Mardi 26 novembre 2013

 - Présidence de M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président -

Audition de MM. Christian Babusiaux, président de chambre, et Pierre Jamet, conseiller maître, sur le rapport public thématique de la Cour des comptes « L'organisation territoriale de l'Etat »

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - L'organisation territoriale de l'État a été profondément réformée depuis 2010, avec la RéATE (réforme de l'administration territoriale de l'État). On peut s'interroger sur l'efficacité de cette réforme.

J'aurais trois questions à formuler sur ce point : premièrement, l'État doit-il continuer à agir dans le champ de compétence des collectivités territoriales ? Ensuite, les modalités du contrôle exercé sur ces dernières par l'État sont-elles adaptées ? La réforme des chambres régionales des comptes a-t-elle eu des effets, positifs ou négatifs ? Enfin, peut-on simplifier l'organisation territoriale de l'État ?

M. Christian Babusiaux. - Le travail que nous avons mené avec mon collègue Pierre Jamet a été fondé sur environ un millier d'entretiens avec des usagers, des élus, des entreprises, des chambres de commerce et d'industrie, dans les quinze régions où nous nous sommes rendus. Ceci a conduit à l'élaboration du rapport publié en juillet 2013 sur l'organisation territoriale de l'État. Pour répondre immédiatement à votre dernière question, l'un de nos principaux constats est que l'État n'a pas assez réfléchi à son rôle au regard de la perspective de simplification de son organisation territoriale.

Ceci dit, notre souci était d'avoir une vue transversale des conséquences de l'évolution des services déconcentrés et d'en observer les effets sur le terrain. Il s'agit du premier travail de ce type mené par la Cour des comptes, englobant tous les services de l'État, à l'exception du ministère de la Défense.

Nous avons constaté un fort besoin de présence de l'État, de capacité d'arbitrage du préfet et d'améliorations en matière de simplicité et de technicité des interventions étatiques. Ce besoin d'un État simplificateur adapté à la diversité accrue des territoires et ayant tiré les conséquences de la décentralisation n'est pas satisfait à l'heure actuelle. En effet, les différentes réformes entreprises n'ont pas été à la hauteur des évolutions de la société et ont même fait naître des problèmes nouveaux.

L'État se présente sur le terrain comme un patchwork, fruit de réformes successives issues des différentes phases de la décentralisation. Ainsi les circonscriptions des différentes administrations ne coïncident-elles pas entre elles. Par exemple, la lutte contre le trafic des stupéfiants est compliquée par l'existence de circonscriptions ne coïncidant pas entre la police judiciaire et la gendarmerie. La carte des cours d'appel ne recouvre pas celle des régions administratives, ce qui crée des difficultés pour mener l'action pénale, car il existe des discordances entre la zone d'action des procureurs et celle des préfets. À cette disjonction des périmètres, regrettable alors que l'action publique comporte une large part de répression pénale, s'ajoute des complexités dans l'articulation, au sein de l'État, entre opérateurs et services déconcentrés. Il y a des réseaux distincts, pour lesquels existe la nécessité d'échelons de coordination.

Il existe également des problèmes de cohérence à l'intérieur même des services de l'État. Ainsi, les directions des affaires sanitaires et sociales sont souvent dirigées par un vétérinaire, ayant peu de compétences en matière d'action sociale.

À cela s'ajoute la décroissance des effectifs des services de l'État, ce qui les met en difficulté et pose le problème de la pérennité des compétences disponibles. Au 1er janvier 2010, on comptait 101 000 agents dans les services déconcentrés ; ils étaient 82 000 au 31 décembre 2012, et 80 000 en novembre 2013. Ces réductions d'emplois doivent se poursuivre, mais les schémas d'emploi pour 2014 et 2015 comportent des baisses d'effectifs non détaillées, ce qui ne permet pas aux agents d'anticiper les évolutions prochaines. Ces réductions touchent particulièrement les corps d'ingénieurs, notamment ceux des Ponts, ou les vétérinaires.

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Les collectivités territoriales, qui puisaient dans ce vivier, ont du mal à recruter ces personnels d'une haute technicité.

M. Christian Babusiaux. - Les services de l'État n'ont plus guère de subventions à distribuer. Par exemple, il n'y a quasiment plus de budget sur le tourisme, plus de crédits industriels, domaine où l'essentiel des fonds distribués sont européens. Pour autant, les services ont pu, pendant un temps, offrir les services de personnels compétents.

Ce que peut apporter l'Etat, c'est la technicité. Or, des effectifs de plus en plus réduits privent les services déconcentrés de la ressource nécessaire en personnels très qualifiés. L'INSEE, par exemple, ne sera bientôt plus en mesure d'avoir une direction dans chaque région, faute de la technicité nécessaire. Il faut être réaliste.

Des problèmes de viabilité se posent, par ailleurs, du fait de l'existence de toutes petites unités. Prenons le cas de la Direction générale des finances publiques, qui emploie environ 120 000 personnes, mais au sein de laquelle 800 unités emploient moins de cinq personnes. Cette situation est problématique au regard de la technicité de certaines matières comme la comptabilité ou l'intercommunalité. Lorsqu'une unité compte cinq agents, il devient compliqué de gérer les problèmes liés aux congés maladie, à la formation, aux mutations...

Les services sont donc, à notre avis, en difficulté. De plus, des problèmes techniques se posent compte tenu de l'absence ou de l'incompatibilité des systèmes d'information. On a rassemblé des administrations sans unifier leurs systèmes d'informations ; ni les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), ni les directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) n'ont un système d'informations uni. Cela fait surgir des problèmes de management car les responsables départementaux, régionaux, nationaux ont du mal à recueillir l'information souhaitée.

Nous faisons un quatrième constat lié à la baisse de la fonction de contrôle, dont on peut se demander si elle n'est pas l'une des raisons de certaines difficultés actuelles. Ce constat est vrai à tous les niveaux. Concernant le contrôle de légalité, par exemple, les effectifs ont fondu et la technicité a diminué. Beaucoup de collectivités sont aujourd'hui juridiquement plus équipées que les services préfectoraux. Il est vrai que la DGFip et la DGCL ont chacune des pôles spécialisés, mais très réduits. L'organisation du contrôle fiscal est restée inchangée jusqu'à une époque récente, alors que la nature de la fraude évoluait. On pourrait multiplier les exemples dans tous les domaines.

Enfin, je souhaiterais évoquer un dernier point, à savoir l'absence d'adaptation à la diversité des territoires. L'organisation est certes différente en Ile-de-France, avec la présence de Paris et des départements de la petite couronne, de même qu'elle est différente dans les départements d'Outre-mer, mais à part cela, quels que soient la taille du département ou du peuplement de la région, l'organisation de l'Etat est identique, malgré la différence des problématiques de terrain.

J'en viens maintenant aux orientations et recommandations proposées par la Cour des comptes. Nous en présentons pour chacune des composantes de l'Etat.

Il ne s'agit pas pour la Cour de retirer l'Etat des territoires. En revanche, pour un certain nombre de fonctions, on peut se demander quel est, aujourd'hui, l'apport de l'Etat. Quand il existe dans les DIRECCTE un fonctionnaire chargé du tourisme, et qu'il n'a plus de budget, quand un ou deux fonctionnaires s'occupent de commerce extérieur, quelle est leur plus-value ? Même en matière culturelle - même si bien sûr il y a le patrimoine -, dans la plupart des DRAC, trois ou quatre conseillers culturels s'occupent chacun d'un domaine : la musique, la danse, etc. Quelle est leur plus-value potentielle par rapport à l'action des collectivités territoriales en matière d'action culturelle ? Au vu de ces interrogations, le rapport préconise de tirer les conséquences de la décentralisation en faisant en sorte que l'Etat se recentre, compte tenu de la baisse de ses moyens, sur les secteurs où sa présence est vraiment nécessaire.

Il faut réajuster les cartes, notamment en matière de maintien de l'ordre, de police, de corps de contrôle, y compris à l'intérieur d'un même ministère : il est difficile, par exemple, de comprendre qu'il y ait 40 régions douanières alors qu'il y a 20 régions relevant de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Il faut donc faire ce travail de mise en cohérence. Il convient de créer, ou plutôt de recréer des pôles de technicité, éventuellement au plan interdépartemental ou, dans certains cas, interrégional. Il est important de diversifier l'organisation. Par exemple, la cohésion sociale, aujourd'hui localisée au sein des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDSCPP), devrait, dans les départements les plus urbains, être rapprochée des directions départementales des territoires, pour ne pas séparer l'urbanisme, le logement et l'animation des quartiers.

Voilà quelques grands axes de nos recommandations. Nous préconisons que l'Etat essaie d'avoir une vue d'ensemble de son organisation, ce qu'il n'a pas réussi à faire jusqu'ici.

Il y a urgence, car chaque jour qui passe voit la situation se dégrader. La complexité de l'Etat territorial est un frein à l'efficacité de certaines politiques publiques. Sur des enjeux essentiels comme la politique de la ville, la cohésion sociale, ou encore l'emploi et la formation professionnelle, il y a trop de complexité à l'intérieur même de l'Etat entre ses opérateurs et ses services déconcentrés. Le statu quo est impossible.

En d'autres termes, il importe de reconstruire une cohérence car les problèmes sont aujourd'hui compliqués. Il faut des structures et des responsabilités claires.

Nous insistons également sur les ressources humaines et le management. L'Etat reconnaît lui-même que ces deux sujets ont été ignorés. Il n'y a eu aucune adaptation, sauf exception, aux nouvelles structures et aux nouvelles tâches. Les enjeux de mobilité des fonctionnaires entre les zones territoriales, enjeux de statut, de primes, de conditions d'emploi n'ont pas été traités : nous pensons qu'il y a de grands défis à relever en termes de ressources humaines.

La Cour a la conviction que l'Etat gagnerait en crédibilité s'il donnait au plan territorial l'exemple de ce qu'il faut faire pour se réformer.

M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président. - Merci beaucoup, Monsieur le président. J'aurais deux questions : d'abord, que pensez-vous de l'organisation de la sécurité civile ? Ensuite, le tableau que vous faites de la situation générale est un peu déprimant : quel est l'état d'esprit des personnels ? Souhaitent-ils une évolution ?

M. Christian Babusiaux. - Lorsque nous avons commencé notre enquête, en juillet 2012, tous considéraient que l'on était encore au milieu du gué. Cela a changé à l'automne 2012, quand les personnels ont reçu les perspectives d'emploi 2013, qui ont fait l'effet d'une douche froide. On voit bien aujourd'hui que, dans un certain nombre de services, le moral n'est pas au beau fixe. Les personnels ressentent la précarité des structures.

M. Pierre Jamet. - Ce constat était partagé par tous les acteurs rencontrés, quel que soit leur niveau, ce qui nous a beaucoup surpris.

En ce qui concerne la sécurité civile, chaque fois que nous avons abordé la question, il nous a été répondu qu'il s'agissait d'un secteur qui fonctionnait bien.

M. Georges Labazée. - J'ai participé comme parlementaire à la mise en place de toutes les grandes lois de décentralisation. Ce qui a manqué alors, c'est un grand texte concernant la déconcentration des services de l'État, en particulier au niveau régional. Un tel mouvement de déconcentration aurait levé un certain nombre de difficultés : on a décentralisé au niveau des collectivités territoriales, mais un pouvoir central très fort existe toujours. Les missions imparties aux services déconcentrés de l'État sont des missions de contrôle qui sont très contraignantes pour les responsables des collectivités territoriales. Préconisez-vous que l'on mette enfin en place, pour « redonner de la cohérence », selon votre formule, une déconcentration appropriée de l'État ?

M. Jean-Pierre Vial. - En ce qui concerne la cohérence, je me retrouve tout à fait dans votre diagnostic. On constate cependant que nous sommes en ce moment au milieu d'un chambardement dont on a le sentiment qu'il est la conjonction de réformes inachevées et d'un effondrement des effectifs. Ne faut-il pas se poser d'abord la question des moyens dont on dispose ? Ainsi, le contrôle de légalité s'est aujourd'hui effondré. Faut-il le supprimer, ou le reporter sur des domaines essentiels pour qu'il y ait un contrôle de légalité effectif ?

Concernant l'opérationnalité des services, on constate que les décisions prises au niveau départemental importent moins aujourd'hui que celles de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), prises au niveau régional. L'administration départementale se trouve ainsi déconsidérée, et les délais des décisions prises par la DREAL sont antiéconomiques.

Enfin, depuis la création des agences régionales de santé, on doit bâtir les schémas « personnes âgées » et « handicap » en apesanteur, sans connaître les moyens qu'y mettra l'agence régionale de santé (ARS).

Il faut certes mettre de la cohérence, mais celle-ci doit passer par une analyse des moyens qu'il est possible de mettre en oeuvre. Quand un inspecteur de la jeunesse et des sports est seul dans son service, on ne le sollicite pas, afin de ne pas l'accabler de dossiers dont il n'aura pas les moyens de s'occuper.

M. Jean-Luc Fichet. - Ce que vous décrivez, c'est bien ce que perçoivent les élus au quotidien. Parmi les revendications, l'une des principales concerne les normes et la réduction de leur nombre. En effet, il y a aujourd'hui 400 000 normes. Si tout le monde s'accorde sur la nécessité d'en réduire le nombre, cela devient plus compliqué lorsqu'il s'agit de déterminer de manière précise lesquelles il faut supprimer.

Ce que nos concitoyens disent, c'est que l'administration leur complique la vie. Un exemple en est la « loi littoral ». Son application varie d'un département à l'autre, suivant les interprétations faites par l'administration et par le juge, qui a un rôle d'arbitrage en dernier ressort. En outre, le cloisonnement et la géographie des services participent à cette complexité, qui n'est pas pour desservir tout le monde, dans la mesure où l'élu perd tout pouvoir. Ce dont il doit être question, c'est l'intelligence de l'organisation : comment organiser un territoire de manière intelligente, permettant une application intelligente des lois et règlements, et ainsi de réduire leurs nombres ? Cela permettrait aussi aux administrés de mieux comprendre le fonctionnement de l'administration et ainsi de se saisir des services afin d'obtenir une réponse dans un délai assez bref. Aujourd'hui, dans certains cas, il faut trois ou quatre ans pour obtenir la réponse à un dossier, et pas seulement à cause des normes.

M. Edmond Hervé. - Je pense qu'il ne faut pas accorder une importance excessive aux institutions. Les personnes jouent un rôle substantiel.

L'élément essentiel, pour ce qui est de l'organisation territoriale de l'État, est la transversalité. Nous devons retrouver un pouvoir préfectoral, c'est un décentralisateur qui vous le dit. En effet, lorsque l'on évoque la transversalité, il faut une légitimité et une compétence. Il en est de même pour les grands exécutifs. La légitimité et la représentativité sont des éléments essentiels, qu'ils s'agissent des présidents des conseils régionaux, des présidents des conseils généraux, des maires ou des présidents d'intercommunalités.

Il ne faut pas oublier qu'historiquement, chaque texte de déconcentration a été accompagné d'un décret « anti-remontée ». Le premier grand texte de déconcentration est une circulaire - prise à la fin des années 1940, début des années 1950 - par un grand préfet, M. Olivier Philippe, au ministère de la Jeunesse et des Sports.

L'administration centrale doit jouer le jeu de la déconcentration. Il en est de même pour les élus. Or aujourd'hui, certains préfèrent, plutôt que de s'adresser au préfet, dialoguer directement avec le ministre. En outre, le préfet doit avoir une certaine durée de présence sur son territoire. Lors d'un déplacement effectué dans le cadre d'un précédent rapport pour notre délégation, j'ai appris que la présence d'un préfet était parfois inférieure à un an, ce qui est totalement dépourvu de pertinence, surtout dans le contexte de l'achèvement de la carte de l'intercommunalité. De plus, politiquement, le préfet doit être respecté. Or, certains élus ont parfois un comportement incorrect vis-à-vis du préfet. Enfin, je suis opposé au spoil system.

La transversalité du préfet est une manière de régler les discordances territoriales. En effet, le territoire idéal n'existe pas, le bassin d'emploi ne recoupe pas le territoire du programme de logement, de l'école ou encore de la défense. La coordination est une question essentielle. Il faut avoir le courage de supprimer certains doublons entre l'administration déconcentrée et l'administration décentralisée. Il faut également avoir le courage d'opérer le tri dans les normes. En effet, lorsqu'on n'a plus de budget, la tentation est grande de faire des normes : c'est une forme d'exercice du pouvoir.

Enfin, dans le milieu de la haute fonction publique, j'ai l'impression qu'il existe un regard quelque peu critique vis-à-vis de la fonction publique territoriale. Or, celle-ci n'a plus rien à envier aujourd'hui à la fonction publique de l'État. Des ingénieurs des Mines, par exemple, sont désormais présents dans la fonction publique territoriale.

Ma dernière remarque porte sur le contrôle de légalité. Le problème n'est pas de savoir s'il a disparu, mais de savoir qui l'exerce.

M. Georges Labazée. - Ce sont les cadres C, aujourd'hui.

M. Edmond Hervé. - Dans certains départements, le préfet ne contrôle plus que certaines collectivités territoriales. Les grandes collectivités disposent de bons juristes. J'ai fait un déplacement dans la Marne, où c'est l'association départementale des maires de France qui, d'une certaine manière, assure le contrôle de légalité. Je trouve que cette initiative est très intéressante et j'ai toujours dit que la révision générale des politiques publiques (RGPP) était une chance pour les autorités décentralisées. En 1982, les lois Deferre avaient prévu la mise en place d'agences de développement, organismes de conseil qui correspondaient à peu près à nos actuelles agences d'urbanisme.

M. Georges Labazée. - Quelques-unes ont été mises en place, notamment dans mon département.

M. Edmond Hervé. - Le département doit s'emparer de ce genre d'opportunités. Enfin, si l'on souhaitait écrire une histoire de la coordination, il faudrait commencer par lire un article de 1956, dans la revue française de science politique, de M. Edgar Pisani, intitulé « Administration de gestion, administration de mission ».

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - La création des ARS était-elle absolument indispensable à votre avis ? Par ailleurs, vous n'avez pas évoqué le contrôle des chambres régionales des comptes.

M. Edmond Hervé. - Nous avons toujours été très favorables à ce que les chambres aient un rôle de conseil et d'expertise.

M. Christian Babusiaux. - Il faut que l'État soit cohérent. Il a décentralisé, il doit en tirer les conséquences, y compris en matière de développement économique.

L'État doit naturellement être présent sur les grandes filières, mais aujourd'hui le développement économique est très largement une affaire locale et l'État n'a plus vraiment les moyens d'agir. En outre, il a tendance à se dédoubler entre les DIRECCTE et les commissaires au redressement productif... Ajoutons que, pour un jeune ingénieur des Mines intervenant dans une DIRECCTE sur les questions de développement économique, il est peu enthousiasmant d'être placé sous l'autorité cumulée du chef de pôle, du directeur interrégional, du chargé de mission SGAR (secrétariat général pour les affaires régionales), du SGAR, du préfet de région... La complexité des structures de l'État déconcentré décourage sans doute nombre de gens de valeur, qui regardent dès lors en direction de pôles de compétences plus attractifs, tels que le conseil régional. Il résulte de tout cela, entre l'État et les instances régionales, une différence de tonus et de compétences que l'on ne peut manquer de remarquer.

Nous distinguons deux types de domaines : ce qui relève de la proximité et appelle une grande déconcentration, et ce qui relève de la présence de la République dans les territoires et forme l'ossature de légalité et de la sécurité : c'est par exemple le cas des contrôles sanitaires. Or l'État a traité ces domaines de façon trop indifférenciée.

Par ailleurs, je partage tout ce qui vient d'être dit sur le contrôle de légalité. En ce qui concerne les ARS, tout d'abord, il faut une clarification des responsabilités dans le domaine médico-social. Ensuite, sur le fond, si la création des ARS est sans doute une assez bonne idée, les moyens ne sont pas toujours disponibles, en outre l'assurance-maladie représente, à côté du ministère, une filière parallèle d'élaboration d'instructions.

En ce qui concerne les normes, pour ce qui est du littoral, entre les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM), les directions interrégionales de la mer (DIRM), les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), parfois les préfets maritimes, les circuits sont certes compliqués.

M. Pierre Jamet. - Prenons, par exemple, le nombre d'intervenants sur les schémas éoliens : c'est extraordinaire !

M. Christian Babusiaux. - De fait, les réformes ne sont pas parties de préoccupations axées sur la vie des territoires. Il a d'abord fallu appliquer le principe du « un sur deux ». Il s'agit de préoccupations d'ordre administratif. On ne s'est pas posé préalablement la question du comment rebâtir. Ajoutons que la durée moyenne de présence des préfets dans un poste est de deux ans, ce qui ne permet ni la connaissance des personnes et des territoires, ni l'exercice d'une vraie autorité sur les services. Il y a aussi un vrai problème de recrutement des sous-préfets, qui est un peu hétérogène. En ce qui concerne les préfets, nous attirons l'attention sur un point : la tendance au gonflement des SGAR, qui atteignent parfois 90 ou 100 personnes et qui doublonnent avec les services déconcentrés. Ce système est déresponsabilisant.

M. Pierre Jamet. - Je souhaite insister sur la rotation trop rapide des préfets, et sur la démobilisation d'un certain nombre de directeurs régionaux et départementaux. En effet, ils sont en permanence en train de former un nouveau préfet.

M. Edmond Hervé. - Qui est à l'origine de ce rythme de rotation ?

M. Pierre Jamet. - Le ministère de l'Intérieur.

M. Jean-Pierre Vial. - Si je puis dire, je suis étonné de votre étonnement. Pour moi, le SGAR peut être considéré comme le préfet de région opérationnel, tandis que le préfet de région est le préfet politique. D'ailleurs, lorsqu'il se présente, il énumère les grandes missions qu'il entend suivre en expliquant qu'elles seront mises en oeuvre par son SGAR.

M. Christian Babusiaux. - Malheureusement, le SGAR n'est plus l'animateur économique qu'il a été, car dans la plupart des cas il n'en a plus les moyens. Il ne peut plus, aujourd'hui, se consacrer à des tâches de gestion et de management. Nous expliquons dans le rapport que l'on pourrait revoir le partage des tâches entre le secrétaire général du département chef-lieu, qui est l'un des deux bras du préfet de région, et le SGAR. On peut songer à confier au secrétaire général du département des tâches de gestion départementale ou régionale, alors le SGAR se concentrerait sur des tâches d'animation, notamment des directeurs départementaux et régionaux.

M. Jean-Pierre Vial. - Je souhaiterais revenir sur la situation des sous-préfectures. Avez-vous abordé ce sujet dans votre rapport ?

M. Christian Babusiaux. - Un autre rapport de la Cour des comptes a été intégralement consacré à ce sujet. Dans les départements d'Outre-mer, par exemple, les sous-préfectures jouent un véritable rôle, il n'est pas question de les supprimer.

M. Pierre Jamet. - La perspective est plutôt celle d'une redéfinition de leur fonction qui peut induire une suppression dans certains cas.

M. Christian Babusiaux. - Il s'agit de faire une distinction entre la notion de sous-préfecture et celle de sous-préfet. Les sous-préfets, en tant que personnes, sont fonctionnellement utiles. En outre, nous avons retiré des entretiens que nous avons menés un certain scepticisme vis-à-vis des maisons locales des services publics. En effet, si tout le monde est en faveur de cette idée, la vraie question est de savoir ce qu'elles vont contenir. Certes, le précédent directeur général des finances publiques y était favorable pour y localiser les services des finances publiques. La Poste peut peut-être y être intégrée. Mais, à part cela, on ne sait pas trop quels services y mettre, notamment dans un contexte d'informatisation et de développement des services publics sur internet. Mais si cette expérience est une réussite, tant mieux.

M. Georges Labazée. - Je voudrais faire une remarque. La délégation a assisté à une réunion de la commission consultative d'évaluation des normes, sans pouvoir intervenir bien évidemment dans les débats, dans la mesure où il s'agissait d'une de ses réunions plénières. Or, je dois le dire, j'ai été frappé par le décalage entre le discours que l'on tient sur la production des normes et la modestie des dossiers à l'ordre du jour de cette réunion.

M. Christian Babusiaux. - Le sujet des normes nécessite un travail spécifique. Ce qui est frappant, c'est la simultanéité de la prolifération des normes et de la réduction des effectifs. Ainsi, l'État n'est pas en mesure de faire respecter ces normes qu'il crée.

M. Jean-Claude Peyronnet. - La Cour des comptes préconise des économies. Celles-ci impliquent-elles une réduction des effectifs ?

M. Christian Babusiaux. - Non. Le rapport rappelle que le gouvernement a décidé de créer 60 000 emplois dans l'Éducation nationale, et note que la loi de finances fixe en même temps un plafond d'emploi. L'équation en termes d'effectifs est donc très difficile. Les dépenses de personnel ne sont pas les seules en cause, il y a aussi des économies à faire sur le régime d'aides et de subventions. Maintenir une structure mais réduire ses effectifs n'est pas tenable. L'État a décidé de sanctuariser certains effectifs, tels ceux de la répression des fraudes.

Sur la question des chambres régionales des comptes, les présidents de chambre ont considéré qu'il fallait concentrer ces chambres sans aller trop loin, afin de ne pas les éloigner par trop des collectivités et des élus. L'équilibre actuel - quinze chambres, sans compter celles d'Outre-mer - est satisfaisant. Les effectifs des chambres ne doivent pas être trop faibles afin que les personnels disposent de la technicité nécessaire.

Les juridictions financières, chambres régionales des comptes et Cour des comptes, ne doivent pas craindre la fonction de conseil. Quand le Parlement, ou un représentant de la République, demande un rapport ou un contrôle sur un sujet, nous devons jouer ce rôle. Mais pour que les chambres régionales des comptes puissent jouer ce rôle, il faut qu'elles en aient les moyens. Le resserrement du dispositif tend à le permettre.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Je vous remercie.