Mardi 15 mai 2018

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 9 h 10.

Propositions de directives du Conseil de l'Union européenne COM (2018) 147 établissant les règles d'imposition des sociétés ayant une présence numérique significative, et COM (2018) 148 concernant le système commun de taxe sur les services numériques applicable aux produits tirés de la fourniture de certains services numérique - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Vincent Éblé, président. - Notre commission avait adopté le 18 avril dernier, sur le rapport du rapporteur général Albéric de Montgolfier, une proposition de résolution européenne sur deux propositions de directives, la première établissant les règles d'imposition des sociétés ayant une présence numérique significative, la seconde concernant le système commun de taxe sur les services numériques applicable aux produits tirés de la fourniture de certains services numériques.

Aucun amendement n'a été déposé sur cette proposition de résolution et il revient à la commission, en application de l'article 73 quinquies, alinéa 2 du règlement du Sénat, de statuer définitivement.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je vous ai présenté, le 18 avril dernier, mon analyse sur ces deux textes, ainsi qu'une proposition de résolution européenne, comme le permet l'article 88-4 de la Constitution. À l'expiration du délai de dépôt, le 2 mai, aucun amendement n'avait été déposé. Je vous proposerai donc d'adopter définitivement la proposition de résolution telle qu'adoptée le 18 avril.

L'initiative de la Commission européenne, très fortement poussée par quatre États membres - la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne -, mérite d'être saluée car il s'agit de la première véritable réponse concrète à un problème sur lequel notre commission travaille depuis de nombreuses années : le faible niveau d'imposition des bénéfices des multinationales du numérique, communément appelées « GAFA », alors même que celles-ci réalisent au sein de l'Union européenne une part significative de leur chiffre d'affaires.

D'après une étude de la Commission européenne, le taux effectif moyen d'imposition des entreprises du numérique est de 9,5 %, contre 23,2 % pour les entreprises traditionnelles. Cette divergence s'explique par l'inadaptation des règles actuelles de la fiscalité internationale, fondées sur la présence physique dans l'État d'imposition, aux spécificités de l'économie numérique.

Les propositions de la Commission européenne permettent notamment d'éviter l'adoption de mesures unilatérales et hétérogènes par les États membres, dont l'efficacité serait in fine plus que limitée.

Dans un esprit de pragmatisme, la Commission européenne propose, comme pour le projet d'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (Accis), de procéder en deux temps.

D'abord, une réforme de fond des règles d'imposition des bénéfices des sociétés : c'est la directive COM 147 consistant à compléter la notion d'établissement stable, qui permet d'imposer une entreprise sur un territoire donné, par un critère de « présence numérique significative ». Cette présence serait caractérisée dès lors que l'un de ces trois seuils serait dépassé : 7 millions d'euros de chiffre d'affaires issu des activités numériques dans l'État concerné ; 100 000 utilisateurs ; 3 000 contrats commerciaux. Le dépassement de l'un de ces seuils suffirait ainsi à caractériser un « établissement stable virtuel ».

Ensuite, et dans l'attente de cette réforme de fond, une solution de court terme, celle de la directive COM 148, consiste en la création d'une taxe sur les services numériques (TSN), assise sur le chiffre d'affaires tiré de certaines activités numériques échappant jusqu'à présent très largement à l'impôt. Cela vise des activités dont une grande partie de la valeur est liée à la contribution des utilisateurs, c'est-à-dire la publicité en ligne - 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour Google -, l'intermédiation telle que la pratique, par exemple, Amazon Marketplace, et enfin la vente des données bien souvent générées à titre gratuit par les utilisateurs. Seules seraient concernées par cette nouvelle taxe les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 750 millions d'euros au niveau mondial, toutes activités confondues, et supérieur à 50 millions d'euros au sein de l'Union européenne, s'agissant des trois activités numériques imposables susmentionnées. Le taux de cette taxe serait fixé à 3 % du chiffre d'affaires.

Il faut saluer le caractère audacieux et novateur des propositions de la Commission européenne. Toutefois, leur adoption semble loin d'être acquise à ce stade.

Ainsi la solution de long terme de la directive COM 147 aura des difficultés à aboutir dans un futur proche, compte tenu de la règle de l'unanimité qui prévaut au sein de l'Union européenne en matière fiscale. De plus, elle n'a de sens que si elle est mise en oeuvre au niveau international ; or les négociations à l'OCDE sont aujourd'hui bloquées, compte tenu des implications majeures sur la répartition des droits d'imposer entre les États.

Dans l'attente de cette solution de long terme, et même si la taxation du chiffre d'affaires est « aveugle » - puisqu'elle frappe à la fois les entreprises profitables et les autres -, la création d'une taxe sur les services numériques semble être la moins mauvaise des solutions possibles à ce stade.

Il convient donc de soutenir la position du Gouvernement français, qui est déterminé à faire voter la création de cette taxe alors que la dernière réunion Ecofin, les 27 et 28 avril derniers, a été marquée par des dissensions sur ce sujet.

Si cette taxe apparaît pleinement justifiée dans son principe, je souhaite interpeller le Gouvernement sur un certain nombre de points qui me semblent problématiques.

Tout d'abord, cette taxe ne concerne ni la vente en ligne de biens matériels - il faudrait, par ailleurs, réfléchir à la possibilité de taxer les entrepôts d'Amazon - ni la fourniture de services numériques, notamment par abonnement : ce qui est présenté comme une taxe « GAFA » est surtout une taxe « GF », pour Google et Facebook. Des sociétés comme Netflix, Spotify ou encore Deezer, avec leurs millions d'abonnés, échapperaient à la taxe.

Plus préoccupant, cette nouvelle taxe toucherait des entreprises qui paient d'ores et déjà leur juste part de l'impôt sur les sociétés en France ou en Europe, là où la valeur est créée. Parmi les entreprises potentiellement concernées par cette taxe figureraient Criteo, pépite française spécialisée dans le ciblage publicitaire, AccorHotels, dont une partie de l'activité relève maintenant de l'intermédiation, le groupe Orange ou encore Solocal, nouveau nom du groupe Pages Jaunes. Des plateformes françaises comme Leboncoin ou Dailymotion atteindraient presque les seuils.

Ces entreprises, dont nous avons entendu certains des représentants, paient leur impôt sur les sociétés en France et dans les pays où elles ont une activité. Leur imposer une taxe de 3 % sur le chiffre d'affaires en plus de l'impôt sur les sociétés reviendrait à leur infliger une double peine.

Certes, la proposition de directive permet aux États membres de rendre la taxe sur les services numériques déductible de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, au même titre que toute autre charge déductible. C'est la moindre des choses ! Mais une déductibilité en charge ne neutralise pas la double imposition.

La solution idéale consisterait à rendre cette taxe déductible du montant de l'impôt sur les sociétés lui-même, sous la forme d'une réduction d'impôt. Ainsi, cette taxe temporaire ne pèserait que sur les grandes entreprises numériques qui échappent aujourd'hui à l'impôt sur les bénéfices, mais serait neutre pour celles qui le paient déjà.

Cette possibilité n'est pas prévue dans la proposition de directive, au motif qu'une déductibilité de l'impôt sur les sociétés se heurterait aux conventions fiscales internationales. Néanmoins, les analyses que nous avons conduites, qui figurent dans le rapport, montrent que le fait que les conventions fiscales priment sur les directives dans les relations avec les États tiers n'interdit en rien de prévoir une déductibilité pleine et entière de l'impôt sur les sociétés au sein de l'Union européenne. Or une application à cette échelle suffirait à couvrir la grande majorité des cas, puisque les entreprises en question sont presque toutes établies dans l'Union européenne - fût-ce en Irlande ou au Luxembourg.

Par conséquent, la proposition de résolution que nous avons adoptée demande que la taxe sur les services numériques soit rendue déductible de l'impôt sur les sociétés, sous la forme d'une réduction d'impôt. Elle serait alors conforme à son esprit : taxer les bénéfices là où la valeur est créée, mais ne pas s'ajouter à l'impôt existant lorsqu'il est déjà payé, conformément à l'engagement du Président de la République de ne pas créer d'impôt nouveau.

Alternativement, la proposition de résolution suggère d'explorer d'autres pistes permettant d'aboutir au même résultat, par exemple une forme de « super-déduction » en tant que charge.

En conclusion, le sens de cette proposition de résolution européenne est de soutenir l'initiative de la Commission européenne et la position de la France au sein du Conseil, tout en maintenant notre détermination à aboutir à un mécanisme évitant toute double imposition d'un même revenu, à la fois au titre de l'impôt sur les sociétés et de la taxe sur le chiffre d'affaires.

Je vous propose donc de confirmer l'adoption de la proposition de résolution européenne présentée le 18 avril dernier.

M. Éric Bocquet. - On ne peut que soutenir cette proposition de résolution européenne, sans se faire d'illusions sur les propositions de directives cependant. L'un des principaux obstacles, vous l'avez mentionné, est la règle de l'unanimité en matière fiscale. Quels arguments trouvera la France pour convaincre l'Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas ou Malte, dans un contexte de concurrence fiscale aggravée par les choix récents du président Donald Trump ?

M. Claude Raynal. - Il était normal que notre commission se saisisse de ce sujet sur lequel elle travaille depuis plusieurs années. Cette proposition de résolution est une bonne initiative : elle envoie un signal de soutien au Gouvernement français dans son action au niveau européen. Certains détails, cependant, sont discutables : la disposition de la directive consistant à déduire la taxe sur les services numériques de l'assiette de l'impôt ne me paraît pas si mauvaise. Une déduction d'impôt directe sera neutre si le produit de la taxe est perçu par l'État français ; mais s'il est affecté aux ressources propres de l'Union européenne, elle représentera une perte au niveau national.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'article 6 de la proposition de directive COM 148 précise bien que « la TSN est exigible dans un État membre sur la part des produits imposables générés par un assujetti ». Il n'y a par conséquent pas d'ambiguïté à ce stade, mais je suis d'accord avec vous sur la nécessité d'être vigilant sur ce sujet.

M. Julien Bargeton. - Je me félicite de cette initiative de la Commission européenne, en espérant qu'elle prospère. Mais il n'est pas toujours nécessaire d'espérer pour entreprendre... Je salue aussi le soutien de notre commission au Gouvernement.

La proposition formulée par le rapporteur général de déduction de la TSN de l'impôt sur les sociétés lui-même me semble difficile à mettre en place. En effet, une réduction d'impôt ferait basculer la TSN dans la catégorie des impositions sur le revenu. Les entreprises soumises à une convention fiscale - celles-ci prévalant, comme le rapporteur général l'a rappelé, sur les directives - pourraient ainsi sortir du champ de la taxe.

Autre inconvénient, ce mécanisme réduira le produit de l'impôt sur les sociétés perçu en France au titre d'une taxe versée à un autre État membre, pour les activités exercées dans cet État.

Il convient donc d'être prudent, mais je comprends parfaitement la volonté d'éviter la double imposition. N'affaiblissons pas, par une complexification des modalités, le soutien à cette initiative.

M. Alain Joyandet. - Je suis également très prudent sur ce texte, concernant notamment les sociétés qui seraient redevables de cette taxe. Les entreprises qui ont affaibli le commerce physique en France et y ont fait perdre des recettes fiscales, comme Amazon, que nous avons pourtant subventionnée pour qu'elle s'installe sur notre territoire, ne seraient pas touchées par la future taxe. Un groupe comme Orange pourrait y être assujetti. Amazon, qui a causé un tort considérable à l'ensemble de la distribution française, y échapperait ! En l'état, je ne vois pas de raisons de voter ce texte.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - On peut en effet s'interroger sur le périmètre de la TSN. La vente directe pratiquée par Amazon échapperait à cette taxe. Il faut cependant souligner que la distinction entre vente en ligne et vente physique est de moins en moins nette. Auprès de Darty ou de la Fnac, qui réalisent aussi bien des ventes en ligne que des ventes en magasin, il est possible de commander en ligne pour un retrait en magasin, ou au contraire d'acheter un produit en magasin pour une livraison à domicile. De plus, l'activité d'Amazon Marketplace - l'intermédiation entre vendeurs et acheteurs - serait, elle, dans le champ de la taxe.

Il est plus difficile de comprendre que Netflix ou Spotify, qui vendent des services en ligne et n'ont aucun besoin d'implantation physique, échappent aussi complètement à la TSN. Lors des auditions, il nous a notamment été répondu que ces entreprises sont soumises à la TVA, mais il ne s'agit pas du même impôt.

L'objectif de taxer les entreprises du numérique qui ne paient pas d'impôt sur les bénéfices en Europe sans alourdir la fiscalité de celles qui le paient est, je le crois, largement partagé au sein de notre commission. Le sujet est complexe. Je rappelle cependant que la déduction d'impôt ne serait possible que dans les États où l'impôt sur les sociétés est dû, indépendamment des conventions internationales.

Quant à la « super-pondération » en charges déductibles que je propose, c'est un dispositif novateur mais elle n'est pas différente, dans son principe, du suramortissement prévu par la loi Macron. J'ai cherché à rendre la taxe aussi neutre que possible pour les entreprises qui s'acquittent de leurs impôts en France.

M. Marc Laménie. - Combien d'entreprises seraient concernées par la TSN, et quelles seraient les recettes attendues pour l'État ?

Mme Sophie Taillé-Polian. - Je tiens à préciser que ce sont les utilisateurs finaux qui paient la TVA, et non les services par abonnement de vidéo ou de musique à la demande comme Netflix ! L'exonération de TSN au motif que la TVA est payée est intellectuellement contestable. La taxation de ces entreprises doit rester un objectif majeur, au vu de la place qu'elles tiennent dans notre vie et aussi de l'enjeu du financement de la création artistique.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est en effet une explication partielle qui nous a été donnée.

Les premières estimations, embryonnaires, font état de 130 à 150 entreprises concernées par la taxe au niveau européen, dont une moitié sont américaines, avec une recette attendue de 5 milliards d'euros pour l'ensemble des États membres.

La proposition de résolution européenne est adoptée sans modification.

Proposition de loi renforçant l'efficacité des poursuites contre les auteurs d'infractions financières et supprimant le « verrou de Bercy » - Examen des amendements de séance

M. Vincent Éblé, président. - La proposition de loi n'ayant pas été adoptée par notre commission lors de son examen le 18 avril, la discussion en séance publique portera sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat. Un seul amendement ayant été déposé, je laisse la parole à Nathalie Goulet pour le présenter.

Article additionnel après l'article 1er

Mme Nathalie Goulet. - Mon amendement n° 1 reprend un amendement de notre collègue Éric Bocquet déjà adopté par le Sénat. Il lève partiellement le « verrou de Bercy » en prévoyant la possibilité pour l'autorité judiciaire d'engager des poursuites sans autorisation préalable de l'administration lorsque les faits sont apparus à l'occasion d'une enquête ou d'une instruction portant sur d'autres faits, et lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou par le recours à diverses manoeuvres. C'est un amendement subsidiaire à la suppression totale du verrou prévue par l'article 1er.

M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Cet amendement a en effet été déposé en 2013 et adopté, alors, par la commission des lois mais rejeté par le Sénat. Il présente l'avantage de renforcer la transparence, alors que la proposition de loi impose un choix binaire : soit la conservation, soit la suppression du verrou.

L'amendement a également le mérite de poser les termes du débat que nous devrons tenir lors de l'examen du projet de loi de lutte contre la fraude, mais il n'est pas compatible avec le texte lui-même. Retrait ou avis défavorable.

Mme Sophie Taillé-Polian. - Je remercie Nathalie Goulet d'avoir déposé cet amendement. La proposition de loi déposée par Marie-Pierre de la Gontrie a pour objet d'attirer l'attention, avant l'examen du projet de loi de lutte contre la fraude, sur les problèmes que pose le « verrou de Bercy » au regard de la séparation des pouvoirs et de l'égalité entre les contribuables.

Certes, l'amendement est en contradiction avec le texte, mais, sous la forme d'un article additionnel après l'article 1er, c'est une solution de repli intéressante qui reprend, par surcroît, un amendement déjà voté au Sénat. Notre commission pourrait travailler sur une position qui ferait ressortir le rôle de force de proposition du Sénat dans ce débat.

Le groupe socialiste et républicain défendra la proposition de loi, qui pose une question de principe, mais toute avancée sur la question du verrou est bienvenue.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La proposition de loi et l'amendement ont le mérite d'ouvrir un débat qui devrait être tranché au moment de l'examen du projet de loi de lutte contre la fraude - et sur lequel le Sénat est saisi en premier. Pour le moment, le projet ne contient pas de dispositions relatives au « verrou de Bercy ».

J'avais constaté, lors de notre travail, avec Claude Raynal, sur la répression des délits boursiers, que les délais de traitement par la justice étaient particulièrement longs. Le sujet n'est pas prioritaire pour les juges face aux crimes de sang, aux faits de terrorisme ou aux violences aux personnes par exemple. La suppression du « verrou de Bercy » n'entraînera pas d'augmentation des effectifs des magistrats... Il y a donc un risque d'enlisement ; les avocats étireront les procédures à loisir.

Je ne prétends pas que le « verrou de Bercy » soit à l'heure actuelle un dispositif pleinement satisfaisant. Il est opaque, et il faudrait au moins que le législateur fixe les critères de tri entre les dossiers, aujourd'hui laissé au bon vouloir de l'administration. Mais la justice n'est pas assez armée pour traiter les contentieux de fraude fiscale. Il faut également garder à l'esprit l'efficacité des procédures, garantie de recettes pour l'État.

M. Vincent Éblé, président. - Les résultats des travaux de la mission d'information commune de l'Assemblée nationale sur les procédures de poursuite des infractions fiscales seront rendus publics la semaine prochaine.

Mme Sophie Taillé-Polian. - On nous oppose le manque d'efficacité de la justice et les priorités du contentieux. Nous ne prétendons pas que la suppression du « verrou de Bercy » soit l'alpha et l'oméga, mais plutôt que de la rejeter en bloc, améliorons la coopération entre les services fiscaux et la justice ! Le projet de loi présenté par Gérald Darmanin sera notamment l'occasion d'aborder la question des peines.

Prenons du recul et appuyons-nous sur les recherches en sciences sociales, qui ont mis en évidence un cercle vicieux : les délits financiers ne sont pas traités de façon prioritaire parce que les juges ne se sentent pas vraiment investis de cette mission, justement à cause de l'existence du « verrou de Bercy ».

Mme Nathalie Goulet. - Je maintiens mon amendement. Peut-être aurons-nous une bonne surprise ! Je me félicite déjà d'entendre que notre commission est prête à voir évoluer le « verrou de Bercy ».

M. Éric Bocquet. - Le groupe CRCE soutient la proposition de loi. Depuis plusieurs années que l'on envisage la suppression du « verrou de Bercy », les mêmes arguments sont avancés : il faut faire entrer des recettes, la justice n'a pas les moyens de traiter les contentieux... Donnons-les lui ! Le 18 mai 2016, notre commission entendait Éliane Houlette, qui dirige le Parquet national financier, déplorer que le nombre d'enquêteurs dont il dispose soit passé de 93 à la création du PNF, en 2013, à 81. L'égalité devant l'impôt est une question fondamentale. Je soutiendrai l'amendement de Nathalie Goulet.

M. Claude Raynal. - L'objet de la proposition de loi était d'ouvrir un débat préparatoire à la présentation du projet de loi de lutte contre la fraude. Il serait dommage que nous en achevions l'examen sans proposition du Sénat. Ce texte a été présenté non dans un esprit dogmatique, mais pour contribuer à la définition d'un point d'équilibre sur la question. J'aurais souhaité, monsieur le rapporteur, que vous ayez cela à l'esprit.

M. Vincent Delahaye. - Je partage l'avis de Claude Raynal : il faudrait que nous parvenions à formuler une proposition sur ce serpent de mer qu'est le « verrou de Bercy ». L'amendement de Nathalie Goulet est une solution de repli qui me paraît satisfaisante, en attendant les discussions ultérieures.

M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Éric Bocquet, il est rare qu'un dirigeant d'un organisme récemment créé ne demande pas de moyens ou de missions supplémentaires... Ce n'est pas au Parquet national financier d'en décider, mais au législateur.

En réponse aux autres intervenants, j'ai formulé plusieurs propositions dans mon rapport. Je propose ainsi que les représentants du Sénat à la commission des infractions financières (CIF) soient désignés conjointement par le président et le rapporteur général de la commission des finances - gage de pluralisme. Je suggère aussi que les parlementaires soient dotés de pouvoirs de contrôle et de consultation des dossiers que l'administration fiscale ne transmet pas à la CIF. Je ferai d'autres propositions lors de l'examen du texte en séance publique.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.

Nominations de rapporteurs

M. Albéric de Montgolfier est nommé rapporteur sur le projet de loi n° 385 (2017-2018) relatif à la lutte contre la fraude.

Mme Christine Lavarde est nommée rapporteur sur la proposition de loi n° 343 (2017-2018) de MM. Claude Nougein, Michel Vaspart et plusieurs de leurs collègues, visant à moderniser la transmission d'entreprise.

Proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission demande à se saisir pour avis de la proposition de loi n° 460 (2017-2018) de MM. Rémy Pointereau, Martial Bourquin et plusieurs de leurs collègues, portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs et nomme M. Arnaud Bazin rapporteur pour avis.

La réunion est close à 10 h 05.

- Présidence de M. Philippe Dominati, vice-président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Application des lois - Communication de M. Philippe Dominati

M. Philippe Dominati, président, rapporteur. - Comme chaque année, notre commission contrôle l'application des lois qu'elle a examinées au fond au cours de la session précédente, c'est-à-dire des lois promulguées entre le 1er octobre 2016 et le 30 septembre 2017. Les statistiques sont arrêtées au 31 mars 2018.

Notre collègue Valérie Létard, présidente de la délégation du Bureau du Sénat chargée du travail parlementaire, devrait présenter à la conférence des Présidents une synthèse des analyses des différentes commissions ; un débat sur le bilan de l'application des lois se tiendra en salle Clemenceau le 5 juin prochain. Notre collègue Vincent Delahaye a également entamé, en sa qualité de vice-président, le recensement des lois inappliquées ou inapplicables sur le fondement notamment de l'absence de mesures d'application.

Pour ce qui concerne la commission des finances, le taux de mise en application des lois promulguées durant la session 2016-2017 atteint 83 %. Il est supérieur au taux de 76 % de la session précédente mais pour un nombre de mesures attendues inférieur - 82 mesures contre 114 mesures pour la session 2016-2017. Point positif, les délais se sont améliorés : alors que l'an passé, moins de 30 % des mesures d'application avaient été prises dans le délai de six mois prescrit par une circulaire du Premier ministre du 29 février 2008, cette année ce taux atteint plus de 65 %. Il est en très nette progression mais il n'est cependant pas exceptionnel, puisqu'il était par exemple de 75 % en 2012-2013.

Nos statistiques pour cette session portent sur l'application de la loi de finances pour 2017 et de la loi de finances rectificative pour 2016. En effet, la loi du 1er mars 2017 relative aux modalités de calcul du potentiel fiscal agrégé des communautés d'agglomération issues de la transformation de syndicats d'agglomération nouvelle (SAN) ne nécessitait pas de mesure d'application. De même, la loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2016 est d'application directe. Les conventions fiscales et les traités internationaux ne sont pas pris en compte pour le contrôle de l'application des lois. Enfin, les dispositions pour lesquelles notre commission avait reçu des délégations au fond - comme par exemple, pour la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite « Sapin 2 » - font l'objet d'un suivi statistique par la commission délégante, à savoir la commission des lois.

Pour ce qui concerne l'application de la loi de finances pour 2017, l'article 60, introduisant le prélèvement à la source pour l'impôt sur le revenu, prévoyait à lui seul onze mesures d'application. L'ensemble de ces mesures ont été prises dans le délai de six mois suivant la promulgation. Toutefois, l'entrée en vigueur de ces dispositions a été reportée au 1er janvier 2019 et de nouveaux aménagements ont été réalisés dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2017. Seules deux mesures prévues par la loi de finances pour 2017 n'ont pas encore été prises, l'une relative à l'extension de l'assiette de la taxe sur les transactions financières - devenue sans objet compte tenu de la suppression de cette extension dans la loi de finances pour 2018 - et l'autre relative à l'affectation de 2 % du produit brut du droit annuel de francisation et de navigation (DAFN) aux éco organismes agréés faute de mise en place de la filière « responsabilité élargie du producteur ».

Pour la loi de finances rectificative pour 2016, 31 mesures ont été prises, le taux d'application s'élevant à 72 %. Parmi les mesures toujours attendues figure le décret précisant les modalités selon lesquelles la déclaration automatique sécurisée (DAS) des revenus des utilisateurs des plateformes en ligne à l'administration fiscale est adressée annuellement par voie électronique : la mesure est prévue pour entrer en vigueur seulement en 2019 et ce sujet est repris, dans des termes légèrement différents, à l'article 4 du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, ce qui montre pour le moins le souhait du Gouvernement de prendre du temps pour la mise en oeuvre de cette mesure préconisée par notre commission des finances. Les trois décrets prévus pour créer la taxe due par les entreprises de transport aérien opérant sur l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle pour le financement du Charles de Gaulle-Express n'ont pas non plus été pris, la date de la perception de la contribution spéciale CDG-Express ne devant certes intervenir qu'à partir du 1er avril 2024.

Pour les deux lois pour lesquelles la commission des finances était intervenue avec des délégations au fond, à savoir la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique et la loi du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Sapin 2 »), seules trois mesures d'application de cette loi n'ont pas été prises, dont l'une concernant la faculté pour les détenteurs de livret A et de livret de développement durable d'affecter une partie des intérêts sous forme de don à une entreprise solidaire. Envisagée en décembre 2016, la publication de ce décret n'est pas intervenue, ce qui rend inapplicable cette disposition et confirme l'analyse du rapporteur de notre commission, Albéric de Montgolfier, qui soulignait le manque de précision du dispositif proposé.

Dans l'ensemble, les textes réglementaires attendus ont été publiés et sont conformes à leur objet.

Un point important est également le suivi des ordonnances, particulièrement nombreuses dans le domaine financier. Cette année, nous avons contrôlé la publication des ordonnances prévues par la loi dite « Sapin 2 ». Au total, sur les treize ordonnances attendues, douze ont été signées mais aucune n'a été ratifiée alors que onze projets de lois de ratification ont été déposés dont cinq au Sénat. Seule l'ordonnance du 9 août 2017 concernant les services de paiement dans le marché intérieur est à un stade avancé de ratification, puisque le projet de loi sera bientôt examiné en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale. La seule ordonnance qui n'a pas été prise concerne l'habilitation donnée au Gouvernement pour créer un code monétaire et financier spécifique à l'outre-mer. Cette demande d'habilitation semble n'avoir pas été suffisamment réfléchie puisque la Commission supérieure de la codification, dans un avis de juin 2017, a émis des réserves, souhaitant notamment que l'ordonnance soit circonscrite aux collectivités du Pacifique, ce qui ne correspond pas à l'habilitation. Depuis, le dossier semble ne pas avoir progressé.

Nous suivons également la remise des rapports au Parlement. Au cours de la période, quinze rapports ont été demandés et seulement sept ont été remis - dont deux de manière non officielle. Même si notre commission s'était montrée défavorable à plusieurs demandes de rapports, notamment lorsque les informations étaient disponibles dans des documents budgétaires - concernant par exemple l'aide au développement - il est regrettable de ne pas appliquer des dispositions votées définitivement. Par exemple, le rapport relatif à la suppression des taxes à faible rendement, prévu par l'article 83 de la loi de finances pour 2017, ne nous a pas été remis - alors même que ce sujet est un point de préoccupation récurrent.

Certains dispositifs des textes antérieurs à la session 2016-2017 ne sont toujours pas appliqués ; cela dure depuis plusieurs années. La plus ancienne disposition législative relevant de notre contrôle qui reste en attente de texte d'application est l'article 126 de la loi de finances pour 2011 relatif au régime juridique de déduction des redevances de concession de brevet. De même, quatre mesures d'application de la loi de finances pour 2012 n'ont toujours pas été prises, concernant par exemple le régime des redevances perçues à l'obtention de certificats sanitaires pour exporter des produits alimentaires d'origine non animale, ou encore le régime d'octroi des licences de vente du tabac dans les départements d'outre-mer. Dans ce dernier cas, l'absence de décret d'application s'explique par le report de la mesure à plusieurs reprises, y compris dans la dernière loi de finances rectificative pour 2017. Notre commission, à l'initiative du rapporteur général, avait adopté un amendement supprimant ces dispositions qui apparaissent comme des effets d'annonce, faute de volonté de les appliquer concrètement.

Parfois, des mesures d'application ne sont pas prises car la disposition législative a en quelque sorte anticipé sur la réalité : ainsi, la loi de finances rectificative pour 2011 a créé une redevance sur les gisements d'hydrocarbures en mer, et un décret devait fixer le taux pour calculer cette redevance. Mais aucune mesure d'application n'a été prise, faute d'exploitation de gisement d'hydrocarbures en mer. Les premières exploitations ne sont pas prévues avant 2020.

Comme l'année dernière, nous regrettons que la liste des États et territoires non coopératifs (ETNC) pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, qui doit en principe être actualisée chaque année, ne l'ait pas été depuis avril 2016 et l'affaire des « Panama Papers ». En revanche, les négociations se poursuivent au niveau européen pour élaborer une liste européenne.

De même, après plusieurs années de protestation sur le manque d'information du Parlement, et l'engagement de la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, Mme Gény-Stephann en séance publique le 19 avril dernier, nous venons de recevoir le « jaune » qui doit être annexé au projet de loi de finances de chaque année sur l'échange d'informations fiscales entre la France et ses partenaires... pour les années 2015 et 2016. C'est un premier pas de combler le retard accumulé, mais ces informations devront désormais nous être délivrées en temps utile pour être exploitées.

La commission donne acte à M. Philippe Dominati de sa communication.

Projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense - Examen du rapport pour avis

M. Philippe Dominati, président. - Nous examinons le rapport pour avis de Dominique de Legge sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en première lecture après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense. Nous avions entendu la ministre des armées, Florence Parly, le 3 avril dernier. Nous entendons maintenant les conclusions du rapporteur.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - En présentant le projet de loi de programmation militaire (LPM) devant notre commission, la ministre le qualifiait de « loi de réparation et de préparation de l'avenir ». En employant le terme de réparation, la ministre établissait un bilan négatif des dernières années. Sans nous attarder sur le bilan de la dernière LPM, nous pouvons pointer que nos forces furent engagées au-delà de ce qui était initialement prévu avec des moyens revus encore à la baisse par rapport à la période précédente. Dès le départ, la LPM était déconnectée de la réalité opérationnelle et budgétaire. Deux chiffres suffisent à illustrer ce décalage, la provision de 450 millions d'euros pour les opérations extérieures (OPEX) alors que les dépenses s'élèvent à un montant compris entre 1,2 milliard d'euros et 1,4 milliard d'euros, et les fameuses recettes exceptionnelles, qu'il a fallu remplacer en grande partie par des recettes budgétaires. En a résulté une dégradation de notre capacité potentielle : difficulté à tenir le programme de renouvellement de nos matériels, usure prématurée et rapide des matériels existants avec une difficulté d'assumer le maintien en condition opérationnelle (MCO). Les infrastructures du quotidien, dégradées, ont été sacrifiées pour assurer l'accueil des nouveaux matériels avec les conséquences que l'on sait sur l'état du patrimoine immobilier du ministère. Enfin, il est difficile d'assumer la préparation de nos soldats qui, sur-mobilisés sur les différents théâtres extérieurs, n'ont pas toujours pu assumer la formation des plus jeunes.

En quoi cette nouvelle LPM répare-t-elle le passé et prépare-t-elle l'avenir ? La trajectoire financière est incertaine au-delà de 2023. Les crédits de la mission « Défense » progressent de 9,8 milliards d'euros, passant de 34,2 à 44 milliards d'euros entre 2018 et 2023. Cependant, l'effort important est renvoyé en 2023, lors d'un nouveau quinquennat et d'une nouvelle législature : la hausse des crédits devrait doubler après 2023, passant de + 1,7 milliard d'euros par an à + 3 milliards d'euros par an, mais les annuités 2024 et 2025 ne sont pas couvertes par le projet de loi. Au total, seuls 67 % des besoins identifiés, estimés à 295 milliards d'euros, sont couverts de manière ferme.

Par ailleurs, cette trajectoire demeure soumise à d'importants aléas. Les contrats opérationnels ne font pas l'objet de modifications substantielles par rapport à la précédente LPM. Nous avons engagé nos forces armées au-delà de ce qui était prévu sans en tirer les conséquences. Comme l'a rappelé le chef d'état-major des armées, le général Lecointre, nos forces n'ont pas vocation à être engagées dans la durée, au niveau maximum, 24 heures sur 24. C'est comme pour un véhicule : si vous utilisez votre voiture au maximum de ses capacités, son usure s'accélère et les délais entre les révisions doivent être réduits. Les contrats opérationnels sont inchangés, alors qu'il n'y a pas une moindre menace d'agressions extérieures.

Deuxième aléa, la trajectoire est construite en euros courants, renvoyant à une actualisation en 2021. Enfin, l'équilibre de la trajectoire repose sur des hypothèses d'exportations concernant notamment le Rafale et l'avion de transport A400M.

Il convient cependant de noter que la sincérité budgétaire de cette trajectoire s'est significativement améliorée par rapport à la précédente LPM. La provision pour les OPEX passera ainsi de 650 millions d'euros en 2018 à 850 millions en 2019 puis 1,1 milliard d'euros en 2020.

À la différence de la précédente LPM, il n'y a plus de recettes exceptionnelles : la prévision est construite sur des crédits budgétaires uniquement - du moins nous le vérifierons au fil des budgets suivants. Enfin, les activités de soutien à l'exportation (Soutex) sont prises en compte.

Le présent projet de loi de programmation militaire répond en outre globalement aux besoins des armées. Les effectifs augmenteront de 6 000 postes, mais l'essentiel des créations sont renvoyées au quinquennat suivant. Par ailleurs, lancé par la ministre, le plan Famille, qui améliore les conditions du personnel, constitue un réel effort.

Les crédits d'équipement s'élèveront à 112,5 milliards d'euros sur la période 2019-2023, soit une moyenne annuelle de 22,5 milliards d'euros, contre 18,3 milliards d'euros en 2018 - soulignons également cet effort. Ils permettront la livraison anticipée de certains équipements, à l'instar du programme Scorpion pour l'armée de terre, ainsi que l'augmentation des cibles prévues dans la précédente programmation, de l'avion de ravitaillement MRTT et de patrouilleurs notamment.

Par ailleurs, une part importante de ces crédits, 22 %, sera consacrée au renouvellement et à la modernisation de la dissuasion nucléaire, et 33 % aux programmes à effet majeur. Quelque 22 milliards d'euros seront consacrés à l'entretien programmé des matériels, soit un montant annuel moyen s'élevant à 4,4 milliards d'euros - un milliard d'euros de plus que dans la précédente LPM. Ces crédits financeront la régénération des matériels, durement éprouvés ces dernières années.

Les crédits consacrés aux infrastructures s'élèveront quant à eux à 7,3 milliards d'euros. Compte tenu de l'importance des besoins, cet effort ne permettra que de stopper globalement la dégradation du parc et non d'en améliorer l'état.

S'agissant de l'innovation, les crédits en faveur des études amont seront portés à un milliard d'euros par an à compter de 2022, contre 730 millions d'euros dans le cadre de la précédente LPM. Ils seront complétés par une enveloppe de 1,8 milliard d'euros par an consacrés à la conception des programmes d'armement majeurs, successeurs du porte-avions Charles de Gaulle, du char Leclerc et le système de combat aérien futur.

Au total, je retiens de ce projet de loi une plus grande sincérité, l'augmentation relativement significative des crédits, même si je regrette que la marche la plus importante ne soit franchie qu'en 2023. Nous devrons veiller à la bonne application de cette LPM et lors de la clause de revoyure de 2021, il conviendra de préciser la trajectoire budgétaire jusqu'en 2025.

Cette loi répare le passé dans la mesure où nous ne mobiliserons pas le maximum de nos moyens et prépare l'avenir, sous réserve de la concrétisation des engagements au-delà de 2022... Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à son adoption, sous réserve de l'adoption des amendements que je vous présenterai.

M. Jean-François Rapin. - S'agissant des OPEX, la situation internationale change terriblement. Quelle capacité avons-nous à mener d'autres OPEX ? Faudra-t-il abandonner certains théâtres d'opérations actuels ? Est-on en mesure de défendre notre pays ?

M. Michel Canévet. - Merci pour votre exposé qui montre l'effort financier important pour la défense. La trajectoire financière intègre-t-elle des crédits pour faire face à des besoins supplémentaires, comme le service national ? Une partie pourrait relever du ministère des armées.

La modernisation des casernes de gendarmerie relève-t-elle du budget du ministère des armées ou de celui de l'intérieur, et des crédits spécifiques sont-ils prévus ? Plus globalement, les moyens sont-ils suffisants pour répondre aux besoins réels de modernisation des immeubles militaires ? J'ai cru percevoir quelques doutes dans le discours du rapporteur...

M. Marc Laménie. - Merci pour ces informations sur un dossier sensible et un des plus importants financièrement. Le patrimoine immobilier des armées rassemble des surfaces importantes de bâtiments relativement récents. La disparition de régiments aboutit à la fermeture de casernes, dont certaines sont reprises par les collectivités territoriales. Tout n'a pas été vendu - ou parfois à l'euro symbolique. Certes, ces bâtiments généraient un coût d'entretien. Je peux vous donner quelques exemples dans les Ardennes de tels sites militaires. Quelles sont les prévisions inscrites dans la LPM à ce titre ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous indiquer quelles sont les perspectives de la réserve militaire et de la Journée défense et citoyenneté (JDC) ? La LPM en dit-elle davantage sur leur devenir ? Enfin, quelles sont les perspectives d'évolution des effectifs des militaires de l'opération Sentinelle ?

M. Bernard Delcros. - Pouvez-vous expliquer le lien établi entre le graphique de la page 2 de votre présentation et le fait qu'une grande partie des besoins ne seraient pas couverts de manière ferme ?

M. Pascal Savoldelli. - L'article 2 du projet de loi prévoit de porter l'effort national de défense à hauteur de 2 % du PIB d'ici 2025, mais il n'y a là aucune nouveauté : cet engagement a été pris en 2014 lors d'un sommet de l'OTAN au Pays-de-Galles. Cela montre la limite de notre indépendance s'agissant du cadrage financier.

Je suis d'accord avec le rapporteur sur les OPEX : c'est le rôle de la France, il en va de notre place politique. Le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste proposera des amendements.

Le Parlement a un pouvoir de contrôle : nous devons être collégialement informés des conséquences de la privatisation d'activités de défense sur le renseignement et le numérique. Celle-ci est-elle le gage d'une meilleure sécurité publique et d'une plus grande souveraineté ? Nous en débattrons en séance publique car cela dépasse le cadre de la commission des finances. Si cela aboutit à plus de fiabilité, je pourrais faire évoluer mon point de vue...

M. Claude Raynal. - Cette LPM est dans la droite ligne de la précédente et des propositions et du travail réalisés par le ministre Jean-Yves Le Drian, dont l'action et le combat au sein du gouvernement précédent pour obtenir des crédits supplémentaires pour la défense étaient la traduction claire de sa volonté d'avancer. Dans une période où la croissance économique autorise une augmentation significative des dépenses de défense, cela va dans le bon sens. Il est absolument nécessaire que nos armées disposent d'un matériel performant et d'une qualité de vie correcte.

Le groupe socialiste et républicain votera ce projet de loi, avec une réserve - qui ne tient pas au rapport : la plus grande partie de l'effort budgétaire portera sur le mandat présidentiel et législatif suivant. Nous nous inquiétons toujours lorsqu'un effort est prévu tardivement dans une loi de programmation... Nous ne savons pas quelle sera alors la croissance économique. Le rapporteur l'a relevé : ce sont des lois programmatiques... sans nécessairement de traductions budgétaires.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Pour répondre à Jean-François Rapin et Pascal Savoldelli, l'objectif de cette LPM, comme de la précédente, n'est pas d'engager l'intégralité de nos forces 24 heures sur 24. Mais le problème est l'écart entre une sur-activité et un niveau de crédits insuffisant. L'une des faiblesses de cette LPM est que le Gouvernement n'a pas revu les hypothèses d'engagement de nos armées à la hausse pour ne pas en tirer de conséquences financières... Si nous maintenons le niveau d'activité actuel, nous aurons toutes les peines du monde à régénérer nos armées.

Je confirme à Michel Canévet, qu'aucune provision n'est prévue dans la LPM pour le service national. La ministre nous a clairement affirmé que les armées pourraient participer à son financement, mais uniquement sur des moyens nouveaux. Nous y serons vigilants. Nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées déposeront un amendement sur ce sujet, qui n'aura cependant pas de réelle portée normative.

Même si les gendarmes restent sous statut militaire, les crédits relatifs à l'immobilier de la gendarmerie dépendent du ministère de l'intérieur ; rien n'est donc prévu dans la LPM pour les casernes de gendarmerie. Le plan « Famille » prévoit par conséquent une amélioration de l'hébergement des militaires des armées de terre, de l'air et de la marine, mais pas de la gendarmerie.

Pour répondre à Marc Laménie, 500 millions d'euros de recettes issues de cessions immobilières sont prévus dans la LPM - si les ventes se réalisent - et resteront au budget des armées, sous réserve de l'adoption de l'amendement COM-124.

Je partage l'analyse de Pascal Savoldelli, les 2 % du PIB sont un indicateur. Ils peuvent être un objectif, mais si la croissance est en berne, faudra-t-il alors réduire notre effort en faveur des armées ? Cet indicateur mesure l'effort des pays de l'OTAN mais n'a pas d'autre valeur.

Pour répondre à Claude Raynal, les moyens augmentent dans cette LPM, mais si l'effort facial est de 1,7 milliard d'euros par an jusqu'en 2022, l'effort réel est d'1,2 à 1,4 milliard d'euros : il faut en effet déduire l'augmentation de la provision OPEX. Cet effort a en effet été amorcé dans la dernière période de la LPM précédente, mais parce que nous n'avions pas le choix, il fallait abonder les crédits pour entretenir le matériel...

EXAMEN DES ARTICLES

Article 2

Rapport annexé

M. Dominique de Legge, rapporteur. - L'amendement COM-121 porte sur les « liasses », à savoir la documentation technique et certains droits de propriété intellectuelle. Le Service industriel de l'aéronautique (SIAé) ne possède pas un certain nombre de ces documents. Cela revient à acheter une voiture sans que le garagiste dispose du mode d'emploi : elle ne peut pas être réparée. C'est le cas pour certains hélicoptères et l'A400M. Nous pouvons tolérer un délai d'acquisition de ces liasses, mais il faut pouvoir assurer la maintenance de ces aéronefs de manière autonome. Mon amendement rajoute à l'alinéa 173 du rapport annexé : « Afin de conforter les moyens du SIAé et d'assurer son autonomie vis-à-vis des industriels, l'acquisition des "liasses" sera systématisée. » Il en va de la capacité d'intervention de notre propre service.

L'amendement COM-121 est adopté.

Article 5

M. Dominique de Legge, rapporteur. - L'amendement COM-122 exclut du calcul des effectifs globaux de la défense les effectifs du SIAé. Pour des objectifs opérationnels ou politiques, on peut envisager de confier une part plus importante de la maintenance aux industriels privés ; mais il est tout aussi légitime de vouloir que les armées soient plus autonomes... Mon amendement permet d'assurer cette souplesse de fonctionnement.

L'amendement COM-122 est adopté.

Article 10 bis (nouveau)

M. Dominique de Legge, rapporteur. - L'article 10 bis prévoit que les entreprises de moins de 200 salariés peuvent refuser le doublement des jours d'absence des réservistes de cinq à dix jours. L'amendement COM-123 améliore les relations entre les employeurs de réservistes et le ministère des armées et propose de porter ce seuil à 250 salariés, qui correspond aux entreprises de taille intermédiaire (ETI). C'est une mesure de simplification.

Mme Sylvie Vermeillet. - Pourquoi ce seuil n'avait-il pas été retenu précédemment ?

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Cet article a été introduit par un amendement à l'Assemblée nationale, mais le chiffre de 200 est peut-être une erreur...

L'amendement COM-123 est adopté.

Article additionnel après l'article 28

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Mon amendement COM-124 vise à supprimer la décote prévue par la loi Duflot pour les cessions d'immeubles du ministère des armées. Lorsque l'État vend son patrimoine à des collectivités territoriales pour construire des logements sociaux, une décote pouvant atteindre 100 % de la valeur du bien peut s'appliquer. Je ne suis pas favorable au fait de financer deux politiques différentes, celle du logement et celle de la défense, avec une même enveloppe. Allons jusqu'au bout de la sincérité budgétaire. Sortons du dispositif Duflot les cessions réalisées par le ministère des armées.

M. Rémi Féraud. - Cette analyse vaut pour tous les ministères. Votre amendement détricote la loi Duflot sur cette décote qui a eu des effets très positifs à Paris. Je n'y suis pas favorable.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Le projet de LPM prévoit que les recettes des ventes immobilières reviennent au ministère des armées et dans le même temps, un autre texte dispose qu'en cas de vente pour créer des logements sociaux, le ministère ne touche pas la recette... Soyons cohérents ! Il serait contradictoire de ne pas adopter cet amendement.

L'amendement COM-124 est adopté.

Article 37

M. Dominique de Legge, rapporteur. - L'amendement COM-125 prévoit l'abrogation de l'article 48 de la précédente LPM qui permettait des ventes de gré à gré. Selon le Conseil d'État, cela relève du domaine réglementaire et doit être retiré de l'actuelle LPM. Mon amendement est une disposition transitoire en attendant le décret, pour que les armées puissent continuer de céder des biens de gré à gré.

L'amendement COM-125 est adopté.

La commission émet un avis favorable sur le projet de loi dans la rédaction issue de ses travaux.

M. Philippe Dominati, président. - La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées examinera nos amendements demain matin et établira son texte. Le projet de loi sera discuté en séance publique à compter du mardi 22 mai prochain.

La réunion est close à 15 h 25.