Mercredi 15 janvier 2014

 - Présidence de Mme Catherine Troendlé, présidente -

Audition de MM. Vanik Berberian, président des maires ruraux de France et maire de Gargillesse-Dampierre, Jean-Marie Vercruysse, président des maires ruraux de l'Orne et maire d'Aube, Serge Spilmann, maire de Courteranges

La mission commune d'information entend tout d'abord MM. Vanik Berberian, président des maires ruraux de France et maire de Gargillesse-Dampierre, Jean-Marie Vercruysse, président des maires ruraux de l'Orne et maire d'Aube, et Serge Spilmann, maire de Courteranges.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je souhaite la bienvenue à la délégation des maires ruraux, et je les remercie de leur présence.

L'organisation des rythmes scolaires pose beaucoup de questions, que ce soit aux élus, aux enseignants, ou aux parents. Il appartient à notre mission commune d'information d'en mettre en évidence les contraintes et les difficultés et, le cas échéant, d'y apporter des solutions.

Vous avez la parole...

M. Vanik Berberian. - Tout d'abord, merci de recueillir le point de vue de l'Association des maires ruraux de France. Je voudrais, au préalable, rappeler que, depuis le début, les maires ruraux se sont tous montrés favorables à cette réforme, d'une part parce qu'ils constatent, comme tout le monde, les résultats des tests du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), et sont réceptifs aux autres remarques sur la qualité de l'école. Ils ont conscience qu'on ne peut à la fois regretter une baisse de niveau et, dans le même temps, ne pas se donner les moyens de faire en sorte que les choses changent !

En second lieu, les élus ruraux sont très attentifs à l'école, d'une part pour des raisons symboliques qu'on peut imaginer, mais aussi parce que, de leur point de vue, c'est une manière d'aider à la correction des disparités entre le monde rural et le monde urbain.

Se posent toutefois des questions de réalité et de principe qui font que, aujourd'hui, les points de vue sont plus nuancés. Nous sommes donc heureux, après quelques mois de mise en place pour une partie des communes, et à la veille de l'entrée en vigueur de la réforme pour les autres communes, de prendre le temps de faire le point.

Je suis venu accompagné par deux de mes collègues, qui ont des perceptions nuancées sur cette question ; je pense qu'il peut être intéressant d'écouter ces deux expériences de terrain.

L'ambition du ministre est très forte. Il faut replacer la question des rythmes scolaires dans un cadre plus large, qui est celui de la refondation de l'école. Ce n'est pas un titre anodin, mais bien plus profond qui, de notre point de vue, implique de s'interroger non seulement sur les rythmes scolaires, mais aussi sur la formation des enseignants, le contenu des programmes et les méthodes pédagogiques.

Le talon d'Achille de cette réforme vient de ce qu'elle repose beaucoup sur les capacités des communes ; or, on sait les écarts de dotation et de richesse qui existent entre elles, et c'est ce qui nous inquiète. On n'ose imaginer, dans cet espace de la République, des écoles à deux, trois, quatre, cinq niveaux, et nous attendons donc de l'Etat qu'il accompagne les communes qui ont le plus de difficultés à mettre la réforme en place.

Nous sommes plus que réservés à propos de la question de l'échéance. Nous considérons en effet que la difficulté n'est pas tant d'être opérationnel au jour fixé par la loi, mais plutôt de se donner les moyens de réussir, en s'interrogeant sur les raisons pour lesquelles certains ont du mal à passer aux nouveaux rythmes. C'est en identifiant ces difficultés, et en essayant d'y trouver des réponses, que l'on peut arriver à progresser.

Nous souhaitons également que le bien-fondé de cette réforme soit plus largement développé. On a quelque peu oublié, dans les débats des derniers mois, de rappeler tous les apports positifs que les nouveaux rythmes pouvaient introduire à l'école. Nous pensons qu'une campagne de sensibilisation de l'Etat, au même titre que celles sur les dangers de la conduite en état d'ivresse, pourrait rappeler l'importance de ce sujet.

C'est un constat que nous dressons : s'il existe, dans les associations d'élus, les syndicats d'enseignants ou les associations de parents d'élèves, un accord sur le fond, ceci n'a, pour autant, touché ni tous les élus tous les enseignants, ni tous les parents. La chose n'est donc pas évidente, et il convient certainement de mieux rappeler les intentions de cette réforme.

Nous souhaitons aussi que le calendrier soit assoupli. Ainsi que je le disais, tant qu'on n'aura pas réussi à trouver de réponses aux difficultés, il ne sert à rien de fixer une date butoir. Il vaut mieux veiller à mettre les choses en place.

Nous ne sommes guère plus enthousiastes à propos de l'éventualité d'une décision facultative, dans la mesure où certaines communes pourraient ne pas passer à l'acte, ce qui poserait un problème d'égalité inacceptable entre les écoles. Il est donc préférable de tabler sur l'intérêt et sur l'impact de cette réforme, plutôt que de mettre en place des mesures coercitives.

Je pense aussi que la question des rythmes scolaires ne nous empêchera pas d'aborder une question de fond, qui aurait peut-être pu être étudiée à l'origine, concernant la distinction entre les compétences de l'Etat et les compétences des collectivités. Nous fonctionnons aujourd'hui sur des schémas très anciens. L'Etat a en charge les salaires des enseignants, les collectivités ayant pour leur part en charge le fonctionnement et l'investissement. Peut-être faut-il aller plus loin dans cette partition. Je pense notamment aux nouveautés introduites par les nouvelles technologies. On n'est plus dans le domaine de la gomme et du crayon, mais dans une autre ère. Les enfants ont changé, l'école n'est plus la même. Les règles doivent donc évoluer en fonction du contexte. Or, pour l'instant, on n'a pas encore touché à ces questions. Chacun reste, par confort, dans ses prérogatives.

L'idée est donc de replacer cette réforme dans un champ bien plus large et d'amener l'Etat à assumer ses responsabilités. Des études menées par les maires ruraux, l'Association des directeurs d'école et le Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC (SNUipp) ont montré que les écarts de dotation d'une école à l'autre pouvaient aller de un à dix, ce qui est considérable. Cet écart, il faut pouvoir le réduire sur le territoire, mais aussi à l'échelon infradépartemental.

Ma commune, qui est membre d'un regroupement pédagogique intercommunal (RPI), est passée cette année aux nouveaux rythmes. Nous sommes les seuls à l'avoir fait dans le département de l'Indre. Nous avions, il est vrai, quelques longueurs d'avance : en effet, les enseignants n'étant pas les plus qualifiés pour se charger de l'éducation musicale et artistique, des animateurs intervenaient déjà dans ce domaine, les communes finançant des activités pour pallier cette carence. Nous avons donc continué.

Ce n'est pas le cas de tous les élus, dont certains n'ont même pas de salle pour mener les activités ! D'autres ne sont absolument pas motivés par ces questions. Or, il n'est pas normal que des enfants pâtissent du fait que leur commune dispose de moins de moyens qu'une autre, ou que les élus soient moins sensibilisés au sujet !

Je vous épargnerai l'argumentaire sur l'importance de cette réforme, dont nous sommes en effet tous convaincus mais, après quelques mois de mise en place, dans un contexte quelque peu compliqué et à la veille d'élections municipales, il est temps de se pencher sur le sujet et de faire des propositions. Les 50 euros attribués quel que soit le niveau du budget de la commune sont tout à fait injustes. Pour certaines collectivités, ce n'est rien ; pour d'autres, c'est énorme ; pour d'autres encore, c'est insuffisant !

Il faut donc avoir une approche bien plus personnalisée. Pour un certain nombre d'entre nous, il s'agit d'une réforme essentielle, qui touche à des ressorts nouveaux, et permet à l'école de s'ouvrir sur le monde extérieur. Pendant trop longtemps, chacun est resté dans les limites de sa responsabilité. Avec ces possibilités nouvelles, une ouverture se crée véritablement. L'école peut intégrer d'autres personnes en son sein, et l'on peut imaginer tout l'enrichissement que ceci peut produire. C'est assez nouveau !

Je me souviens des réunions du conseil d'école, il y a de longues années de cela. En caricaturant, on trouvait, d'un côté, les parents d'élèves qui se permettaient, avec toute leur légitimité, des remarques pédagogiques, estimant qu'ils avaient leur mot à dire, de l'autre, les enseignants, pétris dans leurs certitudes, et qui ne supportent pas les remarques, d'où qu'elles viennent, et enfin les élus, dont certains se sentent mal dès qu'il faut acheter la moindre fourniture ! Il faut quitter cette époque, pour construire ensemble l'école de demain !

J'ai à mes côtés deux avis différents ; l'un est farouchement pour, l'autre farouchement réaliste. On a ici un poète et, là, un pragmatique !

M. Jean-Marie Vercruysse. - C'est donc le pragmatique qui prendra la parole en premier...

Il est bon, tout d'abord, de rappeler le contexte dans lequel j'évolue. Le département de l'Orne compte 300 000 habitants. Aube est une commune de 1 500 habitants. J'y ai la charge d'une école rurale de dix classes, de maternelle et de primaire.

Ainsi que je l'ai dit au préfet il y a quelques jours, les élus ruraux ne sont pas opposés à cette réforme, mais celle-ci arrive dans un moment difficile. Nous avons, pour plusieurs raisons, demandé au préfet d'en reporter l'échéance, en estimant ne pas être prêts, d'après un certain nombre d'éléments.

La directrice de cabinet du ministre m'a fait valoir que nous ne le serions jamais, et qu'il fallait bien démarrer un jour. La réforme des rythmes scolaires est passée dans l'Orne, et il se trouve que, depuis le 1er janvier 2013, notre communauté de communes a fusionné avec une petite communauté de communes disposant de la compétence scolaire. Le mariage a de facto comme conséquence que la nouvelle communauté de communes doit intégrer la compétence scolaire. Nous ne l'avons pas mise en place dès le début, devant d'abord unifier nos taux et mettre en place tout un protocole administratif. Elle devrait prendre place au 1er septembre 2014, afin de correspondre à la future obligation des rythmes scolaires.

Un certain nombre d'indicateurs nous font dire que les choses seront très compliquées financièrement. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons demandé le report, cette compétence nouvelle devant générer des coûts supplémentaires pour la collectivité. Or, tout le monde sait qu'aujourd'hui nos subsides extérieurs sont plutôt en diminution. Tout le monde a compris qu'il serait très malvenu de parler d'augmentation d'impôts en ce moment.

Nous ne sommes pas opposés à la réforme : je suis élu depuis 2001, ma première grande réalisation a été d'investir un million d'euros dans l'école, ayant compris que la meilleure carte de visite pour un élu rural est l'école. Malgré cette volonté d'investir dans ce domaine, on tourne aujourd'hui en rond concernant un certain nombre de dispositions relatives à la réforme -organisation pratique, utilisation des locaux, taux d'encadrement, etc. On risque, demain, de ne pouvoir absorber à la fois la compétence et les rythmes scolaires d'une manière indolore. Or, on ne peut dépenser l'argent que l'on ne possède pas ! Il ne reste donc que deux solutions, soit réduire la voilure, soit augmenter les impôts. Nous avons décidé de réduire la voilure, malgré tout avec la ferme volonté de mener la réforme à bien. Dans l'Orne, 75 % des élus sont quasiment prêts pour 2014.

J'ai toutefois rappelé au directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN), qui crie haut et fort que les choses sont quasiment faites dans notre département, que ce n'est pas parce que nous sommes prêts que nous en acceptons le principe ! Au contraire, face à l'obligation électorale de mars, nous anticipons, sachant qu'il sera très compliqué aux nouveaux élus de mettre en place quelque chose de décent, sauf à faire de la garderie, pour septembre 2014.

Comme l'a dit Vanik Berberian, Serge Spilmann et moi-même avons une vision différente de cette prise nouvelle de compétences. Lorsqu'on est responsable d'une école rurale, il est bien plus facile de mettre ces rythmes en place, s'agissant d'un cadre assez restreint. Cependant, l'intercommunalité mobilisant 70 personnes rien que pour les rythmes scolaires, et un budget de 4,5 millions d'euros pour la collectivité, le grand risque est de perdre la proximité et le « MacGyverisme » qui existent actuellement. Telle est ma crainte, même si la loi nous y oblige.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - La parole est à présent au poète !

M. Serge Spilmann. - Ma poésie restera très pragmatique, je vous rassure !

Le département de l'Aube compte 300 000 habitants, et 433 communes. Trois d'entre elles sont engagées dans la réforme des rythmes scolaires -dont la mienne peut-être parce que j'ai un lourd passif, dans la mesure où j'ai été enseignant durant quarante ans et, pendant trente-cinq ans, au service des élèves en difficulté. J'ai également beaucoup travaillé sur les rythmes biologiques de l'enfant.

Je ne pouvais donc que souscrire à cette réforme, dans la mesure où celle-ci, voulue par l'ancien ministre et par le nouveau, visant à améliorer le système éducatif afin que l'enfant y trouve toute sa place. Je pense que nous partageons tous la même conviction : un pays qui veut évoluer instruit et éduque ses enfants. C'est notre premier devoir en tant qu'élus!

Quand la réforme s'est annoncée, j'ai été le premier maire du département à me positionner en sa faveur. Cela n'a pas empêché le Directeur académique des services de l'Éducation Nationale (DASEN) de nous supprimer une classe, mais nous la retrouverons bientôt, grâce aux mouvements de population.

Le contexte du département est quelque peu spécial. L'un de vos collègues, le sénateur Philippe Adnot, a d'emblée exercé un chantage très fort auprès des maires, en affirmant qu'il ne modifierait pas les transports scolaires, que cette réforme venait tout bousculer, et que si l'on voulait l'appliquer en instituant le samedi matin, il ne paierait pas le transport scolaire des enfants, qui serait donc à notre charge.

J'ai la chance d'être l'élu, depuis le 18 mars 1983, d'une commune de 600 habitants qui possède son école communale. Celle-ci compte à présent trois classes, et a d'ailleurs été équipée en numérique, grâce au plan du même nom...

Il est vrai qu'il n'est pas simple de mettre en place cette réforme. Février et septembre 2013 y ont été quasiment entièrement consacrés, avec un partenaire incontournable, souvent mal reconnu, la Ligue de l'enseignement. Nous nous sommes rapprochés et nous avons bâti ensemble un projet intéressant, que nous avons voulu évolutif, à tel point qu'en cours d'année scolaire, deux modifications vont avoir lieu sur les rythmes et les horaires.

En effet, nous avons avant tout voulu donner la parole aux enfants, afin qu'ils s'expriment sur ce qu'ils vivaient, et nous corrigeons au fur et à mesure ce qui ne convient pas à leur rythme.

Il est évident qu'il a fallu se poser la question du financement. L'intercommunalité est un obstacle à la mise en place de cette réforme : transporter des enfants en trois-quarts d'heure va poser des problèmes énormes, insoupçonnés de ceux qui sont à l'origine de cette organisation. Les communes rurales ont la chance d'avoir un tissu humain et associatif très fort, et toute la communauté éducative rassemblée - enseignants, parents, intervenants, associations, élus - a préparé un projet d'école.

On ne s'est pas posé la question du budget, mais nous avons là encore de la chance, dans la mesure où nous avons des revenus très faibles. En effet, la grande disparité des dotations ne permet pas à toutes les communes de faire la même chose, et c'est bien regrettable ! Ce qu'on nous donne en première et en seconde part, ainsi que les aides de la caisse d'allocations familiales, dès lors qu'on fait notre travail correctement, nous permettent d'espérer, par élève, environ 140 euros par an, ce qui permet de réaliser certaines choses.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Aviez-vous déjà un secteur périscolaire ?

M. Serge Spilmann. - Oui. La garderie est ouverte de 7 heures 30 à 18 heures 45, avec une cantine le midi, et un accueil collectif pour les petites et les grandes vacances.

Ce budget était déjà important. Il faut encore remettre la main à la poche mais, ainsi que Vanik Berberian le disait, ou l'on réduit la voilure, ou l'on augmente les impôts. Certains choix de société sont importants. L'enfant en est la base, et c'est vers lui que doivent converger tous nos choix, si l'on ne veut pas payer plus cher ensuite le fait de ne pas avoir envoyé de message d'avenir à notre jeunesse !

Nous en sommes aujourd'hui arrivés à un projet qui se calque sur le projet d'école et sur les rythmes scolaires : sept semaines de classe, deux semaines de vacances, avec cinq thèmes issus du projet d'école, et des réunions intermédiaires avec les parents et l'inspectrice de l'éducation nationale, qui s'est beaucoup investie à nos côtés.

Ces thèmes sont issus du projet d'école élaboré par les enseignants. Le premier est intitulé « Citoyenneté et vivre ensemble » et touche aux incivilités et à la violence récurrente ; le second a trait aux problèmes de lecture et d'écrit -« Exprimons-nous ». Le troisième thème concerne l'ouverture sur le monde -« Science et agriculture ». Nous sommes, en milieu rural, dans un milieu privilégié ; notre commune, qui appartient au parc naturel régional de la forêt d'Orient, compte sur son territoire une réserve naturelle. Le quatrième thème s'intitule donc : « Vivons avec la nature ». Enfin, Vanik Berberian a souligné le fait que les enseignants ne peuvent être bons en tout ; chez nous, la carence principale vient essentiellement du sport. Le dernier thème, de ce fait, a pour titre : « Ayons l'esprit sportif », et fait appel à des intervenants extérieurs bénévoles, mais aussi rémunérés.

Notre projet va évoluer au fil du temps. Nous avons, demain, une réunion destinée à tirer un bilan avec l'inspectrice et les enseignants. Le 25 janvier, nous rencontrerons un spécialiste, pour mieux expliquer aux parents les rythmes biologiques de l'enfant et répondre à leurs questions.

Enfin, nous mettons en place un groupe de parole, afin de savoir comment les enfants vivent la réforme, sans les influencer, en recourant à une personne-ressource, pour les aider à s'exprimer sur ce sujet.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Avez-vous porté votre choix sur le samedi ou sur le mercredi ?

M. Serge Spilmann. - Les travaux sur les rythmes de l'enfant ont débuté en 1912. A chaque fois que l'on coupe la semaine par une journée, la matinée qui suit est perdue pour les apprentissages, le temps que l'enfant reprenne son rythme. Le lundi matin, les enfants ne travaillent ainsi généralement pas très bien. Il faut également tenir compte des difficultés familiales, ou du mauvais sommeil, par exemple, qui influent sur l'efficience cognitive des élèves. Nous avons donc choisi le mercredi.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Monsieur le Président, l'Association des maires ruraux a-t-elle dressé un inventaire du pourcentage de communes rurales qui se sont investies dans cette réforme ? Avez-vous des données affinées en fonction de la taille de la commune ?

M. Vanik Berberian. - Il est difficile de répondre de manière précise, dans la mesure où les situations sont très diverses selon les départements. Quand, au début des travaux, on a réalisé des sondages dans notre réseau, on a tout de suite compris que tout le monde y était favorable, ce qui m'a surpris. Dans toutes les assemblées générales, tous les collègues commençaient leur intervention en disant qu'il s'agissait d'une bonne réforme, et qu'il fallait la mener à bien, même si cela était difficile ! A l'époque, entre 10 et 15 % devaient passer à l'acte à la rentrée 2013.

Les situations sont très variées d'un département à l'autre. Dans certains, la totalité des collectivités sont passées aux nouveaux rythmes, dans d'autres, pratiquement aucune ! On peut imaginer qu'au-delà des aspects ponctuels, certains mots d'ordre politiques ont fortement pesé sur le choix des communes. Dans l'ensemble, ce sont plutôt des communes rurales qui sont passées à l'acte. Elles ont conscience que c'est une manière de répondre à la disparité de l'offre qui existe par rapport aux communes urbaines.

Le scepticisme est toutefois assez grand. Dans le département de l'Indre, notre assemblée générale, qui s'est tenue il y a un mois, portait sur le thème de la réforme des rythmes scolaires. J'avais demandé à trois maires dont la commune était passée aux nouveaux rythmes de venir expliquer comment ils s'y étaient pris. Tout le monde était fort perplexe. Chacun fait en effet référence à ce qu'il connaît, et le met en perspective avec les moyens dont la commune dispose.

L'étude menée par l'Association des maires de France (AMF), qui montre un pourcentage important de satisfaction, doit être prise en compte, mais également relativisée, car elle ne concerne que 4 000 écoles, ce qui est très faible. C'est une question que doit se poser le ministre ! Je vais le dire brutalement : c'est un « flop », malgré la carotte des 50 euros et le chantage inacceptable consistant à menacer les communes qui n'auront pas mis la réforme en marche de ne rien percevoir l'année prochaine, ce qui est proprement scandaleux !

On a demandé dès le début que la somme non consommée la première année soit reportée pour tout le monde sur la seconde, ce qui est en train de se faire. Ce n'est évidemment pas suffisant : encore faut-il y mettre un peu de liant !

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Vous avez affirmé que la manière dont les rythmes se mettent en place tient à l'histoire de la commune et, en particulier, à l'implication du maire dans les affaires scolaires et extra-scolaires. C'est donc à la fois la motivation et le tissu associatif complémentaire qui permettent de relever ce défi. Est-ce bien ce que vous avez voulu dire ?

Par ailleurs, la richesse de la commune est prise en compte par le biais d'indicateurs comme la dotation de solidarité urbaine cible (DSU cible), ou la dotation de solidarité rurale cible (DSR cible), qui viennent majorer l'accompagnement financier. Voyez-vous un autre critère possible de majoration ? Il ne peut en effet y avoir un accompagnement financier au cas par cas, budget par budget. Ce critère de majoration vous apparaît-il pertinent ? A-t-il, selon vous, besoin d'être affiné ?

Parmi les difficultés, vous avez pointé un déficit d'explications, ainsi que la nécessité de mener une politique d'information plus ciblée et volontariste envers les parents et les élus. Avez-vous ressenti un déficit d'accompagnement de l'éducation nationale dans la mise en place des rythmes scolaires, voire certains freins inexplicables ?

M. Spilmann a par ailleurs laissé entendre que l'intercommunalité pouvait constituer un obstacle. Or, dans un certain nombre de cas, on nous a expliqué qu'elle permettait la mutualisation et constituait un soutien pour de petites communes, en leur permettant d'être plus efficaces...Pouvez-vous donc développer votre point de vue ?

Enfin, vous demandez le report des échéances, pour des raisons financières. Je ne comprends pas, l'accompagnement financier étant prévu dès 2014 ! Comment peut-on, dans ce cas, demander le report ? On risque, dans ces conditions, de le demander chaque année ! Or, d'après ce que j'ai compris, vous avez commencé à réfléchir à la mise en oeuvre de la réforme... Qu'attendez-vous pour passer à l'acte ?

On dit que les nouveaux rythmes scolaires vont générer des inégalités. En l'état actuel des choses, les équipements et les accompagnements correspondent à des écarts de un à dix, selon les écoles et les communes, alors qu'il s'agit de structures relevant de l'éducation nationale. Les inégalités ne sont donc pas créées par cette réforme - mais sans doute les met-elle en lumière...

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Mme la rapporteure vous a interrogés sur les possibilités de mise en oeuvre de certains critères pour pallier davantage les disparités de situations entre les différentes communes. Cela va-t-il suffire, certaines communes n'ayant pas de secteur périscolaire et peu de moyens, avec des dotations par ailleurs à la baisse ? La simple aide d'amorçage, limitée à une année, va-t-elle vraiment motiver les élus sur le long terme pour mettre en oeuvre la réforme?

M. Vanik Berberian. - Oui, il y a bien eu un accompagnement des services de l'éducation nationale, mais discret. Ils exprimaient une volonté, faisaient preuve de présence et affirmaient leur soutien, tout en découvrant les choses en même temps que nous ! Nous avons demandé un recensement de tous les potentiels existants sur le département pour accompagner les élus dans cette démarche : nous avons obtenu une liste incomplète et peu précise. Nous en avons retiré l'impression d'un grand empirisme.

Les services de l'éducation nationale sont coincés entre des instructions assez fortes et le principe de réalité. On peut comprendre qu'ils soient parfois restés sur leur faim, mais la relation est globalement bonne. On a compris qu'il s'agissait d'une construction commune.

Par ailleurs, pour être franc, je connaissais la DSR et la DSU, mais j'ignorais l'existence d'une cible. C'est à l'occasion de ce débat que j'en ai appris l'existence. J'ai demandé à connaître la liste des communes cibles de mon département : elles ne sont pas très nombreuses, certaines ayant été choisies sans que l'on sache pourquoi ! Le fait qu'une commune soit classée en zone de revitalisation rurale (ZRR) n'est pas un label de performance, mais une caractéristique qui montre la difficulté d'un territoire, cible ou non. Si on a identifié des secteurs en difficulté, il faut bien entendu les aider, et non conseiller aux communes ayant peu de moyens de « faire un rond-point de moins », comme on l'a entendu !

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Il existe toujours des réponses simplistes !

M. Vanik Berberian. - Oui, mais elles venaient de haut !

La dotation est sans doute insuffisante, mais pose la question de la répartition des rôles. On parle d'un fonds d'amorçage, donc temporaire. Or, nous considérons quant à nous ne pas être dans l'amorçage, mais dans un changement de responsabilités des uns et des autres. Est-il écrit quelque part que c'est aux collectivités d'assumer l'enseignement artistique ? Je ne l'ai jamais vu figurer nulle part ! Les collectivités le font parce que cela n'existe pas, ou qu'il y a parfois des carences, mais cela n'a jamais été écrit ainsi ! On va donc progressivement entrer dans un champ de compétences qui relève du domaine de l'éducation, qui est constitué par un ensemble de matières.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Je ne crois pas ! On n'entre pas dans le domaine de l'éducation ! Il ne faut surtout pas se laisser prendre au piège !

M. Vanik Berberian. - Cela signifie donc qu'il faut travailler le sujet. On peut faire de la musique dans le cadre de ce temps complémentaire, mais aussi dans le cadre de l'école. Y a-t-il eu une concertation entre les deux domaines, pour savoir comment les choses vont se passer sur le plan pédagogique ? On en est loin !

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - C'est le projet éducatif...

M. Vanik Berberian. - C'est un travail de fond qui doit porter sur les matières, la pédagogie et la répartition des tâches.

Quant à l'intercommunalité, la question que vous soulevez est celle de la perception de l'outil intercommunal, et de la place qu'on veut lui donner. Un outil n'est pas en soi bon ou mauvais : tout dépend de la manière dont on l'utilise ! Dans certains cas, il est utile ; dans d'autres, il ne l'est pas ! L'intercommunalité peut constituer une réponse, mais elle peut aussi devenir une entrave. Ce n'est pas une baguette magique, et l'argument de l'économie d'échelle repose sur du vent !

M. Serge Spilmann. - Les maires, notamment ruraux, ont été, dès le départ, placés devant une nouvelle difficulté, alors qu'ils en ont déjà un certain nombre à résoudre. Il existe bel et bien un problème d'information, mais il touche toute la société. Combien de temps notre pays consacre-t-il au devenir de nos enfants, à leur façon d'apprendre ? La formation des enseignants ne consacre que trois heures aux rythmes de l'enfant. C'est un peu maigre ! Je crois que nous avons là beaucoup à faire...

Certains prétendent que l'intercommunalité apporte un plus. C'est peut-être vrai pour des établissements publics locaux d'éducation (EPLE), chers à M. de Robien, mais pas lorsqu'il s'agit de six, sept, ou huit écoles, distantes de 10 à 15 kilomètres ! Notre école communale était plus facile à mettre en place, et c'est pourquoi nous nous y sommes engouffrés. C'est aussi un volant très fort.

Ma commune a la chance d'être une commune cible. Cette fraction cible, il faut d'ailleurs le relever, augmente d'année en année, à l'inverse des autres dotations. On aide donc un peu plus les communes les plus pauvres, il faut le souligner. C'est une très bonne chose. Cela reste minime, la dotation totale de l'Etat pour 600 habitants représentant, dans ma commune, 60 000 euros, alors que la fraction cible est de 3 000 euros. Ce n'est toutefois pas inintéressant...

M. Jean-Marie Vercruysse. - Je voudrais ouvrir une parenthèse sur la cible. Dans l'Orne, c'est la ville pôle qui perçoit la dotation cible, grâce à la proximité de locaux comme le gymnase ou les terrains de tennis. Cherchez l'erreur ! Dans le département, cela concerne moins de cinq communes. Le cahier des charges est très draconien.

Quant au report, il n'a échappé à personne que nous arrivions dans une période électorale. Certains collègues m'ont appelé pour me dire que la réforme des rythmes scolaires était tombée entre les mains de leurs concurrents à la mairie. Compte tenu de cette échéance et de la proximité de la rentrée scolaire de septembre 2014, il paraît inconsidéré de ne pas réfléchir au problème. Les dossiers doivent être déposés avant les élections, et la mise en place de la réforme suppose une recherche de personnel et de locaux. Traiter les choses en mai pour le mois de septembre, c'est aller au-devant des difficultés ! Nous ne voulons pas d'un accueil au rabais, mais de qualité. Malgré cette échéance, nous réfléchissons donc, afin que les nouveaux élus soient prêts.

Dans l'Orne, il existait plutôt une opposition des parents d'élèves au mercredi. Notre école a été ainsi cadenassée pendant deux jours par les parents, qui préféraient le samedi. Par malchance, le conseil général ne voulant pas assurer le ramassage scolaire le samedi, celui-ci restait à notre charge. Beaucoup d'élus ont donc opté pour le mercredi.

Aujourd'hui, un certain nombre de nos concurrents, dans les mairies, annoncent haut et fort que, s'ils sont élus, ils ne mettront pas les rythmes scolaires en oeuvre. On sait toutefois que, si la loi se met en place, nous serons contraints et forcés d'être opérationnels en septembre 2014 ! Le report est donc destiné à coller à la réalité du terrain, car on sait très bien qu'il va y avoir un problème de financement.

M. Jean-Claude Carle. - Si vos interventions ont quelques différences sensibles, elles se rejoignent toutes sur la nécessité d'engager cette réforme - et je crois que nous partageons tous ce consensus.

Vous avez affirmé que le calendrier devait être assoupli, sans devenir facultatif pour autant. Vous avez dit qu'il fallait favoriser la confiance, plutôt que de prendre des mesures coercitives. Pouvez-vous préciser comment vous voyez les choses ?

Vous avez par ailleurs estimé que nous étions régis par des compétences distinctes, celles de l'Etat et celles des collectivités. Que faut-il faire pour passer à des compétences partagées ?

Enfin, le décret précise que le samedi est une journée dérogatoire. Chaque inspection d'académie interprète les choses de façon différente. Or, même si tout le monde reconnaît qu'il faut mettre l'enfant au centre du système, il existe des intérêts catégoriels difficiles à surmonter. Quelle est votre position à ce sujet ?

M. Gilbert Roger. - Chacun de vous a évoqué la pression des organismes extérieurs, comme le conseil général en matière de transports scolaires, mais aussi les consignes politiques et le poids des fédérations de parents d'élèves. Comment envisagez-vous la rentrée à venir ? Pensez-vous que ces pressions soient aussi importantes dans l'avenir ?

M. Alain Fauconnier. - Je suis maire d'une commune de 9 000 habitants, quatrième grande ville d'Aveyron, qui se trouve en DSR cible. La commune de Roquefort, à 10 kilomètres, est en DSR, alors qu'elle a le potentiel fiscal de ma commune, mais pas la moindre activité ! Je pense donc que la DSR cible est justifiée, faute d'être juste.

La frontière était auparavant claire entre l'éducation et l'enseignement. Or, cette réforme crée une zone de flou, dans laquelle on ne sait plus si les collectivités doivent, entre autres, s'impliquer ou créer des relations plus formelles avec les enseignants. Je ne pense pas que les collectivités refusent d'être actrices de l'éducation de leurs enfants. Ce serait impensable ! Existe-t-il des passerelles possibles entre l'éducation nationale et les collectivités ? Comment voyez-vous la négociation ?

S'agissant du problème des aides financières, je pense qu'un système forfaitaire serait plus juste pour les petites communes, ainsi qu'un taux par enfant, plutôt que le seul critère du nombre d'enfants. Je suis convaincu que celles-ci sont pénalisées, car on est loin de couvrir la réalité de leurs charges.

Enfin, les dotations de péréquation des intercommunalités augmentent fortement depuis deux à trois ans. Ce sont des financements qui pourraient être affectés aux communes qui n'ont pas de moyens...

Mme Dominique Gillot. - Monsieur Spilmann, quelle a été votre motivation pour mettre en place le périscolaire existant ? Quelle est par ailleurs votre motivation pour accompagner la refondation de l'école et les nouveaux rythmes scolaires ?

Je tiens d'autre part à faire remarquer à M. Berberian, s'agissant de ce qu'il estime être un « flop » pour la réforme, malgré la carotte employée, qu'il oublie la facilité d'un report possible en 2014 offert par le Président de la République. Beaucoup de communes, qui ont considéré que reporter la difficulté serait plus simple, s'y sont engouffrées. Aujourd'hui, 80 % de ces communes doivent mettre la réforme en place en 2014, avec les difficultés que vous exposez, et un calendrier électoral qui vient percuter cette mise en oeuvre. Elles n'ont donc pas beaucoup plus de temps que celles qui se sont lancées en 2013 ! C'est le choix qu'a fait ma commune, et je tiens à dire que c'est une opération extrêmement fructueuse pour rapprocher les points de vue, créer du lien social, permettre une coproduction de l'éducation utile à chacun. Ne pensez-vous pas que la paix sociale et la réussite d'une ville contribuent également à la fierté des contribuables qui n'ont pas d'enfants à l'école ?

M. Jean-François Husson. - L'Association des maires ruraux dispose-t-elle d'une réponse à apporter aux communes relevant d'un regroupement pédagogique intercommunal dispersé quant à la possibilité de s'orienter vers des complexes scolaires uniques, qui pourraient devenir de petits collèges, comme c'est déjà le cas à certains endroits ?

M. Vanik Berberian. - Etre convaincu de l'utilité de ce que l'on veut faire est la meilleure des conditions pour réussir. Il ne faut ni négliger le temps dont on dispose, ni la démarche pour y parvenir, ni l'environnement psychologique. Or, ces aspects ont été quelque peu délaissés. Après la première annonce du ministre, quatre à cinq mois se sont écoulés avant que l'on aborde le sujet. On a perdu énormément de temps !

Ce qui doit prendre le pas dans le débat, c'est l'opportunité extraordinaire que représente cette réflexion sur les rythmes scolaires, qui bouleverse notre manière de penser de manière très profonde. Ce chantier est, selon moi, une forme de révolution culturelle. On ne peut résoudre la question en deux mois. Il ne s'agit pas de l'édiction d'une norme : on touche à la psychologie, aux habitudes, aux responsabilités, à la diversité des territoires... Les paramètres sont si variés qu'il faut du temps.

Quant à la répartition des responsabilités entre l'Etat et l'école, je considère que notre société avance bien plus vite que notre organisation territoriale et républicaine. Le fait que la dotation globale de fonctionnement (DGF) soit moitié moins élevée pour un rural que pour un urbain pouvait se défendre dans les années 1960. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Or, la question du coût des rythmes scolaires, du litre de gasoil ou de l'heure d'animation se pose dans les mêmes termes à la campagne et en ville. Pendant combien de temps va-t-on encore supporter cette différence ? Ce système est obsolète, et rend les choses encore plus difficiles !

Pour ce qui est des pressions, le positionnement des syndicats d'enseignants est quelque peu curieux. Ils sont montés au créneau contre 4 jours de scolarité par semaine, On aurait pu penser qu'ils allaient être contents de passer à 4,5 jours. Tel n'est pas le cas ! Cela me dépasse...

Les associations de parents d'élèves, pour leur part, sont unanimes pour dire qu'il s'agit d'une nécessité. Certaines ont même tenu des propos outranciers, comme la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), qui menaçait les maires qui ne passeraient pas aux nouveaux rythmes de sanctions lors des municipales !

Enfin, il faut également s'appuyer sur les associations d'éducation populaire, qui ont été malmenées ces dernières années. Peut-être faut-il leur laisser le temps de se reconstruire... Les maires ne sont pas formés pour cela, même s'ils sont polyvalents, avec toutes les limites que cela comporte ! Il faut rechercher les compétences là où elles sont, et accompagner ce tissu lié à la vie associative et à l'éducation populaire, qui ont la pratique de l'animation et de l'organisation.

M. Jean-Marie Vercruysse. - Les élus ruraux ont compris l'intérêt d'investir dans le domaine culturel. Ce n'est pas une question de coût. Lorsqu'on doit changer un tracteur tondeuse de 25 000 euros, on ne se pose pas la question : on investit. Or, lorsqu'il s'agit de dépenser autant pour la culture, on se pose la question ! Nous sommes convaincus de cette obligation.

Pour certains enfants, l'école débute à 7 heures 15 et s'achève à 18 heures 15. Si leurs parents pouvaient ne les récupérer qu'à 19 heures, une fois leurs devoirs terminés, ils le feraient ! Face à cette sorte d'abandon, c'est une chance de pouvoir offrir autre chose aux enfants.

Avant d'engager la réforme et de transférer cette compétence aux communes, peut-être aurait-il été utile de se poser les bonnes questions, en récupérant du temps à l'école. Arrêtons de faire de la musique durant le temps scolaire - on peut en faire à l'extérieur - et travaillons les fondamentaux, certains enfants quittant le CM 2 sans savoir lire ni écrire ! Le souci d'organisation qui ne concerne pas que la maternelle ou le primaire. C'est une réflexion globale qu'il faut mettre en place. Je ne suis pas contre, et je pense que c'est le cas des autres élus ruraux...

M. Serge Spilmann. - 20 % des enfants ont des activités en dehors de l'école - musique, équitation, etc. - et 80 % n'en ont aucune, principalement en milieu rural. La balle n'est-elle pas dans notre camp ? C'est une dimension qui comporte un aspect financier, mais des choix sont à faire...

Certaines choses ne sont pas bien pensées dans cette loi. Qui doit faire quoi ? Le texte de la réforme comporte un passage sur le statut de l'enseignant. Une soixantaine d'heures sont consacrées à des activités pédagogiques complémentaires (APC). Le flou est tel qu'on finit par opposer les gens les uns aux autres ! J'ai été enseignant durant quarante ans, et je puis témoigner que cette profession cherche à préserver son pré carré. N'aurait-on pu estimer qu'il y avait là une chance de construire de nouvelles activités ? Les enseignants auraient alors pu s'y impliquer...

Le soutien scolaire va à l'encontre même de la réforme, puisqu'on a estimé que la journée de l'enfant était trop longue, l'idéal étant de trois heures et demie. Or, l'on fait du soutien scolaire le soir après la classe, bien que l'on puisse, grâce aux équipements numériques, faire du travail en commun et de la remédiation, qui peuvent être très positifs !

Vous m'avez demandé ce qui m'a poussé à faire du périscolaire dans ma commune. J'ai rédigé le programme de développement durable de celle-ci en 1994, après la crise. Nous nous sommes inscrits dans un programme visant à faire venir de nouveaux habitants, en échange de certains services. On n'attire pas les mouches avec du vinaigre !

J'insiste sur le fait que l'on doit tout faire dans l'intérêt de l'élève, Or, celui-ci disparaît très vite des préoccupations ! Veut-on construire une société basée sur l'intérêt de l'enfant et sur son avenir, ou continuer à ménager les intérêts particuliers, les pressions transversales - hôteliers, restaurateurs, etc. ? On n'en sortira pas ! Il faut faire des choix. Les communes rurales essayent de les faire le moins mal possible !

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Merci pour vos utiles contributions.

Audition de M. Georges Fotinos, ancien inspecteur général de l'éducation nationale

La mission commune d'information procède ensuite à l'audition de M. Georges Fotinos, ancien inspecteur général de l'éducation nationale.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Monsieur Fotinos, vous êtes ancien inspecteur général de l'éducation nationale ; vous avez été chargé de mission sous le ministère de Jean-Pierre Chevènement, et vous êtes l'initiateur du projet du calendrier 7-2, basé sur sept semaines de scolarité, et deux semaines de congés.

Vous avez également réalisé une étude de faisabilité sur le changement des rythmes scolaires à Issy-les-Moulineaux, à la demande de M. Santini, qui a donné lieu à un excellent ouvrage. Vous avez par ailleurs été membre du Comité de pilotage de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires.

Cette mission commune d'information s'intéresse aux difficultés et aux contraintes qui s'imposent aux uns et aux autres en matière de rythmes scolaires, afin de trouver des solutions pour les surmonter.

Je vous donne la parole.

M. Georges Fotinos. - Je suis très honoré que vous m'ayez invité, et je pense pouvoir vous apporter quelques réponses sur le sujet que vous traitez...

Il s'agit d'un véritable sujet de société, c'est-à-dire un sujet qui, selon Marcel Mauss, interpelle toute la société. Contrairement à ce que certains ont prétendu, il ne s'agit pas d'un gadget.

Quand on tire le fil de l'organisation du temps scolaire, ce sont les programmes, les contenus, les pratiques pédagogiques, l'organisation familiale et même économique qui viennent avec. Je connais assez bien le sujet, ayant été, durant un certain nombre d'années, responsable de ce dossier au ministère ; j'ai moi-même réalisé deux calendriers scolaires, et j'en connais donc le fonctionnement de l'intérieur.

Pour ne pas trop répéter ce qui a été dit lors des auditions précédentes, la tonalité générale de cette présentation sera plus de l'ordre du regard d'un observateur averti, considéré parfois comme la mémoire du ministère de l'éducation nationale sur ce sujet, dont je me suis occupé de 1981 à 1998, parfois même comme praticien « émérite » de terrain.

Si vous le permettez, mon propos se développera autour de trois registres différents mais interdépendants, de l'ordre du diachronique, du constat puis de la prospective, registres qui peuvent éventuellement servir de trame aux échanges prévus.

Je voudrais tout d'abord vous faire part de l'étonnement de plusieurs observateurs à propos des raisons essentielles de la nécessité du changement d'organisation du temps scolaire. Celles-ci ont en effet en grande partie disparu du débat public, et même du débat entre professionnels, pour ne pas dire du débat politique. Ces raisons sont, selon moi, au nombre de trois.

La première se rapporte à la situation médiocre de la France dans le classement du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), et à sa chute continue depuis 2000. A ce fait, il faut ajouter le trait caractéristique de l'école française dans le paysage européen, qui consiste en une inégalité scolaire très forte -23e sur 24 dans le classement 2010 du Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) et de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), inégalité confirmée par le classement PISA 2013.

La deuxième raison concerne l'organisation du temps scolaire en France et ses méfaits. On ne redira jamais assez le caractère unique de cette organisation dans les pays européens : 144 jours scolaires contre 187 en moyenne, avec le nombre annuel d'heures d'enseignement le plus élevé : 864 heures, et 936 heures si l'on inclut l'aide personnalisée, contre 765 heures en moyenne en Europe pour les élèves de sept à huit ans, et 804 heures pour les élèves de neuf à onze ans !

Dernière raison : la concentration, unique parmi les pays industrialisés, des apprentissages hebdomadaires répartis sur quatre jours.

N'a-t-on pas oublié la succession de rapports mettant en cause cette organisation : ceux de l'académie de médecine, en janvier 2010, de la Cour des comptes, en mai 2010, de l'inspection générale de l'éducation nationale, en 2001, 2002 et 2009, de la commission culturelle de l'Assemblée nationale, en décembre 2010, de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires remis à Luc Chatel, dont les propositions étaient pourtant homogènes, progressives et réalisables, et enfin le rapport sur la refondation, en 2012 ?

Tous ces rapports, de provenance différente, convergent pour reconnaître que cette organisation est aberrante et néfaste pour certaines populations !

C'est la preuve qu'un des leviers majeurs porteurs des changements nécessaires se trouve dans notre organisation du temps scolaire ! François Hollande, à la Sorbonne, lors de la remise du rapport sur la refondation, a bien relevé ce point.

Ce volet est constitué de l'ensemble des évaluations, des projets d'aménagement du temps scolaires (ATS) réalisés entre 1985 et 1998. 4 500 contrats de communes avaient été signés avec l'Etat et 2,5 millions d'élèves bénéficiaient d'un aménagement du temps scolaire.

L'une de mes propositions - que j'aimerais fort que vous inscriviez dans votre rapport - reprend l'une des préconisations des circulaires qui demandaient que ces projets d'aménagement soient tous évalués régulièrement. Or, on n'entend plus guère parler de cette évaluation !

Entre 1985 et 1998, les évaluations avaient été réalisées par les universités, les laboratoires de recherche du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Institut national de la recherche pédagogique, le ministère de l'éducation nationale qui, quoi qu'on en dise, avait fait des évaluations sur la réussite scolaire. On pourrait donc s'y référer !

Les grandes associations complémentaires de l'école ont toutes mené des évaluations, ainsi que le Commissariat général au plan, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), et les collectivités locales. On a là une masse d'informations et d'évaluations qu'on a oubliée !

Que disaient ces évaluations ? Toutes, sans exception, montrent que lorsque les changements introduits permettent de desserrer et de déconcentrer les apprentissages sur une semaine plus étendue et sur l'année, et tendent à les organiser selon un emploi du temps adapté à la capacité d'attention des élèves, d'une part et, d'autre part, reposent sur une articulation scolaire et périscolaire continue et cohérente, les effets sur tous les acteurs sont positifs - qu'il s'agisse des enseignants, des élèves, des parents, ou de l'organisation de l'école. C'est bien la preuve qu'il existe des solutions !

On ne s'est en fait intéressé au temps scolaire en rapport avec l'école et avec l'élève que depuis 1982. Pendant un siècle, tous les changements concernant le temps scolaire ont eu des objectifs politiques et socio-économiques mais, à aucun moment, éducatifs et pédagogiques.

Lorsque j'étais professeur associé à l'université de Tours, je me suis penché sur les ruptures dans l'organisation du temps scolaire. Je suis remonté à 1882, et j'ai découpé le temps en différentes périodes. J'ai intitulé la période entre 1882 et 1922 la période politique. La troisième République vient de s'installer ; elle est fragile. La meilleure façon de lui conférer un certain ancrage est de développer l'école gratuite, laïque et obligatoire. On oublie trop souvent que le temps scolaire était alors particulièrement long, contrairement à ce que l'on peut penser, du fait de l'éducation aux valeurs de la République.

Ainsi, les vacances étaient très courtes et il n'existait que des vacances d'été, voire, pour certaines catégories, des vacances facultatives. Jusqu'en 1894, l'école maternelle n'a que 15 jours de vacances, avant d'obtenir, par la suite, quatre semaines. Quoi qu'il en soit ces congés sont facultatifs ! Le pouvoir de décision du calendrier scolaire repose en effet sur le préfet. Il suffit que des familles d'un village souhaitent que l'école soit ouverte et en réfèrent au maire, qui se tourne vers le préfet pour laisser l'école ouverte.

L'école élémentaire bénéficie, quant à elle, de six semaines, et de huit semaines pour le cours supérieur. Il n'existe pas de petites vacances, tout juste des fêtes patronales.

Le temps hebdomadaire s'élève à trente heures, plus trois à quatre heures d'entraînement militaire, le jeudi ou le dimanche, dans le cadre du bataillon scolaire, à partir de l'école élémentaire.

La période 1922-1961 est celle que j'ai appelée la période socio-économique. En 1922, on donne quinze jours de plus pour les congés d'été. La raison vient de l'hécatombe de la guerre 1914-1918, qui a causé la mort de 1,4 million de Français et en a blessé 4,7 millions, sur une population totale de 41 millions. Il fallait, à cette époque, des bras pour les travaux agricoles...

En 1938, on donne quinze jours de plus pour les vacances au titre des conquêtes sociales du Front populaire. C'est Jean Zay, alors ministre de l'éducation nationale, qui en fait l'annonce dans son discours devant les recteurs d'académie. À l'époque, le calendrier scolaire commençait pour les élèves le 1er août, et les congés payés débutaient le 15 juillet. Il fallait donc quinze jours de plus pour que les parents puissent prendre leurs vacances avec leurs enfants.

L'opinion publique considérant déjà, à l'époque, que les enseignants disposaient de beaucoup de vacances, le ministre, dans sa grande sagesse, mobilisa les compétences des enseignants, et leur accorda quinze jours en échange d'un plus grand investissement dans les animations populaires...

Les choses ne bougeront plus jusqu'en 1961. Toutefois, le calendrier scolaire sera décidé par le ministre et non plus déconcentré. On crée, entre 1922 et 1938, la carte des petites vacances : quelques jours en février, et quelques jours au mois d'avril. On a là l'ébauche des vacances futures.

En 1961, l'arrêté annuel nécessite l'accord du ministère des transports et des travaux publics, où se trouve une sous-direction du tourisme. C'est la première fois qu'une décision concernant le calendrier scolaire est soumise à un accord économique. Cette période, que j'ai intitulée la période économique, s'étend de 1961 à 1980.

Le zonage a-t-il, par exemple, une justification pédagogique ou éducative ? Non ! C'est à cette époque qu'il est créé une semaine, puis dix jours, en février, et ensuite à Pâques. De la même façon, la suppression du samedi après-midi, en 1969, n'intervient pas -vous l'imaginez bien- pour des raisons pédagogiques, ou éducatives. Cette suppression ne concerne tout d'abord que les élèves. Les enseignants sont tenus de demeurer à l'école pour préparer la semaine suivante. J'étais alors instituteur, et je m'en souviens fort bien. Ceci n'a duré qu'un an, les syndicats et la grande Fédération de l'éducation nationale (FEN) ayant convaincu le ministre d'accorder le samedi après-midi à tout le monde...

Le temps scolaire est donc pensé dans une optique de rentabilité. En 1979, c'est Raymond Barre qui saisit le Conseil économique et social de l'aménagement du temps scolaire. Le ministre de l'éducation nationale, Christian Beullac, ancien industriel, demande, le 28 août 1979 « d'examiner les problèmes posés par l'organisation des rythmes scolaires, compte tenu des nécessités de l'aménagement général du temps, et de proposer des solutions ». Faute de temps, le Conseil économique et social n'examinera que les conséquences de la modification du calendrier scolaire...

Selon lui, la solution optimale, sur le plan économique, compte tenu de l'emploi, des transports, de la balance des paiements, du PIB, etc., réside dans l'adoption de cinq zones et deux mois d'été, étalés du 1er juin au 1er octobre. En second lieu, il recommande « une meilleure prise en compte des situations régionales pour un étalement plus différencié ».

Ceci aboutit à un calendrier scolaire de 28 zones -ce dont personne ne se souvient- les recteurs ayant toute liberté d'en fixer les dates, à condition de ne pas étaler les vacances sur plus de onze semaines, de fixer les congés d'été entre le 1er juin et le 1er octobre, et de conserver le volume horaire et les programmes !

On a ainsi des vacances de Noël de trois semaines, des vacances de la Toussaint de quinze jours, des vacances de février de trois jours, et trois semaines en mai, comme à Lille. Treize académies littorales ont, à l'époque, fixé les vacances d'été jusqu'à fin septembre, et treize autres, plus urbaines, ont opté pour les débuter fin juin.

Pourquoi le recteur de Lille, en accord avec les forces économiques de la région, a-t-il donc choisi des vacances de février de trois jours et des vacances de mai de trois semaines ? La raison est en rapport direct avec la crise économique qui sévit alors dans le Nord, où les puits fermaient les uns après les autres. Imaginez les vacances de février des enfants du Nord-Pas-de-Calais, dans une misère grandissante... En revanche, le temps est meilleur dans le Nord au mois de mai, et la mer et la campagne ne sont pas loin.

L'expérience ne dure que deux ans. C'est un chaos indescriptible ! Contrairement à ce que pensait le Conseil national du patronat français (CNPF) à l'époque, les Français n'étalent pas leurs vacances, mais les restreignent au contraire à la plus petite plage commune. Les hôteliers de Languedoc-Roussillon ou de la Côte d'Azur attendent les clients de région parisienne, dont les enfants sont déjà en classe !

Il était devenu impossible d'organiser une colonie de vacances. Elles ne pouvaient durer que quinze jours ou trois semaines, les moniteurs venant de toute la France. Comment rassembler tous ces gens ? En outre, une grande partie des colonies de vacances était hébergée dans les écoles.

Tout le monde a donc souhaité revenir à une solution centralisée, ministérielle. Je me souviens de l'union sacrée entre le CNPF, la FEN, la Ligue de l'enseignement, demandant en délégation au ministre de revenir sur ce calendrier scolaire ! On est retourné vers un calendrier unique, dont on n'est plus sorti depuis.

J'ai qualifié la quatrième période de « psychopédagogique ». Imaginez, après la publication du premier rapport, en 1979, la réaction des mouvements pédagogiques, des parents d'élèves, des enseignants, des chercheurs, des médecins, qui comprennent que l'aménagement du temps scolaire est une variable d'ajustement économique, et qui s'aperçoivent qu'à aucun moment on ne parle de l'école et des élèves ! On saisit à nouveau le Conseil économique et social. Cette fois, c'est Emile Levy, professeur de médecine, qui est en charge des travaux. L'objectif est d'aménager le temps scolaire en tenant compte du besoin des enfants et du fonctionnement de l'école.

Le professeur Levy rend son rapport en 1980, assorti de recommandations, sous lesquelles nous vivons toujours. Elles doivent être mises en oeuvre entre 1984 et 1989. Tous les textes importants concernant l'aménagement du temps scolaire centrés sur les besoins de développement de l'enfant, son épanouissement, et sur sa réussite scolaire, seront pris à ce moment.

Quels sont ces textes ? On en retrouve une bonne partie dans le code de l'éducation. Peut-être est-ce une solution pour résoudre le conflit latent. Les premières dispositions sont les articles 25, 26 et 27 des lois de décentralisation. Il s'agit, pour les maires, de la possibilité d'utiliser des locaux en dehors du temps scolaire, de l'organisation d'activités éducatives pendant les heures d'ouverture des établissements scolaires, et de la possibilité de modifier les heures d'entrée et de sortie des établissements sur le territoire, de façon permanente ou ponctuelle, en raison de circonstances locales. Ces trois articles sont toujours d'actualité.

C'est la circulaire Calmat-Chevènement créant l'aménagement du temps scolaire dans les écoles élémentaires qui, pour la première fois, instaure un lien entre le ministère de la jeunesse et des sports, les associations et l'éducation nationale, le Premier ministre, Laurent Fabius, y étant très favorable. La France est le seul pays au monde où le sujet de l'aménagement du temps scolaire remonte systématiquement jusqu'au Président de la République. François Mitterrand était très informé du sujet. Jacques Chirac en était également partisan.

Sous Jacques Chirac, le ministre de l'éducation nationale, centriste, ne voulait pas toucher au sujet. Guy Drut, alors ministre de la jeunesse et des sports, pousse les feux. Les choses remontent à Alain Juppé, et Jacques Chirac décide que c'est Guy Drut qui prendra le dossier en charge. C'est donc le ministre de la jeunesse et des sports qui, paradoxalement, va s'occuper de l'aménagement du temps scolaire ! Il met en place des sites pilotes, à l'image du modèle allemand, avec école le matin et activités sportives et culturelles l'après-midi.

La circulaire Calmat-Chevènement ne concerne toutefois que l'école élémentaire. J'en ai été la plume, et j'ai fortement conseillé de ne pas mettre le doigt dans l'engrenage de la maternelle, sujet compliqué et délicat, compte tenu de l'âge des enfants. C'est pourquoi cette première circulaire ne traitait pas de l'école maternelle.

Pour la première fois, on propose deux scénarios, assortis de dessins, l'un représentant l'aménagement du temps scolaire méridien, l'autre relatif à l'après-midi. On y voit une véritable articulation entre l'enseignant et l'animateur, avec des temps de travail communs, la première partie sous la responsabilité de l'enseignant, la seconde se déroulant sous l'autorité de l'animateur.

Il est bien précisé, en fin de circulaire, qu'il est absolument nécessaire que les enseignants et les animateurs travaillent ensemble. Il a fallu un certain temps pour y parvenir. En 1996-1998, on compte 2,5 millions d'élèves concernés par l'aménagement du temps scolaire, et la partie est presque gagnée. La défiance qui existe actuellement entre les animateurs et les enseignants avait alors en grande partie disparu.

À l'époque, toutes les communes concernées par l'aménagement du temps scolaire ont dû signer un contrat avec l'Etat, et le projet d'aménagement a émané du conseil d'école.

On arrive ensuite au calendrier 7-2, dont je suis à l'origine. Il s'agit d'une proposition d'Emile Levy qui remonte à 1980. Dans la foulée des changements de l'aménagement du temps scolaire, le ministre a opéré un choix rapide. Modifier le calendrier scolaire demanderait aujourd'hui un certain temps et des échanges nombreux. Entre le moment où j'ai rédigé la proposition de calendrier et sa sortie au bulletin officiel, il s'est écoulé moins de six mois, avec le quasi accord du Conseil supérieur de l'éducation (CSE), même les syndicats traditionnellement contre s'étant abstenus.

Ce calendrier 7-2 équilibre l'année scolaire, entre périodes de travail et périodes de pause. Il n'a réellement existé que deux fois. En effet, pour qu'un tel calendrier soit équilibré, et comporte des durées de travail équivalentes, tournant entre six et huit semaines tout au long de l'année, il ne faut que deux zones. Introduire une troisième zone produit un effet d'accordéon ; chaque année, une zone a onze ou douze semaines de travail sur une période.

Ceci explique pourquoi l'année suivante, en 1986, du fait de l'alternance politique, ce calendrier a été supprimé pour repasser à trois zones. On a vécu la même situation en 1988-1989, Lionel Jospin, alors ministre de l'éducation nationale, revenant à un calendrier 7-2, à deux zones équilibrées ; suite aux pressions multiples du monde touristique et économique, le Premier ministre, Michel Rocard, lui demande de changer, et l'on revient à un avatar de calendrier 7-2.

La loi d'orientation sur l'éducation de Lionel Jospin reprend tout cela, et inscrit le calendrier à l'article 9 de la loi, en le définissant. Il devient pour la première fois triennal, et doit être évalué régulièrement par l'administration. C'est d'ailleurs une proposition que vous pourriez faire...

La loi d'orientation donne un coup d'arrêt à ce calendrier en 1998, avec la création du contrat éducatif local (CEL), qui en casse la dynamique. Le CEL concerne uniquement les activités post et périscolaires, et n'a qu'un lien ténu avec le projet d'école. On ne parlera plus du temps scolaire durant dix ans, et plus aucun politique ne l'évoquera entre 1998 et 2008.

C'est paradoxalement Xavier Darcos qui, en 2008, exhume le calendrier scolaire, en supprimant le samedi, pour le remplacer par le mercredi. Luc Chatel reprend ensuite le projet d'aménagement du temps scolaire. Je ne suis pas sûr qu'il y ait cru réellement au départ, mais c'était une façon d'occuper l'espace éducatif et médiatique. Il se prend au jeu, et met en place tout un dispositif de sensibilisation de la population française, à tous niveaux. Nous avons auditionné tous ceux qui voulaient être entendus sur le sujet, puis nous avons rendu un rapport au ministre, rapport aujourd'hui complètement oublié. Ce projet était basé sur une activité d'éducation partagée, toutes les actions éducatives étaient placées sous l'autorité de l'éducation nationale, et ce jusqu'à la cinquième.

À partir du moment où l'on réduisait la durée de la journée scolaire, il fallait récupérer un certain nombre d'heures. L'année scolaire passait alors de 36 à 38 semaines. Nous pensions que le projet pouvait passer, mais les élections présidentielles se présentaient. Le dossier a été traité pour servir éventuellement de thème de campagne, mais le sujet a été exploité par un seul des deux candidats. Il s'agissait de la proposition n° 38 de François Hollande. Ce dernier, après son élection, a chargé Vincent Peillon de la mettre en place, avec tout ce que cela comporte.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Pourquoi y a-t-il aujourd'hui des difficultés ? Sont-elles légitimes ou non ?

M. Georges Fotinos. - J'ai tiré de la soixantaine de conférences que j'ai donnée partout en France, en juin 2013, une sorte de photographie partielle de la situation. Les medias en ont un peu parlé...

Contrairement à ce qui a été dit, j'ai relevé divers dysfonctionnements : impréparation réelle et très fréquente des communes, sauf celles engagées depuis des années dans un processus d'aménagement du temps scolaire, résistance au changement de la part des collectivités locales, de l'éducation nationale, ou des associations, méfiance voire défiance entre les enseignants et les animateurs, entre l'éducation nationale et les collectivités locales et entre les inspecteurs de l'éducation nationale (IEN) et les maires. Le problème majeur et flagrant, en juin 2013, restait celui de la mise en oeuvre de cette politique à l'école maternelle.

Les comportements et les pratiques des responsables -maires, IEN ou directeurs académiques des services de l'éducation nationale (DASEN) - étaient très divers, allant de l'immobilisme affirmé à l'enthousiasme militant. Enfin, on pouvait noter l'absence quasi générale de dispositif d'évaluation.

Le conflit couve ; les braises ne sont pas éteintes. Que faut-il faire pour sortir de cette situation ? J'ai émis quelques propositions, dont on a un peu parlé...

En premier lieu, tout tourne autour du décret, dont certains demandent la révision complète et d'autres l'abrogation. Il faut rappeler qu'il existe cinq articles du code de l'éducation qui assouplissent le décret et ouvrent très largement les possibilités de changement de l'organisation du temps scolaire.

Je détaillerai donc cinq pistes différentes. Tout le monde s'est montré d'accord, dans le cadre des consultations, pour adapter le temps scolaire à l'âge des enfants.

En 1959, le ministre préconisait deux heures d'activité scolaire pour les enfants de moins de sept ans, quatre heures avant neuf ans, cinq heures vers onze ans, et cinq heures trente vers 13 ans.

En 1996, dans un ouvrage co-écrit avec François Testu, nous proposions 21 heures 30 pour le cycle 2 !

Les conséquences sont très intéressantes sur le plan organisationnel :

- révision de l'application des principes de l'aménagement des temps scolaires pour les écoles maternelles et association du personnel lié à la petite enfance au projet commun -pédiatres, etc. ;

- adaptation du calendrier scolaire à l'allégement de la journée ;

- réflexions sur l'organisation de deux calendriers scolaires, un pour le primaire et le collège, l'autre pour le lycée.

En effet, les élèves du collège, lors des examens, sont en vacances en même temps que les lycéens, au 15 juin dans certains endroits. Par ailleurs, en fonction de l'âge des élèves, on compte des examens, le bac, des stages. On l'oublie souvent, un tiers des lycéens doivent effectuer des stages.

Enfin, avec les admissions post-bac (APB), les liens sont de plus en plus affirmés avec les universités. Il est donc justifié de prévoir ces deux calendriers scolaires. C'est une bonne piste, qui a déjà été utilisée...

Il faut également amorcer la réflexion sur les rythmes de travail des collégiens et des lycéens. Tous les observateurs avertis - parents d'élèves, médecins, assistantes sociales, proviseurs ou principaux - affirment qu'un certain nombre d'adolescents sont vraiment fatigués. Une partie de cette fatigue, qui joue entre autres sur le résultat, est engendrée par une mauvaise organisation du temps scolaire. Un emploi du temps de collégien est quelque chose de monstrueux ! Or, on tient rarement compte des élèves dans l'organisation de l'emploi du temps. La Cour des comptes dénonçait fortement cette situation. L'emploi du temps est fait pour les adultes, par les adultes !

Si je poussais le paradoxe, j'irais jusqu'à dire que ce n'est peut-être pas l'école primaire qui avait le plus besoin que l'on se penche sur les rythmes scolaires, mais le collège !

La famille n'est pas non plus exempte de reproches s'agissant de la fatigue des jeunes : l'éducation nationale, les collectivités locales, les associations, pourront faire ce qu'elles veulent pour améliorer la situation, elles n'arriveront jamais à de bons résultats si les parents n'appliquent pas des règles d'hygiène réelles, tant pour les adolescents que pour les enfants du primaire.

Pourquoi ne pas imaginer une campagne nationale de santé publique faite par le Gouvernement, en relation étroite avec le ministère de l'éducation nationale sur ce sujet ?

Il faut également rendre quasiment obligatoire, pour tous les projets bénéficiant de l'aide de l'Etat, la mise en place d'un dispositif d'évaluation ? Comment ? Nous avons des exemples : on a vu comment les collectivités locales prenaient langue avec les universités... Certaines richesses locales le permettent.

Enfin, il faut fortement encourager les formations communes - enseignants, animateurs, IEN, et élus. J'ai été responsable de ces dossiers durant des années, et j'avais créé ce type de formations décentralisées, qui réunissaient l'ensemble des responsables sur plusieurs projets, et donnaient lieu à une formation continue sur le sujet. C'était une découverte, et cela fonctionnait !

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Nous avions bien besoin d'un tel regard historique.

Lorsque les vacances ont été décentralisées au maximum, on est arrivé à définir 28 zones. Beaucoup nous demandent aujourd'hui de laisser la parole aux territoires pour améliorer la situation. Or, vous avez dit que cette solution avait engendré le chaos. Ceci signifierait donc qu'il s'agit d'une fausse bonne idée, et qu'on a besoin d'un cadre qui, certes, laisse un peu de souplesse mais fixe des limites.

Par ailleurs, vous avez dit que Xavier Darcos avait exhumé le sujet des rythmes scolaires. On n'a toutefois pas eu l'impression que sa réflexion ait été très étayée...

M. Georges Fotinos. - C'est pourquoi j'ai dit que c'était un paradoxe !

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Vous dites que Luc Chatel a ensuite repris le sujet, après y avoir énormément sensibilisé le public. Comment expliquez-vous une telle déperdition de connaissances ?

C'est, je pense, une des erreurs d'analyse du ministre, qui a cru qu'il existait un socle commun de connaissances, alors que les choses étaient extrêmement fragiles et que rien, pratiquement, ne demeurait de ce travail en profondeur. Si l'on comprend bien les résistances, comment expliquer que les choses puissent disparaître aussi vite ?

Par ailleurs, vous dites qu'il faut faire un sort particulier à l'école maternelle. Pensez-vous qu'on aurait dû demeurer à une semaine de quatre jours pour la maternelle, avec tout ce que cela comporte de difficultés et de risques de désorganisation pour le périscolaire ?

Enfin, selon vous, le dispositif d'évaluation des rythmes scolaires doit-il être mené localement par un comité de pilotage, une personne extérieure, ou par l'éducation nationale ?

M. Georges Fotinos. - Comment tous ces projets et ces rapports ont-ils pu être oubliés aussi rapidement ? C'est plus qu'une question de fond... Vous avez raison d'estimer que le ministre a cru que deux années de réflexion et de sensibilisation avaient donné une base très solide à sa réforme.

Les premières manifestations contre les rythmes scolaires sont historiquement parties de Paris. J'avais réalisé une enquête très importante à Issy-les-Moulineaux, en interrogeant 1 300 parents d'élèves et 70 % des enseignants de la commune. Cette commune avait une grande expérience de l'aménagement du temps scolaire, et l'avait déjà vécu de façon très positive.

Sur certains problèmes précis, on constatait déjà un fossé entre les parents et les enseignants, notamment au sujet des deux heures d'accompagnement éducatif. En effet, 80 % de parents étaient d'accord, contre un peu moins de 40 % d'enseignants. Quant aux neuf demi-journées impliquant des cours le mercredi, on comptabilisait moins de 50 % d'accord des deux côtés ! Ce message aurait dû nous alerter, et nous inciter à la prudence...

Après les élections présidentielles, en septembre 2012, alors que le rapport est sur le point d'être rendu, la machine s'enraye. L'explication n'est pas évidente. Elle s'enraye en premier lieu à l'échelon syndical, alors que tous les syndicats étaient précédemment d'accord, comme le démontrent les minutes des auditions réalisées par le ministère de Luc Chatel ou par celui de Vincent Peillon.

On constate une lutte de pouvoir intersyndicale, même si elle ne suffit pas à tout expliquer. Pourquoi le terrain répond-il ? 90 % des directeurs des écoles de Paris ont fait grève à propos des rythmes scolaires ! Il faut savoir qu'une bonne partie des écoles de Paris est située dans de vieux quartiers, où les cours de récréation sont exiguës. Les jours de pluie, par exemple, les enseignants ne savent que faire des élèves ! Le premier projet parisien comportait une pause méridienne allongée. Une partie des activités prévues pouvait se dérouler dans les classes, mais où l'enseignant, libéré durant la pause, pouvait-il travailler ? A Paris, il y a donc une justification à cette revendication très forte, sans parler du fait qu'il fallait revenir le mercredi...

Le maire de Paris, face à l'impasse, a eu l'intelligence de changer très rapidement son fusil d'épaule, et de réaliser les aménagements non en fonction des rythmes chronobiologiques des enfants, mais en prévoyant de grandes plages de temps le mardi après-midi et le jeudi après-midi, ce qui a calmé le jeu.

La fièvre parisienne s'est toutefois répandue sur toute la France. Les partisans de la réforme au début se sont retrouvés moins nombreux, et certains en ont profité pour en faire un levier politique.

L'aide financière a-t-elle accéléré le processus d'adhésion ? Non ! On s'est aperçu que cet élément jouait peu, aussi bien à droite qu'à gauche. C'était une question d'organisation, et de préparation.

Aujourd'hui, les braises couvent toujours sous la cendre ; tout peut redémarrer d'un moment l'autre ! Nous devons mettre en place des pistes de travail pour réduire les conflits. Ceci peut débloquer la situation. Le monde pédagogique s'est focalisé sur le décret. Une plus grande souplesse de celui-ci peut donc, selon moi, ouvrir une possibilité.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Cette souplesse existe déjà !

M. Georges Fotinos. - Mais les gens l'ignorent ! Il faut en faire la promotion ! Lorsqu'une collectivité se présente avec un projet sortant de l'ordinaire, les réactions sont négatives, notamment celles des DASEN et des IEN. Il y a là un verrou à faire sauter. Le ministre l'avait fort bien compris. Lors de l'une de ses premières grandes réunions, il a convoqué les DASEN et les recteurs pour leur demander de faciliter les projets. Dans les départements, les choses ne se sont pas passées comme prévu. On retrouve là le poids de la gestion administrative... Un IEN ou un DASEN se préoccupe d'abord du nombre de postes qu'il doit gérer, du remplacement des instituteurs qui bénéficient d'une décharge d'heures, des congés... C'est une des explications du comportement de certains fonctionnaires de l'éducation nationale.

M. Alain Fauconnier. - J'ai également fait partie de la même maison que vous, Monsieur Fotinos, mais dans l'enseignement agricole, qui a aussi connu des avancées très fortes.

Ne pensez-vous pas que présenter les rythmes scolaires comme un objectif constitue une erreur ? Je suis assez pessimiste sur la suite des événements... Comment construire un projet sans qu'il soit standardisé ? Ne risque-t-on pas de se retourner vers des logiciels très performants, qui produisent des emplois du temps qui n'ont strictement rien à voir avec l'intérêt du collégien ou du lycéen ? Ne vaut-il pas mieux travailler sur le contenu du projet avec les collectivités, etc. plutôt que de se braquer en instaurant un cadre dans lequel on va faire entrer le système ?

Le second élément concerne le statut. Tous les syndicats se déclarent favorables à l'intérêt de l'enfant, mais on a trop tendance à se targuer de mots ! On est donc parti sur une mauvaise base.

Vous dites qu'il faut mener une évaluation, mais que doit-on évaluer ? Que signifie la fatigue ? Doit-on apprécier prioritairement les résultats ? Cette évaluation peut-elle être nationale ? Il me semble qu'elle doit être adaptée à des situations, et à des particularismes...

Autrefois, l'enseignement agricole comportait des cycles différenciés. Dans les zones de vendanges, les élèves rentraient à la fin du mois d'octobre. On n'a pas fabriqué davantage de cancres pour autant ! A la période des fenaisons, les enfants quittaient l'école pour aller travailler. Ces rythmes étaient admis, et le ministère de l'agriculture avait accordé des dérogations, en fonction des situations locales.

Présidence de M. Alain Fauconnier, vice-président

Mme Maryvonne Blondin. - L'objectif, peut-être ne le dit-on pas assez, réside dans la réussite de l'enfant. Cette réforme est un des leviers destinés à améliorer la réussite des élèves.

Monsieur Fotinos, vous avez évoqué une véritable articulation entre l'enseignant et l'animateur, avec des temps d'échange, dans un projet commun, et avec un contrat. Ceci me paraît essentiel, mais comment le financement s'articule-t-il ?

En second lieu, vous avez parlé des pistes destinées à encourager les formations communes entre enseignants, élus, formateurs, etc. C'est un des points que l'on retrouve dans une autre loi, la loi sur les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), où l'on se heurte aussi à des difficultés entre les universitaires, qui veulent transmettre le savoir académique, et le travail pédagogique, qui relève plus des anciens formateurs des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Finalement, on retrouve là les mêmes difficultés, qui ont pourtant été levées il y a quelques années. S'agit-il d'un signe sociétal ou d'autre chose ?

Mme Colette Mélot. - L'un de nos collègues a déposé une proposition de loi visant à donner aux communes la liberté de mettre en oeuvre les nouveaux rythmes scolaires. Est-ce possible selon vous ? Est-il envisageable de donner encore du temps aux communes pour mettre le nouveau dispositif en place ? Je pense que les choses vont être difficiles en cette année d'élections municipales...

J'ai participé, dans ma commune, à toutes les mises en oeuvre. Je crois qu'il faut revoir notre façon de fonctionner, ne serait-ce que pour améliorer les résultats, mais comment assouplir le décret ?

M. Georges Fotinos. - L'enseignement agricole est un sujet que je connais assez bien. Il y a quelques années, les ministres de l'agriculture et de l'éducation nationale m'avaient demandé un rapport comparant la vie scolaire dans les lycées agricoles et dans les établissements relevant de l'éducation nationale. J'avais, à cette occasion, trouvé le professeur d'éducation socioculturelle des lycées agricoles absolument extraordinaire. Si l'on pouvait transférer ce modèle à l'éducation nationale, une grande partie de nos problèmes serait résolue !

J'ai essayé de faire passer cette idée dans mon rapport, et chacun l'a trouvée excellente. Toutefois, personne n'a osé l'appliquer ! Le professeur d'éducation socioculturelle dispose d'un certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES), dans des disciplines académiques ; il consacre 20 % ou 30 % de son temps aux activités éducatives. C'est le pivot de l'action éducative du lycée, et cela fonctionne merveilleusement bien.

Or, si les syndicats de l'éducation nationale y sont violemment hostiles, ceux de l'enseignement agricole y sont extrêmement favorables ! Il y a là une contradiction que l'on pourrait mettre en évidence, et je souhaite vraiment que cette idée ressorte, s'agissant des rythmes scolaires, lorsqu'on abordera le collège et le lycée !

Votre rapport concernera-t-il uniquement l'école primaire, ou également le collège et le lycée ?

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - La mission porte sur la mise en place des rythmes scolaires, dès la rentrée, et ne concerne donc que les maternelles et le primaire. Nous ne nous interdisons pas toutefois de fixer des perspectives en vue de l'étape suivante. Nous avons bien conscience que le problème des rythmes scolaires ne s'arrêtera pas à l'école primaire, et qu'il faudra traiter également du collège et du lycée.

M. Georges Fotinos. - L'apport de M. Fauconnier, et d'autres de vos collègues, sera d'une grande utilité s'agissant de l'enseignement agricole.

Lorsqu'Edgar Pisani a mis sa loi en place, plus de 50 % des présidents de lycées agricoles étaient des parents d'élèves, à l'image de ce qui se fait au Canada. Actuellement, ce ne sont plus que des élus du conseil régional, les directeurs de lycée créant l'adhésion du conseiller régional, afin d'être en lien direct avec le financement !

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Vous prêchez une convaincue !

M. Georges Fotinos. - Il ne me déplairait pas d'être auditionné dans le cadre de votre prochain rapport...

Il était nécessaire de trouver un levier. Les projets, on en parle depuis quarante ans à l'éducation nationale : cela n'a pas bougé d'un iota ! Ceci a provoqué un véritable électrochoc. Je ne pense pas que l'on puisse revenir en arrière, au moins s'agissant de la démocratisation des activités sportives, culturelles et socioculturelles pour tous à l'école primaire. Il faut trouver la bonne articulation, mais l'idée commence à faire son chemin. Tout le monde pourra bénéficier de ce type d'activité. On n'avait toutefois pas mis les moyens suffisants pour y parvenir ! Il faut donc un financement pérenne inscrit dans le budget. Je ne vois pas comment faire autrement.

Les financements antérieurs étaient constitués de contrats. Les conseils d'école montaient le projet, en accord avec la municipalité, et ce projet passait devant l'IEN. En règle générale, lorsque cela fonctionnait bien, l'IEN était toujours partant. L'intérêt résidait dans la dyarchie entre l'IEN et le maire. Le projet était présenté à l'inspecteur d'académie ; c'est là qu'on décidait de l'accepter ou de le refuser, avec un financement à la clef.

Au départ, le financement émanait du ministère de la jeunesse et des sports ; au fur et à mesure, le ministère de la culture s'y est associé, puis celui de la politique de la ville. Dans l'ouvrage que j'ai co-écrit avec François Testu en 1996, nous avions calculé que les communes dépensaient en moyenne 30 à 40 % de la somme globale accordée par l'Etat pour le financement du projet. L'argent parvenait au maire. Il n'y avait pas d'autres solutions, faute de statut juridique pour le directeur d'école et pour l'école primaire. Je comprends qu'un certain nombre de vos interlocuteurs syndicalistes aient évoqué ce sujet devant vous...

Parmi les nombreuses expériences qui ont été menées, le directeur d'école assurait la coordination entre les enseignants et les animateurs, mais était rémunéré par la commune. Le financement des collectivités locales provenait du fonds national du développement du sport (FNDS). Le ministère de la jeunesse et des sports s'est montré très discret à ce sujet, ne voulant pas participer au financement de l'opération, alors qu'entre 1984 et 1998, c'était lui qui gérait l'ensemble des crédits.

J'avais, un moment, lancé l'idée que le FNDS participe au financement. Nous avons, à ce propos, auditionné un des vice-présidents du Comité olympique, qui m'a soutenu que les contrats n'avaient jamais été financés par ce fonds ! L'idée était d'instaurer une taxe sur les jeux en ligne, afin de la consacrer à l'aménagement du temps scolaire, le président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), Guy Drut, était aussi un relais favorable à notre réforme.

Une articulation scolaire et périscolaire réussie passe par l'aménagement du temps scolaire. Pourquoi ? On s'aperçoit que les élèves en difficulté ou qui n'ont pas accès aux activités sportives et culturelles, ou encore les élèves qui ne travaillent pas bien en classe, disposent alors d'un choix d'activités dans lesquelles ils réussissent en général. Un élève considéré comme mauvais, qui se réalise à ses yeux et à ceux des autres dans une activité sportive ou culturelle, en tirera véritablement profit. On amorce ainsi un cercle vertueux, qui a des conséquences sur la réussite scolaire.

En psychologie des apprentissages, il s'agit d'un phénomène de transfert : ce que l'on fait dans une activité se retrouve dans une autre, créant ainsi des réseaux. Un nombre très important de recherches démontre que ces liens sont vraiment forts. On l'a tous expérimenté dans la vie quotidienne... Ceci explique pourquoi l'articulation postscolaire et périscolaire est importante.

Le texte de 1984 définit les actions concertées entre enseignants et animateurs comme « des actions concertées d'animation dans le temps scolaire, sous la responsabilité du maître, avec la participation éventuelle d'un animateur » et comme « des actions concertées d'animation dans le temps périscolaire par l'animateur, avec la participation éventuelle du maître ». Par ailleurs, « Il est souhaitable qu'aussi bien dans le temps scolaire que dans le temps périscolaire, il y ait une présence conjointe de l'instituteur et de l'animateur ». Vous comprenez pourquoi tout a cessé en 1998...

Par ailleurs, laisser les communes régler seules le problème constitue un sujet délicat. On essaye déjà de mettre en place un projet éducatif territorial (PEDT) sans y parvenir ! On risque de se couper complètement de l'école. Le danger est immense. Donner la liberté aux communes, alors qu'on recherche exactement le contraire, relève d'un autre système éducatif, à l'anglo-saxonne, où les collectivités territoriales détiennent le pouvoir de l'éducation, de procéder aux recrutements, etc. Notre modèle français a bien fonctionné jusqu'ici. Pourquoi cela ne fonctionnerait plus aujourd'hui, avec une autre dynamique ? Je ne vois aucune autre solution !

Prenez le débat qui a eu lieu autour de la rédaction de la loi sur les PEDT, qui étaient obligatoires avant la promulgation de la loi, l'éducation nationale ne désirant pas être placée « sous l'autorité » de la collectivité locale... Comment vont tourner les choses avec l'évolution des lois de décentralisation, et ce qui a été annoncé récemment ? C'est un problème... Quel sera le système éducatif français dans les dix ans qui viennent ? On est là à la croisée des chemins !

Je reste cependant favorable à la création de conditions de travail et de projets communs. C'est pourquoi l'évaluation doit être obligatoire. Il faut un projet commun, et ne pas accepter des projets émanant d'un côté ou de l'autre. Si la règle du jeu est claire, les choses peuvent fonctionner !

Ces quelques idées peuvent être reprises dans votre rapport, amplifiées et devenir un projet consistant. Un des défauts majeurs de ce projet réside dans le fait que les choses partent dans tous les sens.

Les syndicats, qui étaient d'accord avec un système proportionnel à l'âge, ont voulu un système national. Une enseignante de maternelle ne peut travailler 18 à 20 heures, alors que l'enseignant du primaire travaille 24 heures devant les élèves. C'est ici que se situe la souplesse : si l'enseignante de maternelle ne travaille que 18 heures, elle devient une enseignante supplémentaire à l'école élémentaire, et les deux maîtres de la classe sont tout trouvés, sans moyens supplémentaires. Ces organisations peuvent être réalisées, les enseignants de certains endroits étant d'accord entre eux !

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Nous avons auditionné un groupe de syndicats favorables à cette proposition. Nous allons tester cette idée sur d'autres, lors de prochaines auditions.

M. Georges Fotinos. - Le problème est celui de l'activité après le temps scolaire en maternelle. Comment vont réagir les parents ? Il y a là toute une organisation à revoir !

M. Alain Fauconnier, président. - Certains adhèrent aux changements de rythmes scolaires en maternelle. La question de la place et de la valorisation des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) se posera également à travers cette question. Les ATSEM les mieux formés s'attribuent mieux le sujet en maternelle que les autres, qui y sont plus réfractaires.

Je porte un regard très favorable à la place et au rôle des ATSEM. C'est un métier qu'il va falloir faire évoluer doucement, afin de décharger les enseignants spécialisés dans des missions de coordination et d'animation.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Le temps social s'invite également dans cette question : c'est là toute la difficulté !