Mercredi 22 janvier 2014

- Présidence de Mme Catherine Troendlé, présidente -

M. Michel Destot, président de l'Association des Maires des Grandes Villes de France (AMGVF)

La mission commune d'information auditionne enfin M. Michel Destot, président de l'Association des Maires des Grandes Villes de France (AMGVF).

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Merci d'être avec nous aujourd'hui. Nous vous avons invité pour dégager les problématiques, les contraintes et les freins à la mise en place des nouveaux rythmes scolaires et leur apporter les solutions les plus adaptées.

M. Michel Destot, député de l'Isère, président de l'AMGVF. - L'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF) regroupe les villes et les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Ces dernières se structureront de façon un peu différente compte tenu de la loi de décentralisation de décembre, avec les communautés d'agglomération, les communautés urbaines, les métropoles de droit commun et les trois grandes métropoles que sont Paris, Lyon et Marseille. Importante en termes de population (puisque les grandes villes de France accueillent 60 % de la population française), l'AMGVF ne représente que 48 villes de plus de 100 000 habitants et à peine 100 intercommunalités. Pratiquement toutes ces villes et agglomérations étaient favorables à la mise en place de nouveaux rythmes scolaires. Certaines, comme Grenoble, avaient lancé avant même la réforme un débat avec les parents d'élèves sur une organisation de la semaine en quatre jours et demi.

L'Association des maires de France (AMF) a fait une enquête auprès des communes qui ont appliqué la réforme en 2013. Elle révèle que 83 % d'entre elles considèrent qu'elles ont mené cette réforme avec un certain taux de satisfaction, ce qui n'exclut pas des problèmes. L'AMGVF a commenté cette enquête pour voir quels étaient les points forts mais aussi les critiques ou les inquiétudes : 77 % des communes rapportent avoir eu des difficultés pour financer la réforme : plus de 6 sur 10 estiment dépenser entre 100 et 200 euros par enfant et par an. Avant la réforme, lors des discussions que nous avions eues avec le ministre de l'Éducation nationale et le Premier ministre, nous avions évoqué une moyenne d'engagement de 150 euros : nous n'étions pas loin du compte. Dans ma commune, nous sommes à près de 230 euros par enfant. Si le taux de satisfaction global est important, des interrogations demeurent sur l'engagement financier et sur le rapport entre les ressources accordées par l'État et les engagements des communes.

Pour mettre en oeuvre la semaine de quatre jours et demi, plus de la moitié des communes a dû recruter du personnel, notamment des animateurs. Cette proportion atteint les deux-tiers dans les communes urbaines et près de 40 % disent avoir eu des difficultés à recruter.

Le taux de fréquentation par les élèves était une grande inconnue de la phase de préparation de la réforme : bien souvent, on a procédé par itération, avec une première évaluation au bout d'un mois, puis une seconde à la fin du trimestre, ce qui explique que les premières indications n'étaient pas excellentes, d'autant que les parents attribuaient à la réforme un surcroît de fatigue, traditionnel en septembre.

À l'époque, j'avais dit au Premier ministre que le fonds d'amorçage était le bienvenu mais que, comme dans une entreprise, il fallait ensuite prévoir l'accompagnement. Pour qu'une start-up grandisse, un accompagnement est nécessaire à chaque étape. C'est la même chose ici. J'avais donc suggéré que l'on aille au-delà du fonds d'amorçage. Aujourd'hui les engagements du Premier ministre ont été assouplis. Il faudra maintenir un rapport de force avec le Gouvernement pour pérenniser la formule, même si une certaine dégressivité est envisageable, et ne pas pénaliser les bons élèves qui ont commencé dès la première année.

Si l'argent est, bien sûr, essentiel, n'oublions pas les autres mesures d'accompagnement, dont l'assouplissement des taux d'encadrement du périscolaire, qui doit être élargi au-delà des trois heures retenues, ainsi que le demandent fortement toutes les associations. Nous souhaitons qu'au terme de l'année 2014-2015, une évaluation soit menée pour discuter des suites à donner à cette réforme.

Nous proposons des pistes d'amélioration. Les demandes de l'AMGVF sur la pérennisation des financements, l'harmonisation des taux d'encadrement et le rendu des projets éducatifs territoriaux semblent avoir partiellement porté. Toutefois, des inconnues subsistent sur les financements des caisses d'allocations familiales (CAF). Il ne suffit pas que le Premier ministre négocie avec le directeur général de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) pour que les choses soient réglées. La convention d'objectifs et de gestion signée en juillet 2013 limite, de fait, l'accès des communes à ces financements. Nous avons besoin d'une contractualisation entre les communes et les CAF pour les prestations de service ordinaire et nous devons les inscrire sur le long terme, car la participation des CAF, d'un montant supérieur à celle du fonds d'amorçage, n'est pas remise en cause chaque année.

Une fois encore, il n'est pas possible que les bons élèves soient pénalisés : Grenoble n'a pas attendu la réforme des rythmes scolaires pour contractualiser avec les CAF. Il ne faudrait pas qu'on nous dise qu'ayant beaucoup reçu, parce que nous avons beaucoup donné, nous n'avons plus droit à rien. Il ne peut y avoir, en ce domaine, des règles universelles. Il en va de même pour la loi de décentralisation qui essaye de faire entrer dans le même cadre des réalités bien différentes.

Conformément à l'annonce du Premier ministre, la CNAF a validé l'assouplissement des taux d'encadrement au-delà des trois heures nouvellement à la charge des communes, mais cette décision ne couvre pour l'instant que la période allant du 1er janvier au 5 juillet 2014. Un conseil d'administration de la CNAF devrait se réunir en mai pour évaluer la pertinence de cet assouplissement et réévaluer son coût. Il est important que cette mesure soit reconduite sur le temps des projets éducatifs territoriaux (PEDT), soit trois ans.

Au-delà des coûts importants, les grandes villes qui sont passées aux nouveaux rythmes scolaires estiment que la mise en oeuvre a été moins compliquée que prévu. Des ajustements ont souvent été nécessaires pour surmonter les difficultés initiales. Là où il y a eu de la volonté, l'intelligence locale s'est organisée. Toutefois, les solutions adoptées en 2013 sont souvent éphémères, et la pérennisation des dispositifs n'est pas assurée : comme pour une start-up, l'amorçage doit bien devenir un accompagnement.

La professionnalisation des acteurs du périscolaire est déterminante pour maintenir des dispositifs identifiés dans le temps et la qualité. Le métier d'animateur s'en trouvera reconnu et renforcé. Les inquiétudes soulevées par l'assouplissement des taux d'encadrement et par la conduite des activités périscolaires seront apaisées. L'utilisation des emplois d'avenir adaptés aux nouveaux rythmes avec les ajustements préconisés par les grandes villes, la prise en charge d'une offre de formation dédiée par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) s'imposent. Une aide spécifique pourrait être versée aux collectivités qui financent sur fonds propres les formations de leurs propres agents au certificat d'aptitude professionnelle (CAP) petite enfance ou au brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA). Ces propositions méritent d'être regardées de près.

Dès 2013, 40 % des grandes villes ont mis en place la réforme des temps scolaires. Les 150 euros que nous avions annoncés ont été largement atteints et même dépassés. Nous sommes loin d'avoir achevé les discussions avec le Gouvernement et les CAF. Nous voulons que tous ceux qui ont joué le jeu, et qui sont une force d'entraînement et une source d'évaluation, ne fassent pas les frais de l'opération : ce serait la double peine. Il faudra, au contraire, les récompenser, car ils ont été les cobayes de la réforme. Il est nécessaire de pérenniser le fonds d'amorçage, quitte à ce qu'il soit décroissant avec le temps et, au-delà de l'accord national, une négociation globale devra avoir lieu avec les CAF.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je suis ravie que vous ne vouliez pas que les plus vertueux soient sanctionnés : maire d'une petite commune, j'ai mis en place, il y a dix ans, des activités périscolaires. À l'époque, nous avions des aides non négligeables de la CAF. Petit à petit, d'autres communes ont développé ces activités et la CAF nous a avertis que son aide serait désormais dégressive.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Soyez rassuré, vos propos font écho à d'autres auditions, comme à notre propre expérience d'élus. Nous avons auditionné la CNAF et nous avons été très dubitatifs sur sa capacité et sa volonté d'accompagner les rythmes scolaires. Des petites et des très petites villes renoncent aux 54 euros par élève, du fait de la complexité des dossiers à établir.

Savez-vous si des grandes villes refuseront de mettre en place les nouveaux rythmes scolaires en 2014 ? Combien coûte cette réforme rapportée au budget de fonctionnement d'une ville ? Enfin, comment monter des formations professionnalisantes pour des intervenants ayant des statuts différents ?

Mme Marie-Annick Duchêne. - Grenoble a été en pointe sur la petite enfance. Est-ce que la réforme des rythmes scolaires a été raccrochée à cette politique ?

M. Jean-Claude Carle. - Les 48 villes de l'AMGVF rassemblent une bonne part de la population et elles ont un effet d'entraînement. Vingt sont passées aux rythmes, que faudra-t-il faire pour convaincre les 28 autres de se lancer dans l'aventure ?

Pour le financement, il faudra passer de la négociation entre le Premier ministre et la CNAF à une contractualisation avec les CAF. Comment la mettre en place alors que vous avez dit, à juste titre, qu'une loi universelle n'avait pas sa place ? J'aurais aimé vous avoir entendu avant le débat d'hier soir1(*).

Mme Maryvonne Blondin. - Nous avons aussi parlé hier de la richesse territoriale et de l'adaptation du national au local... Avez-vous mis en place un comité de suivi de cette réforme ? La direction académique des services de l'Éducation nationale (DASEN) vous a-t-elle aidé ?

M. Michel Destot. - Je vais surtout parler des 48 villes-centres, car il est beaucoup plus difficile de faire le point sur les intercommunalités. Ainsi, il est malaisé d'appréhender les conséquences de la réforme dans l'intercommunalité de Grenoble qui regroupe une trentaine de communes.

Sur les 28 villes qui n'avaient pas encore mis en oeuvre la réforme, trois villes (Marseille, Nice et Cannes) ont annoncé qu'elles ne le feraient pas en 2014. Hier, Marseille a annoncé qu'elle se ralliait au projet. Il n'en reste donc plus que deux qui résistent. Je remercie M. Carle d'avoir accepté de dire que les grandes villes sont une force d'entraînement, même si des difficultés demeurent.

Grenoble a consenti des efforts importants, avec 3,2 millions d'euros en année pleine pour les rythmes scolaires, ce qui représente un peu plus de 1 % du budget de fonctionnement de la ville. C'est loin d'être marginal, d'autant que cet effort s'ajoute à celui que nous accomplissons pour la petite enfance : nous sommes classés premiers en France en ce domaine. Ainsi, 30 % de la population de Grenoble bénéficie de cette politique, notamment les familles les plus fragiles. Nous avons expérimenté le « parler bambin » avec les enfants de 18 à 36 mois. Les capacités langagières à trois ans sont remarquables et gomment les inégalités : la prise en charge dès le plus jeune âge améliore les parcours scolaires.

Qu'implique la réforme ? Du temps, de l'argent, du personnel qualifié, Jean-Claude Carle. Pour obtenir des résultats, on doit avoir ces trois ressources. C'est d'ailleurs pourquoi Lille ne s'est pas lancée, car elle ne disposait pas des moyens financiers, mais surtout des ressources humaines, dès la rentrée 2013. Il faut donc faire des efforts importants en termes de qualification et de formation pour accompagner le personnel communal.

La Justice et l'Éducation nationale échappent aux politiques interministérielles. Le préfet n'a barre ni sur les procureurs de la République ni sur les Dasen, si bien qu'il est difficile de mener des politiques coordonnées. Pour l'Éducation nationale, il n'est pas facile d'avoir une réponse unique. Les choses se passent bien à Grenoble grâce à Monique Lesko, directrice des services académiques de l'Isère, mais les résultats sont plus ou moins remarquables selon les académies et suivant les établissements. Certes, les ministres de l'Éducation nationale sont heureux d'avoir leur propre administration, mais comment mener des politiques coordonnées et efficaces qui nécessitent un travail partenarial ?

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je vous remercie de cette belle et sincère présentation.

Audition de Mme Évelyne Beaumont, adjointe au maire d'Arras, M. Fabrice Bailleul, directeur général adjoint en charge de la cohésion sociale de la ville d'Arras, Mme Pascale Massicot, adjointe au maire de Nevers, Mme Élodie Verrysser, directrice de l'éducation à la ville de Nevers, et Mme Florence de Marignan, de la Fédération des maires des villes moyennes

La mission commune d'information auditionne ensuite Mme Évelyne Beaumont, adjointe au maire d'Arras, M. Fabrice Bailleul, directeur général adjoint en charge de la cohésion sociale de la ville d'Arras, Mme Pascale Massicot, adjointe au maire de Nevers, Mme Élodie Verrysser, directrice de l'éducation à la ville de Nevers, et Mme Florence de Marignan, de la Fédération des maires de villes moyennes.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Notre mission entend tous les partenaires impliqués dans la réforme des rythmes scolaires, afin de dégager les problématiques liées à sa mise en oeuvre et de proposer des solutions. Je souhaite la bienvenue à la délégation, d'ailleurs très féminine, de la Fédération des maires des villes moyennes.

Mme Évelyne Beaumont, adjointe au maire d'Arras. - Pourquoi Arras est-elle engagée dans cette réforme ? L'analyse des besoins sociaux de la ville a livré des chiffres alarmants qui nous ont incités à mettre en place la réforme des rythmes scolaires dès 2013. Services et élus y ont travaillé. L'éducation est une priorité majeure dans un contexte de renforcement des inégalités et de crise sociale. Nos objectifs-clefs sont l'accès au savoir et le développement de compétences favorisant l'emploi. La réforme constitue un projet ambitieux qui va de pair avec un projet éducatif territorial inscrit dans la durée. L'éducation doit être un vecteur du développement territorial d'Arras. Cela exige du temps et de la pugnacité. Le projet a le soutien total du maire d'Arras, Frédéric Leturque.

La réforme vise à rétablir une égalité pour tous les enfants. Arras compte 3 300 élèves inscrits dans le public, 26 écoles maternelles et élémentaires, 2 écoles primaires et 6 écoles privées comptant 1 500 élèves, mais qui ne sont pas assujetties à la réforme. Le constat est une baisse générale du niveau. 60 élèves sont en situation de décrochage chaque année - ce qui est énorme. 22 % des élèves ne maîtrisent pas les savoirs de base à leur entrée au collège. Arras donne l'image d'une très belle ville mais, autant au centre-ville qu'à la périphérie, et sans qu'aucun milieu ne soit épargné, elle compte des enfants en détresse d'apprentissage.

L'objectif de la réforme est que les enfants scolarisés arrivent au CM2 en maîtrisant les savoirs de base. Nous avons opté pour le mercredi matin et sa mise en place s'est effectuée à la rentrée 2013 selon deux scénarios : en maternelle, les temps d'activité péri-éducatifs (TAP) interviennent de 13 h 15 à 14 h ; dans les classes élémentaires, ils ont lieu de 15 h 15 à 16 h. Ce choix s'est fait à l'issue d'une grande concertation impliquant l'Éducation nationale, les parents, les enseignants et les associations. En maternelle, le temps de sieste devait être privilégié pour les plus petits, les moyens et les grands bénéficiant d'un temps ludique d'éveil avant de reprendre les cours. À l'école élémentaire, la fin de journée est apparue comme le meilleur moment pour mettre en place les TAP, et cela de manière consensuelle. L'adaptation de l'emploi du temps des maternelles a été plus difficile : faute d'adhésion des enseignants, nous avons mené plus de 300 heures de concertation ; l'inspection académique nous a accompagnés.

Au final, nous avons trouvé le bon tempo. Les parents sont mobilisés autour de ces choix et le conseil municipal y est favorable. Grâce à une volonté forte, la rentrée scolaire s'est faite dans de bonnes conditions. La première semaine de septembre a néanmoins été un peu compliquée, la fréquentation des ateliers (langues, sport, culture et sciences), estimée initialement à 50 %, atteignant en réalité 70 %.

S'il a fallu redistribuer les cartes, le résultat est là : les ateliers fonctionnent et les enfants sont ravis. La mise en oeuvre de la réforme s'est faite dans leur intérêt. Elle a donné lieu à des partenariats, comme avec l'Université d'Artois, pour offrir un éveil à la langue chinoise assuré par les étudiants de l'Institut Confucius, ou avec le Château de Versailles. La cité scientifique d'Arras s'est également impliquée. L'éventail de l'offre proposée est riche et tire parti du potentiel de la ville. L'aménagement d'un temps périscolaire est une ouverture pour les enfants.

Le succès de la réforme résulte des ajustements mis en place pour répondre à l'inquiétude des enseignants et des parents. Des compromis ont été trouvés pour ne pas envahir la classe, qui est l'espace des enseignants. Une communication efficace a apaisé les craintes des parents face à la multiplication des intervenants et aux questions de sécurité. Il a fallu être réactif et établir un nouvel organigramme du service éducatif de la ville. Si des ajustements restent nécessaires, les choses se passent bien, peut-être parce que notre ville moyenne dispose de richesses sur son territoire.

M. Fabrice Bailleul, directeur général adjoint en charge de la cohésion sociale à la ville d'Arras. - Après le temps de concertation, la phase opérationnelle de la mise en place de la réforme a été beaucoup plus délicate. En effet, les parents se sont impliqués tardivement dans la réforme, malgré tout le travail de communication mis en place : 1 300 familles sur 2 500 ayant des enfants scolarisés n'avaient pas fait les démarches nécessaires sur notre espace numérique pour réserver la restauration, la garderie et les TAP. Les premiers jours ont été difficiles en raison des transferts de responsabilité.

La gestion des locaux a également posé problème. Le corps enseignant était réfractaire à libérer les classes et nous ne disposions pas de salles voisines où délocaliser les TAP. Il fallait, en outre, limiter les déplacements pour des questions de sécurité. Un travail de persuasion a été mené auprès des enseignants qui nous accusaient de vouloir « désacraliser l'école », comme s'il ne fallait pas partager la maison de la République. Là où l'équipe éducative était coopérative, il a suffi d'ajustements, réalisés pour l'essentiel après la Toussaint. Les tensions se sont apaisées avec l'élaboration d'une charte de bonne conduite sur l'utilisation des salles de classe.

Aujourd'hui, la situation est maîtrisée et nous sommes dans une démarche de consolidation et d'innovation sur les temps périscolaires. Des inquiétudes persistent sur la fiabilité des équipes que nous formons et la nécessité de les reconstituer et de les reformer chaque année. L'exigence des parents sur la qualification des intervenants nous a conduits à fixer la barre trop haut, de sorte que nous nous sommes pénalisés nous-mêmes - nos modules de maternelle n'étaient pas assez ludiques. Des ajustements restent à faire.

Pour ce qui est de la gestion des services, la réforme a été une révolution. Nous avons fonctionné en mode projet, impliquant une dizaine de directions, avec un comité stratégique piloté par le maire d'Arras, et l'Éducation nationale. La transversalité a facilité la mise en application.

L'une des clefs de la réussite de cette réforme a été de ne pas perturber le quotidien des parents. Un dispositif d'accompagnement des familles a été mis en place, avec une demi-heure gratuite pour que les parents ne soient pas sous pression, en maintenant une restauration le mercredi et en assurant ce jour-là des transports des écoles vers les centres de loisirs de la commune.

Mme Pascale Massicot, adjointe au maire de Nevers. - La situation est étonnamment similaire à Nevers, où je suis adjointe à l'action éducative, depuis que Didier Boulaud a quitté la mairie en 2011 : je suis arrivée au moment de la réforme, que j'ai pris plaisir à mettre en place. Ayant obtenu le label « Ville amie des enfants », Nevers fait partie du réseau français des villes éducatrices. La réforme a été l'occasion de réaffirmer à la population la politique éducative très forte qui distingue la ville et de bien marquer les compétences obligatoires et ce qui procède de la coéducation.

En 2008, l'équipe municipale s'était interrogée sur les bienfaits du passage à la semaine à quatre jours. Une expérimentation de la semaine de quatre jours et demi avec le mercredi matin a été mise en place dans deux écoles, l'une en centre-ville, l'autre en réseau d'éducation prioritaire (REP) - alors réseau de réussite scolaire (RRS). Là, cela a été un succès, parce que nous avons offert de nouvelles activités aux enfants. En centre-ville, où les enfants se voyaient à l'inverse privés des activités qu'ils pratiquaient le mercredi matin, l'expérience s'est arrêtée au bout d'un an. Nous avons ainsi compris qu'il était nécessaire que tout le monde travaille ensemble et, s'il nous est apparu évident d'appliquer la réforme des rythmes scolaires en 2013, nous mesurions plus lucidement les difficultés de sa mise en oeuvre, en particulier pour les publics fragiles (maternelles, classes pour l'inclusion scolaire - CLIS).

L'équipe municipale s'est engagée et les politiques publiques se sont croisées dans une réflexion commune de terrain. Une des difficultés majeures de la réforme tenait aux moyens humains sollicités, un personnel qualifié, motivé et en nombre : 180 intervenants étaient nécessaires pour vingt-neuf écoles (quatorze maternelles, quinze écoles élémentaires). La ville n'offrant pas de telles ressources, nous l'avons divisée en quatre cantons, avec un système d'emploi du temps tournant.

L'implication de Nevers dans le réseau français des villes éducatrices s'est révélée utile - j'invite Arras à nous rejoindre.... Cette association forte a été le cadre d'un partage d'expériences, de comparaisons et d'échanges fructueux qui plaçaient l'enfant au coeur du débat. En cela, la réforme est une expérience enrichissante.

Cependant, la Nièvre étant un département très rural, une différenciation entre les communes reste à faire. Chef-lieu du département, Nevers dispose d'un tissu associatif riche, facilitant la mise en place de la réforme. Qu'en est-il ailleurs ?

La réforme a également été l'occasion d'entamer un dialogue positif avec l'Éducation nationale. Au lieu de parler carte scolaire ou suppression de classes, nous avons discuté coéducation et construction au service du bien-être de l'enfant. Un lien fort s'est noué avec les enseignants, invités à réfléchir à ce qui peut compléter leur projet pédagogique, afin que les enfants découvrent ce qu'ils ne peuvent pas faire durant les vingt-quatre heures hebdomadaires où ils sont en classe. L'épanouissement des enfants est privilégié.

Mme Élodie Verrysser, directrice de l'éducation à la ville de Nevers. - La réforme mise en place en septembre 2013 a nécessité une mobilisation politique importante et une collaboration participative de tous les acteurs. Malgré un calendrier ministériel serré, il fallait imaginer un fonctionnement qui colle à notre réalité.

Lors de l'expérimentation, le choix avait été celui d'une semaine de 4 jours et demi, avec une sortie à 15 h 30 et des activités périscolaires 4 jours par semaine. À l'échelle de la ville, la réforme exigeait 180 intervenants prêts à intervenir tous les soirs, ce qui n'est guère possible dans une commune non universitaire, pour des raisons financières et par manque de moyens humains. Un système tournant a donc été mis en place : une fois par semaine, la sortie se fait à 14 h 45, laissant place aux nouvelles activités périscolaires (NAP), jusqu'à 16 heures et les trois autres jours, la sortie se fait à 16 heures. L'emploi du temps se module dans les quatre secteurs de la ville. Des garderies gratuites ont été mises en place de 16 heures à 16 h 30 et une restauration est disponible pour les enfants si les parents le souhaitent.

L'expérimentation que nous avions menée pendant trois ans, avant la réforme, nous a incités à la vigilance sur l'aspect opérationnel de sa mise en place. Nous avons notamment instauré des évaluations.

Des partenariats importants ont été conclus, avec les enseignants souvent inquiets mais qui jouent un rôle de facilitateurs, avec les familles qui ont pu bénéficier d'accompagnements spécifiques et à l'intention desquelles nous avons revu nos outils de communication. Une structuration de la coéducation a été mise en place dans le territoire, et la commune s'est repositionnée comme relais entre les partenaires. Un point de vigilance demeure : la multitude d'outils dont nous disposons (projet éducatif local, projet éducatif de territoire, contrat enfance et jeunesse) nécessite de redonner une cohérence à ce millefeuille.

Nous avons maîtrisé le risque de fréquentation importante des publics : alors que les prévisions étaient de 80 %, le taux de fréquentation est monté à 90 % en octobre pour atteindre parfois 98 %, contre 10 % pour une garderie. Les enseignants nous font part de la plus-value que représente une demi-journée hebdomadaire d'apprentissage supplémentaire. Nous maintenons nos ambitions pour les maternelles, sans négliger les repérages spatio-temporels. Nous restons vigilants sur le public particulier que constituent les enfants en situation de handicap : nous manquons de visibilité sur les interventions des auxiliaires de vie scolaire (AVS) dans les temps périscolaires et la formation des intervenants.

En termes d'emploi, si la réforme a créé cinq emplois équivalents temps plein (ETP) dans la collectivité de Nevers, dans les associations les emplois restent précaires. Il convient de rester attentif à la formation de ces intervenants. Nous réfléchissons à un plan de formation global afin de croiser les compétences : nos Agents spécialisés des écoles maternelles (Atsem) ont participé à une formation proposée aux enseignants.

Du point de vue financier, des moyens importants ont été dégagés, avec une augmentation de 5 % du budget éducatif à Nevers. Nous avons dû faire face initialement à une absence d'informations de la part de certains partenaires, comme la Caisse d'allocations familiales (CAF), mais aujourd'hui les réponses arrivent.

Mme Florence de Marignan, Fédération des maires de villes moyennes. - 41 villes moyennes se sont lancées dans l'expérimentation, soit 26 %. D'après nos enquêtes, les expériences d'Arras et de Nevers sont très représentatives.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Je vous remercie pour vos témoignages, votre enthousiasme et votre ténacité.

Ma première question concerne la plage méridienne, à Arras. Comment avez-vous levé les réticences des enseignants ? Avez-vous obtenu une adhésion ou une simple neutralité ?

Quel a été le coût de la réforme pour vos villes, avant et après subventions ? Quel pourcentage représente-t-il par rapport à vos dépenses de fonctionnement ? Pourriez-vous préciser l'organisation de la semaine ? Où est l'allègement de l'emploi du temps ? Enfin, combien d'heures de classe sont organisées le mercredi matin ?

Mme Évelyne Beaumont. - À Arras, nous avons reçu l'appui très fort et pertinent de l'inspectrice de circonscription qui a convaincu ses équipes du bon sens de la réforme : avec des TAP en fin de journée, les petits n'avaient plus de temps d'école. Les difficultés restent exceptionnelles.

M. Fabrice Bailleul. - L'implication du directeur académique des services de l'Éducation nationale (Dasen) a été déterminante pour instaurer un dialogue convaincant avec les équipes éducatives, les parents et la collectivité dans les écoles où il y avait problème ; finalement, ce dernier a retenu le protocole que nous lui avions proposé.

L'impact de la réforme représente une augmentation de 12 % du budget éducatif de la ville d'Arras, soit 966 000 euros de dépenses complémentaires (72 000 euros pour la gestion du mercredi et 894 000 euros pour celle des temps périscolaires avec le recrutement de 178 intervenants). Le budget de fonctionnement de la ville est de 70 millions d'euros, le coût de l'éducation est de 7 millions d'euros. Le coût net de la réforme après subventions est de 700 000 euros. Ces subventions n'incluent pas les aides de la CAF dont les exigences représentent des contraintes administratives lourdes et coûteuses qui nous ont fait y renoncer jusqu'à présent. Nous lui demandons de faire preuve de souplesse car déclarer six centres d'accueil collectif de mineurs nécessite trois mois de travail à temps plein.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Vos coûts ne tiennent donc pas compte des 54 euros de la CAF ?

M. Fabrice Bailleul. - Non.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Avec eux, vous diminueriez les coûts de moitié.

M. Fabrice Bailleul. - C'est un tel parcours du combattant. Si vous pouviez faire quelque chose...

Mme Pascale Massicot. - À Nevers, les horaires sont organisés autour d'une division de la ville en quatre secteurs. Lundi, dans un canton, la classe a lieu de 8 h 30 à 11 h 45 et de 13 h 45 à 14 h 45, puis se déroulent les TAP. Les autres jours, les horaires sont 8 h 30 à 11 h 45, puis 13 h45 à 16 heures. Le mardi, les TAP ont lieu dans un deuxième secteur, et ainsi de suite.

Nous avons voulu laisser deux heures pour la pause méridienne. Nous ne nous sommes pas contentés de l'heure et demie de la réforme parce qu'il y a deux services dans certaines écoles. Il convenait de conserver la qualité de ce temps.

Mme Élodie Verryser. - Le budget de la ville de Nevers est de 50 millions d'euros ; 7,7 millions sont consacrés à l'éducation. La réforme a coûté 470 000 euros, soit 5 % du budget d'éducation, correspondant aux activités périscolaires et aux impacts supplémentaires, comme le chauffage des écoles le mercredi matin... Nous avons reçu 150 000 euros de subventions de l'État. Bénéficier des recettes de la CAF demande un travail administratif important.

M. Jean-Claude Carle. - Je vous félicite d'avoir réussi à mettre en place les nouveaux rythmes scolaires dans vos villes. Quels sont les freins à lever pour faire avancer les choses ? Pouvez-vous nous donner le montant des coûts par élève ?

M. Fabrice Bailleul. - À Arras, le coût par élève est de 214 euros par an.

Mme Pascale Massicot. - À Nevers, il s'établit à 180 euros.

Mme Évelyne Beaumont. - À Arras, les principaux freins ont été les espaces et le budget. La réussite de la mise en place repose sur l'adhésion des enseignants, des familles, de la collectivité et du monde associatif.

M. Fabrice Bailleul. - Il faut surtout encourager la concertation, même si c'est parfois laborieux. Un proverbe africain dit que pour qu'un enfant grandisse, il faut que tout un village s'y mette.

Mme Pascale Massicot. - Nous avons pris beaucoup de plaisir à rencontrer tous les partenaires pour élaborer ces nouveaux rythmes scolaires.

M. Jean-Claude Carle. - Quel dommage que nous ne vous ayons pas auditionnés hier...

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Nous avons discuté hier soir de la proposition de loi présentée par le groupe UMP pour assouplir la réforme des rythmes scolaires, qui a été rejetée2(*).

Je vous remercie de ces contributions qui vont nous aider dans la préparation de notre rapport.

Audition des représentants du Syndicat national unitaire d'instituteurs et professeurs des écoles et PEGC (SNUipp-FSU) et du Syndicat national des personnels d'inspections (SNPI-FSU)

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Nous recevons aujourd'hui les représentants du Syndicat national unitaire d'instituteurs et professeurs des écoles et PEGC (SNUipp-FSU) et du Syndicat national des personnels d'inspections (SNPI-FSU).

M. Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp-FSU. - Ce qui anime le SNUipp, c'est la réussite des élèves et la lutte contre les inégalités scolaires, avec des enseignants que nous souhaitons voir reconnus, disposant de conditions d'exercice du métier améliorées, ainsi que d'une certaine fierté de leur fonction.

Si nous ne nions pas les difficultés que rencontre l'école française, il nous paraît important d'avoir la capacité de valoriser ceux qui font l'école au quotidien et ce qu'elle réussit à faire, afin que cela devienne la norme sur tout le territoire.

La publication des résultats du « Programme international pour le suivi des acquis des élèves » (PISA) est dernièrement venue nous rappeler une triste réalité, que connaissent les enseignants français au quotidien. Les inégalités scolaires d'origine sociale ne cessent de se consolider.

La fracture scolaire ne se situe pas tant à l'échelon des rythmes que des territoires, ou de l'éducation prioritaire. À ce titre, nous voyons d'un très bon oeil les dernières annonces faites par le ministre pour la rentrée 2015. Ceci nous engage à réfléchir lucidement sur les changements à mener en faveur de l'école. Nous souhaitons en effet que l'école avance, et les rythmes scolaires ne peuvent être le seul levier de la transformation de l'école. Ce n'est peut-être même pas le levier prioritaire -on le voit avec les derniers résultats des enquêtes internationales et nationales.

Nous vous avons préparé un dossier assez conséquent sur cette question. Il ressort des évaluations des élèves de CE2, à l'époque où deux calendriers coexistaient, avec des écoles à quatre jours et d'autres à quatre jours et demi, qu'il n'existe pas d'effet « rythmes ». Autrement dit, on ne peut pas isoler la variable des rythmes scolaires comme seul critère déterminant la réussite ou l'échec.

C'est donc bien d'un projet global dont notre école a besoin, avec une solide formation continue des enseignants. J'insiste sur cet aspect, car c'est aujourd'hui un des manques sur lequel nous souhaitons que le ministre avance assez rapidement.

Nous pensons qu'il aurait fallu poser ensemble la question des temps d'apprentissage et celle des contenus pédagogiques. Or, il existe un certain décalage, car les programmes ne doivent pas être revus avant la rentrée 2015, et l'on sait fort bien qu'il ne suffit pas de faire paraître des programmes pour que tous les enseignants puissent les mettre en oeuvre immédiatement !

Il nous paraît essentiel de définir les priorités de notre école, et ne pas en faire uniquement une question de rythmes scolaires, ce qui serait un peu réducteur au vu des enjeux.

Pour autant, nous ne sommes pas et ne serons jamais les promoteurs de la semaine de quatre jours. Nous avons été, en 2008, la seule organisation syndicale représentative à voter contre ce décret ! Nous souhaitons la réussite de la réforme des rythmes scolaires sur tout le territoire, pour tous les élèves, et nous souhaitons qu'elle puisse bénéficier de l'adhésion de la communauté éducative. Aucune réforme ne se fera, en effet, contre les parents, ni sans ceux qui sont chargés de la mettre en musique - les enseignants !

Nous nous réjouissons à chaque fois que la réforme se met en place de manière satisfaisante, mais peut-être faudrait-il analyser les conditions de cette réussite, et étudier les caractéristiques des collectivités concernées. Elles ont souvent une expertise dans le domaine périscolaire, une taille particulière, des locaux, la possibilité de recruter des animateurs et elles ont mené une concertation approfondie avec les acteurs, notamment les enseignants. Il est important d'identifier ces points de réussite pour avancer.

D'une manière générale, le sentiment qui domine, un an et demi après que ce chantier a été lancé, c'est un sentiment de gâchis, une grande déception. Nous estimons que la généralisation de cette réforme est, à ce jour, inenvisageable, car nous constatons qu'elle n'est pas actuellement applicable de manière satisfaisante partout.

Nous ne sommes pas favorables au fait que les élus choisissent eux-mêmes d'appliquer ou non les rythmes scolaires et nous demandons le maintien d'un cadrage national. C'est une réforme de l'Éducation nationale, elle doit donc être cadrée nationalement ! Rien n'interdit, comme cela se faisait avec le décret de 1990, que des possibilités de dérogation soient offertes et discutées à l'intérieur de la communauté éducative, notamment par les conseils d'école. Ce fonctionnement était en vigueur depuis 1990 et je n'ai pas le souvenir que notre pays ait été en grande difficulté en matière de rythmes scolaires ! Nous souhaitons donc que l'on puisse se remettre autour de la table pour améliorer cette réforme et la remettre à plat.

Qu'en disent les différents acteurs ? Nous avons réalisé une enquête auprès des enseignants du premier degré, en décembre 2013. 80 % estiment la réforme nécessaire, mais rejettent celle initiée par Vincent Peillon ! Il faut admettre qu'il y a là un léger problème... Quand les choses se passent mal, on essaye de trouver des boucs émissaires. On prétend que c'est la faute des maires, parce qu'ils préfèrent les ronds-points aux enfants, la faute des directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (DASEN), parce qu'ils travaillent mal, la faute des animateurs, qui sont incompétents, la faute des enseignants, qui seraient rétifs au changement, ou la faute des journalistes, qui ne parlent que des trains qui arrivent en retard !

Nous pensons qu'il faut éviter les caricatures et admettre qu'il existe des difficultés objectives dans la mise en place de cette réforme. Si celle-ci est si bien pensée, pourquoi seulement 17 % des communes ont-elles décidé de franchir le pas à la rentrée 2013, la grande majorité ayant décidé d'attendre ? Pourquoi les projets, qui doivent remonter auprès des inspections académiques, ne remontent-ils pas de manière spontanée ? Seuls 10 % des projets sont remontés dans le département du Doubs. Dans la Creuse, douze communes ont fait remonter un projet, et 70 viennent de dire qu'elles n'en feront remonter aucun, quelle que soit leur couleur politique ! On ne compte aucun projet connu de la part de la ville de Lyon, seconde ville du pays. On dénombre seulement 85 projets dans la Drôme, alors que 233 communes doivent en présenter un pour la réforme de 2014. Ce ne sont pas là les conditions les meilleures si l'on veut une rentrée 2014 sereine, quand on sait ce qu'implique cette réorganisation pour tous les acteurs -parents, enseignants, animateurs, élus, enfants !

Ce n'est pourtant pas faute d'avoir très tôt attiré l'attention sur ces difficultés. Le SNUipp a alerté le Premier ministre par courrier, dès novembre 2012, sur cette question. Nous nous inquiétions du fait que les objectifs affichés risquaient de ne pas être tenus et de la sous-estimation de l'impact de cette réforme sur un certain nombre d'acteurs, comme les collectivités locales. Nous évoquions également la pérennisation des financements et des problèmes de locaux. Si les collectivités locales savent, en effet, accueillir 10 à 15 % des enfants, le mercredi matin, dans des centres aérés, lorsqu'il s'agit de passer à 80 % ou à 100 %, c'est une autre histoire !

L'impact sur les enseignants a également été sous-estimé. Nous n'avons pas peur de le dire, cette réforme, dans un métier extrêmement féminisé, a un impact extrêmement important en termes de coûts humain et financier.

Certaines jeunes enseignantes de région parisienne, mères de deux enfants, doivent faire tous les jours deux heures et demie de transports quotidien et faire garder leurs enfants. On ne peut éluder cette question ! Nous estimons qu'il faut l'étudier attentivement, surtout quand on sait que notre profession est considérée, en Europe, comme l'une de celles où le temps de travail est le plus élevé - 44 heures par semaine - selon l'Inspection générale de l'Éducation nationale (IGEN). C'est aussi une des professions les plus mal payées d'Europe, au regard du niveau de qualification.

Je voudrais évoquer trois points en forme de bilan. Tout d'abord, cette réforme bouscule énormément le métier d'enseignant, ce qui a été sous-estimé. En second lieu, elle a été conduite imparfaitement, alors que la pédagogie, dans un domaine d'une telle ampleur, compte beaucoup. Enfin, son cadre national est insuffisamment pensé, la rendant, de fait, largement inaboutie.

Sur le terrain, la transition entre le scolaire et le périscolaire, le partage des salles de classe, la question de la gestion du temps, n'ont pas été pensés dès le départ. Ces questions ont eu un important impact sur le métier. On n'a, par exemple, pas tenu compte du rythme des enseignants du premier degré.

Ce métier a aujourd'hui changé. Il est plus complexe, nécessite de travailler davantage en équipe, demande plus de préparation afin de différencier les approches pédagogiques, de collaborations éducatives, et de rencontres avec les parents. Tous ces points n'ont pas été suffisamment traités ni reconnus, notamment pour ce qui est des obligations de service des enseignants du premier degré. On n'a pas suffisamment laissé la possibilité de déconnecter le temps des élèves de celui des enseignants, comme dans le second degré, où une porte vient de s'ouvrir, grâce à la décharge de temps en faveur des enseignants intervenant dans le domaine de l'éducation prioritaire. Nous souhaitons que ce sujet soit abordé, car nous pensons que la conception du métier de professeur des écoles doit avancer.

Certains ont estimé que cette réforme constituait une révolution culturelle, les enseignants devant désormais travailler en partenariat. Toutefois, beaucoup de choses existaient déjà sur le terrain : 2 millions d'élèves étaient pris en charge dans le cadre du contrat éducatif local (CEL) ou du plan éducatif local (PEL) ! Quel temps a-t-on accordé aux enseignants pour élaborer et construire un projet avec leurs partenaires ? Quelle formation a-t-on offerte aux enseignants pour qu'ils puissent être des acteurs de ces différentes organisations ? Nous n'avons rien vu venir ! On a dit qu'il fallait aller vite, et les enseignants ont été malheureusement souvent laissés pour compte !

Si l'on veut réussir une réforme, il faut que celle-ci puisse recevoir l'adhésion de ceux qui sont appelés à la mettre en oeuvre et il faut pouvoir la faire partager. De ce point de vue, malheureusement, force est de constater que les choses ont été compliquées et que la profession n'a pas été véritablement consultée. En juillet 2012, quelques jours après sa nomination, le ministre de l'Éducation nationale annonçait, sur les ondes, que la semaine scolaire serait bientôt de quatre jours et demi. Il était immédiatement démenti par le Premier ministre, alors que les négociations n'avaient pas commencé. L'idée était cependant lancée, donnant le sentiment à la communauté éducative que les choses étaient déjà bouclées, alors que la démarche de négociation et le dialogue social n'avaient pas été mis en oeuvre.

Ce sentiment que la profession a été laissée pour compte demeure très vivace. Dans le décret de janvier 2013, l'avis du conseil d'école est minoré. L'Éducation nationale a produit des vade-mecum à distribuer aux familles. Elle en a émis d'autres pour les élus afin d'expliquer le bienfait de la réforme. Qu'a-t-elle produit pour les enseignants en termes de documentation ou de formation, ne serait-ce que pour leur permettre de reprogrammer les apprentissages sur cinq matinées, ou de travailler avec les partenaires éducatifs ? Il y a, de ce point de vue, un véritable manque, une véritable impasse, que nous regrettons.

Depuis le début, nous avons été les seuls à exiger une table ronde, lors des négociations nationales, entre représentants des élus, enseignants et parents. Cette table ronde, nous l'attendons toujours !

On dit qu'il est important de se parler localement. Certes, le dialogue social entre partenaires est essentiel, et on devrait progresser de ce point de vue, mais ce dialogue social n'a jamais eu lieu à l'échelon national. Le ministère a saucissonné la négociation, en discutant d'un côté avec les élus, de l'autre avec les enseignants, puis avec les parents. On ne s'est jamais réunis tous ensemble autour de la table. On aurait pu identifier ou mettre à jour un certain nombre de problèmes concrets, ce qui aurait sans doute donné lieu à un autre décret ou, en tout cas, à une autre écriture, plus adaptée à l'échelon local. Nous trouvons fort dommage de ne pas être passés par cette étape.

Le dernier élément concerne les ateliers de la refondation, auxquels nous avons participé durant l'été 2012. Un certain nombre de consensus très forts ont émergé concernant la priorité à donner à l'école primaire et la révision des programmes et des cycles, en particulier du cycle de la maternelle. Cela figure d'ailleurs dans la loi du 8 juillet 2013 de refondation de l'école de la République. Le seul atelier où le consensus s'est avéré plus nuancé était celui consacré aux rythmes scolaires. Pourtant, c'est par la réforme la moins consensuelle que le ministre a choisi de mettre sa refondation en oeuvre ! Il y a ici, de mon point de vue, une erreur de diagnostic, la refondation des rythmes scolaires n'étant pas le levier unique de la réussite des élèves.

Par ailleurs, les professeurs des écoles sortaient d'une période assez douloureuse. Tout le monde, les parents les premiers, a mal vécu les suppressions de postes et la fermeture de 1 500 classes en 2010. Cela a eu des conséquences sur les taux d'encadrement et les conditions d'apprentissage.

Lorsqu'on dit que les enseignants ne savent pas apprendre à lire aux enfants, qu'on lance des polémiques sur l'apprentissage de la lecture, qu'il n'est pas utile de former des enseignants de maternelle, cela laisse une empreinte dans le pays. Il s'agit d'une mise sur la sellette, d'une accusation contre ceux qui font l'école, qui s'y engagent quotidiennement. Les enseignants sont en quête de confiance, de sérénité, de fierté. Ce retour de la confiance, malheureusement, n'a pas eu lieu !

Quand les fondations de la maison sont solides, quand les enseignants sont reconnus, les portes s'ouvrent plus facilement. Cette étape n'a pas eu lieu, et la première mesure est une réforme bancale, qui a des incidences très fortes sur les conditions de vie professionnelle mais dont on peut se demander si elle aura des résultats directs sur la réussite des élèves.

Nous estimons que le cadre national dans lequel cette réforme s'est mise en place a été mal pensé et reste assez insatisfaisant. Il est à la fois trop rigide et trop fourre-tout. Il est trop rigide parce qu'il impose les neuf demi-journées et interdit la possibilité d'organisations intelligentes qui peuvent faire localement consensus entre parents, élus et enseignants, alors qu'elles ont fait leurs preuves, qu'elles respectent l'esprit de la réforme des rythmes scolaires et qu'elles répondent à l'intérêt des élèves.

Trop fourre-tout, le cadre national l'est également car, en dehors de l'obligation de cours sur neuf demi-journées, chacun peut faire ce qu'il veut. En Gironde, sur 74 communes, 62 ont des emplois du temps différents. On aboutit à des incohérences totales. Les besoins des enfants de maternelle ne sont pas suffisamment pris en compte, pas plus que la question de la sieste. La confusion des temps scolaires et périscolaires est préjudiciable aux très jeunes enfants qui ont besoin de repères stables et d'organisations ritualisées.

Les élèves se retrouvent tout au long de la journée sur un même lieu -la salle de classe- avec des fonctionnements différents, des règles, des intervenants différents : ce n'est pas le meilleur moyen pour aider l'enfant à se repérer entre les activités qui relèvent du temps scolaire, du périscolaire, de l'apprentissage, ou des loisirs. Ce sont des éléments qui n'ont pas été pensés, et qui sont parfois inextricables, faute d'autres solutions. Le ministère a beau mettre en place des recommandations, leur mise en oeuvre est un casse-tête !

Ce sont le plus souvent les enfants les plus fragiles, qui n'ont parfois que l'école pour apprendre, qui sont aussi les plus déstabilisés par ces organisations.

Certaines dérogations ont été accordées sur la base du décret et d'autres non. Pourquoi ? Où est l'intérêt de l'enfant ? 10 % des communes qui ont choisi de mettre la réforme en oeuvre en 2013 ont eu des dérogations pour maintenir deux journées de six heures dans la semaine, donc aussi longues qu'auparavant. Dans le même temps, la dérogation a été refusée à des projets qui ont fait leurs preuves, et qui sont dans l'esprit de la réforme, avec des journées de 5 heures 30, mais seulement deux mercredis sur trois, le troisième étant utilisé par les enseignants pour les travaux pédagogiques et le temps de préparation. Je pense à Poitiers et à Toulouse. Cette organisation existe depuis des années et fait localement consensus, mais elle est impossible à mettre en oeuvre ! Où est l'intérêt des enfants quand, dans la ville de Tours, les 45 minutes gagnées quotidiennement ont été saucissonnées en quarts d'heure et qu'on ne met en place aucun parcours éducatif nouveau ?

À l'inverse, certaines collectivités locales ont réfléchi, avec des chercheurs et des enseignants, et désirent mettre en place des organisations sur cinq matinées et trois après-midi, avec un après-midi libéré pour les parcours éducatifs. Cette organisation n'entrant pas dans le cadre du décret, on la balaye d'un revers de main ! Certaines dérogations, comme à Lille, à Lannion ou à Munster, ont été refusées, alors qu'elles sont bien plus dans l'esprit d'une réforme des rythmes scolaires que ce que l'on peut constater à Tours!

On arrive ainsi à des journées d'une durée parfois assez différente, avec des effets qui n'avaient pas été prévus au départ. C'est ce que j'appellerais les effets collatéraux de la réforme. Certains emplois du temps se révèlent à géométrie variable pour un même département, entraînant des conséquences sur l'organisation du système, notamment en matière de gestion des remplaçants, mais aussi des implications sur la possibilité donnée aux enseignants d'obtenir des temps partiels. Aujourd'hui, les temps partiels vont être limités, du fait de la difficulté à gérer la réforme localement...

Ce bilan n'est pas définitif. Nous sommes actuellement en train de mener une enquête de terrain et d'interroger les enseignants ayant appliqué la réforme en 2013, afin d'avoir leur perception professionnelle en matière d'apprentissage des élèves et de conditions de vie professionnelle. Nous la rendrons publique, car c'est notre travail d'organisation syndicale. Il ne s'agit pas de diaboliser les choses, mais de ne pas, non plus, faire dans l'angélisme. Nous continuerons donc dans cette voie.

Nous tentons également de connaître la façon dont les choses se préparent pour 2014, car nous sommes inquiets. Nous ne voulons pas d'une rentrée aussi chaotique et difficile que celle qui a eu lieu, en 2013, dans un certain nombre de communes. Or, nous avons malheureusement quelques inquiétudes à ce sujet...

Nous voudrions saluer l'engagement des enseignants et nous aimerions que le pays le reconnaisse. Si les choses n'explosent pas dans un certain nombre de collectivités locales, c'est en grande partie grâce à eux et aux directeurs d'école!

Nous pensons que ce dossier n'est pas clos, et nous plaidons toujours pour une réforme des rythmes scolaires, pour une meilleure répartition des apprentissages, et un meilleur étalement des jours de classe sur la semaine ou sur l'année, dans le respect du principe d'égalité dans l'offre éducative, de gratuité -qui a été retiré du débat- de laïcité, de qualité, avec l'assurance de financements pérennisés et de la péréquation destinée à venir en aide aux collectivités locales les plus en difficulté.

Un certain nombre d'enquêtes montrent que l'investissement des collectivités locales en direction de l'école varie d'un à dix pour les fournitures scolaires ou l'équipement informatique, sans que ce soit toujours la faute des collectivités locales. Il faut clarifier les responsabilités de chacun et assurer les financements !

Une réforme conjuguant réussite des élèves, réponse aux préoccupations des enseignants et adhésion de la communauté éducative et des parents, nous paraît importante. Quelle qu'elle soit, celle-ci ne peut se faire contre les parents, ni sans les enseignants chargés de la mettre en oeuvre, je le répète !

M. Paul Devin, secrétaire général du SNPI-FSU. - Une remarque préalable : on a toujours affirmé que l'organisation du temps scolaire, particulièrement depuis qu'elle se concentre sur quatre jours, devait être réformée. Notre organisation n'a jamais, sur le sujet, été partisane d'un statu quo.

En premier lieu, contrairement aux affirmations du film institutionnel que l'on peut visionner aujourd'hui sur le site du ministère, il ne faut pas penser que la réforme du temps scolaire conduit automatiquement à une amélioration du résultat des élèves. La première idée à combattre est cette idée d'un effet mécanique, certaines réorganisations du temps scolaire pouvant produire des effets contraires. Il faut le garder en tête : il ne suffit pas de proposer un nouveau temps scolaire, il faut s'assurer que l'organisation de ce temps scolaire sert réellement l'apprentissage des élèves !

En second lieu, la temporalité de la mise en oeuvre n'était pas adaptée aux nécessités d'une construction collective, ni l'examen de l'ensemble des paramètres qu'on devait prendre en compte. La précipitation a conduit à une mise en oeuvre qui a été davantage régie par les moyens disponibles que par des objectifs réellement construits et choisis en fonction de leur finalité. Dans un certain nombre de communes, elle a amené des constructions extrêmement fragiles, des organisations parfois à la limite du réalisable. Dans les départements où le nombre de communes partantes pour la rentrée 2013 était jugé trop faible, les DASEN ont été fortement incités à utiliser les voies dérogatoires pour faciliter les choix communaux. Certains l'ont fait, en regrettant d'être contraints de donner quitus à des organisations dont ils connaissaient pertinemment le manque de fiabilité.

Dans certaines communes, cette temporalité très courte a conduit à développer des projets identiques de la petite section au CM2. Il n'est pas nécessaire d'être spécialiste des rythmes enfantins pour percevoir l'inadaptation flagrante de certaines organisations aux plus jeunes enfants !

Certains veulent considérer que la consultation des parents d'élèves produit de manière presque mécanique une volonté démocratique qui, de ce fait, doit s'imposer. Ceci doit être relativisé, la représentativité des parents, qui contribuent à l'élaboration des projets éducatifs territoriaux, étant parfois très faible. Ces personnes obéissent souvent même plus à un entre-soi sociologique qu'à une véritable représentation des familles concernées !

De ce fait, on découvre, dans les organisations mises en place cette année, qu'un certain nombre sont très peu adaptées aux besoins des parents, et qu'elles ont très vite entraîné l'expression de fortes insatisfactions.

J'insiste sur le fait que, dans un certain nombre d'endroits, ceci a conduit à une perte de repères de certaines familles. Les organisations sont si compliquées et si différentes, parfois d'une école à l'autre, que les repères nécessaires aux familles se sont perdus dans un flou qui a contribué à brouiller l'identification des caractéristiques propres de la vie scolaire.

Nous pensons que trois axes de réforme doivent être poursuivis simultanément : l'organisation hebdomadaire, l'organisation annuelle et les programmes. Ce n'est pas le choix qui a été retenu. Le fait de reporter l'organisation annuelle handicape sévèrement la possibilité d'ouvrir à nouveau ce dossier. Pourtant, à quel équilibre pourrait-on prétendre si l'on ne prend pas en compte la dimension annuelle dans la réorganisation du temps scolaire de l'élève ?

S'agissant des programmes, il faut réussir à dépasser le conflit entre l'idée d'une réduction et celle d'une ambition forte pour tous les élèves. Il importe que la réforme des programmes actuellement en cours réussisse à supprimer les injonctions irréalistes, nées de l'empilement des contenus, sans que soit posée la question de leurs incidences sur les élèves les plus fragiles.

S'interroger sur les rythmes scolaires, c'est aussi interroger les programmes, car la question du temps scolaire est une question de relation entre le temps et les contenus d'enseignement mis en oeuvre. Souhaitons que la réforme des programmes satisfasse cette attente. Nous contribuerons à ce qu'elle y parvienne.

Quant aux conditions de travail des fonctionnaires, elles sont aussi respectables que celles de tous les travailleurs, et à ceux qui considéreraient cet argument comme trop corporatiste, il faut rappeler que beaucoup d'études montrent qu'il existe un rapport étroit entre la qualité de l'exercice professionnel et la qualité des conditions de travail. Cette temporalité très courte de mise en oeuvre a constitué un des facteurs de détérioration du quotidien professionnel des inspecteurs. Comment imaginer mener à bien un tel travail quand on est inspecteur d'une circonscription rurale d'une soixantaine de communes ? Comment mener à bien ce travail quand le fonctionnaire de l'État est considéré par l'élu comme un obstacle?

À défaut d'avoir suffisamment pris en compte les paramètres liés à la gestion des temps de service des fonctionnaires de l'État, cette réforme va être coûteuse en moyens humains. La gestion du temps de service des remplaçants qui devront intervenir au sein du même territoire dans des organisations de temps différentes présente également un obstacle. La mise en adéquation des temps partiels avec des horaires de service différents d'une école à l'autre, l'organisation de dispositifs d'animation pédagogique qu'il va falloir démultiplier, tout cela coûte du temps. Personne n'est aujourd'hui capable de chiffrer ce coût à l'échelon national, mais nous savons que si cela représente une fraction minime dans le temps de travail d'un fonctionnaire, le cumul commence à compter ! Dans les circonscriptions où les inspecteurs ont fait ce calcul, on en arrive parfois à 1 ou 1,5 équivalent temps plein (ETP). À l'échelle nationale, le chiffre n'est pas négligeable.

Un mot pour conclure sur les enjeux de la recherche d'une mise en cohérence éducative globale des différentes professions qui interviennent autour de l'enfant... La volonté de construire cette cohérence globale est légitime, mais elle ne peut amener à confondre systématiquement ce qui relève de l'État et ce qui relève de la collectivité territoriale. Or, la volonté de réussir une mise en oeuvre rapide a conduit, dans beaucoup d'endroits, à un usage de la dérogation parfois à la limite de la déréglementation. Il en résultera une forte inégalité qualitative sur le territoire national.

Il ne serait pas honnête de percevoir les réticences que nous pouvons exprimer comme des obstructions systématiques à une coopération entre le service public de l'éducation et les communes. Depuis longtemps, les inspecteurs ont démontré le contraire. Ils ont développé des actions concertées avec les collectivités territoriales, que ce soit dans le domaine de l'éducation artistique et culturelle, ou dans les domaines de l'éducation à la citoyenneté, à la santé, à l'environnement, etc.

Dans beaucoup de secteurs urbains, la politique de la ville ou la réussite éducative fournissent des exemples de coopérations très réussies, mais qui se sont construites progressivement, dans le respect des missions et des prérogatives de chacun. Vouloir affirmer que les champs d'intervention doivent rester distincts ne relève pas, comme on l'entend dire parfois, d'une stratégie de défense de pré carré, mais d'une conception de l'organisation sociale, où la dynamique des coopérations ne suppose pas la confusion des fonctions. La coéducation doit relever d'une construction conceptuelle rigoureuse, qui doit prendre en compte la complexité d'enjeux multiples et d'intérêts divergents.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Monsieur Devin, vous nous avez dit ne pas être favorable à la semaine de quatre jours...

M. Paul Devin. - Non, nous n'y étions pas favorables...

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Quel modèle d'organisation vous paraît-il cohérent, profitable aux enfants et acceptable pour les enseignants ?

Vous mentionnez l'existence de 62 projets éducatifs différents en Gironde. Nous avons, en effet, laissé le dernier mot aux conseils d'écoles qui ont choisi -et parfois modifié- les propositions des parents ou des municipalités. Les inspecteurs qui accompagnaient les enseignants ont tous fortement appuyé ces modèles auprès des élus.

Tout comme vous, nous pensions que cette réforme ne pouvait réussir que si elle était portée par les enseignants. Nous avons donc décidé de prendre en compte les arguments des enseignants...

Je crois que nous avons tous été victimes d'une surmédiatisation des rythmes scolaires, au détriment de la refondation de l'école. La scolarisation des enfants de deux à trois ans, pas plus que la création du Conseil supérieur des programmes et du Conseil national d'évaluation du système scolaire, n'intéresse les journalistes. Quand on évoque devant eux le fait que l'on compte plus de maîtres que de classes, ils rédigent un article sur les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) !

Le système médiatique s'est emparé de cette réforme pour opposer et mettre en cause parents, enseignants, élus et enfants. Nous avons bien conscience, ici, que cette réforme n'est qu'une des pièces du puzzle, mais si nous nous arrêtons là, nous ne réussirons pas la transformation du système éducatif. Heureusement, le Conseil supérieur des programmes est en marche et les programmes de primaire et de maternelle en cours de révision. On a reconsidéré le cycle de la maternelle en le rendant autonome, sans grande section à cheval avec le CP, ce qui constituait pour nous un risque de « primarisation » que nous avions déjà dénoncé il y a des années.

Il existe donc une refondation globale. Fallait-il commencer par là ou attendre ? Cela fait vingt ans qu'on en parle et que des essais ont eu lieu -contrats bleus, etc. On peut être naïf, et se dire que les esprits sont prêts : il n'en est rien...

Vous dites également qu'une cohérence globale est nécessaire, sans confusion des rôles. On a beaucoup trop parlé du hors-temps scolaire, alors que cette réforme des rythmes s'intéresse à la réorganisation du temps scolaire. Personne ne s'est jusqu'à présent posé la question de savoir ce que l'on faisait des enfants entre 16 h 30 et 18 heures... Tout d'un coup, cela devient le sujet principal ! Apprend-on mieux avec neuf demi-journées ou non ? C'est là le but de la réforme des rythmes.

Il existe des situations dans lesquelles les communes ont dû s'adapter à l'organisation de l'accueil périscolaire, qui constituait une demande sociale. De quel droit peut-on influer sur le temps social des parents ? Pour un enfant, est-il idéal d'arriver à la garderie à 7 heures du matin et d'y rester jusqu'à 18 h 30, avec, au milieu, une journée d'enseignement ? On est obligé de faire avec, et les mairies ont fourni des réponses à la demande sociale...

La réforme Chatel a ajouté une demi-heure de soutien scolaire aux enfants, entre midi et 14 heures. Avez-vous pris position sur ce point ? Y a-t-il eu une évaluation du bienfait de cette mesure par rapport au respect du rythme de l'enfant et à l'objectif de réussite ?

Vous appelez de vos voeux une table ronde nationale, mais ne faut-il pas également tenir compte des particularités? Vous déplorez, enfin, l'absence de négociations. Les enseignants n'ont-ils pas obtenu une heure de moins sur leur temps de travail pour favoriser la concertation ?

M. Sébastien Sihr. - J'ai énormément de respect pour les chronobiologistes, mais il faut sortir de l'idée qu'il existe un enfant modèle qui se lève tous les matins et se couche tous les soirs à la même heure ! Certains enfants arrivent dès 7 heures à la garderie ; d'autres, qui se lèvent une heure plus tard, arrivent à 8 h 20. Les horaires de l'école ont beau être les mêmes, ils n'ont sans doute pas tous la même vigilance quand, à 9 heures du matin, commence la séance de lecture !

Les temps scolaires sont avant tout des temps sociaux et cela implique une certaine organisation pour les familles. On voit bien qu'il s'agit d'un véritable sujet. À ce titre, nous plaidons pour qu'il existe des réflexions sur l'articulation entre le temps scolaire, le temps éducatif et le temps périscolaire. C'est déjà le cas dans un grand nombre de communes, et nous souhaitons que notre école avance dans ce domaine, qu'il s'agisse du temps scolaire, de la pause méridienne, de la cantine, ou de la qualité des locaux... Le repas pris dans le bruit est-il véritablement réparateur, quand on reprend l'école à 13 h 30 ? Ce n'est pas qu'une question d'horaires !

Nous aurions souhaité pouvoir en discuter nationalement avec les représentants des élus et des parents. Or, ce temps-là n'a pas eu lieu, même s'il y a bien eu des discussions segmentées. Je ne sais pas ce que le ministre de l'Éducation nationale a dit aux collectivités locales, en novembre, à propos des trois heures hebdomadaires qu'il fallait prendre en charge. Pourtant, c'est bien ce qui se passe localement, lorsqu'on demande aux élus, aux enseignants et aux parents de se mettre autour de la table pour essayer de construire une organisation des temps la plus opérationnelle possible ! Pourquoi cette étape-là n'a-t-elle pas eu lieu à l'échelon national ? Je le regrette, car je l'avais demandé.

Si cette étape avait eu lieu, nous aurions sans doute pu identifier un certain nombre de problèmes de mise en oeuvre et trouver des réponses qui auraient pu se décliner, d'un point de vue réglementaire, dans un décret différent. On peut allègrement dire que c'est la faute des journalistes si la réforme ne passe pas. Je sais que tel n'est pas votre propos...

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - J'ai parlé de la médiatisation. On a évoqué le sujet des rythmes scolaires plus que le reste de la refondation!

M. Sébastien Sihr. - Certains sujets sont effectivement plus médiatiques que d'autres. On peut faire plus facilement la Une du 20 heures avec les rythmes scolaires, sujet de société, qu'avec la mise en place du Conseil supérieur des programmes ou la refonte des cycles. Ce n'est pas de notre fait si, aujourd'hui, les mots « rythmes scolaires » sont synonymes du mot « refondation », et que le reste demeure sous le tapis ! Nous avons été les premiers à regretter d'être passés à côté de véritables sujets, comme la réussite des élèves, l'éducation prioritaire, les conditions d'exercice du métier ou la formation continue.

Ce sont des sujets que nous avions mis sur le devant de la scène dès les ateliers de la refondation. On s'est mis à parler davantage de périscolaire que de scolaire. J'ai le souvenir d'une interview du ministre de l'Éducation nationale, dans le Monde d'octobre 2012, qui affirmait : « Aucun enfant ne sera dehors avant 16 heures 30 ! ». Il s'engageait, avec des journées scolaires raccourcies, à ce que les collectivités locales prennent en charge ce nouveau temps périscolaire. Ce ne sont pas les enseignants, ni les organisations syndicales, qui ont mis cette question sur le devant de la scène, mais bien le ministre lui-même ! C'est un sujet, et nous souhaitons que des possibilités soient offertes aux enfants dans la journée mais, en l'occurrence, le « la » était donné...

Durant des mois, les médias se sont concentrés sur les collectivités locales, qui affirmaient que l'on ne pouvait leur imposer la mise en place du périscolaire, ni sa gratuité. Or, ces engagements avaient été pris par le ministre.

Les conditions que vous sembliez dénoncer, à juste titre sans doute, sont des conditions qui ont été, en quelque sorte, imposées au départ par le ministère. Nous sommes les premiers à le regretter. Cela contribue au gâchis et au sentiment de grande déception dont je parlais. Si la réforme des rythmes scolaires ne reçoit pas l'adhésion du plus grand nombre, notamment des parents, nous ne nous en satisfaisons pas ! Partir du mauvais pied, c'est fragiliser la suite des réformes. Or, nous voulons que cela fonctionne, que le fait d'avoir plus de maîtres que de classes permette la différenciation pédagogique, et que les dispositifs adaptés montent en puissance dans l'éducation prioritaire. Nous voulons que les enseignants puissent avoir droit à la formation continue. Nous voulons des programmes stabilisés une fois pour toutes, afin qu'on ne change pas tous les trois à quatre ans. Nous souhaitons que les choses aillent dans le bon sens, mais nous ne désirons pas que le dispositif soit fragilisé par une réforme qui occupe tout l'espace et qui écrase tout !

Enfin, nous ne connaissons à ce jour aucune recherche approfondie sur ce que sont les bons rythmes pour les enfants. C'est une variable que l'on n'arrive pas à isoler. C'est un élément parmi tant d'autres qu'il faut prendre en compte. On repense le temps scolaire, et l'on décide de voir les programmes plus tard. Peut-être aurait-on eu intérêt à faire les choses en même temps ! Nous pensons que toutes les écoles ne doivent pas être mises sous la même toise.

Je le répète, avant 2008, différents systèmes coexistaient. La règle générale était une école à quatre jours et demi, comprenant le samedi matin. Deux jours sans école, cela se discute. Pour les enfants des familles les plus fragiles, ceci constitue une coupure. Les chronobiologistes estiment que ce n'est pas bon. L'académie de médecine également. Ils préfèrent le samedi matin. Pourtant, dans le décret, le samedi matin est une dérogation, loin d'être acceptée par tout le monde !

Je rappelle qu'avant 2008, on prenait sur les grandes vacances, et qu'on étalait les jours de classe sur des jours pris sur juillet et août. Ce n'était pas un drame, et un consensus s'était construit autour de cette règle générale et de ces dérogations locales. 25 % des élèves, avant 2008, étaient sous un système dérogatoire.

C'est dans cet esprit que nous souhaitons avancer. Nous pensons que la règle des neuf demi-journées est aujourd'hui un carcan trop rigide. C'est celui-ci qu'il faut assouplir, en fonction des réalités locales. Dans la Creuse, 70 maires, quelle que soit leur couleur politique, n'ont fait remonter aucun projet, au prétexte qu'ils n'auront pas les moyens de mettre en place la réforme telle qu'elle se présente. On ne peut que s'interroger, car la rentrée 2014, c'est demain !

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Vous affirmez donc qu'avant 2008, on comptait quatre jours de classe, plus une demi-journée le samedi matin...

M. Sébastien Sihr. - Non. Avant 2008, la règle était de quatre jours et demi, lundi, mardi, jeudi, vendredi, samedi matin, mais avec deux samedis sur trois, un samedi étant libéré pour les familles, dans le cadre de la réorganisation des obligations de service d'enseignant...

Par dérogation, 25 % des élèves français étaient sous un régime dérogatoire, avec quatre jours, mais moins de vacances d'hiver, de printemps et d'été. Ils finissaient plus tard en juillet et reprenaient plus tôt en août.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Quel était le temps global des enseignants ?

M. Sébastien Sihr. - On était alors sur 26 heures...

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Aujourd'hui, on imagine un aménagement du temps sur 24 heures...

M. Sébastien Sihr. - Vous avez raison. C'est précisément un avantage...

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - On ne peut donc pas reprendre le modèle.

M. Sébastien Sihr. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. Ce n'est d'ailleurs pas possible. Avant 2008, les journées de classe étaient de six heures. Demain, elles pourraient faire cinq heures trente. On serait dans l'esprit de la réforme, qui veut alléger le temps scolaire. On a fait le calcul. L'esprit de la réforme n'est pas respecté par un grand nombre de collectivités locales, les dérogations pour maintenir des journées à six heures étant possibles. Si cela fait consensus, tant mieux, mais on ne peut, d'un côté, revendiquer l'intérêt des enfants et, de l'autre, tolérer ces arrangements.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Notre modèle étant de revenir à 5 h 30, on retrouve ces demi-heures d'activités périscolaires, où les enfants sortent une demi-heure plus tôt !

M. Sébastien Sihr. - Nous ne sommes pas les promoteurs d'une école qui s'emmurerait, pour laquelle il ne faudrait pas d'articulation avec le temps périscolaire ! Des journées de 5 h 30 ne nous empêchent pas de réfléchir et de continuer à mettre en place des temps périscolaires riches pour le plus grand nombre d'élèves ! Il faut avancer sur ce sujet, mais aussi respecter une certaine cohérence. Pourquoi une demi-heure ? Il faut étudier la question...

Dans certains endroits, l'école finit à 16 h 15 au lieu de 16 h 30, et on n'offre aucune activité périscolaire nouvelle !

M. Paul Devin. - Vous vous étonniez, Madame, que l'on puisse à la fois revendiquer notre attachement à quatre jours et demi, tout en essayant de vous faire partager nos craintes. Je ne vois pas en quoi ces deux éléments ne pourraient pas être parfaitement cohérents !

Nous ne prétendons pas qu'il ne fallait pas faire cette réforme, mais il existe aujourd'hui un certain nombre de questions à propos desquelles nous avons des inquiétudes.

Certaines organisations doivent être acceptées, alors que tout le monde sait qu'elles ne sont ni viables, ni cohérentes avec les objectifs fondamentaux de la réforme. Il fallait, en effet, qu'un nombre minimum de communes puissent passer, dès la rentrée dernière, à un nouveau dispositif. Il me paraît légitime que des inspecteurs de l'Éducation nationale (IEN), à propos d'une telle question, manifestent devant vous leurs appréhensions. Cela ne veut pas dire que, sur le fond, c'est incompatible avec le fait qu'on puisse considérer nécessaire de repenser la question des rythmes.

Nous nous inquiétons de la confusion des rôles qui peut survenir entre les différents temps. Certaines familles, certains enfants, certains professionnels y perdent aussi leurs repères : cela ne veut pas dire que l'on pense que l'école doit être cloisonnée dans ses horaires.

Ainsi que j'ai essayé de le dire tout à l'heure, nous travaillons depuis des années à la construction de projets, en coopération avec les collectivités territoriales, projets qui ont montré qu'ils pouvaient fonctionner dans le cas de la politique de la ville, de la réussite éducative, des actions culturelles mises en oeuvre par les municipalités. Alerter sur des risques liés à un certain nombre de constructions hâtives qui entraînent la confusion, ce n'est pas remettre en question l'idée que nous devions cheminer vers une prise en charge mieux concertée et plus globale du temps éducatif des enfants !

Nous pensons cette réforme légitime, et le sujet du temps scolaire, en France, doit impérativement être questionné. Pour autant, la manière dont cela s'est fait n'écarte pas que l'on puisse être inquiet sur bon nombre de points !

Mme Françoise Laborde- Françoise Cartron et moi-même avons été directrices de maternelle jusqu'en 2008, avant d'être sénatrices. On parle du métier, de la reconnaissance des parents, des enseignants, des syndicats, des DASEN, mais on parle peu des enfants !

M. Paul Devin- C'est la réussite des élèves que l'on a en tête !

Mme Françoise Laborde- Paris était à quatre jours et demi jusqu'en 2008. Beaucoup de choses sont venues de Paris, grande ville, ville reconnue. Toulouse est restée à quatre jours et demi, on n'en a pas parlé ! On aurait pu alors passer du samedi au mercredi. Les ratées ont donc lieu à toutes les époques !

Vous dites qu'on peut se rassurer à bon compte en rejetant la responsabilité de l'échec de la réforme sur les journalistes. On peut aussi dire que tel ou tel DASEN est plus raide que les autres !

Mme Marie-Annick Duchêne. - Êtes-vous favorable à la semaine de quatre jours et demi, comme c'était le cas auparavant ?

En second lieu, désirez-vous que l'on procède à des expérimentations locales ou nationales et, si elles ne sont pas concluantes, que l'on s'arrête là ?

M. François Fortassin- Sur le plan de la forme, j'ai trouvé les différents exposés d'une grande qualité.

Cependant, sur le fond, je suis étonné qu'à aucun moment vous n'ayez dit que cette réforme a une tonalité républicaine fortement affirmée !

Ce type de réforme existe parce qu'il y a des enfants. C'est aussi la raison pour laquelle il y a des enseignants. Or, vous avez passé les enfants sous silence. Cela me gêne un peu car, dans une vie antérieure, j'ai également été enseignant !

M. Alain Fauconnier. - Vous avez parlé de cadrage national et regretté l'absence de réunion préliminaire pour échanger entre les différents partenaires. J'ai cru comprendre que vous n'étiez pas hostiles à une déclinaison locale adaptée. Cette méthode concerne-t-elle la pédagogie, coeur de votre métier, ou doit-on aller vers des champs extérieurs à l'école, concernant par exemple ce qui se faisait avant la réforme, dans le cadre des CEL, des contrats enfance, etc. ?

D'autre part, comment voyez-vous le lien entre le métier d'enseignant et le conseil d'école ? Y percevez-vous des évolutions ?

Enfin, je n'ai pas encore compris ce que vous proposiez concrètement en matière de rythmes scolaires, en tant que grande organisation syndicale. On en est resté aux généralités. Que suggérez-vous donc ?

J'ai eu ce débat dans ma ville avec vos collègues. Nous avons échangé, mais ils sont restés sur leur position. La réforme a néanmoins été mise en place, parce que ce sont des républicains. Les choses se passent fort bien.

Je suis également enseignant. Ceux avec qui je discute rejettent l'échec de la mise en place de la réforme sur les enseignants. Cela me peine, s'agissant de mon ancien métier. Je voudrais que vous disiez clairement les choses...

Mme Françoise Cartron, rapporteure- Vous nous avez dit qu'aucune étude n'avait démontré d'effet « rythmes », donc prouvé la nocivité de la semaine de quatre jours. Dans ce cas, pourquoi êtes-vous contre ?

M. Sébastien Sihr. - Il n'existe aucune étude, c'est un fait. C'est à ce titre que nous avons demandé au ministre de diligenter des recherches sérieuses pour étudier la façon dont se déroulent ces nouveaux rythmes scolaires lorsqu'ils sont mis en place, afin de connaître leur impact sur les apprentissages des élèves et les conditions de vie des enseignants.

Je suis par ailleurs très ouvert au débat, mais nous ne pouvons accepter que l'on dise que nous ne tiendrions pas compte de l'intérêt des enfants...

Mme Catherine Troendlé, présidente- Personne ne vous fait ce procès. Nous sommes très heureux que vous apportiez un éclairage à notre rapport !

M. Sébastien Sihr. - L'intérêt des élèves est notre seul but. C'est d'ailleurs par là que j'ai commencé mon exposé liminaire. L'engagement d'un enseignant est de permettre la réussite des élèves, sans n'en laisser aucun sur le bord de la route ! Le rôle d'une organisation syndicale est de porter une certaine conception du métier, des valeurs républicaines, des valeurs de réussite. Cela a toujours été la ligne de conduite de mon organisation. Nous travaillons avec des chercheurs pour améliorer la réussite des élèves. Tous les ans, nous organisons des universités d'automne, au cours desquelles nous réunissons une trentaine de spécialistes des questions de l'éducation, et travaillons énormément dans ce domaine. Nous sommes une des seules organisations à produire des savoirs professionnels sur ce thème. Pas de faux débats entre nous, donc !

Bien évidemment, on ne peut décliner un modèle unique. Nous pensons qu'il faut un cadre national général, qui s'appuie sur quatre jours et demi, et non sur neuf demi-journées, qui constituent un cadre trop contraignant.

Ceci pourrait autoriser des organisations aujourd'hui interdites par le décret, avec cinq matinées d'école, trois après-midi d'école et des parcours éducatifs sur un après-midi, au lieu de 45 minutes tous les soirs, ou même parfois uniquement de la garderie ! Ceci ne change rien pour les familles, mais le contenu du temps est différent ; on libérerait un après-midi pour des parcours éducatifs de trois heures. En trois heures, on peut mettre en place des choses qui tiennent bien mieux la route !

Notre cadre général est donc basé sur quatre jours et demi avec, comme avant 2008, des possibilités de dérogations. Reprenez le décret de 1991 qui, sous Lionel Jospin, avait fait consensus ! On a donc des journées de 5 h 30, on étale mieux les jours, non sur la semaine, mais sur l'année. On aurait alors un cadre national bien plus clair. Le consensus se fait autour des possibilités de dérogations. C'est l'esprit de la réforme, notamment pour ce qui concerne les amateurs. Vous évitez ainsi de précariser l'emploi. Aujourd'hui, le décret ne le permet pas !

Mme Claire Bordachar, secrétaire nationale. - L'une des grandes nouveautés de cette réforme est d'avoir donné le pouvoir de décision aux maires. Dans les textes, ce sont eux qui font des propositions. Dans certains endroits, les conseils d'école n'ont pas été écoutés, et même si les DASEN ont pu parfois demander des médiations afin de prendre en compte l'avis des enseignants, on s'est retrouvé avec des organisations imposées du fait de choix politiques. Lorsque, d'entrée de jeu, le conseil général fixe les horaires des transports scolaires, où est la marge pour le conseil d'école ? Il n'y en a pas !

Certains maires ont évidemment pris des décisions de manière collective et, fort heureusement, ont même pu associer les parents, les enseignants, et l'ensemble des parties.

Notre profession a pu se sentir déstabilisée. Nous sommes des fonctionnaires d'État, nous évoluons dans un cadre national. Nous avons toujours travaillé avec les maires. Le conseil d'école a toujours été un lieu d'échanges en matière de locaux, de moyens, de projets. Il s'agit toutefois d'une nouvelle donne et nous avons essayé d'attirer l'attention sur l'importance du conseil d'école pour amener davantage de complémentarité entre les différents temps scolaires, tout en respectant les missions de chacun.

Nous pensons que, s'il faut davantage de péri-éducatif pour assurer une égalité et une qualité de ces temps à travers le territoire, il faut un financement de l'État et un système de péréquation, afin que ce soit l'intérêt de l'enfant qui détermine l'organisation, et non les contraintes financières.

Il faut aussi que, sur le temps de service des enseignants, mais aussi des animateurs et des autres intervenants, l'institution donne du temps pour qu'on se rencontre et qu'on travaille ensemble sur les projets. Nous continuerons ainsi à être dans le partenariat. Ce qui s'est fait de manière volontaire, voire volontariste depuis vingt ans dans certains endroits, il faut l'étendre à tout le territoire, avec le temps nécessaire pour le réaliser.

Les PEL et les CEL ont pris du temps à se mettre en place. Ici, on a l'impression qu'il faut tout faire en un an. Dans certains endroits, les partenaires ne sont pas forcément convaincus, et n'ont pas eu le temps de discuter. À la rentrée dernière, on a très rapidement pointé certaines aberrations en matière de fonctionnement, car on n'avait pas encore repéré toutes les problématiques.

J'ai essayé d'expliquer, au Comité de suivi de la réforme, l'importance des locaux pour les enseignants. Il faut en effet savoir ce que représente le travail d'une enseignante ou d'un enseignant, qui doit faire des expositions, procéder à des affichages, continuer à travailler après l'école dans sa salle de classe. Des chartes apparaissent dans certains endroits. Certaines choses devront être mutualisées pour améliorer le travail avec les collectivités.

Pour lors, tout repose sur la bonne volonté des enseignants, des animateurs, et nous n'arrivons pas avoir une culture commune, à partager nos expériences. C'est ce qui a engendré les incompréhensions qu'on a pu constater çà et là. Cela peut être dépassé, si la volonté politique est au rendez-vous !

Dans le cas contraire, les écueils continueront à exister. Dans certains endroits, la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) a listé des difficultés qui ne donnent lieu à aucune proposition d'aménagement. Certains personnels sont en souffrance mais, plus grave, les enfants ne peuvent bénéficier de ce qui a été fait pour desserrer la semaine de six heures de M. Darcos, qui alourdissait la journée de classe. C'est bien de celle-ci dont nous parlons...

M. Alain Fauconnier. - J'ai bien compris que vous n'avez aucune hostilité à l'encontre de cette réforme, à condition d'obtenir la reconnaissance des horaires consacrés à la concertation. Lorsque j'ai mis la réforme en place à Saint-Affrique, vos collègues ont assisté à de multiples réunions dont les heures ne leur ont pas été décomptées...

M. Paul Devin. - C'est justement parce que la question des valeurs républicaines nous paraît incontournable dans les questions éducatives, parce que la réussite de tous les élèves nous semble constituer un enjeu fondamental, que nous devons tous partager, que nous croyons nécessaire de vous faire part d'un certain nombre d'inquiétudes.

Certains ont dit que cette réforme aurait dû être davantage centrée sur la question scolaire, mais ce n'est pas nous qui avons choisi que la question des projets éducatifs territoriaux (PEDT) soit soulevée en même temps. La question des rythmes scolaires s'est immédiatement articulée avec la question du rôle des élus locaux dans la politique nationale de l'éducation. Ce n'est pas notre choix. Il s'est imposé à nous, à un moment où l'on aurait pu penser que la question de la réforme des rythmes ne cherchait qu'à régler des problématiques techniques. C'est devenu une question tout à fait différente et, de ce fait, très fortement politique.

Peut-être concède-t-on un certain nombre de choses trop rapidement parce qu'il faut s'organiser vite et permettre que des communes mettent cette réforme en place. C'est peut-être fondamentalement contradictoire avec les valeurs et les objectifs fondamentaux que j'évoquais il y a un instant ! C'est pourquoi il est légitime que nous vous alertions sur ces questions !


* 1 Séance plénière du Sénat du 21 janvier 2014 sur la Proposition de loi visant à affirmer la liberté de choix des maires quant à l'organisation des rythmes scolaires dans l'enseignement du premier degré, déposée par MM. Jean-Claude Gaudin, Jean-Claude Carle et plusieurs de leurs collègues [ndr].

* 2 Séance plénière du Sénat du 21 janvier 2014 sur la Proposition de loi visant à affirmer la liberté de choix des maires quant à l'organisation des rythmes scolaires dans l'enseignement du premier degré, déposée par MM. Jean-Claude Gaudin, Jean-Claude Carle et plusieurs de leurs collègues [ndr]