Mercredi 18 décembre 2013

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Contrat d'objectifs et de moyens entre l'État et France Médias Monde pour la période 2013-2015 - Communication

La commission entend une communication de Mme Claudine Lepage sur le contrat d'objectifs et de moyens entre l'État et France Médias Monde pour la période 2013-2015.

Mme Claudine Lepage, rapporteure. - L'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit que des contrats d'objectifs et de moyens (COM) sont conclus entre l'État et chacune des sociétés nationales de programme que sont France Télévisions, Radio France et la société de l'audiovisuel extérieur de la France renommée France Médias Monde (FMM) depuis juin 2013. Attendu depuis 8 ans, le projet de COM de France Médias Monde vient d'être transmis au Parlement et au Conseil supérieur de l'audiovisuel. FMM, à laquelle nous avons rendu visite jeudi dernier, est une entreprise unique composée de trois rédactions : Radio France internationale (RFI), radio multilingue, présente dans le monde entier, Monte Carlo Doualiya (MCD), radio en arabe, surtout présente en Afrique et au Moyen-Orient, et enfin France 24, chaîne de télévision internationale en trois langues, français, anglais et arabe.

La première partie du COM rappelle l'identité spécifique de chacune des trois, au service de la promotion des valeurs démocratiques et républicaine ainsi que des vertus du dialogue et du débat public. Comprenant 64 pages et 15 indicateurs, le COM donne une perspective de moyen terme à FMM, longtemps déstabilisée par les querelles de personnes et les réformes à répétition. Il s'étale sur une période assez courte, de 2013 à 2015, soit la période minimale prévue par la loi et il entrera réellement en vigueur en 2014. Je salue les efforts de la direction de FMM, notamment sa présidente Mme  Marie-Christine Saragosse, et de la tutelle - la division du travail entre les ministères concernés paraît désormais satisfaisante. Cette première partie du contrat d'objectifs s'inscrit dans la continuité des conclusions du rapport Cluzel, qui préconisait de reconstruire les rédactions tout en préservant les synergies.

Les missions de RFI, radio d'information générale et politique, qui met en valeur des oeuvres culturelles, musicales et scientifiques, sont préservées. Le COM vise le rajeunissement de l'auditoire, surtout dans les pays africains, mais il sera délicat de mesurer les résultats. Le contrat met l'accent sur le développement de la radio, grâce à l'augmentation du nombre d'émissions en haoussa et kiswahili et, dès 2014, au décrochage en bambara au Mali. L'indicateur n° 1 fixe des objectifs en matière de volume d'heures produites - mais les données chiffrées sont aujourd'hui un peu lacunaires. Le développement de l'antenne dépendra des marges de manoeuvre financières que le groupe aura su dégager.

Les valeurs de MCD, radio généraliste en arabe, sont celles de la liberté, de la laïcité et de l'universalisme. L'objectif est de porter sa diffusion à 24 heures sur 24. Le COM fixe un volume d'heures produites ou achetées en hausse pour 2014, stable ensuite. Il vise aussi à renforcer les antennes anglophones et arabophones de France 24 par l'augmentation régulière du nombre d'heures de production. Les moyens inscrits sont à la hauteur des ambitions affichées : le budget des rédactions, 107,7 millions d'euros en 2013, est porté à 109,6 millions en 2014 et 110,5 en 2015.

Le deuxième volet du COM concerne la politique de diffusion et de distribution. La stratégie est claire et semble avoir été construite en bonne intelligence avec le ministère des affaires étrangères. Le COM distingue trois types de zones. Dans les zones de consolidation, des opportunités liées à l'arrivée de nouveaux opérateurs, notamment en TNT, peuvent être l'occasion de mener des partenariats. C'est le cas pour France 24 au Maghreb ou au Proche-Orient. Les zones de développement sont par exemple, pour RFI, l'Afrique non francophone ou le Cambodge, où la diffusion en khmer a été élargie en 2013. Le COM traite de la question spécifique du rayonnement de France 24 sur le territoire métropolitain, objectif qui pourrait être poursuivi pour RFI ou MCD aussi bien. L'annonce faite par le Gouvernement d'une préemption de fréquences pour une diffusion de France 24 sur la TNT en Ile-de-France est une bonne nouvelle, même si le canal doit être partagé. Le coût est faible, 300 000 euros, et les gains commerciaux connexes pourraient le réduire encore. L'extension géographique de la diffusion sur l'ensemble du territoire devra être évoquée dans le prochain COM. France 24 en arabe connaît déjà un certain succès sur le territoire national via la diffusion satellitaire. L'expérimentation d'une diffusion mixte de RFI et MCD à Marseille a été encourageante, il conviendra de réfléchir à son extension, étant observé que RFI est déjà diffusée en Ile-de-France.

Les zones de conquête sont différentes d'une chaîne à l'autre. Pour MCD, c'est l'obtention de fréquences dans les capitales du Maghreb, à un coût raisonnable, qui est privilégiée. Les objectifs inscrits dans le COM ne sont toutefois pas repris par l'indicateur relatif à la distribution. Le COM annonce une coopération entre France 24 et TV5 monde, afin d'éviter une concurrence dans les politiques de distribution au niveau mondial. Les personnalités des deux présidents, Mme Saragosse et M. Bigot, devraient favoriser cette bonne entente.

Les indicateurs 6 à 8 du COM sont consacrés à l'analyse de la notoriété des antennes de FMM. Pour les compléter, le CSA propose dans son avis, non encore publié, de créer, si cela est possible à un coût raisonnable, un indicateur d'audience, de notoriété et de satisfaction spécifique auprès des Français de l'étranger. Je soutiens cette proposition.

Le rapport de l'Inspection générale des finances puis celui de Jean-Paul Cluzel insistaient sur le développement du numérique. Le COM ne s'engage pas sur la voie d'une rédaction multimédia spécifique ; chaque rédaction reste responsable des développements de sa chaîne sur Internet. Les conséquences de ce choix ne pourront être analysées qu'à long terme et il y aura lieu d'établir un bilan de cette stratégie à l'issue du COM. La refonte des sites de France 24 et MCD, prévue par le COM, est déjà réalisée. Celle de RFI, nécessaire, interviendra au premier semestre 2014.

Enfin, le dernier volet du COM est consacré à la construction d'un groupe respectueux de ses médias et de ses salariés et à l'adaptation de l'organisation de RFI. Le nombre de salariés de FMM devrait augmenter en 2014 puis se stabiliser. La mise en place d'une entreprise unique devrait s'accompagner de celle d'un statut social commun aux quelques 1 300 salariés permanents de FMM. Un comité d'entreprise unique, un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) unique ont été mis en place. L'harmonisation sera longue et difficile en raison de l'écart actuel des situations. C'est l'objectif prioritaire du COM. Difficile d'en prévoir le coût financier ; j'avais évoqué une fourchette de 3 à 6 millions d'euros dans mon avis budgétaire. Il faudra bien sûr respecter les contraintes budgétaires fixées par l'État et maintenir les charges de personnel à leur hauteur actuelle, 51 %.

FMM est le seul organisme de l'audiovisuel public dont la dotation publique croît en 2014. Le plan d'affaires 2013-2015 comprend 10,8 millions d'euros de mesures nouvelles. Les ressources publiques progresseront de 3,4 millions d'ici 2015, soit une augmentation de 1,4 % par an. Le bénéfice du crédit impôt compétitivité emploi pour 1 million d'euros ne sera pas neutralisé pour FMM au contraire des autres sociétés nationales de programme. Les ressources propres devraient augmenter de 8,2 millions d'euros à 10,4 millions, si les objectifs fixés par le contrat passé avec France Télévisions pour la commercialisation de la publicité sur France 24 sont atteints... ce qui suscite quelques inquiétudes. Enfin, un effort d'économies sera engagé : il faudra trouver 4,2 millions d'euros par la rationalisation du mode d'exploitation des régies de production et de diffusion de France 24, par une amélioration de la planification des activités et des besoins en personnel et par une nouvelle baisse des frais généraux. Il reviendra à la tutelle et au Parlement de contrôler de la bonne application de ces mesures. En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable au COM.

M. Louis Duvernois. - Ce COM est l'expression d'une volonté de l'État de replacer les médias spécialisés au coeur de son action audiovisuelle extérieure. Je salue cette avancée. Il traduit l'ambition d'assurer le rayonnement de la France et de la francophonie et de véhiculer au niveau mondial nos valeurs démocratiques et républicaines. Les opérateurs nationaux ne s'y consacrent pas suffisamment : cela est pourtant essentiel à la compréhension de notre monde diversifié et globalisé.

Le COM promeut la langue française et le plurilinguisme, dans la continuité de l'initiative française ayant abouti à la signature en 2005, à l'unanimité des membres de l'Unesco - moins deux voix, celles des États-Unis et d'Israël - de la convention sur la diversité culturelle.

France Média Monde doit affronter trois grands défis sur la période d'exécution du COM. Le premier concerne l'harmonisation des statuts des salariés des différentes entités - nomenclatures des métiers, temps de travail, rémunérations. Dans le passé, les opérateurs ont combattu l'uniformisation de la gouvernance : l'exercice sera délicat, mais non impossible.

Le passage, coûteux, à la diffusion haute définition représente le deuxième défi. Le rapport Lescure y a vu un moyen d'adapter l'exception culturelle au monde numérique. Le COM ne le prévoit pas, ce qui pourrait à terme entraîner le déréférencement de France 24 de certains bouquets internationaux, avec des conséquences sur l'audience. Un mécanisme d'alerte des autorités de tutelle est prévu en cas de déréférencement, mais cela semble insuffisant contre la concurrence internationale.

Enfin, le troisième chantier est celui de la diffusion sur le territoire national. L'amélioration en Ile-de-France et à Marseille est un premier pas. Au-delà, l'audiovisuel public doit s'inscrire dans une dimension planétaire et plurilingue pour servir nos intérêts nationaux.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Vous nous avez présenté un véritable rapport bis ! Il est sans hostilité, ai-je noté.

M. Louis Duvernois. - Aucune hostilité de fond mais quelques remarques sur le passage au numérique...

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Vous avez l'un et l'autre adopté un vocabulaire guerrier : zones de conquête, lutter, s'armer... C'est l'audiovisuel offensif !

M. David Assouline. - Nous partageons l'appréciation de notre rapporteur sur le COM. D'autant que nous revenons de loin. Dans un passé récent, la situation de FMM était chaotique, qu'il s'agisse de la gouvernance ou du climat social. Désormais, l'entreprise est en ordre de marche, comme nous avons pu le vérifier lors de notre récente visite. Elle dispose d'une véritable légitimité et l'émotion suscitée par le meurtre des deux journalistes de RFI a montré le rayonnement et le statut de la chaîne.

Il reste des progrès à accomplir. Les divisions actuelles, au sein du secteur public, entre radios et télévisions, opérateurs nationaux et internationaux, sont héritées de l'histoire. Le numérique, les mises en commun, devraient favoriser une autre évolution. À l'avenir, tous les opérateurs devraient être regroupés au sein d'une grande maison de l'audiovisuel public à l'image de la BBC, dont la force est impressionnante.

Grâce aux travaux de la commission, j'ai découvert le rôle de MCD. Il doit être encouragé. La radio s'adresse au même public qu'Al-Jazeera mais promeut des valeurs républicaines et laïques.

M. Vincent Eblé. - Lors de mon voyage au Laos et au Cambodge avec le groupe d'amitié, j'ai rencontré les équipes de RFI travaillant en langue khmer. Elles espèrent obtenir une deuxième fréquence afin de diffuser simultanément en khmer et en français. C'est une perspective intéressante. Les niveaux d'audience de la radio rivalisent avec ceux des radios locales : la population écoute RFI car celle-ci propose une information libre. Diffuser en langue française lui donnerait une autre dimension ; les équipes locales pourraient reprendre des émissions fournies par d'autres radios du réseau. Mais il n'est pas certain que les autorités accordent une seconde fréquence.

M. Jacques Legendre. - Lors de notre déplacement dans les locaux de FMM, nous avons constaté l'intérêt de diffuser RFI sur l'ensemble du territoire. A Paris, il est facile de réceptionner la chaîne mais à vingt kilomètres de distance, la réception est impossible.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La commission pourrait adresser une lettre à la ministre afin de solliciter l'extension de la diffusion de RFI et MCD sur l'ensemble du territoire. Certaines fréquences radio ne sont pas utilisées ; les possibilités techniques existent pour améliorer la diffusion de ces deux radios. Le coût serait ridicule et le bénéfice considérable.

Mme Claudine Lepage, rapporteure. - L'harmonisation sociale est effectivement un vaste chantier. Il sera engagé dès le mois de janvier car les élections professionnelles viennent de se tenir dans les entreprises. Le COM évoque un délai de réalisation de deux ans. Le passage à la haute définition est coûteux mais il est prévu. Il est important que France 24 soit mieux diffusée en France même afin d'offrir à nos compatriotes un autre point de vue sur l'actualité... et de leur montrer comment est utilisée la redevance audiovisuelle. France 24 en langue arabe est disponible sur le satellite. La chaîne constitue un contrepoint intéressant à Al-Jazeera car elle défend des valeurs laïques et républicaines. Dans certains pays d'Afrique, les chaines de FMM diffusent en français et en langue locale. Nous encourageons cette double diffusion. Je partage l'ambition d'étendre la diffusion de RFI dans toute la France mais elle se heurte à des difficultés tenant au coût ainsi qu'à la disponibilité des fréquences.

La commission émet un avis favorable au COM à l'unanimité.

Groupe de travail sur le régime de l'intermittence dans le secteur culturel - Communication

Puis la commission entend une communication de Mme Maryvonne Blondin sur la synthèse des travaux du groupe de travail sur le régime de l'intermittence dans le secteur culturel.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Mme Maryvonne Blondin va nous présenter les conclusions du groupe de travail sur les intermittents. Je veux souligner l'importance du régime social des créateurs : leur vie quotidienne, leur survie financière en dépendent. Ce sont les supports de la création ! Le régime spécifique d'assurance chômage des intermittents est indispensable et il a un impact déterminant sur la vie culturelle française.

Mme Maryvonne Blondin, présidente du groupe de travail sur le régime de l'intermittence dans le secteur culturel. - Le groupe de travail sur les intermittents a été constitué en février 2013. Le 3 juillet dernier, j'ai présenté un bilan d'étape de ses travaux et j'ai rappelé les mécanismes définis par les annexes 8 et 10 à la convention d'assurance chômage. Depuis cette première communication, plusieurs dossiers ont évolué ; je souhaiterais les évoquer.

Notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes, avait souhaité que nous examinions la situation des femmes intermittentes. Lors de l'examen du projet de loi relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes, nous avons fait adopter un amendement pour que le Gouvernement se penche sur le cas des « matermittentes » victimes, selon le Défenseur des droits, de discriminations. L'article 5 sexies (nouveau) du projet de loi prévoit que « dans un délai de six mois suivant la publication de la présente loi, le Gouvernement remet aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat un rapport relatif à l'indemnisation des périodes de congé de maternité des femmes exerçant une profession discontinue. (...) Il analyse les améliorations possibles et les conditions de leur mise en oeuvre. » 

Le deuxième sujet est relatif à la Caisse des Congés spectacles, dont nous avions évoqué les dérives de gestion à la suite d'alertes exprimées lors de nos auditions et de la publication d'un rapport très critique de la Cour des comptes. Après la démission des membres du conseil d'administration, un nouveau conseil et un nouveau bureau ont été élus en septembre dernier ; ils ont été chargés de trancher la question du rapprochement avec le groupe Audiens. J'ai rencontré le nouveau président, M. Jean-François Besse, la semaine dernière. Lors de l'Assemblée générale extraordinaire du lundi 16 décembre, les nouveaux statuts, prévoyant l'adossement de la caisse au groupe Audiens, ont été approuvés. Le cadre juridique est désormais favorable à un apaisement. Le personnel de la caisse sera transféré à Audiens qui gèrera les missions de la caisse sous le contrôle du conseil d'administration, lequel continuera à prendre les décisions stratégiques. Nous suivrons avec attention le déroulement de ces opérations.

Enfin, l'extension de la convention collective production cinéma signée le 19 janvier 2012 avait provoqué des crispations, vous vous en souvenez. L'arrêté d'extension a été signé le 1er juillet 2013 par le ministre du travail, pour une entrée en vigueur au 1er octobre. Mais des associations et syndicats de producteurs de films ont formé un recours en annulation du texte et le juge des référés en a suspendu l'exécution. Les partenaires sociaux ont finalement trouvé un accord dans la nuit du 7 au 8 octobre dernier. Trois seuils de budget de films sont désormais identifiés, soumis à des règles différentes : moins de 1 million d'euros, de 1 à millions, plus de 3 millions. Une dérogation est prévue pour tous les films des deux premières catégories : les majorations de salaires seront plafonnées à 100 %. Un moratoire de six mois a été décidé pour les films de moins d'un million d'euros. Les salaires des techniciens seront fixés de gré à gré. Les partenaires sociaux ont jusqu'au mois d'avril prochain pour revoir le système de financement de ces films.

À la suite de la table ronde du 8 octobre dernier et de la réunion d'hier, notre groupe de travail a retenu douze recommandations pour une évolution du régime des intermittents. Certaines rejoignent les propositions de la mission commune d'information de l'Assemblée nationale sur les métiers artistiques mais notre position est parfois plus audacieuse.

La recommandation n° 1 consiste à appliquer un « choc de simplification » aux annexes 8 et 10 pour unifier et améliorer le traitement des dossiers par Pôle Emploi. La situation est devenue intolérable : les décisions de rejet sont injustifiées et non motivées, l'application des règles varie d'une antenne à une autre et d'une région à l'autre, le manque de connaissance des règles et l'absence d'interlocuteurs compétents conduisent au basculement illégitime des intermittents vers le régime général. Nous n'avons pu recueillir les réactions de Pôle Emploi sur ces critiques, car ses dirigeants, que nous avions auditionnés initialement, ont refusé de participer à la table ronde. Nous regrettons vivement cette décision.

La recommandation n° 2 vise à rétablir la date anniversaire, c'est-à-dire à porter la période de référence à 12 mois au lieu de 10 pour les techniciens et 10,5 pour les artistes. L'indemnisation serait alors ouverte 12 mois. Cette mesure, réclamée par la majorité des professionnels, n'a pas été tranchée par l'Assemblée nationale, en raison de son impact financier éventuel. Nous avons décidé de prendre position sur ce sujet essentiel et nous avons prévu une mesure complémentaire avec la recommandation n° 5.

La recommandation n° 3 concerne l'assiette des cotisations d'assurance chômage, actuellement plafonnée à 12 433 euros brut. Nous proposons de la déplafonner. Il s'agit d'un principe de justice sociale. L'Assemblée avait évoqué le doublement du plafond actuel mais le déplafonnement nous semble plus équitable. Les recettes supplémentaires induites seront sans doute limitées, puisqu'elles ont été estimées à 7 millions d'euros environ pour le doublement du plafond, mais le symbole est plus important que le « rendement » attendu.

La recommandation n° 4 vise à plafonner le cumul mensuel des revenus d'activité et des allocations chômage à un niveau égal au montant maximal des indemnités d'allocation chômage susceptibles d'être versées au titre des annexes 8 et 10. Nous rejoignons sur ce point l'Assemblée nationale. Les économies ainsi induites ont été estimées par Pôle Emploi à 33 millions d'euros.

La recommandation n° 5 consiste à augmenter le nombre d'heures de travail requises pour une ouverture des droits à l'assurance chômage. Pour les artistes, l'augmentation serait simplement proportionnelle à l'allongement de la durée de la période de référence, soit 580 heures ; pour les techniciens, le seuil serait porté à 650 heures. Cette proposition complète celle du retour à la date anniversaire. Pour les artistes, il s'agit simplement, je le répète, de fournir le même effort sur une durée plus longue et plus adaptée de 12 mois. Pour les techniciens, nous demandons la reconnaissance de leurs heures d'enseignement, ce qui constitue un potentiel d'heures supplémentaires. Tous nous ont dit être très sollicités pour intervenir auprès des écoliers, depuis la réforme des rythmes scolaires.

La recommandation n° 6 autorise les intermittents à valoriser jusqu'à 90 heures d'enseignement au cours de la période de référence, contre 55 heures aujourd'hui, sauf pour les artistes de plus de 50 ans qui peuvent déjà comptabiliser 90 heures. Dans un esprit de cohérence avec le renforcement de l'éducation artistique et culturelle, nous souhaitons que ce seuil soit relevé et que le mécanisme bénéficie aux techniciens. Souvent, les comptables des établissements ne savent pas quelles cases il faut cocher, si bien que les intervenants intermittents basculent dans le régime général. Des instructions claires aux services seraient bienvenues.

Avec la recommandation n° 7, nous souhaitons clarifier le régime de solidarité. Les règles sont complexes et l'examen des dossiers laisse parfois à désirer, ce qui prive de nombreux intermittents de l'allocation de professionnalisation et de solidarité (APS), de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) ou de l'allocation de fin de droits (AFD). Ainsi par exemple, sur une enveloppe de 15 millions d'euros ouverte pour l'allocation de fin de droits, seuls 9 millions ont été consommés en 2012.

La recommandation n° 8 vise à obliger l'État et ses établissements publics à se montrer exemplaires pour lutter contre le recours abusif à des CDD d'usage (CDDU). Cette mesure peut s'appuyer sur des clauses spécifiques s'imposant aux labels, ou sur un renforcement des contrats conclus entre l'État et les centres dramatiques nationaux. Il faut un meilleur contrôle des établissements publics, c'est certain.

La recommandation n° 9 tend à moduler les cotisations d'assurance chômage employeur en fonction du taux de recours au CDDU, en prévoyant des mesures particulières pour les structures qui sont, par nature, contraintes de recourir à ce type de contrat. Cette mesure, qui n'a pas été proposée par des députés, s'inscrit dans la logique de l'accord national interprofessionnel (ANI) auquel la loi de juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi a donné une base législative. La circulaire du 29 juillet 2013 de l'Unedic a en effet précisé que la majoration des taux prévue par l'ANI concerne également les intermittents, avec un taux de 4 % pour la part variable des cotisations employeur applicable aux CDDU de trois mois ou moins.

La recommandation n° 10 invite les partenaires sociaux à ouvrir une négociation interprofessionnelle nationale et des négociations de branche sur les règles d'utilisation du CDDU, afin de tirer les conséquences de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation qui demande que le recours à ces contrats soit motivé par des « raisons objectives ».

Les recommandations n°s 11 et 12 incitent à recourir au CDI pour lutter contre la précarisation des salariés dans le secteur du spectacle. Nous recommandons d'expérimenter les contrats à durée indéterminée intermittents (CDII) dans le secteur du spectacle. Cette mesure nous a été inspirée par des professionnels du secteur de l'audiovisuel ; elle rejoindrait l'expérimentation prévue pour les organismes de formation, le commerce des articles de sport, des équipements de loisirs et les chocolatiers, dont l'activité est très saisonnière. Nous recommandons enfin d'inciter les partenaires sociaux à fixer dans le secteur de l'audiovisuel un seuil au-delà duquel l'employeur doit proposer un CDI ou, à défaut, fixer dans le code du travail un dispositif de requalification automatique en CDI des CDDU au-delà d'un certain seuil, estimé à 900 heures par l'Assemblée nationale.

Les douze recommandations du groupe de travail et le compte rendu de la table ronde pourraient faire l'objet d'une publication, si la commission l'autorise. Enfin, nous attendons toujours l'ouverture des négociations sur la convention d'assurance chômage.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je salue votre méthode, qui a été de nous livrer des points d'étape sur le sujet, avant la présentation de vos conclusions. Sur la convention d'assurance chômage, je suis partisane - tout comme vous - de nous prononcer clairement : mieux vaut être en avance que d'examiner une convention déjà signée et ratifiée.

Mme Françoise Cartron. - Merci à notre rapporteure pour ce travail complet. Manifestement, une partie des difficultés actuelles est due à un manque d'information. À l'occasion de la mise en place des nouveaux rythmes scolaires, on a ici et là annoncé aux intermittents qu'ils ne pourraient valider leurs heures d'intervention dans les établissements scolaires. Il faut expliquer à l'éducation nationale quelles cases cocher sur les formulaires !

Nous devrons aussi aider les intermittents à faire valoir leurs droits. Je suis surprise par les dysfonctionnements de Pôle Emploi et ses refus indus ! Il est aussi important de lutter contre les pratiques abusives qui maintiennent des salariés dans la précarité : les employeurs doivent respecter la finalité du statut. Le système de solidarité doit constituer un soutien aux artistes, ce qui suppose qu'il ne soit pas déséquilibré par les abus.

Mme Françoise Férat. - Depuis douze ans que je siège dans cette commission, j'entends parler des intermittents de façon récurrente. C'est un sujet délicat... Comme ma collègue, je suis choquée par l'attitude de Pôle Emploi, qui aurait tout à gagner à savoir où il peut s'améliorer ! Devoir d'exemplarité des établissements publics : je suis d'accord, mais le chemin sera long et pentu.

M. Jacques Legendre. - Je salue le gros travail de Mme Blondin : il est courageux de s'attaquer à ce sujet si technique... et dangereux. Une précision : que viennent faire les chocolatiers dans le débat ?

Le régime des intermittents est utile mais doit faire face à l'augmentation du nombre des affiliés, qui n'ont pas tous une vocation réelle à en bénéficier. Nous nous inquiétons de la dérive financière, dénoncée tant par les représentants des salariés que par ceux des employeurs. Vos propositions vont-elles réduire ou augmenter le coût du dispositif, madame la rapporteure ? Limitons le régime des intermittents aux ayants droit réels, afin que la dépense reste supportable.

Mme Marie-Annick Duchêne. - Je partage pleinement les préoccupations que M. Legendre vient d'exprimer et je me joins aux félicitations qui ont été adressées à notre rapporteure.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La recommandation n° 11 évoque la création de CDII, à l'instar de ce qui existe pour plusieurs professions à activité saisonnière, comme les chocolatiers. Ce faisant, nous changeons totalement de registre. Je rappelle que le métier, c'est « artiste » et que la couverture sociale, c'est « l'intermittence ». Ce CDII ne pourrait se substituer à la couverture sociale du régime chômage spécifique des artistes. Une telle proposition est politiquement sensible.

Dans les propositions n°s 5 et 6, il serait préférable d'écrire « les heures d'enseignement et de médiation ». Les artistes y tiennent car leur activité ne relève pas toujours strictement du cadre de l'enseignement : certains font de la médiation, par exemple pour faire découvrir des oeuvres d'art aux enfants.

M. Pierre Laurent. - Les recommandations n°s 2 et 5 aboutissent-elles à un bon équilibre ? Qu'en sera-t-il de l'augmentation du nombre d'heures requises ? Combien d'intermittents concernés ? J'ai des doutes sur la recommandation n° 5 : ne limite-t-elle pas l'intérêt du rétablissement de la date anniversaire ?

M. Jean Boyer. - L'augmentation du nombre d'intermittents n'est-elle pas une auto-nuisance pour la profession ?

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - N'oublions pas de balayer devant nos portes : certaines collectivités envoient à Avignon des chargés de mission avec 5 000 euros en poche pour acheter trois spectacles. Le juste prix fait aussi partie de la déontologie...

Mme Maryvonne Blondin, rapporteure. - Mme Cartron a évoqué les dysfonctionnements de Pôle Emploi, mais aussi des établissements d'enseignement : c'est vrai, il y a un manque de maîtrise technique des procédures administratives.

Lors de la signature de l'ANI, une expérimentation a été lancée pour les chocolatiers, les magasins de sport et les instituts de formation : des CDII sont autorisés sans condition d'accord d'entreprise. Lors de son audition, le groupe M6 a évoqué l'idée d'une telle expérimentation. Les discussions entre partenaires sociaux vont débuter au mois de janvier.

Concernant le chiffrage de ces propositions, j'indique que le plafonnement du cumul salaire-allocation permettrait une économie estimée à 33 millions d'euros. Le déplafonnement des cotisations représenterait un surcroît de recettes d'au moins 7 millions d'euros. M. Pierre-Michel Menger, directeur de recherche au CNRS, estime que l'équilibre pourrait être atteint en augmentant les cotisations du CDDU et en luttant contre les abus, constatés partout et par tout le monde. Je rappelle en outre qu'un salarié à 35 heures travaille 1 607 heures dans l'année et un intermittent, 507 heures, soit à peu près un tiers. Notre proposition concernant les techniciens rejoint une préconisation de la Cour des comptes. La proposition n° 5 n'a pas été chiffrée, mais si l'on se fonde sur les données disponibles correspondant à la durée actuelle de la période de référence, les techniciens sont plus favorisés que les artistes ; il est raisonnable de leur demander un petit effort.

Le nombre d'intermittents n'augmente guère, ils étaient 103 000 en 2002 et 108 000 en 2011. Mais la durée des contrats s'est raccourcie et le nombre de contrats a augmenté. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la profession compte plus d'hommes que de femmes et la moyenne d'âge n'est pas si basse puisqu'elle se situe à 39 ans.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je rappelle que la commission des affaires sociales a été associée à ce groupe de travail. Je vous propose maintenant de vous prononcer sur la publication du rapport d'information, qui - faut-il le rappeler - ne signifie pas approbation de ses conclusions.

La commission autorise la publication du rapport d'information à l'unanimité.

Encadrement des conditions de la vente à distance des livres - Examen du rapport et du texte de la commission

Enfin, la commission examine le rapport de Mme Bariza Khiari et élabore le texte de la commission sur la proposition de loi n° 35 (2013-2014), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres.

Mme Bariza Khiari, rapporteure. - Le livre, objet culturel par excellence, fait traditionnellement l'objet, en France, d'une attention toute particulière des pouvoirs publics. Soutenu financièrement, mais surtout encadré normativement, le marché du livre se maintient tant bien que mal, dans un contexte où les industries culturelles souffrent sans exception de la révolution numérique.

En effet, la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, celle du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, mais également l'application d'un taux réduit de TVA sur les livres imprimés et homothétiques constituent le socle sur lequel s'est développé et modernisé l'ensemble de la chaîne du livre et grâce auquel a survécu un réseau de librairies indépendantes dense et de qualité.

Signe de l'intérêt non démenti des Français, y compris des plus jeunes, pour la lecture, la fréquentation du Salon du livre de Paris comme celle du Salon du livre jeunesse de Montreuil ne cesse de croître.

Ce satisfecit ne doit toutefois pas masquer les difficultés, parfois considérables, que rencontrent les libraires depuis l'arrivée, sur le marché, des plateformes de vente de livres en ligne et spécialement d'un concurrent hors du commun de par sa puissance financière et l'agressivité de sa stratégie commerciale : Amazon.

En effet, implantée au Luxembourg, la société n'est imposée qu'à la marge à l'impôt sur les sociétés et, s'agissant des livres numériques, bénéficie d'un taux de TVA particulièrement bas.

Si le livre, produit refuge extrêmement valorisé socialement, a longtemps été épargné par la crise, la situation devient inquiétante, particulièrement depuis le mois de septembre dernier. 2012 et 2013 ont ainsi vu la chute de maisons bien connues - Virgin et Chapitre - et la fermeture de nombre de petits détaillants. En novembre, les ventes de livres en commerce physique enregistrent une diminution de 10 % par rapport à l'année 2012. Désormais, la vente en ligne représente l'unique segment dynamique de l'économie du livre ; Amazon détient 70 % de parts de ce marché.

Le soutien public aux librairies doit donc franchir une étape supplémentaire, intégrant les conséquences, sur le commerce physique, de cette nouvelle forme de concurrence. Déjà, lors de la première lecture du projet de loi relatif à la consommation par le Sénat, le Gouvernement a introduit, cet automne, un dispositif de contrôle et de règlement amiable des contentieux de la législation applicable au prix unique du livre, grâce à la création d'un médiateur et à l'assermentation d'agents du ministère de la culture et de la communication. Annoncé en juin dernier par la ministre de la culture et de la communication, le « plan librairie » offrira en outre, dès 2014, de nouvelles modalités de soutien aux commerces en difficulté et favorisera la transmission des fonds de commerce.

Afin de compléter ces dispositifs favorables aux librairies, la présente proposition de loi tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres vise à renforcer l'environnement normatif du marché du livre.

L'article 1er de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre dispose que tout éditeur ou importateur doit fixer, pour chaque ouvrage, un prix de vente au public, tenu d'être respecté par les détaillants, quels qu'ils soient.

Toutefois, le commerçant peut appliquer à ce prix une remise maximum de 5 %, ce pourcentage pouvant être porté à 9 % pour des achats réalisés par les collectivités publiques, entreprises, bibliothèques ou encore établissements d'enseignement.

A contrario, hors les commandes d'ouvrages à l'unité non disponibles en magasin qui doivent demeurer un service gratuit au client, les détaillants peuvent proposer un produit à un prix plus élevé que celui fixé par l'éditeur ou par l'importateur, dès lors que sont facturées des prestations supplémentaires exceptionnelles à la demande de l'acheteur, dont le coût a fait l'objet d'un accord préalable.

Les rédacteurs ne pouvant prévoir l'essor du e-commerce sur le marché du livre, le flou entretenu par le texte sur la facturation des frais de livraison laisse donc libre cours à la systématisation, par certaines plateformes, du double avantage offert au client, qui bénéficie de la remise légale de 5 % et de la gratuité de la livraison.

Un tel niveau de concurrence commerciale ne laisse guère d'espoir aux librairies qui souhaiteraient développer leur activité en ligne. Pire, il contribue à l'érosion du commerce physique de livres, désormais plus coûteux et d'accès moins aisé qu'un site de e-commerce délivrant, rapidement et gratuitement, toute commande à domicile.

Soucieux de rétablir, autant que faire se peut, des conditions de concurrence plus équitables entre les acteurs du marché du livre, les auteurs de la présente proposition de loi ont initialement envisagé de compléter l'article 1er de la loi du 10 août 1981 précitée par un alinéa disposant que la prestation de livraison à domicile ne peut être incluse dans le prix du livre tel que fixé par l'éditeur ou par l'importateur. Le seul avantage autorisé dans le cadre de la vente en ligne demeurerait alors le rabais de 5 %.

Le débat en commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale a fait montre d'un souci commun à l'ensemble des groupes politiques de soutenir les librairies face à la concurrence des sites de vente en ligne. Pour autant, la rédaction de l'article unique de la proposition de loi a été jugée confuse et le dispositif peu ambitieux au regard des enjeux. En conséquence, fait rare, la commission n'a pas adopté de conclusions sur le texte proposé.

En l'absence de conclusion de la commission des affaires culturelles, le texte initial de la proposition de loi a été discuté en séance publique. Il a cependant été intégralement modifié par un amendement gouvernemental.

La rédaction finalement retenue pour l'article unique de la proposition de loi a pour objectif, en complétant le quatrième alinéa de l'article 1er de la loi du 10 août 1981, d'interdire le cumul des deux avantages commerciaux que sont le rabais de 5 % et la gratuité des frais de port.

Le soutien du Gouvernement à l'esprit de la proposition de loi constitue la traduction logique des propos tenus par Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, qui avait estimé, lors des rencontres nationales de la librairie en juin dernier, que la suppression du double avantage commercial sur les ventes de livres en ligne permettrait de faire respecter la lettre et l'esprit de la loi de 1981, dans la mesure où le livre est utilisé par ces sites comme un produit d'appel pour écouler d'autres produits, et de rétablir des conditions de concurrence équitables.

Ainsi, les livres commandés en ligne, dès lors qu'ils ne seront pas retirés dans un commerce de vente au détail de livres, ne pourront plus bénéficier de la ristourne légale. Ce dispositif permettra donc aux libraires qui le peuvent et qui le souhaitent de proposer des livres moins chers en vente physique. Par ailleurs, s'agissant du seul e-commerce, la concurrence entre sites ne pourra plus porter que sur les frais de livraison, évitant ainsi une atrophie des marges par l'application quasi systématique de la ristourne de 5 %.

En revanche, il n'est plus question, dans cette version du texte, d'interdire la gratuité des frais de port mais d'offrir la possibilité aux plateformes de vente en ligne d'appliquer, sur ces frais, dont elles fixent elles-mêmes le tarif, une réduction équivalant à 5 % du prix du livre acquis dans le cadre de la transaction.

La proposition de loi, votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale au cours de sa séance du 3 octobre 2013, a été transmise au Sénat dans sa rédaction issue de l'amendement gouvernemental.

Le dispositif prévu demeure, à mon sens, incomplet pour ce qui concerne les frais de port, dont il n'est plus fait mention de la facturation. De fait, certains opérateurs pourront continuer à proposer un service de livraison gratuit, asphyxiant une concurrence qui ne pourrait appliquer de tels avantages.

Certes, le principe de la liberté du commerce comme l'impossibilité de mettre en place un contrôle efficace interdisent toute fixation unilatérale et autoritaire d'un niveau plancher de frais de port, mais également l'établissement de ces frais à leur coût de revient.

Mais, l'interdiction de la gratuité de la livraison aura un effet psychologique sur le consommateur, dont il convient de ne pas méconnaître les conséquences positives, si modiques seront-elles, sur le rééquilibrage de l'environnement concurrentiel du marché du livre en ligne.

Il n'en demeure pas moins qu'en réalité, les plateformes les plus puissantes continueront toutefois à afficher des frais de livraison inférieurs à ceux que proposera une petite librairie en ligne. En effet, les quantités très importantes transportées pour les sites de e-commerce laissent à penser que les prix négociés avec les logisticiens sont singulièrement inférieurs à ceux consentis aux libraires indépendants. En conséquence, les frais de port ainsi facturés seront probablement de l'ordre du symbolique.

C'est le sens de l'amendement que je vous propose d'adopter, mes chers collègues, afin d'indiquer que le service de livraison ne peut être offert à titre gratuit, dès lors que la commande n'est pas remise en magasin.

Le dispositif introduit par la proposition de loi ainsi modifiée, complété du « plan librairie » et d'un contrôle renforcé du respect de la législation sur le prix unique du livre, constituent des signaux indéniablement positifs en faveur les librairies.

Néanmoins, ces mesures ne seront véritablement efficaces que si les libraires utilisent ce répit pour poursuivre leurs efforts de modernisation, notamment en matière de délais d'acheminement, de livraison à domicile et de maîtrise des coûts. Il s'agit pour elles de se donner ainsi les moyens de satisfaire des consommateurs de plus en plus exigeants.

Au-delà, j'estime que les efforts de régulation du marché par les pouvoirs publics comme de modernisation par les libraires n'auront de véritable utilité que lorsque les conditions d'une concurrence saine et équitable seront établies, c'est-à-dire lorsqu'Amazon se verra appliquer les mêmes modalités d'imposition fiscale que les autres acteurs de la chaîne du livre.

En conclusion, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter la proposition de loi dans la rédaction modifiée par l'amendement que je viens de vous présenter.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Quelle gymnastique arithmétique ! Comme nous ne sommes pas à l'abri de voir émerger un nouveau major de la vente en ligne, je vous suggère donc de viser dans votre rapport, au-delà d'Amazon, « les librairies exclusivement en ligne ».

M. Vincent Eblé. - Comme il ne s'agit pas de librairies à proprement parler, il serait préférable de viser les « plateformes de vente de livres exclusivement en ligne ».

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous ciblons, en réalité, les acteurs de la chaîne du livre qui échappent à la fiscalité française.

Mme Sophie Primas. - Effectivement. C'est la raison pour laquelle il faudrait légiférer avec plus d'ambition.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous ne pouvons légiférer que pour la France, vous ne l'ignorez pas.

M. Jacques Legendre. - Cette proposition de loi, déposée par les députés UMP, montre l'unanimité de vue de tous les groupes politiques en faveur des librairies physiques. Le rapport présenté par notre collègue Bariza Khiari poursuit un objectif identique.

Cependant, tous nos concitoyens n'habitant pas dans un périmètre proche d'une librairie, ils auront toujours intérêt, en raison des coûts de transport à acheter leur livre sur Internet, même à prix légèrement supérieur. Avec votre amendement, on privera seulement Amazon de son argument publicitaire sur la gratuité des livraisons.

D'une façon plus générale, pourquoi ne pas inclure les livres dans la réflexion actuellement menée sur les aides au portage des journaux à domicile ?

M. David Assouline. - Nous pouvons tous partager la remarque de notre collègue Jacques Legendre, critique quant à l'efficacité de la proposition de loi de l'UMP.

Il faudra mener le combat du livre au niveau européen, afin d'harmoniser la TVA et la fiscalité qui pèsent sur ces grands groupes. Le client, quant à lui, consomme en fonction des prix et des services proposés. Alors que le commerce en ligne est en train de bouleverser les habitudes, il importe de créer des mécanismes de pondération pour éviter la concurrence sauvage. Comme notre présidente, j'estime qu'il ne faut pas trop ostensiblement cibler Amazon car d'autres, demain, pourront se lancer dans cette activité.

M. Vincent Eblé. - La polémique sur la paternité de ce dispositif n'a pas lieu d'être, même si la proposition de loi initiale était insuffisante. Nous avons tous été saisis par les libraires indépendants et Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, a évoqué cette préoccupation à diverses reprises. Le plan de sauvetage de la librairie indépendante intègre des aides de trésorerie, conforte les moyens du Centre national du livre (CNL), crée un médiateur du livre pour régler les litiges, assermente les agents du ministère de la culture et de la communication qui pourront faire respecter la loi de 1981.

Je soutiens l'amendement de notre collègue Bariza Khiari, mais il ne modifiera pas fondamentalement le prix du livre, puisque nous pouvons seulement interdire la gratuité totale des frais de port. Cela étant, l'effet psychologique sera important, car la gratuité constitue un argument publicitaire majeur.

Les libraires ne se bornent pas à vendre des livres : ils assurent une présence culturelle dans nos territoires et assurent la diversité de la production éditoriale.

Mme Marie-Annick Duchêne. - Quelles seront les conséquences du dispositif proposé pour la FNAC, qui livre gratuitement des livres, elle aussi ?

Mme Dominique Gillot. - Cette proposition de loi est un acte législatif symbolique : nous ne voulons pas laisser s'éteindre une activité intellectuelle, sociale, culturelle éminemment créatrice de lien. Même si je doute de la réelle efficacité du dispositif sur tous les publics, je voterai en faveur du texte, afin que les opérateurs de vente en ligne de livres ne se permettent pas d'agir sans régulation. Le progrès, dans le domaine culturel, c'est aussi penser à la valeur ajoutée des liens et des contacts humains.

Mme Sophie Primas. - Merci à notre collègue Bariza Khiari pour son exposé. À mon sens, tout ce qui tend à une diffusion plus économique et plus large du livre est utile. Or, tous les Français n'ont pas de librairie proche de leur domicile. La vente en ligne constitue une chance pour la culture et le livre.

Attachée au commerce de proximité, je constate depuis de longues années que les dispositifs destinés à leur venir en aide ont produit l'effet inverse à celui attendu. Lorsque le petit commerce redevient dynamique, c'est grâce aux commerçants eux-mêmes. Bien sûr, il faut sauver les librairies en centre-ville, comme les opticiens et les pharmaciens. Mais le prix de vente n'est pas forcément déterminant.

Amazon, entreprise de logistique, développe son activité en France. Mais peut-on parler de « cannibalisation », ou les achats sur Amazon sont-ils le fait de nouveaux lecteurs ? Peut-être Amazon soutient-il la vente des livres. Peut-on lui reprocher sa performance ? Je crains que notre combat s'apparente à celui que nous avons eu avec La Poste, à tenter de sauver le courrier concurrencé par les courriels. Je voterai malgré tout cette proposition de loi, mais elle ne règlera pas les difficultés des libraires.

Mme Corinne Bouchoux. - Je ne comprends pas la recherche de paternité de ce texte. Je suis heureuse que l'UMP dépose une proposition de loi enrichie par l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Nous la voterons car elle défend les libraires, qui se situent à l'opposé du modèle Amazon, lequel pousse le fordisme à son extrême. Regardez les conditions de travail qui règnent dans ses entrepôts : froid, travail de nuit, cadences infernales, tout cela me choque ! Le texte va au-delà d'une mesure symbolique, car nous soutenons un modèle culturel qui valorise le métier, le conseil, le lien citoyen et les circuits courts de distribution. Il est prouvé que les clients qui commandent une fois sur Amazon ne reviennent pas en arrière. Un nouveau modèle se met en place.

M. Pierre Laurent. - Nous voterons ce texte qui répond à l'attente des librairies indépendantes et qui conforte la législation sur le prix unique. Les forces du marché continueront à attaquer la loi protectrice de 1981 ; que la concurrence ait libre cours, et les vainqueurs seront les entreprises les plus puissantes. Avec cette proposition de loi, nous défendons un modèle culturel car une librairie n'est pas seulement un point d'achat, mais également un point d'accès à la culture, un lieu de dialogue et de diversité. Des stratégies industrielles globales attaquent le marché culturel en France, en Europe et dans le monde. Celle d'Amazon passe aussi par le dumping salarial et nous devrions, dans les aides que nous distribuons, être plus sélectifs. Il serait notamment opportun d'éviter qu'Amazon ne bénéficie du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ! Les collectivités territoriales devraient par ailleurs se garder d'accorder des subventions aux entrepôts d'Amazon, qui les sollicite en invoquant les créations d'emplois.

Mme Françoise Cartron. - Nous avons besoin d'une analyse globale sur la place du livre dans notre culture et notre société. Le système qui s'installe est très agressif, or il atteint malheureusement ses objectifs. Nous voulons que nos concitoyens retrouvent le chemin des librairies, hélas les services en ligne s'imposent progressivement. Pourtant, le livre n'est pas un objet de consommation comme les autres. Les librairies indépendantes sont souvent soutenues financièrement par les collectivités territoriales, mais beaucoup n'en sont pas moins en difficulté. Ce texte, même vertueux, ne leur redonnera sans doute pas l'oxygène nécessaire. Heureusement, le prix unique du livre est en vigueur : il n'existait pas pour les disques et tous les disquaires ont disparu.

Mme Colette Mélot. - Nos concitoyens doivent avoir accès à la culture et, à cet effet, les librairies indépendantes doivent vivre. Un sujet n'a pas été abordé : que se passera-t-il lorsqu'on commandera dans une librairie un livre qui sera ensuite livré à domicile ? Le port sera-t-il payant ou gratuit ?

Mme Bariza Khiari, rapporteure. - Deux principes ont guidé notre travail, monsieur Legendre : le maintien de la diversité culturelle et le maillage du territoire par un réseau de libraires indépendants. Je ne propose pas une révolution copernicienne : la mesure est limitée ; elle aura un impact essentiellement psychologique. Les grands groupes ne pourront plus afficher des frais de port gratuits. Or, c'est aujourd'hui un élément important de leur stratégie commerciale. Le modèle économique d'Amazon est basé sur la gratuité des frais de port, mais, une fois les concurrents éliminés, Amazon les réintroduira. Cette entreprise n'applique d'ailleurs pas la gratuité dans les pays qui n'ont pas de prix unique du livre. Le maintien de la concurrence concerne toute la filière, y compris les éditeurs car Amazon commence à éditer directement des livres numériques.

La proposition de loi offre un répit afin que les libraires organisent la livraison à domicile. Actuellement, le délai de livraison entre l'éditeur et le libraire est trop long. Un effort doit être fait pour le réduire. La livraison par les messageries de presse est une piste à explorer, vous avez raison, monsieur Legendre.

En réponse aux remarques de notre présidente et de David Assouline, je constate qu'il est difficile de ne pas nommer l'entreprise qui est seule sur son créneau. Amazon est d'ailleurs déjà citée dans plusieurs rapports, de même que Facebook, Google ou Apple l'ont été lors de nos débats sur la fiscalité du numérique. Mais nous tâcherons d'être créatifs afin de n'exclure aucun opérateur existant ou à venir.

Les distorsions de concurrence existent. Je ne le nie pas. Nous proposons d'améliorer le texte en y introduisant l'interdiction de la gratuité des frais de port. En outre, la proposition de loi n'est qu'un maillon du plan plus vaste de soutien à la librairie, comme le mentionnait M. Eblé. Je vous renvoie au rapport du président du CNL : 11 millions d'euros de subventions supplémentaires en faveur du livre sont prévues dont 4 pour la transmission des entreprises et 5 d'aides à la trésorerie.

La FNAC profitera de ce dispositif, madame Duchêne, car, à la différence d'Amazon, elle dispose de magasins physiques.

Je suis sensible aux observations de Mme Gillot sur la valeur ajoutée d'un contact humain. Les libraires jouent un rôle extraordinaire d'ouverture à la culture.

Si, en revanche, je devais résumer les propos de notre collègue Sophie Primas, je dirais : « Encore 6 mois, monsieur le bourreau !». Tout est perdu, fors l'honneur ?

Mme Sophie Primas. - Non, je dis simplement que les libraires doivent intégrer la transformation des modes de lecture. Aujourd'hui, Amazon est plus efficace et adopte des méthodes critiquables mais les libraires doivent aussi se remettre en cause.

Mme Bariza Khiari. - Le rapport insiste sur la modernisation que les libraires doivent réaliser.

Mme Primas s'interrogeait sur la « cannibalisation » du marché du livre par Amazon : en effet, les librairies réalisaient 30 % des ventes de livres en 2003 et seulement 24 % en 2011. Dans le même temps, le nombre de livres vendus et le nombre de lecteurs n'ont pas augmenté. Amazon gagne donc des parts de marché aux dépens des librairies physiques. En revanche, Amazon n'est pas particulièrement facteur de vulgarisation de la lecture : on constate que le site est très utilisé à Paris, où la densité de librairies est la plus forte, par des catégories socio-professionnelles aisées et déjà lectrices. Sa performance économique est aussi liée aux avantages fiscaux dont elle bénéficie. Je partage vos critiques sur les conditions de travail des salariés d'Amazon. Je mentionne dans mon rapport un ouvrage intitulé En Amazonie : infiltré dans « le meilleur des mondes », écrit par un journaliste qui s'est fait embaucher comme intérimaire dans un entrepôt. Il y témoigne des cadences infernales et du climat social détestable dans l'entreprise. Les emplois amazoniens sont bien différents des emplois en librairies, qui sont dix-huit fois plus nombreux.

La remise en cause des acquis législatifs est constante. Nous avons bien résisté pour l'instant aux attaques contre le prix unique. Le principe en a été à plusieurs reprises conforté par les autorités européennes. D'autres pays ont d'ailleurs adopté un dispositif similaire. Il reste le fil conducteur de notre politique depuis 1981. Nous discuterons plus largement du financement des industries culturelles face aux géants d'Internet au moment de l'examen du projet de loi sur la création, qui devrait être adopté par le Conseil des ministres en février prochain.

La présente proposition de loi représente l'effort maximum que nous pouvons consentir en faveur des libraires en agissant sur la loi de 1981. En effet, Amazon achète du cubage, ce qui lui permet de négocier de faibles coûts de livraison auprès des logisticiens. Pour ce site de vente en ligne, le livre est un produit d'appel, qui présente de nombreux avantages : pas de tailles ou coloris différents, un emballage facile, des retours inexistants. Pour le prix des frais de port qu'elle offre, l'entreprise constitue un fichier de clients qui lui coûterait bien plus cher si elle devait l'acheter. Les clients sont « profilés ». J'en ai fait l'expérience : j'ai acheté un livre sur le site, depuis lors, je reçois sans cesse des propositions culturelles.

Il nous faudra agir sur la fiscalité. Notre apport ici est limité, je le répète, mais psychologiquement puissant. Madame Mélot, pour la commande en librairie, la loi de 1981 laisse au libraire la possibilité de choisir de facturer ou non la livraison.

Je vous remercie de votre soutien à l'amendement et au texte. Nous partageons tous la volonté de sauver les librairies.

L'amendement n° COM-1 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Notre dernière réunion de 2013 prend fin, au terme d'une année chargée. Je vous souhaite de bonnes fêtes. Je vous rappelle que le délai limite pour le dépôt des amendements est fixé au 7 janvier à 11 heures et que le texte que nous venons d'adopter sera examiné en séance publique le 8 janvier.