Mardi 10 avril 2018

- Présidence de M. Michel Boutant, président -

La réunion est ouverte à 14 h 10

Audition du Dr Gaëlle Encrenaz, docteure en épidémiologie, et du Dr Alain Miras, médecin légiste, maître de conférences des universités, expert agréé par la cour de cassation

M. Michel Boutant, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Mme Gaëlle Encrenaz, docteure en épidémiologie, et M. Alain Miras, médecin-conseil national du Fonds de garantie, médecin légiste, expert judiciaire agréé près la Cour de cassation.

Notre commission d'enquête s'efforce d'analyser et de comprendre les causes du mal-être qui semble actuellement prévaloir au sein des forces de sécurité intérieure. Pour cela, il nous est d'abord nécessaire d'acquérir une vision objective de la situation, en particulier en ce qui concerne les suicides au sein de la police et de la gendarmerie nationale. Ayant participé à l'étude épidémiologique sur les suicides au sein de la police nationale entre 2005 et 2009, vous pourrez nous expliquer les conditions nécessaires pour garantir le caractère scientifique d'une telle enquête, mais aussi la portée et les limites des résultats que vous avez obtenus.

Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 43415 du code pénal. Je vous invite, chacun à votre tour, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Gaëlle Encrenaz et M. Alain Miras prêtent serment.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Je me permettrai d'engager la discussion à travers cinq questions.

Pouvez-vous nous dresser un panorama actualisé du taux de suicide observé dans la police nationale et des différences observées par rapport au reste de la population et à d'autres institutions comparables comme la gendarmerie nationale, les armées ou certaines entreprises privées ? L'étude de l'INSERM de 2010, à laquelle vous avez contribué, avait conclu que le risque de suicide dans la police était supérieur de 36 % à celui du reste de la population.

Dans quelle mesure la prévalence du suicide chez les policiers est-elle due à des éléments propres à cette institution ? Avez-vous identifié des biais statistiques ? La police nationale est en effet principalement composée d'hommes appartenant à une tranche d'âge pour laquelle le taux de suicide est le plus important dans la population générale, et ses agents ont accès à leur arme de service, y compris en dehors du service depuis le drame de Magnanville.

Quels sont les éléments propres à la police nationale favorisant les suicides
- risques psychosociaux propres à cette institution, rapport à la violence, situation financière et matérielle souvent peu favorable, notamment pour les jeunes policiers ?

Quel regard portez-vous sur les dispositifs de lutte contre les suicides existant dans la police nationale - service de soutien psychologique opérationnel ou SSPO et « plan suicide », dont le renouvellement est actuellement en cours ?

Au-delà de l'amélioration des dispositifs existants et proposés, pensez-vous que des évolutions plus générales au sein de la police nationale, comme le développement de la pratique du sport, une amélioration des formations ou un meilleur accompagnement des managers pourraient limiter le nombre de suicides ? Nos investigations nous conduisent à nous demander si l'esprit de corps et de cohésion qui règne au sein de la gendarmerie ne permet pas aux gendarmes de mieux résister à l'adversité que les policiers.

Mme Gaëlle Encrenaz, docteure en épidémiologie. - Je le précise d'emblée, je ne suis pas une spécialiste de la police, mais de la prévention du suicide en général et des liens entre suicide et travail.

L'enquête que vous avez citée date de 2010. Elle répondait à un appel d'offres de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) et n'a pas été réactualisée depuis. Elle ne porte que sur la police, et non sur la gendarmerie. Nous ne pourrons donc pas vous communiquer de chiffres plus récents.

M. Alain Miras, médecin légiste, maître de conférences des universités, expert agréé, par la Cour de cassation. - J'ai demandé à plusieurs reprises une réactualisation de cette étude, notamment à l'occasion des formations que j'ai dispensées aux élèves commissaires de l'école de police de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or. Il serait opportun de la mettre à jour, au regard des événements des trois dernières années, mais ce n'est manifestement pas une priorité.

M. Michel Boutant, président. - Les suicides sont-ils plus nombreux parmi les catégories subalternes que parmi les catégories intermédiaires ou supérieures des forces de sécurité ?

Mme Gaëlle Encrenaz. - Notre étude a révélé que le taux de suicide le plus élevé - 40,5 suicides pour 100 000 fonctionnaires - concernait les commandants de police, avec toutefois un intervalle de confiance compris entre 24,9 et 56,1. L'interprétation des résultats sur une période de quatre ans reste en effet délicate, les effectifs du cadre étant relativement faibles et les taux pouvant connaître d'importantes variations d'une année à l'autre.

M. Michel Boutant, président. - Qu'entendez-vous exactement par « intervalle de confiance » ?

Mme Gaëlle Encrenaz. - Il s'agit d'un intervalle contenant le taux estimé avec un degré de confiance de 95 %.

M. Alain Miras. - L'intervalle est plus faible pour les gardiens de la paix, compris entre 28,1 et 38 suicides pour 100 000 agents, et les statistiques plus fiables en raison de l'effectif plus important du cadre.

Mme Gaëlle Encrenaz. - Avant de vous présenter les résultats de l'enquête de 2010, je commencerai par un rapide état des lieux.

Avec 800 000 décès par an, le suicide est la treizième cause de mortalité dans le monde. En France, on dénombrait près de 9 000 décès en 2015 - 13,9 pour 100 000 habitants, presque trois fois plus que les accidents de transport - et 200 000 tentatives de suicide environ chaque année.

Entre 60 % et 90 % des conduites suicidaires sont associées à un trouble mental, le plus souvent une dépression, et 50 % des personnes décédées par suicide avaient déjà fait une tentative.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les tentatives de suicide ne sont-elles pas largement sous-estimées ?

Mme Gaëlle Encrenaz. - Ne sont comptabilisées que les tentatives à la suite desquelles les personnes ont été en contact avec le système de santé. Beaucoup de tentatives passent sans doute inaperçues.

Outre la présence d'un trouble mental et d'une tentative de suicide antérieure, les autres facteurs associés sont l'alcool, certains traits de personnalité, le stress professionnel, le manque de soutien affectif, la survenue d'un deuil, d'une séparation, la précarité ou encore la fréquentation du milieu carcéral. Le suicide est un processus complexe qui associe de nombreux facteurs, souvent étroitement liés.

M. Michel Boutant, président. - Élu d'un canton rural, j'ai remarqué que certaines familles étaient plus touchées par le suicide que d'autres. J'ai plus particulièrement en tête quatre familles, qui ont malheureusement connu un ou deux suicides par génération. Existe-t-il une prédisposition familiale ?

Mme Gaëlle Encrenaz. - Les facteurs de risques familiaux ont été étudiés à plusieurs reprises. La composante familiale des troubles dépressifs est connue, et des études montrent que certains gènes pourraient accroître la vulnérabilité au suicide. La survenue d'un ou de plusieurs suicides dans une famille donnée constitue enfin un facteur d'apprentissage sur la manière de mettre fin à ses jours.

M. Alain Miras. - Il n'est pas rare de constater dans des familles des cas de suicide du père et du fils au même âge, dans les mêmes conditions.

Mme Gaëlle Encrenaz. - Le lien entre suicide et travail est très ambivalent, le travail étant à la fois un facteur de protection - plusieurs études montrent une corrélation entre taux de chômage et taux de suicide - mais aussi un facteur de risques. Les professions médicales, les forces de l'ordre et les agriculteurs sont traditionnellement plus touchés. Cela tient à la masculinité de ces professions, à l'accès à un moyen létal sur le lieu de travail, en ce qui concerne les forces de l'ordre, ainsi qu'à des facteurs directement liés à l'exercice de ces professions - stress, pression psychologique, manque de marge de manoeuvre...

Toutes les études nationales et internationales montrent que les forces de l'ordre ont un risque de décès par suicide plus élevé que les autres professions. C'était d'ailleurs l'une des raisons du marché public lancé par l'IGPN en 2008.

Les objectifs de notre étude étaient de comparer les données de mortalité avec celles de la population générale et de professions « similaires », d'identifier les facteurs personnels et professionnels associés au suicide, de décrire les dispositifs institutionnels et les mécanismes informels de réponse au risque suicidaire, de faire un bilan des modalités de prise en charge et, enfin, de proposer des stratégies pour le dépistage, la prévention et la prise en charge des conduites suicidaires.

S'agissant tout d'abord des éléments statistiques sur la période 1989-2009, le taux de suicide des policiers, après avoir diminué entre 1989 et 1994, a fortement augmenté jusqu'en 1996 et la création du SSPO, avant de connaître de nouveau une relative diminution.

M. François Grosdidier, rapporteur. - L'étude a-t-elle été commandée après une vague de suicides dans la police ?

Mme Gaëlle Encrenaz. - Je ne pourrai pas vous répondre précisément. Entre 1998 et 2009, on a dénombré très exactement 559 décès par suicide dans la police.

M. Alain Miras. - Il est difficile de savoir précisément pourquoi cette enquête a été commandée en 2008. En revanche, tous nos interlocuteurs institutionnels avaient tendance à s'attribuer la paternité de la demande... Globalement, les statistiques de suicides étaient stables, mais un ou deux commissaires avaient mis fin à leurs jours dans des conditions qui avaient marqué les esprits. C'est peut-être l'une des explications.

Mme Gaëlle Encrenaz. - Le taux de suicide des policiers, de 33,3 pour 100 000 entre 2005 et 2009, reste dans tous les cas supérieur à celui de la population générale. En tenant compte des différences de structures sociodémographiques par âge et sexe, on estime, comme vous l'avez souligné en introduction, monsieur le rapporteur, que le taux de suicide dans la police est supérieur de 36 % à celui de la population générale.

Le nombre de décès est un peu plus élevé chez les 51-60 ans, sans que l'écart entre les différentes tranches d'âge soit pour autant réellement significatif.

M. François Grosdidier, rapporteur. - En revanche, il semblerait que le nombre de suicides augmente sur la dernière décennie.

M. Michel Boutant, président. - L'an dernier, 51 policiers et 17 gendarmes se sont suicidés.

Mme Gaëlle Encrenaz. - Il faut aussi tenir compte de l'augmentation des effectifs.

M. Michel Boutant, président. - Certes, mais depuis le début de l'année, l'augmentation du nombre de suicides est conséquente : on compte déjà 10 suicides de gendarmes pour les trois premiers mois de 2018.

Mme Gaëlle Encrenaz. - Entre 1998 et 2009, 66% des policiers s'étant suicidés ont utilisé une arme à feu. Dans 53 % des cas, il s'agissait de leur arme de service.

Une deuxième étape de l'étude a consisté à explorer plus finement les 49 cas de suicides de policiers survenus en 2008 par la méthode de l'autopsie psychologique. Concrètement, les données disponibles sur la personne - assurance maladie, hôpital, travail - ont été analysées et des psychologues ont interrogé des personnes ayant connu le défunt - un proche, un collègue de travail ainsi que le responsable hiérarchique.

Les psychologues ont recueilli différentes données sur les événements de vie, les particularités du décès, la personnalité, le stress au travail, les diagnostics psychiatriques probables et le niveau d'agressivité puis les ont compilées dans un calendrier de « trajectoire de vie », conçu par Monique Séguin, professeure de psychologie au Québec. Un panel multidisciplinaire de 10 experts a ensuite évalué par consensus chacun des dossiers pendant 6 jours, en attribuant un « score d'adversité » de 1 à 6 pour chaque période de vie. On a généralement constaté une accumulation des difficultés au fil du temps, avant le passage à l'acte suicidaire.

Sur les 49 cas étudiés, 39 dossiers ont été jugés exploitables. Il s'agissait d'hommes à 82 %, dont l'âge moyen était de 36 ans, 50 % étant mariés ou en couple. On a estimé que des difficultés psychologiques avaient contribué au passage à l'acte dans 75 % des cas, la vie affective dans 59 % et la vie professionnelle dans 36 %. Sur les 39 personnes étudiées, 24 présentaient des troubles de l'humeur, 12 avaient déjà tenté de se suicider et 22 avaient déjà eu recours à des soins avant le passage à l'acte.

En utilisant les données des scores d'adversité déterminés par l'expertise, nous avons attribué un score pour chaque période de l'existence et, ainsi, pu mettre en évidence quatre typologies de trajectoire de vie au sein du panel étudié. La première concerne dix individus : dans le cadre d'une existence sans adversité connue, un événement isolé survient, créé une détresse et conduit à un passage à l'acte dans un délai rapproché, souvent avec une arme de service. Cette trajectoire, pour laquelle la prévention est particulièrement délicate, rassemble majoritairement des hommes et le facteur professionnel y joue un rôle déterminant. La deuxième trajectoire s'applique à onze cas ayant connu des difficultés dès l'enfance. Une consommation élevée d'alcool et des antécédents de tentative de suicide ont été également observés. La troisième trajectoire se rapproche des critères de la première, mais le passage à l'acte suicidaire y est moins rapide ; il constitue davantage l'issue à une accumulation de difficultés relevant de diverses sphères, notamment la vie affective, que la conséquence d'un événement isolé. Elle s'applique à cinq individus du panel, majoritairement des femmes. Enfin, la quatrième trajectoire, dont ressortent cinq dossiers, concerne des individus victimes d'abus et de négligences dans l'enfance. Le score d'adversité s'améliore lorsque la sphère familiale s'éloigne à l'âge adulte, mais, du fait de leur vulnérabilité, tout élément susceptible de dégrader une situation peut conduire à un suicide chez les individus concernés.

Toutes trajectoires confondues, l'ensemble des fonctionnaires ayant mis fin à leurs jours présentait les signes d'une détresse psychologique. À l'exception d'un cas, les symptômes observés permettaient d'établir un diagnostic de trouble psychiatrique, notamment de dépression. Les facteurs de vulnérabilité les plus fréquents concernaient la sphère affective et celle des relations avec les parents, les fragilités en lien avec l'exercice du métier apparaissant de fait moindres : dans un tiers des cas, la vie professionnelle avait contribué (« beaucoup » dans 13 % des cas, « modérément » dans 23 % des dossiers) au passage à l'acte suicidaire. Il convient en outre de remarquer que la vie privée comme la vie professionnelle sont également facteurs de protection.

La détermination de quatre trajectoires de vie distinctes conduisant à un suicide réfute l'hypothèse d'un profil unique d'individu suicidaire et confirme, partant, la nécessité d'une vigilance pluridisciplinaire, du dépistage à la prise en charge. Pour les cas relevant de la première trajectoire, l'arme de service est utilisée impulsivement, par des hommes, en conséquence d'un événement de vie isolé : à rebours des exemples appartenant aux trois autres types de trajectoires, la sphère professionnelle y occupe une place prépondérante et l'accès au moyen létal apparait déterminant.

M. Alain Miras. - Parallèlement à l'enquête, nous avons mené une cinquantaine d'entretiens avec les acteurs de la police nationale s'agissant de la prévention du passage à l'acte, afin de disposer des éléments d'information nous permettant de décrire les modalités de gestion du phénomène suicidaire (acteurs concernés, niveau des connaissances, représentation et perception du sujet, attentes des services). Si l'ensemble des services n'a pu être contacté, nous avons néanmoins interrogé quarante-neuf personnes : chefs de service, chefs d'unité ou de brigade, partenaires sociaux, services de médecine du travail (statutaire et de prévention), auprès desquelles l'information fut difficile à obtenir au-delà de considérations générales en raison de l'opposition du secret médical, assistantes sociales, SSPO (directrice et psychologues), responsables des ressources humaines et responsables de la formation de la police nationale. Parmi les services rencontrés, nous dénombrons notamment dix ou onze syndicats, sans lesquels cette enquête n'aurait pas été menée, des CRS, le secrétariat général pour l'administration de la police (SGAP) du Rhône et la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de la Gironde - deux contacts facilités par mes affectations successives à Lyon et à Bordeaux -, et la sous-direction de la police technique scientifique (PTS).

La méthode retenue consistait en des entretiens non directifs retravaillés de façon à pouvoir les exploiter. Les thèmes abordés relevaient de la spécificité du métier de policier, sur laquelle l'ensemble des personnes interrogées a insisté. Le recrutement et l'affectation dans un premier poste, souvent en Ile-de-France pour des fonctionnaires d'origine majoritairement provinciale, parfois adjoints de sécurité, avant une mutation francilienne consécutive à leur succès au concours, apparaissent facteurs de déstabilisation et de vulnérabilité en ce qu'ils entraînent un déménagement, source éventuelle de déracinement et de rupture avec le milieu familial.

Parfois, les conditions de logement de ces policiers sont frustres : certains dorment dans leur voiture ou se partagent un minuscule studio. Par ailleurs, l'exercice du métier de policier expose à la violence, physique autant que psychologique, même s'il convient, comme pour la température, de distinguer le ressenti du subi. Nos interlocuteurs ont évoqué une charge de travail croissante à effectifs constants, des affaires de plus en plus complexes, la difficulté, mêlée de fierté, à être policier en permanence et pas seulement au cours du service, ainsi qu'une pression hiérarchique et judiciaire écrasante en raison d'injonctions contradictoires et de modifications législatives itératives nécessitant des adaptations fréquentes souvent mieux connues des services du procureur que de la hiérarchie policière.

Ils ont également fait état de la stigmatisation crainte en cas d'arrêt de travail ou de retrait du port d'arme. A l'instar de l'administration pénitentiaire, les services de police sont le lieu de conflits de génération entre fonctionnaires : les supérieurs hiérarchiques peuvent y être plus jeunes que leurs troupes et mieux maîtriser certaines méthodes de travail, notamment lorsqu'elles impliquent de nouvelles technologies. Nous ont en outre été rapportés des cas de harcèlement professionnel sous différentes formes.

Les entretiens ont, par ailleurs, abordé les problématiques liées à la gestion du stress et à la prise en charge résultant de situations traumatisantes. Les relations avec les organes de presse, le rôle de réseaux sociaux sur lesquels circulent des vidéos « sauvages » de certaines interventions policières, le décalage entre la fonction sociale du policier et son image ternie auprès du public, même si celle-ci s'est nettement améliorée depuis les attentats de 2015, et l'impression de mise au pilori qui résulte des auditions administratives de policiers faisant suite à des plaintes, jugées infondées, de justiciables ont également été l'objet de nombreuses interventions.

Outre la dégradation des conditions de travail et les rapports insatisfaisants avec la population, les services interrogés ont rappelé les violences propres à l'exercice de leur métier, y compris psychologiques - je pense notamment au traumatisme que constitue l'écoute de certains enregistrements de sévices et d'actes de barbarie par la PST.

En matière de prévention des actes suicidaires, les intervenants sont multiples : au côté des assistantes sociales interviennent le SSPO pour la prise en charge psychologique, ainsi que les services de médecine statutaire et de prévention, lesquels, ne poursuivant pas les mêmes objectifs, peuvent être amenés à entretenir des relations pour le moins tendues. Nous nous sommes intéressés aux actions de prévention menées dans les commissariats et au bilan qui pouvait en être tiré. Dans ce cadre, nos interlocuteurs ont formulé diverses propositions que retrace notre enquête. Tous ont notamment insisté sur la nécessité de renforcer le dépistage et de faire la promotion des moyens d'alerte (campagnes de sensibilisation, groupe de soutien, brochures ad hoc, etc.), parfois méconnus des fonctionnaires. S'agissant de la prise en charge, il est proposé de développer le SSPO, de favoriser les aménagements de postes et d'améliorer la communication de la hiérarchie lorsque survient un suicide. Les avis sont partagés concernant les modalités de désarmement et le dépôt de l'arme à la fin du service, tant le sujet demeure tabou. Il est pourtant avéré qu'en Grande-Bretagne, où les policiers ne sont pas armés, leur taux de suicide est inférieur... L'absence d'arme semble toutefois dangereuse à des policiers qui, rentrant dans certains quartiers à l'issue de leur service, pourraient être reconnus et importunés. Quoi qu'il en soit, la question se pose, depuis les attentats, de manière très différente qu'au moment de notre enquête. Enfin, nos interlocuteurs ont estimé qu'un travail devait être mené sur les conditions de travail et le stress professionnel via notamment l'amélioration de l'image de la police auprès du public, la reprise du dialogue avec la hiérarchie et la responsabilisation des chefs de brigade et d'État-major en la matière.

Il ressort de nos entretiens que la connaissance des situations à risque (tentative de suicide, modification des habitudes, des attitudes et du comportement, difficultés personnelles, dysfonctionnements professionnels, troubles du comportement et de l'humeur) favorise le dépistage, qui pourrait, bien que cela soit complexe et coûteux, être effectué dès l'école de police par une étude de la trajectoire de vie et de la biographie des candidats et un avis systématique d'un psychiatre en cas de doute. Reste à déterminer s'il disposerait ou non d'un droit de veto. Le dépistage peut être réalisé par chacun et, en cela, la vigilance et la protection de l'environnement professionnel sont essentielles, même s'il apparait que les partenaires sociaux (80 % des policiers sont syndiqués) représentent des interlocuteurs privilégiés. L'alerte auprès d'un ou plusieurs services médico-sociaux compétents doit être facilitée et la coordination entre les acteurs améliorée. La prise en charge psychologique assurée par le SSPO semble fonctionner convenablement, mais la collaboration entre psychologues et psychiatres mérite d'être renforcée. S'agissant de la prise en charge médicale, les deux services compétents apparaissent par trop cloisonnés et le secret professionnel peu à même de faciliter l'échange d'informations.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les professionnels ont parfois une vision fort extensible du secret...

M. Alain Miras. - Cela varie selon les services. Il semblerait utile, à défaut de partager le secret professionnel, d'établir un dossier partagé entre assistantes sociales, psychologues et médecins. Une prise en charge efficace ne peut non plus faire l'impasse sur la lutte contre la stigmatisation professionnelle et médicale dont sont victimes les fonctionnaires dépistés suicidaires. Elle doit également s'attacher à combattre, au travers de campagnes d'information et de prévention, les conduites addictives que constitue la consommation d'alcool et de drogues, ces dernières étant plus difficilement détectables sauf au travers d'un dépistage capillaire.

Une réflexion doit, en outre, être menée concernant l'arme de service, dont le port représente une spécificité symbolique du métier mais qui est à l'origine de plus de la moitié des morts par suicide. Dans de très nombreux cas, l'acte est commis à l'issue d'une période de congés ou d'arrêt maladie : la reprise d'arme ne devrait pas alors être possible avant le retour effectif du policier dans son service, ce qui, dans certains dossiers, n'a pas été le cas. En outre, en cas de retrait pour des raisons médicales, l'arme ne devrait pouvoir être remise que par le supérieur hiérarchique. Quant à la procédure de retrait elle-même, souvent mal vécue, elle mériterait de faire l'objet d'actions de communication pour en faire comprendre la nécessité.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les responsables de la police nationale que nous avons interrogés sur la question du port d'arme jusqu'au domicile du policier ont rappelé que la question avait changé d'ampleur depuis le drame de Magnanville. La direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) s'y est montrée plus hostile, mais il est vrai que les gendarmes vivent au sein des casernes...

M. Alain Miras. - Le problème est évidement différent pour les policiers.

M. François Grosdidier. - La suppression de l'arme est vécue comme une rétrogradation et, partant, peut aggraver le mal-être d'un individu déjà fragilisé.

M. Alain Miras. - La possession d'une arme représente évidemment un facteur de risque, mais la question n'est pas aisée : certaines femmes policières sont rassurées avec une arme dans leur sac et certaines ont évité ainsi une agression. Il serait plus facile, au nom de la prévention, de limiter le port d'arme au temps du service, mais serait-ce vraiment déterminant ? Quoi qu'il en soit, les conditions de travail et le stress professionnel, composantes essentielles de l'équilibre psychologique des fonctionnaires de police, doivent être au coeur des politiques de prévention et de dépistage.

En conclusion, notre enquête a montré que le risque de suicide dans la police nationale sur la période 2005-2009 était supérieur de 36 % à celui de la population générale, notamment en raison de la sur-suicidalité des policiers de moins de trente-six ans. En outre, la totalité des fonctionnaires ayant mis fin à leur jours présente les signes d'une détresse psychologique ressortant, à une exception près, d'un trouble psychiatrique, majoritairement de type dépressif.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Dans la police comme dans la gendarmerie, l'équilibre psychologique du candidat constitue un critère de sélection majeur des recruteurs, tous nous l'ont affirmé. Les fonctionnaires des forces de sécurité sont censés être plus solides que la moyenne de la population.

M. Alain Miras. - Nous pouvons l'espérer. Mais qu'en est-il lorsqu'un psychologue oppose son veto à un recrutement ? Le candidat est-il refusé ? Il me semble que le critère psychologique n'est pas exclusif.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Je comprends que, pour les besoins de l'enquête, vous ayez eu recours à une catégorisation des trajectoires de vie, mais il me semble néanmoins que, parfois, les épreuves traversées peuvent, au contraire, rendre un individu plus combatif. Les différents facteurs de vulnérabilité sont bien exposés dans votre présentation, qui fait efficacement apparaitre le rôle important joué par la sphère professionnelle, notamment les répercussions, sur la vie familiale, des horaires variables, des mutations et des difficultés de logement. La relation au travail peut, plus que la trajectoire de vie, être source de détresse. Vous avez estimé pertinent que la hiérarchie communique autour d'un suicide, mais, lors d'un déplacement dans un commissariat, il nous est apparu que de graves difficultés de communication pouvaient exister entre hiérarchie, policiers de la base et personnel administratif. Quant à l'utilisation de l'arme de service, il me semble qu'un individu qui souhaite en finir trouve un moyen d'y arriver, quel qu'il soit...

M. Alain Cazabonne. - Pour quelle raison existe-il, dans la police, une proportion plus élevée de suicides ? Est-ce dû à la facilité d'accès aux armes ? Aux conditions particulières de travail ? D'autres professions sont également victimes de ce phénomène ; récemment, un jeune élu s'est jeté d'un pont...

Mme Brigitte Lherbier. - Je m'interroge sur la toute-puissance du psychologue dans le processus de recrutement. Un étudiant de ma connaissance ayant obtenu une excellente moyenne au concours de la gendarmerie s'est ainsi vu opposer un veto, sans appel ni recours possible. Je fus son professeur pendant quatre ans sans remarquer aucun signe inquiétant. C'est une carrière avortée ! Qu'en pensez-vous ?

M. Michel Boutant, président. - Comment se situe la France, s'agissant du taux de suicide dans la police, par rapport aux autres pays européens ? Quelle comparaison peut-on établir avec d'autres professions, notamment du monde agricole et au sein d'Orange ?

M. Alain Miras. - Je suis expert, madame Lherbier, pas psychologue. Lors d'expertises psychiatriques, les avis peuvent diverger, à l'instar des procès d'assises où les experts peuvent se livrer à de véritables luttes. En effet, ils se fondent sur un matériau déclaratif et les accusés intelligents savent modifier leur discours en fonction des experts auxquels ils s'adressent. Le sujet du veto est complexe. Se fonde-t-il sur un entretien ou sur un test ? À mon sens, il est préférable d'intégrer un fonctionnaire à risque, de le surveiller et de le prendre en charge. À cet égard, la suppression du service national, où l'armée prenait soin de dépister et de soutenir les profils à risque suicidaire, est dommageable. Heureusement toutefois, les traitements médicaux se sont très largement améliorés. Dans le cas que vous nous avez présenté, votre étudiant avait-il eu affaire à un psychologue ou à un psychiatre ?

Mme Brigitte Lherbier. - C'était un psychologue.

M. Alain Miras. - Il serait préférable qu'un psychiatre, qui est médecin, soit également associé à la procédure de recrutement.

Mme Gaëlle Encrenaz. - La réponse à votre question, monsieur Cazabonne, n'est guère aisée. Les suicides policiers ressortent de la conjonction de plusieurs facteurs de risque dont, ceux, très spécifiques, liés à l'exercice de leur métier (accès à l'arme, conditions de travail, etc.).

M. Alain Cazabonne. - La pression professionnelle n'est pas moins importante dans bien des entreprises privées, où l'emploi à vie n'est pas garanti...

Mme Gaëlle Encrenaz. - Certes, mais les policiers se sentent victimes de discrimination au sein de la population.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous avons, depuis le début de notre commission d'enquête, eu à de multiples reprises, et récemment encore lors de notre déplacement à Coulommiers, l'occasion d'observer et de comprendre le mal être policier.

Mme Gaëlle Encrenaz. - Il est des choses fort difficiles dans la pratique de ce métier...

M. Alain Cazabonne. - Vous estimez que la mauvaise perception de la population serait une cause de ce mal être. Pourquoi, dans ce cas, les contrôleurs du fisc, dont le public a une détestable opinion, ne se suicident-ils pas plus ?

Mme Gaëlle Encrenaz. - Vous avez évoqué, madame Paimond-Pavero, l'enjeu de l'accès à une arme létale sur le lieu de travail, essentiel dans le cadre de la réflexion sur la prévention des suicides. Les études indiquent effectivement que, par exemple, lorsque la barrière d'un pont est rehaussée, le taux de suicide diminue dans la ville concernée : les individus suicidaires ne se sont pas reportés en masse vers d'autres moyens de se donner la mort. Mais cette solution ne supprime ni la détresse ni la souffrance, qui doivent être prises en charge au long de la trajectoire de vie et dans chaque sphère de celle-ci.

M. Michel Boutant, président. - Nous vous remercions.

Audition de M. Pascal Lalle, directeur central de la sécurité publique

M. Michel Boutant, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Pascal Lalle, directeur central de la sécurité publique (DCSP).

Je rappelle que nous avons déjà entendu le directeur général de la police nationale, le directeur des ressources et des compétences et le médiateur de la police nationale.

Cette audition doit nous permettre de traiter plus précisément des questions qui concernent les agents de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP). Il s'agit de la plus importante direction active de la police nationale en effectifs, et notamment celle qui compte le plus grand nombre de gardiens de la paix. Si l'on en croit les auditions que nous avons menées jusqu'à présent, une grande partie des difficultés rencontrées par les policiers concernent au premier chef les agents de la DCSP, qui sont « en première ligne » face à la délinquance et à l'insécurité quotidiennes.

Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pascal Lalle prête serment.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Notre commission d'enquête a été mise en place après la nouvelle vague de suicides qui a touché les gendarmes mais surtout les policiers. Ces derniers nous ont fait part de leur colère et de leur mal-être profond, en dehors de tout cadre syndical. Nous avons auditionné depuis des mois et il nous est apparu que leurs difficultés étaient dues à plusieurs facteurs : sous-investissements depuis des décennies et changements brutaux de doctrines politiques à partir des années 1990 sans moyens suffisants pour satisfaire aux missions assignées. En outre, ces dernières années, les forces de l'ordre ont été extrêmement sollicitées du fait de la résurgence du terrorisme, des migrations et des grands évènements nationaux.

Mais il nous est aussi apparu qu'en dépit des mêmes difficultés rencontrées, la gendarmerie tenait bien mieux moralement que la police, dont la cohésion nous est apparue moindre. On nous a dit les gendarmes cultivaient un esprit de corps, alors qu'il existait un esprit de castes entre les corps de la police. À titre d'exemple, un général de gendarmerie parle d'un brigadier comme d'un camarade, chose impensable entre un commissaire et un gardien de la paix.

Ces corps distincts, qui n'ont pas reçu la même formation et qui ne travaillent pas ensemble, n'ont-ils pas été encore plus opposés les uns aux autres du fait de la politique du chiffre ? Certaines personnes nous ont d'ailleurs affirmé que cette politique n'avait jamais existé tandis que d'autres estiment qu'elle n'est plus en vigueur.

Sur tout le territoire, le malaise des unités est récurrent et son expression nous a tous surpris. En outre, le mal-être semble plus profond au sein des forces de sécurité publique que dans les forces mobiles. Est-ce parce que ces dernières sont moins disponibles pour prêter main forte aux premières ? Quoi qu'il en soit, le taux de suicide y est plus important, peut-être en raison d'un esprit de corps moins prononcé.

En 2010, votre direction a demandé à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de lancer une étude sur les suicides, mais vous ne semblez pas y avoir donné suite. Estimez-vous que la prévention des risques psycho-sociaux dans la police nationale soit suffisante ? Le management et la formation initiale et continue ne mériteraient-ils pas d'être revus ?

Alors que le manque d'effectifs est patent, on va vous demander de renforcer le contact avec nos concitoyens. En outre, la directive européenne sur le temps de travail va vous contraindre à réduire les horaires des policiers. Pensez-vous que les moyens budgétaires affectés aux personnels vous permettront de résoudre cette équation ?

Se posent aussi des questions matérielles : nous avons constaté l'immense misère des commissariats, et je ne parle pas seulement de celui de Coulommiers que nous avons visité la semaine dernière. Les policiers travaillent dans des conditions dégradées. Or, à chaque fois que nous interrogeons l'exécutif, on nous répond que la situation s'est améliorée par rapport à l'année précédente. Pourtant, qu'il s'agisse de l'immobilier ou des véhicules, nous avons la nette impression que la situation continue à se dégrader. De quels moyens devriez-vous disposer pour parvenir à un niveau décent pour exercer vos missions ?

Les policiers, comme les gendarmes, nous disent passer les deux-tiers de leurs temps à la procédure, ce qui ne leur laisse qu'un tiers de temps pour leurs missions opérationnelles. La réforme annoncée de la procédure pénale vous permettra-t-elle de dégager du temps pour mener à bien vos tâches indispensables ? Pensez-vous que les charges indues qui pèsent sur vous seront enfin allégées ? Je fais notamment allusion aux transfèrements dans les centres de rétention et aux procédures que la police nationale doit prendre en charge, à la suite des interventions des polices municipales. Quelles sont les charges qui resteront de votre ressort ? Vos réponses nous permettront d'enrichir les préconisations que nous présenterons dans notre rapport.

Pour ce qui est des rapports entre les policiers et la population, les caméras individuelles permettent de réduire les tensions et de rassurer les policiers sur la suite pénale apportée aux outrages et rebellions. Hélas, ces caméras ne sont pas encore systématiques.

M. Pascal Lalle, directeur central de la sécurité publique. - Vous avez dressé un tableau gris foncé, pour ne pas dire noir, de la police nationale, que je ne partage pas totalement, même si des questions restent en suspens et des améliorations sont souhaitables.

Je suis commissaire de police depuis 1978 : j'ai connu toutes les périodes que vous avez évoquées. Je suis en charge de la direction centrale de la sécurité publique depuis un peu plus de cinq ans, ce qui m'a permis de vivre les derniers épisodes dramatiques au plan de la sécurité et les périodes compliquées en matière de management des services.

Ma direction recouvre l'ensemble des commissariats de police de métropole et d'outre-mer, hormis Paris et la petite couronne, soit 307 circonscriptions de police et un peu plus de 700 points d'accueil du public dont 300 sont ouverts jour et nuit. Nous sommes en première ligne sur l'ensemble des sujets qui préoccupent la sécurité de nos concitoyens puisque les policiers de la sécurité publique sont les premiers intervenants. Nous traitons un peu plus de 10 millions d'appels « 17 » par an, ce qui engendre 2,2 millions d'interventions de la police secours en urgence, soit une intervention toute les dix ou douze secondes.

Nous sommes concentrés sur les zones urbaines, les villes et les agglomérations : nous couvrons un peu moins de 50 % de la population et nous traitons un peu plus de 50 % des crimes et délits au niveau national.

Mon administration centrale a pour mission d'établir les doctrines ainsi que les principes d'organisation et de les faire respecter. Elle prend aussi le relais des directives du ministre de l'intérieur en matière de sécurité publique et elle établit les principes de coopération avec les autres forces de sécurité.

Nous disposons d'une sous-direction des ressources humaines pour répartir les moyens humains et logistiques qui nous sont attribués, à partir d'une évaluation de la charge de travail des circonscriptions. Depuis quatre ans, nous menons des audits internes d'appui au management afin de nous assurer du bon fonctionnement de nos services mais également d'apporter un appui aux directeurs départementaux et aux chefs de circonscription.

Le deuxième volet de la mission centrale est plus opérationnel : il s'agit du service central du renseignement territorial. Cette mission de renseignement a été connectée à la sécurité publique lors de la réforme du 1er juillet 2008. En mai 2014, ce rattachement a été confirmé.

Au plan territorial, nous avons 99 directions départementales ou directions de la sécurité publique, pour certains outre-mer, coordonnées par des directions départementales de coordination zonale implantées dans les chefs-lieux de zones de défense et qui font l'interface entre la mission centrale et les autres directions départementales. Ces dernières proposent des missions d'appui opérationnel, par projection de forces, mais aussi d'appui technique ou de soutien en termes de formation.

Cette administration centrale regroupe près de 68 000 personnes de tous corps et de tous grades.

Vous avez raison de dire que les policiers des commissariats ont beaucoup souffert : jusqu'en 2012, les effectifs diminuaient alors que les missions restaient identiques. Dans ma direction, cette décroissance du nombre de policiers généralistes a perduré jusqu'en 2017, alors même qu'à partir de 2015, nous devions participer au dispositif de lutte contre le terrorisme et de protection des points sensibles. En parallèle, les policiers se sentaient eux-mêmes en insécurité du fait de l'augmentation des violences exercées à leur encontre et de l'assassinat de deux de leurs collègues à Magnanville. Ce drame a eu des conséquences directes sur les familles qui ont pris conscience de la dangerosité de ce métier.

De nombreux services travaillant 24 heures sur 24, les policiers ne se rencontrent pas tous, d'où parfois le sentiment d'isolement. Contrairement aux gendarmes, nous n'avons pas de vie collective en dehors de l'exercice de la fonction, ce qui explique en partie un certain individualisme. La chaine hiérarchique est sans doute perfectible, car elle est constituée de trois corps : les gradés des gardiens de la paix, les officiers de police et les commissaires. Malgré nos récents efforts de formation et de promotion, nous avons encore des progrès à accomplir pour que chaque membre soit bien à sa place dans une structure hiérarchique reconnue de tous.

M. François Grosdidier, rapporteur. - On nous a dit que la séparation entre les deux corps les plus élevés pose de gros problèmes. Alors qu'un officier de gendarmerie travaille avec ses hommes, au moins en début de carrière, tel n'est pas le cas pour les commissaires. En outre, il nous a été affirmé que les commissaires sont désormais plus gestionnaires que meneurs d'hommes.

M. Pascal Lalle. - Certes, les officiers de gendarmerie sont sur le terrain, mais jusqu'au grade de capitaine ou de commandant. Un officier de police est lui aussi sur le terrain jusqu'au grade de commandant et même parfois au-delà. Nous avons des officiers patrons de brigades anti-criminalité, des officiers qui sont sur le terrain la nuit avec des unités d'intervention. Nous avons des commissaires patrons de services de nuit et qui sont en opération.

Dès lors qu'une affaire sensible se présente, le commissaire et l'officier dirigent les opérations.

La répartition des corps résulte de l'histoire de la police nationale, qui a été seulement créée il y a un peu plus de 70 ans. Le corps des commissaires est également récent et il s'est construit à partir de l'exemple parisien.

Malgré les efforts de formation de ces dernières années, nous devons encore nous améliorer pour que chaque membre de la hiérarchie, qu'il soit gradé, officier ou commissaire, soit bien positionné et assume ses responsabilités. Nous devons également revoir notre façon de manager nos équipes. L'affaire de Viry-Châtillon a été un déclencheur : il faut davantage écouter les policiers de terrain, qui sont des « baïonnettes intelligentes », pour en tirer les leçons et mieux nous adapter aux risques et aux missions actuelles.

Créée il y a quelques mois, la direction centrale des recrutements et de la formation de la police nationale travaille sur la rénovation de la formation au management. La mise en place de la police de sécurité du quotidien nous permettra de modifier l'organisation de nos équipes et de faire en sorte que chaque responsable prenne toute sa part dans l'action collective.

La question de la politique du chiffre hante les écrits syndicaux et journalistiques. En 2005, nous sommes passés d'une police uniquement réactive à une police proactive : on nous a demandé d'être plus incisifs et de mettre en place des dispositifs plus performants dans la lutte contre la délinquance. La mesure de notre activité fut uniquement basée sur les chiffres de la délinquance : les taux d'élucidation et la capacité à interpeller plus d'auteurs de crimes et de délits.

Cette politique du chiffre a eu le mérite de secouer la « maison police » ; depuis, une étape a été franchie dans le management opérationnel des services, sur la voie d'une meilleure résolution des problèmes.

Comme dans toute transition un peu difficile, certaines dérives ont pu se faire jour : pour un policier évalué sur des chiffres d'interpellation, rien n'est plus facile que de multiplier les interpellations sur de petites affaires, puisqu'une interpellation pour un crime vaut une interpellation pour un vol à l'étalage ! Mais ces dérives sont restées mesurées, et le mode d'évaluation a changé : on n'évalue plus les services sur le seul chiffre de la délinquance.

M. François Grosdidier, rapporteur. - L'IRP, l'indemnité de responsabilité et de performance, et les primes étaient-elles calculées strictement sur la base de ces chiffres ?

M. Pascal Lalle. - Non.

Lorsqu'on parle de politique du chiffre, on entretient souvent la confusion entre politique du chiffre et reporting. Les personnes en charge d'une politique publique de sécurité, commissaires de police, magistrats, préfets, élus locaux, mettent en oeuvre des actions ; il faut donc pouvoir mesurer si l'orientation décidée est bien appliquée, et si les actions menées ont bien un effet sur le niveau de sécurité attendu. Le reporting existe, et je ne vois pas comment on pourrait s'en passer. Les statistiques de la délinquance sont un outil incontournable pour déterminer des stratégies d'action.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ce travail de reporting est-il excessivement chronophage ?

M. Pascal Lalle. - Non. Il est totalement automatisé dans le logiciel de rédaction des procédures. Tout dépôt de plainte, tout acte de procédure, toute élucidation d'un fait, donnent lieu à l'alimentation d'un puits de données informatiques, qui fait ensuite l'objet d'un traitement par le service statistique du ministère de l'intérieur.

On ne pourra jamais se passer d'un compte rendu de l'activité des services : ce compte rendu permet de mesurer le respect des politiques publiques. En revanche, ce reporting ne doit jamais devenir un outil d'évaluation, au risque de pervertir le dispositif.

S'agissant du malaise policier, il a été déclenché par l'événement extrêmement violent de Viry-Châtillon, où des collègues policiers ont été attaqués et gravement brûlés. Mais cet événement n'est que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

À l'époque, on demandait toujours plus aux policiers, qui eux-mêmes attendaient un renforcement de leurs moyens humains ; or celui-ci n'arrivait pas. Des dispositifs assez coûteux comme la réforme des corps et carrières ont été financés au détriment du maintien à niveau des parcs immobilier, automobile ou informatique.

M. François Grosdidier, rapporteur. - On parle de 21 millions d'heures supplémentaires non payées.

M. Pascal Lalle. - Oui, c'est le chiffre global : 21 millions, dont 8 millions pour ma direction.

Concernant la mise à niveau du parc immobilier, la police nationale a toujours travaillé au coup par coup. Aucun plan pluriannuel de reconstruction n'a été mis en oeuvre, et un retard important s'est accumulé.

Quant à la remise à niveau du parc automobile, l'ambition, en la matière, a toujours été là, mais les budgets automobiles ont parfois servi de variables d'ajustement budgétaires.

Actuellement, néanmoins, un changement s'opère : le ministre de l'intérieur a lancé un plan immobilier triennal qui vient compléter un certain nombre de plans de rénovation ou de construction déjà engagés : d'ici 2021, quarante commissariats ou hôtels de police vont être construits ou rénovés. L'idéal serait, pour l'avenir, une planification de cette mise à niveau. De la même façon, 3 000 véhicules sont ou seront remplacés en 2018 ; on commence à rattraper le retard en termes de remplacement des véhicules très usagés, dont certains tournent 24 heures sur 24.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Quelle est la moyenne ? 120 000 kilomètres et huit ans d'âge ?

M. Pascal Lalle. - Non, c'est moins. Des efforts ont été accomplis ces dernières années.

Par ailleurs, dans un certain nombre d'agglomérations, les policiers rencontrent des difficultés pour faire leur travail dans de bonnes conditions de sécurité, et l'agressivité augmente à leur égard. À cela s'ajoute l'effet Magnanville.

On note en outre une certaine révolte contre les organisations syndicales, qui sont taxées de connivence avec l'administration, et accusées de ne pas vraiment s'occuper de ce qui intéresse les policiers.

J'accompagnais le précédent directeur général de la police nationale, Jean-Marc Falcone, lors de la fameuse rencontre d'Évry. Nous avons eu plusieurs heures de débats avec des policiers de toutes unités et avec les organisations syndicales. « Donnez-nous les moyens de travailler ! », nous ont-ils tous simplement demandé : pas de revendications catégorielles ou financières. S'il existe un malaise policier, l'état d'esprit est donc extrêmement positif. Les policiers qui sont sous mon autorité sont très engagés, très réactifs, très courageux ; ils le prouvent tous les jours, malgré une lassitude bien compréhensible. Ils ne demandent qu'une chose : avoir les moyens de faire leur métier.

M. François Grosdidier, rapporteur. - C'est en effet ce que nous avons entendu.

M. Pascal Lalle. - Vous avez abordé la question des suicides. Sur les dix dernières années, environ 55 % des policiers qui se suicident appartiennent à ma direction. Les facteurs sont multiples. Mais quel que soit le déclencheur du passage à l'acte, il ne peut jamais être déconnecté du métier de policier. Beaucoup de policiers passent leur vie au travail à supporter la misère des autres : moralement, c'est très lourd, sachant qu'en outre, comme tout le monde, ils ont leurs difficultés personnelles. Joue également le fait d'avoir une arme à disposition : une arme, c'est un clic, un instant furtif.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Quid de l'autorisation du port d'arme hors service, décidée suite à Magnanville ? Nous sommes devant un dilemme !

M. Pascal Lalle. - Nous sommes tiraillés entre deux injonctions paradoxales : d'une part, satisfaire le besoin de sécurité de policiers qui, après Magnanville, se sont sentis ciblés individuellement ; d'autre part, veiller à ce que l'arme soit dédiée seulement à l'usage pour lequel elle est faite.

M. François Grosdidier, rapporteur. - On sait, en outre, que retirer son arme à un policier constitue plutôt un facteur supplémentaire de mal-être.

M. Pascal Lalle. - Le retrait de l'arme est en effet très mal perçu. Des policiers se sont suicidés alors qu'ils étaient en arrêt maladie ; ils avaient gardé leur arme, parce que c'était possible. C'est une question très complexe.

Un mot sur la question des cycles horaires des personnels : ils ont été modifiés après une expérimentation menée en 2015-2016. Cette réforme est essentiellement la conséquence des directives européennes sur le temps de travail, notamment celle de 2003, qui oblige à ménager une interruption de travail de onze heures entre deux vacations.

Nous fonctionnions selon un cycle posté en « 4/2 », quatre vacations de travail et deux de repos, qui ne permettait pas de satisfaire les obligations européennes. Une importante concertation a été menée avec les organisations syndicales, de telle sorte que le 4/2 a été réaménagé. Un cycle nouveau, dit « de vacation forte », a été expérimenté puis validé. Ce cycle permet aux policiers qui, dans le système du 4/2, ne pouvaient bénéficier que d'un week-end sur six en famille, d'avoir droit désormais à un week-end sur deux de repos. Incidemment, ce dispositif permet de juxtaposer deux équipes travaillant sur la même période horaire, et donc de renforcer la capacité opérationnelle des unités de police-secours.

Ce cycle n'a été mis en oeuvre que pour 15 % des unités cycliques de ma direction. Il est en effet plus coûteux en hommes que le cycle 4/2, et nous n'avions pas la possibilité d'alimenter toutes les unités en effectifs suffisants. L'adoption du nouveau système par ces 15 % d'unités cycliques représente en effet un coût en effectifs de 500 policiers, sans que nous n'ayons pu obtenir ne serait-ce qu'une patrouille supplémentaire sur la voie publique.

Là encore, la situation est paradoxale : la volonté existe d'accorder aux policiers un cycle de travail plus confortable et plus équilibré, mais cela a un coût en termes d'effectifs ; or ce coût ne se retrouve pas dans l'augmentation de la disponibilité opérationnelle.

Le directeur général de la police nationale a mandaté l'inspection générale de la police nationale pour évaluer l'ensemble des cycles de travail tout au long de l'année 2018. Un rapport très précis sera rendu en mars 2019.

Quoi qu'il en soit, nous sommes pris entre deux feux : le souci d'améliorer les conditions de travail des personnels qui travaillent en cycles, d'une part ; l'impératif d'affecter les nouveaux recrutements sur des fonctions opérationnelles immédiatement visibles, d'autre part.

Mme Brigitte Lherbier. - Concernant l'image de la police, on a l'impression que les policiers sont mal-aimés ; cela doit jouer sur leur moral.

Lors de la grève des surveillants de prison, on a fait état de violences policières ; or, lorsque nous nous sommes rendus dans les prisons, nous avons bien vu que les policiers épaulaient les services pénitentiaires pour permettre les visites ou la distribution des repas. Mais, en définitive, la population n'a retenu que les actes de violence. En ce moment, dans les facultés, des piquets de grève sont installés ; la police intervient pour permettre aux étudiants de passer leurs examens. Des échauffourées ont eu lieu, certes, mais les réseaux sociaux ne retiennent que cela : « la police a été violente ». Il y a donc un effort à faire pour réparer l'image de la police.

Un point personnel : je suis, sinon une « fan » des policiers, du moins une avocate inlassable de leur cause. Or, hier midi, alors que je sortais de ma voiture pour me rendre à un repas républicain avec M. le préfet, un CRS en furie se précipite sur moi et me donne 135 euros d'amende pour stationnement sur une piste cyclable. J'ai eu beau lui expliquer ma situation, il m'a rétorqué qu'une sénatrice devait connaître la loi mieux que quiconque. Sans me départir de ma gentillesse, je lui ai fait remarquer son manque de courtoisie. Permettez-moi de vous dire, monsieur Lalle, qu'un gendarme ne m'aurait jamais abordée ainsi !

Ce sont là des détails, certes, mais ils salissent l'image de la police. Celle-ci donne tant pour la population ! Mais, dans le contact avec la population, elle a en partie perdu son doigté.

M. Alain Cazabonne. - Lors des auditions que nous avons menées, des policiers ont exprimé leur mécontentement eu égard aux procédures de mutation et d'avancement, souvent biaisées, selon eux, par des appuis syndicaux ou d'élus.

J'ai vécu une situation analogue, dans ma vie de maire, s'agissant d'une décision relative à un emplacement de commissariat : les interventions d'élus, en l'occurrence celle de mon voisin député, font parfois leur effet !

En Gironde, plusieurs commandants se sont portés candidats à un poste de directeur adjoint. Or, tout laisse à penser que le candidat le mieux placé serait finalement dépassé par un autre, dont le père a été directeur départemental de la police urbaine ! Je ne porte pas de jugement : je constate qu'il y a un doute sur les avancements.

Mme Nathalie Delattre. - J'assistais, il y a quelques jours, à la réception par le préfet de Gironde de Florence Parly, ministre des armées. Comme je m'étonnais de la présence, dans le cortège, d'une rutilante Mercedes blanche, on me confirma qu'elle venait d'une saisie. De telles saisies n'ont peut-être pas lieu tous les jours, mais il y a là une manne formidable pour renouveler le parc !

M. Michel Boutant, président. - Madame Lherbier a de la chance : sa voiture aurait pu être saisie !

Mme Brigitte Lherbier. - Ce n'est pas une Mercedes !

M. Philippe Dominati. - Monsieur le directeur, on a du mal à savoir, au terme de votre audition, s'il y a ou non malaise dans la police. Tout ça n'est pas très chiffré ! Vous parlez des vacations fortes : 15 % de vos effectifs sont passés en vacation forte, soit 10 000 agents. Combien faut-il d'agents supplémentaires pour compenser ces vacations fortes ? Il s'agit d'une mesure de dernière minute, qu'un gouvernement a laissée en cadeau à ses successeurs, sans moyens dédiés. Je note d'ailleurs que cette mesure ne s'applique absolument pas à Paris. Nous n'avons pas les effectifs, dites-vous, pour appliquer une réforme qui améliorerait la vie des agents ; vous dites en même temps que les moyens sont déjà épuisés, puisque les effectifs représentent 87,5 % du budget du ministère de l'intérieur.

Faut-il renforcer les moyens ou les effectifs ? Voulez-vous dire, en tant que directeur de la sécurité publique de notre pays, que vous êtes en danger, que vous n'avez plus les moyens de remplir vos missions, que la rupture est proche, sauf effort exceptionnel de la part de l'État ? Ou bien pensez-vous que les choses s'améliorent ? J'ai un peu de mal à vous suivre.

Quelle est la durée moyenne de travail d'un gardien de la paix sur le territoire national ? Faut-il cinq ou six agents pour assurer une permanence ? Le ratio exact est difficile à connaître. Quant à la vacation forte, qui ne semble pouvoir s'appliquer qu'à 15 % des effectifs, s'agit-il vraiment d'une solution d'avenir ?

Je reste donc un peu sur ma faim, monsieur le directeur.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Nombre de policiers que nous avons entendus souhaitent que les corps se rapprochent, peut-être à travers une académie. Un tel dispositif permettrait d'asseoir un socle de valeurs communes et de favoriser les échanges avec la hiérarchie, mais aussi de créer un ascenseur social. Ce serait également un bon moyen d'améliorer la formation continue des policiers, ainsi que leur formation à certains postes spécialisés.

M. Henri Leroy. - Notre rapporteur n'a pas exagéré : le malaise dans la police est une réalité. Monsieur le directeur, il faut que vous en soyez bien persuadé !

Après avoir mené de nombreuses auditions, rencontré les syndicats de policiers et les auteurs de livres dont vous avez sûrement entendu parler, ainsi qu'un grand nombre d'acteurs de terrain, nous constatons que la police est au bord de l'explosion. À Coulommiers, nous avons observé une situation dramatique !

Moi qui suis un ancien des forces de sécurité, je puis vous assurer que jamais, tous corps confondus, le moral dans la police n'a été aussi bas. Certains de nos interlocuteurs - je ne parle pas seulement de gardiens de la paix - nous ont même dit : nous ne savons pas comment faire pour nous porter tous raides...

Cette situation, aggravée par le manque de relations entre les corps, nous a tous choqués et nous préoccupe beaucoup.

L'académie pourrait être une bonne formule pour renforcer la cohésion et rationaliser le commandement : qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, de façon concrète et directe, quelles mesures permettraient selon vous de remédier à la situation actuelle ? Notre volonté est d'écrire un rapport qui traduira la réalité que nous avons constatée - et qui, je l'espère, ne sera pas édulcoré par l'administration. Fort de vos quarante années d'expérience dans la police, monsieur le directeur, vous êtes bien placé pour nous suggérer des mesures utiles.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La faible disponibilité opérationnelle par rapport à l'effectif global est encore plus marquée la nuit. Pourquoi les effectifs de nuit sont-ils aussi faibles ? Cela tient-il à vos modes d'organisation ? De ce fait, le déploiement des forces ne correspond pas forcément aux horaires des délinquants...

M. Pascal Lalle. - En ce qui concerne l'image de la police, nous faisons tout pour corriger les problèmes du type de celui que Mme la sénatrice a rapporté, mais nous avons dans nos rangs un échantillon représentatif de la société contemporaine. C'est davantage une question d'éducation que de formation.

Nous sommes désormais présents sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, les officiers de police sont incités à communiquer, notamment à travers la presse quotidienne régionale. Les résistances des préfets se réduisent, et le secret de l'instruction n'est pas un obstacle, dans la mesure où il s'agit simplement de faire savoir à la population que les problèmes sont gérés.

Les télévisions sont essentiellement parisiennes, ce qui peut fausser certaines perceptions : il est souvent plus facile pour un journaliste de tendre son micro à un syndicaliste parisien. Sur France 3, par exemple, on entend moins de syndicalistes et plus de chefs de service.

Les sondages montrent que 70 à 80 % de la population soutient la police, ce qui est un bon résultat. Malheureusement, ceux qui adhèrent à notre action sont souvent silencieux : nous aurions besoin qu'ils manifestent leur soutien de manière plus ouverte.

S'agissant des avancements et mutations, nous les traitons par milliers, selon les règles générales de la fonction publique. Les interventions, notamment d'élus, existent. Pour ma part, je fais toujours la même réponse, courtoise : nous serons bienveillants, mais le processus administratif suivra son cours. Au total, les interventions sont minimales par rapport à l'ensemble.

Il y a dans ce domaine beaucoup de fantasmes, et les syndicats laissent parfois entendre qu'une adhésion pourrait faciliter l'avancement. L'ensemble de l'administration centrale s'efforce d'assurer l'équité. De toute manière, les décisions sont prises sous le contrôle du juge administratif, que les policiers mécontents ne manquent pas de saisir.

Madame Delattre, nous avons des objectifs ambitieux en matière de saisie des avoirs criminels. Ainsi, quand un véhicule paraît intéressant pour des raisons opérationnelles, nous demandons au juge qu'il nous soit attribué. Cela contribue à la diversification du parc, utile aux policiers pour rester plus longtemps anonymes dans certains secteurs de surveillance.

Pour ce qui est des vacations fortes, monsieur Dominati, si la préfecture de police ne les a pas mises en place, c'est parce qu'elle fonctionne selon un système de 4/2 originel qui garantit déjà onze heures d'interruption de service entre deux vacations. Pour les policiers de la sécurité publique, les organisations syndicales avaient demandé la mise en place d'un 4/2 beaucoup plus compressé, qui n'était plus compatible avec les règles européennes.

Les vacations fortes concernent 150 unités dans 62 départements. Elles nous ont obligés à passer de 3 281 à 4 483 effectifs pour maintenir la capacité opérationnelle. Le dispositif a donc un coût réel en effectifs. C'est pourquoi le directeur général de police nationale a demandé qu'il soit évalué. Une généralisation nécessiterait entre 3 000 et 4 000 policiers supplémentaires.

M. Philippe Dominati. - Pas davantage, vraiment ?

M. Pascal Lalle. - C'est notre estimation, et elle est rigoureuse. Les vacations fortes coûtent entre 16 et 33 % d'effectifs supplémentaires. Si leur généralisation est décidée, les moyens correspondants devront être prévus.

Il faut garder à l'esprit que derrière un policier en service opérationnel, il y en a sept autres. S'agissant plus précisément de la nuit, quand on travaille en régime cyclique 24 heures sur 24, on a une forcément une moindre capacité à aligner des effectifs la nuit que des unités travaillant seulement la nuit.

En outre, nous sommes confrontés au vieillissement de la population de policiers, notamment en province : ce phénomène peut être un obstacle à l'alimentation des services de nuit, pour des raisons de pénibilité. Le problème se pose aussi pour certaines unités réclamant des agents jeunes et en pleine possession de leurs capacités physiques, comme les brigades anticriminalité ou des compagnies d'intervention.

J'en viens à la question de l'académie. Faire travailler ensemble en formation des gardiens de la paix, des officiers et des commissaires est une bonne idée. D'ores et déjà, toutes les promotions se regroupent chaque année une quinzaine de jours à l'École nationale de police de Nîmes pour des formations pratiques au maintien de l'ordre. Il ne peut être que profitable que, dès le début de carrière, chaque corps connaisse mieux les autres.

Pour ce qui est de l'ascenseur social, des avancées ont déjà été réalisées. Outre les concours, on peut s'élever dans la police par les concours interne ou la validation des acquis professionnels. Cette dernière procédure, qui permet le recrutement d'officiers immédiatement opérationnels, donne des résultats très intéressants.

Monsieur Leroy, je ne nie pas la réalité. Nous essayons d'améliorer la situation, par exemple en matière immobilière. Les directeurs départementaux bénéficient désormais d'une délégation pour de petits travaux, comme la rénovation d'un accueil ou d'une salle de repos. En matière de véhicules, le directeur général de la police nationale a donné des instructions très fermes pour que les commandes de 2018 soient effectivement livrées en 2018.

Nous nous engageons aussi sur un nouveau mode de formation. L'objectif est de développer une sorte de management participatif qui permette aux agents d'exprimer leurs besoins et de suggérer des améliorations. Ainsi pourrons-nous mieux redonner le sens du métier à ceux qui l'ont perdu et fédérer les policiers autour d'objectifs communs, comme la police de sécurité du quotidien.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous essayons de tirer les leçons de la période difficile que nous venons de vivre. Notre police fait preuve d'une belle capacité de réaction, mais nous devons faire en sorte que les policiers vivent mieux leur métier.

M. Michel Boutant, président. - Monsieur le directeur, nous vous remercions d'avoir répondu à nos questions.

La réunion est close à 16 heures 45.