Mardi 3 juin 2014

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

La réunion est ouverte à 16 heures 15.

Situation internationale - Audition de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

L'audition s'est tenue à huis clos.

La réunion est levée à 17 heures 35.

Mercredi 4 juin 2014

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Instauration d'une journée des morts pour la paix et la liberté d'informer - Examen du rapport et du texte de la commission

La réunion est ouverte à 10 heures 30.

La commission examine le rapport de M. Jeanny Lorgeoux et le texte proposé par la commission sur la proposition de loi n° 231 (2013-2014), présentée par Mme Leila Aïchi, relative à l'instauration d'une journée des morts pour la paix et la liberté d'informer.

M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur. - Vous m'avez nommé rapporteur de la proposition de loi de Leila Aïchi proposant d'instaurer le 21 septembre comme journée des morts pour la paix et la liberté d'informer, afin d'honorer les travailleurs humanitaires et les journalistes ayant payé de leur vie leur souci de soulager la misère de leurs frères ou leur volonté de servir la liberté d'expression. La question posée n'est ni juridique ni technique mais politique.

Cette proposition de loi nous est transmise dans le cadre de l'ordre du jour réservé au groupe écologiste. La révision constitutionnelle de 2008 a favorisé l'initiative parlementaire : même si les trois quarts des propositions de loi n'arrivent pas à leur terme, trente propositions sénatoriales ont été examinées depuis le début de la session.

En cette année 2014 si particulière, nous pouvons nous accorder sur l'importance du travail de mémoire pour honorer le passé et resserrer les rangs de la communauté nationale mais aussi pour éclairer l'avenir. Les symboles ont leur force. Les gestes comptent, car ils sont éloquents.

Le tribut payé par les travailleurs humanitaires et les journalistes est très lourd en ces temps de conflits violents sur tous les continents. Les travailleurs humanitaires rendent un immense service aux 27 millions de personnes déplacées et aux 10 millions de réfugiés, ainsi qu'à tous ceux qui souffrent de faim chronique - une personne sur six. C'est ce qui les rend vulnérables. Près de 700 seraient morts entre 1990 et 2000, qu'ils oeuvrent dans les organisations internationales, les ONG, ou les associations, avec les moyens de l'ONU ou de l'Union européenne - qui avec ses États membres fournit plus de la moitié de l'aide mondiale.

Les journalistes jouent un rôle crucial au service de l'information qui, au-delà d'une liberté, est souvent le seul moyen d'alerter l'opinion publique et la communauté internationale et d'ouvrir la voie à l'action. Ils sont des cibles. Selon Reporters sans frontières, 71 journalistes ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions en 2013 (surtout en Syrie, Somalie et Pakistan), 87 ont été kidnappés (au Moyen-Orient, Afrique du Nord et Afrique sub-saharienne) et 178 sont emprisonnés à ce jour (en particulier en Chine, Érythrée, Turquie, Iran et Syrie). L'assassinat récent de Camille Lepage en Centrafrique et celui de deux journalistes de RFI au Mali en novembre dernier confirment ce sombre tableau. Sans parler de ceux qui sont retenus en otage.

Notre commission chargée de la défense a conscience des délicates questions que soulève l'indispensable présence des journalistes sur les théâtres d'opérations militaires, notamment parmi les forces armées chargées de leur protection. Soyons francs, l'incompréhension n'est pas rare entre ces deux mondes. Nous nous souvenons des risques encourus par la cinquantaine de journalistes à Gao au début de l'opération Serval, qui ont été protégés, et même évacués, par nos soldats. Et si les groupes terroristes avaient eu le dessus ? Jusqu'où aller pour informer ? Comment concilier liberté de la presse et sécurité des personnes et des forces de protection ? Ces questions dépassent largement le cadre de la proposition de loi.

Comme la commission Kaspi de 2008 l'a montré, nous assistons à une inflation commémorative. L'ONU a consacré 127 journées internationales aux sujets les plus divers, dont la radio (13 février), la liberté de la presse (3 mai) et les travailleurs humanitaires (19 août). À l'initiative de la France, une journée contre l'impunité des crimes contre les journalistes, le 2 novembre, a été instaurée à la suite de l'attentat contre les deux journalistes de RFI l'année dernière, sans parler de la journée de la paix du 21 septembre. La multiplication nuit à la hiérarchisation : comment mettre sur le même plan la commémoration des victimes de la Shoah et la journée de la langue chinoise ? Le calendrier national est lui aussi encombré : outre les journées de la femme ou des droits de l'enfant, il compte douze dates, dont la moitié instaurées récemment, comme le 19 mars pour les victimes en Algérie, Maroc et Tunisie, en 2012, et le 27 mai, journée nationale de la résistance, en 2013. C'est à l'occasion d'une loi sur le 11 novembre que Mme Aïchi, dont je salue la constance, avait eu l'idée de cette journée. Avec les journées de l'obésité, de l'audition, de lutte contre l'homophobie, de la sécurité routière ou des gens du voyage, nous arrivons à des centaines de dates par an. La conséquence en est la banalisation, l'affadissement, voire le risque - absent bien sûr de cette proposition - de communautarisation, les hommages finissant par diviser au lieu de rassembler.

La proposition de loi, enfin, est faiblement normative. Il existe déjà une journée internationale pour les intervenants humanitaires et plusieurs pour la presse. La proposition de loi fusionne les hommages à ces deux catégories, habituellement distinctes. Sans jour férié ni obligation de manifestations pédagogiques, sa portée est symbolique.

Je vous propose la position suivante : affirmer l'importance du travail d'hommage et de commémoration ; rendre un hommage appuyé aux70 humanitaires et 70 journalistes tués chaque année ; à cause des effets négatifs de l'inflation commémorative, ne pas augmenter le nombre de jours légaux de commémoration et d'hommage ; proposer que notre représentation permanente auprès des Nations unies suggère ce thème pour une prochaine « journée de la paix » de l'ONU, ce que la sous-direction des droits de l'homme au ministère des affaires étrangères considère, d'après une première analyse, à confirmer naturellement, comme envisageable.

Je vous rappelle que si nous n'adoptons pas un texte en commission, c'est celui de Mme Aïchi qui sera discuté en séance publique.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Un gentleman's agreement impose que les commissions ne touchent pas aux textes qui sont l'apanage des groupes politiques. Nous avons la possibilité d'adopter ou ne pas adopter le texte. L'amender ne serait pas conforme à la tradition sénatoriale.

Mme Leila Aïchi. - Cette proposition reprend le contenu d'un amendement déposé lors de l'examen de la loi sur le 11 novembre, et retiré pour préserver la cohérence du texte. Or il semblait important, malgré la profusion des commémorations, que l'hommage aux morts pour la paix fasse écho à l'hommage aux morts pour la nation. Pourquoi le choix du 21 septembre ? Parce que la journée de la paix se tient ce jour-là chaque année depuis 1981, à l'initiative de l'ONU. En vingt ans, de 1990 à 2011, l'armée française a perdu 620 soldats en opérations extérieures ; mais 700 travailleurs humanitaires sont morts en dix ans et 660 journalistes ont disparu entre 2008 et 2014, soit deux par semaine. L'adoption de cette loi aurait un écho important en cette année de centenaire de la Grande guerre, surtout émanant de la France.

M. Alain Néri. - Les journalistes et les travailleurs humanitaires paient un tribut extrêmement lourd. Cette proposition de loi ne doit pas être rejetée : cela signifierait que nous nous y opposons. C'est pourquoi la proposition de Jeanny Lorgeoux peut faire consensus. Est-ce une solution réglementaire ? Ce serait en tout cas une bonne sortie par le haut.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Cela peut se faire.

M. Christian Cambon. - Les faits rapportés par Leila Aïchi nécessitent que l'on s'y attarde, mais sans lien avec la création d'une journée de commémoration supplémentaire. Comme les impôts, trop de publicité tue la publicité. Notons que l'association des journalistes de Défense est opposée à cette proposition. Nous ne pouvons pas mettre sur un pied d'égalité les journalistes et travailleurs humanitaires d'une part et les militaires chargés notamment de les protéger d'autre part. Si la proposition est maintenue en l'état, le groupe UMP s'y opposera.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Voilà qui pourrait nous aider à faire preuve d'élégance : la commission n'adopte pas de texte, mais elle propose unanimement de faire cheminer cette demande auprès de la représentation permanente de l'ONU.

Mme Leila Aïchi. - Je ne vous cache pas mon étonnement. Le 24 janvier 2012, je n'ai accepté de retirer mon amendement que sur l'engagement du président de la commission d'accepter une proposition de loi allant dans le même sens.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Allons ! Comment aurais-je pu prendre un tel engagement au nom de la commission ? Chacun de nous vote librement !

Mme Leila Aïchi. - C'est écrit dans le compte rendu de la séance publique. Sans engagement de votre part, pourquoi aurais-je retiré mon amendement ? Je m'interroge : cette attitude ne fait-elle pas écho à mon abstention sur le communiqué de presse de la semaine dernière ?

M. Jean-Louis Carrère, président. - Jamais je n'aurais pris la liberté de promettre une chose pareille : je connais les mécanismes parlementaires. Ai-je dit que nous étudierions une proposition de loi avec bienveillance ? Oui ! C'est pourquoi je propose une solution qui nous permette de faire cheminer votre idée, en la portant auprès des Nations unies.

M. Daniel Reiner. - Je n'ai pas souvenir de ce débat ; mais j'ai la certitude que le groupe socialiste n'aurait pas voté cet amendement. Soutenons la formule habile du président, approuvée par MM. Néri et Cambon, qui porte ce point à l'échelle qui lui convient : le niveau mondial, qui lui donnera un écho qu'il n'aurait pas seulement en France. Cette journée existe déjà : le 19 août, même si nous sommes tous en vacances. Nous aurons cette discussion en séance. J'anticipe le vote du groupe socialiste : il sera négatif.

M. Jacques Gautier. - S'il devait voter ici, le groupe UMP voterait contre, comme dans l'hémicycle. La proposition du rapporteur est une bonne porte de sortie. Madame Aïchi, vous ne pouvez pas raisonnablement comparer un chiffre mondial, celui des victimes journalistes ou humanitaires, et un chiffre purement national, celui des morts parmi les militaires français.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Concrètement, que se passe-t-il en France le 21 septembre ? Que proposerez-vous à l'ONU : de consacrer à ce thème une journée de la paix ou de l'adopter définitivement ?

M. Robert del Picchia. - On devra bientôt se limiter à des demi-journées !

M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur. - Nous proposerons dans un premier temps de consacrer la journée de la paix de l'année prochaine à ce thème. Si nous recevons un écho favorable à l'ONU, nous pourrons songer à une pérennisation.

Mme Nathalie Goulet. - Dans notre Haute Assemblée, proposer le retrait d'un amendement au profit du dépôt d'une proposition de loi est classique, voire banal. Il n'y a pas lieu d'en prendre ombrage. Je n'ai pas de mandat de l'UDI ; mais dans le meilleur des cas, elle s'abstiendrait. Il est préférable de nous rallier à la proposition du président et du rapporteur : sinon, il y a lieu de craindre une issue défavorable.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je propose que la commission n'adopte pas de texte - les groupes se prononceront en séance - mais demande à notre représentation permanente auprès des Nations unies de suggérer ce thème au Secrétaire général pour une prochaine journée. Les premiers contacts officieux auprès de la sous-direction des droits de l'homme sont encourageants - je ne dis pas pour autant que c'est acquis !

M. Gilbert Roger. - Je ne voterai pas ce texte.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Compte rendu de la réunion de la sous-commission sur les relations économiques transatlantiques de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN - Communication

La commission entend une communication de Mme Nathalie Goulet, membre de la délégation à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN : compte rendu de la réunion de la sous-commission sur les relations économiques transatlantiques (Washington, 28 et 29 avril 2014).

Mme Nathalie Goulet. - Ne serait-ce que pour rendre compte de nos déplacements - nous ne faisons pas de tourisme -, il me semblerait intéressant d'inscrire plus souvent à notre ordre du jour les communications de sénateurs qui reviennent d'une mission. C'est pourquoi j'ai proposé de rendre compte de la réunion de la sous-commission sur les relations transatlantiques de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, qui s'est tenue à Washington les 28 et 29 avril.

M. Jean-Louis Carrère, président. - N'ayez crainte : les collaborateurs de la commission me tiennent informé de tout, y compris des dépenses. Je sais lorsqu'elles atteignent voire dépassent le plafond autorisé.

Mme Nathalie Goulet. - Aucun administrateur n'était à Washington.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Pour des questions de coût.

Mme Nathalie Goulet. - De nombreux membres de l'Assemblée parlementaire de l'Otan se sentent trahis par la Russie, qui a envahi la Crimée, alors que nous avions engagé depuis vingt ans un dialogue dans le cadre du conseil OTAN-Russie. Il était nécessaire de rassurer les pays voisins (Géorgie, Moldavie, voire Macédoine et Monténégro), d'autant que le maître mot était « Rebalancing » à la suite de la décision des Américains de porter une attention accrue à l'Asie.

Les analyses du FMI et de la Banque mondiale étaient très intéressantes, notamment à propos des conséquences de la guerre en Crimée sur l'économie russe : croissance stoppée ; évasion massive de capitaux et risques pour toute la région dans un contexte de croissance moins dynamique au Brésil ou en Chine ; montée des extrémismes, des droites, des mouvements nationalistes et anti-européens.

Le président de la Banque mondiale a parlé d'un voyage entrepris pour la première fois en commun avec des responsables de l'ONU, c'était dans l'Afrique des grands lacs. Il était temps qu'ils collaborent ! Il a également relevé l'importance de l'aide aux réfugiés qui s'élève à 7,5 milliards de dollars pour le Liban et 3,5 milliards de dollars pour l'Ukraine.

Pour le reste, il a été question du traité transatlantique, dont nous parlons tous les jours, négocié en ce moment dans un certain secret. Il serait particulièrement important de se faire communiquer le mandat de négociation.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Il est dommage que vous ayez été absente pour l'audition de Laurent Fabius. Il nous a confié ne pas avoir de religion sur le traité. Si ce dernier apporte des solutions intéressantes et positives pour l'économie, il n'est pas contre ; mais il y a lieu, dit le ministre, de surveiller ces questions de près.

Mme Nathalie Goulet. - C'est aussi mon avis. Mais le traité ne pourra pas être coupé en tranches ! L'agriculture, par exemple, en fait-elle ou n'en fait-elle pas partie ? Nicole Bricq a tenté de faire respecter l'exception culturelle. On parle de l'abandon total du principe de précaution...

M. Jean-Louis Carrère, président. - Qui conduit la négociation pour la France ?

Mme Nathalie Goulet. - C'est la Commission européenne. L'inquiétude monte dans nos départements, que ce soit pour l'agriculture, les normes sociales ou l'emploi.

Je vous propose de faire une note sur l'indépendance énergétique qui constitue un élément stratégique. L'exploitation des gaz de schiste bouleversera en effet tous les équilibres. Plus les Européens sont divisés, plus les Américains jouent sur du velours. La condamnation de la BNP Paribas fait partie du décor. Ce que dit le Président Obama à West Point est contradictoire avec l'annonce du transfert d'un milliard de dollars aux pays de l'Est.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous la lirons avec plaisir. Je ne refuse pas les comptes rendus oraux en commission s'ils ont un intérêt stratégique. Votre idée de rendre compte après chaque participation aux sous-commissions de l'OTAN est très bonne.

La réunion est levée à 11 heures 30.