Mercredi 6 mars 2019

- Présidence de MM. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et Ladislas Poniatowski, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Impact du Brexit sur le secteur du médicament - Audition de MM. Rachid Izzar, président, et Philippe Mourouga, directeur des affaires publiques, des affaires économiques, juridiques et communication - AstraZeneca France

M. Jean Bizet, président. - Monsieur le président, Monsieur le directeur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour évoquer un enjeu parfois sous-estimé du Brexit : son impact sur le secteur du médicament. Pour approfondir cette question, nous recevons MM. Rachid Izzar, président, et Philippe Mourouga, directeur des affaires publiques, des affaires économiques, juridiques et communication d'AstraZeneca France, que je remercie pour leur présence.

AstraZeneca est un groupe pharmaceutique européen de taille mondiale, qui est né de la fusion en avril 1999 du suédois Astra et du britannique Zeneca. AstraZeneca France est la 2e filiale européenne du groupe et compte 1000 collaborateurs.

Si le siège du groupe est à Londres et son centre de recherche à Cambridge, une partie importante de sa production se fait sur le sol français. Ainsi, votre site industriel de Dunkerque est un site de référence mondial pour la production de médicaments inhalés.

Votre entreprise est donc concernée au premier chef par le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. A l'occasion de son audition en mai dernier, M. Patrick Errard, président de l'organisation professionnelle des Entreprises du médicament (LEEM), nous avait déjà alertés sur les difficultés prévisibles dans le secteur du médicament.

En quoi le Brexit risque-t-il d'affecter le fonctionnement de votre groupe pharmaceutique ? Plus largement, dans quelle mesure l'approvisionnement en médicaments et la sécurité des patients risquent-ils d'être menacés par le Brexit ?

Je vous remercie de nous éclairer sur ces questions, à la veille des votes importants qui s'annoncent au Royaume-Uni sur l'avenir de sa relation avec l'Union européenne.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je m'exprime au nom du président de la commission des affaires étrangères et de la défense, M. Christian Cambon, empêché. Nous sommes conscients que le secteur pharmaceutique est un secteur clé. Nous sommes à un moment très important, en pleine incertitude, qu'il y ait accord ou report du retrait britannique. Je vous prie de répondre non seulement pour votre entreprise, mais aussi au titre de votre secteur.

La question des médicaments est surtout sensible au Royaume-Uni, qui importe chaque année 37 millions de paquets de médicaments en provenance de l'Union européenne. Cela peut poser des problèmes, on parle de pénuries. Le gouvernement britannique se prépare, prévoyant notamment des capacités supplémentaires de stockage, et avait demandé aux entreprises de se préparer. Dans votre secteur, quelles mesures concrètes sont prises ? Comment les mettez-vous en place ?

Inversement, n'y-a-t-il pas une sous-estimation du risque, pour l'Union européenne, de certaines pénuries ? Un rapport du Sénat de l'an dernier pointait un risque pour la distribution sur le continent européen de 108 médicaments commercialisés par des laboratoires installés au Royaume-Uni. Où en est-on ?

Une incertitude pèse par ailleurs sur la réglementation du marché du médicament. Elle est à mon avis moins cruciale : no-deal ou non, je ne vois pas pourquoi cela serait si difficile. Malgré tout, il y une instance de réglementation en Angleterre, il y a au niveau européen l'Agence du médicament qui délivre des autorisations de commercialisation... Je suppose que vous vous êtes beaucoup préparés. Comment et quelles sont les difficultés qui se présentent devant vous ?

Enfin, l'industrie pharmaceutique britannique doit-elle craindre une « fuite » des laboratoires implantés au Royaume-Uni ? Vers où ? La question s'adresse aussi directement à vous : envisagez-vous d'installer des laboratoires sur le sol européen, pour des raisons économiques et stratégiques ?

M. Rachid Izzar, président du groupe AstraZeneca France. - Messieurs les présidents, Mesdames, Messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette invitation à nous exprimer sur un sujet très complexe sur le plan technique et qui comporte aussi une forte dimension politique pour les peuples d'Europe. Il nécessite une attention toute particulière en termes de sécurité sanitaire.

Rapidement, en préliminaire, je voudrais situer notre entreprise. AstraZeneca est une entreprise biopharmaceutique guidée par la science et axée sur la recherche, le développement et la commercialisation de médicaments soumis à prescription. Notre entreprise est centrée sur trois domaines thérapeutiques où nous pensons pouvoir apporter une différence significative pour les patients : l'oncologie, les pathologies cardiovasculaires et métaboliques, ainsi que la pneumologie.

Guidés par la science, nous avons pour ambition d'apporter de vrais progrès pour les patients : par exemple, dans le cancer du poumon en doublant la survie, ou par la réduction des risques d'insuffisance cardiaque et de récidives, ou encore dans le respiratoire en évitant que 3 personnes ne meurent chaque jour du fait des complications liées à leur asthme. A cet effet, notre entreprise qui emploie un peu plus de 1 000 salariés, a investi en France près de 50 millions dans des partenariats scientifiques avec des organismes de recherche aussi bien publics que privés.

Cet engagement prend aussi la forme de partenariats avec des entreprises françaises comme celui conclu fin 2018 avec la société Innate Pharma, société de biotechnologies, pour près de 233 millions d'euros et qui intègre également notre accompagnement de cette entreprise sur le marché américain et européen.

Si AstraZeneca est un acteur de dimension mondiale, il demeure profondément européen. Notre siège mondial est basé à Cambridge. Nous avons des centres de recherche et de production en Angleterre, en Allemagne et en Suède, mais aussi en France à Dunkerque. Le site de Dunkerque, où nous investissons 15 millions d'euros annuellement et récemment exceptionnellement 135 millions d'euros, est le premier site de production de médicaments inhalés d'AstraZeneca. Ils sont exportés à 99% dans plus de 40 pays pour un montant de près d'un milliard d'euros.

À l'annonce du résultat du référendum, les actions engagées par AstraZeneca se sont aussitôt fondées sur le pire des scénarios, c'est-à-dire une sortie sans accord car notre objectif premier est de tout faire pour garantir l'approvisionnement des médicaments actuellement disponibles et ainsi éviter toute crise de santé publique.

En premier lieu, nous avons donc pris des mesures spécifiques, notamment : nous dupliquons, en Suède, les essais de contrôle-qualité et les certifications de lots de médicaments actuellement réalisés au Royaume-Uni ; nous transférerons les Autorisations de Mise sur le Marché (AMM) des médicaments dont le titulaire est situé au Royaume-Uni vers un titulaire situé au sein d'un État membre de l'Union Européenne ; et nous assurons des stocks de sécurité de médicaments pour le 29 mars 2019.

Dans le même temps, nous plaidons auprès de l'Union Européenne pour une reconnaissance, à compter du 29 mars 2019, des normes du Royaume-Uni en matière d'analyse des médicaments, dans un esprit de réciprocité par rapport à la position du Royaume-Uni.

Par ailleurs, nous adaptons notre stratégie en matière de transport de marchandises et constituons un stock supplémentaire pour les approvisionnements de l'Union Européenne et du Royaume-Uni afin de prendre en compte les frictions potentielles aux frontières entre les deux zones.

De plus, nous plaidons auprès des gouvernements du Royaume-Uni et des États membres de l'Union Européenne pour la sécurisation rapide des politiques d'immigration qui permettent le maintien de la libre circulation des personnes qualifiées entre le Royaume-Uni et l'Union Européenne. Enfin, nous recherchons les mécanismes qui assurent le maintien de la collaboration scientifique entre l'Union Européenne et le Royaume-Uni après le Brexit.

Aujourd'hui, il est encore difficile de savoir exactement les conséquences du Brexit sur notre entreprise compte tenu du fait que nous ignorons toujours les conditions exactes de la sortie du Royaume Uni. Toute notre énergie se concentre d'abord sur la sécurisation de l'approvisionnement de nos médicaments actuels pour les patients européens et britanniques afin que personne ne puisse être mis en danger. Actuellement, nous estimons la réduction des risques liés à l'approvisionnement en médicaments (par exemple, duplication d'essais de qualité, transfert d'AMM, changements au niveau des procédures douanières et mises à niveau de nos systèmes informatiques) à plus de 45 millions d'euros.

Tant que les négociations sur le Brexit ne seront pas terminées, il sera difficile d'anticiper les coûts définitifs De toute évidence, nous préférerions investir chaque euro et chaque heure consacrées au Brexit à la découverte de nouveaux médicaments, mais notre priorité absolue est de garantir un approvisionnement continu aux patients. Nous avons donc mis en place des groupes de travail chargés d'identifier et d'expertiser les changements à opérer, d'établir des calendriers et des méthodes d'actions pour répondre à ces changements, et de conduire les opérations nécessaires.

Comme je l'ai indiqué, nous avons travaillé et travaillons encore activement à répondre aux exigences réglementaires européennes qui sont liées à la qualité des produits et aux normes de sécurité sanitaire.

Aujourd'hui, nous bénéficions de la lettre du 21 février dernier de la Commission européenne aux agences nationales qui permet que les tests de libération de lots de médicaments effectués au Royaume Uni soient temporairement acceptés au sein de l'Union européenne.

Mme Fabienne Keller. - Pour quelle période transitoire ?

M. Rachid Izzar. - Je ne crois pas qu'il y ait de date limite.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Et à l'inverse, à partir de quand ?

M. Rachid Izzar.  - À partir du 29 mars. Par ailleurs, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a décidé d'accueillir les demandes d'autorisation d'importation. Ces deux mesures nous rendent confiants. C'est une bonne nouvelle de nature à permettre la mise à disposition de nos produits pour les patients. Sur cette partie, je tiens à remercier les administrations et les autorités sanitaires, particulièrement l'ANSM, avec qui les échanges ont été réguliers et approfondis.

Je tiens également à remercier les élus, comme les ministres des affaires européennes et de l'industrie, que nous avons alertés et qui se sont impliqués sur le sujet. Cette audition témoigne de cet engagement. Ils ont contribué utilement à la mobilisation de tous pour la recherche et la mise en oeuvre de solutions adaptées, notamment pour un de nos produits anti-cancéreux.

Parallèlement, nous travaillons également à garantir la fluidité des flux commerciaux afin que les frictions aux frontières, que va générer le rétablissement des contrôles, soient neutres et que le patient soit assuré de la bonne délivrance de son médicament. À cet effet, nous expérimentons de nouvelles lignes de traversées supplémentaires entre le Royaume Uni et l'Europe, en plus de la liaison Douvres-Calais. Sur ce point, il nous reste encore à mener un travail collectif pour lever des inquiétudes.

Ce travail d'aujourd'hui pour ce qui va arriver demain nous engage à vouloir également préserver la science qui fournira les médicaments du futur. Nous sommes donc attentifs à ce que les programmes de recherche, fondamentale comme clinique, ne soient pas remis en cause pour des raisons administratives.

La question qui revient souvent en conclusion est de savoir ce que va faire une entreprise comme AstraZeneca à la suite du Brexit.

Sur un plan économique, il est difficile de mesurer les conséquences de la décision anglaise de sortir de l'Europe et encore plus dans les conditions qui semblent devoir être celles d'un départ sans accord. Il demeure qu'AstraZeneca est une société européenne dont les racines plongent des deux côtés de cette nouvelle frontière : en Angleterre et en Suède. Nous sommes profondément attachés à la construction d'un espace économique et social qui unit tous les peuples d'Europe. Nous pensons qu'il s'agit d'un facteur de paix et de développement pour chacun de nous.

Mme Fabienne Keller. - Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur cette lettre de la Commission et le dispositif dérogatoire mis en place ?

M. Rachid Izzar. - Il s'agit d'une lettre de la Commission, qui s'adresse aux agences nationales et qui donne le cadre légal pour la mise en place de dérogations reconnaissant les tests et le contrôles qualités menés au Royaume-Uni, pour ne pas devoir dupliquer ces tests.

Mme Fabienne Keller. - Les Britanniques ont-ils prévu un tel document ?

M. Rachid Izzar. - Les Britanniques avaient en premier produit un texte similaire, reconnaissant tous les contrôles qualité des Vingt-Sept pour le territoire britannique.

M. Richard Yung. - Cela n'existait pas avant ?

Mme Fabienne Keller. - L'autorité britannique était reconnue.

M. Rachid Izzar. - Avant, nous avions la liberté de circulation. À partir du moment où un pays de l'UE faisait un contrôle de qualité et accordait une certification, celle-ci était automatiquement reconnue pour l'ensemble de l'UE.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Cela ne me surprend pas. Je l'ai déjà dit, il va y avoir des mesures pragmatiques et d'assouplissement. Certes avec des conditions de réciprocité. Mais si vous le voulez bien, monsieur le directeur général, vous n'avez pas répondu aux questions sur le court terme.

M. Jean Bizet, président. - Ce qui préside à nos relations futures, c'est le concept de réciprocité. Votre secteur de la santé est à ce sujet l'un des plus sensibles, et c'est le point que vous souhaitiez voir aborder.

M. Rachid Izzar. - S'agissant du risque de pénurie, les deux lettres de l'ANSM et de la Commission européenne permettent de déroger aux règles d'importation. Nous ne devrions donc pas être confrontés à un risque de pénurie. En revanche, nous ne pouvons écarter un risque de ralentissement lors des passages de frontière. Toutes les parties prenantes doivent être vigilantes sur ce sujet.

Avons-nous sous-estimé le risque ? Là encore, nous ne le pensons pas. Ma réponse eut été toute autre si nous n'avions pas reçu ces deux lettres.

Quant à la question réglementaire, les deux lettres apportent également une réponse.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Restons sur le court terme. Doit-on s'attendre à une augmentation des prix ?

M. Rachid Izzar. - Il n'y aura aucun impact. La méthode de fixation des prix est gouvernementale.

M. Jean Bizet, président. - Il n'y aura peut-être pas de barrière non-tarifaire, mais les États peuvent imposer des barrières tarifaires.

M. Rachid Izzar. - Nous ne l'envisageons pas.

M. Jean Bizet, président. - Le futur accord de libre-échange peut vous les imposer.

M. Rachid Izzar. - Certes, mais à l'heure actuelle nous n'escomptons pas de changement.

M. Pascal Allizard. - Vous nous dites qu'il n'existe pas de risque de pénurie. Quels sont les éléments sur lesquels vous vous appuyez pour l'affirmer.

M. Rachid Izzar. - Nous disposons de stocks de sécurité au Royaume-Uni et de part et d'autre de l'Union européenne. Dans l'optique du Brexit, nous avons ainsi accumulé 6 semaines de stocks au Royaume-Uni et 4 semaines de stocks dans l'ensemble des pays de l'Union européenne. Ces stocks viennent s'ajouter aux stocks de sécurité existants.

M. Jean Bizet, président. - Qui dit stock dit coût !

M. Rachid Izzar. - Cette somme est intégrée dans les 45 millions d'euros dont je vous ai parlé tout à l'heure. Il s'agit de frais de restructuration.

Mme Gisèle Jourda. - Je voulais vous faire part de mon inquiétude. Deux médicaments produits par votre groupe au Royaume-Uni pourraient faire l'objet d'un défaut d'approvisionnement dont le Zoladex utilisé pour le traitement des cancers du sein et de la prostate. 8 000 patients sont concernés. La Secrétaire générale des affaires européennes, Sandrine Gaudin, nous avait indiqué que des travaux avaient été conduits avec l'Agence européenne du médicament afin d'anticiper ce type de risque. Quand on voit les problèmes d'approvisionnement qu'induit un changement de texture ou de conditionnement, on peut s'interroger sur les conséquences d'un Brexit, phénomène de toute autre ampleur. Quel message pouvons-nous adresser à nos concitoyens ? C'est un sujet sensible qui touche au corps et à la santé.

M. Rachid Izzar. - Nous avions en effet une vraie préoccupation avec le Zoladex. Nous nous nous sommes préparés à une duplication des tests dès 2016. Reste que ce médicament est soumis à un processus complexe et que la réalisation des tests nécessite un délai incompressible de 42 mois. De fait, faute de maintien du principe de reconnaissance mutuelle, nous serions confrontés à un risque réel de rupture. Les deux lettres de l'ANSM et de la Commission européenne nous autorisent aujourd'hui à l'importer. Il n'y a donc plus de problème d'approvisionnement compte-tenu de la reconnaissance de la certification britannique.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Le coût de la sortie du Royaume-Uni pour le secteur du médicament est aujourd'hui estimé à 100 millions de dollars. Quelles peuvent être les conséquences sur l'emploi au sein de votre groupe ?

M. Rachid Izzar. - Il y a effectivement un coût pour le groupe. Nous l'avons chiffré à 45 millions d'euros. Mais il n'y aura aucune conséquence sur l'emploi.

M. Richard Yung. - Je reviens sur la question des prix des produits pharmaceutiques. Ils font l'objet d'une discussion avec le Gouvernement. Mais qu'en est-il des taxes ? Les Britanniques quittent l'Union européenne au nom du libéralisme, ils ne devraient donc pas être allants sur la taxation. Mais qu'en est-il de l'autre côté de la Manche ? Je note, par ailleurs, que l'Agence européenne du médicament déménage à Amsterdam.

M. Rachid Izzar. - Rien ne se fera sans l'Agence européenne du médicament. Je laisse Philippe Mourouga détailler le mécanisme de fixation des prix.

M. Philippe Mourouga, directeur des affaires publiques, des affaires économiques, juridiques et communication - AstraZeneca France. - Comme vous l'avez indiqué, le prix d'un médicament en France est négocié avec les autorités de santé. Au préalable, avec la Haute autorité de santé (HAS), cette négociation est abordée sous deux angles : son apport scientifique et sa valeur économique. L'innovation que le médicament représente et le marché dans lequel il s'insère sont étudiés. Il n'y aura donc pas d'impact du Brexit sur les règles de négociations des prix.

M. Richard Yung. - Et il n'y a donc pas de prix unique au niveau européen.

M. Philippe Mourouga. - L'autorisation de mise sur le marché est transmise à l'ANSM par l'Agence européenne du médicament. C'est ensuite à l'HAS d'évaluer le médicament et son prix en fonction du taux de remboursement, de l'intérêt du médicament pour le système de santé et de son aspect novateur. La négociation s'appuie sur une comparaison avec les prix existants et prend bien évidemment en compte ce que nous demandons et le coût pour la solidarité nationale. La fixation du prix est, en tout état de cause, disjointe de la question des taxes.

M. Ladislas Poniatowski, président. - J'aimerais rester sur la question des prix. Vous nous avez rassurés sur l'approvisionnement pour les malades. Mais il y aura un changement pour eux, ce sera le prix ! Votre groupe sera hors UE après le 29 mars. Si le Royaume-Uni reste dans une union commerciale, il n'y aura pas de changement de prix. Mais si vous êtes un partenaire extérieur, le prix ne sera pas le même pour le malade ! Il y aura une taxe en plus !

M. Rachid Izzar. - Nous appelons de tous nos voeux au maintien d'une union douanière avec le Royaume-Uni. Mais nous ne savons pas de quoi l'avenir sera fait. L'accord est complexe, comporte beaucoup de clauses, de dispositions techniques que nous n'avons pas encore étudiées en profondeur. Cependant, nous n'avons pas prévu de modification des prix, considérant les informations que nous avons aujourd'hui.

M. Philippe Mourouga. - Des taxes peuvent s'ajouter, mais ce n'est pas quelque chose que nous maîtrisons pour le moment.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Je comprends bien, mais je ne voulais pas laisser dire dans cette commission que le médicament produit au Royaume-Uni allait rester au même prix pour le malade français !

Mme Fabienne Keller. - J'ai encore quelques questions. Vous évoquiez un coût de 45 millions d'euros, de quoi se composent ces dépenses ? Par ailleurs, vous êtes-vous intéressés aux activités de stockage des gens eux-mêmes, au niveau individuel ? On a lu des articles sur des gens diabétiques, par exemple, qui constituent eux même leurs stocks.

Enfin, un rapport de l'Agence européenne des médicaments, sur lequel le Sénat s'était appuyé dans ses travaux sur le sujet, évoquait le chiffre de 108 médicaments nécessitant un suivi particulier, mais il n'y a pas de mise à jour de cette étude. Avez-vous connaissance d'un point transversal sur ce sujet?

M. Rachid Izzar. - On a des discussions régulières avec l'Agence nationale, qui nous a montré une écoute extraordinaire et qui a été très réactive. C'est la première agence à avoir donné des dérogations d'importation pour les situations difficiles. Les discussions ont toujours été constructives.

Dans les 45 millions, il y a quatre choses. Premièrement, la duplication des tests et des contrôles de qualité dans les pays de l'Union européenne. Ensuite, le transfert des 32 autorisations de mise sur le marché européen anglaises sur le sol européen. Trois, le stockage. Et enfin, l'approvisionnement et les nouvelles lignes de traversée que nous ajouterons.

Tout euro qui aurait pu être utilisé sur la recherche et qui est dépensé sur quelque chose d'autre est regrettable. Notre chiffre d'affaire Europe est d'environ 3 milliards d'euros.

M. Philippe Mourouga. - Si vous voulez un point d'ancrage, j'indique que nos investissements recherche en France sont de 50 millions d'euros.

M Rachid Izzar. - Nous prendrons l'ensemble de ces 45 millions sur nos budgets, nous avons un budget de restructuration.

Mme Fabienne Keller. - Vous évoquiez une deuxième ligne de transport, quelle est votre logique ?

M. Rachid Izzar. - Aujourd'hui nous avons la seule ligne de traversée Douvres-Calais. Si demain il y a des frictions sur cette voie, il est de notre responsabilité de trouver des alternatives.

M. Jean Bizet, président. - Logiquement, c'est le trajet le plus sécurisé, le plus court. Quelle est cette autre alternative ?

M. Rachid Izzar.- Nous avons sélectionné la voie maritime entre Anvers et Rotterdam. Pour des raisons de sécurité d'approvisionnement, nous serions irresponsables de ne pas penser à des points de traversée alternatifs.

Mme Fabienne Keller. - Nous avons eu de nombreux débats au Sénat sur la problématique des flux après le Brexit. Nous avons été rassurés par les douaniers...

M. Ladislas Poniatowski, président. - Pas vraiment !

M. Richard Yung. - Ils sont en grève !

M. Rachid Izzar. - Nous avons décidé de développer de nouveaux circuits d'approvisionnement pour des raisons de sécurité. Si nous ne l'avions pas fait, nous aurions été inaudibles au moment d'alerter les pouvoirs publics sur les risques de pénurie. Je vous ai parlé d'Anvers et de Rotterdam, mais nous avons également entamé des discussions avec le port de Dunkerque.

M. Jean Bizet, président. - C'est tout à votre honneur de vouloir doubler vos circuits pour faire face à un Brexit dur et faire face ainsi à un risque de rupture d'approvisionnement.

J'aurai pour ma part deux questions portant sur le long terme. Avez-vous prévu un changement de stratégie industrielle et une réorientation de votre activité vers des sites continentaux ? Je vois que votre investissement à Dunkerque passe de 15 millions d'euros par an à 135 millions d'euros sur trois ans. Ma deuxième interrogation porte sur le brevet. Avez-vous anticipé les conséquences du retrait du Royaume-Uni de l'Office européen des brevets ?

M. Rachid Izzar. - S'agissant du brevet, je ne dispose pas, pour l'heure, d'élément de réponse de la part du groupe. Je n'hésiterai pas à vous répondre ultérieurement.

Pour répondre à votre première question, nous ne réorienterons pas nos investissements vers l'Union européenne. Nos investissements à moyen et long terme ne sont pas affectés par le Brexit. Ils ont en effet motivés par l'attractivité des territoires concernés plus que par l'appartenance de tel ou tel pays à l'Union européenne. Nous privilégions la stratégie industrielle et économique d'un pays et les qualifications professionnelles. Nous privilégions une approche globale afin de pouvoir rivaliser avec les États-Unis, très volontaristes et le continent asiatique notamment la Chine, dont le comportement est parfois agressif. Il n'est pas de notre intérêt de jouer la concurrence entre États européens.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Vous avez investi à Marseille...

M. Rachid Izzar. - Il ne s'agit pas d'un achat mais de la mise en place d'un partenariat avec un investissement de notre part de 233 millions d'euros. Ce partenariat est motivé par les compétences des hommes et des femmes présents sur le site marseillais.

M. Ladislas Poniatowski, président. - Aucun laboratoire britannique ne viendra donc s'installer en France...

M. Rachid Izzar. - Cela reste une possibilité mais ce ne sera pas une conséquence du Brexit. Le renforcement de notre investissement à Dunkerque est principalement lié au fait qu'il s'agit du seul site où nous pouvons fabriquer des produits de lutte contre des maladies respiratoires de nouvelle génération.

M. Philippe Mourouga. - Notre stratégie de partenariat n'a pas changé. Nous continuons à travailler avec l'INSERM et d'autres laboratoires.

Mme Fabienne Keller. - Les entreprises du secteur ont-elles dialogué entre elles pour appréhender les conséquences du Brexit ?

M. Rachid Izzar. - Nous avons discuté dans le cadre du LEEM et avons associé à nos réflexions les ministères et agences concernés. Nous avons pu aboutir à une position commune sur la question de la réciprocité. Force est de constater que les autorités britanniques ont plus avancé sur le sujet que les Vingt-Sept, en reconnaissant un statut particulier du médicament pour le passage aux frontières. Une voie spéciale sera ainsi aménagée en douanes afin d'éviter toute attente. Nous souhaitons aujourd'hui que l'Union européenne reprenne cette solution.

M. Jean Bizet, président. -Nous vous remercions pour ces explications. Le Sénat reste attentif aux préoccupations des acteurs économiques. Je me réjouis que votre inquiétude ait été entendue par l'ANSM et la Commission européenne. Nous retenons également votre message sur les critères d'implantation de vos laboratoires : attractivité du territoire et qualité des équipes.

La réunion est close à 16 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.