L'équité est en cause, puisqu'il est inconcevable que des acteurs concurrents sur certains marchés soient traités différemment sur le plan fiscal. Ainsi Pages jaunes par exemple s'acquitte de l'impôt sur les sociétés, ce qui n'est pas le cas de certains grands moteurs de recherche. Il ne s'agit pas de taxer le numérique, ni de brider l'innovation, mais bien de rétablir l'équité fiscale, afin que certains acteurs, qui bénéficient de la fiabilité de nos infrastructures et de la créativité de nos contenus ne se comportent pas en passagers clandestins, sans jamais participer ni aux unes ni aux autres.

Notre politique fiscale en matière de numérique aura une incidence sur le développement de la filière numérique culturelle. Car créer les conditions de l'équité, c'est aussi créer les conditions propices au développement de l'offre légale sur Internet.

Cet objectif se traduit également par le soutien public aux entreprises innovantes du secteur, via l'ouverture du crédit d'impôt recherche aux dépenses d'innovation, ou par le renforcement du statut des jeunes entreprises innovantes. Il s'incarne en outre dans la lutte contre la contrefaçon commerciale, afin de garantir la protection de la qualité et de l'authenticité des produits ainsi que de la rémunération de leurs producteurs. C'est pourquoi nous intègrerons des représentants du numérique et de la vente en ligne au Comité national anti contrefaçon, qui rassemble les acteurs publics et privés de la lutte contre la contrefaçon en France. Certains acteurs du numérique sont signataires de chartes de lutte contre la contrefaçon en ligne. Je souhaite que nous étendions les dispositifs de lutte contre ces atteintes à la propriété intellectuelle à de nouveaux intermédiaires du commerce électronique, tels que les opérateurs de transport express et de paiement à distance, comme l'ont fait les États-Unis, pour faciliter des initiatives de type « follow the money », qui peuvent s'avérer efficaces contre ces atteintes.

Le développement des offres légales constitue indéniablement le moyen pour tous les secteurs culturels, au-delà de la presse ou du livre, de profiter pleinement de la transition numérique, formidable chance de démocratisation des contenus culturels, tout en assurant des sources de revenus aux auteurs, aux créateurs, et à tous les professionnels qui travaillent avec eux.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci pour cet exposé complet.

M. David Assouline. - Un mot, tout d'abord, sur le contrat passé avec Google. Il s'agit certes d'un pas important, puisque pour la première fois, Google reconnaît qu'il doit quelque chose. Mais on ne saurait s'en tenir là, et considérer que l'entreprise a payé son dû, tant le manque à gagner, en termes de recettes fiscales, est énorme.

Je veux surtout vous interroger sur le taux de TVA. En attendant que soit gagnée la bataille engagée par le Gouvernement, dont je salue le courage, pour l'alignement des taux de TVA, il faut faire quelque chose. Nous avons voté à plusieurs reprises, dans les budgets 2010 et 2011, un alignement des taux appliqués à la presse. M.  Lellouche, qui était alors aux commandes, nous a répondu que la Commission allait dans notre sens, comme en témoignait la clause de gel de la directive, mais que cette clause ne pouvait, par définition, s'appliquer à la presse en ligne. Mais dès lors qu'il y a gel sur les organes de presse, il n'y a pas lieu de différencier les supports. Le Gouvernement va-t-il se donner les moyens de le faire valoir ? Que le taux soit de 2,1 % pour la presse papier, et de 19,6 % pour la presse numérique est totalement contraire aux principes d'égalité des droits et de neutralité fiscale. Ce combat n'est plus seulement celui des pure players, comme Mediapart ou Rue89, mais celui de toute la presse, qui fait sa révolution numérique et se trouve en difficulté au regard des titres étrangers. Le Gouvernement ferait bien de permettre à la presse numérique de souffler, en trouvant le moyen de compenser le manque. C'est vital.

Où en sont, enfin, les travaux de la commission Lescure ? Le législateur a besoin de clarification sur le calendrier, pour savoir quand il pourra se saisir du débat.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je suis d'autant plus heureuse de vous rencontrer aujourd'hui, madame la ministre, que je n'ai reçu aucune réponse, ni à ma demande d'entretien avec vous, qui m'aurait aidé à préparer le rapport que m'a confié la commission des affaires européennes, ni au courrier que je vous ai adressé concernant le CNC. Présidente du groupe d'études sur les médias et les nouvelles technologies, qui rassemble des représentants de toutes les sensibilités politiques, je forme le voeu que cette audition nous aide à nouer de saines relations, comme cela était le cas par le passé.

Je vous ai trouvée sévère sur les États généraux de la presse. En matière numérique, il faut rester humbles. Le séisme n'était pas, à l'époque, aussi violent qu'aujourd'hui. On ne parlait guère, alors, de publication sur Internet, ni de pure players. Nous ne mesurions pas ce qui allait se produire. Les aides apportées ont été jugées utiles, même si elles n'ont fait que combler des pertes sans réformer en profondeur le système de production de la presse, qui en a bien besoin.

Sur l'accord passé avec Google, je rejoins M. Assouline. Vous vous en dites satisfaite, je m'en inquiète. L'entreprise Google a fait tomber le masque, en montrant qu'elle pouvait censurer la liberté d'expression. Un tel pouvoir, hégémonique, met en jeu notre souveraineté. Notre économie, notre culture sont menacées. Google compte pour 90 % des recherches en ligne en Europe. Sans doute le fonds de 60 millions est-il une aubaine en ces temps de vaches maigres, mais cette collaboration ne créera-t-elle pas une forme de dépendance ? Nous regrettons le manque de transparence en amont de la signature de l'accord. Tous les titres ne seront pas aidés. Et quels seront les critères de répartition des 60 millions ? Ne risquent-ils pas d'avantager les plus gros au lieu des plus innovants ? Ne risque-t-on pas de voir Google privilégier, dans ses résultats de recherche, les titres qui bénéficient de son aide et utilisent ses outils ? La voie législative, qui avait été envisagée, et qui serait plus pérenne, est-elle abandonnée ? L'accord n'est qu'un fusil à un coup, et ces 60 millions sont une goutte d'eau au regard du chiffre d'affaires de Google, estimé entre 1,25 milliard et 1,4 milliard d'euros.

Dans le cadre de la stratégie opportune et offensive du Gouvernement à l'international, enfin, avez-vous noué des contacts privilégiés avec des pays qui manifestent la même volonté de faire progresser l'équité ?

Mme Corinne Bouchoux. - Les deux tiers des soixante propositions du rapport Bocquet sur la fraude et l'évasion fiscale pourraient être transposées au secteur numérique. Lesquelles de ces propositions ont retenu votre attention ?

Pour la survie de la presse, la question de la fiscalité est stratégique. Mais si la presse va mal, c'est aussi, au-delà des raisons structurelles, parce qu'elle perd des lecteurs. Plusieurs d'entre nous étaient récemment à Berlin : les Allemands lisent quatre fois plus que nous les journaux, et consultent trois fois plus que nous la presse en ligne. Comment engager une mini-révolution culturelle pacifique et pédagogique ? Ne faut-il pas passer par les écoles, les universités, guider les jeunes vers une consultation intelligente des ressources documentaires sur Internet, qui ne se limite pas à taper un mot dans un moteur de recherche ? L'enjeu ne vaudrait-il pas une action interministérielle coordonnée entre la recherche, l'éducation nationale, la culture et votre ministère ?

Mme Colette Mélot. - Nous nous sommes saisis, au cours de la session 2010-2011, de la question du livre numérique. J'ai été rapporteure de la proposition de loi sur le prix unique du livre numérique, pour lequel nous voulons le même traitement que le livre imprimé. J'ai bien noté que ce sujet est eu coeur de vos préoccupations. Mais comment expliquer que le comité de suivi prescrit par la loi n'ait toujours pas, alors que deux ans se sont écoulés, été réuni ?

Mme Françoise Laborde. - Je vous remercie, madame la ministre, pour la clarté de votre exposé. Présidente du groupe d'amitié France-Irlande, j'ai plusieurs fois échangé avec nos collègues irlandais sur ces sujets et je suis particulièrement sensible à la question de l'évasion fiscale. La présidence irlandaise vous semble-t-elle ouverte au dialogue sur ce point ?

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Les photographes et leurs droits sont les grands oubliés de toutes les stratégies et gouvernements successifs. La manne issue des États généraux de la presse n'est pas venue au secours de ceux qui font les images. Lors des débats sur la loi dite Dadvsi, un amendement du syndicat de la presse magazine a failli spolier les photographes ; le Sénat a dû corriger cette disposition. Lors de nos travaux sur la loi Hadopi, nous avons vu défiler toutes les sociétés de droits d'auteurs et tous les majors, mais personne n'a défendu les photographes, qui ne sont adossés à aucune industrie culturelle qui s'enrichisse sur leur dos. Pire, Hadopi a donné son label de vertu à une plate-forme de mise en ligne dont la moitié du fonds photographique est le fruit d'une spoliation. La commission Lescure pensera-t-elle à ces oubliés du droit d'auteur ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Je comprends votre circonspection sur l'accord passé avec Google. Google étant un acteur global, il est de fait problématique de raisonner par silos. Et cela répond en partie à la question de Mme Blandin sur les photographes. A découper ainsi les choses, on perd en capacité de négociation. Nombreux sont les secteurs concernés, même si ce n'est pas dans les mêmes termes. La mère des batailles reste, pour moi, la fiscalité : il faut parvenir à re-territorialiser les bénéfices. Déterminer comment les entreprises bénéficiaires peuvent contribuer est un autre sujet. Nous n'avons donc pas conclu cet accord avec l'idée de laisser de côté la question de la fiscalité. C'est un accord privé, qui signe une sorte d'engagement de la responsabilité sociale de l'entreprise. Je veux bien que l'on puisse craindre que le fonds de 60 millions rende les sites de presse plus dépendants, s'ils utilisent les outils commerciaux de Google, mais je rappelle que sa vocation est d'aider à la modernisation. Les éditeurs ont du mal à trouver le bon modèle économique pour la presse en ligne. La première phase de développement a misé sur la gratuité, et il est difficile d'y revenir. Les titres anglo-saxons, comme le Financial Times, qui ont une marque et une audience mondiales, sont axés sur le payant. La situation qui prévaut en France, à savoir la gratuité, à l'inverse, rend difficile la valorisation publicitaire des contenus...

Mmes Marie-Annick Duchêne et Colette Mélot. - Eh oui !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Le fonds doit être l'occasion d'aider les sites de presse à réfléchir à leur modèle économique, entre gratuit, freemium et payant. Le Monde en ligne réussit à bien valoriser ses contenus, mais les frais fixes de la rédaction papier ne sont pas inclus dans le compte de résultat du site Internet du journal. Certes, Google n'a créé que très peu d'emplois en France et n'y paie pas d'impôts, mais l'accord apporte une contribution bienvenue. C'est mieux que rien. Voyez comment Google a géré son litige avec la Belgique ou le Brésil : en déréférençant. Et son conflit avec l'équivalent allemand de notre Sacem : tous les contenus ont été retirés de You Tube. Ce n'est pas une solution, car cela entraînera une perte de recettes publicitaires.

En effet, Google n'est pas seul bénéficiaire du trafic. En cliquant sur une recherche Google, on est renvoyé sur le site de l'éditeur. Les sites de presse bénéficient de ce renvoi sur leur site. Aidons-les à mieux valoriser ce trafic. C'est l'avenir.

Deuxième sujet : l'obstacle que constitue le niveau de la TVA pour le développement de la presse en ligne. Ce traitement inéquitable est inexplicable, économiquement et démocratiquement. D'autant que les prélèvements vont au-delà de la seule TVA. Apple impose ainsi une commission de 30 % à tous les titres de la presse qui sont téléchargés à partir de son application App Store. Et les éditeurs n'ont même pas accès aux données personnelles de ceux qui ont acheté l'application en ligne ! Entre ces commissions et l'écart de taux de 17 points, comment voulez-vous que les éditeurs dégagent les marges, nouent les relations avec l'abonné qui leur permettraient de se moderniser ? C'est pourquoi le Gouvernement défend fermement l'alignement des taux.

La difficulté tient, pour parvenir à des décisions fiscales européennes, à la règle de l'unanimité. Il y a toujours un ou deux États, au premier rang desquels le Luxembourg, qui abrite Apple et Amazon, qui n'ont pas intérêt à ce que la situation évolue. Cette situation de concurrence entre États membres est inacceptable, mais il est difficile de contourner l'obstacle. Sans compter que le forcing sur la TVA sur la restauration a provoqué un traumatisme : plus personne ne tient à évoquer le sujet de la TVA.

Nous avons des contacts avec l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, avec les commissaires européens Barnier, Kroes, Semeta. Tout le monde est conscient du problème, mais les procédures sont complexes, et il serait risqué d'aller au contentieux, comme pour le livre : même si notre cause est juste, ce serait nous exposer à des sanctions, périlleuses en période de difficultés budgétaires.

M. David Assouline. - Ne peut-on compenser, pour la presse numérique ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - C'est compliqué...

M. David Assouline. - Ne peut-on imaginer un « fonds de soutien à l'égalité » ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Pourquoi pas une proposition de loi sénatoriale ?

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Une proposition de loi « article 40 » !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Je ne sais pas si les services fiscaux en ont évalué le coût. Vous parlez de compensation, mais on peut considérer que les aides à la presse sont une forme de compensation, même s'il est vrai que des 1,2 milliard d'euros des aides à la presse, seule une faible part est consacrée à la transition numérique. De même peut-on considérer que le fonds Google est une compensation, puisque ce sont des moyens supplémentaires. Les conclusions de la commission Lescure sont attendues fin mars, la TVA en fera partie, c'est pour bientôt.

Madame Morin-Desailly, je me couvre la tête de cendres... je regrette de n'avoir pu vous rencontrer plus tôt, pour des raisons d'agenda et je tiens bien sûr à vous voir pour évoquer ces sujets qui m'intéressent et vous passionnent. Vous avez parfaitement raison d'évoquer un problème de souveraineté à propos de l'accord Google-presse. Une procédure fiscale est en cours, menée par les services fiscaux. Il y a un problème de données personnelles. Le G20 a très récemment émis de sérieuses critiques sur le traitement de ces données par Google. La commission européenne s'interroge sur l'existence d'un abus de position dominante de la part de Google, tant la firme domine les moteurs de recherche en Europe. Aux États-Unis, il en va différemment puisque sa part de marché n'est que de 60 %, en raison de l'importance de Yahoo ! et de Bing. Une procédure a été engagée aux États-Unis devant la FTC (Federal Trade Commission), qui s'est conclue par une transaction, comme aime à le faire Google. J'espère que la Commission européenne ne transigera pas. La procédure européenne en cours est portée par sept ou huit acteurs français. L'algorithme de Google, sous brevet, est secret. Il semble qu'il favorise systématiquement les sites de shopping et de voyages en ligne de Google, qui apparaissent immanquablement en tête des résultats de recherche. Cette entreprise mène une stratégie méthodique de captation de la valeur, verticale et horizontale. Je m'en suis entretenue avec Voyages-Sncf.com et avec Voyageurs du Monde, dont le déploiement opérationnel en ligne a été handicapé par cette façon de procéder de Google, qui modifie ses algorithmes pour avantager ses propres offres et profite de sa position dominante comme moteur de recherche pour prendre position sur les marchés adjacents. Elle mène aussi une stratégie de remontée de valeur verticale, en investissant dans la fibre, les réseaux électriques, voire des aéroports aux États-Unis. Bref, cet acteur tentaculaire a bien réfléchi sur le déplacement de la valeur à l'échelle internationale et compris la façon de maximiser son profit en absorbant l'ensemble de la chaîne de valeur. C'est pourquoi l'angle fiscal est très important...

M. David Assouline. - Il faut une loi antitrust !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - C'est parce qu'il a senti la pression monter sur Google qu'Éric Schmidt était bien content de conclure un accord. Ce n'est qu'un acteur parmi d'autres et je n'en fais pas la cible d'une croisade, mais l'enjeu est particulièrement crucial pour l'ensemble de l'économie numérique. Voyez les difficultés de la Fnac, qui a su prendre, pourtant, peut-être un peu tardivement, le virage du numérique et celles de Virgin. Oui, il y a un vrai enjeu de souveraineté économique...

M. David Assouline. - ...et politique !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Absolument ! Nous demanderons que les critères d'attribution des aides au titre de ce fonds Google-presse soient transparents et objectifs. Je souhaite que l'accord soit rendu public. Nous tenons à ce soit distinguée la contribution des projets sélectionnées à l'innovation et à la recherche de modèles économiques pérennes.

Sur l'utilisation des outils de Google, il est difficile de se prononcer, en dehors du recours circulaire aux outils commerciaux. L'algorithme étant protégé par des brevets et par le droit de la propriété intellectuelle, nous ne pouvons pas savoir comment sont bâtis les rankings de Google.

Quant à la voie législative, une proposition, fondée sur la création d'un nouveau droit voisin au bénéfice des éditeurs, a été faite. C'est la voie qui a été suivie en Allemagne. Vous avez sans doute observé le déroulement du débat outre-Rhin. Mes homologues n'étaient pas très à l'aise au début, en raison de la complexité juridique de l'affaire. La solution finalement retenue est très minimaliste. Le droit voisin au profit des éditeurs de presse peut donner lieu à rémunération, mais la loi ne dit mot des modalités. Elle prévoit que les agrégateurs de contenus peuvent citer quelques lignes d'un article, ce qu'ils font déjà. Résultat : les éditeurs négocient de gré à gré avec Google l'obtention d'une rémunération, hors de tout cadre législatif. Il est évident qu'un groupe comme Bertelsmann ne part pas sur les mêmes bases, dans cette négociation, qu'un petit pure player. Je ne suis pas si sûre, en définitive, que le dispositif retenu soit si protecteur pour les éditeurs. Google peut décider de déréférencer des sites, comme en Belgique, les privant de recettes publicitaires. Attendons de voir comment se décantent les choses en Allemagne. Je suis dubitative, pour l'instant, sur l'impact positif que pourrait avoir cette législation.

La proposition « IPG » a buté sur un obstacle technique. Elle s'appuyait sur l'extraction de bases de données, par référence à l'accord qu'a passé Google avec l'Agence France-Presse (AFP), lui permettant d'encoder les dépêches de l'agence sur son propre serveur. Mais il était difficile de s'en inspirer, puisque les articles signalés par Google renvoient aux sites des éditeurs et ne sont pas captés sur son propre serveur. Même si nous nous en sommes servis comme argument de négociation, je ne vois donc pas très bien quel type de droit voisin l'on peut étayer sur cette base...

Mme Catherine Morin-Desailly. - Moi non plus...

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Il sera intéressant de voir comment les Allemands se débrouillent avec leur droit et d'en évaluer les conséquences sur les acteurs.

Sur la fiscalité européenne, les Allemands et, paradoxalement, les Britanniques vont dans le même sens que nous. Les auditions des responsables de Google au Parlement britannique ont été musclées. Des manifestations populaires ont protesté contre les stratégies d'optimisation fiscale, comme celle de Starbucks, à l'heure où l'État est à la recherche de ressources budgétaires. Les Britanniques sont très allants dans les enceintes internationales, l'OCDE et le G20. J'ai demandé et obtenu que le sujet soit inscrit à l'ordre du jour du conseil Ecofin.

Madame Bouchoux, sur l'évasion fiscale, traitée par le ministère du budget et celui de l'économie et des finances, nous sommes preneurs de toutes les propositions pertinentes. Je vous renvoie aux déclarations de Jérôme Cahuzac. Nous suivons le sujet de très près et nous inspirerons, s'il y a lieu, du rapport Bocquet. Notre réflexion sur la notion d'établissement stable, moyen de taxer les recettes d'une entreprise sur un territoire donné, me semble la piste la plus sérieuse. Jusqu'à présent, on estimait impossible de créer une taxe sur les opérations internationales, car cela obligerait à renégocier toutes les conventions fiscales bilatérales. Le concept d'établissement stable adapté à l'économie numérique et à l'environnement virtuel change la donne, puisqu'il permet de procéder par simple avenant ou annexe. C'est une piste sérieuse et opérationnelle à court terme.

La presse n'a pas attendu Google pour aller mal et perdre des lecteurs, c'est vrai. La transition numérique peut être un relais de croissance pour la presse ; elle n'est ni la solution à tous ses maux, ni leur cause. Il reste beaucoup de travail à faire pour redresser ce secteur, en analysant les causes de la désaffection du public, en intervenant auprès des jeunes, à l'école, y compris pour l'apprentissage des nouveaux médias. Des études ont déjà été conduites sur le sujet, dont on pourrait s'inspirer. Bien que cela relève au premier chef de la coopération entre la ministre de la culture et de la communication et celui de l'éducation nationale, nous pouvons envisager un travail interministériel.

Madame Mélot, le comité de suivi porte-t-il uniquement sur le prix du livre numérique ?

Mme Colette Mélot. - Oui.

M. David Assouline. - L'expérience montre que les comités de suivi créés par la loi ne se réunissent jamais !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Le livre numérique est encore cher. L'égalité de prix avec le livre papier, qui le met à un niveau élevé, bloque le développement de ce support. Les éditeurs doivent y réfléchir. Le coût marginal de la réalisation d'une copie numérique est nul et ne relève pas du même modèle économique que la réalisation d'un livre papier. Nous nous préoccupons aussi de notre réseau de libraires. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, l'essor de la consommation de livres numériques a fait disparaître le réseau de distribution physique, à commencer par les grandes chaînes comme Barnes & Noble. Nous devons y réfléchir, avec les distributeurs de produits culturels, la Fnac, les Centres Leclerc et les libraires indépendants, auxquels les Français sont très attachés.

Madame Laborde, vous présidez le groupe d'amitié France-Irlande. Les Irlandais subissent aussi la baisse des recettes fiscales, qui sont insuffisantes, du fait du taux très bas de l'impôt sur les sociétés pratiqué en Irlande. Le produit fiscal de Google est certainement très faible. Mais les Irlandais sont très attachés à l'écosystème dynamique qui a créé beaucoup d'emplois et d'activités dans le sillage de Google.

J'ai rencontré plusieurs fois l'ambassadeur d'Irlande : la fiscalité est un sujet un peu touchy. La concurrence fiscale entre États européens est un vrai problème. Les pratiques du Luxembourg sont encore plus agressives. Le taux de TVA s'y négocie : nous ne savons pas combien Apple paie, sans doute entre 2 % et 12 %. La règle de l'unanimité rend difficile tout progrès en la matière.

J'en viens à la photographie, madame la Présidente. Je l'ai dit, l'approche catégorielle me gêne, car elle évince des secteurs qui attirent moins l'attention que d'autres. C'est le cas de la photographie, mais aussi de la bande dessinée, ou du jeu vidéo, où la France dispose de champions mondiaux, comme Ubisoft, qui se trouvent un peu mis à l'écart. L'idée du rapport Lescure est d'embrasser toutes les problématiques. Je ne sais pas s'il aborde en particulier celle de la photographie, qui est sans doute très différente de celles de l'audiovisuel ou de la musique. Il ne faut laisser aucun secteur en marge.

La réflexion sur la protection des droits d'auteur doit tout embrasser. La BD a été pillée, personne n'en parle ! Beaucoup de sites se réfugient derrière leur statut d'hébergeur, mais si on leur signale un contenu illicite, ils ont obligation de le retirer. Le problème est qu'ils ne le font qu'au bout d'une semaine, après que le contenu a été vu un million de fois, téléchargé, copié, etc. Et encore, je ne parle que des sites licites, avec les sites illégaux, c'est encore plus compliqué ! Quand Megaupload a été fermé, la vidéo à la demande et le téléchargement légal ont fait un bond significatif. Il faut encourager le développement de l'offre légale, tout en réfléchissant aux prix pratiqués : payer 10 euros par mois pour des sites de téléchargement de musique comme Deezer, ce peut être beaucoup pour le budget d'un jeune ou d'un étudiant. Décliner une offre différenciée, cela entraîne des coûts de marketing, de recherche, d'innovation, qui supposent des moyens, que les entreprises doivent développer. Elles doivent être accompagnées à cette fin, pour pouvoir proposer une offre légale attractive. C'était l'une des missions d'Hadopi. J'espère que la commission Lescure sera offensive en la matière.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci pour ce vaste tour d'horizon. Sur le jeu vidéo, nous venons de constituer un groupe d'études commun avec la commission des affaires économiques. La situation est telle dans ce secteur que nos meilleurs talents, nos graphistes, nos créateurs, et nous n'en manquons pas, partent en Australie ou au Canada, ce qui est bien dommage. Nous allons y travailler pour y remédier.

Avis sur la constitution d'un groupe d'études relatif aux langues et cultures régionales

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - J'ai été saisie par le Président du Sénat d'une demande d'avis sur la création d'un groupe d'études sur les langues et cultures régionales.

En effet, aux termes de l'article premier de l'arrêté n° 84-63 du Bureau du Sénat, « la constitution d'un groupe d'études, ouvert à tous les sénateurs, est subordonnée à l'autorisation du Bureau du Sénat, accordée après avis de celle des commissions permanentes sous le contrôle de laquelle ce groupe doit demander à être placé ».

Sur ce fondement, notre collègue Robert Navarro a saisi le Président du Sénat afin d'obtenir du Bureau la création d'un groupe d'études sur les langues et cultures régionales.

Avant d'ouvrir le débat, je voudrais rappeler quelques éléments de contexte.

Le premier tient à la nature même de cette demande. Il ne s'agit pas de nous prononcer sur l'intérêt que représentent les langues régionales en elles-mêmes, intérêt reconnu par tous les membres de notre commission et dont témoigne l'article 75-1 de la Constitution. La commission doit simplement se prononcer sur l'opportunité de créer une structure permanente sur cette question.

Deuxième élément de contexte, les conditions de création d'un groupe d'études. Sur le plan des principes, ces structures constituent toujours une forme de démembrement des missions des commissions permanentes, surtout lorsque l'initiative en revient à un sénateur qui n'est pas membre de la commission de rattachement. Concrètement, la création d'un groupe d'études entre deux renouvellements du Sénat constituerait un précédent contraire aux moeurs qui se sont appliquées dans notre commission depuis le renouvellement de septembre 2011.

C'est d'ailleurs pourquoi j'avais opposé un refus à notre collègue Pierre Laurent qui souhaitait modifier le champ d'application du groupe d'études sur les métiers artistiques pour l'élargir à l'éducation artistique.

Il me paraît difficile d'accepter aujourd'hui pour un collègue, qui plus est non membre de notre commission, ce que nous avons refusé à un autre, il y a quelques semaines, d'autant qu'il ne s'agit pas, au cas présent, de modifier le champ d'un groupe existant mais d'en créer un nouveau de toutes pièces.

Tel était le sens de la réponse que j'avais faite à M. Navarro en novembre dernier, lorsqu'il m'avait saisie d'une telle demande. Qui plus est, la création d'un nouveau groupe d'études conduirait à modifier la répartition politique que nous avions établie sur la base d'un groupe d'études par groupe politique. J'observe d'ailleurs que le groupe écologiste, qui a été constitué postérieurement au renouvellement de septembre 2011, n'a pas souhaité remettre en cause cet équilibre et n'a, par conséquent, pas sollicité la création d'un groupe d'études supplémentaire. Sur le plan pratique, j'ajoute que le programme de notre commission - tant sur le plan législatif qu'au titre des activités de contrôle - est déjà très chargé, au point que plusieurs de nos structures - groupes d'études ou groupes de travail - n'ont d'autre choix que de se réunir au même moment. Il me semble qu'une limite physique est aujourd'hui atteinte. Il me paraît difficile de mobiliser encore plus l'équipe - déjà réduite - de nos administrateurs, d'autant que plusieurs prêtent main forte à des structures temporaires (commissions d'enquêtes sur les sectes, sur le dopage...).

Dernier élément en date, la création par le Gouvernement d'une commission nationale pour la promotion des langues régionales et la valorisation de la diversité linguistique. Cette commission a été installée par Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, le 6 mars dernier. Composée de parlementaires, de juristes et de linguistes, elle devra notamment formuler des recommandations visant à valoriser la pluralité linguistique interne à notre pays, dans toutes ses dimensions, culturelles, éducatives notamment. Notre collègue Jacques Legendre a été désigné pour en faire partie et pourra nous tenir informés de la conduite de ses travaux. Mme Frédérique Espagnac, qui n'est pas membre de notre commission, en fait également partie.

Je terminerai en mentionnant l'examen du projet de loi d'orientation et de refondation de l'école de la République. L'Assemblée nationale a entamé l'examen de ce texte lundi dernier. La commission de la culture de l'Assemblée nationale a introduit plusieurs dispositions relatives aux langues et cultures régionales. L'une d'entre elles prévoit que les maîtres sont invités à intégrer les langues et cultures régionales dans leur enseignement chaque fois qu'ils peuvent en tirer profit, notamment pour l'étude de la langue française.

Je ne doute pas que nous aurons donc l'occasion d'en reparler lorsque le Sénat, à son tour, procédera à l'examen de ce projet de loi.

Dans un tel contexte, créer une structure permanente ne me paraît pas le meilleur moyen d'assurer le suivi des travaux de la commission créée par le Gouvernement. Mais, comme nous ne pouvons rester à l'écart de cette réflexion, et après en avoir délibéré au sein du Bureau de notre commission qui s'est prononcé à l'unanimité, je vous propose de confier à un groupe de travail interne, composé d'un membre de chaque groupe politique, le soin de suivre les travaux en cours, sans préjuger des suites que le Gouvernement apportera aux travaux de la commission pour la promotion des langues régionales.

Si vous en étiez d'accord, je vous proposerais donc de donner un avis défavorable à la création d'un groupe d'études sur les langues et cultures régionales, et de créer un groupe de travail interne à notre commission afin d'assurer le suivi des travaux de la commission créée par le Gouvernement.

Il en est ainsi décidé.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Pour faire partie de ce groupe de travail, j'ai reçu les candidatures de Mme Blondin pour le groupe socialiste, de M. Le Scouarnec pour le groupe CRC, de Mme Laborde pour le groupe RDSE, de Mme Mélot pour le groupe UMP. Je n'ai pas encore reçu de proposition du groupe UDI-UC...

Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous vous l'enverrons prochainement.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci. Ce groupe de cinq nourrira notre réflexion sur la refondation de l'école et devrait, idéalement, clore ses travaux fin juin.

M. Maurice Antiste. - A toutes fins utiles, je vous rappelle mon grand intérêt pour les langues régionales.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - J'en ai pris note.

Déplacement au Muséum national d'histoire naturelle - Communication

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Le mercredi 27 mars nous nous déplacerons au Muséum national d'histoire naturelle, entre 8 heures 15 et 10 heures 15, pour évoquer la culture scientifique, mais aussi la recherche et l'enseignement supérieur, qui font partie des missions de ce grand établissement, puis nous reviendrons pour entendre le rapporteur de la commission de l'éducation du Conseil économique, social et environnemental sur le projet de loi de refondation de l'école.

Organisation des travaux de la commission - Echange de vues

Mme Dominique Gillot. - La scolarisation des élèves handicapés constitue un des aspects important de la refondation de l'école de la République. La reformulation des cours dispensés par les enseignants en langue des signes à destination des élèves sourds me paraît particulièrement digne d'intérêt. Notre commission devrait procéder à l'audition de représentants de cet enseignement afin d'éviter une polémique inutile et de témoigner de l'intérêt qu'il représente pour les enfants scolarisés en intégration.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Mme Cartron, rapporteure, a engagé un ambitieux programme d'auditions. Votre proposition est tout à fait pertinente sur le fond. Sur la forme, j'appelle votre attention sur le calendrier d'examen de ce texte, qui débutera en séance publique le 21 mai, soit une semaine après une suspension des travaux en séance de deux semaines. Nous devons être conscients qu'un tel calendrier nous laissera peu de temps pour élaborer le texte de la commission et examiner les amendements extérieurs.