Mercredi 8 janvier 2014

- Présidence de Mme Catherine Troendlé, présidente -

Audition de responsables syndicaux représentant les enseignants et les inspecteurs de l'éducation nationale

La mission procède tout d'abord à l'audition de représentants de syndicats enseignants et des inspecteurs de l'éducation nationale.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Un dialogue fécond naît de la confrontation de tous les points de vue. Nous auditionnons aujourd'hui des représentants syndicaux de l'enseignement, public et privé, ainsi que des représentants syndicaux de l'inspection de l'éducation nationale. Lors d'une deuxième table ronde, nous entendrons les parents d'élèves.

M. Stéphane Crochet, secrétaire national du syndicat des enseignants (SE-UNSA). - La réforme des rythmes scolaires poursuit deux objectifs qui sont aussi les nôtres. La semaine scolaire comptera désormais cinq matinées d'enseignement, le matin étant propice aux apprentissages, notamment chez les élèves les plus fragiles. Elle ouvre des espaces supplémentaires pour des activités péri-éducatives, particulièrement utiles, là aussi, aux élèves de milieux défavorisés.

Notre syndicat juge donc favorablement la réforme. Néanmoins, celle-ci soulève des difficultés ; il faut les regarder en face et les traiter. D'abord, elle bouscule des habitudes ancrées depuis des décennies : ainsi des horaires, qui varieront selon les écoles - et même selon les jours, au sein de chaque école. Un autre problème est que le temps périscolaire n'est pas à la charge de l'éducation nationale mais qu'il occupe d'anciens créneaux horaires de l'école.

La mise en oeuvre est fondamentale et la nouvelle organisation se décide au niveau local. Les acteurs de terrain doivent s'approprier la réforme, dépasser les craintes et les appréhensions, imaginer une nouvelle organisation, savoir ce qu'il est possible de faire. Une autre difficulté tient à la multiplicité des acteurs : enseignants, parents, pouvoirs publics et collectivités locales dans leur diversité. Les partenaires doivent oublier les modèles préétablis pour innover. Parmi les difficultés, il y a aussi le coût, et les ressources humaines - il faut beaucoup d'intervenants. Enfin, la nouvelle organisation de leur temps de travail a un impact sur la vie personnelle des enseignants. Dans une profession largement féminisée, cinq jours de présence au lieu de quatre ont des répercussions...

Après quelques mois, on ne saurait tirer des leçons définitives ni établir un bilan, mais l'observation sur le terrain montre qu'il faut du temps aux partenaires pour s'accorder. La mise en route, à la rentrée, a été lente. Je voudrais aussi attirer l'attention sur l'école maternelle : comment prétendre y reproduire sans adaptation ce qui a été prévu pour le primaire ?

Il apparaît que la semaine de quatre jours et demi amène un climat scolaire apaisé. Un temps plus long est consacré aux apprentissages. Quant au temps périscolaire qui suscitait bien des doutes, les usagers y trouvent finalement grand intérêt. La professionnalisation des intervenants est essentielle, car il ne s'agit pas de garderie !

On voit émerger le souci d'une meilleure articulation des temps scolaires et périscolaires. Elle n'est pas encore parfaite, est-il nécessaire de le préciser ? Il faut que l'institution accompagne la mise en place de la réforme, que la communication se renforce en direction des familles qui ne sont pas préparées à la nouvelle organisation, comme on l'a vu à la rentrée dernière. Il faut également dégager du temps pour que les équipes puissent construire les projets, les horaires, l'articulation des temps, les contenus.

Veillons à la qualité du dialogue entre les acteurs et bien des malentendus et blocages disparaîtront.

Penchons-nous avant tout sur des aspects très concrets, qui fait quoi à quelle heure et dans quels locaux, etc. Le directeur d'école devrait se voir allégé de certaines tâches administratives, au moins à la rentrée, car il est très sollicité.

L'articulation de la vie professionnelle et familiale des enseignants est plus difficile à présent : les temps partiels doivent être accordés facilement.

Aujourd'hui, il faut nous concentrer sur la concordance des temps ; ensuite, cependant, nous devrons revenir au contenu des projets éducatifs territoriaux, pour leur donner plus de corps et de vie.

M. Patrick Roumagnac, secrétaire général du syndicat de l'Inspection de l'éducation nationale (SIEN-UNSA). - La question des rythmes scolaires est un aspect phare, mais un aspect seulement, de la refondation de l'école. Si l'on dissocie la présente réforme de cette grande ambition, elle n'aura pas les effets attendus. Dans le passé, cinq matinées donnaient-elles des résultats plus satisfaisants que les quatre en vigueur actuellement ? Les rythmes ne font pas tout. Il faut redonner du sens et restaurer la confiance en l'école, dans une relation qui inclue les élèves, les familles, les collectivités, les administrations. Car il n'y a pas de séparation entre l'enfant et l'élève. Cette idée est illusoire. L'enfant arrive le matin à l'école avec son univers familial, il ramène chez lui le soir ses difficultés à l'école. Quittons cette vision morcelée pour une vision globale, en comprenant que le regard d'un animateur périscolaire a autant d'importance et de valeur que le regard des enseignants ou de la famille.

La modification des rythmes scolaires ne suffira pas à améliorer la réussite scolaire. Si c'était aussi simple, nous le saurions.

La loi de refondation comporte le projet éducatif territorial (PEDT) : il instaure une dynamique de co-construction, dans une logique partenariale. Or, ces plans ne sont obligatoires qu'en cas de dérogation au temps scolaire classique ou au taux d'encadrement. L'une des priorités selon nous est d'approfondir ces projets pour en faire de vrais outils de pilotage. Selon les territoires, selon qu'ils constituent des milieux urbains sensibles ou favorisés, ou des milieux de montagne, les réponses ne peuvent que varier. La souplesse sera déterminante. L'autoritarisme n'a pas sa place ici, ni le formalisme que l'institution pourrait imposer pour neutraliser l'initiative locale.

L'intervention des inspecteurs doit, dans cet esprit, relever de l'accompagnement, non du contrôle. Les inspecteurs sont prêts à participer à cette dynamique. Ils l'ont montré. Il faut améliorer la souplesse pour que la loi accomplisse toutes ses ambitions.

M. Frédéric Sève, secrétaire général du Syndicat général de l'éducation nationale CFDT (SGEN - CFDT) - Le bilan ne peut être que partiel et provisoire, comme la réforme elle-même.

La réforme était attendue et elle est absolument nécessaire. Mais pas suffisante. Elle doit s'accompagner d'une refonte de la formation continue, or nous en sommes loin. L'enjeu était de redonner du temps aux apprentissages. Il fallait articuler les temps de l'enfant, non seulement au cours de la semaine, mais au sein de chaque journée. Ce qui est en jeu ici, c'est l'élaboration d'un service global de l'accueil éducatif des enfants, incluant tous les acteurs, enseignants, collectivités, familles.

Cette réforme a suscité des problèmes. En effet, elle est intervenue après une période - je ne fais pas allusion à la mandature précédente, cela dure depuis plus de cinq ans - où la profession s'est sentie malmenée, mal considérée, victime d'iniquités. Dès lors, toute nouvelle réforme cristallise ce sentiment. Mais la mise en oeuvre a aussi posé des problèmes très concrets, cruciaux, comme par exemple le partage des responsabilités. Il n'y aura pas de solution uniforme nationale. Mieux vaut organiser un dialogue de qualité à l'échelon où les problèmes se posent. Aucun décret ministériel ne comblera l'absence de concertation au niveau local. Environ 20 à 25 % des communes ont appliqué la réforme en 2013 : partout où celle-ci est couronnée de succès, elle a été précédée par une intense concertation.

Nous souhaiterions réduire encore la durée des apprentissages scolaires. Il faut aussi parvenir à une meilleure différenciation selon les âges, réfléchir au calendrier scolaire, étendre la réflexion aux rythmes du second degré, comme le réclame l'Union nationale lycéenne (UNL).

Une meilleure ingénierie serait utile aux communes. Nous participons au comité de suivi et constatons leurs besoins. Elles se tournent vers les associations de maires pour faire connaître leurs attentes. Je signale aussi qu'en France, les différentes entités publiques peinent à travailler ensemble : une meilleure coopération autour d'un même objectif n'est-elle pas possible ?

Enfin, notre revendication fondamentale concerne l'exigence de dialogue social - enseignants, personnel municipal, intervenants extérieurs en milieu scolaire. Cela implique une redéfinition de la mission des directeurs d'école qui jouent, de fait, un rôle bien supérieur à celui qui leur est reconnu dans les textes. Ce sont des chefs d'équipe. La fonction de direction n'est pas une tâche en sus de l'enseignement, ni un chaînon administratif, mais un vrai métier.

De plus, l'école n'ayant pas de personnalité juridique, les décisions la touchant sont prises en dehors, loin du collectif de travail. Il faut y remédier.

M. Bruno Lamour, secrétaire général de la Fédération Formation et Enseignement Privés (FEP - CFDT) - La FEP-CFDT s'est engagée en faveur de la réforme. Nous partageons les constats exposés jusqu'à maintenant. Nos collègues enseignants ont été usés par des années de flottement. « Sans nous » répondent-ils à présent à toute proposition pour changer l'école.

L'enseignement privé sous contrat représente 5 300 écoles environ, dont 4 717 établissements catholiques. Moins de 10 % ont appliqué la réforme, et peu sans doute la mettront en oeuvre à la rentrée prochaine : les établissements sous contrat ne sont pas tenus de l'appliquer. Leur frilosité est liée à la crainte que cette nouvelle organisation ne fasse fuir les familles. Ils parient même que la réforme fera des mécontents dans le public, ce dont le privé profitera. A cela s'ajoute un refus, par principe, d'entrer dans des dispositifs municipaux, et les relations sont parfois tendues entre écoles privées et communes. Les responsables d'établissements invoquent une insuffisance du fonds d'amorçage : est-ce un prétexte ?

Pour nous, défendre la réforme auprès du personnel est parfois difficile : nous avons l'impression de ramer à contre-courant. Lorsque nous réussissons à établir un dialogue, nous parvenons souvent à convaincre. Mais comme les enseignants du privé n'ont pas été associés aux travaux préparatoires, contrairement à leurs collègues du public, ils sont plus réceptifs aux discours des détracteurs de la réforme.

Les enseignants constatent pourtant eux-mêmes un climat plus apaisé à cette rentrée, ce qui est bénéfique pour les apprentissages.

En ce qui concerne les conditions de travail et les conséquences sur la vie personnelle des enseignants, le bilan est plus mitigé. Les personnes ont l'impression de ne pas avoir été écoutées en amont. C'est dommage.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - L'UNSA a fait état d'une féminisation de l'enseignement. Nous ne le constatons pas parmi vous !

Vous estimez tous que cette réforme est fondée, et vous ne tombez pas dans le piège : vous êtes conscients qu'il s'agit seulement d'une étape dans la refondation de l'école. Le système médiatique, lui, s'est focalisé sur les difficultés... Vous adhérez aux objectifs mais appelez en fait à une révolution culturelle dans l'éducation nationale.

C'est une révolution culturelle pour les inspecteurs également ! Les traditions sont bousculées. Les enseignants, comme les mairies - certaines très démunies - ont besoin d'être accompagnés pour construire les projets éducatifs territoriaux. Or le concours des inspecteurs de l'éducation nationale varie selon les territoires. Je m'adresse à leurs représentants ici : quelles sont vos réflexions sur l'avenir de votre métier ? Comment pouvez-vous passer d'une culture du contrôle et de l'ordre à une culture de la souplesse et de l'accompagnement ? Quel modèle nouveau proposez-vous pour les fonctions de directeur d'école ? Posez-vous la question du statut ?

Est-il possible, comme dans certains pays, de moduler les heures d'enseignement entre les différents niveaux ? Vous déplorez de n'être pas assez associés à la réforme : est-ce au niveau du ministère que se situe le problème ?

Il y a aussi un défaut de communication en direction des parents. C'est une mission qui incombe au directeur d'école. Comment concevoir une bonne communication pour susciter l'adhésion ?

M. Patrick Roumagnac. - Ces questions sont interdépendantes. Le positionnement des inspecteurs dépend du statut du directeur, qui lui-même dépend du statut de l'école. Seule une réforme ambitieuse peut apporter des réponses.

On ne refondera pas l'école sans refonder l'encadrement de l'école. Les habitudes dont nous avons héritées ont leurs limites, en atteste la place de notre système éducatif dans les classements internationaux.

Nombre d'enseignants ont des pratiques remarquables, vous le savez. Pourtant, les résultats déçoivent. C'est donc qu'il faut transformer le système. La formation du personnel d'encadrement - chefs d'établissements, directeurs - doit être réformée. Les inspecteurs doivent se mettre davantage au service des collectivités, rompant avec leur longue habitude de ne concevoir leur rôle qu'en rapport à l'éducation nationale. Nous devons nous mettre au service de la réussite des élèves. Faut-il développer une différenciation des temps scolaires selon les niveaux de classe ? Je crois que oui.

Mme Laëtitia Barel, déléguée nationale, SE-UNSA. - L'évolution du métier de directeur n'est pas dissociable de celle du fonctionnement de l'école. Les tâches des directeurs d'école se sont multipliées et amplifiées. Le lien avec la commune implique des échanges, de la médiation, bref, du temps. Nous souhaitons la création d'un statut d'emploi permettant aux directeurs d'assurer pleinement leurs fonctions. Il faut bien sûr leur donner des moyens supplémentaires. Ce qui ne veut pas dire reproduire dans le premier degré ce qui se fait dans le second. Tout est à inventer. Il serait bon de réaliser d'abord des expérimentations dans quelques établissements disposant d'effectifs importants.

La communication auprès des parents pèche parfois. Ceux-ci ont pu manquer d'information, ce qui est anxiogène... Une communication concertée avec les collectivités devrait viser à faire comprendre aux parents le sens de la réforme, au-delà des modifications horaires : ainsi pourront-ils s'emparer de cette réforme et se l'approprier.

M. Frédéric Sève. - Notre syndicat comporte aussi des inspecteurs. Vous avez indiqué que leur implication était inégale sur le territoire. Tant qu'ils seront considérés comme un maillon d'une chaîne hiérarchique qui part de la rue de Grenelle et aboutit dans la France profonde, il leur sera difficile de prendre des initiatives ! Il y a eu déconcentration de l'école, mais on est resté dans un système de pilotage à distance, centralisé. Donner aux acteurs locaux des responsabilités, c'est aussi accepter que les choses ne se passent pas exactement de la même marnière partout. Comment l'éducation nationale considère-t-elle ses cadres ? Les représentations ont changé, y compris au sein des syndicats, qui voient désormais le cadre comme un salarié à défendre comme les autres, non plus comme un représentant du « grand capital ». Celui qui a des responsabilités doit bénéficier d'un statut et de moyens appropriés. Les instances collégiales destinées à l'accompagner manquent à l'école primaire. Il faut les créer. Car un conseil d'administration, des conseils de classe, c'est un confort pour l'exercice des fonctions de directeur. En revanche, reconnaître la spécificité du métier de directeur ne nécessite pas de créer un corps spécifique.

La formation des directeurs et des enseignants doit évoluer puisque l'école évolue. Traditionnellement, c'est l'école qui forme ses propres cadres. Cette formation ne devrait-elle pas être prise en charge par les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) en cours de création ? Faut-il un statut de l'établissement scolaire ? Oui ! Une marge d'autonomie serait bienvenue, non pour le directeur seul mais pour le collectif de travail, qui y gagnerait en autorité et en légitimité. Après tout, l'autonomie des universités ne choque personne depuis le Moyen-Âge ! Enfin, différencier les volumes horaires selon les niveaux de classe est effectivement souhaitable, en dissociant le temps scolaire des élèves et le temps des enseignants - les heures dégagées par les maîtres du CP pourraient être consacrées à d'autres tâches.

M. Bruno Lamour. - Pour la modulation des heures d'enseignement, nous répondons oui ! Nous ne sommes pas attachés à une conception figée du décret n° 50-581 du 25 mai 1950 qui a fixé les durées maximums de service hebdomadaire du personnel enseignant. Nous souhaitons simplement que les missions et le temps de travail des enseignants soient précisément définis. Ce qui manque, c'est un dialogue social véritable. Quant à la communication, c'est un sujet délicat. Dans l'enseignement privé, c'est le chef d'établissement qui devrait en être le vecteur principal. Or, ce n'est pas le cas. La communication se fait au niveau national.

Nous nous sommes engagés en faveur de la réforme. Cependant, le secrétaire général de l'enseignement catholique peut inviter, mais non contraindre, les établissements à la mettre en oeuvre. Il faut interroger le rôle des pouvoirs publics. Prenons garde à une prudence ou un attentisme qui pourraient avoir des conséquences néfastes ; le fossé entre enseignement public et privé qui se comble actuellement pourrait s'élargir à nouveau.

M. Ronan Kerdraon. - J'ai travaillé dans l'enseignement privé, dans le secondaire. Je comprends que vous demandiez plus de souplesse et un droit à l'initiative locale. Je me retrouve dans vos analyses. Et c'est pourquoi j'ai choisi d'attendre 2014 pour mettre en place la réforme. Il est effectivement essentiel d'associer tous les acteurs. Nous avons formé un comité de pilotage qui s'étend aux inspecteurs et aux délégués départementaux de l'éducation nationale. Il se transformera ultérieurement en comité de suivi.

M. François Fortassin. - Je perçois cette réforme comme profondément républicaine, ce qui me plaît. Mais je n'ai pas entendu ce mot aujourd'hui, pas plus que le mot « laïcité ». Je le regrette ! Les directeurs sont de compétence très variable : certains ne le sont devenus que pour échapper à leur classe et aux élèves... Les modalités de recrutement sont à revoir.

Mme Colette Mélot. - Que penseriez-vous d'une séparation entre école maternelle et école élémentaire du point de vue des rythmes ?

N'est-il pas inopportun de parler de temps périscolaire en maternelle, où l'on organise déjà des activités d'éveil et où les enfants, l'après-midi, font d'abord la sieste ?

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je m'associe à cette question.

M. Jacques Legendre. - Vos organisations syndicales soutiennent la réforme. Pourtant, de nombreux enseignants ont défilé à Paris pour s'y opposer. Comment l'expliquez-vous ?

M. Michel Le Scouarnec. - Enfant et élève : sur cette question, nous avons régressé. Autrefois, l'instituteur surveillait la cantine, la récréation, l'étude... Il voyait l'enfant ailleurs que dans la salle de classe. A ce propos, les classes de découverte existent-elles encore ? J'ai emmené des élèves dans de tels séjours, qui sont des expériences extraordinaires et qui provoquent des métamorphoses et entraînent des réussites inattendues. Il faudrait évaluer leur impact, ainsi que celui de la mixité sociale. Les rythmes scolaires ne sont pas le seul levier d'amélioration de notre système.

M. Jean-Claude Carle. - Il y a consensus sur la nécessité de modifier les rythmes scolaires. Pourquoi alors est-ce si difficile à faire ?

M. Stéphane Crochet. - Parler des rythmes scolaires, c'est tirer un bout de ficelle et finalement dévider une longue pelote...

Nombre d'attaques contre cette réforme l'accusent d'augmenter les inégalités. Nous n'y souscrivons pas.

Il est difficile d'évaluer la qualité des activités périéducatives, d'établir une hiérarchie entre elles. Les communes qui ont décidé d'appliquer la réforme dès cette année ont adopté une démarche militante, elles veulent aussi montrer qu'elles ont fait le bon choix, elles présentent donc des activités séduisantes aux familles. Or, le violoncelle et le poney par exemple, qui peuvent être des activités extrascolaires, ne sont pas forcément les activités périscolaires les plus profitables. Il importe de proposer aux enfants les activités auxquelles ils n'accéderaient pas ailleurs. Tout l'enjeu de cette réforme renvoie aux principes républicains.

Il faut maintenir une distinction claire entre maternelle et primaire. C'est le contraire qui est à l'oeuvre depuis la précédente législature. On a d'abord voulu plaquer sur l'école primaire le fonctionnement du collège, alors que le maître dans sa classe module les activités et les enseignements selon les besoins. Et maintenant, on prétend imposer à la maternelle le nouveau fonctionnement du primaire, ce qui conduit, en toute absurdité, à réveiller les petits pendant leur sieste pour passer au temps périscolaire ! L'école maternelle savait pourtant mieux que les autres cycles appréhender l'enfant dans sa globalité. Dans le passé on ne se posait pas la question de savoir si une activité relevait du scolaire ou du périscolaire ! Revenons au bon sens.

Là où l'on s'est entendu pour travailler ensemble et traiter les difficultés, là où l'on a considéré les enseignants et directeurs d'école comme détenant une expertise précieuse, les choses se passent bien. Il faut que les partenaires se parlent, d'où la nécessité de lieux institutionnels adéquats, tels que les conseils d'école, qu'il faut faire évoluer, et les comités de pilotage. Quand, passé la première phase de mise en place, il faudra approfondir la réflexion, ils seront fort utiles.

M. Patrick Roumagnac. - Les lieux existent, qu'il s'agisse des comités de pilotage ou de suivi ; les outils numériques aussi, comme par exemple à Clermont-Ferrand. L'école est l'affaire de tous. Chacun doit donc participer au pilotage et à l'évaluation.

Vous avez évoqué les valeurs de République et de laïcité. Ce sont de si grandes idées que nous n'avons pas osé les brandir, mais elles nous guident en tant que fonctionnaires de la République.

La maternelle et l'école élémentaire sont différentes, mais il faut aussi s'assurer d'une continuité entre elles. Evitons les positions tranchées. Les manifestations que vous avez évoquées sont sans doute le signe d'un manque de maturité dans le dialogue social. Les intéressés ont manqué d'information, comment s'étonner qu'ils ne se soient pas investis totalement dans le projet ? S'ils l'étaient, ils défileraient aussi, mais pour demander des moyens.

Les classes de découverte sont en effet extrêmement enrichissantes pour tous les enfants. Nous souhaitons les relancer, car elles favorisent la découverte non seulement de la nature mais du vivre ensemble, de l'altérité, de la solidarité, qui font partie à mon sens du socle de connaissances. Il ne faut pas se concentrer exclusivement sur les compétences cognitives. De telles expériences sont essentielles pour éviter des ruptures scolaires, qui déboucheront sur des fractures sociales.

M. Frédéric Sève. - Le comité de pilotage territorial est la solution ad hoc pour résoudre les problèmes au niveau de l'école parce qu'il associe tous les partenaires. L'école s'intéresse à toutes les dimensions de l'enfant ou de l'élève. C'est en cela que l'éducation est un projet républicain : le devenir des futurs citoyens est une affaire publique.

Ne coupons pas la continuité entre la maternelle et l'école primaire ; n'oublions pas non plus qu'il y a plus d'écart de maturité pour un enfant entre 3 ans et 5 ans qu'entre 5 ans et 7 ans.

Pourquoi y a-t-il eu des manifestations d'enseignants ? En tout cas ce n'est pas de notre fait, ni de notre faute ! Quoi qu'il en soit, le mécontentement disparaîtra si l'on fait porter l'effort sur la pédagogie pour expliquer la réforme.

M. Bruno Lamour. - Le mot « républicain » ne me fait pas peur ; pas plus que « laïcité ». Dans le secteur privé, l'engagement de tous est fort. Pourtant le bénévolat, tel que nous l'avons connu, a vécu. Il faut donc penser un autre système.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - M. Jean-Claude Carle se demande pourquoi la réforme des rythmes scolaires, souhaitée par tous, ne fonctionne pas. Que pouvez-vous répondre chacun, en seulement deux mots ?

M. Jean-Claude Carle. - Est-ce un problème de fond ou de méthode ?

M. Patrick Roumagnac. - Deux mots clés : dialogue et confiance.

M. Stéphane Crochet. - Je ne dirais pas que cela ne fonctionne pas. Alors, comment expliquer autant d'oppositions ? Défaut de partage des enjeux, sans doute. Je l'ai dit, la réforme est intervenue alors que la profession connaissait de réelles difficultés, qui n'étaient pas prises en considération.

M. Frédéric Sève. - C'est d'abord une question de méthode, mais celle-ci a un impact sur le fond.

M. Bruno Lamour. - Je dirais, quant à moi : notre culture, si particulière.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Nous avons, au Sénat, ouvert deux autres pistes de travail. L'une sur la réforme de l'École supérieure de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; l'autre sur les conseils d'école.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Il me reste à remercier tous les intervenants.

Audition de responsables d'associations de parents d'élèves

La mission a ensuite entendu les associations de parents d'élèves lors d'une deuxième table ronde.

Mme Catherine Troendlé. - Cette seconde audition sera l'occasion d'entendre le point de vue des parents d'élèves.

Mme Nathalie Gaujac, vice-présidente de la Fédération des Conseils de Parents d'Élèves (FCPE). - Les élèves sont les premiers concernés par la réforme. Pour une fois, une réforme s'attache à leurs besoins prioritaires et spécifiques et tente de mettre fin à la concentration du temps d'enseignement, inadaptée à leurs rythmes, préjudiciable aux apprentissages, critiquée depuis longtemps par tous les chronobiologistes et dénoncée depuis la publication du rapport Debré-Douady en 1962 ; cette réforme est, en quelque sorte, une prescription médicale dans l'intérêt des enfants.

Depuis 2008, la semaine de quatre jours était une spécificité française décriée par tous les acteurs de la communauté éducative. À la rentrée, un quart des élèves a désormais un temps scolaire mieux réparti dans la semaine et mieux accordé à ses besoins. Certains ont fait état de la fatigue des enfants à la rentrée : quoi de plus normal après les vacances ? Il est toujours difficile de reprendre le rythme de l'école...

La FCPE estime depuis longtemps qu'il ne faut pas plus de cinq heures d'enseignement par jour à l'école : au-delà, les enfants ne peuvent plus assimiler. Dans le second degré, il faut se limiter à six heures par jour au collège et sept heures au lycée, et à 35 heures TTC, c'est-à-dire « tout travail compris ». Il faudra laisser du temps à ce dispositif pour en apprécier les résultats.

Il faut une pause méridienne d'une heure et demie au minimum, quel que soit l'âge de l'élève.

La conférence nationale des rythmes, en 2011, préconisait déjà l'abandon de la semaine de 4 jours et s'interrogeait même sur son interdiction. Cette réforme est donc une excellente occasion pour que le temps péri-scolaire soit reconnu comme un véritable temps éducatif, sans verser dans la surenchère : les enfants ont aussi besoin de calme, d'inactivité, parfois même d'ennui. Les activités péri-scolaires réclament autant d'attention que les activités scolaires et doivent rester gratuites.

Cette réforme est une opportunité d'ouvrir l'école, de l'articuler à son environnement grâce au projet éducatif de territoire. Cette réforme est une bonne réforme si elle est pensée dans l'intérêt de l'enfant et non dans celui des adultes, et si l'ensemble de la communauté éducative est associée à sa mise en oeuvre locale.

La FCPE souhaite créer des lieux de dialogue avec tous les acteurs, développer l'aspect pédagogique de la réforme, intégrer la question des devoirs à la maison, théoriquement interdits depuis 1956, organiser les horaires en fonction des besoins physiologiques des élèves, garantir la gratuité des activités péri-scolaires, veiller à ce que l'argent public aille à la seule école publique, et ouvrir la discussion sur les rythmes scolaires dans le second degré.

Cette réforme est une étape dans la refondation de l'école de la République publique, gratuite et laïque.

Mme Sophie Fontaine, présidente de L'Union nationale des associations autonomes de parents d'élèves (UNAAPE). - Le ministre a demandé de ne pas perdre de vue le bien-être des enfants : en cela, cette réforme des rythmes scolaires est une première étape. L'UNAAPE la soutient, et rappelle que toute concertation doit se mener dans le respect de chacun et tenir compte du choix des parents.

En maternelle, la réforme reste un chantier ouvert, mais la prise en compte de la sieste comme une activité pleine et entière est un élément positif.

Cette réforme est perçue comme une révolution. Sans doute est-il encore trop tôt pour en tirer un bilan, car le processus ne fait que commencer.

Même dans les écoles où la réforme fonctionne, les parents sont inquiets. Ils la voient comme une dérégulation. Ils s'interrogent sur la pause déjeuner, la qualification des personnels recrutés, l'hétérogénéité et la gratuité des activités, la liberté de choix des familles et la confusion entre temps scolaire et périscolaire.

Pour la demi-journée supplémentaire, l'UNAAPE laisse le choix aux associations locales et rappelle que le samedi matin est un moment favorable aux échanges entre les deux parents et l'équipe enseignante. Nous souhaitons plus de visibilité sur les activités pédagogiques proposées et les activités périscolaires. Seule une péréquation permettra aux petites communes d'offrir des prestations similaires aux plus grandes.

La gratuité de l'enseignement est un principe majeur : la mise en place d'activités onéreuses dans le cadre de l'école nous semble contraire au principe d'équité.

Nous nous interrogeons aussi sur les nouvelles attributions confiées aux collectivités : elles n'ont plus seulement une obligation de moyens, mais doivent mettre en oeuvre un projet éducatif territorial.

L'UNAAPE demande aussi que des perspectives professionnelles soient offertes aux animateurs.

La réforme des rythmes scolaires doit être revue par les parlementaires pour favoriser l'égalité et la gratuité.

Nonobstant un réel manque de concertation, nous constatons un vrai besoin de réforme et d'implication. De nombreuses associations ont participé à la mise en place de la réforme. Depuis la mise en place des nouveaux rythmes, les parents ont parfois demandé à modifier les horaires de cantine, l'organisation des activités ou l'utilisation des locaux : trop souvent, l'intérêt de l'enfant passe après celui de l'adulte.

Pour les activités, le choix se porte principalement sur des animateurs diplômés ; certaines communes tentent de mutualiser leurs moyens, mais beaucoup dénoncent l'obligation de supporter une dépense sans l'avoir choisie.

L'UNAAPE respecte le choix des associations locales et souhaite que les choix des conseils d'école soient conformes aux souhaits des représentants des parents.

Le succès de la réforme passe par l'acquisition de techniques de travail en commun des enseignants et une véritable refonte des programmes.

Mme Valérie Marty, présidente de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP). - La réforme des rythmes scolaires est un vieux sujet, mais il aurait aussi fallu l'associer à une réflexion sur le calendrier annuel.

Cette réforme aurait nécessité une consultation nationale de tous les acteurs. Nous déplorons la précipitation avec laquelle le décret a été soumis au Conseil supérieur de l'éducation, sans même passer en commission spécialisée.

Lors du passage à la semaine de quatre jours, nous avons perdu deux heures sur l'aide personnalisée, ce qui complique le retour aux quatre jours et demi.

Nous regrettons que les conseils d'école n'aient pas été plus associés à la mise en place de la réforme.

Le partage des responsabilités n'est pas toujours clair : il manque un organe de validation des choix d'organisation du temps global.

Les activités ne sont pas toujours gratuites, ce qui est choquant. Les inégalités entre communes sont nettes : il faut y réfléchir ensemble. Mais attention aussi à la surenchère d'activités ; tel n'est pas le but de la réforme qui vise à prendre en compte les rythmes chronobiologiques des enfants. Ceux-ci ont besoin de repos, de temps de pause. L'Académie de médecine note que l'enfant a des pics de vigilance le matin entre 10 h et 11 h et entre 15 h et 17 h. Or les activités périscolaires ont souvent lieu entre 15 h et 17 h...

Il faut aussi tenir compte de l'âge : les enfants de maternelle et de primaire n'ont pas les mêmes besoins. Certaines communes, comme Paris, ont proposé une organisation différente selon le niveau, mais l'éducation nationale s'y oppose.

Il ne faut pas contraindre les communes à appliquer la réforme en maternelle, car il est difficile d'organiser des activités et de trouver des animateurs formés. Il convient aussi de réfléchir à l'articulation entre les activités, en offrant aux enfants des temps de pause, des coupures ; à la formation des encadrants, à la sécurité, qui reste un problème, avec la multiplication des intervenants, à la cohérence éducative entre le règlement de l'école et les activités, à l'intégration des élèves handicapés et au positionnement des activités pédagogiques complémentaires.

Avec les enseignants, les parents d'élèves sont les principaux acteurs de l'organisation du temps des enfants. Ils doivent être davantage associés, pour donner une réalité à la notion de communauté éducative.

Mme Caroline Saliou, présidente de l'Association des Parents d'élèves de l'enseignement Libre (APEL). - L'enseignement catholique a constitué un groupe de travail sur la mise en place des rythmes scolaires.

Au fil des mois, lors de la refondation de l'école, on s'est aperçu que les activités de l'enfant n'étaient pas toujours au coeur de la réforme et que chacun -parents inclus- tentait de tirer la couverture à soi. Nous tenons à garder un regard positif sur cette réforme, car nous savons depuis longtemps que les rythmes ne sont pas bons : 70 % des élèves de 4e déclarent s'ennuyer au collège... Près de 150 000 élèves sortent du système scolaire sans formation. N'est-ce pas la preuve que le rythme scolaire ne leur a pas convenu ?

Continuons la réforme, arrêtons de la dénigrer et cessons de nous focaliser sur le périscolaire. L'enjeu est l'organisation de la journée, de la semaine, de l'année, ce qui implique une refonte des programmes. C'est dire que cette réforme demandera du temps pour aboutir.

La première étape doit être la concertation au sein de l'établissement, pour définir un projet d'établissement et un rythme adapté.

La vie de la classe est le coeur de la réforme. Il nous semblait, comme aux chronobiologistes, que la coupure du mercredi matin était pertinente et que l'école du samedi matin devait être privilégiée. Les fédérations de parents doivent expliquer aux familles l'utilité de la coupure du mercredi. Le samedi matin peut permettre de revoir certaines acquisitions, tandis que c'est l'occasion pour les parents de rejoindre l'école, même si cela peut être plus problématique pour les parents divorcés.

Il faut aussi qu'une pause méridienne d'une heure et demie soit assurée. Les enfants en ont besoin.

Le périscolaire n'est pas le coeur de la réforme, mais doit s'articuler avec le projet d'établissement et le projet éducatif. Les enfants y développent d'autres compétences grâce auxquelles ils retrouvent, le cas échéant, confiance en eux s'ils sont en échec à l'école et si l'articulation avec l'école est bien pensée. De plus, ces activités constituent une opportunité pour les enfants de familles défavorisées de découvrir des activités qu'ils n'auraient jamais pratiquées autrement. Évidemment, cette période périscolaire ne doit pas être conçue comme une garderie ou un gardiennage qui n'apporte rien aux enfants, voire qui les fatigue davantage.

La thématique des devoirs à l'école a été abandonnée. Nous sommes déçus. L'égalité des chances exige que les devoirs soient faits à l'école.

Les difficultés rencontrées tiennent pour beaucoup au fait que les directives ont été imposées ; il faut laisser une grande autonomie aux établissements et aux communautés éducatives pour définir leurs projets et adapter leurs rythmes : par exemple, les spécificités de l'outre-mer ne sont pas celles de la métropole.

Il faut aussi réfléchir à l'année scolaire : pourquoi ne pas réduire les vacances scolaires ? Quid du mois de juin qui s'apparente de facto à un temps de vacances ?

Nous souhaitons une différenciation entre primaire et maternelle. Malgré les problèmes rencontrés, comme l'oubli des projets d'établissement, il faut cesser d'être négatif et ne pas méconnaître les succès liés à la réforme. Les communes ont un rôle à jouer dans l'organisation du temps périscolaire. C'est nécessaire, car les élèves d'aujourd'hui sont les citoyens de demain. Mais toutes les communes ne s'impliquent pas autant...

L'enseignement catholique a parfois du mal à obtenir les fonds d'amorçage : certaines communes se font tirer l'oreille.

La concertation, le dialogue, la réflexion, l'autonomie, la liberté sont essentiels pour la réussite de la réforme ; le coeur de la réforme est l'intérêt de l'enfant.

M. Christophe Abraham, association des parents d'élèves de l'enseignement libre (APEL). - Les difficultés tiennent au manque de communication entre parents et enseignants, et entre écoles et communes. L'APEL appelle à renforcer le lien entre enseignants et animateurs du périscolaire.

Par ailleurs, le financement est un sujet sensible. Le Gouvernement a mis en place un fonds d'amorçage. Il faut que les communes débloquent les fonds. Les enfants sont les mêmes partout !

La réforme des rythmes a permis de consacrer davantage de temps à l'apprentissage des fondamentaux, mais elle donne aussi la possibilité de découvrir des activités sportives et culturelles.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Je perçois quelques contradictions. Chacun reconnaît le bien-fondé de cette réforme, attendue depuis des années. Mme Saliou aurait préféré le samedi matin. Moi aussi ! Mais si l'on consulte les parents, ils sont à 90 % favorables au mercredi matin. Comment arbitrer ? Est-il nécessaire de consulter les parents ?

Dans vos organisations, réfléchissez-vous à la réorganisation du calendrier annuel ? Modifier une demi-journée pose d'innombrables problèmes. Raccourcir les vacances d'été en poserait bien davantage !

La journée ne peut guère être raccourcie : c'est le temps social des parents. Avez-vous évalué l'impact de la réforme sur l'organisation du temps des parents ? Il faut laisser du temps libre aux enfants mais on est dans une surenchère d'activités. Or, l'enfant a besoin de souffler, de rêver. Cela participe aussi à sa construction.

Dans l'enseignement catholique, peu d'écoles ont mis en place les nouveaux rythmes, et peu semblent vouloir le faire à la prochaine rentrée. Pourtant, cet enseignement a souvent pris des initiatives. Comment expliquez-vous cette frilosité ?

Les collectivités ne font pas du pédagogique, mais de l'éducatif : c'est leur rôle... Comme dit le proverbe africain : « il faut tout un village pour bien éduquer un enfant ».

Mme Nathalie Gaujac (FCPE). - Nous revendiquons depuis longtemps une durée de deux semaines pour les vacances intermédiaires.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Nous y sommes.

Mme Nathalie Gaujac (FCPE). - Nous devons rester vigilants : la durée des vacances d'automne a beaucoup varié... Les rythmes de vie peuvent être intenses lorsqu'on part très tôt le matin. Nous sommes formellement opposés aux devoirs à la maison en primaire : c'est de la sous-traitance pédagogique ! Les parents ne sont pas forcément en mesure d'accompagner leurs enfants dans les apprentissages fondamentaux.

S'il y a concertation, tout se passe mieux. Il faut trouver le moyen de prévoir des temps d'apprentissage aux horaires où l'enfant est le plus vigilant. Seulement 34 communes ont choisi le samedi matin.

Mme Valérie Marty (PEEP). -  Sur le samedi matin, il y a eu des consultations, des concertations, mais parfois le maire n'en a pas tenu compte. D'ailleurs, certaines communes, qui ont choisi le samedi matin, envisagent de passer au mercredi. Il faut du temps pour mettre en oeuvre cette réforme.

De surcroît, le décret présentait le samedi matin comme une mesure dérogatoire : cela n'a pas toujours été bien compris, et c'est dommage. Les parents sont favorables au raccourcissement des vacances d'été ; ce sont les enseignants qui s'y opposent. Nous sommes opposés au zonage des vacances d'été. Les vacances doivent être le moment où les familles peuvent se retrouver.

Mme Myriam Menez (PEEP). - De nombreuses femmes ont profité de l'activité du mercredi matin pour passer d'un emploi à temps partiel à un emploi à plein temps. D'autres font le choix de rester à 80 % pour pouvoir s'occuper de leurs enfants : le mercredi après-midi reste libre !

Cependant, les entreprises ne sont pas réceptives à ces problématiques. Ce qui a été annoncé comme une réforme des rythmes se présente comme une réforme des options possibles à la sortie de l'école. Les choses, certes, sont difficiles à organiser, faute de locaux adéquats, notamment en milieu urbain. La suractivité est la conséquence de cette difficulté. Beaucoup d'écoles sont déjà utilisées au maximum. La réforme aurait pu être l'occasion de créer une vraie formation diplômante de l'encadrement périscolaire. Cela aurait évité bien des problèmes qui nous sont signalés aujourd'hui. Pour avoir des temps d'activité péri-éducatifs (TAP) de qualité, il faut des animateurs formés.

Mme Catherine Troendlé, présidente. -  Les communes qui ont des contrats avec la caisse d'allocations familiales (CAF) sont obligées d'embaucher des animateurs formés.

Mme Caroline Saliou (APEL). -  La meilleure solution serait le samedi matin. À nous d'informer les parents et de les convaincre ! Cette année, une enquête a montré un début de prise de conscience sur ce point. Parfois, le maire a choisi le mercredi contre l'avis du groupe de travail. Ce fut le cas dans ma commune de 1 800 habitants, où mon mari est pourtant adjoint au maire, chargé des affaires scolaires.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Quelle était la position des enseignants ? Peut-être le maire a-t-il pris leur parti ?...

Mme Caroline Saliou (APEL). - Ils étaient partagés. Le maire a pris en compte des considérations financières et suivi la préconisation de l'inspecteur d'académie. Je n'ai aucune donnée sur le nombre de femmes qui auraient repris le travail. Vous avez parlé de frilosité de l'enseignement catholique : ce n'est pas de la frilosité, mais le refus de la précipitation. Il est vrai que seulement 10 % des établissements catholiques ont choisi d'appliquer la réforme, mais ces établissements ont de vrais projets et de vrais résultats. Le 17 janvier prochain, nous organisons une grande journée sur les rythmes scolaires : nous voulons favoriser les évolutions, mais dans la concertation et sans précipitation.

M. Christophe Abraham (APEL). - Nous pensions que tout le monde était d'accord.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Le ministre aussi !

M. Christophe Abraham (APEL). - Mais les uns comme les autres, nous avions méconnu la complexité des choses. En outre, la réforme a été imposée, il faut bien le dire. Enfin, pour que chacun comprenne l'intérêt des transformations, il faut prendre le temps d'organiser des débats au sein de chaque communauté éducative.

Oui, nous réfléchissons à une réforme des rythmes annuels. Mais nous avons moins d'autonomie que sur les rythmes hebdomadaires. Nous voulons davantage de souplesse. Avant 2008, cela était possible et certains départements avaient même réduit la durée des grandes vacances. Aujourd'hui, un samedi travaillé sur deux n'est plus envisageable, car le ministère refuse la dérogation. C'était pourtant une solution intelligente, tenant à la fois compte de la vie des familles séparées et de la plus grande disponibilité des parents le samedi pour rencontrer les enseignants, participer à des activités, ou simplement venir à la sortie des classes.

Mme Nathalie Gaujac (FCPE). - Quand, en 2008, la semaine de quatre jours a été imposée, il y a eu très peu de protestations.

M. Alain Fauconnier. - Il y en a eu !

Mme Sophie Fontaine (UNAAPE). - Huit semaines de vacances d'été, pour nombre de familles, c'est long. Il faut les réduire, tout en passant de trois à deux zones, faute de quoi des familles pourraient être empêchées de se réunir.

Doit-on ou non choisir le samedi ? Il faut tenir compte de l'environnement. En ville, le samedi, vous trouverez difficilement un cabinet d'orthodontiste ou d'orthophoniste ouvert. Comme le télétravail est aujourd'hui plus facile (grâce aux ordinateurs et téléphones portables) et mieux accepté, les parents peuvent se libérer plus facilement un mercredi. Nous devons réfléchir à tout cela.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - À Bordeaux, la communauté urbaine a mis en place une expérimentation de télétravail. C'est un vrai succès.

Mme Sophie Fontaine (UNAAPE). - Nous souhaitons des vacances d'été de six semaines. Le secteur du tourisme y est farouchement opposé. Il faudra trancher. Certaines écoles, qui ont choisi le mercredi matin, s'aperçoivent que ce n'est pas une bonne solution. Mais elles ne peuvent revenir en arrière, car le décret ne l'autorise pas.

Il reste que les enfants, réforme ou pas, demeurent chaque jour hors de la maison entre huit et dix heures d'affilée. Depuis la publication en 1976 de l'ouvrage du docteur Guy Vermeil, La fatigue à l'école, toutes les réformes ont cherché à remédier à ce problème, sans grand succès. Et je doute que l'on parvienne à limiter l'amplitude de la journée scolaire, sinon à moins de six heures, du moins à ce qu'elle ne dépasse pas huit heures.

M. Nicolas Hardy (UNAAPE). - Ma commune de Saint-Quentin en Yvelines est restée à 4,5 jours. Dans toutes les communes qui appliquent la réforme depuis 2013, nous constatons que les enfants sont hors circuit dès le jeudi. Le vendredi, on n'en tire plus grand-chose !

Nous avons une réunion demain soir dans ma ville, 600 participants sont attendus, la concertation est une réalité. Par ailleurs, il semblerait que le passage au samedi matin ne nécessite plus une dérogation. Enfin, je voudrais souligner que l'intervention des moniteurs et animateurs entraîne une perte de repères par rapport aux adultes, ainsi qu'un moindre respect de l'enseignant.

Mme Caroline Saliou (APEL). - Si les chronobiologistes sont opposés à la coupure de deux jours le week-end, c'est parce que ceux-ci sont trop remplis : activités, déplacements multiples, les enfants arrivent fatigués à l'école le lundi matin ! Si le samedi matin en classe revoit le jour, ce sera une bonne chose.

M. Nicolas Hardy (UNAAPE). - Le lundi matin est effectivement difficile.

M. Jean-Claude Carle. - Il y a consensus sur le fait que les rythmes sont inadaptés. Les familles y contribuent, les parents du vendredi ne sont pas ceux du lundi - le vendredi, les familles font des projets, en négligeant la fatigue des enfants.

La méthode du décret uniforme trouve ses limites. Nous ne pouvons écarter les considérations économiques locales : dans ma région, la pratique des sports d'hiver, ni les conditions de déplacement qui sont, de fait, différentes en montagne et en ville. Le samedi matin ne devrait plus être dérogatoire. Les décisions doivent être prises au niveau local.

Mme Nathalie Gaujac (FCPE). - Les PEDT, qui sont l'occasion de fédérer toute la communauté éducative, établissements, parents, collectivités, ouvrent droit à la dérogation. Plusieurs organisations du temps hebdomadaire sont possibles : il y a donc de la souplesse. La réforme offre une formidable opportunité pour que, dans les territoires, on réfléchisse à ce que l'on fait pour les jeunes. De très beaux projets sont nés ! Ils concrétisent cet environnement bienveillant, favorable à l'épanouissement, inscrit par la convention sur les droits de l'enfant.

Mme Valérie Marty (PEEP). - Il faut assouplir le texte du décret pour que le samedi matin ne soit plus dérogatoire. Il faut de la souplesse pour s'adapter aux réalités locales. Cette réforme s'est faite trop vite, ce qui explique les crispations. Avec un peu plus de temps et de compréhension des réalités, on arriverait à de meilleurs résultats.

M. Christophe Abraham (APEL). - Nous sommes favorables à davantage de souplesse, et j'espère aussi que nous reparlerons bientôt des rythmes annuels, y compris dans le secondaire. Je veux citer le lycée du matin à Bordeaux, qui fonctionne très bien : et l'on pourrait supprimer tout cela d'un coup de plume, par un décret pris à Paris ? Quel dommage !

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Vous parlez du lycée du Mirail. C'est effectivement une réussite.

La souplesse existe. Simplement, pour obtenir l'organisation de la semaine que l'on souhaite, il faut écrire un projet. Ce n'est pas une mauvaise chose, même si c'est une contrainte...

M. Christophe Abraham (APEL). - Mais c'est au moment où les communautés éducatives mènent leur réflexion qu'il faut leur laisser libre champ et leur faire confiance. Aujourd'hui, tout est décidé au ministère, qui ne veut voir qu'une seule tête.

Mme Caroline Saliou (APEL). - La concertation doit associer les collectivités. On parle du coût et de la situation financière fragile des communes. Mais combien coûte un adulte en échec à la société, en consultations médicales, en médicaments,...

Mme Sophie Fontaine (UNAAPE). - En assistanat !

Mme Caroline Saliou (APEL). - Oui, en aides diverses, voire en frais de séjour en prison ? Il est impératif de réduire le nombre de jeunes qui sortent du système scolaire sans formation.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Les jeunes ne tombent pas dans la délinquance parce qu'ils sont en rupture scolaire. La cause essentielle : c'est bien que les parents n'ont pas tenu leur rôle d'éducateurs.

Mme Caroline Saliou (APEL). - En effet. Je vous sais gré de ne pas parler de « parents démissionnaires », car il s'agit seulement de parents qui ne savent pas s'y prendre.

M. Jean-Claude Carle. - Les élus locaux ont bien compris que l'éducation est le plus important des investissements. Mais ils n'ont plus toujours les moyens !

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - C'est un point que nous entendons évaluer.

Mme Nathalie Gaujac (FCPE). - Il y a un élément qui conditionne le rythme annuel, c'est l'organisation du baccalauréat. La refondation a de multiples facettes...

Mme Valérie Marty (PEEP). - Le droit prévoit que la journée ne peut dépasser 5,5 heures par jour. Or des dérogations existent, à Paris ou ailleurs. Il faut clarifier cela.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Le ministère nous a indiqué qu'il est possible de déroger aux cinq heures et demi.

Mme Valérie Marty (PEEP). - Le texte n'autorise pas explicitement les dérogations, mais des dérogations ont été possibles. Les maires l'ignorent, il faut améliorer leur information.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Ce sera une de nos propositions.

Mme Sophie Fontaine (UNAAPE). - N'oublions pas le rôle des parents, il est primordial. La souplesse est fondamentale aujourd'hui, pour assurer une bonne entrée dans la réforme demain. N'emprisonnons pas la réflexion, la problématique est différente selon les territoires. Pourquoi ne pas travailler un samedi sur deux ou sur trois ?

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Plus de souplesse, c'est la demande qui revient dans toutes vos interventions. Nous l'entendons.

M. Alain Fauconnier. - Pourriez-vous, madame Fontaine, préciser votre position sur la place des collectivités dans le PEDT ? C'est un sujet à débat. Les communes sont parfois mal perçues, considérées comme le lieu de la politique politicienne, face à un Etat considéré comme impartial.

Dans l'articulation entre niveau national et local, il faut privilégier le local. Mais il faut aussi passer à l'acte. Or si nous vous enfermions ici en conclave avec les représentants syndicaux des enseignants et inspecteurs que nous avons auditionnés avant vous, il faudrait attendre longtemps, je le crains, avant de voir s'élever une fumée blanche. Du reste, mieux vaut ne pas aborder maintenant le sujet de l'organisation annuelle, véritable pomme de discorde.

Lors de la mise en place de la réforme dans ma ville, nous avons travaillé aussi avec l'établissement d'enseignement privé. Hélas, il n'est pas entré dans le nouveau système, sans doute pour des raisons économiques et politiques. Si nous ne parvenons pas à dépasser les clivages, nous risquons l'instauration d'un système éducatif à deux vitesses. Les parents feront leur choix entre les établissements, comme on fait ses courses, en comparant les projets éducatifs. Je précise que l'établissement privé dont je parle fait tout de même partie du comité de pilotage, ce qui est une bonne chose car il pourra, le moment venu, bénéficier des retours d'expérience.

M. Nicolas Hardy (UNAAPE). - Il n'est pas nécessaire, mais indispensable que les collectivités soient associées à l'élaboration du PEDT, sans confondre les rôles.

Mme Nathalie Gaujac (FCPE). - Vous seriez surpris si vous organisiez ce conclave, par notre capacité à nous entendre ! Souvenez-vous de l'appel de Bobigny de 2006 et la plateforme commune. Ne soyez pas si pessimiste !

M. Alain Fauconnier. - Les conclaves commencent souvent ainsi et peuvent durer très longtemps.

Mme Caroline Saliou (APEL). - Je ne connais pas l'établissement que vous évoquez, monsieur Fauconnier, je ne sais pas ce qui a freiné la négociation. Nous encourageons nos établissements à la concertation, en exigeant une cohérence entre les activités périscolaires et les projets éducatifs, fondés sur les caractères propres de l'enseignement catholique. Mais il est vrai qu'il faut éviter un zapping de la part des familles qui se fonderait sur d'autres raisons que l'intérêt des enfants.

M. Alain Fauconnier. - La concurrence que j'évoque met aux prises, en l'occurrence, deux établissements privés. Mais je précise aussi que l'on ne saurait bâtir un programme d'activités inspirées par les caractères propres de l'établissement. La laïcité s'impose aussi dans le périscolaire.

Mme Saliou (APEL). - Bien sûr !

M. Christophe Abraham (APEL). - Les établissements sont différents, les communautés éducatives aussi, les activités périscolaires ne peuvent être identiques pour tous les établissements.

M. Alain Fauconnier. - Oui. Les projets périscolaires peuvent respecter le caractère des établissements, sans l'intégrer dans les activités périscolaires.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je vous remercie pour ces échanges très éclairants.