Mercredi 18 avril 2018

- Présidence de M. Michel Boutant, président -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Audition de M. Philippe Klayman, directeur central des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS)

M. Michel Boutant, président. - Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Philippe Klayman, directeur central des compagnies républicaines de sécurité (CRS).

Monsieur le directeur central, au cours des auditions de notre commission d'enquête, la question de l'état des forces mobiles de la police et de la gendarmerie nationale a été évoquée à plusieurs reprises. Ces forces ont en effet été particulièrement sollicitées au cours des dernières années, notamment en raison de la crise migratoire ainsi que d'un grand nombre de manifestations, dont certaines donnèrent lieu à des incidents parfois violents.

Dans ce contexte, notre objectif est d'évaluer l'état moral des personnels des compagnies républicaines de sécurité, les difficultés spécifiques qu'ils rencontrent dans leurs missions, ainsi que l'équilibre entre leurs missions et les moyens dont ils sont dotés.

Cette audition est ouverte à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Vous voudrez bien lever la main droite et dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe Klayman prête serment.

La parole est au rapporteur.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Merci, monsieur le président.

M. le directeur central, comme l'indiquait le président, cette commission d'enquête parlementaire a été instituée après la vague de suicides intervenus dans la police et, dans une moindre mesure, dans la gendarmerie, après l'expression, hors champ syndical, de la colère d'un certain nombre de policiers.

Il est vrai que les suicides et les raisons de cette colère ont plus touché la police que la gendarmerie, et peut-être plus la sécurité publique que les CRS. Peut-être l'esprit de corps, plus fort dans la gendarmerie, mais peut-être aussi davantage chez les CRS que dans la sécurité publique, prépare-t-il davantage les individus à résister à l'adversité : quand ils ont des raisons de flancher, ils sont davantage soutenus par leur environnement immédiat.

Cela étant, le problème se pose aussi dans vos unités, et on a pu identifier un certain nombre de facteurs qui peuvent être communs. Il s'agit souvent d'une question d'insuffisance de moyens humains - les effectifs de maintien de l'ordre ayant été davantage diminués au cours de la précédente décennie que ceux de la sécurité publique - mais aussi d'un manque de moyens matériels, si l'on en juge par la vétusté des matériels et parfois l'insuffisance des équipements.

Nous avons rendu visite hier au groupement blindé de la gendarmerie et nous avons pu constater qu'il dispose de blindés, mais pas de canons à eau, alors que vous avez les canons à eau, mais pas de véhicules protégés. On a l'impression que l'équipement serait à parfaire de part et d'autre.

Les conditions de travail et d'hébergement ne sont par ailleurs pas non plus idéales.

Même si vous êtes moins atteint que la sécurité publique, vos hommes le sont nécessairement. Ils passent d'ailleurs souvent de l'un à l'autre au cours de leur carrière.

On constate aussi que les policiers sont en manque de reconnaissance. Peut-être les CRS le sont-ils encore plus que les autres, parfois caricaturés par les médias et l'opinion. Tout le monde les soutient au lendemain d'un attentat mais, au fur et à mesure que les mois passent, les opérations de police et de maintien de l'ordre peuvent être davantage controversées, et les soutiens se font parfois plus chancelants. Même si l'opinion publique est à 80 % derrière ses forces de l'ordre, ce n'est pas toujours ce qui ressort des polémiques médiatiques ni de l'attitude de certains magistrats.

Comment vos personnels ressentent-ils le soutien de leur hiérarchie - ou son absence ? En matière de sécurité publique, certains policiers considèrent être moins bien soutenus par leur hiérarchie que la gendarmerie et subissent parfois une certaine défiance de la part des magistrats ou des médias.

Comment les risques psychosociaux sont-ils pris en compte ? Les dispositifs mis en place vous paraissent-ils satisfaisants ou doivent-ils être améliorés, voire renforcés ?

Par ailleurs, l'encadrement est-il suffisamment attentif aux subordonnés ?

La deuxième question porte sur la formation. On a parfois dénoncé l'insuffisance de la formation initiale, mais surtout de la formation continue des policiers. Sont-ils toujours bien préparés à leurs missions ? Les ordres sont-ils suffisamment précis ? Certains agents de sécurité publique n'interviennent-ils pas parfois en renfort du maintien de l'ordre sans y être préparés ? Les CRS, envoyés en renfort, même si vous n'avez plus beaucoup d'effectifs, sont-ils suffisamment entraînés ?

Vos personnels ont-ils encore le temps de faire du sport et de pratiquer des exercices de cohésion ? On sait que cela manne en matière de sécurité publique. Ces activités sont-elles assurées chez vous, comme les entraînements au tir, qui sont en outre imposés par la loi ?

De nombreux policiers de base ont dénoncé la politique du chiffre, la considérant comme une pression excessive et injustifiée si elle ne porte que sur des critères quantitatifs. Qu'en est-il chez les CRS ? Comment l'indemnité de responsabilité et de performances est-elle calculée ? Les critères ne peuvent-ils opposer la base à la hiérarchie ?

J'aimerais également connaître votre sentiment sur l'état du parc immobilier et du parc de véhicules. À combien estimeriez-vous l'investissement nécessaire, même pluriannuel, pour remettre à niveau ces deux parcs ?

Enfin, je voudrais vous interroger sur les conséquences du volume de l'emploi, au cours des dernières années, qui ne va pas se calmer dans les mois à venir entre les problèmes de Notre-Dame-des-Landes, de garde des frontières et de contestation sociale. Quel est aujourd'hui le nombre d'heures supplémentaires qui ne sont pas payées chez les CRS ? On parle de plus de 20 millions d'heures pour l'ensemble des forces de police. Peut-on commencer à le résorber ? Allez-vous avoir, avec la création des postes de police, les effectifs suffisants pour détendre la situation ?

M. Michel Boutant, président. - Vous avez la parole.

M. Philippe Klayman, directeur central des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS). - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, j'ai bien noté l'ensemble des questions, et j'ai bien compris que vous abordiez le sujet par le prisme très particulier et dramatique des suicides dans la police nationale. Est-ce un effet statistique ou faut-il y chercher d'autres raisons ?

On peut constater qu'il y a proportionnellement moins de suicides et moins de tentatives de suicides au sein de la DCCRS que dans le reste de la police nationale.

J'ai malheureusement eu à déplorer quatre suicides en 2017, et un au début de cette année. C'est évidemment cinq de trop. On a bien entendu appliqué de façon scrupuleuse les différentes mesures des plans de prévention du suicide du ministère de l'intérieur
- accompagnement, détection et sensibilisation de la hiérarchie à tous les niveaux -, mais peut-être faut-il chercher les raisons de ce moindre nombre dans le mode de vie des CRS.

Nos fonctionnaires passent plus de la moitié de l'année en déplacement, connaissent un mode de vie collectif, et ont peut-être plus que d'autres la possibilité de se confier à des collègues ou à la hiérarchie immédiate, gradés ou officiers. Il n'est pas nécessaire de rappeler la formule du maréchal Lyautey sur le rôle social de l'officier, inscrit dans la démarche des CRS. Il est de la responsabilité de l'officier, du lieutenant jusqu'au commandant, d'être le plus proche possible de ses hommes, dans les moments difficiles du maintien de l'ordre, mais aussi en dehors, afin d'avoir une troupe le plus possible dans la cohésion, garantie d'une prestation réussie sur le terrain.

À ce titre, on prend en compte ce qui va bien, mais également ce qui va mal, professionnellement comme de manière plus intime et familiale.

Ceci peut être institutionnalisé, ainsi que les différents plans que vous citiez l'ont prévu, mais relève aussi beaucoup de l'informel, de la qualité du contact hiérarchique, de la confiance que les fonctionnaires se font entre eux et ont en leur hiérarchie. C'est pourquoi ils cherchent assez souvent chez leurs gradés ou leurs officiers conseils, avis ou réponses concernant des sujets qui n'ont que peu de choses à voir avec le strict cadre professionnel.

C'est un début d'explication. Je note qu'il existe cependant une certaine corrélation entre les statistiques et ce mode de vie très particulier si unique au sein de la police nationale.

Pour le reste, si vous le voulez bien, je souhaiterais dresser un rapide panorama de la maison CRS, ce qui me permettra également de répondre à un certain nombre de vos légitimes interrogations.

Tout d'abord, la maison CRS compte aujourd'hui 13 200 fonctionnaires. Ils étaient 15 500 en 2007, avant la RGPP. Si on n'a pas ces deux données statistiques en tête, il est difficile de comprendre les conséquences, parfois difficultueuses, que nous rencontrons dans l'accomplissement d'une mission de plus en plus dense et marquée par une diversification des risques et du besoin de sécurité exprimé par la population ainsi que par nos autorités.

La maison CRS est composée de 60 compagnies de maintien de l'ordre, plus une, la CRS 1, dédiée à la protection des hautes personnalités, notamment du Président de la République et du Premier ministre, mais également d'un certain nombre de ministres régaliens. La maison CRS compte également neuf compagnies autoroutières - qui exercent une police spécialisée sur les grands axes routiers et autoroutiers de dégagement des grandes agglomérations urbaines -, six unités motocyclistes zonales et deux compagnies de montagne, une compagnie Alpes et une compagnie Pyrénées, qui ont en charge d'assurer les secours en moyenne et surtout haute montagne, en coopération étroite avec les camarades du peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM).

Ce qui fait la spécificité de la mission CRS, c'est sa vocation de réserve générale de la police nationale. Au-delà des mots, cela implique, 365 jours par an, une disponibilité sans faille. Chaque commandant de compagnie a obligation, 365 jours par an, de pouvoir aligner sur le terrain les trois cinquièmes de son unité pour mener les missions décidées par le ministre de l'intérieur.

Cela suppose une garantie de mobilité sans entrave pour l'ensemble des compagnies de maintien de l'ordre, qui sont les seules à se déplacer en unité constituée, d'où les problèmes de véhicules, d'hébergement, et un certain nombre de sujets liés à cette capacité de se projeter en toutes circonstances.

C'est ce qui explique l'obligation de l'autonomie. La maison a été ainsi conçue à l'origine : elle ne doit dépendre d'aucune contingence extérieure pour accomplir sa mission, notamment s'agissant de toutes les données logistiques. Elle doit pouvoir compter sur ses propres ressources - mécanique, armement, alimentation, etc. - pour délivrer une prestation dont l'issue ne doit pas dépendre d'un intervenant extérieur.

Enfin, cette vocation de réserve générale de la police nationale, qui était axée depuis 1944 sur le strict domaine de l'ordre public, s'est largement diversifiée, à partir des années 1990 notamment, quand les CRS ont été employés dans les quartiers difficiles ou dans les centres-villes pour lutter contre des phénomènes de délinquance.

Autrement dit, cette vocation de réserve générale de la police nationale s'accompagne aujourd'hui d'une obligation de polyvalence missionnelle, d'autant plus d'actualité que notre pays est confronté à des risques de très haute intensité. La maison CRS accomplit la mission, malgré des moyens qui pourraient être améliorés quantitativement et qualitativement.

Le problème majeur est celui des effectifs. Je l'ai cité tout à l'heure à dessein. C'est l'une des explications des difficultés que rencontrent cette maison, avec des répercussions bien au-delà des effets tactiques ou purement policiers, sur le plan social et sur le moral des fonctionnaires et, au-delà, sur la capacité de résilience de la maison CRS.

Je l'ai dit, on comptait un peu moins de 15 500 fonctionnaires en 2007, contre 13 200 aujourd'hui, pour un plafond d'emplois au-delà de 13 700. Cela signifie que le nombre d'ETP auquel j'ai droit n'est pas à ce jour satisfait.

Quand bien même le serait-il, il permettrait tout juste de garantir dans le temps et quelles que soient les circonstances la résilience de la maison CRS. On estime à environ 14 000 le seuil en deçà duquel la maison connaît des difficultés.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Savez-vous combien sont prévus sur les 7 500 ?

M. Philippe Klayman. - Non, je ne suis pas en capacité de vous le dire.

M. François Grosdidier, rapporteur. - On sait qu'il n'y aura pas de gendarmes mobiles dans les 2 500. Cela nous a été dit par le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN).

M. Philippe Klayman. - Rien ne m'a été rapporté en ce sens concernant les CRS.

Il nous revient de dresser un état prévisionnel des effectifs pour remplir cette obligation de résilience, partant d'un effectif minimum par compagnie. J'ai dit qu'un commandant devait aligner 365 jours par an les trois cinquièmes de sa compagnie. Il faut que ces trois cinquièmes correspondent à un effet tactique propre aux CRS.

Autrement dit il doit disposer de 70 à 80 fonctionnaires sur le terrain. Si on descend en deçà, on ne peut obtenir l'effet tactique optimal recherché en maintien de l'ordre.

On part de la brique élémentaire de la maison, la compagnie, et on estime que son effectif total optimal se situe aux alentours de 140 à 145. En 2007, les unités étaient à 170-180.

Au-delà, notamment en matière de maintien de l'ordre, l'une des conséquences majeures de la baisse des effectifs est d'imprimer sur ceux-ci une pression d'emplois considérable. Autrement dit, lorsqu'on n'a plus la capacité d'assurer la relève des trois cinquièmes, on les surutilise.

Si on a une maîtrise assez bonne de l'emploi des unités au plan collectif - sur 60 unités, on arrive, en moyenne mensuelle, à en utiliser 40 par jour, soit une moyenne acceptable garantissant la résilience, qui permet des hausses d'emplois ponctuelles largement au-delà de 50 unités - ceci oblige à redescendre bien en deçà de 40 pour accorder des repos, favoriser la formation, etc.

Si on arrive à maintenir cette moyenne, c'est cependant au prix du suremploi des fonctionnaires pris individuellement. Depuis 2014, le nombre moyen de jours par fonctionnaire en déplacement a augmenté de vingt. Ce n'est pas toujours au profit de leur propre unité, puisqu'on est obligé de ponctionner, ici et là, des fonctionnaires pour peupler des unités qui n'auraient pas le strict minimum pour assurer le maintien de l'ordre.

Il y a donc une sorte de va-et-vient, assez mal vécu dans la maison, de fonctionnaires qui sont promenés d'une compagnie à une autre, dans le but de respecter un minimum quantitatif propre à bien assumer la mission.

Je vous ai parlé principalement des gardiens de la paix et des gradés, mais la situation des officiers n'est pas meilleure, puisque sur 392 officiers, j'enregistre un déficit de plus de 50 personnes aujourd'hui. Des compagnies normalement armées à quatre officiers le sont plus fréquemment à trois, voire à deux, ce qui pose un énorme problème quand on sait le rôle éminent que joue l'officier dans une compagnie. Au-delà de son travail de policier sur le terrain, il assume des charges administratives de gestion et joue un rôle social, ainsi qu'on le rappelait tout à l'heure.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Je suppose qu'ils sont aussi nécessaires sur le terrain. Cela ne pose-t-il pas un problème d'encadrement lorsqu'ils sont déployés ?

M. Philippe Klayman. - Ils sont indispensables, puisque l'officier CRS est commandant de la force publique et dispose des prérogatives juridiques et techniques liées à ce statut.

Il arrive ponctuellement que des majors commandent des demi-unités dans le domaine de la sécurisation et, parfois, du maintien de l'ordre, mais l'unité complète reste l'apanage de l'officier. Ce peut être un capitaine ou un lieutenant, mais c'est le rôle de l'officier d'être commandant de la force publique vis-à-vis de l'autorité d'emploi, qui est plus généralement le coordinateur départemental de la sécurité publique. Cela pose donc en effet un problème tactique, juridique et social.

Le second sujet concerne les équipements, non que la maison soit démunie, mais son spectre missionnel s'est élargi. À partir des années 1990, on lui a demandé de s'investir, un peu à l'image de la sécurité publique, dans les quartiers difficiles ou les centres-villes, afin de parer à des phénomènes de délinquance trop prégnants.

À partir de 2012-2013, la maison CRS s'est orientée vers une capacité de riposte antiterroriste, non comme les unités spécialisées mais comme premier intervenant, avec des évolutions tactiques, logistiques, juridiques et doctrinales indispensables.

Aujourd'hui la DGCCRS figure au deuxième niveau dans le schéma national d'intervention, de la même manière que les BAC et les BRI. Il y a derrière cela un formidable effort de formation à une compétence tactique qui n'était pas le coeur de métier de la maison, mais qui l'est devenu du fait des mutations du terrorisme, en particulier depuis Merah et surtout depuis 2015.

C'est par rapport à cette nouvelle capacité tactique, qui vient s'ajouter aux autres, que le problème des équipements est le plus difficile à résoudre, car on a affaire à des matériels nouveaux : quand vous décidez d'équiper un fonctionnaire d'un casque balistique, il faut multiplier la somme unitaire par plus de 9 000, ce qui pose de gros problèmes budgétaires et des problèmes de marché.

On a un léger décalage entre l'acquisition de nouvelles techniques policières, indispensables dans un paysage marqué par le terrorisme et la violence, et le suivi en termes d'équipements de protection individuelle et collective des fonctionnaires.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Pourrez-vous, par écrit, nous préciser les besoins non satisfaits des CRS, même s'ils sont en constante évolution en matière de protection, à la fois dans les missions nouvelles, mais également dans les missions traditionnelles de maintien de l'ordre de forte intensité ?

La protection passive - par exemple la protection auditive - est-elle suffisamment assurée ?

M. Philippe Klayman. - Je vous communiquerai tous les documents nécessaires.

Il ne s'agit pas d'une démarche hors sol, mais intimement liée à ce qui se présente à nous.

Dans le domaine du maintien de l'ordre, un nouveau type d'agression est apparu depuis quelques années, clairement destiné à causer une atteinte physique majeure aux forces de l'ordre, voire à tuer, comme cela a été annoncé par un certain nombre d'activistes à Paris ou dans certaines villes de province. Ce risque, c'est le feu.

Vous avez vu comment, en 2016 et 2017, les policiers ont systématiquement été l'objet de projections de liquide inflammable, puis de tirs de fusée ou de lancers de cocktails Molotov, de telle sorte que le périmètre sur lequel ils se trouvent s'embrase et emporte ainsi hommes et matériels.

Certains fonctionnaires ont été irrémédiablement brûlés. Le service leur est aujourd'hui difficile, voire impossible. D'ailleurs, ces faits ont été qualifiés de tentatives d'homicide par le parquet de Paris, après dépôt de plaintes des fonctionnaires touchés par des jets d'engins incendiaires.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ils n'ont pas été requalifiés par le juge du siège ?

M. Philippe Klayman. - On en est toujours aux investigations et à ce chef de poursuites...

Il a donc fallu être inventif, rechercher sur le marché les matériels les plus appropriés, et qui n'obèrent pas la capacité de déplacement du fonctionnaire, à qui l'on demande une démarche dynamique. C'est l'éternel problème du glaive et du bouclier.

Il faut du temps pour effectuer cette recherche. C'est le rôle du Service de l'achat, de l'équipement et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI), que vous avez peut-être auditionné. On a un dialogue permanent avec cet organisme, qui doit à la fois rechercher, adapter et procéder à la commande, le plus possible de façon mutualisée, en particulier avec nos camarades de la gendarmerie mobile.

On a trouvé des matériels intéressants, que ce soit des tenues ou des extincteurs individuels. On a développé une capacité d'interventions paramédicales d'urgence au sein de nos unités. On est toujours à la recherche des meilleurs matériels et de la façon de les diffuser le plus largement possible. Être dans l'anticipation est indispensable, mais quand on est dans la réaction, face à des risques qui apparaissent de façon intensive et inopinée, la machine administrative, pour des quantités aussi importantes de matériel, connaît parfois un certain nombre de lourdeurs en matière de commande publique et de formation.

En troisième lieu, il existe une forte attente en termes de matériels et de logistique, dans le domaine des véhicules. La maison CRS parcourt 75 millions de kilomètres par an. C'est sa vocation. Son outil de travail et de combat, c'est le véhicule de reconnaissance - les fourgons que vous avez l'habitude de voir, mais aussi les véhicules des compagnies autoroutières, qui balisent les accidents, portent secours aux victimes de la route, dressent également procès-verbal concernant un certain nombre d'infractions.

Nous disposons également de motos et de motocyclistes qui sont largement mis à contribution, ainsi que de véhicules techniques qui permettent à la compagnie d'être autonome en matière d'armurerie, de mécanique, d'alimentation, etc. La maison CRS est à peu près la seule à faire preuve d'une telle mobilité à travers le territoire.

Il est d'autant plus difficile de procéder à un amortissement de ces matériels qu'ils ne concernent que des quantités réduites et sont peu fabriqués. Or c'est un outil essentiel sur lequel repose l'efficacité et de la maison. Il n'est donc pas simple d'obtenir le renouvellement de matériels qui ont parfois 30 ans d'âge.

Enfin, une des caractéristiques de la maison tient à l'immobilier. Qui dit capacité à traverser le territoire pour intervenir sans délais en tout lieu, dit aussi capacité à héberger les fonctionnaires selon des normes permettant de leur garantir le repos, un minimum d'intimité, et le confort dont le standard a évolué avec le temps.

Le fonctionnaire de police d'aujourd'hui ne se contente plus des conditions que l'on acceptait il y a 30 ou 40 ans : à mesure que le confort de la résidence personnelle s'est amélioré, les revendications des fonctionnaires concernant les sanitaires, la literie et surtout la possibilité d'occuper seul une chambre sont devenues permanentes et jouent forcément sur le moral de la troupe.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La chambre individuelle est-elle toujours assurée ?

M. Philippe Klayman. - Elle n'est pas assurée en structure hôtelière, pour des raisons budgétaires évidentes. Ceci représente en moyenne 20 millions d'euros par an sur les terrains où nous ne disposons pas de cantonnement ni d'infrastructure propre.

C'est l'un des prix de la mobilité, avec le carburant, les péages, l'alimentation et les primes afférentes. La chambre individuelle multiplie le coût de la nuitée par deux environ, ce qui est difficilement soutenable.

C'est pourquoi notre politique est de mettre l'immobilier au service du social. Tout l'objet du plan immobilier triennal, que le ministre de l'intérieur a présenté il y a quelques semaines est, pour ce qui concerne les CRS, de mettre l'accent sur la construction de cantonnements aux normes actuelles dans les secteurs qui connaissent le plus de présences.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ce plan permettra-il, à terme, de remettre aux normes l'ensemble du parc immobilier ? Combien faudrait-il d'années pour y parvenir ?

M. Philippe Klayman. - La norme actuelle est calée sur un cantonnement exemplaire et unique, qui va être livré sous peu, celui de Pont-d'Orly, qui va accueillir cinq compagnies et demie. Il a été complètement revu afin de passer aux normes souhaitées par les fonctionnaires et par la hiérarchie. On constate une entente totale entre la troupe et l'administration à ce sujet. On trouve dans ce cantonnement des chambres individuelles, la Wi-Fi, etc.

Nous souhaitons, en particulier dans le cadre du plan triennal qui s'appliquera à l'Île-de-France, zone la plus consommatrice en effectifs, que tous les cantonnements soient modernisés, soient occupés de façon individuelle et qu'on accroisse cette capacité par la construction d'un mini Pont-d'Orly pour deux unités sur le site de Vélizy, qui est viabilisé et doté de l'ensemble des infrastructures nécessaires, de façon à attirer et fidéliser les fonctionnaires.

Ce projet a été acté. Il est en cours d'examen technique.

M. François Grosdidier, rapporteur. - A-t-on le chiffrage de cette norme pour l'ensemble des hébergements ?

M. Philippe Klayman. - Il est très difficile de répondre, puisque l'emploi des CRS est erratique.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ils ont tout de même chacun leur base !

M. Philippe Klayman. - Oui, mais un CRS ne réside pas en caserne comme un gendarme. C'est toute la différence entre le casernement et le cantonnement, qui est une infrastructure CRS propre à l'hébergement.

Malheureusement, il n'existe pas de cantonnements également répartis sur le territoire. Lorsque j'envoie quatorze compagnies, comme samedi dernier, à Nantes, il est évident que je ne peux disposer que d'un cantonnement, celui de la CRS 42, qui, au-delà de son casernement, détient une capacité d'hébergement, mais guère au-delà d'une compagnie. Il faut donc trouver des structures hôtelières pour les treize autres. Il est inimaginable de penser réaliser au plan immobilier des cantonnements dans des zones qui sont concernées épisodiquement par l'emploi de CRS.

C'est pourquoi on essaye de concentrer l'effort de modernisation et de mise aux normes d'aujourd'hui sur les bassins d'emplois les plus utilisés - Paris, Lille, Lyon, Marseille, la Corse, lieux d'emploi permanents de la maison CRS.

Pour le reste, la préoccupation immobilière est très forte en termes d'entretien des bâtiments. On a une politique sociale intensive en la matière. Les CHSCT portent en permanence sur la qualité et l'amélioration de l'hébergement. La volonté du ministre est de donner aux niveaux déconcentrés les moyens budgétaires d'intervenir rapidement pour des travaux d'urgence ou d'amélioration. Au-delà du confort, ceci a aussi des conséquences essentielles sur l'hygiène et la sécurité que nous devons à nos fonctionnaires.

Un effort spécifique s'exerce sur Paris, avec la volonté très claire que chaque fonctionnaire dispose d'une chambre individuelle en Île-de-France.

Un gros projet va voir le jour à Marseille, avec regroupement d'unités sur un même site et création de cantonnements. De la même façon, on devrait construire à Lille des cantonnements avec chambres individuelles.

M. Michel Boutant, président. - La parole est aux commissaires.

Mme Brigitte Lherbier. - Les CRS, peut-être trop sollicités, fatigués, me semblent plus crispés qu'auparavant. Nous sommes allés à Calais : nous avons pu en effet constater que c'était très pesant ! Il est vrai qu'on les sollicite beaucoup - SNCF, manifestations, grèves des étudiants. Un doyen de faculté me disait que la présence policière était nécessaire pour permettre aux étudiants qui le souhaitent d'accéder au campus. Toutefois, leur présence peut aussi amener certains jeunes extérieurs à les provoquer.

Je me mets à la place d'un CRS qui doit affronter ces situations : être devant des jeunes qui ont l'âge de ses enfants est loin d'être évident, d'autant que seuls quelques-uns sont surexcités.

Existe-t-il un encadrement psychologique pour dédramatiser cette tension, afin que rien ne dérape et que l'ordre public soit malgré tout respecté ?

M. Alain Cazabonne. - J'ai beaucoup suivi la CRS 14 de Bordeaux et, en vous écoutant, j'ai l'impression que vous êtes des hommes et des femmes à tout faire, même lorsqu'il s'agit de petites missions dont on mesure l'inefficacité et la difficulté.

Le préfet - dont je tairai le nom - a abaissé la vitesse sur la rocade de Bordeaux de 110 kilomètres à l'heure à 90 kilomètres à l'heure. Les camions, qui devraient rouler à 80 kilomètres à l'heure, roulent à 90 kilomètres à l'heure sans qu'on puisse les contrôler, poussant les voitures particulières à aller plus vite.

J'ai fait part de ma préoccupation à trois motards de la CRS 14 que j'ai rencontrés l'autre jour. Ils m'ont dit ne disposer que de six motards pour surveiller la rocade, dont trois opérationnels ! Par ailleurs, il est difficile d'arrêter les camions sur la rocade ! Ce sont des missions pratiquement impossibles, qu'on a confiées à une compagnie qui dispose de peu d'effectifs motorisés !

N'avez-vous pas le sentiment de remplir des missions qui ne sont pas forcément les plus importantes pour la population, sans effectif suffisant ?

Enfin, êtes-vous touché par la circulaire européenne sur le temps de travail ?

Mme Samia Ghali. - La situation à Notre-Dame-des-Landes est aujourd'hui très tendue : les CRS qui sont sur place ont du mal à gérer une situation qui dépasse l'entendement. Selon la presse, certains n'en peuvent plus et ne savent plus quelle est la nature de leur mission. Alors qu'ils ne s'expriment jamais, ils font part de leur « ras-le-bol ».

Comment peuvent-ils appréhender cette situation ?

Par ailleurs, le fait que les CRS quittent parfois pour longtemps leur famille pour se retrouver sur des territoires qu'ils ne connaissent pas ne crée-t-il pas des tensions en matière de relation avec les populations ? Dans certaines cités, les CRS ne souhaitent qu'une seule chose, rentrer chez eux. Ils ne sont pas là par plaisir, et on a l'impression qu'ils sont prêts à le faire payer.

Ils n'ont guère le choix, mais on tire un peu trop sur la corde. On a certes besoin de CRS sur le territoire, mais on les envoie un peu partout, alors qu'on n'intervient pas de la même manière à Lyon, Bordeaux, Marseille ou Nice. Or ces policiers sont parfois déconnectés par rapport à la façon dont ils devraient appréhender les choses.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Les CRS sont la cible de multiples violences, dans le cadre d'opérations particulièrement difficiles.

Vous dites que la hiérarchie les encadre et se montre à leur écoute afin de les accompagner. Cependant, leur mode de vie est très particulier : ils doivent faire preuve d'une disponibilité sans faille, leurs missions sont très diverses et la population leur témoigne peu de reconnaissance, caricaturant souvent leur image.

Cela provoque certainement leur mal-être. Comment la hiérarchie arrive-t-elle à gérer toutes ces problématiques ?

M. Michel Boutant, président. - J'ai l'impression d'assister depuis quelques années à une escalade - aspersions de liquide inflammable, suivies d'envois de fusées pour brûler délibérément les CRS.

On a l'impression que ces violences sont de plus en plus fortes. Pour y faire face, la défense ne suffit pas toujours. Il faut parfois passer à la contre-offensive.

Dans quelques pays voisins, comme l'Allemagne, les forces de maintien de l'ordre ont depuis longtemps adopté une posture différente afin de ne pas se laisser enfermer dans un cercle infernal où la violence appelle la violence, sans espoir d'arrêt. Ils se sont donc lancés dans une opération de désescalade.

Est-ce un aspect auquel on a réfléchi en matière de maintien de l'ordre ? Y a-t-il un moyen de sortir de ce cercle infernal ?

M. Philippe Klayman. - Tout d'abord, monsieur le président, il existe plusieurs conceptions du maintien de l'ordre en Europe. Il est de tradition de comparer la France, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique, l'Espagne.

On a avec les Allemands une coopération très forte et des échanges très intéressants, même si l'organisation des polices allemandes est différente de notre organisation centralisée.

On s'est beaucoup intéressé à leur façon de faire. La particularité française consiste à rechercher en permanence le compromis entre l'expression des libertés publiques, le doit de manifester et la nécessité de garantir l'ordre public.

Dans l'esprit de tous ceux qui en ont la charge - autorités d'emploi, préfets, responsables de la sécurité publique, colonels de gendarmerie, commandants de CRS - il existe une recherche permanente de la préservation de deux intérêts qui peuvent à certains moments paraître contradictoires, l'expression de la liberté d'opinion et la préservation des personnes et des biens.

Il faut assurer un équilibre acceptable dans ce cadre.

Le déséquilibre vient du fait d'individus qui ne sont pas là pour exprimer ouvertement une opinion démocratique, apanage de notre société, mais pour causer des dégâts aux forces de l'ordre, motivés par tel ou tel fondement politique ou autres, ou simplement pour le plaisir de participer à des affrontements.

Dans ce cadre, nous n'avons pas la même approche que les Allemands. La tradition, en France, est de maintenir à distance ces individus, de préserver ceux qui manifestent dans le respect du droit et des libertés publiques de la violence générée par un certain nombre d'éléments, d'arriver à distinguer ces derniers et à les détacher du gros de la manifestation, pour les disperser ou les interpeller lorsque c'est nécessaire.

Tactiquement, la volonté est d'éviter le contact physique entre la force publique et des individus très agités, ce qui n'est pas la vision allemande des choses. Ils ne s'en donnent d'ailleurs pas les moyens : c'est une position de principe.

En France, le maintien à distance est principalement réalisé par l'utilisation de grenades lacrymogènes pour forcer les individus à s'éloigner. Les Allemands n'utilisent pas de gaz lacrymogènes et acceptent la mêlée. Ils recourent aussi à des engins lanceurs d'eau en nombre bien plus important que nous. L'efficacité de ces véhicules est remarquable et l'effet vulnérant de cette technique sur les individus est très faible.

M. François Grosdidier, rapporteur. - On s'étonne parfois du faible taux d'interpellations des délinquants extrêmement agressifs que l'on aperçoit sur les images. Avez-vous une explication ?

On constate par ailleurs que les délinquants les plus durs utilisent désormais des masques à gaz, qui rendent inopérante l'utilisation des grenades lacrymogènes.

Vous disposez également de canons à eau, contrairement aux gendarmes mobiles, mais ils ne sont pas tout-terrain, ce qui serait nécessaire à Notre-Dame-des-Landes. Ne touche-t-on pas là aux limites de cette pratique ? N'existe-t-il pas d'autres modes opératoires et d'autres équipements face aux nouvelles façons d'agir des délinquants ?

M. Philippe Klayman. - L'interpellation est un objectif louable et souhaitable, mais la finalité même du maintien de l'ordre est de faire cesser le trouble à l'ordre public. C'est la priorité absolue des autorités d'emploi, d'où la difficulté d'arriver à rétablir l'ordre parmi la population qui peut entendre ces messages et isoler les individus les plus violents pour les disperser, voire les interpeller.

On réalise régulièrement des arrestations en flagrant délit et, parfois même, avec un travail judiciaire, notamment grâce aux images tournées par nos effectifs au sein des unités, mais aussi par la sécurité publique. Des prises de vues de ces épisodes très violents sont réalisées le plus souvent possible, de telle sorte qu'il puisse y avoir ensuite un travail d'investigation, puis d'éventuelles interpellations dans les jours qui suivent.

L'interpellation, en pratique, n'est pas très simple. Plus on protège les fonctionnaires - ce qui est un objectif essentiel - moins on favorise leur mobilité.

C'est parfois au détriment de la capacité à se projeter. Les BAC et les compagnies départementales d'intervention recourent souvent aux mêmes méthodes : il peut y avoir des actions offensives très précises après identification d'un individu et action déterminée très ponctuelle pour l'interpeller. On y arrive, mais ce n'est pas facile, et ce n'est pas le but premier du maintien de l'ordre.

S'agissant des autres questions, certes on peut se dire que le métier de CRS est difficile, qu'il éloigne les fonctionnaires de leur domicile, peut créer de la tension, voire de la souffrance, de la fatigue, mais aucun fonctionnaire, qu'il soit gardien de la paix ou officier, ne se voit imposer cette affectation.

Quand on considère la fidélité de la plupart des CRS à leur maison, on peut douter que ces missions soient si terrifiantes.

Les fonctionnaires opèrent un choix de mode de vie collectif qui les amène à changer de lieu et de mission très fréquemment. C'est même ce qu'ils recherchent. L'imprévu, l'aventure, le changement permanent sont des éléments attractifs dans le métier, d'ailleurs assorti d'un appareil indemnitaire qui permet de prendre en compte les désagréments de l'éloignement familial. Ce mode de vie est choisi et apprécié.

La fidélisation des unités constitue un argument que l'on entend très souvent et qui semble relever du bon sens. Pourtant, elle est totalement impraticable. En effet, l'emploi dans la maison est complètement erratique : un jour, on va envoyer quatorze unités à Nantes, puis à Menton pour traiter une pression migratoire anormalement élevée et renforcer un temps le dispositif.

Très souvent, les fonctionnaires de police sont passés par plusieurs directions avant d'être CRS. La plupart des fonctionnaires connaissent le métier de la sécurité publique. C'est le rôle de l'encadrement de former les personnels et de leur donner les consignes nécessaires pour être efficaces, même s'ils ne sont pas dans leur lieu de résidence. À Marseille, on a été d'une efficacité remarquable, même s'il s'agissait d'unités du Nord de la France !

Ce mode de vie n'est absolument pas un obstacle à l'efficacité de la maison, bien au contraire. Ce type d'emploi correspond à une façon d'envisager le métier de policier. Cela peut être inné, cela peut être également acquis. Toute la particularité de la maison CRS, c'est de délivrer une prestation la plus maîtrisée possible.

Cela passe par un encadrement très puissant, avec une structure organisationnelle des unités qui repose sur le commandant, les officiers, une organisation en sections avec, à la tête de chacune, un major qui dispose de plusieurs adjoints brigadiers chefs. Ce sont des gens d'expérience, qui ont de nombreuses années de CRS derrière eux. Ils sont capables d'expliquer aux jeunes les contraintes du métier, comment ne pas céder aux provocations, demeurer disciplinés. C'est ce qui garantit à l'autorité d'emploi que la prestation délivrée sera non seulement conforme à un but précis, mais c'est également ce que le politique attend de la maîtrise de l'ordre public sur le territoire.

Il est fondamental d'expliquer à l'ensemble des fonctionnaires de la maison CRS que tout manquement en service, en mission, notamment d'ordre public, a potentiellement des conséquences bien au-delà des conséquences tactiques, opérationnelles ou policières. Un manquement en matière d'ordre public - il y a quelques exemples dans l'histoire de notre pays - peut rapidement prendre un tour politique majeur et mettre en difficulté le Gouvernement, au-delà des cadres policiers en charge de l'ordre public.

Tout cela repose sur une structure maîtrisée de la maison CRS et sur un outil de formation très dense et préservé à tout prix. On fait en sorte que chaque fonctionnaire et chaque unité bénéficient chaque année de 25 jours de formation individuelle et collective, et de compétences techniques notamment liées aux nouveaux ajouts tactiques que sont l'anti-terrorisme, la lutte contre l'immigration clandestine, le paramédical opérationnel.

La formation fait l'objet d'une volonté de sanctuarisation, qui est l'une des garanties de la maîtrise totale sur le terrain, à côté d'un encadrement expérimenté et très serré.

S'agissant de la ZAD, je ne suis pas présent sur Notre-Dame-des-Landes. Cette zone relève de la gendarmerie. Pour des raisons de cohérence tactique, la DGGN a souhaité que seuls ses escadrons soient présents sur le terrain, à une exception près : dimanche dernier, les gendarmes, qui n'en disposent pas, ont souhaité que des véhicules lanceurs d'eau armés par des fonctionnaires CRS viennent les épauler dans les endroits jugés sensibles de la ZAD.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ils ne sont pas dotés de quatre roues motrices.

M. Philippe Klayman. - Ceux que j'y ai mis le sont : il s'agit d'engins d'ancienne génération, qui appartenaient aux sapeurs-pompiers, qu'on a repeints en blanc et bleu. Ils disposent de toutes les caractéristiques de motricité et d'évolution des engins de sapeurs-pompiers, notamment pour les feux de forêts, mais sont malheureusement dotés de moindres capacités policières, comme les nouveaux engins dont nous disposons, ainsi qu'on l'a vu à Nantes.

Si je ne suis pas à Notre-Dame-des-Landes, je suis en revanche à Nantes, où l'ordre public est à la charge exclusive des CRS.

La maison CRS se situe au coeur du dispositif de sécurité intérieure, parce qu'elle sait désormais faire beaucoup de choses. On a l'habitude, entre nous, par boutade, de dire que c'est devenu un couteau suisse. Loin est le temps où nous ne faisions que de l'ordre public. Aujourd'hui, on est capable d'évoluer dans les cités du nord de Marseille, de traiter des affaires de stupéfiants, de réaliser des interpellations en flagrant délit de dealers et de différents trafiquants ou de gens qui viennent de commettre des vols à main armée ou des cambriolages.

On sait également mener la lutte contre l'immigration clandestine, comme à Calais ou Menton, aux côtés de nos camarades de la police aux frontières.

C'est une force qui s'est pleinement engagée dans la politique de police de sécurité du quotidien (PSQ). J'ai souhaité que la maison épaule la sécurité publique dans la mise en oeuvre de cette politique gouvernementale. Nous avons, il y a quelques jours, avec Pascal Lalle, signé un protocole d'utilisation des CRS selon divers modes, dans le cadre de la police de sécurité du quotidien, afin d'aider celle-ci dans les cités, mettre en synergie les compagnies autoroutières avec les circonscriptions de sécurité publique traversées par les secteurs routiers de notre compétence, et mettre à disposition nos outils de prévention de la délinquance.

Nous disposons en effet de pistes d'éducation routière, de rochers d'escalade qui accueillent chaque année des dizaines de milliers de jeunes et permettent de délivrer un message de sécurité routier et de prévention, qui est aussi l'occasion de mieux faire connaître les forces de sécurité intérieure.

Chaque compagnie a par ailleurs désormais à sa disposition une section de quinze à vingt fonctionnaires capables de monter une colonne d'assaut tactiquement et sur le plan logistique.

Il leur est demandé, au cas où ils seraient à proximité d'un événement terroriste, par exemple une tuerie de masse, de s'engager sans tarder pour mettre fin à cette agression, comme le font les camarades des BAC ou les BRI.

On a également développé un outil paramédical lié aux blessures par balles. Il n'était en effet pas envisageable d'exiger des fonctionnaires un engagement supplémentaire sur des missions à hauts risques sortant de la tradition sans accroître la capacité à les protéger, en cas de blessures graves.

On dispose aujourd'hui de 6 500 fonctionnaires formés à des gestes de secourisme très particuliers liés aux blessures par balles. On a d'ailleurs, dans l'élaboration de ce module, travaillé avec le service de santé des armées, qui a fait preuve d'un esprit de coopération remarquable. On a également acquis un matériel d'extrême urgence permettant de préserver la vie des collègues, mais aussi des tiers.

Samedi dernier, au Parc des Princes, lors d'une rixe assez grave entre deux individus, l'un a sorti un couteau et a poignardé l'autre de façon gravissime. Ce sont les CRS, grâce à leur formation et au matériel dont on les a dotés, qui ont sauvé la vie de la personne poignardée. Selon le SAMU, intervenu quelques minutes plus tard, sans notre intervention, la personne poignardée serait décédée.

Enfin, nos polices spécialisées - compagnies autoroutières, unités motocyclistes zonales, unités de montagne, CRS nageurs-sauveteurs - mettent en oeuvre les politiques gouvernementales en matière de sécurité routière et autoroutière, et interviennent dans les milieux difficiles, comme les massifs alpins, en lien avec les gendarmes de haute montagne.

Les CRS nageurs-sauveteurs, au-delà de leur mission de secours, ont également une mission de sécurité sur les plages. On a tiré les leçons de ce qui s'est passé en Tunisie. J'ai donné des instructions pour que les chefs de plage et leurs adjoints soient désormais armés, de telle sorte qu'au-delà de la résolution des problèmes de délinquance, il existe une capacité de première intervention en cas d'événement terroriste sur nos lieux de villégiature.

M. Michel Boutant, président. - N'était-il pas prévu de diminuer le nombre de CRS nageurs-sauveteurs, voire de les supprimer ?

M. Philippe Klayman. - Leur nombre va demeurer constant cette année, tout comme le nombre de communes qui y recourent. Une soixantaine de communes du littoral - Manche, océan Atlantique, et mer Méditerranée - sont concernées par ces dispositifs. Un peu moins de 300 CRS sont liés à cette mission.

Pour cette année, le dispositif est préservé. On ne peut préjuger de ce qui se passera l'année prochaine. C'est de toute façon une décision ministérielle.

M. Alain Cazabonne. - Les collectivités doivent-elles prévoir une contrepartie - hébergement, etc. ?

M. Philippe Klayman. - C'est un sujet qui a occupé divers intervenants, comme la Cour des comptes ou autres.

Oui, les communes ont des obligations par rapport à l'accueil de nageurs-sauveteurs. Reste à la charge de l'État les rémunérations et les pensions, mais il revient aux communes d'assurer l'accueil logistique de ces fonctionnaires.

Enfin, malgré les contraintes et la hausse de l'emploi et sa diversification, la maison CRS a mené un effort formidable d'anticipation et d'adaptation par rapport aux risques d'aujourd'hui.

La maison CRS recherche le plus possible la modularité de son action : le préfet de Paris peut ainsi demander à une compagnie employée pour assurer le service d'ordre lors d'un événement dans le centre de Paris, de gagner un autre endroit de la capitale pour participer à des actions de sécurisation lorsque l'événement précédent s'est résorbé.

Si elle confrontée sur son chemin à une tuerie de masse, elle est capable de se reconfigurer immédiatement. Elle dispose dans ses véhicules de tous les équipements et armements propres à faire face à l'intégralité des missions. Elle peut donc se reconfigurer « au débotté » de façon tactique, psychologique, juridique et logistique, afin de faire face à ce qui n'était pas sa mission initiale.

Peut-être mettra-t-elle fin, au cours de son intervention, à cette tuerie de masse. Elle concourra en tout cas, avec les collègues d'autres services de police, à la résolution de cette affaire. Elle fera en sorte de prendre en charge les blessés et de contrôler le périmètre.

On demande aussi à la maison de faire de la lutte contre l'immigration clandestine. Elle le fait, même si cela n'entre pas dans les schémas préétablis de l'ordre public ou de la sécurisation. Elle s'adapte, quels que soient les lieux et les circonstances.

Il y a derrière tout cela un énorme effort de conception, de formation continue, mais également d'acquisition des nouvelles techniques dont j'ai parlé, et ce à tous les niveaux hiérarchiques - gardien de la paix, gradés, encadrement supérieur et au-delà. Les commissaires sont tous passés à la formation anti-antiterroriste.

C'est une obligation dans la maison de se former. Il s'agit de la contrepartie inévitable des évolutions doctrinales que nous menons en permanence.

L'effort d'équipement, même s'il n'est pas suffisant, je vous le concède largement, est réel. On a changé l'armement collectif de la maison CRS, on a considérablement amélioré la protection individuelle et réalisé un effort sur les véhicules.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les véhicules ont-ils une capacité d'emport suffisante ?

M. Philippe Klayman. - Non. La maison transporte avec elle, selon le principe d'autonomie, l'ensemble des équipements propres à l'accomplissement de tous les spectres missionnels. Des équipements liés à des risques inconnus auparavant, notamment le risque terroriste, ayant été ajoutés, on a forcément alourdi les véhicules.

Cela pose toutefois un problème réglementaire, du fait de la nécessité de former les conducteurs à un permis en lien avec le tonnage des véhicules. On a donc choisi d'ajouter des véhicules, de façon à répartir la charge sur une colonne de véhicules élargie, permettant ainsi à chaque demi-unité d'avoir à sa disposition armement et munitions de façon égale. Cette adaptation est en cours. Nous allons avoir le parc nécessaire pour faire face à cette augmentation du poids des équipements.

Enfin, il faut également relever un effort d'évaluation. Il n'y a chez nous de politique du chiffre que par rapport à la politique gouvernementale de sécurité routière. On demande aux fonctionnaires d'avoir une activité préventive et répressive afin de diminuer le nombre de tués et de blessés sur les routes.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les citoyens se plaignent souvent d'un positionnement relativement « piégeant » lors de certains contrôles de vitesse.

Lorsque j'ordonnais, en tant que maire, ce type de contrôle à la police municipale, je le faisais à proximité des écoles, avec un souci de prévention peut-être supérieur. En matière de sécurité routière, on est sur des objectifs strictement quantitatifs.

M. Philippe Klayman. - Il est difficile d'entrer dans votre raisonnement, monsieur le rapporteur. Je n'interviens pas en ville, mais sur les secteurs routiers et autoroutiers, voies sur lesquelles la vitesse, l'alcoolémie, la consommation de stupéfiants posent problèmes.

On demande aux fonctionnaires de réprimer les comportements à risques et les comportements délictuels sur la route. Comment les en blâmer, alors même que l'objectif prioritaire de l'ensemble des gouvernements qui se sont succédé est la baisse significative du nombre de morts et de blessés sur les routes ?

C'est le seul domaine, tout à fait compréhensible, de recherche de résultats. C'est pour le bien commun et non dans le but d'apprécier le travail individuel ou collectif. C'est le service rendu à la collectivité et à nos concitoyens qui est apprécié à travers ces objectifs, qui sont inévitablement chiffrés en matière de sécurité routière.

Pour le reste, en ce qui concerne les compagnies de maintien de l'ordre, on est exclusivement sur du qualitatif.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Pourquoi ne disposez-vous pas des véhicules rapides dont est dotée la gendarmerie dans le domaine de la police autoroutière ?

M. Philippe Klayman. - Je ne demande qu'à les avoir ! Cela étant, les gendarmes interviennent sur le secteur concédé, où il est plus facile d'évoluer, où la densité de circulation est moindre et où l'évolution de véhicules rapides peut-être plus appropriée.

Sur l'A 86, autour de Paris, sur les autoroutes de dégagement autour de Marseille, de Bordeaux, Metz, Strasbourg, Nancy ou Lille, le nombre des poids-lourds et des véhicules particuliers rend très difficile l'usage de ce type de véhicules. On dispose de véhicules banalisés et de motocyclistes qui interviennent sur ces axes. Je n'ai pas ce type de véhicules, mais ceux qu'on a sont largement performants.

Par ailleurs, toutes les unités de maintien de l'ordre passent dans l'année une épreuve collective d'évaluation, durant laquelle elle est appréciée par une équipe de la maison CRS, sur un thème tactique complexe, où l'on fait jouer à l'unité un scénario de maintien de l'ordre, puis de dégradation de cette situation, jusqu'à une potentielle tuerie de masse, afin de voir comment l'unité réagit sur le plan du commandement et sur le plan collectif, afin de juger de la façon dont elle a assimilé les données tactiques qu'elle a acquises en formation.

Ceci permet de porter une appréciation sur la capacité opérationnelle de chaque unité de maintien de l'ordre et de prévoir les outils de formation appropriés aux forces et faiblesses de chacune. C'est à partir de ces exercices que l'on fait du sur-mesure.

M. Alain Cazabonne. - On a pu constater une différence entre la gendarmerie et la police nationale en matière d'esprit de corps et de lien entre gradés et hommes de troupe. J'ai le sentiment que vous êtes en quelque sorte intermédiaire. Partagez-vous le sentiment d'être à mi-chemin entre les deux ?

M. Philippe Klayman. - Je ne suis pas à mi-chemin : je suis en plein dans l'esprit collectif et dans le sentiment d'appartenance à la maison CRS !

Cette maison a été créée en 1944 par le général de Gaulle, sur le modèle de ce qui existait dans le domaine militaire. Ceux qui ont créé la maison ont recherché la même efficacité organisationnelle et fonctionnelle, l'esprit de corps, la disponibilité, la modularité et la capacité à traverser toutes les circonstances pour servir, comme le veut notre devise.

Il faut que la maison reste l'assurance-vie de tout Gouvernement. Comme je le dis souvent sous forme de boutade : lorsque de grands troubles surviennent en de nombreux endroits du territoire, il faut que les CRS et les gendarmes mobiles et tous les camarades des forces régaliennes se lèvent pour faire face.

On fait en sorte que la maison CRS soit dans la résilience. Elle est ainsi fidèle à sa vocation. On trouve un fort esprit de corps chez les CRS, entretenu par ce mode de vie collectif, par les cérémonies, par un aspect protocolaire et de cérémonial, dans lequel on inclut l'histoire de la maison. Celle-ci a traversé les soubresauts de la IVe République et de la Ve République, elle a participé aux combats de la libération, à la guerre d'Algérie, à mai 1968, elle a traversé tout ce que notre pays a connu de difficultés institutionnelles, sociales ou sociétales. Elle est intimement liée à l'histoire de notre pays. Nous essayons, via les musées, la transmission de nos valeurs, de faire en sorte que les jeunes gardiens de la paix comprennent qu'ils entrent dans une maison qui a un passé et des valeurs qui remontent à 1944.

Les CRS ont participé aux combats des poches de l'Atlantique et aux combats d'Alsace, aux côtés de la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny. On ne le sait pas toujours. Un certain nombre de CRS sont tombés à Royan, Saint-Nazaire et dans les forêts des Vosges.

M. Michel Boutant, président. - Merci pour ce rappel historique.

M. Philippe Klayman. - Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de mettre mes hommes en valeur.

M. Michel Boutant, président. - Et la maison, ainsi que vous l'avez souvent répété !

M. Philippe Klayman. - Et la maison !

La réunion est close à 17 h 15.