Mardi 15 juillet 2014

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30

La France face à l'émergence de l'Asie du Sud-Est  - Examen du rapport d'information

La commission examine le rapport de MM. Jean-Claude Peyronnet, Christian Cambon, André Dulait et Jean-Claude Requier, co-rapporteurs du groupe de travail « La France face à l'émergence de l'Asie du Sud-Est ».

M. Jean-Louis Carrère, président. - Mes chers collègues, nous voici donc réunis pour la dernière fois de la session -et de la mandature-, pour entendre le rapport de nos collègues sur « La France face à l'émergence de l'Asie du Sud-Est », qui va nous permettre de rattraper un certain retard, car nous n'avions pas publié de rapport d'information sur l'Asie depuis 2006...

Depuis le 1er octobre 2011, notre commission aura tenu 219 réunions, aura siégé 382 heures, aura entendu 164 personnes en audition, aura publié 19 rapports d'information, 36 avis budgétaires, aura examiné 132 projets ou propositions de loi -dont une loi de programmation militaire et une loi d'orientation sur la solidarité et le développement- ! Nous avons beaucoup et, j'ose le dire, bien travaillé ! Bravo à tous.

Quant à moi, je voulais simplement vous dire combien j'ai été heureux de présider cette commission. Je l'ai déjà dit, et vous le savez : je pense que c'est unis que nous sommes forts, et je vois dans les déclarations du Président de la République et du ministre de la défense ces derniers jours, sur la « sanctuarisation » des crédits de la défense, une véritable consécration de nos efforts communs. Je voulais vous en remercier très sincèrement. Place à l'Asie maintenant !

M. Jean-Claude Peyronnet. - Monsieur le Président, mes chers collègues, notre commission n'avait pas publié de rapport sur l'Asie depuis 2006. Et pourtant, « L'Asie Pacifique sera de façon évidente au coeur du 21e siècle » dixit Laurent Fabius en août 2013, premier ministre des affaires étrangères français au siège de l'ASEAN à Jakarta. D'une certaine façon, l'Asie du sud-est est « à la mode ». Chine, États-Unis, Japon, Corée, Allemagne s'y bousculent, et en France même, nos ministres s'y pressent, après 10 ans d'oubli relatif, où il n'y en avait, en Asie, que pour la Chine, le Japon et l'Inde. Pourquoi ?

D'abord, parce que s'y fabrique une bonne part de la croissance mondiale, portée par la demande intérieure, et résistante à la crise. Ensuite, parce que s'y jouent des évolutions décisives en matière stratégique -avec l'affirmation chinoise en mer de Chine du Sud-. Parce que nous y avons désormais autant de ressortissants qu'en Afrique de l'ouest -soit 60 000 Français- et autant d'intérêts économiques qu'en Chine (1 500 entreprises) ; nous partageons, enfin, la même vision des relations internationales.

Nous nous sommes rendus, parmi les 10 pays de l'ASEAN, dans ceux avec lesquels la France a signé un partenariat stratégique : Singapour, Indonésie, Vietnam. Daniel Reiner, Jacques Gautier et Alain Néri s'étaient quant à eux rendus en Malaisie pour un salon d'armement (et André Dulait et le président Carrère également en Malaisie et Thaïlande).

Vous trouverez dans le rapport écrit un bilan complet et, il faut le dire, très contrasté de l'état de cette région, fragmentée, qui « galope ». On y trouve tous les extrêmes, dans une mosaïque ethnique et culturelle, de la Birmanie au Cambodge et au Laos, encore pauvres, jusqu'à Singapour, où une personne sur 5 est millionnaire ; de l'Indonésie, grande démocratie qui a tout d'un BRICS, au sultanat de Brunei, pétromonarchie en voie de radicalisation...

Nous nous sommes focalisés sur la place qu'y occupe la France et nous nous sommes astreints à proposer une « feuille de route » d'actions concrètes à mener, pour renforcer l'influence française. Car nous en sommes convaincus : il n'est que temps de lutter contre un certain fatalisme qui voudrait que nous n'ayons « plus les moyens » d'avoir une politique asiatique ambitieuse -tout au moins en dehors des 3 géants de l'Asie-. Nous sommes frappés du contraste entre l'ampleur de nos intérêts dans la région et, osons le dire, une certaine indifférence vis-à-vis peut être de l'Asie en général ( ?), en tous cas de l'Asie du Sud-Est en particulier.

Cela fait près de 15 ans que l'Asie est affichée comme la nouvelle « frontière » de la diplomatie française, mais les actes ne suivent pas et, en fait, notre perception n'a pas vraiment changé. Sommes-nous vraiment convaincus de l'impératif à « reprendre pied » en Asie du sud-est ?

M. Jean-Claude Requier. - Aire au succès économique retentissant, avec une croissance de 6% par an ces 5 dernières années, marché de plus de 600 millions d'habitants, demain comparable en taille à l'Union européenne, l'Asie du Sud Est est aujourd'hui le coeur du commerce globalisé. La moitié du trafic mondial passe par le détroit de Malacca, véritable veine jugulaire de l'économie. L'Asie, moins de 20% du PIB mondial en 1980, en représentera le tiers en 2030.

Ensemble, les 10 économies d'Asie du Sud-Est -ou ASEAN- forment la 4ème puissance économique mondiale, attirent 110 milliards d'investissements étrangers chaque année. C'est nouveau : elles consomment, 54% de leur PIB -un record !- et les classes moyennes se comptent désormais en centaines de millions, en particulier en Indonésie, Malaisie, Thaïlande. Ces pays investissent : 1.000 milliards d'euros d'infrastructures seront construites dans les 10 prochaines années. Dans 5, 10 ou 20 ans, suivant les cas, tous les pays de l'ASEAN auront rejoint le groupe des pays à hauts revenus.

Les chiffres sont spectaculaires :

- Le trafic aérien a cru de 80% à Jakarta depuis 2008, Airbus y a vendu 240 avions l'année dernière ;

- il se vend déjà plus de voitures en Indonésie qu'en France : 1,1 million par an, alors que le taux d'équipement n'est que de 3% ;

- La capitalisation boursière a été multipliée par 5 en 10 ans dans l'Asie du Sud-Est ;

- 117 projets miniers sont en cours dans l'ASEAN, l'Indonésie est leader mondial du charbon, la Thaïlande celui du caoutchouc, Malaisie et Indonésie ceux de l'huile de palme ; Indonésie et Brunei produisent des hydrocarbures ;

- 20 000 km de voies ferrées sont à construire, des lignes à grande vitesse (entre la Malaisie et Singapour, et en Thaïlande) et 13 lignes de métro sont en projet ;

- À elle seule, la Chine investit 10 milliards de dollars chaque année dans la région, dans le secteur énergétique et les infrastructures principalement...

On assiste à une inversion de la relation de dépendance économique avec l'Asie du sud-est : désormais c'est l'occident qui a besoin de l'Asie du Sud-Est, pour aller chercher sa croissance, et non plus l'inverse.

Cette région souffre toutefois de faiblesses :

. Une pression sans précédent est exercée sur l'environnement et les ressources naturelles. Le développement  a un revers écologique : le charbon va devenir le 1er combustible de l'ASEAN en 2030, pour satisfaire une demande en énergie qui a été multipliée par 5 depuis 1990 et qui va continuer à croitre au même rythme. L'Indonésie a perdu 20% de ses forêts en 20 ans (l'équivalent d'un terrain de tennis par minute).

. Déséquilibre, ensuite, d'un développement vertigineux qui engendre de tentaculaires mégalopoles, avec 4 villes de plus de 10 millions d'habitants en 2025 (Manille, Jakarta, Bangkok, Ho Chi Minh ville), des problèmes d'assainissement, d'étalement urbain, d'embouteillages, de pollution ;

. Vulnérabilité au dérèglement climatique, ensuite, avec des catastrophes naturelles dévastatrices : tsunami, typhon Hayan, inondations...

. Explosion des inégalités sociales : le décile le plus riche totalise 30% de la consommation de l'ASEAN ;

. Corruption, qui entrave le développement, notamment au Vietnam et en Indonésie ;

. Instabilité politique, en Thaïlande, ou « contrôle » étatique étroit, au Viet Nam ;

. et enfin trafics, de drogue ou de migrants, irrédentismes et terrorisme...

M. Christian Cambon. - Compte tenu de son palmarès économique, c'est peu de dire que l'Asie du Sud-Est est courtisée ! Les dirigeants s'y pressent (récemment encore Barack Obama, Mme Merkel est une habituée), chacun propose son partenariat, son accord de libre-échange, à tel point qu'on parle de véritable « course aux accords de libre échange ». Depuis 2011, la France, qui avait littéralement déserté depuis la crise asiatique de 1997, revient en force, avec un rythme de déplacements ministériels accéléré.

Si nous avons en Asie du Sud-Est un montant d'exportations et un nombre d'entreprises comparable à celui détenu en Chine, la présence des entreprises françaises n'exploite cependant pas tout le potentiel : la part de marché française globale plafonne à 1 %, contre 3.8% au plan mondial, reflet d'un déficit de présence (en Indonésie), ou de rapports déséquilibrés (au Vietnam).

Comment expliquer que nous n'ayons plus que 150 entreprises françaises en Indonésie, 4ème pays le plus peuplé au monde, 16ème économie mondiale, en croissance très rapide, là où nous en avions 450 il y a 15 ans ? Dans ce pays qui est une démocratie, et qu'on qualifie de « mini Chine », pour ses dimensions et la rapidité de son développement, et où des dizaines de millions de personnes supplémentaires viennent grossir chaque année la classe moyenne, nous ne vendons pas une voiture ou presque ...

Où sont passés les bénéfices de 20 ans d'aide au développement en Asie du Sud-Est ? Nous avons 1,5 milliard d'euros d'encours de projets de l'AFD au Vietnam, où 40 collectivités territoriales sont en outre présentes, avec plus de 200 projets ! C'est un des pays où les collectivités publiques françaises ont consacré le plus de temps et d'énergie à faire de l'assainissement, à investir pour la culture, le patrimoine, pour le développement durable, pour la coopération universitaire... Tout ça pour se retrouver 27ème fournisseur au Viet Nam, avec 2 milliards d'euros de déficit commercial et moins de 1% de la population réellement francophone.

D'autres, comme les Japonais, les Chinois, les Coréens, ont su utiliser leur aide publique au développement comme une porte d'entrée vers les marchés. Nous avons visité quatre projets de l'AFD au Vietnam : l'un, sous forme de prêt, pour la distribution de l'hydroélectricité en provenance du Laos, a permis de vendre des équipements Alstom. Le deuxième, le métro de Hanoi, pourrait déboucher sur des marchés -à condition que nos entreprises candidatent, et soient compétitives, ce qui n'est pas toujours le cas-. Mais les deux autres nous ont laissés dubitatifs : quand on fait construire par des entreprises locales des petites digues pour protéger Ho Chi Minh Ville des inondations, ou quand on réhabilite un terril de charbon en bordure de la baie d'Halong, dans un pays qui appartient désormais à la catégorie de revenu « intermédiaire », qui n'est donc plus prioritaire, qu'est-ce que ça « rapporte » globalement à l'économie française ? Qui évalue notre « retour sur investissement » -c'est une constante de nos travaux que de poser ces questions- ? Certes, ce sont des prêts, mais je connais beaucoup d'entreprises en France qui aimeraient avoir des prêts à de telles conditions.

Dans cette région du monde, la mondialisation s'est traduite par une « asiatisation » des économies : c'est un fait, nous avons dans l'ensemble perdu pied sur le plan économique, au bénéfice des Chinois ou des Coréens. Il y a un coût d'opportunité à ignorer plus longtemps cette région pleine d'avenir : c'est là que se fabriquent la croissance et les emplois de demain. La perspective de la « communauté ASEAN », grand marché de 1600 milliards de dollars, à horizon 2015, doit nous permettre de nous mobiliser. Nous pourrions saisir cette opportunité pour bâtir une stratégie économique, autour du nouveau « représentant spécial » qui vient d'être nommé pour l'ASEAN, avec des pratiques de portage à l'export des groupes pour nos PME.

Il faut faire de la diplomatie économique le fer de lance de notre pivot, autour, notamment, des besoins en infrastructures, de « l'économie verte » et de « l'économie bleue », c'est-à-dire maritime, tout en attirant, réciproquement, les investissements en France (je pense en particulier aux fonds souverains, et au potentiel de Singapour en la matière).

M. André Dulait. - Le contexte géopolitique en Asie du Sud-Est est souvent comparé par les experts à l'Europe de 1914, avec la montée en puissance de la Chine (comme jadis l'Allemagne) et le relatif déclin des États-Unis (comme la Grande Bretagne de 14). La Chine, à la recherche de matières premières, alimentaires, mais surtout énergétiques, est aussi confrontée au fameux « dilemme de Malacca », c'est à dire à sa dépendance par rapport à la « ligne de vie » de son économie, ligne maritime qui passe par des détroits qu'elle ne maitrise pas. Elle souhaite desserrer l'étau et sécuriser ses flux commerciaux, tout autant que faire naviguer librement ses sous-marins vers les grandes fosses océaniques, ou encore affirmer ses droits sur ce que certains présentent -même si cela n'est pas totalement avéré- comme un petit « Koweit » sous-marin, regorgeant d'hydrocarbures : la mer de Chine méridionale, élevée depuis 2010 au rang « d'intérêt vital » pour le pays. Dans la pensée stratégique chinoise, c'est quasiment désormais devenu une mer intérieure.

La montée en puissance inexorable de la marine chinoise, son habile stratégie de la contestation du statu quo par le fait accompli, et la mise en première ligne de bâtiments « civils » chinois, autour de la revendication de ses « droits historiques », matérialisés par la fameuse « ligne en langue de boeuf » qui recouvre 80% de la mer de Chine du Sud, ont mis la région sous tension. Les Philippines et le Vietnam sont sur la ligne de front, pour les îles Paracels et Spratleys, disputées, et pour une plate-forme d'exploration pétrolière chinoise installée en mai dernier dans la zone économique exclusive vietnamienne. Tous les États de l'ASEAN -même ceux qui prônent un équilibre avec la Chine, comme Singapour ou l'Indonésie- ont intégré cette émergence et achètent des équipements militaires. La modernisation accélérée de la marine chinoise - SNA, SNLE, porte-avions, frégates - l'amène à se déployer beaucoup plus loin de ses bases, récemment à l'Ouest de l'océan Indien, avec un SNA, ou encore en Méditerranée avec plusieurs frégates chinoises.

Chez ses voisins du sud-est asiatique, citons l'acquisition de six sous-marins et de corvettes anti-sous-marines par le Vietnam, de quatre sous-marins et de corvettes par Singapour, de deux sous-marins et de moyens de surface modernes pour la Malaisie, ainsi que l'intention des Philippines et de l'Indonésie de se doter de sous-marins et de patrouilleurs. L'Asie du Sud-Est c'est aujourd'hui 40% des projets de sous-marins au monde et le quart des projets navals ! La moitié de nos exportations d'armement se fait d'ailleurs en Asie, avec une grosse part à Singapour (MRTT, frégates furtives) et en Malaisie (frégates, A400 M, hélicoptères, sous-marins...).

Comment gérer, pour l'ASEAN, un voisin tel que la Chine, qui devient inexorablement votre premier client, votre premier fournisseur, et l'un de vos principaux financeurs d'infrastructures, bailleur de fonds d'aide au développement, voire banquier en dernier ressort ? Le fameux « code de conduite » sur le règlement des différends maritimes, actuellement en négociation avec l'ASEAN, peut-il être autre chose, dans ces conditions, au pire qu'un « serpent de mer », au mieux qu'un catalogue de « mesures de confiance » pour faire baisser temporairement la pression ? Personne ne nous l'a en tous cas présenté comme une solution définitive pour le règlement durable d'épineux contentieux de souveraineté...

L'Asie du Sud-Est est le creuset des évolutions géopolitiques actuelles, qu'il s'agisse du basculement de la puissance vers le Pacifique, ou de la remise en cause des principes « occidentaux » du droit international (comme la liberté de circulation en mer, notamment...). À ce titre, nous sommes concernés : si les droits attachés aux ZEE ou aux eaux territoriales volent en éclat, nous le seront en tous cas à court terme.... C'est en quelque sorte un laboratoire, où on retrouve les trois volets décrits dans le rapport « maritimisation » : la sécurisation des flux, la protection des ressources et l'occupation des océans comme espace stratégique. Nous devons être vigilants à ce que le droit international s'applique et à ce que les négociations pacifiques permettent de résoudre les différends territoriaux. Si ce n'est pas le cas, cela pourrait remettre en cause tout le système de régulation international des océans.

Notre 3e priorité c'est donc de s'engager pour la sécurité en Asie du Sud-Est, en élargissant la coopération : lutte anti-terroriste, catastrophes naturelles, échanges d'officiers, exercices et escales militaires. Il importe d'intégrer des enceintes de dialogue stratégique qui sont très importantes en Asie et maintenir des moyens militaires crédibles dans la zone, avec des escales de bâtiments de « premier rang » de la Marine Nationale.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Devant tant d'opportunités, nous avons souhaité être très opérationnels et pragmatiques. Le rapport propose une « feuille de route » concrète pour relancer la relation avec l'Asie du Sud-Est, à mettre en oeuvre en 6 mois, 1 an ou 2 ans, suivant les mesures. Nous avons voulu produire un document politique, pour action, qu'avec votre accord nous enverrons tant au gouvernement qu'au nouveau représentant spécial pour l'ASEAN, désigné ces jours-ci, Philippe Varin. Vous retrouverez ces mesures dans le document de « 4 pages » qui sera diffusé, si vous l'approuvez, en français et en anglais.

Feuille de route : À 6 mois

. Adhérer à ReCAAP, organisme de lutte contre la piraterie dans le sud-est asiatique, en réglant de façon pragmatique la question de la traduction en langue française. L'intérêt de cette adhésion à ReCAPP est de contrebalancer à moindre coût la relative faiblesse de notre présence navale dans une région essentielle à nos intérêts économiques et maritimes et de favoriser la mise en oeuvre d'une stratégie d'influence dans les réseaux asiatiques. Seulement, alors que nous avons demandé et obtenu l'autorisation d'adhésion, une interprétation restrictive -par nos propres services juridiques !- de l'obligation d'emploi de la langue française nous fait tergiverser depuis des mois. Ce n'est pas très crédible. Il faut régler cette question.

. À 6 mois, encore, lancer un audit global des différents programmes de personnalités d'avenir pour l'Asie du Sud Est, dans une logique d'influence, et d'animation d'un véritable réseau ;

. Définir une feuille de route au Représentant spécial « ASEAN » avec l'Indonésie en priorité n°1, et mettre en place une équipe (ou « task force ») interministérielle (défense économie affaires étrangères) pour bâtir une stratégie globale « ASEAN communauté 2015 » pour répondre, par une offre commerciale adaptée, au besoin de « connectivité », en incluant un volet « portage des PME » ;

. Au plan international, dans les 6 mois, proposer un événement (« un Sommet ? ») sur la sécurité maritime ou la liberté de circulation en mer.

Les actions à mener à horizon de 1 an :

. Proposer à la Malaisie la conclusion d'un partenariat stratégique. Nous sommes frappés que cela n'ait pas encore été le cas, alors que nous avons avec ce pays des relations très denses ; à notre avis le ministre de la défense doit s'y rendre dans l'année, compte tenu des enjeux pour les exportations d'armement ;

. Maintenir le rythme des visites officielles en prévoyant une visite du Président de la République aux Philippines, c'est prévu, voire au Vietnam, c'était promis et, une fois le nouveau président élu, à notre avis en Indonésie, surtout ;

. Pérenniser la présence française au dialogue du Shangri-La de Singapour (ministre, voire, pourquoi pas, délégation parlementaire ?) ;

. Relancer la signature -un peu enlisée- du protocole sur la création d'une zone exempte d'armes nucléaires en Asie du sud-est, car ces pays sont nos alliés sur ces questions, comme d'ailleurs sur les négociations « climat » ;

. Renforcer la coopération de défense en visant un pourcentage de 15% à 20% dévolus à l'Asie du Sud-Est, répondre positivement à la demande d'un professeur de Français auprès du centre militaire des langues indonésien, et aux demandes complémentaires de formation de la sous-marinade malaisienne ;

. Garder notre officier inséré au sein du centre « IFC » de Singapour, centre de fusion de l'information sur la sécurité maritime qui nous permet d'être présents, connus et reconnus et de développer peu à peu notre influence.

Les actions à mener à un horizon de 2 ans :

. Il nous semble qu'il nous faut avoir un diplomate à plein temps auprès de l'ASEAN, et poursuivre le très lent rééquilibrage de nos moyens diplomatiques et visas vers l'Asie, en ciblant plus spécialement l'Indonésie ;

. Accentuer la place de l'Asie du Sud-Est dans les programmes d'escales des bâtiments français de premier rang, avec des escales prestigieuses de la Marine Nationale (pourquoi pas un sous-marin nucléaire d'attaque, ou à nouveau un BPC ?) ;

. Pour les visas : appliquer la même priorité à l'ASEAN que pour les « touristes chinois », car ils ont le même potentiel de dépense ;

. Appuyer, enfin, le rôle international positif notamment de la Malaisie et de l'Indonésie (candidats au Conseil de sécurité).

Nous espérons participer à la prise de conscience de « l'impératif asiatique » : les enjeux sont importants.

M. Jeanny Lorgeoux. - Votre rapport, dont je salue la grande qualité, nous incite à réfléchir au pivotage mondial vers la région Pacifique. La montée de la Chine en mer de Chine méridionale et sa volonté de maîtriser le détroit de Malacca ne nous conduisent-ils pas inéluctablement à des affrontements armés, compte-tenu des rivalités historiques (Chine-Viet Nam notamment) ?

M. Jean-Claude Peyronnet. - Certains analystes font en effet un parallèle avec l'Europe de 1914, qui est inquiétant. En même temps, les États-Unis contrebalancent dans la région l'influence chinoise. La Chine elle-même est très liée sur le plan non seulement économique, mais aussi culturel, avec les diasporas chinoises, aux autres pays d'Asie du Sud-Est.

M. André Dulait. - Aucun de ses voisins n'a les moyens de s'opposer à la Chine, qui ne cherche pas non plus l'affrontement armé, mais la protection de ses intérêts tant économiques que stratégiques, puisqu'elle aspire à permettre l'accès de ses sous-marins aux grandes fosses océaniques via la Mer de Chine méridionale.

M. Christian Cambon. - Nous avons eu, au cours de plusieurs entretiens conduits pour la préparation du rapport, l'impression que ces questions stratégiques étaient aussi le prétexte à une mobilisation à des fins de politique intérieure. Il ne faut pas sous-estimer cette dimension : le nationalisme est fort, tant en Chine que dans les pays d'Asie du Sud-Est, nous l'avons mesuré lors de notre mission au Vietnam où des émeutes « antichinoises » ont éclaté à la suite de l'installation de la plate-forme d'exploration pétrolière.

M. Jean-Pierre Chevènement. - Gardons-nous surtout d'un tropisme « antichinois », qui serait contraire au sens de l'histoire. La Chine reprend la place qui a été la sienne jusqu'au début du 19e siècle. Cela ne peut se faire sans quelques secousses... Personne ne veut la guerre, ni la Chine, ni les États-Unis, ni les États de la région. La Chine est une puissance considérable, comme le sera d'ailleurs l'Inde dans quelques années... En Indonésie, la minorité chinoise domine économiquement. C'est une région compliquée, dans laquelle nous devons faire, avant tout, du commerce, et mettre, peut-être, au second plan la géostratégie. La bipolarité entre la Chine et les États-Unis est d'ailleurs sans doute pour nous un moyen de résister à la pression d'un allié, certes, mais qui n'hésite pas à infliger une lourde amende à l'une des principales banques européennes... Avons-nous intérêt à une domination trop intrusive, fût-ce celle d'un allié ? La Chine n'est pas une menace pour la France. Nous devons tâcher de faire fructifier nos relations économiques, et le cas échéant de jouer, en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité, un rôle de conseil ou d'intercession. Je crois que les intérêts chinois sont avant tout économiques, et comme vous l'avez dit, stratégiques -vous avez mentionné leurs sous-marins-.

M. Jean-Claude Peyronnet. - C'est tout à fait la tonalité de notre rapport. La Chine développe un commerce très vigoureux avec l'Afrique, et souhaite aussi sécuriser ses flux maritimes.

M. Jean Besson. - Je partage l'analyse de Jean-Pierre Chevènement ; la Chine n'a nul intérêt à la guerre, et se place sur le terrain de la compétition économique. L'influence chinoise est forte en Asie du Sud-Est, ainsi en est-il dans les provinces du Nord de la Birmanie ou encore à Singapour, où 75 % de la population est d'origine chinoise et où l'accord de libre-échange Singapour-Chine conclu en 2008 a eu un effet d'entraînement.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je salue votre analyse et la pertinence de vos propositions. Le manque de visites officielles pendant dix ans a pu être perçu comme du mépris et la visite de Jean-Marc Ayrault dans la région était vraiment bienvenue. Pourquoi proposer un diplomate à plein temps auprès de l'ASEAN, alors que notre ambassadeur à Jakarta est déjà accrédité ? Quelles sont les difficultés pour trouver un professeur de français ? Les redéploiements dans le réseau diplomatique sont douloureux puisqu'ils se font sous un plafond d'emplois très contraint...

M. Jean-Louis Carrère, président. - Enseigner le français aux militaires indonésiens est un investissement pour l'avenir, car cela permettra d'amorcer des échanges aujourd'hui quasi inexistants. Sur le réseau diplomatique, je puis vous dire, à la suite du rapport que j'avais présenté sur les co-localisations diplomatiques, qu'il est certes douloureux, mais faisable, voire nécessaire.

M. André Trillard. - Je suis très sensible à vos propos relatifs aux droits qui s'attachent aux zones économiques exclusives. Des diplomates vietnamiens nous ont déjà alertés par le passé, notamment sur la section de câbles sous-marins par des navires chinois.

Mme Éliane Giraud. - La priorité donnée au rattrapage de nos positions économiques au Vietnam et en Indonésie me paraît essentielle. Je souhaite une meilleure complémentarité entre l'aide publique au développement de l'État et celle des collectivités territoriales.

M. Gilbert Roger. - Dans un pays centralisé comme le Vietnam, la coopération décentralisée se heurte parfois à des obstacles. J'ai vu des marchés issus de projets aidés par la coopération française attribués à des entreprises allemandes... Au Vietnam, les jeunes générations ont adopté le mode de vie américain : les jeunes ne parlent plus Français. Idem pour la coopération hospitalière : il est plus facile pour les médecins vietnamiens d'aller aux Etats-Unis.

Puis la commission adopte le rapport à l'unanimité et autorise sa publication sous forme de rapport d'information.

La réunion est levée à 15 h 45