Jeudi 14 juin 2018

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente -

La réunion est ouverte à 08 h 15.

Communication de M. Michel Forissier et Mme Catherine Fournier sur les dispositions intéressant les entreprises du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel

Mme Élisabeth Lamure. - Le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel sera soumis à l'examen du Sénat à partir du 10 juillet. Il comprend un volet sur l'apprentissage qui intéresse particulièrement la délégation aux entreprises, qui a beaucoup travaillé sur ce sujet, sous la houlette de notre collègue Michel Forissier, qui a déposé, avec plusieurs d'entre nous, une proposition de loi en février 2016 visant à développer l'apprentissage comme voie de réussite.

M. Michel Forissier. - Madame la Présidente, mes chers collègues, compte tenu du temps qui nous est imparti, je voudrais vous rappeler tout d'abord brièvement les grands axes du projet de loi, puis la position de notre délégation sur l'apprentissage et l'assurance chômage étendue aux démissionnaires, avant de conclure par des observations personnelles et des points de vigilance.

Le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel devait initialement se limiter à trois volets : la formation professionnelle, l'apprentissage et l'assurance chômage. Mais trois autres s'y sont ajoutés : la lutte contre le travail illégal et les fraudes au détachement, l'emploi des travailleurs handicapés, et l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Le texte initial comptait 66 articles, soit plus de 130 pages de dispositions législatives. Environ 1 400 amendements ont été déposés lors de son examen fin mai par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, et 300 environ ont été adoptés, dont 16 articles additionnels, soit au total 150 pages de dispositions techniques. Le texte est débattu depuis lundi en séance publique à l'Assemblée nationale, pour un vote solennel prévu mardi 19 juin.

Mme Catherine Fournier. - Je me propose par conséquent de vous présenter les grands axes du texte pour chaque volet.

Le volet du projet de loi relatif à la formation professionnelle fait suite à l'accord national interprofessionnel du 22 février dernier. S'il reprend une partie du contenu de cet accord, il s'en démarque sur plusieurs points importants.

S'agissant de la gouvernance du système de formation professionnelle, le projet de loi propose de créer une agence unique, dénommée France compétences, placée sous la tutelle du ministre du travail, en remplacement des instances paritaires et quadripartites que sont le Cnefop (Conseil National de l'Emploi, de la Formation et de l'Orientation Professionnelles), le Copanef (Comité interprofessionnel pour l'emploi et la formation) et le FPSPP (Fonds Paritaire de Sécurisation des Parcours Professionnels).

Concernant le financement de la formation professionnelle, le projet initial prévoyait la fusion de la contribution des entreprises à la formation professionnelle et de la taxe d'apprentissage en une contribution unique. En commission, l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui revient sur ce point : les deux contributions ne seraient plus fusionnées mais plutôt regroupées.

Le projet de loi prévoit aussi une évolution du rôle des organismes paritaires collecteurs agréés (Opca), qui sont appelés à devenir des opérateurs de compétences, ou Opco. Les OPCA ne seraient plus chargés de collecter les contributions, cette mission étant transférée aux Urssaf, mais ils devraient en contrepartie recentrer leurs missions sur l'accompagnement des entreprises. Bien qu'elle constitue en apparence une rupture importante, cette mesure va en fait dans le sens d'évolutions déjà engagées depuis de nombreuses années. Le Gouvernement, même s'il s'en défend, envisage de diminuer le nombre de ces organismes paritaires selon des logiques de filières et dans des délais qui ont été raccourcis par l'Assemblée nationale.

La monétisation du compte personnel de formation, ouvert pour tout actif, constitue une des mesures phares du projet de loi et s'écarte expressément de l'accord conclu entre partenaires sociaux. Les droits inscrits au compte personnel de formation (CPF) seraient comptabilisés en euros et non plus en heures. Le montant de l'alimentation du compte doit être précisé, mais on peut craindre qu'il conduise à une baisse des droits pour les salariés.

M. Michel Forissier. - S'agissant du volet consacré à l'apprentissage, il est tout d'abord proposé d'assouplir le statut de l'apprenti. L'enregistrement du contrat d'apprentissage sera en effet remplacé par une simple procédure de dépôt auprès des opérateurs de compétences. L'entrée en apprentissage sera possible jusqu'à l'âge de 29 ans révolus et la durée de l'apprentissage pourra se moduler en fonction des acquis de l'apprenti. Sa durée maximale de travail pourra être portée à quarante heures par semaine. La rupture du contrat ne fera plus intervenir obligatoirement le conseil de prud'hommes.

Le régime juridique des CFA est lui aussi profondément modifié. Ils deviendront des organismes de formation de droit commun, sous réserve de leurs spécificités en matière d'enseignement et d'accompagnement. Ils seront librement créés, sans l'aval des régions, sur simple déclaration d'activités. Ils seront financés au contrat par les opérateurs de compétences et le coût de prise en charge par contrat sera déterminé par les branches professionnelles.

Une aide unique aux employeurs d'apprentis sera créée en remplacement des primes régionales pour l'apprentissage, de l'aide pour l'emploi d'apprentis handicapés ainsi que du crédit d'impôt en faveur de l'apprentissage.

Les régions perdront donc leur compétence de droit commun en matière d'apprentissage. Elles pourront toutefois, au titre de l'aménagement du territoire et du développement économique, soutenir les CFA en majorant la prise en charge fixée pour chaque contrat d'apprentissage et en leur attribuant des subventions pour leurs dépenses d'investissement. Le Gouvernement a annoncé que ces deux enveloppes seraient respectivement portées à 250 millions et 180 millions d'euros par an.

Les compétences des régions seront en outre renforcées en matière d'orientation professionnelle des élèves et étudiants. Elles se verront en effet transférer une partie des missions de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep) et pourront, à titre expérimental, bénéficier du concours d'agents du ministère de l'Éducation nationale.

Quant à l'assurance chômage, le projet de loi poursuit quatre objectifs.

Tout d'abord, il étend l'assurance chômage aux démissionnaires qui ont élaboré au préalable un projet professionnel réel et sérieux, ainsi qu'aux indépendants sous de strictes conditions : ne seront concernés que les indépendants en liquidation, ou en redressement imposant le départ du dirigeant, ainsi que les indépendants qui perdent leur statut de conjoint associé. Ils pourront bénéficier d'une allocation spécifique, financée par l'impôt, de 800 euros par mois pendant six mois, si leur revenu d'activité était inférieur à 10 000 euros l'année précédente.

Ensuite, le texte permettra au Gouvernement de créer à compter du 1er janvier 2019 un bonus-malus pour lutter contre l'abus de contrats courts si les négociations de branche n'aboutissent pas avant cette date.

Troisièmement, la négociation de la convention d'assurance chômage sera encadrée par une feuille de route du Premier ministre, afin notamment d'obliger les partenaires sociaux à lutter contre la dette de l'assurance chômage, qui devrait atteindre 35 milliards d'euros en 2019.

Enfin, le texte rénove les règles du contrôle des obligations des demandeurs d'emploi, en expérimentant un journal de bord consignant leur recherche d'emploi, en simplifiant le contenu de l'offre raisonnable d'emploi, et en donnant à Pôle emploi pleine compétence pour sanctionner les manquements des demandeurs d'emploi, selon un barème rénové.

J'en viens maintenant plus rapidement aux trois volets qui ont été ajoutés au noyau dur du texte.

Tout d'abord, plusieurs articles renforcent notre arsenal juridique pour lutter contre les fraudes au détachement, en prévoyant par exemple la suspension d'activité d'un prestataire qui n'a pas payé ses amendes administratives. Les inspecteurs du travail bénéficieront également d'un droit de communication renforcé dans le cadre de leurs missions de lutte contre le travail illégal, sur le modèle de celui accordé aux agents du fisc.

Mme Catherine Fournier. - S'agissant de l'emploi des personnes handicapées, je souhaite attirer l'attention de notre délégation sur trois dispositions particulières, qui, bien que peu connues, ne manqueront pas d'avoir un impact déterminant. L'obligation d'emploi de travailleurs handicapés est profondément remaniée, dans un sens assez largement favorable à l'entreprise. Le statut de l'entreprise adaptée est entièrement refondu et rapproché du droit commun. Enfin, l'impératif d'accessibilité numérique de services de communication en ligne est nuancé. La concertation entre les acteurs du secteur ayant pris fin la semaine dernière seulement, un très grand nombre d'amendements pourraient être présentés au Sénat sur ce thème.

Quant à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, quelques dispositions sur la mesure des écarts salariaux complèteront utilement l'arsenal juridique dédié à ce louable objectif, même s'il me faut mettre en garde contre les risques de normes exclusivement punitives dans ce lent processus d'évolution des mentalités.

M. Michel Forissier. - Je voudrais maintenant vous rappeler la position de notre délégation sur l'apprentissage et l'assurance chômage.

Nous avions déposé le 10 février 2016 avec un certain nombre de nos collègues de la délégation de l'époque, dont la présidente Élisabeth Lamure, une proposition de loi visant à développer l'apprentissage comme voie de réussite.

Cette proposition de loi assouplissait tout d'abord le statut de l'apprenti pour simplifier les démarches des entreprises. Je peux citer notamment l'autorisation du travail de nuit de l'apprenti en présence de son maître d'apprentissage, l'entrée en apprentissage possible dès 15 ans, la simplification de la rupture du contrat ou encore la modulation de la durée de l'apprentissage.

Nous avions affirmé le principe de la libre création de centres de formation d'apprentis (CFA) exclusivement financés par des ressources privées.

Notre proposition de loi consacrait également le rôle des régions en matière d'apprentissage.

Un pacte national pour l'apprentissage, signé par l'État, les régions, les chambres consulaires et les partenaires sociaux, devait définir des objectifs nationaux et détailler les engagements de chaque acteur.

La région devait arrêter la carte des formations, coordonner l'action de l'inspection de l'apprentissage et se voir transférer les centres d'information et d'orientation (CIO) de l'Éducation nationale. Nous souhaitions également initier à terme un rapprochement entre les CFA et les lycées professionnels, sous l'égide des régions.

Nous avions en outre renforcé les actions d'information sur les métiers et les parcours dans les établissements scolaires. Les enseignants devaient aussi être formés au monde de l'entreprise. Nous avions également prévu la co-construction des diplômes par l'État et les branches professionnelles.

En définitive, le projet de loi reprend un certain nombre des mesures que nous avions défendues. C'est le cas pour l'assouplissement du statut de l'apprenti avec la simplification de la rupture du contrat et la possibilité de moduler la durée de l'apprentissage. Toutefois, la possibilité d'entrée en apprentissage dès 15 ans et la déconnexion de la rémunération de l'apprenti par rapport à son âge ne figurent pas dans le projet de loi.

Concernant les CFA, nous proposions une liberté de création limitée aux CFA privés. Elle sera la règle pour tous les CFA dans le texte. Par ailleurs, l'obligation de formation des maîtres d'apprentissage n'est pas proposée.

En outre, la principale différence à relever réside dans le rôle des régions en matière d'apprentissage. Nous renforcions leurs missions et consacrions leur rôle dans le cadre d'un pacte national réunissant tous les acteurs de l'apprentissage dont la région, chef de file. Le projet de loi réduit considérablement les compétences des régions au profit des branches professionnelles et d'une régulation par l'État.

Enfin, si les propositions du Gouvernement rejoignent les nôtres s'agissant du renforcement du rôle des régions en matière d'orientation, notamment par l'expérimentation du transfert des CIO, nos propositions allaient plus loin. Nous proposions par exemple une formation des enseignants au monde de l'entreprise et l'association des acteurs de l'apprentissage à la mise en oeuvre du parcours individuel d'information.

J'en viens maintenant à l'allocation des travailleurs indépendants. Lors de la troisième journée des entreprises organisée par notre délégation le 29 mars dernier, les travailleurs indépendants ont exprimé leur dépit face aux règles restrictives proposées par le Gouvernement. Le rapport de notre collègue, M. Olivier Cadic, sur le cycle de vie de l'entreprise, a ainsi estimé que « réserver cette indemnisation aux seuls cas de liquidation judiciaire serait enfermer l'entrepreneuriat dans l'échec, au lieu d'encourager la prise de risque et de donner le droit à une capacité de rebond. Cette extension est aujourd'hui nécessaire à la promotion de l'entrepreneuriat dans notre pays ».

Je voudrais pour conclure vous présenter quelques observations personnelles et identifier des points de vigilance.

J'observe tout d'abord que le Gouvernement entreprend une profonde réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle sans avoir mené un travail d'expertise impartial, global et public sur le système actuel.

Ma deuxième observation concerne la concertation avec les partenaires sociaux, qui est réelle mais demeure perfectible. L'annonce par la ministre d'un big bang sur le financement de la formation professionnelle le jour même de la signature de deux accords nationaux interprofessionnels a été mal vécue par plusieurs partenaires sociaux.

Enfin, il est difficile de se faire une idée précise de la portée de plusieurs mesures emblématiques du texte, car elles seront définies par décret dont nous ne connaissons toujours pas les grandes lignes.

Sur le fond, l'accélération du calendrier de la transformation des OPCA en opérateurs de compétences, ainsi que les incertitudes sur le rôle exact de France compétences suscitent des interrogations chez les acteurs de la formation professionnelle.

S'agissant de l'apprentissage, les régions ont manifesté leur mécontentement à la suite de la perte de leur compétence de chef de file. On ne peut que s'interroger sur leur volonté de continuer à soutenir une politique publique sur laquelle elles n'auront plus de réelle compétence. Nous nous interrogeons également sur les montants qui leur seront attribués en matière d'aménagement du territoire : ils apparaissent limités pour soutenir par exemple des petites structures en milieu rural.

Par ailleurs, le financement au contrat inquiète les CFA, car le périmètre des coûts qui seront pris en compte par les branches professionnelles n'est toujours pas défini. Le texte se contente de prévoir que les opérateurs de compétences assureront le financement des contrats d'apprentissage selon le niveau de prise en charge fixé par les branches professionnelles. Il nous parait important que cette prise en charge soit exhaustive, prenant en compte l'ensemble des missions assignées aux CFA et qu'elle soit adaptée aux différentes formations et aux spécificités des territoires.

Je regrette également l'absence de réforme globale de l'alternance, car je pense que la dichotomie qui perdure entre CFA et lycées professionnels n'est pas justifiée, si ce n'est pour des raisons que je serais tenté de qualifier d'idéologiques.

Enfin, la réforme de l'assurance chômage se heurte à l'opposition de plusieurs partenaires sociaux, car ils considèrent que le paritarisme de décision et de gestion est remis en cause, d'autant que l'État serait à leurs yeux co-responsable de l'existence de la dette de l'Unédic. L'assurance chômage risque de se transformer à terme en un système dit « beveridgien », dans lequel la logique assurantielle serait remplacée par une logique universelle, avec comme corollaire une baisse des allocations.

C'est à la lumière de ces constats que nous examinerons le texte en commission le 27 juin prochain, et en séance publique la semaine du 9 juillet.

Mme Élisabeth Lamure. - Merci pour cette présentation qui souligne quelques points positifs, mais exprime aussi des regrets et des interrogations. Toutes les préconisations de notre délégation ne se retrouvent pas dans le texte du projet de loi.

M. Antoine Karam. - Pour avoir été à la tête d'un exécutif régional, je souhaiterais faire part de mon inquiétude quant à la perte de compétence des régions sur l'apprentissage. Ma région a créé deux CFA, accolés aux Chambres des métiers, qui sont en grandes difficultés financières. L'État et la région sont obligés de contribuer et je ne pense pas que les entreprises puissent prendre le relai. En mettant les régions de côté, on risque de laisser plonger les CFA, or l'apprentissage doit absolument se développer.

Mme Élisabeth Lamure. - Cette situation est-elle propre à la Guyane ?

M. Richard Yung. - Il me semble normal que les entreprises s'engagent financièrement pour l'apprentissage, sur le modèle allemand que nous avons pu approcher avec Michel Forissier.

M. Antoine Karam. - C'est certain que les 6 000 artisans guyanais ont peu de moyens. Je ne peux parler des départements que je ne connais pas.

M. Michel Canevet. - Dans mon département, le Finistère, le budget de fonctionnement de la Chambre des métiers qui gère un CFA est équilibré. Nous avons vraiment besoin de développer l'apprentissage dans notre pays, et de relancer l'alternance : nos déplacements attestent de difficultés croissantes de recrutement. Il faut notamment accentuer les mesures de souplesse pour s'adapter aux spécificités de chaque métier, par exemple ceux de la pêche. En outre, je souhaite rappeler que le taux de chômage des personnes handicapées est deux fois supérieur au taux moyen et que nous devons donc accentuer nos efforts pour réduire ce taux. L'État devrait être exemplaire en la matière mais n'emploie que 3,7 % de personnes handicapées.

Mme Anne Chain-Larché. - Les régions ayant la compétence du développement économique peuvent mettre en rapport offre et demande d'emplois, donc doivent absolument être chef de file sur l'enseignement en alternance. Ayant également fait partie d'un exécutif régional, il me semble primordial de simplifier les réglementations pour faciliter l'accès des jeunes aux CFA. Je ne vois aucune logique à retirer aux régions la responsabilité de décider de l'implantation des CFA.

Mme Martine Berthet. - Le rôle des régions est également central dans l'orientation et dans les liens entre CFA et lycées professionnels. Je soutiens également le fait qu'il faut plus de souplesse dans les règlementations, notamment sur le niveau de rémunération de l'alternance dans les différents métiers.

Mme Nelly Tocqueville. - L'assurance chômage serait étendue aux démissionnaires dont le projet professionnel serait évalué sur son caractère « réel et sérieux » : je m'interroge sur le caractère subjectif de cette notion. D'autre part, la VAE (Validation des Acquis de l'Expérience) est-elle mentionnée dans le projet de loi ?

M. Éric Jeansannetas. - Dans ma région Nouvelle-Aquitaine, il importe de ne pas juger l'opportunité de l'implantation d'un CFA sur la seule rentabilité de la formation. Le rôle des régions est pour cela essentiel.

M. Michel Vaspart. - Je suis également inquiet que la région ne soit pas chef de file. Je suis très favorable à donner un plus grand rôle aux branches professionnelles mais je ne comprends pas, dans ce schéma, qui gèrera les nombreux CFA qui sont multi-branches.

M. Gilbert Bouchet. - Je regrette que l'âge d'entrée en apprentissage ne soit pas abaissé. C'est très dommage pour les jeunes de 15 ans.

M. Michel Forissier. - Vos questions attestent d'une vue partagée au Sénat et réaliste sur les difficultés à venir. Tout se construit en ce moment, on ne peut tirer de conclusions aujourd'hui. Madame Fournier et moi-même avons le même ressenti que vous en ce qui concerne la compétence des régions. Notre objectif est de les associer comme codécisionnaires aux branches professionnelles, en partenariat, sur un pied d'égalité. La masse financière reste inchangée, mais les tuyauteries changent : en France aujourd'hui, l'apprentissage est financé par un impôt sur les entreprises mais ceux qui bénéficient de l'apprentissage ne sont pas ceux qui ont payé cet impôt. Aujourd'hui, un tiers des apprentis est formé par les chambres des métiers or elles disparaissent dans le nouveau schéma. En outre, il faut financer la formation des maîtres d'apprentissage. Il faut observer que la partie réglementaire de ce texte et celle renvoyée aux ordonnances est très importante ; nous demandons donc quelles seront les orientations des décrets. Un point positif : un amendement reconnaissant les écoles de production a été accepté par le Gouvernement. En ce qui concerne les CFA, tous les lycées professionnels peuvent en ouvrir : il va donc falloir trouver des outils de régulation, or aucun n'est prévu à ce stade. Pour établir une carte des formations, les régions doivent avoir des compétences partagées avec les entreprises et dialoguer avec elles de manière constructive. Nous souhaitons également mettre en avant la différence entre la notion de « préparation à l'apprentissage » et de « préparation au métier » : de plus en plus, il peut y avoir des changements de métiers au cours d'une carrière donc il importe de préparer les jeunes à l'apprentissage et au monde du travail en leur fournissant le socle de base permettant de changer de métier. Cette préparation à l'apprentissage pourrait se faire sous statut d'élève. L'Éducation nationale doit se rapprocher de la formation professionnelle. Pour finir, je précise à Mme Tocqueville que le sérieux du projet des démissionnaires sera évalué par une commission interprofessionnelle régionale.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Je regrette la dichotomie qui existe entre l'Éducation nationale et les lycées professionnels. Il est dommage que ce projet ne soit pas intégré à la réforme des lycées professionnels portée par le ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer. Les défauts de l'orientation restent à corriger pour valoriser l'apprentissage.

Mme Catherine Fournier. - C'est pourquoi nous souhaitons que les fonctionnaires de l'Éducation nationale en charge de l'orientation passent sous l'autorité des régions, en attendant une réforme. Les branches professionnelles doivent travailler d'ici octobre pour rendre possible une affectation dans les Opco (opérateurs de compétences) d'ici janvier, ce qui nous semble précipité. Concernant les personnes handicapées, il manque des passerelles entre les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) qui les accueillent et les entreprises, mais le financement de leur CPF sera bonifié à plus de 50 %.

L'individualisation du compte professionnel du salarié et son universalisation me semblent utopiques : une co-construction du projet professionnel entre l'entreprise et le salarié dans l'intérêt de ce dernier sera-t-elle possible pour tous les actifs ? Voici les diverses pistes sur lesquelles nous travaillons.

Compte-rendu, par M. Éric Jeansannetas, du déplacement de la délégation dans la Creuse le 25 mai 2018

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je donne la parole à M. Éric Jeansannetas pour le compte-rendu du déplacement de la Délégation en Creuse, où nous avons vu de très belles entreprises, malgré quelques difficultés de transport dues à la grève.

M. Éric Jeansannetas. - Madame la Présidente, mes chers collègues, je suis heureux que la délégation aux entreprises ait accepté mon invitation à venir en Creuse pour découvrir la variété des entreprises de ce département. Je remercie particulièrement la présidente ainsi que nos collègues qui nous ont accompagnés : Guillaume Arnell, Michel Canevet, Sébastien Meurant, et Nelly Tocqueville, ainsi que Jean-Marc Gabouty et Claude Nougein, qui nous ont rejoints en voisins.

Nous avions un programme ambitieux pour cette journée : trois visites d'entreprises - Microplan, Atulam et TIGR - et une table ronde à Guéret. Nous avons suivi ce programme au pas de course, les grèves de train ayant sensiblement retardé notre arrivée sur place. Nous avons d'abord été accueillis chez Microplan France à La Forêt-du-Temple qui compte 150 habitants. Profitant d'une mine en granit située sur la ligne de chemin de fer Guéret-La Châtre, la société, qui s'appelait alors Ateliers Maître, est créée en 1924 pour fabriquer des pavés de rue. Elle évolue pour se spécialiser dès les années 1970 dans la métrologie, c'est-à-dire la science de la mesure. Depuis plus de 40 ans, cette entreprise fabrique des supports en granits de grandes dimensions parfaitement plans, pour les appareils de mesure ou de production de très grande précision. Elle a été rachetée en 1991 par le groupe italien Microplan, société spécialisée dans les réalisations en granit de grandes dimensions, avec un savoir-faire technologique élevé, ce qui a permis à l'entreprise de monter en puissance dans son secteur, tout en diversifiant ses activités : éléments métrologiques en granit mais aussi usinage de matériaux, structures en granit reconstitué, systèmes de micro-positionnement, éléments métrologiques en céramique... À la pointe de l'innovation, Microplan France travaille en effet aujourd'hui à la céramique, matériau deux fois plus stable que l'acier et cinq fois plus rigide que le granit.

L'outil industriel que nous avons pu découvrir permet le sciage au fil diamanté des blocs de granit brut, leur débitage, fraisage, rectification, polissage, perçage et enfin rodage et polissage à la main. Les installations sont impressionnantes (l'usine occupe une surface de 8 000 m²) : les blocs de granit ainsi travaillés ont des dimensions supérieures à 4m x 2m.

Les produits de Microplan France sont critiques car indispensables pour le contrôle des instruments de mesure de haute précision, essentiels dans la recherche et les industries de haute technologie. L'entreprise compte ainsi parmi ses clients des grands noms comme Nikon, Apple, EADS ou Safran et des grands centres de recherche comme le CERN ou le CEA de Saclay. Microplan France est donc l'un des leaders mondiaux dans cette industrie de pointe, en particulier pour la fabrication de pièces de grandes dimensions, et la seule entreprise en France sur ce secteur. Elle emploie 46 personnes pour un chiffre d'affaires de 5,4 millions d'euros, dont 60 % réalisé à l'export.

Dépassant les difficultés liées aux réseaux routier et de communications dans cette zone très rurale, Microplan France doit donc sa réussite à sa capacité d'innovation, mais également à son positionnement de niche, une caractéristique partagée avec la deuxième entreprise que nous avons visité, la société Atulam, située à Jarnages.

Atulam est une entreprise spécialisée dans la fabrication de menuiseries en bois sur mesure et la restauration de portes et fenêtres en bois. Cette entreprise, qui a plus de 50 ans, emploie 130 salariés pour un chiffre d'affaires de 16 millions d'euros en 2017.

L'entreprise s'est positionnée dans les années 2000 sur la fenêtre bois haut de gamme. Elle a innové en proposant des fenêtres déjà peintes : la peinture du bois qu'elle applique, et qu'elle achète à un fournisseur allemand, est garantie 12 ans, et serait capable de durer 25 ans selon le directeur, mettant à mal les idées reçues sur le défaut de durabilité ou la lourdeur d'entretien du bois. L'immense atelier de 10 000 m² que nous avons visité permet la création de fenêtres en bois sur mesure, depuis la conception et la réalisation jusqu'à l'application de divers traitements et protections, puis de peinture au robot, avant séchage final.

Ce savoir-faire unique, qui allie la qualité d'un travail artisanal à la puissance d'un outil industriel, a permis à Atulam de se démarquer sur le marché de la rénovation haut de gamme : Atulam a ainsi réalisé des chantiers de prestige comme l'École des Ponts-et-Chaussées ou le siège du groupe Dassault. L'entreprise affichait en 2015 une croissance d'activité de l'ordre de + 8 % et a réalisé 5 millions d'euros d'investissement dans son outil industriel entre 2014 et 2016.

Après ces belles découvertes, nous avons pu échanger avec des entreprises du bassin Creusois lors d'une table ronde à Guéret. Les entrepreneurs ont déploré leurs difficultés de recrutement dans un territoire qui souffre d'un défaut d'attractivité. La carence de main d'oeuvre est particulièrement sensible sur des postes techniques, attestant de manquements significatifs dans la formation professionnelle et l'apprentissage, sujets familiers de la Délégation, mais aussi sur des postes d'encadrement (RH, achats...). Les prestataires commerciaux font aussi défaut : trop peu d'agences d'entretien, de maintenance ou de vidéo surveillance en Creuse. Ces difficultés freinent la montée en puissance des entreprises.

Les entrepreneurs ont aussi déploré le manque d'infrastructures en Creuse (routes, réseaux de téléphonie mobile et internet) et l'éloignement, à l'origine des surcoûts, alors que les taxes dont ils s'acquittent sont identiques voire supérieures à celles des zones d'activités urbaines ultra-connectées. Certains transporteurs refusent de se rendre dans le sud de la Creuse car la faible densité d'entreprises dans cette zone en rend la desserte non rentable pour eux.

La question des délais de paiement a encore une fois été évoquée, les entreprises ayant trop souvent le sentiment de jouer le rôle de banquier. La paperasserie administrative a de nouveau été déplorée, les mêmes contraintes s'imposant à toutes les entreprises sans égard à leur taille, et plusieurs ont souligné la complexité des procédures, notamment en matière de TVA différenciée selon les produits ; les nouvelles contraintes ont été dénoncées, notamment celles qu'imposent la protection des données et, bientôt, le prélèvement à la source. Nouveauté : nous avons entendu un des entrepreneurs évoquer la question de l'objet social de l'entreprise avec anxiété. Le projet de loi PACTE devrait nous conduire à revenir sur cette question.

Une particularité creusoise a été soulignée : la fréquence des contrôles que les entreprises subissent de la part de l'administration. La population d'entreprises étant réduite dans mon département, l'administration a en effet le loisir de les contrôler très régulièrement... En tout cas, nous avons pu entendre que la Creuse se distinguait par l'existence d'un guichet unique pour les entreprises : la maison de l'économie et de la formation, qui semble fonctionner de manière satisfaisante depuis sa création il y a trois ans, et qui regroupe acteurs publics et privés (Pôle Emploi, Mission locale, chambres consulaires, banques...).

La question de l'attractivité était bien entendu au coeur des débats. Certains entrepreneurs ont appelé au lancement d'un grand projet avec le soutien de l'État, comme le Laser mégajoule récemment installé près de Bordeaux. Le représentant du préfet, en charge du projet pilote de revitalisation du bassin d'emplois de la Creuse, mis en place après la fermeture de GM&S, a estimé pour sa part qu'un grand projet ne résoudrait pas tout, ni même une gare TGV ou une autoroute : il travaille à accompagner une dynamique qui vienne du territoire, en favorisant l'éclosion de plein de petits projets. Mais il se confronte également aux difficultés de recrutement, même pour Pôle Emploi, et c'est un comble ! Il a observé que l'inadéquation entre offre et demande d'emplois est une problématique locale mais aussi nationale, qui doit conduire à mieux impliquer les branches professionnelles dans la formation. Surtout, il explique qu'attirer des emplois en Creuse demande aussi de répondre à la demande d'emploi des conjoints, à la nécessité d'un accès Internet, aux besoins en éducation, santé, loisirs...

Après ces riches échanges, nous sommes partis vers La Souterraine pour découvrir l'entreprise TIGR, spécialisée dans la fourniture de solutions de chauffage, de réfrigération ou de climatisation industriels. Cette entreprise compte 45 salariés sur ses deux sites, dont 35 sur le site de Saint-Maurice que nous avons visité.

Si l'entreprise conçoit et fabrique des chaufferies préfabriquées depuis 1999, c'est son rachat par deux salariés en 2009 qui marque la montée en puissance de la société, dont les installations sont passées de 2000 à plus de 3000m² en six ans et dont le chiffre d'affaires atteint presque 8 millions d'euros. Cette évolution correspond à celle du marché de l'énergie qui pousse l'entreprise à diversifier ses compétences. Ainsi, aux chaufferies au gaz et au fioul des origines, s'ajoutent aujourd'hui des chaudières mixtes gaz/solaires, des chaudières thermiques au biogaz ou aux granulés de bois. L'entreprise s'est par ailleurs spécialisée dans les réseaux de chauffage urbains sur lesquels elle est leader, comme dans les chantiers sur mesure de haute précision : elle a ainsi fourni la solution de climatisation de la chapelle Sixtine ou des usines Rolex. TIGR s'engage en outre dans une démarche de haute qualité environnementale dans le suivi et la réparation des modules préfabriqués qu'elle loue et vend.

J'ai été très heureux de présenter ces belles réussites à mes collègues. J'espère qu'ils auront apprécié la journée et découvert avec plaisir tout le potentiel de mon département, dont les entrepreneurs volontaires et soudés sont très attachés à leur territoire et se battent malgré les difficultés.

Mme Élisabeth Lamure. - Effectivement, nous avons pu ressentir l'affirmation d'une forte identité. Ils se battent autant pour leur lieu de vie que pour leur entreprise.

M. Michel Canevet. - Merci beaucoup pour la qualité de l'accueil qui nous a été réservé. Nous avons vu de belles entreprises, positionnées sur des niches, très exportatrices, avec un niveau d'automatisation élevé qui m'a surpris, je le reconnais. Le très haut débit et le désenclavement sont effectivement vitaux : l'aménagement du territoire se fait à ce prix.

Mme Martine Berthet. - À l'écoute du compte-rendu, je regrette d'autant plus de ne pas avoir eu la possibilité de me joindre à ce déplacement. J'entends que la Creuse souffre de difficultés de recrutement, mais quel est son taux de chômage ?

M. Éric Jeansannetas. - Le taux de chômage y est du niveau national. Le salariat s'y distingue par sa loyauté et sa fidélité si bien que les effectifs sont souvent stables. Mais la Creuse exporte aussi ses talents !

La réunion est close à 10 h 30.