Jeudi 2 avril 2015

- Présidence de M. Jean-François Husson, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Audition de M. Markus Amann, directeur du programme pour la réduction des polluants de l'air et des gaz à effet de serre, à l'Institut international pour l'analyse des systèmes appliqués (Iiasa)

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à des auditions dans le cadre de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air.

M. Jean-François Husson, président. - Nous reprenons nos auditions en débutant par une visioconférence avec M. Markus Amann, que je remercie d'avoir répondu, aux côtés du directeur de l'Iiasa, M. Pavel Kabat, à notre invitation. Cette audition est ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'un compte rendu annexé au rapport.

L'Iiasa, basé à Laxenburg, en Autriche, a été créé en 1972 pour favoriser la coopération scientifique entre le bloc de l'Est et le bloc de l'Ouest. Il est financé par ses pays membres et regroupe plusieurs centaines de chercheurs issus de nombreux pays. La France ne fait pas partie de ses membres. Parmi les domaines de compétences de l'Iiasa figure l'élaboration de modèles d'évaluation du coût de la pollution de l'air et des politiques de réduction de cette pollution.

Je rappelle, à l'attention du Dr Amman et de ses collaborateurs, que chacun des groupes politiques du Sénat dispose d'un droit de tirage annuel qui lui permet notamment de solliciter la création d'une commission d'enquête. Le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe écologiste d'utiliser ce droit pour soulever la question de l'impact économique et financier de la pollution de l'air. C'est sur cette base que notre commission d'enquête s'est constituée, le 11 février dernier. Mme Leila Aïchi, auteure de la proposition de résolution qui se trouve à l'origine de la constitution de cette commission, en est la rapporteure.

Mes chers collègues, étant donné la nationalité des personnes que nous auditionnons et le fait qu'ils se trouvent en Autriche, il me paraît inutile de leur faire prêter serment de dire la vérité.

Monsieur le directeur, à la suite de votre exposé introductif, ma collègue Leila Aïchi, rapporteure de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

M. Pavel Kabat, directeur général de l'Iiasa. - Je remercie le Sénat de son intérêt pour notre institut, créé en 1972, à l'époque de la guerre froide, en vue de développer la coopération scientifique entre ses membres, au premier rang desquels les Etats-Unis, l'URSS, le Japon, ainsi que la France, qui fait partie des douze membres fondateurs de l'Institut et y a été très active jusqu'en 1990, année où elle a quitté l'Iiasa, pour des raisons tenant à l'organisation financière de l'Institut.

L'Iiasa, qui a grandi et compte désormais vingt-deux pays membres, y compris les BRICS - Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud -, souhaiterait voir la France compter à nouveau parmi ses membres, à l'instar de la Grande-Bretagne, membre fondateur qui, après avoir, comme elle, quitté l'Institut, y est désormais revenue. J'ai engagé des discussions informelles avec la représentante permanente de la France auprès de l'ONU à Vienne, Mme Marion Paradas, ainsi qu'avec le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, lors du forum de Kyoto. J'ai également approché le directeur général du CNRS, M. Alain Fuchs. J'ai eu, enfin, l'occasion d'un échange très riche avec la ministre de l'écologie, Mme Ségolène Royal. Ceci pour dire que des contacts sont noués, dont j'espère qu'ils contribueront au rapprochement que nous appelons de nos voeux. Puisse notre participation à la commission d'enquête de votre Haute Assemblée constituer un pas de plus sur le chemin de ce rapprochement.

Quatre cents chercheurs de soixante-cinq nationalités travaillent en résidence à l'Iiasa, dont le réseau élargi compte plus de 2 000 personnes. Les Nations Unies, la Commission européenne, des gouvernements comme ceux du Japon et de l'Allemagne, font appel à nos services. J'ai voulu saisir l'occasion de cette audition pour vous dire que nous serions heureux d'avoir l'opportunité de vous présenter plus au fond l'Institut et tenter de vous convaincre de l'intérêt de renforcer nos échanges.

M. Jean-François Husson, président. - Nous accueillons cette proposition avec grand plaisir et sommes tout prêts à vous rencontrer plus longuement.

M. Markus Amann, directeur du programme pour la réduction des polluants de l'air et des gaz à effet de serre de l'Iiasa. - Notre institut, qui travaille à rechercher des solutions aux problématiques soulevées par les pouvoirs publics, privilégie une approche interdisciplinaire. Tel est le cas en ce qui concerne la problématique de la qualité de l'air, sur laquelle nous travaillons depuis de nombreuses années, de même que sur les gaz à effet de serre. Afin de prendre en compte tous les enjeux qu'engage une telle problématique, nos équipes réunissent des scientifiques spécialisés dans l'atmosphère et les écosystèmes, mais aussi des spécialistes dans le champ de l'économie, des technologies, de l'énergie, de l'agriculture, de la santé, qui travaillent ensemble à rechercher des solutions financièrement soutenables pour améliorer la qualité de l'air et réduire les émissions de gaz à effets de serre.

Nous travaillons en collaboration avec de nombreux partenaires institutionnels à travers le monde. En France, par exemple, nous collaborons depuis trente ans avec l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) sur la modélisation de la dispersion atmosphérique, ainsi qu'avec le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa), partenaire clé pour l'évaluation des technologies de contrôle des émissions de polluants.

L'une des réussites marquantes, ces dernières années, de notre coopération avec l'Ineris, et qui a contribué à infléchir les politiques européennes en matière de gestion de la qualité de l'air, est le travail commun que nous avons mené, avec quelques autres institutions, pour tenter de comprendre et de quantifier la dispersion des polluants dans l'atmosphère sur le continent européen. Nous avons ainsi développé une méthodologie destinée à identifier les sources des particules fines, dites PM2.5 - inférieures à 2,5 micromètres -, dont les spécialistes s'accordent à souligner l'impact négatif sur la santé. Grâce à une approche très locale, via 2 000 sites de contrôle, nous parvenons à identifier les sources d'émission et à mesurer, de là, la dispersion à long terme. Alors que la plupart des politiques mises en oeuvre jusqu'à présent partent du principe que ces particules ont un effet polluant localisé, notre étude montre que le problème se pose, au contraire, à large échelle. Les analyses chimiques menées via nos systèmes de contrôle font apparaître que 10 % à 15 % seulement de ces particules ont une origine locale. A l'échelle d'une ville, on peut considérer qu'un tiers vient de la ville elle-même, tandis que les deux tiers viennent d'ailleurs. A l'échelle d'un pays comme la France, on peut considérer qu'un tiers des particules vient de sources d'émission situées dans le pays mais hors des grandes villes, tandis qu'un autre tiers vient de l'extérieur. Ce constat n'est pas sans conséquence sur les politiques à mener. On ne saurait se contenter de gérer les émissions au niveau local : il faut retenir une approche allant au-delà des limites de la ville, et même du pays. Dans certaines zones, 60 % des polluants viennent d'autres pays. C'est là un point déterminant pour définir les réponses propres à réduire l'exposition de la population aux polluants, et qui devrait modifier l'approche de la Commission européenne.

Les particules fines proviennent de diverses sources d'émission. Le trafic automobile est souvent montré du doigt, mais nos analyses ont fait apparaître qu'il ne contribue qu'à hauteur de 20 % à 30 % à leur concentration. Dans beaucoup de pays européens, un tiers des émissions est imputable aux systèmes domestiques de chauffage au bois ou au charbon, tandis que 30 % à 40 % sont des particules inorganiques secondaires produites à partir des émissions d'ammonium de l'agriculture. Une pollution aux sources multiples, donc, qui pose des défis multiples. Alors que l'on se focalise sur le trafic automobile, le fait est que 60 % à 80 % des émissions viennent d'autres sources. Telle est la contribution que grâce à notre collaboration avec l'Ineris, nous avons pu apporter à la réflexion.

Nous travaillons également avec le Citepa, qui nous fournit, pour la France, des projections en matière énergétique qui nous permettent d'analyser le potentiel de réduction des émissions. Le Citepa travaille également avec un groupe d'experts à l'échelle européenne, pour une analyse systématique des technologies via une interface de contact avec l'ensemble des industriels.

L'Iiasa s'emploie à rechercher des solutions financièrement soutenables pour améliorer la qualité de l'air. Nous sommes attentifs au coût des solutions à proposer pour parvenir aux objectifs de réduction fixés par les pouvoirs publics. Après avoir identifié l'ensemble des sources d'émissions - trafic automobile, habitat, secteur industriel, agriculture -, nous dressons un inventaire détaillé des mesures susceptibles de réduire les émissions dans chaque secteur, et nous quantifions le coût de chacune d'entre elles, depuis l'investissement technologique jusqu'aux coûts d'exploitation qui sont ajustés pour chaque pays. Nous regardons l'impact des mesures prises, des mesures en cours et nous nous attachons particulièrement aux mesures susceptibles d'être prises au-delà des obligations européennes actuelles. Nous prenons également en compte les retombées positives que ces mesures peuvent induire, notamment en matière de santé publique.

Une mesure peut avoir un impact sur plusieurs polluants, aussi ne mesurons-nous pas son coût par polluant, mais globalement. Un pot catalytique, par exemple, permet de réduire à la fois les émissions d'oxydes d'azote et d'autres émissions, et de réduire ou d'augmenter les émissions de CO2. Nous analysons ainsi l'impact de chaque mesure à tous les niveaux, pour en identifier les retombées bénéfiques, qui sont souvent, pour une seule mesure, multiples.

Nous cherchons à identifier les mesures les moins coûteuses et qui ont le plus d'impact en matière de santé publique. Nous sommes à même de proposer, pour chaque pays, un portefeuille de mesures, en fondant nos analyses sur les objectifs environnementaux définis par les pouvoirs publics. L'objectif, pour l'Union européenne, est de réduire de 50 % l'impact de la pollution sur la santé. Par quelles mesures y parvenir au meilleur coût ? Telle est la question à laquelle nous nous employons à répondre. Sans pouvoir précisément quantifier en termes monétaires les retombées des mesures proposées, nous sommes en mesure de dire que le coût des investissements requis est compensé par leurs retombées économiques sur les secteurs industriels qui produiront les instruments destinés à la réduction des émissions, ainsi que par leurs retombées en matière de santé.

S'agissant de l'analyse de l'impact macroéconomique des mesures proposées, le Centre commun de recherche de l'Union européenne de Séville estime que les coûts à exposer pour mettre en oeuvre les mesures de contrôle des émissions récemment proposées par la Commission européenne s'élèveraient à 2 milliards, soit 1 % du budget de l'Union, qui ne représente lui-même que de 1 % du PIB de l'Union européenne. Il est vrai que cela modifierait les rapports de compétitivité entre les secteurs de production, les uns en ressortant gagnant, d'autres perdants, mais au total, l'impact sur la performance économique générale serait mineur.

Nous travaillons sur des modèles d'équilibre standard. Or, réduire de 50 % l'impact des émissions sur la santé, c'est faire reculer la mortalité, mais aussi la morbidité. Les gens vivront plus longtemps, mais ils seront aussi plus productifs au travail. Une population en meilleure santé est une population qui travaille mieux et plus. Cela fait partie des bénéfices économiques. On voit, au total, que les bénéfices nets de telles politiques sont clairement supérieurs à leurs coûts.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - L'OCDE juge qu'il convient de réduire la consommation de diesel en mettant fin aux mesures fiscales incitatives. Rejoignez-vous cette position ? Quels sont, selon vous, les freins à la lutte contre la pollution de l'air ?

M. Markus Amann. - L'Iiasa n'émet pas de recommandations. Nous nous en tenons à quantifier de manière objective les avantages et les inconvénients des options envisageables en matière de politiques publiques. Cela étant, la recommandation de l'OCDE de favoriser le développement de véhicules alternatifs au diesel est une option qui n'a pas reçu, à notre sens, toute l'attention qu'elle mérite au sein de l'Union européenne. Les véhicules diesel contribuent encore pour beaucoup, en dépit de normes plus strictes, à l'exposition de la population européenne aux particules fines, et notamment les NOx. Sur le terrain, en dépit de normes plus contraignantes, on ne voit guère d'amélioration. Dans l'arbitrage entre diesel et essence, la taxation a sans doute un effet, puisqu'on observe qu'en Suisse, où elle est neutre, étant d'environ 6 % pour le diesel comme pour l'essence, seuls 6 % de la population roulent au diesel. N'oublions pas, pour autant, que le trafic routier ne contribue aux émissions que pour 15 % à 20 %, les 80 % restants étant imputables aux autres sources que j'ai citées. Cela suppose de rechercher des solutions pour les réduire.

A votre deuxième question, j'apporterai une réponse personnelle. Il existe des technologies qui permettent de répondre aux normes et aux recommandations, notamment de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais c'est dans la mise en oeuvre pratique que l'on rencontre des résistances. Une mesure a toujours un coût, qui doit être équitablement réparti. Le problème, c'est que certains secteurs économiques en arrivent à contribuer plus que d'autres, et ils ne manquent pas de s'en plaindre. Depuis vingt-cinq ou trente ans, beaucoup de nouvelles normes ont été édictées, qui ont suscité une résistance chez les industriels, auxquels une forte contribution a été demandée. L'industrie, le secteur de l'automobile ont fait des efforts, qui n'ont pas été demandés à même hauteur aux autres secteurs qui contribuent pour une part croissante aux émissions, comme le résidentiel ou l'agriculture. Il y a du sens à travailler désormais avec ces secteurs, en mesurant le coût supplémentaire que cela impliquera pour eux. Il faut et l'on devrait, in fine, parvenir, du point de vue des coûts, à un équilibre entre les secteurs.

M. Pavel Kabat. - La communication compte beaucoup. La pollution de l'air est aujourd'hui considérée comme un problème de nature environnemental, autrement dit comme un coût. Mais investir dans le contrôle de la qualité de l'air a aussi des retombées positives pour tous les secteurs. Et pas seulement celui de la santé. J'ajoute que réduire l'émission de polluants contribue aussi à la lutte contre le changement climatique, sur quoi l'Iiasa travaille également. Mais les gouvernements ont encore du mal à faire le lien. Si l'on sort le sujet du seul silo environnemental, on voit les choses beaucoup plus positivement.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pouvez-vous nous donner un ou deux exemples des retombées positives qui ont suivi certaines mesures ?

M. Markus Amann. - Il y a tout d'abord les retombées sur la santé : allongement de l'espérance de vie, réduction du nombre de morts prématurées. Il peut certes être malvenu d'attribuer une valeur monétaire à la vie, mais on peut néanmoins considérer que le bénéfice, en l'occurrence, est trente à quarante fois supérieur aux coûts exposés.

Il y a aussi des retombées économiques directes : plus de productivité au travail, je l'ai dit tout à l'heure ; moins de dépenses de santé ; moins de corrosion des bâtiments... D'un point de vue macroéconomique, on peut aussi considérer que ces mesures favorisent l'activité. Une entreprise qui achète un outil de contrôle à une autre entreprise contribue à l'activité économique. A quoi s'ajoutent les externalités positives : les politiques de dépollution de l'air rendent les autres politiques moins coûteuses. A l'Iiasa, nous travaillons sur l'interconnexion entre les politiques de contrôle des émissions et les politiques de lutte contre le changement climatique. Réduire la consommation d'énergies fossiles, c'est, en même temps qu'améliorer la qualité de l'air, réduire l'émission de gaz à effets de serre. Si l'on a moins de centrales au charbon, on aura également moins besoin de mettre en oeuvre d'autres mesures pour réduire les émissions. Les mesures visant à améliorer la qualité de l'air sont susceptibles de réduire de 20 % à 25 % le coût des mesures à mettre en oeuvre pour prévenir le changement climatique.

L'été dernier, nous avons travaillé avec le Parlement européen sur l'impact de l'accord récent sur le cadre d'action en matière de climat et d'énergie à l'horizon 2030. Il faut savoir que si les objectifs en matière d'amélioration de la qualité de l'air étaient atteints, le coût des mesures à mettre en oeuvre pour le climat pourrait être inférieur de 5 milliards, en prenant en compte les retombées économiques.

Les politiques en matière climatique se fixent des objectifs de long terme. C'est le réchauffement qui est dans leur ligne de mire, et elles mesurent les choses en degrés. Or, la plupart des polluants de l'air ont un impact sur le climat, mais pas un impact de long terme, comme le CO2, car les particules fines ont une durée de vie de quelques jours. Mais si l'on ciblait, en matière de qualité de l'air, des polluants comme le noir de carbone ou le méthane, on s'apercevrait que la réduction de ces émissions est susceptible de réduire le réchauffement à 30 ou 40 ans d'un demi-degré. Ce n'est pas énorme, mais c'est un impact de court terme, qui contribuerait à ralentir, par exemple, la fonte des glaces.

M. Charles Revet. - Le diesel contribue pour 20 % à 30 % à l'émission de particules fines. Est-ce de même niveau que les autres carburants comme l'essence ou le gaz ? Je m'interroge également sur les flottes de véhicules à l'alcool du Brésil.

Comment expliquer que l'agriculture pollue plus aujourd'hui qu'hier ? Les élevages se sont certes concentrés, mais le nombre de têtes de bétail n'a guère augmenté, et la production laitière, en particulier, est deux à trois fois plus importante par tête de bétail.

Quel type de production agricole serait de nature à participer à l'amélioration de la qualité de l'air ? Je pense par exemple aux légumineuses, capables de capturer le CO2 qu'elles transforment en azote, recyclée dans le sol.

M. Markus Amann. - Le diesel reste la source principale d'émission d'oxyde de nitrogène. Les émissions des moteurs à essence ont beaucoup diminué, grâce aux pots catalytiques. Pour les véhicules à l'alcool du Brésil, je ne saurais vous répondre.

La structure de la production agricole a, en effet, beaucoup évolué, même s'il est vrai que dans des Etats membres comme les Pays-Bas ou la France, la concentration est plus importante que dans certains Etats membres plus récents où les fermes de taille moyenne sont encore majoritaires. Dans une exploitation importante, la production est plus efficace, mais grâce à une exploitation plus intensive. Cela a un impact en matière d'émissions d'ammonium et d'autres substances. Une vache, aux Pays-Bas, produit quatre fois plus de lait qu'en Croatie. Cela étant, il est plus facile de contrôler les émissions des grosses exploitations. On peut modifier leurs pratiques, en leur faisant adopter, par exemple, des techniques moins polluantes, comme certaines méthodes d'épandage, ce qui est plus difficile face à des exploitations petites mais nombreuses. Nous manquons, en Europe, de solutions pour les fermes de petite taille, celles qui sont proposées concernent les fermes de plus de 300 ou 500 têtes. Pour des exploitations de cette taille, qui peuvent en assumer le coût, on dispose de moyens pour réduire les émissions d'ammonium mais aussi les émissions d'azote, susceptibles d'être substantiellement diminuées grâce à des méthodes d'injection alternatives à l'épandage - ce qui présente de surcroît l'avantage de réduire les besoins, coûteux, en engrais.

M. Pavel Kabat. - Les études récentes de l'Iiasa montrent que pour réduire la pollution urbaine, il faut aussi réduire les émissions d'ammonium en provenance de l'agriculture. Pour avoir récemment travaillé en Chine, nous nous sommes rendu compte que les pouvoirs publics n'orientent pas toujours correctement l'investissement. Il ne suffit pas de demander aux industriels de réduire leurs émissions en zone urbaine, il faut aussi des investissements en zone rurale.

M. Markus Amann. - Quand on observe les épisodes de pollution que vous avez connus en France au cours des deux dernières années, on se rend compte que le problème vient pour l'essentiel des particules fines secondaires, qui se constituent notamment à partir de l'ammonium émis dans l'atmosphère. Les SOx et les NOx que l'on retrouve dans l'atmosphère viennent de nitrate d'ammonium et de sulfate d'ammonium. Dans un pays comme la Chine, ces émissions sont très élevées. Or, les politiques publiques se focalisent sur la réduction des pollutions urbaines : cela ne suffira pas à améliorer les choses.

Les études que nous menons avec l'Ineris montrent que la situation est analogue en Europe. Une grande part de la pollution est imputable aux particules secondaires. Or, pour les réduire, il existe des technologies économiquement viables.

M. Jean-François Husson, président. - Merci de ces éclairages, qui nous alertent sur la nécessité d'agir à large échelle et de ne pas se contenter de concentrer l'effort sur les villes. La lutte contre la pollution exige une vision panoramique, rassemblant tous les acteurs.

La réunion est levée à 10 h 05.

Audition de Mme Agnès Lefranc, directrice du département santé environnement à l'Institut de veille sanitaire (InVS) et de M. Olivier Chanel, directeur de recherche au centre national de la recherche scientifique, expert pour l'InVS dans le cadre du projet européen Aphekom, et M. Pascal Beaudeau, responsable d'unité à l'InVS

La réunion reprend à 10 h 10.

M. Jean-François Husson, président. - Nous recevons les représentants de l'InVS, créé par la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire. L'InVS, qui est sous tutelle du ministère de la santé, est un établissement public qui compte notamment parmi ses missions la surveillance de l'état de santé de la population et le déclenchement des alertes sanitaires.

L'InVS a coordonné, de 2008 à 2011, le projet européen Aphekom, qui a cherché à mesurer l'impact de la pollution de l'air sur la santé.

M. Chanel a conduit pour l'InVS les évaluations économiques liées à ce projet.

Madame Lefranc, messieurs Chanel et Beaudeau, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Mme Lefranc, ainsi que MM. Chanel et Beaudeau, se lèvent successivement et prêtent serment.

M. Jean-François Husson, président. - Vous avez à présent la parole.

Mme Agnès Lefranc, directrice du département santé environnement à l'Institut de veille sanitaire. - Je vous propose de commencer par une présentation des impacts sanitaires de la pollution atmosphérique dans neuf villes françaises, tels qu'ils ont été évalués dans le cadre du projet Aphekom.

Le projet Aphekom est un projet européen coordonné par l'InVS entre 2008 et 2011. Il avait pour objectif d'évaluer les impacts sanitaires et économiques de la pollution atmosphérique dans vingt-cinq villes européennes, couvrant 39 millions d'habitants répartis dans douze pays, afin d'apporter aux pouvoirs publics les informations permettant d'orienter les politiques de réduction des niveaux de pollution de l'air. Les résultats du projet Aphekom ont été utilisés par l'OMS et la Commission européenne dans le cadre de la révision des directives européennes de 2013 portant sur la qualité de l'air. Ils ont été communiqués à la France et ont déjà fait l'objet d'une présentation au Sénat, ainsi qu'auprès d'autres instances, notamment dans le cadre de l'élaboration du plan national santé environnement et du plan cancer.

Pour mémoire, le budget total du projet Aphekom s'élevait à 1,5 million d'euros, dont 800 000 euros financés par la Commission européenne. La contribution budgétaire de l'InVS s'élevait à 0,56 million d'euros, la Commission européenne finançant 51% de ce montant.

Dans le cadre de ce projet, Olivier Chanel a été salarié par l'InVS pour mettre en oeuvre l'évaluation économique des impacts sanitaires de la pollution atmosphérique. Il exerce son activité principale au CNRS, dans un laboratoire à Marseille,

Parmi l'ensemble des villes européennes impliquées dans le projet Aphekom se trouvaient neuf villes françaises. Les résultats que je vais vous présenter portent plus spécifiquement sur ces neuf villes, objets de vos interrogations.

Nous sommes aujourd'hui dans une situation où la relation de cause à effet entre exposition à la pollution atmosphérique et santé est avérée. On a, qui plus est, une quantification entre le niveau de pollution atmosphérique dans l'air et les risques pour la santé pour un certain nombre de pathologies.

On peut utiliser ces relations établies par les études épidémiologiques pour quantifier l'impact sanitaire de la pollution atmosphérique. Cette quantification, qu'on nomme parfois Évaluation de l'impact sanitaire (EIS), est prévue par la réglementation française. Elle est fréquemment sollicitée par les décideurs, au niveau national comme au niveau local. De notre point de vue, elle est utile à la communication sur les effets sanitaires de la pollution atmosphérique.

Depuis plus de dix ans, l'InVS a développé des outils méthodologiques pour la réalisation de l'EIS, à la demande des agences régionales de santé (ARS) ou de préfectures ou dans le cadre de projets européens comme Aphekom. Un guide méthodologique est disponible sur notre site web.

L'objectif de ces évaluations est de calculer selon différents scénarios de réduction de polluants le nombre de cas évitables en prenant en compte les impacts à court et à long terme de la pollution atmosphérique, ainsi que le gain d'espérance de vie découlant des impacts à long terme de l'exposition à la pollution atmosphérique.

Il s'agit de relever auprès des associations de surveillance agréées les niveaux de polluants présents dans l'air pour les neuf villes considérées - niveaux de particules fines PM2.5 - entre 2004 à 2006 et de collecter les certificats de décès auprès du Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès (CPIDC), un service de l'INSERM, ou auprès des hôpitaux, dans le cadre du programme de médicalisation des systèmes d'information, qui enregistre l'ensemble des séjours à l'hôpital, un certain nombre d'indicateurs sanitaires portant sur la même période d'étude. On construit alors des scénarios de modification des niveaux de polluants, et on compare les niveaux réellement enregistrés aux valeurs guides de l'OMS.

Quels gains sanitaires pourrait-on attendre si l'on respectait la valeur guide de 10 microgrammes par mètre cube, en moyenne annuelle, pour les PM2.5 ? En combinant les scénarios de modification de concentration des polluants et les indicateurs sanitaires, on peut en déduire la modification en proportion du taux de l'indicateur de santé par unité de modification de la concentration du polluant, dont on déduit un impact. L'étape suivante réside dans la monétarisation des impacts, dont Olivier Chanel vous parlera davantage.

Dans le cadre d'Aphekom, les indicateurs et les scénarios retenus pour les impacts à court terme des particules aérodynamiques inférieures à 10 micromètres - PM10 - nous avons retenu comme indicateur de santé la mortalité toutes causes non accidentelles, et les hospitalisations pour causes respiratoires ou cardiaques.

Des codes de classification internationale des maladies ont été utilisés pour caractériser ces indicateurs et sélectionner les décès ou les séjours à l'hôpital correspondants à ces pathologies, ainsi que les relations retenues entre la concentration et le risque, sur la base d'une revue de la littérature, pour relier les variations de la pollution atmosphérique aux variations de ces pathologies.

Pour l'ozone, on a retenu la mortalité totale, les hospitalisations pour causes respiratoires chez les quinze-soixante-quatre ans et chez les soixante-cinq ans et plus ; pour les impacts de l'exposition chronique aux particules fines PM2.5, on a retenu la mortalité toutes causes non accidentelles chez les personnes âgées de trente ans et plus.

En termes de variation des niveaux de pollution atmosphérique, plusieurs scénarios ont été utilisés dans le cadre d'Aphekom. Les résultats correspondent, pour les PM10, à une diminution de la moyenne annuelle à la valeur guide de l'OMS, fixée à 20 microgrammes par mètre cube. Pour l'ozone, on reporte tous les niveaux maxima journaliers sur huit heures glissantes à la valeur guide de l'OMS de 100 microgrammes par mètre cube. Pour les impacts à long terme des particules fines, on prend en compte la diminution de la moyenne annuelle à la valeur guide de l'OMS, soit 10 microgrammes par mètre cube.

On estime que si l'on était au niveau préconisé par l'OMS pour les particules inférieures, on pourrait différer 245 décès par an, et éviter 673 hospitalisations pour causes respiratoires et 360 hospitalisations pour causes cardiaques.

Si on se reporte aux valeurs guide de l'OMS pour les expositions à l'ozone, on estime que 69 décès par an pourraient être différés et que l'on pourrait éviter 62 hospitalisations par an. Il s'agit là de l'évaluation des impacts à court terme.

Pour ce qui est des impacts d'exposition chronique aux particules fines PM2.5, ce sont environ 3 000 décès par an qui pourraient être différés dans les neuf villes considérées, si l'on se ramenait à la valeur guide de l'OMS.

Si l'on raisonne en termes d'espérance de vie s'agissant des effets de l'exposition chronique aux PM2.5, dans les neuf villes, classées du niveau le plus élevé au niveau le moins élevé entre 2004 et 2006, on considère que l'on pourrait potentiellement gagner entre 3,6 et 7,8 mois d'espérance de vie à trente ans.

Il faut toutefois être conscient que ces résultats sont entourés d'un certain nombre d'incertitudes. On utilise en effet des relations concentration-réponse établies dans le cadre d'étude épidémiologiques nécessairement réalisées sur une période antérieure à celle où l'on mène l'évaluation d'impact sanitaire. Elles ont par ailleurs été éventuellement menées dans des lieux différents de ceux sur lesquels on réalise les évaluations d'impact sanitaire. Les mesures de concentration des polluants dans l'air peuvent être éventuellement différentes entre les études épidémiologiques et les mesures réalisées pour les données d'entrée d'évaluation d'impact sanitaire. Il faut également tenir compte de la comparabilité des données sanitaires utilisées. Enfin, une incertitude statistique entoure naturellement la relation concentration-réponse, ces risques relatifs, associés aux expositions à la pollution atmosphérique, étant toujours entourés d'un intervalle de confiance qui rend compte de cette incertitude statistique.

Aphekom a fait le choix de présenter les résultats sous forme d'espérance de vie à trente ans et de nombre de cas différés ou évitables par an. On a retenu une approche contre-factuelle, en comparant l'état de santé dans les neuf villes entre 2004 et 2006 avec ce qu'il aurait pu être si les niveaux de pollution étaient réduits et si le délai nécessaire à l'apparition des effets sur la santé était écoulé.

L'interprétation que nous faisons de ces résultats montre qu'il existe un impact substantiel de la pollution atmosphérique dans les neuf villes françaises étudiées. Ces résultats, à notre sens, encouragent la mise en oeuvre de politiques publiques d'améliorations de la qualité de l'air à l'échelle locale, nationale et européenne.

Si ces résultats restent entourés d'incertitude, des éléments prouvent toutefois que toute réduction des niveaux de pollution atmosphérique est susceptible d'entraîner des améliorations de la santé à l'échelle d'une population. On a en effet observé des bénéfices sanitaires à la suite de la réduction des niveaux de pollution atmosphérique en conditions réelles.

M. Olivier Chanel, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique. - Comme l'a indiqué Agnès Lefranc, j'ai participé à la partie économique de l'étude Aphekom, dans la mesure où j'avais commencé à travailler sur cette thématique dès 1995, lors de la préparation de la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie (LAURE), la ministre en charge de l'environnement ayant demandé à deux laboratoires de recherche de faire une première évaluation du coût économique de la pollution de l'air en Ile-de-France.

J'ai continué à travailler sur cette problématique dans le cadre de l'étude tripartite réalisée pour l'OMS en 1996, puis dans le cadre de l'étude Aphekom.

La valorisation étant un problème complexe, je me bornerai à quelques rappels, en expliquant ce que l'on trouve derrière les chiffres, afin d'avoir les idées claires sur ce qui a été fait dans le cadre de l'étude Aphekom et des évaluations que l'on peut trouver dans la littérature.

Je distinguerai la pollution locale ou régionale, étudiée dans Aphekom, de la pollution atmosphérique globale liée au changement climatique ou à l'ozone stratosphérique, qui n'a pas fait l'objet de l'étude Aphekom. Celle-ci se caractérise par des différences d'ordre de grandeur, des incertitudes, des irréversibilités au moins à l'échelle humaine, et par l'importance de l'actualisation. Nous avons en effet affaire à des horizons très lointains. Pour amener en valeur actuelle des flux futurs, il faut utiliser un taux d'actualisation, qui revêt une valeur très importante dans ce type d'approche.

J'établirai ensuite une différence entre morbidité et mortalité. La morbidité couvre les maladies, les hospitalisations, les consultations, les traitements associés ; la mortalité correspond bien évidemment aux décès. Du point de vue économique, il n'existe pas de prix pour un mort, mais seulement des valeurs. La valeur que l'on associe à un décès est une valeur statistique, et non celle établie par rapport à un être humain en particulier. On raisonne donc sur une valeur statistique associée à un décès ex ante, avant que celui-ci ne survienne.

Enfin je distinguerai le court terme du long terme. Les effets sanitaires à court terme surviennent en général dans les heures ou les jours qui suivent une exposition à la pollution atmosphérique. On les appelle également effets aigus. Ils font l'objet d'études temporelles. Cela fait environ soixante-dix ans qu'on les met en évidence et qu'on les quantifie.

Les effets à long terme, appelés également « effets chroniques », résultent d'une exposition à long terme à la pollution atmosphérique. Ils nécessitent des études de cohorte, c'est-à-dire des suivis de populations sur une longue période. On compare ensuite les niveaux des décès, le nombre d'hospitalisations, ou le nombre de consultations associées à ces cohortes exposées à différents niveaux de pollution. Ceci est bien plus long et coûteux. Voilà environ vingt-cinq ans que l'on étudie de tels effets.

Pour ce qui concerne la valorisation, nous avons affaire d'une part à des biens et services marchands, appelés aussi « tangibles ». Il existe un marché pour ces biens et services, un prix et un niveau d'équilibre. On observe clairement les préférences des individus sur ces marchés. Leur choix détermine un prix, une quantité ; ils expriment donc leurs préférences directement.

Quand on considère les biens et services non marchands, appelés « intangibles », il n'y a ni marché, ni offre, ni demande, et donc pas de prix. C'est le cas du temps, du bruit, de la douleur et de la vie humaine pour ce qui nous intéresse ici, ou des aspects esthétiques, visuels, olfactifs, etc.

En économie, on raisonne sur une valeur ; cette valeur, qui est attribuée aux biens d'intérêt, doit être inférée soit à partir de marchés existants et de biens marchands considérés comme équivalents, soit à partir de méthodes de révélation directe, dites « méthodes d'évaluation contingentes », qui sont des méthodes de préférence déclarée, dans lesquelles on interroge directement les individus sur leurs préférences. Ici, les préférences sont plus difficiles à obtenir, car elles vont se faire soit dans un cadre hypothétique, par un questionnement, soit dans le cadre d'une comparaison avec un bien marchand supposé équivalent à celui que l'on cherche à valoriser.

La problématique, en économie, veut que l'on cherche à prendre en compte les effets tangibles et les effets intangibles, les comportements individuels ne garantissant pas l'efficacité si l'on ne prend pas en compte les effets intangibles, en particulier ceux relatifs aux externalités négatives. L'État doit donc intervenir pour faire en sorte que les individus internalisent les externalités, et les prennent en compte dans leurs décisions et dans le calcul coût-bénéfice au niveau individuel avant de prendre une décision.

Si l'on schématise les différents éléments qui peuvent entrer dans une évaluation économique des effets de la pollution atmosphérique, le point d'entrée réside dans le bien-être des individus, dans la mesure où la pollution se pose à nous parce que nous sommes sur terre en tant qu'hommes. C'est une approche relativement anthropocentrée ; toutes les quantifications économiques des effets passent donc par la modification du bien-être.

Les effets peuvent en effet passer de façon indirecte par d'autres variables que le bien-être, comme la dégradation du bâti, qui entraîne des coûts de réfection et de nettoyage des bâtiments, la dégradation de l'agriculture, avec des baisses de rendements et des forêts, ou par une dégradation de l'écosystème. Savoir que l'on vit dans un environnement pollué entraîne en effet des dégradations olfactives, esthétiques et psychologiques qui peuvent être quantifiées dans leur dimension intangible.

L'étude Aphekom est uniquement fondée sur les effets directs sanitaires qui couvrent la mortalité et la morbidité. On peut à ce sujet distinguer les coûts directs associés, c'est-à-dire la façon dont nous allons quantifier, en termes économiques, ce qu'Agnès Lefranc a présenté en termes de « nombre de cas » : il s'agit des coûts d'hospitalisation, de consultation, de traitement et valorisation d'un décès.

Depuis une quinzaine d'années, les méthodes utilisées pour valoriser un décès reposent sur la dimension intangible. Jusque dans les années 1990-1995, on utilisait l'approche dite du « capital humain », dans laquelle on considérait que la valeur d'un individu représentait le flux de ses revenus actualisés à la date de son décès anticipé, sur la durée de son espérance de vie restante. On actualisait ces flux de revenus annuels pour connaître la valeur d'un individu. Cette approche a été abandonnée.

Quant aux coûts indirects, ils représentent des dépenses effectives pour la société en termes de pertes de production, ou des dépenses qui relèvent de la dimension intangible s'agissant des aspects psychologiques, des douleurs, des désagréments associés au fait d'être malade ou hospitalisé, ou des effets induits chez les proches. Ils sont appelés « coûts indirects » parce qu'ils sont associés à une dégradation de l'état sanitaire.

Les travaux d'Aphekom ont quantifié ces effets sanitaires. Avant de présenter les résultats, je tiens à souligner un certain nombre de points associés à la valorisation économique et, tout d'abord, le fait qu'elle est entachée de grandes incertitudes, puisqu'elle cumule, en plus de ses incertitudes propres aux méthodes de valorisation, les effets pris en compte et le taux d'actualisation, les incertitudes en amont, associées aux disciplines concernant les émissions, les concentrations, l'exposition de la population, l'épidémiologie.

Cela explique que les ordres de grandeur, en termes de variations économiques, puissent être multipliés par dix, sans que l'un soit meilleur que l'autre : cela dépend des hypothèses, des effets quantifiés et éventuellement du taux d'actualisation pris en compte, lorsqu'on s'intéresse à des flux.

Ceci étant dit, les choix méthodologiques qui ont été faits dans l'évaluation économique associée à l'étude Aphekom ont consisté, pour la morbidité, à reposer sur la méthode du coût marchand, c'est-à-dire la dimension tangible des dépenses appelées ici également « coût économique de la maladie ». Pour l'hospitalisation, il s'agissait du coût moyen de la journée, multiplié par la durée moyenne du séjour par cause d'hospitalisation. Les pertes de production associées représentaient deux fois la durée d'hospitalisation, multipliée par le salaire moyen journalier du pays concerné.

Nous avons été obligés d'approximer les pertes de production de cette façon, ce qui est fréquemment le cas dans la littérature, dans la mesure où il n'y a pas eu d'études spécifiques, dans le cadre d'Aphekom liant les pertes de production à des variations du niveau de pollution. De telles études existent aux États-Unis et en Europe, mais elles sont spécifiques à la collecte des arrêts de travail au niveau national et à la mise en relation avec une variation du niveau de pollution. Ce n'est pas l'approche qui a été choisie ici.

S'agissant de la mortalité, nous nous sommes reposés sur une évaluation intangible basée sur le consentement à payer et la méthode d'évaluation contingente. Nous avons utilisé deux valeurs, la valeur d'évitement d'un décès, choisie à 1,7 million d'euros, sur la base des résultats du programme européen New-Ext, et la valeur d'années de vie, qui a été fixée à 86 600 euros, à partir de l'étude New-Ext de 2004 et d'une étude européenne de 2010, regroupant les valeurs estimées d'années de vie pour neuf pays européens.

Les valeurs dont je vais maintenant parler sont exprimées en euros 2005. Il existe trois évaluations faites dans le cadre d'Aphekom, le premier type consistant en une évaluation de la politique européenne de réduction du SO2 dans les carburants. Depuis 1993, on enregistre en effet une diminution progressive de la teneur en dioxyde de soufre dans les carburants, qui est maintenant quasi nulle. Ceci a entraîné une diminution des teneurs en soufre dans l'atmosphère et une diminution du nombre de décès associés à une exposition de dioxyde de soufre élevée.

L'étude a permis de mettre en évidence le fait qu'en France, depuis 2000, on peut considérer que 679 décès prématurés sont évités chaque année du fait de la mise en place de la directive européenne destinée à réduire la teneur en soufre dans les carburants liquides.

L'évaluation économique de ces décès s'élève à environ 60 millions d'euros par an, avec 95 % de probabilité que la vraie valeur soit comprise entre 20,5 millions d'euros et 97 millions d'euros. Il est intéressant de constater que cette mesure a des effets en termes sanitaires et représente un gain pour la population.

Le second type d'évaluation consistait à étudier les bénéfices annuels associés aux valeurs guide de l'OMS, pour rester dans ces neuf villes. Pour les particules, il s'agissait de 20 microgrammes par mètre cube pour les PM10, 10 microgrammes par mètre cube en moyenne annuelle pour les PM2.5 et, pour l'ozone, 100 microgrammes par mètre cube maximum par jour sur 8 heures.

Nous avons donc estimé le montant des bénéfices associés au respect de ces normes en termes d'effets à long terme et d'effets à court terme. Les effets à long terme et la mortalité s'élèvent ainsi à 4,8 milliards d'euros, avec des intervalles de confiance en dessous des chiffres. Il n'y a pas eu d'évaluation spécifique de la morbidité à long terme ou chronique, mais ce sera l'objet de mon dernier point.

Le court terme et les effets associés à une diminution du niveau moyen de particules PM10 sont évalués à 21 millions d'euros, les hospitalisations respiratoires et cardiovasculaires à 4 millions d'euros et l'ozone à 6 millions d'euros pour la mortalité et 0,25 million d'euros pour la morbidité hospitalière.

Le point qui manque ici relève de la morbidité chronique. Dans la mesure où la mortalité est exprimée essentiellement dans sa dimension intangible, elle n'a pas à proprement parler d'effets sur le PIB. Cependant, la morbidité entraîne des coûts d'hospitalisation et de traitement, des consultations, une mobilisation du système de soins qui présente un coût pour l'État.

L'étude Aphekom a cherché à estimer la morbidité chronique. Malheureusement, cela n'a été fait que dans dix des vingt-cinq villes et dans aucune ville française. Ce sont en effet des approches compliquées et extrêmement longues. On peut considérer que la population est exposée à différents facteurs, dont la pollution atmosphérique. Cette population va développer des maladies chroniques, certaines dues à la pollution, d'autres non.

Les approches d'évaluation standard s'intéressent aux effets à court terme et quantifient le nombre de cas supplémentaires dus à la pollution atmosphérique : quelle que soit l'origine de ces maladies chroniques, on comptabilise le nombre d'aggravations, de cas d'asthme et de passages aux urgences supplémentaires.

Aphekom a cherché à considérer le fait qu'il existe des exacerbations qui ne sont pas dues à la pollution atmosphérique, mais qui surviennent parmi une population qui a développé une maladie chronique associée à la pollution atmosphérique. Ces personnes connaîtront des exacerbations, des passages aux urgences, des hospitalisations pour d'autres causes que la pollution atmosphérique, mais ces événements n'auraient pas lieu si ces personnes n'avaient pas développé des maladies chroniques associées à la pollution atmosphérique.

Si l'on veut avoir une approche globale, il faut comptabiliser l'approche standard et les exacerbations, en y associant les coûts annuels représentés par la maladie chronique.

Les estimations relèvent de l'asthme chez les moins de dix-huit ans et des maladies coronariennes chez les plus de soixante-cinq ans. On considère ainsi qu'il existe un coût annuel associé à ces maladies ; ce sont ces coûts qui ont été pris en compte.

Les ordres de grandeur sont généralisables aux neuf villes françaises, mais les valeurs monétaires ne le sont pas, ne portant pas sur les mêmes villes. Les exacerbations dues à la pollution atmosphérique en termes d'asthme chez les moins de dix-huit ans et les maladies coronariennes chez les plus de soixante-cinq ans représentent 0,5 millions d'euros par an.

Quand on prend en compte les exacerbations qui ne sont pas dues à la pollution atmosphérique, mais qui surviennent dans une population qui a développé une maladie chronique du fait d'une exposition à la pollution atmosphérique, on aboutit à 9,5 millions d'euros supplémentaires, soit vingt fois plus environ.

Enfin, le coût des maladies chroniques dues à la pollution atmosphérique s'élève à 321 millions d'euros. L'ordre de grandeur passe donc de 0,5 million d'euros pour l'évaluation standard des effets à court terme de la population atmosphérique pour ces infections à 331 millions d'euros si l'on prend en compte l'ensemble du coût des maladies chroniques dues à la pollution atmosphérique. On peut donc approcher le coût associé à la morbidité chronique.

Les effets à long terme sont donc beaucoup plus importants que les effets à court terme, qu'il s'agisse de cas sanitaires ou économiques. Ceci confirme bien l'intérêt de réduire en priorité l'exposition chronique, c'est-à-dire la moyenne annuelle de fond, plutôt que l'exposition aiguë, c'est-à-dire les épisodes de pics, même si, mathématiquement, on réduit ainsi très légèrement la moyenne annuelle de fond.

Par ailleurs, jusqu'à présent les émissions de gaz à effet de serre et de polluants locaux ont été analysées de façon indépendante, alors qu'elles sont de mêmes sources - essentiellement les combustibles fossiles - et que ces sources d'émissions, mobiles ou fixes, génèrent plusieurs effets externes négatifs, comme le bruit, la congestion, et des effets sur l'environnement, les cultures et le bâti.

Si l'on prend en compte les incertitudes associées, une arrivée d'informations sur les effets du changement climatique, par exemple, ou sur son importance ou ses conséquences, et sur le fait qu'il existe des irréversibilités en ce qui concerne le changement climatique, ce type de modèle incite plutôt à prendre des mesures structurelles qui vont réduire simultanément l'ensemble des externats, c'est-à-dire agir sur les kilomètres parcourus pour les sources mobiles, améliorer l'isolation des bâtiments ou diminuer la demande d'énergie, plutôt que des mesures techniques qui vont agir de manière ciblée sur les émissions par des normes réglementaires sur les sources fixes ou mobiles, ou par des améliorations technologiques.

Cela ne veut pas dire qu'il faut privilégier les unes aux autres, mais le type de modèle et le type de conclusions auxquels on aboutit en appliquant ces modèles tend à favoriser relativement les mesures structurelles par rapport aux mesures purement techniques.

M. Pascal Beaudeau, responsable d'unité à l'Institut de veille sanitaire. - Je reviendrai sur deux points, d'une part les moyens dévolus au sujet au sein de l'InVS, d'autre part l'impact, afin de déterminer si celui-ci est ou non surestimé à travers la méthode Aphekom.

Le programme sur la pollution atmosphérique est un programme phare de l'InVS. C'est le premier à avoir été entrepris au sein du département santé environnement, en 1997, lorsque l'InVS s'appelait Réseau national de santé publique.

Nous disposons actuellement de quatre équivalents temps plein (ETP), répartis sur neuf personnes, qui travaillent sur la pollution atmosphérique, deux à plein-temps et sept autres à temps partiel. Le travail lui-même se répartit en trois tiers ; le premier tiers est consacré aux activités scientifiques en épidémiologie ; je ne m'étendrai pas sur ce point, n'étant pas moi-même un technicien de la pollution atmosphérique. Je travaille en effet sur l'eau... Le second tiers concerne l'utilisation des résultats de l'épidémiologie en matière d'évaluation de l'impact sanitaire, d'animation de l'équipe, de diffusion de nos résultats, afin de garantir une meilleure utilisation de l'usage pour nourrir la politique publique. Enfin, le dernier tiers a trait aux communications diverses.

Ces moyens ont eu tendance à diminuer par rapport à la situation initiale, début 2001.

Je reviens sur l'impact sanitaire. On a vu que l'espérance de vie à trente ans était écourtée d'environ 4 à 8 mois suivant le niveau de pollution des villes, cette diminution étant attribuée à la pollution atmosphérique.

Cette estimation couvre-t-elle tout ? Non. Il existe d'une part une liste de pathologies associées à la pollution atmosphérique qui a tendance à s'allonger ces dernières années, comme les maladies neuro-dégénératives, dont certaines études ont montré un lien avec la pollution atmosphérique. Les effets reprotoxiques sont de plus en plus étudiés. Récemment, des études menées à Los Angeles ont démontré que la pollution atmosphérique entravait le développement pulmonaire des enfants.

C'est une première source de sous-estimations, quoi qu'en partie reprises, la dégénérescence des fonctions respiratoires qui se traduit par des pathologies futures et la perte d'espérance de vie étant prises en compte.

S'agissant des polluants, nous avons essentiellement basé nos estimations d'impact sur les PM5 pour les plus importantes, à savoir l'impact à long terme, les PM10 et l'ozone.

Un grand nombre de polluants ayant des effets sur la santé, pourquoi se limiter à deux ? C'est principalement parce que l'ensemble de ces polluants sont inter-corrélés. Si l'on calculait l'effet polluant par polluant et qu'on en tirait la somme, on surestimerait de beaucoup l'effet global de la pollution atmosphérique ; en nous restreignant aux particules et à l'ozone, on a plutôt une attitude conservatoire, et on tend encore à sous-estimer légèrement l'impact de la pollution atmosphérique.

Je conclurai en disant que seul pèse le long terme, et non l'effet des pointes de pollution. La bonne mesure environnementale de cet effet à long terme réside dans les moyennes annuelles de polluants, et non par exemple dans le fait de prendre les jours de dépassement de telle ou telle mesure, bien qu'il existe un rapport étroit entre les deux. La meilleure mesure reste la moyenne annuelle, notamment en matière de PM5, qui apparaît comme le polluant le plus étudié et le mieux interprétable.

Comment les choses vont-elles évoluer ? On peut supposer, compte tenu des sous-estimations, que le poids de la pollution va être plutôt réévalué dans l'avenir. D'autre part, dans le contexte de changement climatique, que peut-il se passer ? Nous avons fait des évaluations sur l'évolution des polluants et des impacts dans le contexte de changement climatique.

Les résultats ne sont pas spectaculaires et ne laissent pas apparaître un risque très grand en France. C'est très différent selon les pays. On sait cependant que la pollution interfère avec la canicule. On a vécu en 2003 et 2006 des épisodes de canicule qui ont été associés à une pollution par l'ozone... Il existe donc une interférence défavorable à la santé entre l'action des vagues de chaleur et la pollution atmosphérique.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Les seuils actuels et les normes juridiques destinés à lutter contre la pollution vous semblent-ils encore pertinents ?

Par ailleurs, votre calcul de l'impact économique que peuvent avoir les différents polluants comptabilise-t-il les « effets cocktails » ?

Mme Agnès Lefranc. - Certains seuils réglementaires sont fixés par les décideurs, qui prennent en considération les connaissances établies sur les impacts sanitaires et environnent de la pollution atmosphérique, en prenant également en considération des éléments de faisabilité, liés notamment au coût économique nécessaire pour atteindre ces valeurs.

On a par ailleurs un autre ensemble de valeurs guides, parfois appelées « valeur de référence », ou « valeurs seuils ». La terminologie n'aide pas à comprendre la différence entre les deux, mais elles sont établies par l'OMS et uniquement fondées sur des considérations sanitaires. Elles visent à minimiser les impacts sanitaires de la pollution atmosphérique, sans considération de la faisabilité.

A l'échelle de la population, on sait que les relations entre la concentration de polluants dans l'air et les risques pour la santé sont sans seuil. En effet, on n'a pas trouvé à ce jour de niveaux de pollution atmosphérique en deçà duquel on n'observerait aucun effet sur la santé à l'échelle d'une population, qu'il s'agisse d'effets aigus ou d'expositions chroniques. Ceci est lié au fait qu'il existe sein d'une population des personnes plus ou moins sensibles à la pollution atmosphérique. Un individu en bonne santé peut ne pas être affecté par des niveaux de pollution atmosphérique qui restent relativement faibles ; toutefois, un individu présentant une pathologie chronique préexistante, qu'elle soit associée ou non totalement aux expositions antérieures à la pollution atmosphérique, va pouvoir avoir des exacerbations de cette pathologie pour des niveaux extrêmement faibles.

La notion de seuil, dans ce champ, ne doit donc pas être comprise comme un niveau en deçà duquel on n'observerait pas d'effet.

Bien entendu, du point de vue des impacts sanitaires, plus les niveaux de pollution atmosphérique sont bas, meilleure est la santé de la population exposée. On ne peut donc qu'encourager, sur la seule base des impacts sanitaires, toute mesure visant à la réduction des niveaux de pollution atmosphérique. Les limites que le législateur décide ensuite de fixer relèvent du choix politique.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Le but de la commission d'enquête est de recueillir votre éclairage. Celui-ci doit donc être le plus objectif possible. Selon vous, en l'état actuel, les seuils sont-ils pertinents ou non ?

Nous envisagerons ensuite de déposer un texte ou non, voire d'échanger avec les ministères pour étudier la question des seuils. Il est donc important que vous nous fassiez part de votre réponse le plus franchement possible. L'idée est de rédiger un rapport utile pour avancer sur le problème de la pollution de l'air.

Mme Agnès Lefranc. - Dans ce cas, je vous répondrai que les valeurs préconisées par l'OMS le sont sur la base de considérations sanitaire et doivent être prises comme un idéal vers lequel il serait souhaitable de tendre.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Quel est votre avis sur les « effets cocktails » ?

Mme Agnès Lefranc. - Les expositions cumulées dans le temps, au cours de la vie, ou en termes de différentes voies d'exposition, constituent un sujet extrêmement prégnant, avec la notion d'exposome qui y est associé. Pour l'instant, nous travaillons, aussi bien en épidémiologie qu'en évaluation d'impact sanitaire, polluant par polluant. Ces polluants étant corrélés, comme l'a dit Pascal Beaudeau, on ne peut additionner les impacts.

Il faut bien voir que, dans les études épidémiologiques, les niveaux du polluant considéré ne constituent pas tant un effet propre des particules dont on rend compte par cette augmentation de risques. On rend compte de l'effet sur la santé de l'ensemble des polluants émis ou formés en même temps que les particules que l'on mesure. C'est la même chose pour tous les polluants, qu'il s'agisse du dioxyde d'azote, ou de l'ozone. La pollution de l'air est un vaste cocktail, avec des émissions, des transformations chimiques, etc. On est sur des polluants traceurs, des indicateurs ; on a la chance, en France, d'avoir une réglementation qui impose la mesure d'un certain nombre de polluants, et entraîne une surveillance de la qualité de l'air qui donne accès à un bon nombre de polluants traceurs.

On s'aperçoit, quand on commence à faire de la spéciation des particules, ou des recherches plus poussées pour caractériser l'ensemble des polluants atmosphériques, qu'il existe une très grande diversité de polluants. On l'approche au travers de polluants qu'on appelle « indicateurs » ou « proxys ».

C'est au travers de cela que l'on rencontre éventuellement des expositions multiples, mais il peut exister des phénomènes de synergie entre les différents polluants pour l'instant extrêmement mal pris en compte par les études épidémiologiques. Ils le sont parfois mieux par les études toxicologiques, qui traitent d'expositions à différents polluants combinés.

Un sujet de synergie me vient à l'esprit : il existe quelques travaux sur des interactions entre polluants chimiques et polluants biologiques de l'air, notamment le pollen et l'ozone.

Mme Aline Archimbaud. - Existe-t-il des études portant sur l'ensemble d'un territoire national ? Lesquelles ? Y en a-t-il d'autres à mener prioritairement selon vous ?

Vous avez cité des études sur le coût économique de la pollution menées aux États-Unis. Peuvent-elles nous être utiles ?

Mme Agnès Lefranc. - S'agissant de l'évaluation de l'impact sanitaire de l'exposition chronique, on est en mesure, sur la base de la relation entre l'exposition et le risque établie en Amérique du Nord, en Europe et en France, d'évaluer les impacts sanitaires en termes de mortalité de l'exposition chronique aux particules fines. On continue à actualiser ces données régulièrement.

S'agissant des études épidémiologiques sur les effets de l'exposition chronique et l'établissement de la relation entre la concentration et le risque, on a très longtemps uniquement disposé de données nord-américaines. On bénéficie à présent de résultats produits dans le cadre d'une méta-cohorte européenne, dans le cadre d'un projet financé par la Commission européenne, appelé Escape, auquel la France a participé par l'intermédiaire de l'InVS et d'équipes de recherche de l'INSERM. Ces études ont permis d'établir des relations entre la concentration et le risque en Europe.

Par ailleurs, l'InVS travaille actuellement sur l'utilisation d'une cohorte préexistante appelée « Gazel » ; il s'agit d'une cohorte de travailleurs d'EDF-GDF du temps ou EDF-GDF existait encore. L'étude porte sur la production de relations entre la concentration et le risque. On va pouvoir connaître les relations entre les expositions chroniques à la pollution atmosphérique durant les années 1990 à 2000 et le risque de décès ou de survenue de certaines pathologies.

Des travaux sont en cours. La connaissance progresse ; par ailleurs, en se fondant soit sur les résultats obtenus dans la méta-cohorte européenne, soit sur des résultats obtenus en Amérique du Nord, on est d'ores et déjà en mesure d'évaluer les impacts sanitaires attribuables à l'exposition chronique. C'est ce qui a été fait dans le cadre de l'étude portant sur les neuf villes qui ont été citées.

M. Olivier Chanel. - Dans la mesure où l'évaluation économique se fonde sur les études épidémiologiques, les quantifications sont directement associées, qu'elles soient aux États-Unis, en Europe, ou dans d'autres pays développés dont le niveau de vie et les habitudes sont les mêmes. Ces études sont directement transposables.

M. Jean-François Husson, président. - J'avais encore une question, mais nous vous la soumettrons par écrit, faute de temps.

Audition de Mme Isabella Annesi-Maesano, directrice de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, coordonnatrice de l'étude européenne Gerie sur les effets sur la santé de la qualité de l'air intérieur dans les maisons de retraite

M. Jean-François Husson, président. - Nous allons procéder à l'audition de Mme Isabelle Annesi-Maesano, directrice de recherche à l'Inserm, principal organisme français en matière de recherche médicale. Mme Annesi-Maesano a, dans le cadre de ses fonctions, coordonné l'étude européenne sur les effets sur la santé de la qualité de l'air intérieur dans les maisons de retraite publiée le 12 mars dernier.

Madame Annesi-Maesano, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Mme Annesi-Maesano se lève et prête serment.

M. Jean-François Husson, président. - Vous avez la parole.

Mme Isabella Annesi-Maesano. - Ma présentation sera d'autant plus courte que les questions qui m'ont été posées sont vastes et hétérogènes. Un échange entre nous sera donc une excellente chose.

La commission d'enquête porte sur le coût économique et financier de la pollution de l'air. Avec M. Gilles Dixsaut, médecin actuellement en consultation et qui ne peut donc être présent, et M. Raffenberg, agent du ministère de l'environnement et du développement durable, nous avons publié un travail sur les coûts associés à la pollution différente de celui présenté par M. Chanel il y a quelques instants. Je me propose donc de vous livrer quelques données sur cette étude avant de répondre à vos questions.

Ce travail est basé sur des données fournies par la sécurité sociale ou tiré de publications sur le sujet contenant des éléments financiers sur la question ciblant la France et les pathologies liées à la pollution, comme les pathologies cardiopulmonaires, et surtout les pathologies respiratoires.

Cinq pathologies ont été prises en considération. Ceci est paru dans la revue « Environnement, risques et santé », qui cible les thématiques relatives à l'environnement et à la santé. Cette estimation détaille les coûts associés et la fraction attribuable aux pathologies en lien avec la pollution. Il s'agit de données émanant de l'étranger, faute de données françaises.

Ainsi, alors que la broncho-pneumopathie obstructive chronique (BPOC) légère revient à 600 euros par an, elle nécessite souvent une oxygénothérapie à un stade avancé, et coûte alors 7 900 euros par an en moyenne. Il ne s'agit là que de coûts directs.

En 2012, la BPOC, la bronchite légère, celle associées à des infections, l'asthme ainsi que certains cancers et hospitalisation ont représenté entre un milliard d'euros et deux milliards d'euros, soit 30 % du déficit de la sécurité sociale. Les coûts n'ont pas véritablement augmenté depuis. A cela s'ajoute l'absentéisme.

Quelles sont les perspectives ? Le ministère dispose pour sa part de chiffres assez semblables. L'Inserm a accès aux données du système national d'information inter-régimes de l'assurance-maladie (Sniiram), ainsi qu'à l'échantillon généraliste de bénéficiaires (EGB). Ce seront les prochaines données que nous publierons.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Estimez-vous qu'il manque certains coûts dans les chiffres du Sniiram pour pouvoir mener à bien cette étude ? Quels sont ceux qui n'ont pas été intégrés et qui vous paraîtraient pertinents ?

En second lieu, sous-estime-t-on selon vous le coût financier et économique de la pollution de l'air dans sa globalité ?

Mme Isabella Annesi-Maesano. - On a utilisé pour cette étude un coût moyen donné. Il n'y a donc pas de références à l'individu. Ainsi, l'absentéisme est évalué à environ 50 euros par jour. Cela ne peut convenir : il y a forcément des échelles à prendre en compte. L'étude des données du Sniiram concernant les médicaments, les consultations, et les hospitalisations devraient permettre d'affiner les calculs.

Que peut-on faire ? La démarche de l'évaluation du risque que nous suivons est fort utile, mais nous avons également besoin de pouvoir suivre les cohortes dans le temps. En France, on dispose de la cohorte ELF qui, bien que très petite - 20 000 sujets -, constitue un échantillon représentatif appréciable.

Les enfants et les personnes âgées comptent parmi les populations à risques. Les données que je viens de publier confirment qu'il existe un effet dû à l'âge. On ne connaît cependant pas l'impact de la consommation de tabac dans les études dose-réponse, par exemple par rapport au poids réel de la pollution. Le Sniiram possède parfois des données sur le tabac, mais ce n'est pas toujours le cas. Il est dommage que cet élément ne figure pas systématiquement dans la base.

Par ailleurs, mon équipe est partenaire de l'étude européenne Med Hiss portant sur l'effet individuel de la pollution dans les pays du bassin méditerranéen, qui a eu recours à une cohorte de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), qui a suivi 20 000 sujets de 1988 à 2008. Malheureusement, l'échantillonnage a ensuite changé, avant que l'enquête ne reprenne à nouveau. Elle a maintenant lieu tous les quatre ans et porte sur la pollution locale. Cette étude, dont les résultats sont prévus pour 2017, compare la France, l'Espagne, l'Italie, la Slovénie et la Grèce. Ces informations individuelles constitueront des données importantes.

M. Charles Revet. - Je suis président du conseil d'administration d'une maison de retraite. Votre étude affirme que la qualité de l'air dans les maisons de retraite affecte la santé pulmonaire des résidents.

Fort heureusement, la majorité des personnes qui vieillissent souhaitent rester chez elles. Cette information est terrible ! Que peut-on faire pour améliorer la situation ? Si cette donnée est confirmée, il va falloir que les maisons de retraite entreprennent des travaux importants, mais lesquels ? Ces établissements sont aujourd'hui indispensables. Que faut-il faire ? Diffuser cette information...

Mme Isabella Annesi-Maesano. - Elle l'a été !

M. Charles Revet. - ... créerait bien des perturbations !

Mme Aline Archimbaud. - Dans cette affaire, il conviendrait d'étudier la part de la pollution extérieure et celle de la pollution intérieure - mobilier, etc.

Mme Isabella Annesi-Maesano. - Vous avez tous les deux raisons. Il s'agit d'une donnée statistique. Parmi les sept pays européens étudiés, la France s'en tire assez bien. Nous nous sommes rendus à Reims dans des maisons de retraite.

M. Charles Revet. - Je vous invite à venir dans mon département !

Mme Isabella Annesi-Maesano. - On y a observé que la mauvaise qualité de l'air était à la fois due à des polluants intérieurs, comme le formaldéhyde, qui peut se trouver dans les désinfectants et les produits ménagers, et à des polluants extérieurs, comme les particules fines, qui pénètrent dans les pièces lorsqu'on ouvre les fenêtres pour aérer. Dans les pays de l'Est, on a aussi trouvé des personnes qui fumaient, les personnels comme les résidents.

Les niveaux de pollution intérieure n'étaient toutefois pas excessifs et, en tout état de cause, assez comparables à ceux de l'étude de l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (Oqai), à laquelle j'ai participé. On a néanmoins pu observer que les polluants présents augmentaient les symptômes respiratoires des pensionnaires des maisons de retraite - dyspnée, sifflements. A Reims, les choses allaient cependant plutôt bien.

Très souvent, les résidents des maisons de retraite sont atteints de plusieurs maladies et nécessitent une prise en charge médicale. Cette mauvaise qualité de l'air fragilise l'organisme des personnes âgées.

M. Jean-François Husson, président. - Pensez-vous qu'on dispose aujourd'hui d'un bon niveau de connaissances sur la pollution intérieure, qu'il s'agisse des lieux de vie ou des lieux de travail ?

Les solutions qui peuvent exister relèvent-elles de l'évolution technologique, de la recherche et de l'innovation, ou de modifications de nos comportements, voire de nos modes de vie ?

Mme Isabella Annesi-Maesano. - L'Oqai, avec l'aide de l'Insee a réalisé une étude sur un échantillon d'environ 500 logements en France, en tenant compte de la localisation géographique, de la classe sociale, etc. C'est une étude unique au monde à laquelle plusieurs ministères ont contribué.

Pour les bureaux, la chose n'est pas évidente. La France a participé à l'étude européenne Officair, dont le protocole prévoyait d'aller dans le détail, mais sur la base d'un très petit échantillon. L'information dans ce domaine est donc bien moins bonne. On ne sait pas trop non plus quelle est la qualité de l'air dans les hôpitaux. Ce qui manque le plus, ce sont les données longitudinales avant et après une intervention.

Selon la littérature, qui ne cible qu'un seul polluant à la fois, il faut ventiler les locaux et éviter les sources de pollution. Mais, que faire face à la multi-pollution ? Une étude sur cette question est donc nécessaire.

Nous avons déterminé qu'en moyenne annuelle, 30 % des écoliers respiraient un air chargé de PM, ce qui va à l'encontre des valeurs préconisées par l'OMS ou, pour le formaldéhyde, de celles de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). On a déterminé que les enfants qui avaient davantage de symptômes respiratoires et allergiques couraient un risque accru par rapport aux autres. On vient de soumettre, dans le cadre d'Horizon 2020, un projet destiné à réaliser une étude ciblant le comportement des enfants qui, grâce à une tablette tactile, vont apprendre ce qu'est la pollution et éviter de s'y exposer. Notre idée est d'obtenir des informations sur cette étape essentielle.

Pour ce qui est de la pollution extérieure, une étude américaine montre que la fonction respiratoire des enfants est endommagée par la pollution, et qu'elle s'améliore lorsque celle-ci diminue.

Ces études se révèlent très efficaces pour lutter contre les effets de la pollution. Malheureusement, la France ne les a pas encore mises en place dans les écoles. J'espère qu'on parviendra à le faire.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Avec les tablettes, il faut prendre garde aux ondes électromagnétiques ! A titre personnel, je ne suis donc pas favorable au fait d'en équiper les très jeunes enfants - mais c'est un autre débat.

Mme Isabella Annesi-Maesano. - L'expérience se fera sans Wi-Fi !

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Par ailleurs, que pensez-vous de la question de l'effet cocktail des polluants ? C'est un sujet rarement pris en compte ; or, nous aimerions réaliser un rapport assez précis sur les polluants et leurs conséquences.

Mme Isabella Annesi-Maesano. - La notion de cocktail polluant est assez compliquée. Nous avons publié un article que même les Américains citent. Tout dépend de la réponse que l'on veut obtenir.

Certaines méthodes ne permettent que de déterminer une probabilité concernant l'ensemble des polluants. En épidémiologie, j'aime bien quantifier les choses ; il faut donc passer à d'autres méthodes de quantification, mais avec des niveaux d'incertitudes moins importants.

Cela étant, la pollution peut également être biologique : pollens, moisissures... L'Oqai a cependant observé que l'effet de certains polluants de la famille des composants organiques volatils, comme le formaldéhyde ou le benzène, augmentent significativement en cas de présence d'allergènes mesurés objectivement. On a donc mesuré à la fois les polluants chimiques et les biocontaminants. Il existe donc bel et bien des interactions.

Les Anglais, il y a une semaine, ont publié sur le site du Comac un rapport qui montre que le NO2 joue un rôle propre. On savait, grâce aux études toxicologiques, qu'il fallait des doses importantes pour provoquer une intoxication. Il ne faut donc pas négliger ce polluant.

Grâce aux filtres, on réduit les PM, mais on augmente les NOx ! L'OCDE a réalisé un rapport sur le coût économique de la pollution en France, en attirant l'attention sur le fait que l'on risque une diminution des concentrations et une augmentation des émissions. Il est très important de différencier les émissions et les concentrations. La concentration résulte d'un ensemble de facteurs, comme le climat, les conditions météorologiques, le bâti, l'effet canyon.

J'ai réalisé des mesures de pollution avenue du général Leclerc, à Paris, afin de déterminer la manière dont certains leviers agissent sur la diminution des concentrations. On est ainsi parvenu à isoler des concentrations différentes sur la même avenue. Nous avons par ailleurs réalisé des tests avec des biocarburants.

M. Jean-François Husson, président. - Dispose-t-on de suffisamment d'études sur les personnes travaillant dans des lieux confinés, comme les parkings, les aéroports, les centres commerciaux, ou les salles de réunions, voire dans une institution comme la nôtre ?

Enfin, on travaille aujourd'hui sur l'étanchéité à l'air, l'isolation et sur des systèmes de ventilation double flux qui font qu'il n'est pas conseillé d'aérer. Il s'agit de pratiques nouvelles. Existe-t-il des études à ce sujet ?

Mme Isabella Annesi-Maesano. - Le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) a publié un rapport, rédigé par M. Kopp, sur le coût de la pollution intérieure, mais sans donnée sur les coûts économiques associés.

C'est ce qui manque aujourd'hui. Les expositions à la pollution intérieure sont nombreuses - bricolage, cigarette, ventilation - et souvent plus importantes que la pollution extérieure, certains composés organiques volatiles étant cancérigènes. L'Oqai a démontré que 10 % des logements étaient pollués de façon multiple.

L'Anses a pour sa part publié un rapport sur les fortes expositions des personnes travaillant dans les parkings. Il faut bien sûr envisager des mesures comme la ventilation, mais on n'a jamais estimé les coûts qui y sont associés. C'est un manque important.

Mme Aline Archimbaud. - N'existe-t-il aucune étude à travers le monde sur les coûts économiques liés à la pollution de l'air intérieur ?

Mme Isabella Annesi-Maesano. - Il existe des études de l'Oqai sur la pollution de l'air intérieur en France, mais pas dans les parkings ni les bureaux - du moins à ma connaissance. On en trouve toutefois dans d'autres pays. Je regarderai cela de plus près et je vous en informerai...

M. Jean-François Husson, président. - Les employeurs ne vont pas être ravis si on leur demande de prendre en charge des coûts supplémentaires ! Il faut néanmoins se poser la question.

Mme Isabella Annesi-Maesano. - Ils sont bien placés pour mesurer l'absentéisme qu'entraîne la pollution intérieure dans leur entreprise. Ce sont des données qu'ils peuvent facilement communiquer. On rencontre aussi certains syndromes dans les tours où la qualité de l'air est mauvaise...

Il existe des études sur la qualité de l'air et la perception qu'on peut en avoir mais, que je sache, pas sur le coût de la pollution. La perception est également une dimension très importante de cette question.

M. Jean-François Husson, président. - Nous vous remercions pour cet échange très vivant.

Audition de M. Xavier Bonnet, chef du service de l'économie, de l'évaluation et de l'intégration du développement durable, de Mme Doris Nicklaus, cheffe du bureau « déchets, ressources et matières » au sein de ce service, et de M. Valéry Morard, sous-directeur de l'information environnementale, au commissariat général au développement durable

M. Jean-François Husson, président. - Notre dernière audition de la matinée est celle de M. Xavier Bonnet, chef du service de l'économie, de l'évaluation et de l'intégration du développement durable, de Mme Doris Nicklaus, cheffe du bureau « déchets, ressources et matières » au sein de ce service, et de M. Valéry Morard, sous-directeur de l'information environnementale, au commissariat général au développement durable.

Le Commissariat général au développement durable (CGDD) a été créé en 2009 au sein du ministère de l'écologie. Il a pour mission de promouvoir le développement durable dans les politiques publiques et les comportements des acteurs privés.

Je rappelle que cette audition est ouverte au public et à la presse et qu'elle fait l'objet d'une captation audiovisuelle qui sera diffusée sur le site du Sénat.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à MM. Bonnet et Morard ainsi qu'à Mme Niklaus de prêter serment.

Les trois intervenants prêtent serment.

M. Jean-François Husson, président. - Madame, Messieurs, à la suite de votre exposé introductif, ma collègue Leila Aïchi, rapporteure de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Vous avez la parole.

M. Xavier Bonnet. - Je commencerai par vous exposer les activités du Commissariat général au développement durable (CGDD) au sujet de la pollution de l'air. Comme vous l'avez dit, le CGDD a été créé en 2009 au sein du grand ministère qui réunissait alors l'énergie, les transports, l'eau, la biodiversité, la prévention des risques ainsi que le logement. Au-delà des directions générales s'occupant de chacun de ces aspects sectoriels, il y avait besoin d'avoir un commissariat qui permette une certaine transversalité. Le CGDD est structuré autour de trois piliers : un service de l'observation et des statistiques, une direction de la recherche et de l'innovation, dont le travail est d'orienter la recherche en matière d'environnement, ainsi qu'un service de l'économie, de l'évaluation et de l'animation des acteurs que je dirige.

S'agissant de l'observation et des statistiques, le travail le plus récent du CGDD en matière de pollution de l'air est le bilan annuel de la qualité de l'air en France paru en octobre 2014, qui passe en revue toutes les pollutions de l'air. Les données utilisées sont issues de sources multiples et le service de l'observation et de la statistique a justement pour vocation de synthétiser les données produites au sein du ministère voire au-delà.

S'agissant de la recherche et de l'innovation, un programme important est le programme de recherche inter-organisme pour une meilleure qualité de l'air à l'échelle locale (Primequal), mis en oeuvre conjointement par le ministère et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Il oriente un certain nombre d'études sur la mesure de la pollution de l'air ainsi que sur ses impacts sanitaires, avec parfois un aspect économique voire sociologique.

S'agissant enfin du service de l'économie, plusieurs études récentes ont porté sur les impacts économiques, monétarisés, de la pollution de l'air. J'en mentionnerai deux, publiées fin 2013 sous forme de quatre-pages : l'une sur les coûts pour la Sécurité sociale induits par les affections respiratoires, qui sont évalués entre 1 et 2 milliards par an selon le périmètre des valeurs utilisé pour chacune des affections ; l'autre, plus générale, qui porte sur l'impact de la pollution en termes de mortalité et de morbidité, et qui chiffre ce coût social entre 20 et 30 milliards par an. Ces études font l'objet d'une publication plus volumineuse dans notre collection Etudes et documents.

M. Jean-François Husson, président. - Je vous remercie de votre présentation synthétique.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - J'ai deux questions relatives à la pollution de l'eau et à la biodiversité. Peut-on faire un lien entre la pollution de l'air et la pollution de l'eau ? Avez-vous pu faire une estimation sur la perte de biodiversité qui serait directement ou indirectement liée à la pollution de l'air ?

M. Xavier Bonnet. - Il existe bien un lien entre pollution de l'air et pollution de l'eau du fait de la porosité des milieux, en particulier du fait du phénomène de ruissellement qui implique que des pollutions de l'air vont se retrouver dans les eaux. Chiffrer ces interactions est cependant très compliqué. Un travail de monétarisation des pollutions de l'eau a été effectué par le CGDD, avec un effort mené afin de donner des valeurs aux externalisés provoquées par des actions privées. Mais ce travail se concentre sur les pollutions de l'eau, qui ne sont en général pas liées à la pollution de l'air mais à des pressions environnementales venant d'activités agricoles ou industrielles.

M. Valéry Morard. - S'agissant du lien entre pollution de l'air et de l'eau, il n'y a pas, à l'échelle de la France, de vision quantifiée polluant par polluant. Mais cette pollution est importante. À titre d'exemple, lorsque l'on fait des bilans azotés, on mesure qu'il y a environ 30 kilogrammes d'azote qui se déposent naturellement sur les sols. Ainsi, concernant la pollution des eaux par les nitrates, une partie de l'excès d'azote tient à ces apports non liés à la fertilisation.

L'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) a mené plusieurs études sur cette question, dont l'une portait sur le bassin de la Seine et mettait en évidence des phénomènes assez importants de dépôts atmosphériques de deux polluants : les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et les polychlorobiphényles (PCB), pour lesquels les apports atmosphériques étaient prédominants par rapport aux autres sources de contamination. Il peut donc y avoir un effet déterminant sur quelques polluants particuliers. S'agissant des autres polluants, comme les pesticides, les effets quantifiés sont négligeables par rapport aux autres sources.

S'agissant de votre question sur la biodiversité, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages en cours de discussion au Parlement vise notamment à créer une Agence française pour la biodiversité qui rassemblera les différents moyens de connaissance et d'observation pour mieux connaitre la biodiversité terrestre et aquatique. Actuellement, l'Observatoire national de la biodiversité a déterminé un certain nombre de programmes d'acquisition de données afin de construire des indicateurs. Cependant, on ne dispose pas pour l'instant de relations établies entre la pollution de l'air et l'état de la biodiversité. En revanche des relations commencent à être établies entre l'état de la biodiversité aquatique et la pollution de l'eau.

Par ailleurs, des programmes de surveillance de l'air permettent d'évaluer les éventuels effets de la pollution atmosphérique sur certains milieux. A une certaine époque, une préoccupation forte concernait les émissions de polluants acides dans l'air et un programme de surveillance forestier spécifique visait à mettre en relation ces émissions et leurs retombées sur le sol via les « pluies acides », dont on ne parle plus aujourd'hui, avec les effets toxiques observés sur les forêts. Ce réseau de surveillance existe toujours, mais la forte diminution des émissions de soufre et de la concentration de dioxyde de souffre ont tempéré ce problème, qui fut sans doute le premier problème de qualité de l'air dans les années 1980.

M. Jean-François Husson, président. - Vous vous êtes intéressés, en 2014, aux coûts écologiques non payés relatifs aux émissions dans l'air. Pouvez-vous nous présenter vos conclusions ? À quelle hauteur s'élève le coût de la dette écologique ? Que représente la pollution de l'air en termes de pourcentage et de coût de cette dette écologique ?

M. Valéry Morard. - Le concept des coûts écologiques non payés a été conçu afin de corriger les indicateurs de richesse et les limites du PIB. L'idée était notamment de « challenger » le concept d'épargne nette ajustée développé par la Banque mondiale. L'approche a consisté à conduire des études sectorielles, d'une part sur les émissions de gaz à effet de serre et notamment de CO2, et d'autre part sur des polluants aériens, afin de chiffrer, secteur par secteur, ce que pouvait représenter cette dette écologique.

Ainsi, les coûts écologiques non payés permettent de mesurer un agrégat comptable, qu'on appelle « dette écologique ». Ils sont mesurés par différentes méthodes d'évaluation économique et comprennent notamment : les mesures de restauration des milieux pollués, les mesures d'abattements supplémentaires des émissions que l'on estime au prorata des efforts déjà consentis par les secteurs économiques, l'impact économique de mesures comme les taxes carbone. On aboutit à des chiffrages théoriques des montants qu'auraient dû consentir les secteurs émetteurs pour ramener leurs émissions polluantes au niveau choisi.

Cette dette s'accumule années après années. S'agissant de la pollution de l'air, le scénario prospectif réalisé chiffre la dette qui en résulte à 12 milliards d'euros à l'horizon 2030. Il faut noter que les montants mesurés ne sont pas intangibles mais dépendent des objectifs de pollution fixés. Ainsi, cette dette, mesurée à partir des seuils de pollution actuels, aurait été différente au début des années 2000 puisque depuis les seuils ont été abaissés, un certain nombre d'exigences ont été relevées, et les systèmes de mesure ont évolué notamment s'agissant des particules. Les coûts peuvent donc augmenter non seulement en raison des émissions mais aussi en fonction de l'évolution des exigences réglementaires.

Mme Aline Archimbaud. - Avez-vous évalué les gains économiques réalisés lorsqu'une mesure positive a été prise en matière de diminution de la pollution de l'air ? Ou peut-être connaissez-vous des études de ce type qui ont été menées ?

M. Xavier Bonnet. - Je n'ai pas en tête d'étude qui réponde à votre question. Cependant, dans les analyses coûts/bénéfices que l'on effectue sur certains projets d'infrastructures, par exemple en matière de transport, les externalités environnementales, y compris celles liées à la pollution de l'air, sont prises en considération. Ainsi, lorsqu'un projet conduit à réduire les pressions environnementales, cela impacte positivement son bilan socio-économique. Ces évaluations de projets reposent ainsi sur une méthodologie d'analyse coûts/bénéfices récemment réactualisée par France Stratégie qui intègre de manière monétarisée les bénéfices liés à la baisse des pollutions.

Mme Aline Archimbaud. - Avez-vous les moyens d'intégrer ces bénéfices jusque dans les tableaux financiers ? C'est un des enjeux aujourd'hui que d'arriver, au sein de l'administration, à « ré-internaliser » ces externalités environnementales afin que les coûts associés apparaissent dans les tableaux financiers d'un projet d'aménagement ou d'un projet industriel.

M. Xavier Bonnet. - Non, il y a bien une distinction faite entre le calcul financier de rentabilité tel que mené par exemple par un porteur de projet privé, et le calcul socio-économique coût/bénéfice requis notamment dans les enquêtes publiques, qui va au-delà du seul calcul financier pour intégrer les avantages et les coûts monétarisés des externalités produites par le projet et laissés au contribuable ou aux générations futures. Un projet qui augmente les pressions environnementales voit donc augmenter son coût socio-économique.

Il faut toutefois souligner que les acteurs privés ont parfois également intérêt à voir loin et à internaliser un certain nombre d'avantages et de coûts environnementaux dans leurs projets. Par exemple, les grands émetteurs de gaz à effet de serre se projettent à long terme et évaluent les conséquences en termes d'émissions de leurs investissements d'aujourd'hui, en sachant que demain la rentabilité financière de leurs projets pourra être affectée du fait de l'évolution du cadre réglementaire.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - S'agissant de votre étude publiée en 2013 dans laquelle vous estimez le coût pour la société de la pollution de l'air entre 20 et 30 milliards d'euros, avez-vous intégré le coût des « effets cocktail » des différents polluants ? Par ailleurs, avez-vous des éléments sur la fiabilité du contrôle du respect des normes Euro en vigueur par les véhicules les plus récents ? Pensez-vous qu'il y a des conflits d'intérêt dans ce domaine ? Enfin, pensez-vous que la question de la pollution de l'air fait l'objet d'une communication suffisante auprès du public ?

M. Xavier Bonnet. - L'étude que vous avez citée a procédé à l'évaluation des impacts sanitaires de la pollution de l'air et les a transposé en calcul monétaire avec des valeurs de référence dites « valeurs tutélaires ». Afin d'évaluer ces impacts, nous avons utilisé un certain nombre d'études faites par d'autres organismes, qui à ma connaissance ne prenaient pas en compte les « effets cocktail » des polluants. Mais je laisse ma collègue Doris Nicklaus, qui a conduit l'étude, compléter sur ce point.

Mme Doris Nicklaus. - Effectivement, la question des « effets cocktail » relève plutôt du travail des épidémiologistes et non de celui du CGDD. Néanmoins, l'exposé de ce matin par l'InVS sur l'étude « Aphekom » a montré que cet institut portait une grande attention aux effets polluant par polluant. Or, derrière une fonction exposition/risque, on ne mesure pas l'effet que d'un seul polluant. Ainsi, lorsque l'on évalue l'impact des particules et que l'on cherche à mesurer l'exposition/risque, on prend aussi en compte les autres polluants qui se fixent sur celles-ci par des procédés physico-chimiques, comme des métaux lourds.

M. Valéry Morard. - Il existe des revues de littérature assez complètes sur les effets combinés des particules, notamment s'agissant des particules très fines. Pendant longtemps, on s'est focalisé sur les particules de 10 micromètres (ìm), aujourd'hui aux s'intéresse aux particules de 2,5 ìm, et demain on ira à des niveaux inférieurs. Ces particules sont effectivement fixatrices de micro-polluants.

Sur la question de l'information, nous avons en France un système d'information sur les émissions très efficace, hérité de la règlementation communautaire, avec des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA) qui ont des sites accessibles et des bulletins quotidiens sur la qualité de l'air. L'air est le seul milieu environnemental dont on peut connaitre la qualité quasiment en temps réel. On combine ces observations avec de la modélisation permettant de couvrir les zones où il n'y a pas de station. Ceci permet d'obtenir des cartes d'expositions et des simulations de la pollution de l'air qui sont publiées, notamment sur le site PREV'AIR. En revanche, cette modélisation concerne seulement la concentration de polluants dans l'atmosphère. S'agissant des émissions secteur par secteur, l'information disponible est principalement contenue dans des bilans annuels comme le bilan annuel de la qualité ou le rapport sur l'état de l'environnement en France publiés par le CGDD. Il faut souligner que ces responsabilités sectorielles peuvent être différentes d'une région à une autre, et que les émissions ne sont pas issues seulement du territoire français et peuvent varier ou d'une année sur l'autre.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - J'aimerais revenir sur l'effet cocktail des polluants. De ce que j'ai compris des différentes interventions de ce matin, cet effet est difficile à appréhender, et l'impact sanitaire des polluants est mesuré en examinant chaque polluant individuellement et non de manière combinée. Quand vous calculez les coûts pour la santé et pour la société de la pollution atmosphérique, vous vous basez donc sur des études épidémiologiques qui elles-mêmes n'intègrent pas l'effet cocktail ? J'aimerais une réponse précise sur ce point.

Mme Doris Nicklaus. - C'est bien cela.

M. Jean-François Husson, président. - Pour revenir à une question plus générale, pouvez-vous nous dire quelle a été l'évolution de la pollution atmosphérique et de ses sources sur les dix dernières années et quel regard prospectif vous portez sur l'évolution à venir ? Si on regarde les différentes sources de pollution, on constate qu'elles sont multiples et concernent les transports, l'habitat résidentiel et les bâtiments mais aussi les pratiques agricoles, et qu'il y a eu des évolutions en termes de niveaux et de contenu des pollutions. Je me souviens qu'il y a vingtaine d'années, comme vous l'avez mentionné, les pluies acides sont apparues comme un phénomène nouveau que l'on a rapidement réussi à endiguer. Comment percevez-vous ces grandes évolutions ? Pensez-vous que le fait d'évaluer le coût économique et financier comme s'attache à le faire cette commission d'enquête permettrait de compléter des observations contenues dans vos études, afin de nous amener sur l'objectif d'une réduction progressive mais significative de la pollution de l'air ?

M. Xavier Bonnet. - S'agissant du bilan sur dix ans, on observe en moyenne une tendance à la baisse. Mais, comme d'autres pressions environnementales, la pollution de l'air est plus complexe que ne le fait penser un raisonnement « en moyenne ». Il faut donc se garder de tirer des conclusions définitives à partir de chiffres moyens. Il y a notamment des aspects spatiaux qu'il faut prendre en compte, s'agissant par exemple de pollutions qui peuvent être très localisées et liées à des infrastructures de transport ou situées en milieu rural.

Par ailleurs, nous pensons que l'outil de monétarisation des pollutions est très important pour le décideur public. C'est un éclairage qui dépasse le simple constat de l'évolution des différentes pressions environnementales pour permettre une commensurabilité de celles-ci. Cet outil permet de comparer ces différentes pressions et donc de donner aux décideurs publics des éléments d'arbitrage et la possibilité de faire des choix en toute connaissance de cause.

M. Valéry Morard. - La pollution de l'air était bien plus forte il y a quelques décennies et les normes d'émission ont évolué. On a tendance à oublier que, malgré les nouvelles émissions de polluants, l'air que nous respirons aujourd'hui n'est plus le même qu'auparavant où il y avait notamment plus de particules. Les menaces sont donc différentes.

Ainsi, sur les polluants dont on a un suivi et une traçabilité, on note une amélioration globale depuis plusieurs années. Les concentrations diminuent en moyenne, mais avec des différences selon les polluants. Par exemple, les efforts faits sur les carburants et les sites industriels mais également la désindustrialisation ont contribué à faire baisser les concentrations et les émissions de dioxyde de souffre. Il y a également des résultats positifs sur le monoxyde de carbone. En revanche, sur d'autres polluants, on peine à améliorer la situation, et notamment s'agissant de certaines particules ou de l'ozone.

Lorsque l'on parle de non-respect des règlementations, il s'agit à la fois de dépassements ponctuels de seuils mais aussi d'une concentration moyenne annuelle de polluants qui n'est pas bonne. Les études menées sur les impacts sanitaires ont ainsi montré qu'une pollution chronique même inférieure aux seuils réglementaires a sans doute plus d'effets sur la santé que des dépassements ponctuels de seuils qui concentrent pourtant davantage l'attention.

Par ailleurs, des questions émergentes ne sont pas suffisamment traitées comme par exemple les effets de la pollution de l'air par les pesticides. On sait qu'il existe une exposition aux pesticides qui n'est pas négligeable, et qui est sans doute plus forte que l'exposition due à la présence de pesticides dans l'eau compte tenu de la quantité d'air ventilé chaque jour par un être humain, mais on manque d'éléments épidémiologiques sur ses effets. Cette question fait l'objet d'initiatives régionales des AASQA, qui commencent à préparer une inclusion dans la réglementation de la mesure des pesticides présents dans l'air. Ce problème n'est certes pas nouveau mais il est aujourd'hui bien appréhendé même s'il n'est pas mesuré sur l'ensemble du territoire.

Mme Aline Archimbaud. - Vous avez évoqué un certain nombre de secteurs sensibles que vous suivez particulièrement. Lorsque nous devons faire des arbitrages, se pose souvent la question de l'évaluation technique et scientifique des choix. Je pense par exemple à un problème précis actuellement en débat : celui de l'évaluation de l'efficacité des nouveaux filtres à particules. Il s'agit d'une question sensible, or sommes confrontés à des avis contradictoires qui ne peuvent être tranchés, à mon sens, que par des équipes scientifiques mobilisées par les pouvoirs publics et donc non soumises à une quelconque pression. Mobilisez-vous des équipes de recherche qui pourraient répondre à ce besoin d'objectivité dans les évaluations réalisées ?

M. Xavier Bonnet. - Votre question me fait penser que je n'ai pas répondu à la question sur les normes Euro. Ces problématiques n'entrent pas dans la compétence du CGDD. Les normes Euro ont été travaillées par la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). Nous partons pour notre part du principe que la norme est édictée est effective. Il existe en revanche plusieurs institutions publiques qui visent à assurer que les évaluations dont vous parlez soient effectives.

M. Jean-François Husson, président. - Nous terminerons par une question de procédure de Mme la rapporteure.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Quel est le processus décisionnel qui aboutit à la validation puis à la publication de vos rapports ?

M. Xavier Bonnet. - Quand il s'agit de « quatre-pages », ces travaux sont relus en interne pas plusieurs personnes qui ont des compétences d'ingénieurs ou d'économistes, avant que je les valide en tant que directeur de publication. Par ailleurs, certains rapports sont présentés dans différents cénacles avant publication, comme par exemple la Commission des comptes et de l'économie de l'environnement. En amont, il y a des groupes de travaux qui effectuent des relectures et des mises en contradiction. Pour autant, nous ne publions pas de revues scientifiques et nous ne soumettons pas nos travaux à des comités de relecture.

M. Valéry Morard. - Il existe une exception s'agissant de la synthèse quadriennale sur l'environnement en France produite par le CGDD dans le cadre de l'obligation au titre de la Convention d'Aarhus. Ce rapport est présenté et validé par un conseil scientifique, où sont représentées les différentes composantes thématiques du Ministère (transport, logement, environnement, etc.), et des organismes comme l'Anses, l'InVS ou l'Inserm y contribuent.

M. Jean-François Husson, président. - Nous vous remercions de vos interventions.

La réunion est levée à 13 heures

Présidence de Mme Leila Aïchi, rapporteure. -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Audition de MM. Michel Thibaudon, directeur, et Michel Jouan, administrateur, du réseau national de surveillance aérobiologique

Lors d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission poursuit ses auditions dans le cadre de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Notre audition de cet après-midi est celle du réseau national de surveillance aérobiologique avec MM. Michel Thibaudon, directeur du réseau, et Michel Jouan, administrateur.

Le réseau est une association loi de 1901, créée en 1996 pour poursuivre les travaux réalisés depuis 1985 par le Laboratoire d'aérobiologie de l'Institut Pasteur à Paris. Il a pour objet principal l'étude du contenu de l'air en particules biologiques pouvant avoir une incidence sur le risque allergique pour la population, c'est-à-dire l'étude du contenu de l'air en pollens et en moisissures, ainsi que du recueil des données cliniques associées.

Je rappelle que la commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public sur le fait qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à MM. Thibaudon et Jouan de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Les personnes se lèvent successivement et prêtent serment.

M. Michel Thibaudon, président du Réseau national de surveillance aérobiologique (RNSA). - Comme vous l'avez mentionné en préambule, le RNSA est une association qui reprend les travaux réalisés à l'Institut Pasteur. Structure fragile, elle assume une mission de service public de surveillance métrologique du contenu de l'air en particules biologiques. Nos travaux s'inscrivent dans la continuité des politiques publiques de prévention de l'asthme et des maladies respiratoires. Nos réseaux, que ce soit de capteurs ou de médecins sentinelles, nous permettent de déterminer l'impact sanitaire de l'exposition des populations à la pollution biologique, ainsi que les sources de cette exposition. Nous assumons cette mission au mieux de nos capacités, tout en restant une très petite structure.

Notre réseau exerce également des activités de recherche et développement en collaboration avec les différents réseaux européens, comme la société européenne d'aérobiologie (« European Airbiology Society - EAS »), afin que les différents acteurs européens dans ce domaine, qu'ils soient académiques, hospitaliers, ou encore associatifs, puissent harmoniser leurs méthodes de travail. Nous avons ainsi participé à une action à l'échelle européenne destinée à établir des seuils de sensibilité. En effet, alors que l'évaluation de la pollution chimique obéit à des valeurs guides, celle de la pollution biologique ne bénéficie pas, jusqu'à présent, d'un tel cadre. En outre, conformément aux préconisations de l'Anses, la standardisation des méthodes d'évaluation a également enregistré des progrès.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - S'agissant de la standardisation des méthodes justement, la méthode d'évaluation qui est la vôtre fait-elle l'unanimité ?

M. Michel Thibaudon. - La méthode utilisée par notre réseau l'est également par un grand nombre pays. Le principal reproche méthodologique concerne avant tout l'échantillonnage susceptible de varier entre les différents pays. L'objectif de cette standardisation réside dans l'adoption des mêmes méthodes de travail afin de rendre à la fois possible et pertinente la comparaison des résultats à l'échelle internationale. Ainsi, l'évolution, à la fois chronologique et spatiale, c'est-à-dire de ville en ville, des valeurs prises comme références est importante. Cependant, la notion de risque allergique reste adaptée à chaque pays, voire à chaque ville : par exemple, un Niçois n'est pas confronté au même risque d'allergie aux pollens du bouleau qu'un Parisien ! Grâce aux médecins sentinelles, on est désormais capable de déterminer que telle ou telle région présente un certain niveau risque d'exposition à tel ou tel pollen et ainsi un impact sanitaire spécifique.

Le RNSA a participé, depuis sa création en 1996, à sept projets européens, auxquels s'ajoute un projet Anses, qui concernent l'impact sanitaire des expositions et visent la définition de mesures à mettre en oeuvre en temps réel en cas de crise. Nous travaillons également en partenariat avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables, l'Office fédéral de météorologie et climatologie MétéoSuisse, ainsi qu'avec une équipe japonaise, sur des méthodes qui permettront d'obtenir une information en temps réel qui soit davantage exploitable.

A l'échelle nationale, le RNSA a été associé à une mission qui lui a permis de retracer l'évolution du pollen de bouleau, qui demeure très allergisant, depuis 1989 ; ce type de pollen devenant ipso facto un indicateur santé du changement climatique.

Outre ces programmes relevant de la recherche-développement, notre mission consiste à fournir la mesure, dans quatre-vingts villes de France, de la pollution biologique. Notre réseau comprend également 150 médecins sentinelles totalement bénévoles, parmi lesquels quelque 80 sont des correspondants réguliers, ainsi que des observateurs phénologiques qui surveillent la pollinisation des espèces allergisantes et fournissent des informations cruciales à notre capacité prévisionnelle. Le RNSA diffuse ainsi, chaque vendredi, un bulletin d'information.

Notre réseau travaille également avec la société IMS Health qui mesure la consommation des médicaments antiallergiques. Celle-ci a d'ailleurs connu une augmentation de l'ordre de 5 à 10 %. Nous travaillons en outre avec les associations françaises de patients ainsi, qu'au niveau européen, avec l'European Federation of Allergy and Airways Diseases Patients' Associations (EFA) qui nous a cité, auprès de la Commission européenne, comme un modèle en matière de surveillance et d'information sur le risque allergique.

M. Michel Jouan, administrateur du RNSA. - Cette politique de prévention, qui est conduite par le RNSA en amont de la pollinisation, permet de réaliser des économies de santé publique qui sont néanmoins très difficilement chiffrables. Ces économies s'avèrent importantes dès lors qu'on intervient en amont sur la base des informations transmises par le réseau des analystes, des médecins sentinelles, des phénologistes, ainsi que la Météorologie nationale.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Avez-vous cherché à évaluer le coût sanitaire, voire économique et financier, de la pollinisation et des moisissures dans les différentes régions où vous la mesurez ?

M. Michel Thibaudon. - Ce volet économique et financier ne relève pas, à proprement parler, de nos compétences. Pour autant, nous avons sollicité l'EFA, au niveau européen, et nous nous sommes fondés sur les résultats de l'Agence régionale de santé (ARS) de la Région Rhône-Alpes, qui a travaillé plus spécifiquement sur l'ambroisie et a estimé les coûts sanitaires générés par sa pollinisation à quelque 20 millions par an. A l'aune de ces travaux, d'autres calculs ont été conduits pour déterminer le coût total généré par l'ensemble des autres catégories de pollens sur l'ensemble du territoire national : celui-ci est de l'ordre de 800 millions d'euros. L'EFA, quant à elle, avance les chiffres de 18 milliards d'euros pour l'asthme et de 100 milliards d'euros pour la rhinite allergique. De tels chiffres ne prennent absolument pas en compte l'absentéisme professionnel ou scolaire, ainsi que la baisse de la productivité induits par la pollution biologique.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Ce sont donc des chiffres a minima ?

M. Michel Thibaudon. - En effet. Une synergie existe ainsi entre les pollutions chimique et biologique.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Avez-vous, à ce sujet, étudié plus précisément cette synergie ?

M. Michel Thibaudon. - Nous conduisons actuellement un rapport pour le ministère de l'environnement et du développement durable sur la relation entre pollens, pollution et pollinose. Ainsi, la pollution va modifier la périodicité et le comportement des pollens, en les faisant notamment éclater. Elle joue également sur la sensibilité humaine à ces substances, comme nous avons pu le constater lors des pics de pollution en mars 2014 durant lesquels des personnes ont réagi aux pollens alors que ceux-ci n'étaient pas si élevés du fait de l'abaissement de leur seuil de sensibilité qui en résultait. Ces symptômes sont encore plus importants pour les moisissures qui provoquent davantage de crises d'asthme.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Comment communiquez-vous pour sensibiliser la population à ces phénomènes d'allergie ?

M. Michel Thibaudon. - Notre point fort réside dans la qualité de nos informations et notre point faible demeure leur faible diffusion. En effet, notre seul vecteur de communication reste le site internet pollens.fr qui est rediffusé par d'autres sites comme ceux des régions, des agences régionales de santé (ARS) et de certaines associations agréées surveillance qualité de l'air (Aasqa). Nous établissons ainsi une carte d'alerte vigilance par département. Notre site accueille 600 000 visites alors que notre pays compte près de six millions de personnes qui consultent, chaque année, leur médecin pour des allergies. La fréquentation de notre site n'est pas satisfaisante, même si nous n'avons aucune indication quant aux visites de nos pages internet relayées par les sites de nos partenaires. 60 000 personnes se sont par ailleurs inscrites au système d'alerte et certaines applications smartphone sont disponibles.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Les pouvoirs publics, d'une manière générale, prennent-ils suffisamment en compte la pollution biologique ?

M. Michel Thibaudon. - Sans eux, le réseau n'aurait jamais existé. En revanche, celui-ci risque de disparaître faute de moyens suffisants. Nous travaillons avec les ministères de la santé et de l'environnement à assurer la pérennisation de notre structure.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Avez-vous été sollicité lors de la préparation du projet de loi relatif à la santé ?

M. Michel Thibaudon. - Nous n'avons pas été consulté sur la loi de santé, mais nous avons travaillé sur l'élaboration du Plan national santé environnement (PNSE). Nous regrettons d'ailleurs l'absence d'amendements sur l'étiquetage des végétaux ou sur toute origine anthropique de la diffusion des végétaux comme les plantations de bouleaux en milieu urbain ou la vente, à grande échelle, de certaines graminées reconnues, dans d'autres pays, comme hautement allergènes. La loi de santé, qui est transversale, aurait dû prendre en compte ces réalités environnementales.

M. Michel Jouan. - C'est en effet par l'intermédiaire des plantations conduites dans le cadre des politiques de végétalisation de la ville que sont démultipliés les facteurs allergisants ! Un travail de sensibilisation et d'information doit être conduit.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Mais comment faire alors ?

M. Michel Thibaudon. - Justement, en débutant par la réglementation susceptible de concerner un grand nombre d'acteurs, y compris les jardineries !

M. Michel Jouan. - Comme ancien professionnel de santé publique, je participe au comité départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) que j'ai, à maintes reprises, alerté sur les risques, pour les populations, de plantation de substances allergisantes. Les réactions de ses membres ont évolué au fil des années et prennent mieux en compte mes observations !

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Avez-vous constaté un accroissement de la morbidité provoqué par la pollinisation et les moisissures ?

M. Michel Thibaudon. - Il est totalement impossible de différencier entre pollens et moisissures, même si les premiers sévissent davantage au printemps et les secondes en été. Les courbes de diffusion ont augmenté de 7 à 8 % de 2010 à 2014. Certes, de telles analyses devraient être affinées. Cependant, l'évolution des pollens de bouleau, reconnu comme allergisant plus particulièrement sur la moitié nord de notre pays, demeure un indicateur pertinent quant à l'exposition.

M. Michel Jouan. - L'allergie concerne entre 20 et 25 % de la population française. Les pollens et les moisissures ne sont évidemment pas à l'origine de la totalité des cas puisque d'autres allergènes se trouvent dans l'atmosphère où s'opère une collusion entre pollutions biologique et chimique. On ne saurait mésestimer l'une ou l'autre !

M. Michel Thibaudon. - Car des personnes peuvent être allergiques à la fois aux acariens et aux pollens ! En outre, les médecins déclarent voir de plus en plus de jeunes enfants et le rapport de l'Anses, paru au printemps dernier, corrobore leurs témoignages.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Dans le cadre de vos travaux, avez-vous pu examiner le lien éventuel entre la pollinisation et le dérèglement climatique ?

M. Michel Thibaudon. - L'indicateur santé qu'est le pollen de bouleau démontre une corrélation positive entre son augmentation et celle des températures. Celles-ci ne sont pas le seul facteur explicatif d'une telle évolution ! Par ailleurs, nous vivons aujourd'hui dans des zones beaucoup plus vertes qu'il y a vingt à trente ans et la mise en oeuvre de la politique agricole commune a conduit à l'abandon de l'exploitation de terres agricoles où des arbres ont été replantés, induisant, de ce fait, une augmentation de la pollinisation. D'ailleurs, les dates de cette dernière ont également été bouleversées. L'ensemble de ces facteurs a ainsi induit une augmentation de l'exposition aux pollens et aux moisissures.

M. Michel Jouan. - Le changement climatique conduit ainsi au déplacement du sud vers le nord d'un certain nombre d'espèces végétales.

M. Michel Thibaudon. - Mais de tels déplacements peuvent prendre plusieurs dizaines d'années ! On le voit bien pour l'ambroisie sur laquelle nous disposons de trente ans de données ! Certains de nos collègues, qui se trouvent en Andalousie, constatent que la désertification remonte de quelques kilomètres par an avec de sérieuses conséquences sur les oliveraies.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Avez-vous connaissance d'autres études qui ont été réalisées dans d'autres pays, comme aux Etats-Unis ou en Chine ?

M. Michel Thibaudon. - Nous n'avons pas, à proprement parler, de contacts avec ces pays, même si nous travaillons avec des revues scientifiques internationales.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Et au niveau européen ?

M. Michel Thibaudon. - Nous avons une diversité de partenaires en Europe. Nous essayons avec l'EFA de faire avancer les choses, mais ce n'est pas une démarche évidente puisque se pose la question de l'instance d'origine de la réglementation. Celle-ci incombe-t-elle à l'Union européenne ou à un pays en particulier ? Pour le moment, cette question n'a pas reçu de réponse convaincante. Notre objectif est de faire prendre conscience qu'on ne peut se passer d'une information sur la pollution d'origine biologique qui doit être prise en compte au même titre que la pollution d'origine chimique.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Vous parliez d'ailleurs d'une forme d'étiquetage destiné au grand public. Avez-vous des propositions en ce sens ?

M. Michel Thibaudon. - Des espèces allergisantes, voire toxiques, sont en effet vendues massivement en jardinerie ou plantées à grande échelle par les municipalités et ce, parce que la composante santé n'est nullement prise en compte pour le choix et l'entretien des espèces végétales. Seize arbres ne devraient plus être vendus au grand public et ceux-ci sont pourtant les plus communs ! Nous avons d'ailleurs mis en ligne un guide végétation, visité par 30.000 internautes par an, ainsi qu'un poster. Mais notre capacité de dissémination de l'information s'avère limitée !

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Quels sont vos effectifs ?

M. Michel Thibaudon. - Le centre de coordination de l'information regroupe trois techniciens à temps plein, un apprenti, une secrétaire à temps partiel et, si je puis dire, un poste de directeur officiellement à temps partiel que j'assume.

M. Michel Jouan. - Le centre de coordination est totalement mobilisé pendant près de quarante semaines par an. Sur le terrain, outre les médecins sentinelles dont nous avons parlé, se trouvent les analystes qui sont environ au nombre de cinq cent et dont la quasi-majorité relève du bénévolat. Or, une structure de service public, qui fonctionne avec une proportion aussi importante de bénévoles, n'est pas tenable dans la durée.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Travaillez-vous en lien avec des hôpitaux ?

M. Michel Thibaudon. - Nous travaillons en lien avec des hôpitaux et la plupart de nos analystes travaillent dans les laboratoires hospitaliers. Nous avons des contacts officieux avec sept à huit centres hospitaliers et passé une convention avec un seul d'entre eux ! L'absence de conventionnement avec le milieu hospitalier s'explique notamment par la grande rigueur budgétaire et d'optimisation des ressources humaines à laquelle celui-ci est confronté. Nous travaillons également avec huit Aasqa, dont nous formons d'ailleurs les analystes à la métrologie qui nous est propre.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - A cet égard, pensez-vous que nous formons suffisamment de chercheurs sur ce sujet ?

M. Michel Thibaudon. - Ce sujet n'est pas nouveau. Pour preuve, il y a quinze ans, j'avais sollicité le ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur pour la recréation d'un laboratoire en aérobiologie, mais cette discipline n'existe toujours pas en France de manière autonome. Il y a certes des cours d'aérobiologie dans d'autres pays, mais ceux-ci sont considérés comme relevant d'autres disciplines, comme la botanique par exemple. Les étudiants scientifiques en France ne bénéficient d'aucune formation dans ce domaine. Le RNSA est ainsi le seul organisme à proposer une formation dans les domaines de l'aérobiologie et les pollens. Il y a ainsi soixante personnes en France qui savent étudier les pollens.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - C'est un nombre ténu, en effet. Comment expliquez-vous qu'en Espagne, l'aérobiologie soit plus développée ?

M. Michel Thibaudon. - Le réseau de surveillance de la pollinisation est accueilli à Cordoue, au sein d'une université, et bénéficie ainsi d'une reconnaissance par le monde académique. Ce que nous n'avons pas en France !

M. Michel Jouan. - D'ailleurs, sur un plan strictement médical, on constate une pénurie de médecins pneumologues et allergologues, sur l'ensemble du territoire français. De ce fait, des difficultés en matière de diagnostic et de traitement sont à craindre pour les prochaines années.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Avez-vous d'autres remarques ou observations à exprimer devant notre commission ?

M. Michel Thibaudon. - Il nous importe de faire prendre en compte la source des pollutions biologiques et on peut lutter contre elles notamment en milieu urbain. D'ailleurs, nos capteurs sont tous dans ce milieu, car la majeure partie de la population s'y trouve et que le mélange entre la pollution d'origine biologique et celle d'origine chimique y est persistant. Certaines graminées, qui sont hautement allergisantes, y sont plantées de manière continue et à grande échelle, ce qui induit de nombreux risques pour les populations et, en particulier, les enfants ! On ne s'est jamais posé la question ! A Paris et à Lyon, on commence enfin à prendre conscience des problèmes ! Le fauchage raisonné est, en effet, un moyen facile d'augmenter l'exposition au pollen du fait de la pollinisation accrue des graminées qui en découle. Il faut ainsi penser à l'impact sanitaire de ces plantations et ne plus considérer l'allergie comme une maladie psychosomatique ! Notre mission est de fournir l'information quant aux sources, aux moyens et aux risques induits de la pollution biologique.

M. Michel Jouan. - La pollution biologique ne doit pas être isolée de la pollution chimique. D'ailleurs, le législateur a bien considéré les deux en même temps ! La loi du 12 juillet 2010, dite Loi de Grenelle II, a prévu de traiter de façon comparable, en ce qui concerne à la fois la métrologie des pollens issus de la pollution biologique et les pollutions physico-chimiques, dans l'évaluation des conséquences de l'exposition aux polluants. S'agissant du coût, celui-ci va s'avérer difficile à scinder entre ce qui est imputable à la pollution biologique et chimique puisqu'il y a interaction entre les deux. Malgré qu'on soit parvenu à une évaluation de la consommation médicamenteuse, de l'ordre de 800 millions d'euros, il reste que d'autres conséquences indirectes, comme l'absentéisme ou la baisse de productivité, n'ont pas encore été chiffrées dans l'estimation globale de l'exposition aux différentes formes de pollution.

M. Michel Thibaudon. - Inversement, sur le coût du RNSA, réseau national, qui est de l'ordre de 1,5 million d'euros par an, il importe de le comparer avec la plus petite des Aasqa qui ont une compétence régionale et dont le budget s'avère supérieur. Si l'on avait respecté le souhait du législateur exprimé à l'occasion du Grenelle de l'environnement, le RNSA aurait dû être agréé.

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Votre réseau n'a pas été agréé ?

M. Michel Thibaudon. - Non !

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Je constate que vous n'êtes pas la seule association à assurer un travail remarquable et à ne pas être agréée !

M. Michel Jouan. - Dès lors qu'il faut appliquer strictement les dispositions législatives adoptées par le Parlement, cette absence d'homologation mérite d'être dénoncée !

Mme Leila Aïchi, présidente, rapporteure. - Je vous remercie pour votre intervention.

La réunion est levée à 14 h 49.