Mardi 25 février 2014

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

La réunion est ouverte à 15 h 03.

Audition de M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES)

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je vous souhaite la bienvenue parmi nous. Le CNES est assurément l'une des plus belles réussites de l'aventure spatiale française et européenne. Il est, avec Arianespace, l'un des moyens, pour nous Européens, de maintenir notre capacité autonome d'accéder à l'espace. N'oublions jamais que c'est parce que cette autonomie nous était refusée, qu'ont été développés les moyens spatiaux français - en particulier la fusée Diamant. N'oublions pas non plus que sans les vecteurs de la force de dissuasion française il n'y aurait pas de fusée Ariane. La synergie entre recherche civile et recherche militaire est ici une donnée clef.

J'ai une seule question à vous poser. Elle concerne évidemment les résultats de la réunion interministérielle de Naples de l'an dernier. À Naples, les Etats membres de l'Agence spatiale européenne ont décidé en quelque sorte de ne pas choisir entre faire Ariane 5 ME et Ariane 6 et de faire les deux dans l'ordre. C'est un schéma idéal. Mais il suppose que nous soyons capables de financer les deux solutions : Ariane 5 ME dont je comprends qu'elle est une version plus performante d'Ariane, comme le souhaitaient les Allemands et qui continue à envoyer deux satellites à la fois. Et Ariane 6 qui est un nouveau lanceur, dont la différence principale est qu'elle est mono-charge, ce qui veut dire qu'elle sera beaucoup plus souple d'emploi, puisqu'on pourra effectuer des tirs, même si l'un des satellites n'est pas prêt. Cette souplesse d'emploi semble bien une condition nécessaire pour faire face à la vive concurrence des lanceurs américains Falcon 9.

Je vous pose donc cette question : aurons-nous les moyens et le temps de tout faire ? Sachant que l'industrie de pointe est rarement en avance sur les délais et les coûts : que ferons-nous si ça se passe mal ? Que se passera-il si Ariane 5 ME n'est pas au rendez-vous ? Que se passera-t-il si Ariane 6 prend trop de retard ? N'aurait-il pas fallu faire un choix plus clair et aller tout de suite vers Ariane 6 ? Je suppose que tout cela sera débattu à la réunion interministérielle de l'automne prochain qui se tiendra au Luxembourg. Pouvez-vous nous éclairer sur ses enjeux ?

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES) - Le programme Ariane est un succès incontestable de l'Europe : depuis 1979, où les sceptiques étaient nombreux, 216 lancements ont été effectués, dont 72 par Ariane 5 - qui a établi le record de 58 succès d'affilée. Ce programme tout entier est à mettre à l'actif de la recherche, de l'industrie, mais aussi de la politique française et européenne. Le devenir du lanceur européen est une question éminemment politique ; la France y réfléchit de manière prépondérante. La dernière conférence ministérielle de l'ESA -qui compte 20 Etats membres, au premier rang desquels la France, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni- s'est tenue à Naples en novembre 2012, la prochaine aura lieu à Luxembourg en décembre prochain.

À Naples, il y a effectivement eu un débat sur l'avenir du lanceur européen, alors que se profilait le retour de la concurrence et qu'Ariane 5, conçue dans les années 1980, paraissait devoir être modernisée. L'Agence spatiale européenne (ESA) a proposé Ariane 5 ME, qui est une version plus puissante d'Ariane 5 et dont l'étage supérieur peut être éteint et rallumé. De son côté, la France, dès 2009, avait lancé une réflexion sur l'avenir du lanceur européen à plus long terme, le Premier ministre avait alors confié une mission en ce sens aux dirigeants du CEA, de la DGA et du CNES, qui avaient notamment alerté sur le retour prochain de la concurrence et la nécessité de développer une nouvelle génération de lanceur européen, ce qui a donné naissance à Ariane 6. En préparation de la réunion de Naples, il y avait donc effectivement deux options pour l'avenir : une modernisation d'Ariane 5, avec la version ME, et le développement d'Ariane 6, capable de proposer des mises en orbite à moindre coût.

M. Jean-Louis Carrère, président. - On a parlé de low cost.

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES) - Pour la mise en orbite, mais pas pour les services. Des études ont été effectuées pour la conférence de Naples, l'ESA tablant sur une Ariane 5 ME pour 2018 et la France sur une Ariane 6 pour 2021. À Naples, un compromis a été trouvé, consistant à continuer l'exploitation d'Ariane 5 dans sa version actuelle et à mettre à l'étude les deux versions d'Ariane 5 ME et d'Ariane 6, pour prendre une décision ferme en décembre 2014 à Luxembourg. Depuis quinze mois, les études ont bien avancé. L'ESA a confirmé l'hypothèse du lancement d'Ariane 5 ME pour 2018 ; quant au scénario Ariane 6, les hypothèses centrales de coût -3 milliards d'euros pour le développement et 70 millions d'euros par lancement- viennent d'être validées par les industriels, c'est un pas très important. En revanche, le retour de la concurrence, en particulier américaine avec l'offensive de SpaceX et de son lanceur Falcon 9, rend nécessaire d'augmenter le soutien public à l'exploitation de la version actuelle d'Ariane 5.

Dans ces conditions, la poursuite de tous les programmes paraît difficile à concilier avec les positions budgétaires des différents Etats membres de l'ESA. L'Allemagne soutient Ariane 5 ME, qui lui paraît le meilleur lanceur face à la concurrence américaine et aussi, il ne faut pas se le cacher, parce que ce scénario est plus favorable à sa propre industrie. Nos voisins d'Outre-Rhin ont cependant pu manquer de cohérence en retenant, comme ils l'ont fait, Falcon 9 pour le lancement de leurs propres satellites gouvernementaux d'observation... Nous allons voir à présent comment les choses évoluent avec l'arrivée de la nouvelle coordonnatrice spatiale pour la partie allemande. L'Italie, de son côté, soutient Ariane 6, parce que le nouveau lanceur utilisera de la poudre, grande spécialité de l'industrie italienne ; cependant, la situation gouvernementale italienne, les changements récents intervenus à la tête de l'ASI, laissent planer des incertitudes.

La plupart des autres Etats membres, ensuite, comprennent bien l'utilité qu'il y a d'avancer vers Ariane 6. La France, enfin, est à l'origine d'Ariane 6, mais elle est également très attentive aux conséquences d'un changement de lanceur sur son industrie, ce qui la pousse, à ce stade, à financer l'exploitation d'Ariane 5 dans sa version actuelle, le développement de ME et aussi celui d'Ariane 6 ainsi qu'à rechercher la meilleure voie pour passer d'un lanceur à l'autre. Aujourd'hui, toutefois, il faut bien être conscient que le compromis trouvé à Naples, consistant à tout faire, ne semble pas tenable sur le plan budgétaire, compte tenu des limites imposées par les Etats membres. Nous devrons donc recourir à un scénario alternatif pour tenir nos objectifs stratégiques - maintenir notre accès à l'espace, un plan de charge conséquent pour nos bureaux d'études et tenir nos engagements budgétaires. Ce dossier de l'avenir du lanceur européen a donc bien avancé, au-delà même de ce que j'imaginais en prenant mes fonctions et je me félicite que les hypothèses financières initiales viennent d'être validées par les industriels, dans les offres qu'ils ont remises le 14 février. L'arrivée de la concurrence américaine s'est confirmée, faisant évoluer l'environnement plus rapidement que prévu : SpaceX, avec son lanceur mono charge Falcon 9, vient de réussir trois vols -le 29 septembre, le 3 décembre et le 6 janvier derniers- et signe des contrats à des prix bien en-deçà d'Ariane 5 ; comme nous avons déjà réduit considérablement nos coûts, nous pouvons difficilement diminuer nos tarifs sans un supplément d'aide publique, ce qui ne pourrait se faire, à enveloppe constante, sans limiter l'aide aux autres parties du programme d'ensemble. Car c'est une donnée déterminante du dossier : les difficultés de la conjoncture se traduisent par une pression très forte sur notre budget, particulièrement en France.

M. Jean-Louis Carrère, président. - A combien revient le lancement avec Ariane 5 ?

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES) - Le coût de lancement d'un satellite est d'environ 100 millions d'euros et après subvention des Etats membres, de 100 millions de dollars, contre 60 à 70 millions de dollars pour le Falcon 9 de SpaceX. C'est pourquoi nous avons fixé l'objectif d'Ariane 6 à 70 millions d'euros par lancement, en comptant sur notre avantage de fiabilité pour être compétitifs. Nous héritons d'une forte expertise, nos capacités d'études sont largement reconnues, notre carnet de commandes est important : je suis convaincu que nous parviendrons à nos objectifs.

M. Bertrand Auban. - Le dossier du lanceur européen et des politiques spatiales en général, mêle un grand nombre de sujets, en particulier la souveraineté, l'indépendance, les questions de recherche, d'industrie ; en 1979, lors du premier lancement d'Ariane, les chefs d'Etats européens voulaient ne pas dépendre des deux superpuissances dans la Guerre froide : le contexte a bien changé depuis, mais l'enjeu reste le même, celui de l'indépendance stratégique. L'Europe spatiale s'est donc construite avec des partenaires incontournables, mais aussi des différences entre les Etats qui s'y sont engagés, des différences qui peuvent se traduire par des divergences ; à Naples, il y a eu un compromis, avec des éléments très positifs puisque les Etats ont décidé d'injecter 10 milliards d'euros, c'est loin d'être négligeable ; cependant, cela a été beaucoup dit, il a manqué une vision, de l'audace pour l'Europe spatiale, alors que nous devons, à l'évidence, moderniser notre outil.

Les pays émergents ne paraissent pas directement menaçants, mais il faut se méfier ! Il y a dix ans, nous ne prenions pas très au sérieux la menace d'un retour des Américains sur le marché des lanceurs : aujourd'hui, SpaceX est là, qui nous oblige à nous adapter. Cette entreprise bénéficie des commandes publiques américaines, qui lui permettent des prix très agressifs sur le marché, alors que la commande publique ne dépasse pas 30% du volume chez Ariane, c'est une donnée importante. Il y a aussi des enjeux très techniques, avec des conséquences industrielles décisives, par exemple la propulsion électrique et c'est effectivement pour des raisons de retombées industrielles que l'Allemagne s'arc-boute sur Ariane 5 ME. Pour notre commission, les enjeux du lanceur européen ne sauraient donc se réduire aux aspects industriels et commerciaux, car ce sujet est au coeur des questions d'indépendance et de souveraineté.

M. Jean-Pierre Chevènement. - M. Le Gall peut-il nous présenter le budget prévisionnel d'Ariane 6, en précisant les contributions déjà acquises et la part de chaque pays contributeur, en particulier celle de la France ? De même pour Ariane 5 ?

M. Jean Besson. - La Chine vous paraît-elle capable de proposer bientôt un lanceur à prix compétitif ? Des pays émergents seraient-ils susceptibles d'utiliser des lanceurs chinois ?

M. Jacques Gautier. - SpaceX vend à prix fort des lancements à la Nasa et à l'armée de l'air américaine, ce qui lui permet de casser les prix sur le marché : ce modèle est-il possible pour Ariane, sachant que le lanceur européen dispose d'une proportion moindre de commandes publiques ?

Le choix a été fait, ensuite, pour des raisons de coûts, de garder pour Ariane 6 le même type de propulseur que celui d'Ariane 5 ; or, il semble que le constructeur d'Ariane, Astrium, ait du mal à faire baisser davantage ses coûts : certaines des difficultés ne vous paraissent-elles pas venir du fait que la production est dispersée sur plusieurs sites européens - alors que SpaceX rationalise la production en la concentrant sur un seul site ?

Enfin, Ariane 6 vous paraît-elle un embryon possible pour la nouvelle génération des missiles M51 ?

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES) - Le budget d'Ariane 6 s'établit à environ 3 milliards d'euros pour le développement du lanceur, à quoi s'ajoutent 750 millions pour le segment du sol ; l'objectif est que la France en finance 50%, l'Allemagne 25%, l'Italie 15% et la Suisse et la Belgique, 5% chacun. Ariane 5 fut un programme guidé par la technologie. Son développement a coûté près de 10 milliards d'euros et la part de la France s'élève à 55%.

La Chine a déjà des lanceurs compétitifs, mais la réglementation ITAR interdit qu'ils lancent des satellites comprenant de la technologie américaine. Cette réglementation a été adoptée dans les années 90 à la suite de doutes très documentés sur les transferts de technologie réalisés par les Chinois et ce sont ces règles qui empêchent aujourd'hui la Chine d'être présente sur le marché commercial. Les Chinois, cependant, vendent des satellites aux pays émergents, dans une économie de troc : ils échangent des satellites contre du gaz au Venezuela, du pétrole au Nigéria ou du lithium en Bolivie. Mais les satellites chinois n'ont qu'une durée de vie de 3 à 4 ans, contre 15 à 18 ans pour les satellites occidentaux, ce qui rétablit notre compétitivité.

Le modèle de SpaceX diffère ce celui d'Ariane sur trois critères au moins : il est beaucoup plus simple, conçu pour des lancements à bas prix - l'ensemble de lancement tient sur un terrain de football, alors que celui d'Ariane 5, qui n'a pas été conçu au départ avec cette notion d'économie, constitue une petite ville ; ensuite, l'organisation de la production est verticalisée et rationnalisée : tout tient, quasiment, dans un bâtiment, avec un étage pour les moteurs et le lanceur, un autre pour le bureau d'études, un troisième pour le service commercial - cette concentration a fait l'objet de commentaires tout à fait élogieux dans la presse ; enfin, SpaceX s'appuie sur les budgets publics américains : celui de la Nasa, 17 milliards de dollars, celui de l'US Air Force, 18 milliards et celui qui est à discrétion du Président américain, pratiquement autant, soit un total de près de 50 milliards, à comparer aux 4 milliards d'euros de l'Agence spatiale européenne, auxquels s'ajoutent 1 à 2 milliards pour les programmes militaires européens. En d'autres termes, Ariane doit recourir au marché pour atteindre un prix compétitif ; ce sont les commandes commerciales qui font vivre le lanceur européen et c'est ce modèle d'une souveraineté fondée sur le marché commercial, qui est aujourd'hui remis en cause. Avec Ariane 6, l'objectif annuel est de quatre lancements institutionnels et de dix lancements commerciaux.

M. Gilbert Roger. - Quelle est votre politique vis-à-vis des débris spatiaux ? On parle de quelque 22 000 objets détectables, liés aux lancements, et d'environ mille satellites hors d'usage. Une réglementation est-elle prévue ? Quelle est votre action en la matière ?

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES) - La question des débris spatiaux est importante. La France est le seul pays à avoir adopté une législation en la matière, qui exige que l'étage supérieur soit « désorbité » : Ariane 5 ME et Ariane 6 sont conçues pour rallumer à cette fin leur étage supérieur, pour qu'il rejoigne les hautes couches de l'atmosphère. Les lanceurs, ensuite, sont aujourd'hui bien plus « propres » qu'auparavant, avec des sangles qui retiennent les parties détachées. En 2006, la destruction par la Chine d'un satellite en orbite basse par un missile, du reste, a produit autant de débris que l'ensemble de la conquête spatiale jusqu'alors... La communauté internationale s'est manifestée pour qu'un tel événement ne se reproduise pas et pour mieux protéger l'espace, qui est un patrimoine unique.

M. Daniel Reiner. - Un accord vient d'être signé, en marge du Sommet franco-britannique, entre le CNES et son homologue britannique, l'UKSA, pour United Kingdom Space Agency : sur quoi cet accord porte-t-il ? Quelle place a-t-il dans l'architecture de l'Agence spatiale européenne ?

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES) - Effectivement, nous avons signé le 31 janvier un accord-cadre bilatéral comprenant deux volets. Le premier engage une coopération sur l'Interféromètre Atmosphérique de Sondage Infrarouge de Nouvelle Génération (IASI-NG), qui est un instrument de météorologie qui permettra des prévisions météorologiques à cinq jours contre trois jours actuellement. Second volet, le Royaume-Uni nous rejoint dans le programme SWOT pour l'observation des eaux sur les terres émergées.

L'UKSA a été créée il y a deux ans et elle signe là avec le CNES son premier accord bilatéral : c'est pour nous une grande satisfaction et aussi la conséquence des relations excellentes entre la France et la Grande-Bretagne en matière de défense.

Le programme Horizon 2020 consacre 200 millions d'euros annuels à l'espace : Arianespace n'y est pas directement éligible, mais je travaille de près à ce que nos programmes accèdent le mieux possible aux financements européens.

M. Alain Gournac. - Quel(s) élément(s) d'Ariane 5 ME bénéficiera/bénéficieront à Ariane 6 ? Par ailleurs, dans la comparaison entre Ariane 5 ME et Ariane 6, un élément clé me paraît devoir être mis en valeur : le fait qu'avec Ariane 5 ME, on devrait continuer à lancer deux satellites en même temps, ce qui est à l'origine de retards très importants, chacun le sait. Peut-on continuer à fonctionner de la sorte, quand les Américains seront ponctuels grâce à leur lanceur simple ? Ensuite, je veux témoigner que lorsque nous avons visité SpaceX, nous ignorions et personne ne nous avait dit que la Nasa allait passer de telles commandes et rendre possible ce qui paraissait encore bien lointain...

Mme Nathalie Goulet. - Quelle part de votre budget consacrez-vous à la cybercriminalité ?

M. Bertrand Auban. - Où en est le système de positionnement européen Galileo ? Pourquoi les Allemands se sont-ils tournés vers OHB-System ?

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES) - Acté à Naples, l'étage supérieur développé pour Ariane 5 ME sera sur Ariane 6, ce qui permet de réaliser une économie de 600 millions d'euros. Concernant le lancement double, celui-ci est effectivement une source de retards, même s'il permet... deux fois plus d'opportunités de lancement, ce qui est un bon argument tant que la concurrence n'en propose pas de son côté... SpaceX, ensuite, n'a de privé que le nom : dans les faits, cette entreprise est très largement financée par la Nasa et elle est le porte-drapeau de la politique spatiale américaine, ce qui en fait le candidat le plus sérieux pour la desserte de la station spatiale. Le Président Obama ne le cache d'ailleurs pas, en déclarant : « America is back »... grâce à SpaceX.

Nous n'avons pas de ligne budgétaire spécifique contre la cybercriminalité, mais notre action d'une manière générale contribue à lutter contre ce phénomène et nous avons pris des mesures spécifiques lorsque nous avons été attaqués sur le plan informatique.

Le programme Galileo a été décidé en 2000 mais il est resté au point mort jusqu'en 2005, date à partir de laquelle l'ESA a été chargée du dossier par la Commission européenne ; les choix industriels ont été faits, les quatre premiers satellites ont été confiés à Astrium (devenu depuis Airbus Defence & Space) et Thales Alenia Space et c'est OHB-System, effectivement, qui a remporté les contrats pour les 22 satellites suivants. Le programme est un peu en retard, mais nous espérons les premiers lancements pour juin de cette année, et les premiers services vers la mi-2015. En tant que coordonnateur interministériel français pour ce programme, je fais tout mon possible pour le faire avancer. Nous avons mobilisé des compétences à Toulouse pour aider OHB-System, les essais au sol sont terminés et j'ai bon espoir de tenir le calendrier actuel.

Il faut aussi créer les services de Galileo. Il y a tout à faire en la matière et l'environnement a changé ici aussi, puisque les services du GPS sont devenus gratuits et que nous devons vendre des services, tout en veillant à ce que Galileo, qui a été conçu en France, ait des retombées industrielles dans notre pays.

M. Jean-Pierre Chevènement. - Est-il bien réaliste de tabler sur 2021 pour Ariane 6, sachant le contexte budgétaire ? Vous m'avez répondu par des grandes masses d'argent et une clé de répartition, mais quels sont les engagements précis ? Sur quoi peut-on compter effectivement, pour tenir un tel calendrier ?

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES) - À Naples, les Etats membres ont engagé 120 millions d'euros pour démarrer Ariane 6, avec l'idée de prendre une décision à Luxembourg fin 2014, pour un montant de 3 milliards d'euros. Serons-nous prêts pour 2021 ? Si les Etats se décident à Luxembourg, je m'engage à tenir le calendrier.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Merci pour toutes ces informations, sachez que vous pouvez compter sur notre commission.

La séance est levée à 16 h 15.

Nomination d'un rapporteur

La commission nomme rapporteur :

Mme Joëlle Garriaud-Maylam pour le projet de loi n° 369 (2013-2014), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l'égard des femmes et la violence domestique.

La réunion est levée à 16 h 15.

Mercredi 26 février 2014

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition du général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

M. Jean-Louis Carrère, président. - Mon général, c'est avec un très grand plaisir que nous vous accueillons pour cette première audition devant notre commission. Vous êtes déjà un familier des arcanes parlementaires puisqu'en tant que Major général vous avez suivi de très près l'élaboration du Livre blanc et de la loi de programmation militaire. Nous avons eu maintes fois l'occasion de vous croiser à ces occasions et d'apprécier votre écoute et votre disponibilité et surtout le grand sens de l'Etat et du service de la République que vous manifestez.

Nous avons avec l'Etat-major des Armées des relations constantes et directes auxquelles je tiens particulièrement. Sachez que, comme avec vos prédécesseurs, nous sommes à l'écoute de l'EMA et des armées. Nous avons pour cela un outil auquel je suis attaché qui est l'officier qui est mis à la disposition de notre commission. Ce trait d'union est extrêmement utile. Nos relations reposent sur l'estime et le respect que nous portons à nos soldats dont je veux saluer une fois de plus l'extraordinaire dévouement au service de la Patrie.

Vous savez par expérience l'investissement de notre commission dans les questions de défense. Nous avons mis ces dernières années un accent particulier sur les réformes auxquelles, je le crois, nous avons pris toute notre part. Les armées, dont vous êtes désormais le chef d'état-major, savent qu'elles peuvent compter sur nous, tout comme nous comptons sur elles.

Nous sommes particulièrement conscients des difficultés auxquelles font face les hommes et les femmes de la défense. La réorganisation prévue par le Livre blanc et mise en oeuvre dans la loi de programmation militaire va demander aux personnels des efforts nouveaux qui viennent s'ajouter à un train ininterrompu de réformes depuis la professionnalisation. Nous comprenons le besoin de souffler et l'atteinte au moral que peuvent entraîner ces bouleversements.

Vous savez toute l'attention que nous apportons au respect des engagements pris. Je le disais encore une fois hier soir lors du débat sur la prolongation de l'opération Sangaris. Nous nous appuyons sur un engagement ferme du président de la République. La contribution de la défense au redressement entraîne déjà une contraction que nous espérons temporaire. Il est impératif que nous nous en tenions là et que la programmation triennale des finances publiques que nous attendons prochainement tienne totalement compte de la sanctuarisation du budget de la défense. Nous y serons particulièrement attentifs et la LPM nous a donné de nouveaux moyens de suivi et de contrôle que nous allons utiliser pleinement. Ce sera, je le sais, un combat de tous les instants, mais nous sommes là pour le mener avec vous et avec le ministre.

Je vous laisse la parole.

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées - Je voudrais en tout premier lieu vous remercier pour votre invitation. C'est pour moi un honneur et un plaisir de m'exprimer devant vous, moins de deux semaines après avoir pris mes fonctions de chef d'état-major des armées.

Je me réjouis de l'intérêt sans cesse renouvelé que votre commission porte aux questions de défense, ce dont témoigne la qualité des débats à l'occasion du vote de la loi de programmation militaire. J'attache une attention toute particulière à ces échanges avec la représentation nationale et je sais pouvoir compter au Sénat sur une réelle expertise dans votre commission sur les sujets de défense.

Je sais aussi pouvoir compter sur vous, Monsieur le Président, et vous l'avez montré par votre engagement personnel ces derniers mois lors de la rédaction du Livre blanc et de la loi de programmation militaire.

Au lendemain du vote de prolongation de l'opération « Sangaris » en République centrafricaine je ne suis pas venu vous parler d'opérations mais je veux tout de même saluer devant vous la mémoire du caporal Damien Dolet du RICM de Poitiers, décédé à Bouar dimanche dernier.

Si je devais résumer mon état d'esprit aujourd'hui, je le ferais en trois mots : fierté, lucidité et détermination.

Fierté.

Fierté de commander les hommes et les femmes de nos armées, des armées engagées en opération, des armées qui gagnent et qui protègent, des armées qui jouent un rôle moteur dans nos alliances et au sein de l'Union européenne.

A l'heure où je vous parle, 9 000 militaires français sont engagés dans 26 opérations extérieures, dans des missions variées, exigeantes et difficiles. Je pense, pour ne citer que deux d'entre elles, à Serval, qui prendra une nouvelle dimension avec la régionalisation de notre stratégie et de notre dispositif au Sahel. Je pense à Sangaris, mission sans ennemi déclaré autre que la violence quelle qu'elle soit, au sein des populations, sans doute la plus complexe qu'un soldat puisse réaliser. Je pars d'ailleurs dès ce soir au Mali, puis en Centrafrique.

Dans le même temps, en permanence, nos armées surveillent et protègent le territoire national, ses espaces aérien et maritime et leurs approches. En permanence, nos armées recueillent du renseignement, veillent des zones d'intérêt stratégique, se préparent aux engagements futurs. C'est dans ce cadre que le groupe aéronaval - auquel j'ai rendu visite peu avant son retour à Toulon - s'est déployé en océan Indien.

La posture de dissuasion est tenue, sans faille, par les Forces aériennes stratégiques et la Force océanique stratégique. J'étais à Taverny le 18 février lors d'un exercice nucléaire « Poker » ; j'ai pu constater l'excellence des FAS, du centre de commandement aux équipages des Mirage et des Rafale.

Fierté donc de commander des hommes et des femmes dévoués et professionnels, animés par la passion de leur métier et par la passion de servir.

Fierté personnelle, fierté partagée, que j'ai mesurée en visitant nos blessés à Percy le jour même de ma prise de fonction. Leur courage et leur dignité sont édifiants. Les soutenir est un devoir moral, le premier.

Lucidité, ensuite.

Pour avoir conduit la réforme ces quatre dernières années en qualité de major-général des armées, je connais la situation et les tensions qui pèsent sur nos armées. Dans tous les domaines - le personnel, le matériel, l'infrastructure, le fonctionnement, l'activité, le soutien -, il existe aujourd'hui des fragilités, qui sont autant de points de vigilance - vous les connaissez, je n'insiste pas. J'ai parlé de « vigilance », mais sans catastrophisme car je suis optimiste, de nature.

Vous savez, ces dernières semaines, j'ai reçu de nombreuses félicitations mais quasiment toutes étaient accompagnées d'un « bon courage, ça va pas être facile » avec un air de commisération...je reste donc lucide. Mais aussi déterminé et c'est mon troisième mot :

La détermination.

Dans le contexte budgétaire que nous connaissons et compte tenu des fragilités évoquées, garantir au Pays les armées dont il a besoin est un véritable défi, qui ne peut être relevé qu'avec une ferme volonté de réussir. C'est, pour ma part, ce à quoi je m'engage, avec une détermination à la mesure de l'enjeu.

Vous m'avez demandé aujourd'hui de vous présenter la réforme des armées.

Depuis 1996 et la professionnalisation, les réformes s'enchaînent, voire se superposent. Le Livre blanc de 2008, la RGPP ont imposé aux armées un ensemble de réformes d'une ampleur considérable. À titre d'exemple, depuis 2001, l'armée de terre a perdu 43% de ses effectifs.

Aujourd'hui, c'est le Livre blanc de 2013 et la LPM 2014-2019 qui imposent d'autres réformes. Sans avoir l'ampleur du train précédent, l'effet successif, voire cumulatif les rend particulièrement sensibles. C'est bien de ces nouvelles réformes dont je veux vous parler maintenant.

À cet égard, permettez-moi de partager avec vous trois convictions fortes.

La première est que ces réformes - que l'on peut considérer comme une nouvelle étape de LA réforme des armées - sont incontournables : avec les contraintes très importantes qui pèsent sur nos capacités, leur réussite conditionne le succès futur de nos armes.

Deuxième conviction : il faut, dans l'écheveau des réformes en cours ou à venir, rétablir une cohérence. Autrement dit, il faut aux hommes et aux femmes qui servent dans nos armées un projet fédérateur, un projet d'ensemble qui décline les grandes orientations politiques en actions concrètes et les replace dans une même perspective.

Ma troisième conviction est qu'il faut un état d'esprit adapté à la situation et aux défis que nous avons à relever. Nous devrons être innovants et déterminés : la transformation est un état de fait, c'est aussi un état d'esprit.

Ces trois convictions, le caractère incontournable de la réforme, la nécessité d'un projet fédérateur, un état d'esprit mobilisateur constituent le plan de mon intervention.

Premier point, donc : la nécessité de cette nouvelle étape de la réforme.

En premier lieu, c'est le contexte qui l'impose.

Deux éléments de contexte.

D'abord, un nouveau Livre blanc, dans lequel le Président de la République, chef des armées, a fait le choix de conserver un niveau d'ambition élevé, qui se décline en trois grandes missions : la protection des Français et du territoire national, la dissuasion nucléaire, l'intervention extérieure.

Il a également fait le choix de maintenir un modèle d'armées complet nous permettant d'assurer ces missions, et cohérent avec les scénarios prévisibles d'engagement, tout en conservant une autonomie d'appréciation et d'action, dans tous les domaines.

Il a par ailleurs décidé d'accroître l'effort dans des domaines d'avenir, domaines qui sont souvent ceux qui permettent de mieux peser en coalition : renseignement, spatial, cyber, drones, frappes à distance et forces spéciales.

Enfin, le besoin de disposer de soldats bien équipés, bien entraînés, maîtrisant l'emploi de la force a été réaffirmé. La préparation opérationnelle et donc l'entretien programmé des matériels constituent une priorité de notre ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian.

En somme, il s'agit de maintenir le cap dans certains domaines, et même de faire mieux dans d'autres.

Deuxième élément de contexte, la situation de nos finances publiques.

La réduction des déficits publics et la résorption de la dette contribuent à notre autonomie stratégique et à la souveraineté nationale, fondements de notre politique de défense. Vous connaissez la problématique, je n'insiste pas.

Dans ce cadre, l'affirmation d'une telle ambition pour nos armées est un défi.

Au bilan, nos contrats opérationnels sont exigeants, mais ajustés à nos opérations les plus prévisibles.

Le format des armées se réduit ; la modernisation des capacités se poursuit, à un rythme moindre. Il est clair cependant que si ces réductions de format, de personnel, d'équipements et ces étalements des livraisons de matériel sont douloureux, ils sont la seule voie pour entretenir un outil de défense conforme aux grands objectifs du Livre blanc. Ce qui implique une remise en cause profonde de notre manière de penser et d'agir.

Vous l'avez compris, ces éléments de contexte nous amènent à une nouvelle étape de la réforme au sein du ministère, et donc des armées.

31 chantiers de transformation ont été lancés au niveau du ministère, dans une logique d'efficience : ressources humaines, finances, soutien, service de santé, communication, etc...

Partout, autant que possible, la recherche d'une meilleure efficience impose de diminuer les effectifs et donc de revoir le partage des tâches. Le commandement des armées est naturellement impacté, à l'échelon interarmées, mais aussi au niveau de chaque armée, direction ou service interarmées.

Je donnerai d'ailleurs l'exemple dans ce domaine. Pour sa part, l'état-major des armées se concentre en effet sur les responsabilités du CEMA : la planification et la conduite des opérations, la programmation militaire et la réalisation des capacités, le soutien interarmées sans oublier la dimension internationale, transverse, en particulier dans l'appui aux opérations, le soutien aux capacités, les relations militaires bilatérales.

Nous nous dirigeons donc vers un état-major des armées dont les effectifs diminuent de 30%, avec un format resserré de 600 personnes au lieu de 930, alors que les états-majors d'armée descendront à un niveau compris chacun entre 150 et 200 personnes. Tout cela pour commander les trois armées et les soutiens interarmées, soit de l'ordre de 230 000 personnes en 2015 !

Nous serons alors installés à Balard, et la réforme du commandement des armées sera terminée. Elle laissera aux trois armées le plus de marge de manoeuvre possible dans l'exercice de leurs responsabilités organiques. C'est une nécessité fonctionnelle, mais aussi une nécessité « culturelle » : la culture d'armée est une réalité, j'y crois profondément !

Dernière raison nous imposant de poursuivre la réforme : la primauté de l'opérationnel.

Nous touchons ici à la finalité de la réforme, qui doit rester guidée par l'opérationnel. L'histoire ancienne et le retour d'expérience récent montrent en effet que la cohérence globale entre les forces combattantes et les moyens concourants est une condition essentielle du succès opérationnel.

Ma responsabilité de CEMA est non seulement d'identifier les capacités nécessaires aux armées, mais aussi de garantir cette cohérence globale dans ses différents volets : ressources humaines, équipements, organisation, soutiens, préparation, concepts et doctrines. En cela, je suis responsable des travaux de planification des capacités militaires, de l'élaboration de la programmation militaire et de son actualisation.

C'est donc bien pour garantir le respect des contrats opérationnels fixés par le Livre blanc et pour pouvoir toujours remplir nos missions que nous devons poursuivre notre transformation. En conséquence, l'effort de déflation du personnel sera porté en priorité sur l'environnement et le soutien des forces.

Voilà ce que je voulais vous dire du contexte et de la nécessité de cette nouvelle étape de la transformation.

J'en viens donc à ma deuxième conviction : une réforme de cette ampleur ne se réalise qu'avec un projet fédérateur.

Ce projet, nous l'avons, c'est un projet commun aux armées, directions et services interarmées, que j'ai baptisé CAP 2020.

CAP 2020 s'inscrit dans le cadre fixé par le Livre blanc et la LPM et en découle. Il définit pour chaque armée, direction ou service le chemin de sa transformation, en répondant à un objectif clair : disposer dans la durée d'un outil militaire complet et cohérent, apte à garantir nos intérêts de défense dans le cadre de l'ambition stratégique de la France.

La feuille de route, c'est l'ordre aux armées, directions et services que j'ai signé le 15 février dernier, le jour même de ma prise de fonction. Il est conçu selon trois lignes d'opération.

La première ligne d'opération concerne l'optimisation des moyens au profit des capacités opérationnelles. Elle implique :

- La déclinaison des contrats opérationnels du Livre blanc en termes de disponibilité et de préparation des forces ;

- La définition de priorités dans les activités et la préparation opérationnelles, en lien avec les opérations en cours ;

- Le maintien de notre niveau de qualification opérationnelle, en insistant sur la complémentarité interarmées ;

- L'adaptation et la modernisation de nos capacités, pour être prêts à faire face aux engagements futurs ;

- La réforme des dispositifs des forces de souveraineté et de présence, en réorganisant les points d'appui et en diminuant nos effectifs.

Deuxième ligne d'opération : améliorer notre modèle de ressources humaines.

C'est le volet majeur de la réforme : 23 500 postes sont à supprimer d'ici à 2019, en plus des 10 000 restants de la réforme précédente, soit de l'ordre de 34 000 d'ici à 2019. Il s'agit de conduire ces déflations avec le plus de souplesse possible, pour assurer la continuité de nos missions.

La maîtrise de la masse salariale nous impose par ailleurs de prendre en compte le contingentement des effectifs, le dépyramidage, la gestion des hauts potentiels, la promotion au mérite, la simplification du dispositif indemnitaire des militaires et donc, au bilan, les parcours que nous offrons au personnel des armées.

L'objectif est d'obtenir une meilleure corrélation entre les grades, les emplois, les responsabilités et la rémunération, ce qui implique de mieux gérer les flux d'entrée et de sortie du personnel.

Notre modèle RH évoluera donc, et il devra évoluer le plus rapidement possible. Nous avons commencé les travaux en ce sens avec les armées.

In fine, nous aurons une pyramide des grades plus aiguë avec une population plus jeune. La rénovation de notre dispositif de reconversion sera centrale pour redynamiser la gestion du personnel dans cette optique. Tout ceci évidemment sera conduit en étroite cohérence avec la baisse des effectifs dans les états-majors et le chantier mené sur la formation.

Adapter la gestion du personnel, c'est aussi pouvoir compter sur un système de paiement de rémunérations fiable et sécurisé. Après tant de péripéties aux conséquences sociales et humaines souvent dramatiques pour les militaires et leurs familles, y compris pour les militaires en opérations, je me réjouis de la mise en place d'un « plan B » Louvois, annoncé par notre ministre M. Jean-Yves Le Drian. Et je me réjouis qu'il soit conduit sous la forme d'un programme d'armement, avec la rigueur que cela implique en termes de responsabilités et de procédures. Le retour à une situation totalement normalisée va toutefois nous conduire à souffrir encore pendant deux ans.

Dernier axe d'effort s'agissant des ressources humaines : l'amélioration de la condition du personnel, juste compensation des contraintes statutaires imposées aux militaires du fait de leur finalité opérationnelle. Nous travaillons actuellement au sein du ministère à la réalisation d'un plan dans ce domaine. Il comprendra notamment la simplification du dispositif indemnitaire - 174 primes aujourd'hui - et améliorera la prise en compte des notions de mérite et de responsabilité.

Il y a donc fort à faire dans le domaine des ressources humaines ; c'est un travail en profondeur, qui nécessitera de faire évoluer les mentalités, et donc qui demandera du temps. C'est un sujet essentiel, sensible, qui doit être conduit dans le respect de notre finalité opérationnelle, des spécificités d'armées et du statut général des militaires.

Troisième et dernière ligne d'opération : adapter notre organisation.

Une armée qui adapte son organisation sous contrainte, c'est - je l'ai évoqué - une armée dont l'administration est plus agile, plus resserrée : c'est une armée qui réduit les effectifs des états-majors et des organismes centraux.

C'est également une armée qui densifie ses emprises territoriales, pour dépenser mieux et moins. Nous devons chercher en permanence la mise en adéquation du contrat opérationnel, des ressources humaines, des équipements, des ressources financières et du stationnement. D'autres restructurations territoriales sont inéluctables. C'est un sujet complexe et très délicat, aux impacts multiples - vous êtes bien placés pour le savoir -, mais un sujet sur lequel nous devons avancer. Il faut un maximum de visibilité, pour cadencer la « manoeuvre RH » et donner le plus de perspectives au personnel. Nous ferons des propositions au ministre sur ce plan dans les mois qui viennent.

Une armée qui adapte son organisation sous contrainte, c'est enfin une armée qui accroît la performance de ses soutiens. La chaîne des soutiens connaît une véritable révolution depuis une dizaine d'années, avec l'interarmisation des fonctions, la création des bases de défense et la mise en place d'un pilotage centralisé au niveau de l'état-major des armées. Compte tenu des inévitables défauts de jeunesse et des contraintes nouvelles, cette chaîne s'adaptera encore. Le principe d'une administration générale et de soutiens communs sous une autorité unique, le Service du commissariat des armées, et le renforcement du pouvoir des commandants de base de défense constituent deux axes importants dans ce domaine. La responsabilité de commandant de base de défense sera confiée le plus souvent possible aux officiers assumant déjà des responsabilités locales, comme par exemple un commandant d'école, à Draguignan. C'est ce que, dans notre jargon, nous appelons le « double casquettage » : le dialogue est facilité entre le soutenant et le soutenu quand c'est le même homme ! De la même façon, nous renforcerons les « marquants d'armée », c'est-à-dire le lien d'une base de défense avec une armée, comme c'est déjà le cas à Toulon ou à Brest pour la marine, à Mourmelon pour l'armée de terre et à Evreux pour l'armée de l'air.

J'en viens maintenant à ma troisième et dernière conviction : l'état d'esprit dans lequel nous engageons cette adaptation.

C'est à nous, ici à Paris, au sommet des armées, de susciter l'adhésion et la confiance en cette nouvelle période qui s'ouvre, avec vérité et simplicité. Ma priorité, en tant que chef d'état-major des armées, sera donc de rassembler, de fédérer les énergies, dans une dynamique d'innovation et d'imagination. Il s'agit, pour les armées comme pour tout le ministère, d'agir « ensemble, autrement, au mieux ».

Ensemble.

Ce sont les femmes et les hommes des armées qui sont au coeur des adaptations à venir. Il leur est encore beaucoup demandé : un engagement opérationnel sans faille, et de nouveaux efforts au quotidien. L'adhésion de tous est la condition du succès, c'est clair !

Elle doit se matérialiser à tous les niveaux, et d'abord entre les armées. Je veux constituer une vraie équipe de commandement avec les trois chefs d'état-major : le général d'armée Bertrand Ract-Madoux, l'amiral Bernard Rogel et le général d'armée aérienne Denis Mercier. Cette adhésion doit ensuite se manifester au niveau du ministère, par une bonne coordination des réflexions entre les grands responsables. Le C4, comité de cohérence pour la conduite du changement qui réunit le SGA, le DGA et le major général des armées, en est un exemple.

Nous devons donc faire ensemble. Logiquement, nous devons également faire autrement.

Je l'ai déjà dit mais j'insiste, nous ne pourrons réaliser le nouveau modèle d'armée qu'en revoyant nos organisations et nos modes de fonctionnement. Le modèle de 96 est arrivé au bout de ses possibilités et nous sommes déjà en ordre de marche pour ces travaux.

Parfois, nous avons eu cette mauvaise habitude de créer une mission à chaque tâche nouvelle et, ainsi, de générer des « mammouths » administratifs peu lisibles, peu réactifs et peu manoeuvrants. Nous n'en avons plus ni les moyens, ni le temps. Nous devons donc encore simplifier les démarches administratives, de façon volontariste, en prenant en compte les initiatives locales : les vraies solutions aux problèmes locaux ne se trouvent pas à Paris. Une démarche spécifique est en cours au sein du ministère et singulièrement des armées. 66 mesures de simplification ont été validées. Certaines sont déjà engagées, d'autres sont à l'étude. Un exemple ? Une plateforme d'échange pour la simplification sera mise en oeuvre sur le réseau interne défense, pour recueillir les propositions du terrain et en informer l'ensemble du personnel. Cette plateforme interactive sera opérationnelle début mars.

Faire autrement, c'est enfin se tourner vers l'extérieur, vers l'international. Ce sont, potentiellement, autant d'opportunités à explorer avec pragmatisme. C'est le cas, par exemple, du concept CJEF que nous développons avec nos amis Britanniques, ou de l'emploi de la BFA au Mali avec nos voisins Allemands. Il va de soi que réalisme rime avec pragmatisme. Ne rêvons pas, les coopérations multinationales ne résoudront pas tous nos problèmes : en période de tension budgétaire, beaucoup de nos partenaires sont tentés par le repli. Et pourtant, dans l'intérêt de tous et de chacun, je ne vois pas d'autre solution que d'avancer ensemble : à des échelles différentes, nous sommes tous logés à la même enseigne !

Faire ensemble, faire autrement. Faire au mieux.

Nous ne ferons pas mieux avec moins, nous continuerons à faire au mieux !

Le dire, ce n'est pas manquer d'ambition, c'est être lucide et honnête, vis-à-vis de nous-mêmes et de nos personnels militaires et civils : il faut dire la vérité.

Faire au mieux, c'est définir plus clairement nos priorités et remettre cent fois l'ouvrage sur le métier, afin de les réorienter aussi vite et aussi souvent que nécessaire. Je pense au maintien en condition opérationnelle des équipements, déterminant pour nos capacités, qui, en plus d'un effort budgétaire sensible porté par la LPM, fait l'objet de plans d'action spécifiques.

Nous devrons donc anticiper davantage, afin de limiter les conséquences des risques et des fragilités que nous avons identifiées, parmi lesquels :

Le vieillissement assumé de certains équipements, conséquence des décalages de livraison de ceux qui doivent les remplacer ;

La « soutenabilité » de notre équilibre en matière de ressources humaines ;

Des difficultés quotidiennes dans l'exercice de notre métier et touchant aux conditions de vie dans nos bases, régiments et ports, notamment en ce qui concerne l'infrastructure ;

Le risque de décrochage du personnel par rapport à la réforme, alors même que son adhésion est une condition de la réussite de la manoeuvre.

En conclusion, je veux dire que nous avons un engagement politique fort devant la Nation à travers le Livre blanc et la LPM. Il doit nous accompagner vers le nouveau modèle d'armée, le modèle 2025.

Aujourd'hui, chef d'état-major des armées, je suis pleinement conscient des enjeux de ces réformes et convaincu de leur nécessaire poursuite. Nous avons un projet pour conduire cette nouvelle étape de la transformation et vous pouvez compter sur ma totale loyauté.

J'ai pu mesurer ces quatre dernières années, en tant que major-général des armées, les limites de l'élasticité de notre système. Je connais également parfaitement les difficultés et les défis qui sont les nôtres aujourd'hui. C'est, à terme, la pérennité d'un outil de défense complet et cohérent qui est en jeu.

La Loi de programmation militaire vient d'être promulguée. Sa mise en oeuvre représente un effort important pour les armées, dont le costume est déjà taillé au plus juste. Toute encoche sur les ressources prévues entamerait inévitablement la cohérence du modèle, compromettrait le succès de la réforme et s'exercerait au détriment de la finalité opérationnelle.

L'exécution conforme de la LPM est donc primordiale. Elle l'est pour l'efficacité de nos armées. Elle l'est aussi - tout est lié - pour le moral du personnel, qui y voit une juste reconnaissance de son engagement pour la Nation.

Votre soutien sera déterminant et je l'appelle avec force de mes voeux.

Je vous remercie.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Permettez-moi de vous féliciter à mon tour. Je forme des voeux pour le succès de votre mission qui nécessite courage et détermination. Vous n'avez pas parlé de la réserve : avez-vous des projets en ce domaine ? Le rapport d'information que j'ai rédigé il y a quelques années avec Michel Boutant au nom de notre commission sur ce sujet a montré toute l'utilité de la réserve, notamment en cas de crise majeure. Le Livre blanc de 2013 y consacre d'ailleurs quelques intéressants passages. Des pratiques innovantes existent, je pense en particulier à ce que le Général Rouby fait à Bruxelles (à l'OTAN et à l'UE) en matière de réserve citoyenne. Quelles sont vos intentions en la matière ?

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées - Merci pour votre question sur un sujet qui m'est cher et sur lequel nous n'avons pas fait de réforme suffisamment profonde depuis 1996. Le pendant d'une armée professionnelle est en effet une réserve bien organisée, distinguant clairement réserve citoyenne et réserve opérationnelle. Je crois fermement à la réserve citoyenne au titre du lien armée-Nation. Elle peut être très utile dans des domaines très diversifiés et constitue un relais potentiel pour les forces armées. Il faut mieux l'organiser et clarifier son statut, en réglant des questions telles que la prise en charge des frais de déplacement ou le port de la tenue... La réserve opérationnelle est un chantier à ouvrir, qui est d'ailleurs ébauché dans le Livre blanc. La commission du Livre blanc était unanime sur ce sujet, même si elle n'a pas débouché sur un plan formalisé et concret. Le budget annuel de la réserve est de 70 millions d'euros sur un total de 31 milliards d'euros pour la défense. Peut-être pourrions-nous faire mieux ? Je vois trois pistes à explorer :

- mieux utiliser individuellement et collectivement la réserve, en particulier pour les spécialités rares, où des professionnels à temps partiel peuvent apporter un regard extérieur novateur ;

- simplifier le cheminement administratif des réservistes, qui est aujourd'hui décourageant ;

- améliorer l'attractivité de la réserve au sein des entreprises et les administrations, en s'inspirant, notamment, de l'exemple britannique.

C'est un vrai projet à construire. Je suis frappé par les gens exceptionnellement volontaires qui forment la réserve et qui sont, qui plus est, ancrés dans leurs territoires là où nos forces sont de moins en moins présentes. Ces atouts doivent être exploités, d'abord par la définition d'une stratégie, puis par l'octroi de moyens adaptés.

M. André Vallini. - Je m'associe aux félicitations qui ont été exprimées et je salue en vous l'homme présenté comme proche du terrain, qui fait son footing avec les hommes du rang. Vous me semblez illustrer l'adage « Tout vient à point à qui sait attendre ». Au regard des expériences malienne et centrafricaine, quelle est votre approche de l'Europe de la défense : y croyez-vous ?

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées - Football et footing sont de bons « antivirus » parisiens... Je partage la vision très pragmatique de l'Europe de la défense qui est celle du ministre de la défense Jean-Yves Le Drian : je suis persuadé qu'il faudra des coopérations multi ou bilatérales pour faire des économies. Faisons donc vivre toutes les coopérations possibles : OTAN, Union européenne, coopérations bilatérales. Depuis quatre ans en charge des relations franco-allemande et franco-britannique, je prône une approche concrète : coopération opérationnelle avec le Royaume-Uni, coopération en matière de santé, de formation ou de brigade franco-allemande avec l'Allemagne, ou encore coopération dans la défense antimissile avec l'OTAN. Au niveau européen, il faut soutenir toutes les initiatives concrètes : commandement européen de transport aérien EATC (European Air Transport Command), « club » des drones Reaper, avec l'Italie, l'Allemagne et l'Angleterre, voire filière européenne de drones pérenne... Nous devons soutenir tout ce qui peut marcher ; plus encore, nous devons continuer à susciter les initiatives de coopération, avec la patience, le pragmatisme mais aussi le réalisme que cela suppose.

On construit, pas après pas, des coopérations européennes. La poussée politique est essentielle ; plus elle est forte et durable, plus l'outil militaire avance. Mes homologues allemands et anglais sont prêts à cela, mais il faut du carburant. J'ai de bons espoirs avec les Britanniques dans le cadre des accords de Lancaster House, avec les Allemands dans le cadre du groupe de coopération au sein duquel 60 projets sont examinés, et avec les autres pays européens aussi, sans exclusive. L'Europe de la défense qui a fonctionné ces dernières années, c'est celle à géométrie variable, pragmatique et concrète. Je me situe dans ce sillage-là.

M. Christian Namy. - J'ai apprécié, dans votre propos, votre sens de l'humain. En tant que président du conseil général d'un département, la Meuse, qui consacre un effort important au soutien et à l'accompagnement psychologique des militaires et des familles des militaires en OPEX, notamment au Mali, et aux militaires à leur retour, j'ai mesuré l'ampleur les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Comment faire pour vous aider en ce domaine ?

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées - C'est un sujet délicat que nous risquons de rencontrer également et de façon plus forte avec l'opération en R.C.A. Nous avons des systèmes d'accompagnement psychologiques et médicaux mais nous voyons bien que, dans la durée, ils atteignent leurs limites. Nous avons dans chaque régiment des cellules d'aide aux familles, bien organisées, qui les accompagnent. C'est ce qui fait notre spécificité, il n'y a pas pour nous le service et le « hors service ». Nous essayons de prendre en compte la dimension familiale et abordons la question dans sa globalité lors de la phase préparatoire au retour d'opérations. Ce n'est pas si facile dans un monde qui devient de plus en plus individualiste.

Le soutien des élus en ce domaine est très précieux parce que l'on peut donner des facilités à ces familles à titre temporaire ou dérogatoire en fonction de leurs difficultés.

D'une manière générale, je suis attentif au facteur humain qui sera la clef du succès de la réforme en cours. En effet, si l'on n'explique pas bien cette réforme et si nous ne suscitons pas d'adhésion, il y a un risque. En revanche, si on dépense un peu plus d'énergie pour expliquer, consulter, faire adhérer, je pense que nous réussirons. Et dans ce travail de conviction, il y a aussi l'environnement familial. C'est pourquoi des réponses doivent être apportées sur le plan de l'amélioration des conditions du personnel militaire qui accompagnera la transformation en matière de garde d'enfants, de logement, d'emploi du conjoint...

M. Daniel Reiner. - Je me réjouis de l'esprit avec lequel vous abordez vos fonctions, votre lucidité, votre détermination et votre tonicité. Notre volonté est bien de solidifier au mieux ce qui a été décidé par le Livre blanc et la loi de programmation militaire. Nous aurons l'occasion de vous entendre dans le cadre de nos travaux sur les forces spéciales et sur le programme 146 que nous suivons avec une grande vigilance et nous nous sommes donnés les moyens dans la LPM de mieux contrôler sa mise en oeuvre. Je comprends que, dans vos fonctions, vous soyez attaché à développer de façon concrète la coopération européenne avec les moyens dont vous disposez, mais je considère pour ma part qu'à force de petits pas, nous n'avançons plus et qu'une impulsion politique est désormais nécessaire si nous voulons progresser de façon décisive. C'est l'idée que nous essayons de faire progresser et de partager avec nos partenaires parlementaires au sein des rencontres que nous organisons régulièrement avec les Britanniques, les Allemands, les Belges, les Polonais et peut-être d'autres demain.

M. Jacques Gautier. - En m'associant également aux félicitations de mes collègues, je voudrais vous poser trois questions. Quelles sont vos idées pour développer la réserve citoyenne ? Il semble que l'armée de l'air y réussisse pleinement, la marine également, l'armée de terre semble avoir plus de difficultés. Nos collègues Gilbert Roger et André Dulait ont rédigé un rapport sur les bases de défense, d'où il ressortait que l'on était allé trop vite et trop loin. On a eu parfois l'impression que les unités opérationnelles ont été un peu sacrifiées dans les bases de défense et que la logistique a été perturbée. Vous avez émis quelques pistes de travail (« double casquettage », marqueurs d'armée...), pourriez-vous les développer ? Enfin, en tant que co-rapporteur du programme 146, quels sont pour chacune des armées, les programmes qui vous paraissent prioritaires ?

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées - Sur la réserve citoyenne, j'étais dubitatif sur le concept mais je l'ai expérimenté lors de mon commandement de brigade à Orléans et je suis désormais convaincu de son utilité. Il faut me semble-t-il désormais expliciter le concept et préparer un texte en amont qui formalise les choses. Il est vrai que l'armée de l'air a mené une action très volontariste, notamment sous l'impulsion du général Abrial lorsqu'il était chef d'état-major.

S'agissant des bases de défenses, nous allons progresser. D'abord, en réorganisant la fonction « administration générale du soutien commun », (alimentation, hébergement, finances, RH...) sous les ordres d'un seul chef, le directeur du service du commissariat des armées. Ensuite, en renforçant le rôle du commandant de base de défense qui aura des fonctions d'intégration, de coordination et d'arbitrage des soutiens, entre les différents organismes concourants qui sont organisés en tuyaux d'orgue et dépendent de directions et de services centraux différents ; nous rédigeons un texte en ce sens. Au deuxième niveau, la coordination sera effectuée par le CPCS (centre de pilotage et de conduite du soutien), en liaison avec les directeurs centraux des services... Nous souhaitons également organiser les bases autour d'un marquant d'armée plus fort et revoir à ce titre, mais avec souplesse et légèrement, le découpage. En effet, on a voulu de façon parfois artificielle faire de l'interarmées un principe absolu en mélangeant les personnels, on s'est privé de la sorte de la culture d'armée qui fonctionne efficacement. Enfin, il y a des regroupements de bon sens qui s'imposent, c'est pourquoi j'ai parlé de « double casquettage », le chef est celui qui est le plus gradé et doit assurer à la fois son commandement, celui de la base de défense, celui de la délégation militaire départementale. Il sera ainsi en mesure de faire efficacement les arbitrages soutenant-soutenu. C'est le système de la marine, c'est en partie celui des bases aériennes et il y a eu des expériences heureuses dans l'armée de terre, l'année dernière. Nous procéderons à leur extension sans nécessairement généraliser. Mais je souhaite, d'une manière générale, que nous prenions les bonnes « recettes » là où elles sont dans les bases de défense et que nous nous adaptions au terrain : il y a des situations qui ne sont pas comparables, ne serait-ce qu'en termes de taille entre les bases de défense.

S'agissant du programme 146 d'équipement des forces, -- je dirais, en simplifiant à l'extrême, que mes priorités sont les suivantes :

Pour l'armée de terre : Scorpion ; le missile moyenne portée (MMP), l'engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC), le véhicule blindé multi-rôle (VMBR) et le programme « Contact » pour la radio ;

Pour l'armée de l'air : les ravitailleurs MRTT et l'avion de transport A400M ;

Pour la marine : le fait d'avoir un groupe aéronaval digne de ce nom, bien protégé par-dessus, par-dessous et en surface, ainsi que les moyens d'assurer l'action de l'Etat en mer sans oublier les forces sous-marines.

Je souhaiterais dans tous les cas éviter les ruptures temporaires de capacité.

M. Jean-Marie Bockel. - Je m'associe aux félicitations de mes collègues concernant votre nomination. Dans le cadre de la LPM, nous allons nous efforcer, au Parlement et en particulier au Sénat, d'être les gardiens de la parole donnée. Ma question est la suivante : dans l'état actuel de nos forces, serions-nous capables de mener de front deux opérations comme le Mali ? Serions-nous capables de faire face à une montée en puissance de Sangaris et à une autre crise qui adviendrait ?

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées.- Vous connaissez les chiffres : nous avons 9 000 soldats en opérations extérieures et 21 000 en tout, hors métropole, si on additionne opérations extérieures, forces de présence et forces de souveraineté. Nous sommes loin du contrat opérationnel du Livre blanc. La réponse est donc « oui », sans aucune hésitation. Nous pourrions, s'il le fallait, renforcer Sangaris et faire face à un deuxième Mali. Nous avons les hommes et les équipements pour le faire. La question est : pour combien de temps ? Ce qui est compliqué, c'est la durée, qui plus est si nous devons conduire plusieurs opérations simultanément sur des théâtres éloignés les uns des autres et il y aurait aussi des tensions sur certaines capacités critiques telles que le ravitaillement aérien, le transport aérien, le renseignement (ISR) et les forces spéciales.

Mme Michelle Demessine- Je m'associe aux félicitations de mes collègues et vous félicite également pour vos propos rafraichissants et enthousiastes. J'en ai retenu quelques formules telles que : « la réforme ne peut se réaliser qu'avec un projet fédérateur ». Et en effet, il vous faudra fédérer, dans toutes les armées, à tous les échelons et à tous les grades. Dans cette perspective, est-il envisageable d'avoir une progression de la « condition citoyenne » de nos militaires, c'est-à-dire une meilleure concertation entre les troupes et l'encadrement ?

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées.- La rénovation de la concertation fait partie intégrante de la manoeuvre RH. Cette manoeuvre comporte aussi la formation, la simplification des procédures administratives et le régime indemnitaire. Nous ne pourrons pas rester immobiles sur la concertation. Mais nous ne pourrons pas non plus accepter les syndicats au sens civil du terme. Le Président de la République a reçu trois fois le Conseil supérieur de la condition militaire. J'attends les propositions du groupe de liaison.

M. Robert del Picchia. - Je m'associe aux félicitations pour votre nomination. Deux questions. La première : Balard 2015 - est-ce réaliste ? La seconde : vous commencerez la consultation de vos homologues chefs d'état-major par qui ?

Mme Leila Aïchi. - Le groupe auquel j'appartiens vient de publier un Livre vert de la défense nationale. Nous y faisons un focus particulier sur la problématique énergétique et le démantèlement des équipements. Qu'en pensez-vous ?

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées.- Je n'ai pas d'inquiétude particulière sur le calendrier d'installation à Balard. Concernant le démantèlement, ayant eu à connaître le problème qui s'est posé pour la coque du Clemenceau, je peux vous dire que j'y suis extrêmement sensible. Nous devons mieux organiser nos filières de démantèlement. Concernant les équipements, nous sommes plutôt bons élèves dans l'armée, et nous efforçons désormais de prendre en compte le démantèlement dès la conception. Pour les infrastructures, c'est plus compliqué. Nous cherchons à faire mieux, en particulier en ayant recours aux énergies nouvelles.

La réunion est levée à 15 h 49.