Jeudi 14 mars 2019

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Audition de Mmes Fabienne Servan-Schreiber, présidente, et Anne-Sarah Kertudo, directrice, de l'association Droit Pluriel

Mme Annick Billon, présidente. - Chers collègues, Mesdames, Messieurs, nous poursuivons ce matin nos travaux sur les violences faites aux femmes en situation de handicap.

Nous recevons aujourd'hui Fabienne Servan-Schreiber et Anne-Sarah Kertudo, respectivement présidente et directrice de l'association Droit pluriel, que nous remercions très chaleureusement pour leur présence auprès de nous ce matin. Elles sont accompagnées de Maxime Lafont, assistant de direction de l'association.

Cette réunion fait suite à la table ronde que nous avons organisée le 6 décembre dernier et à l'audition de la présidente de l'Association francophone de femmes autistes (AFFA), Marie Rabatel, accompagnée du Docteur Muriel Salmona, que nous avons entendues le 14 février.

Notre délégation a souhaité inscrire les violences faites aux femmes en situation de handicap à son programme de travail, considérant qu'il s'agit là d'un « angle mort » de la lutte contre les violences faites aux femmes, pour reprendre le mot de notre collègue Laurence Rossignol.

Nous avons constitué pour conduire cette réflexion un groupe de travail associant diverses sensibilités politiques représentées dans notre assemblée. Les co-rapporteurs sont donc, par ordre alphabétique :

- Roland Courteau pour le groupe Socialiste et républicain ;

- Chantal Deseyne pour le groupe Les Républicains ;

- Françoise Laborde, pour le groupe du Rassemblement démocratique social et européen ;

- Dominique Vérien pour le groupe Union centriste.

Notre objectif, à travers ce rapport, est de mieux identifier les causes de la vulnérabilité aux violences des femmes en situation de handicap et d'encourager une prise de conscience de leur fragilité spécifique en termes de violences.

Notre but est aussi de dégager des recommandations afin d'améliorer la prise en compte de la situation des femmes en situation de handicap dans les politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes.

L'accès à la justice est bien évidemment un élément décisif de la lutte contre les violences. Or cet accès, déjà inégal et complexe pour les femmes victimes de violences, semble encore plus difficile pour les victimes en situation de handicap, a fortiori pour les femmes.

Il nous a donc paru indispensable de vous entendre. En effet, l'association Droit pluriel souhaite, comme il est dit sur votre site Internet, « agir en faveur d'une justice accessible à tous », car « une justice équitable doit traiter chacun de manière égale ». De fait, sans accès à la justice, les victimes n'ont aucune chance de faire respecter leurs droits.

Cela pose notamment la question de l'accessibilité des lieux de recueil des plaintes et de la formation des professionnels de la police et de la gendarmerie ainsi que des magistrats à l'écoute des victimes en situation de handicap.

Anne-Sarah Kertudo, vous avez fondé la première permanence juridique en langue des signes. Vous avez aussi organisé un procès dans le noir au Palais de justice de Paris. Vous avez également participé à la vaste enquête sur les relations entre professionnels de la justice et public handicapé qui a été confiée en 2015 à l'association Droit pluriel sous l'égide du Défenseur des Droits, que nous avons également auditionné.

Selon le rapport Professionnels du droit et handicap, publié en juin 2017 à la suite de cette enquête, les justiciables handicapés - hommes et femmes - parlent d'une « présomption d'incapacité » pesant sur eux. Quant aux professionnels, ils estiment ne pas être pleinement en mesure de répondre aux besoins spécifiques de ces personnes.

À partir de cet ensemble de témoignages, pourriez-vous mettre en évidence les spécificités concernant les femmes ?

Madame la présidente, Madame la directrice, nous vous écoutons avec beaucoup d'intérêt. Les co-rapporteurs et l'ensemble de mes collègues ici présents vous poseront des questions suite à votre présentation.

Je vous donne la parole sans plus tarder.

Mme Fabienne Servan-Schreiber, présidente de l'association Droit pluriel. - Merci de nous recevoir et de vous intéresser à ce sujet. Lorsqu'Anne-Sarah Kertudo m'a demandé de présider son association Droit pluriel, j'ai volontiers accepté cette proposition. J'aimerais commencer de manière un peu atypique en soulignant qu'Anne-Sarah est une femme formidable. Après l'avoir rencontrée, j'ai été conquise par sa pugnacité, son intelligence et son engagement. Elle nous donne envie de nous engager à ses côtés.

L'association Droit pluriel a été fondée en 2009. Son objet est de rendre la justice accessible à tous, et surtout aux personnes en situation de handicap. Comme vous l'avez souligné, devant l'urgence de rendre la justice accessible, nous avons élaboré un rapport en 2015 avec l'accompagnement du Défenseur des Droits. Il s'intitule Professionnels du droit et handicap et est consultable sur notre site.

De manière concrète, nous construisons également une formation sur le handicap à destination de tous les professionnels de la justice (avocats, magistrats, conciliateurs...) et nous oeuvrons pour qu'elle soit dispensée dans toutes les écoles ou tous les centres de formation de ce secteur.

J'aimerais enfin souligner que nous avons toujours rencontré au Sénat une écoute et une attention qui nous sont très utiles.

Mme Anne-Sarah Kertudo, directrice de l'association Droit pluriel. - Tout d'abord, il est important de préciser que la question des femmes en situation de handicap se trouve à la croisée de deux thématiques : celle des femmes d'un côté et du handicap de l'autre. Les difficultés rencontrées par ces femmes recoupent ces deux champs : il peut s'agir de la domination masculine, des difficultés d'accès à la justice et de l'égalité des droits. Ce dernier point se retrouve à la fois dans les questions liées aux femmes et dans celles liées au handicap.

Des études récentes ont montré que les femmes en situation de handicap sont davantage victimes de violences que les autres femmes, dans des proportions très importantes. En partant de ce constat, nous devons nous demander comment faire pour inverser la tendance.

Deux causes importantes de cet état de fait peuvent être mises en évidence. La première, qui dépasse le cadre de la justice, concerne l'invisibilité des femmes handicapées. La seconde se trouve au coeur de notre action. Il s'agit de la difficulté d'accès à la justice et, plus largement, de la difficulté de recourir à tous les dispositifs existants en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.

La question de l'invisibilité des femmes en situation de handicap a été largement portée par l'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, créée par Maudy Piot, qui est décédée l'année dernière. J'ai été vice-présidente de cette association pendant plusieurs années et je connais bien son action.

J'aimerais vous raconter une anecdote sur l'invisibilité des femmes handicapées. Quand j'ai commencé à m'intéresser à ce sujet, j'ai essayé de me représenter les femmes handicapées connues. En réalité, les personnes en situation de handicap connues sont des hommes : Ray Charles, Stevie Wonder, Stephen Hawking ou encore Alexandre Jollien. Je n'ai trouvé aucune femme. Lorsque j'ai perdu la vue il y a quatre ans, j'ai cherché « femmes aveugles » sur un moteur de recherche. C'est le nom de Gilbert Montagné qui est apparu en premier.

Nous ne pouvons donc que constater une véritable absence de représentation des femmes en situation de handicap. Cela crée un réel problème de regard que l'on porte sur soi, de construction et de fierté, qui peut avoir un impact sur les violences que nous subissons. En effet, si nous n'existons pas dans les médias ou dans l'espace public, cela signifie que nous n'existons pas ou que nous sommes cachées. Or le fait de se cacher traduit une honte. Il nous est donc difficile de nous construire, d'être fières de ce que nous sommes et, in fine, de nous sentir légitimes à défendre nos droits.

Plus largement, cette absence de représentation concerne également les campagnes de communication sur les femmes. De telles campagnes ne mettent jamais en scène des femmes en fauteuil ou des femmes aveugles. Par conséquent, les femmes en situation de handicap ont tendance à ne pas être perçues comme des femmes, comme elles le disent fréquemment. Les campagnes et les dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes oublient systématiquement les femmes en situation de handicap.

Les conséquences de cet oubli peuvent être dramatiques. Je peux citer l'exemple des personnes sourdes au moment de l'apparition du Sida. Les personnes sourdes se sont retrouvées exclues des campagnes de prévention de lutte contre le Sida. À l'époque, le symbole du Sida était une boule avec des pointes. En langue des signes, il est exprimé par un signe qui veut dire « tache ». Les sourds, qui ne disposaient d'aucune information en langue des signes, ont compris que le Sida était une maladie qui s'attrapait par le soleil et qui donnait des taches sur le visage. Ils ont été décimés par le Sida d'une manière absolument disproportionnée par rapport aux entendants parce qu'ils avaient été oubliés des campagnes. Les conséquences de tels oublis peuvent donc être d'une extrême gravité.

Le deuxième facteur qui explique que les femmes en situation de handicap subissent davantage de violences que les autres femmes relève, comme je l'ai dit, du recours à la justice et des dispositifs d'accès aux droits. Je peux en témoigner d'après mon expérience de terrain. J'ai exercé pendant dix ans une activité de conseil juridique en langue des signes pour les sourds. Ma première expertise concerne donc la population des personnes sourdes en langue des signes.

J'ai pu observer que les violences faites aux femmes surviennent fréquemment dans les institutions qui accueillent les enfants handicapés. Ces expériences en institutions parfois fermées donnent lieu à de nombreux récits de situations de violences et de viols. Les victimes n'ont absolument aucun recours en interne ni en externe. Les problématiques générales constatées pour toutes les victimes de violences se trouvent accentuées par les spécificités des personnes en situation de handicap, qui ne font l'objet d'aucune campagne de prévention, d'aucune action de sensibilisation et d'aucune éducation à la sexualité.

Dans le cadre de cette activité de conseil juridique pour les sourds, j'ai organisé des campagnes de sensibilisation aux droits pour les jeunes adolescents. J'ai été consternée par les retours de ces jeunes de 15 ou 16 ans qui ne savaient pas ce qu'était le viol. Ils étaient tous étonnés lorsque je leur expliquais que le viol pouvait survenir dans le mariage. Il est vrai que ce manque d'information peut être rencontré également chez les entendants. Cependant, ces derniers vivent dans un bain linguistique composé des paroles entendues à la radio, à la télévision ou dans des conversations. Les sourds, au contraire, n'ont accès qu'aux informations qui leur sont spécifiquement destinées en langue des signes. Ils ne reçoivent donc pas les informations diffuses qui construisent et qui forment les autres personnes.

J'ai commencé à travailler dans les années 2000 et je suis d'ailleurs toujours en relation avec le secteur des sourds. Dans l'exercice de mon métier, j'ai créé en 2002 la première expérience en France de conseil juridique en langues des signes. Aujourd'hui, il n'en existe guère davantage, ce qui signifie qu'une femme sourde qui souhaite témoigner en cas de violences n'a accès à aucune solution gratuite. Elle a la possibilité de prendre un interprète, qui facturera un minimum de 120 euros par vacation. Elle ne pourra pas être accueillie correctement alors que l'accès aux droits de toutes les personnes est reconnu.

Il existe quelques permanences juridiques en France, mais de manière anecdotique. L'une d'entre elles se tient au barreau de Paris un mercredi après-midi par mois. Un interprète accompagne l'avocat. Toutefois, la salle d'attente est bondée de personnes sourdes. Étant donné qu'il s'agit d'une petite communauté, l'anonymat n'est pas possible, ce qui peut dissuader les femmes victimes de violences de venir témoigner. Elles n'auront pas envie de répondre aux questions d'autres personnes présentes ou de savoir qu'elles ont été vues dans cet endroit. Pour cette raison, la permanence que j'avais instaurée s'étendait sur toute la semaine et fonctionnait sur rendez-vous afin que les personnes ne se croisent pas.

Une autre réelle difficulté pour les sourds est leur incapacité à témoigner par téléphone. Or l'appel téléphonique représente en général la première démarche d'une femme qui souhaite signaler des violences. C'est impossible pour les femmes sourdes, alors que le dispositif pourrait être imaginé techniquement. En effet, des mesures peuvent être mises en place pour que les personnes sourdes témoignent par ce biais. Les femmes sourdes victimes de violences ne disposent donc d'aucun lieu pour s'informer, se défendre et porter plainte.

Certaines d'entre elles se rendent au commissariat de police. Nous avons connaissance de nombreuses situations sordides dans le cadre de leur démarche. Une femme sourde s'est par exemple vu demander de mimer le viol qu'elle avait subi puisqu'elle n'était pas capable de le raconter. Dans le meilleur des cas, les agents de police demandent aux femmes sourdes qui viennent au commissariat de revenir puisqu'il n'y a pas d'interprète disponible. Pourtant, le fait de venir au commissariat exige un réel effort pour les victimes. L'agent essaie généralement de comprendre s'il peut communiquer par écrit. Mais il faut se souvenir qu'un rapport de l'ancienne sénatrice Dominique Gillot portant sur les droits des sourds estimait que 80 % des personnes sourdes ne savaient ni lire ni écrire. L'écrit n'est donc pas une solution. Même si les agents se montrent bienveillants, la communication sera compliquée, ce qui renvoie aux femmes sourdes l'image qu'elles ne sont pas à leur place dans cet endroit. Or si elles ne sont pas bien accueillies, elles n'y retournent pas. J'ai entendu de nombreux témoignages en ce sens de la part de femmes qui renonçaient à témoigner et qui se détournaient de l'institution.

Les difficultés se poursuivent ensuite au niveau de la justice, où une ignorance complète existe du côté des victimes et des professionnels. Les personnes sourdes ne sont pas familières du monde judiciaire. Elles n'en connaissent pas les codes. De plus, les informations ne sont pas accessibles en langue des signes. Les professionnels du droit, de leur côté, ne comprennent pas la situation des personnes sourdes.

La permanence juridique pour les sourds a néanmoins permis de faire évoluer les textes. En effet, il est obligatoire depuis 2004 de proposer un interprétariat en langue des signes en audience. Jusqu'à cette date, les propos des personnes sourdes étaient parfois traduits par leurs enfants ou par des interprètes bénévoles dont la maîtrise de la langue des signes était inégale, et ce y compris en cour d'assises. Un tel interprétariat n'offre pas les garanties de neutralité et de confidentialité d'un interprète professionnel. Aujourd'hui encore, les contours de l'interprétariat restent flous. Pour des raisons de coût, les tribunaux font appel à des bénévoles, dont les compétences ne sont pas équivalentes à celles des interprètes diplômés. En outre, les interprètes peuvent avoir tendance à s'exprimer à la place des personnes concernées.

Les magistrats rencontrent des difficultés à comprendre la spécificité des personnes sourdes. Il leur semble logique, comme je l'ai souligné à propos des policiers, de vouloir communiquer par écrit. Mais la prise en charge dans l'éducation des sourds jusqu'à une période récente ne leur a pas permis d'avoir accès à l'écrit. Une avocate m'a dit récemment à propos d'une victime sourde : « Elle ne parle pas, elle n'entend pas et en plus, elle n'écrit pas. Il faudrait quand même qu'elle s'y mette un peu ». Par conséquent, la surdité se trouve assimilée à une forme de handicap mental et les sourds sont considérés comme des personnes qui ne sont pas en capacité. Cette réelle incompréhension fait que la rencontre se déroule mal. En outre, les expériences se racontent dans la communauté. Les sourds renoncent à recourir à la justice, comme nous l'avons constaté dans le rapport que nous évoquions en introduction, Professionnels du droit et handicap. D'une manière générale, le réflexe de se détourner de la justice est largement partagé au sein des personnes porteuses de handicap.

À la suite des expériences tirées de la permanence juridique pour les sourds, nous avons créé Droit pluriel en 2009 afin de travailler sur tous les handicaps. Les constats sont similaires, à commencer par un manque d'information, aussi bien du côté des personnes en situation de handicap que des professionnels du droit. Une personne qui ne comprend pas bien ou qui marche « de travers » ne sera pas jugée capable ou digne de confiance. Cela renvoie à la présomption d'incapacité dont nous parlions précédemment. Or la question de la crédibilité s'avère centrale s'agissant notamment des violences faites aux femmes.

Nous dressons un constat similaire pour les personnes porteuses de handicap mental. Un témoignage que nous avons reçu montre par exemple qu'il est impossible de porter plainte pour une personne trisomique. En effet, les agents de police sont convaincus qu'une personne handicapée mentale n'a ni la capacité, ni le droit de porter plainte. Ils lui demandent de revenir avec son tuteur. Cette manière d'infantiliser les personnes revient à mettre en doute leur témoignage et les violences qu'elles ont subies.

Il en va de même pour les situations de handicap psychique, qui sont très nombreuses. Avant d'ouvrir la permanence juridique pour les sourds, je travaillais dans l'accès aux droits en général dans un lieu d'information public, gratuit et ouvert à tous. Dans le cadre de ma formation, il m'a été conseillé d'éconduire toute personne présentant un discours incohérent. Or il s'agit précisément de l'un des symptômes de la schizophrénie, par exemple. Les psychiatres montrent que ces populations, et notamment les femmes, sont pourtant particulièrement exposées aux violences. Le très beau film de Perrine Michel, Lame de fond, montre comment les termes de « viol par mon père, par mon frère, par mon grand-père » apparaissent dans un discours qui est en apparence décousu et incohérent. De plus, la souffrance psychique peut naître d'une violence. Il existe donc un point d'alerte autour des personnes en situation de handicap psychique et de la crédibilité qui est apportée à leur parole. À nouveau, les professionnels de la justice et de l'accès aux droits ne sont pas formés sur cette question.

En résumé, les difficultés que nous rencontrons portent sur le manque de sensibilisation, d'information et d'accès aux droits. La justice n'est pas accessible en raison de problèmes matériels, mais aussi à cause de l'absence d'information et de formation des professionnels.

Nous sommes donc en train de former tous les professionnels de la justice aux questions liées au handicap. Nous leur expliquons les conséquences du handicap visuel, auditif, mental ou cognitif. Nous leur montrons que ces populations sont particulièrement fragiles alors qu'elles ont un réel besoin d'accès aux droits. Ce travail est porté et encouragé dans les écoles, où la demande est forte. Nous sommes en train d'organiser des formations pour l'année prochaine. Il reste un combat important à mener.

Par ailleurs, les campagnes de sensibilisation doivent être ouvertes à tous. Il s'agit d'une urgence absolue. J'aimerais souligner cependant que tout existe déjà dans ce domaine. Selon nous, il n'est pas nécessaire de créer de nouvelles structures spécifiques pour les femmes en situation de handicap. Cela consisterait en effet à les isoler davantage du reste de la population féminine. Or nous devons affirmer que les femmes en situation de handicap sont des femmes comme les autres et que tout ce qui est valable pour les femmes concerne logiquement les femmes en situation de handicap. La formation des professionnels de la justice devra faire avancer ce message. Nous leur rappelons que ces femmes constituent également leur public. Des avocats me disaient par exemple qu'ils ne s'occupaient pas des personnes en situation de handicap, mais les professionnels doivent comprendre que ces personnes sont une partie de leur public. Il convient que les personnes handicapées puissent se sentir légitimes face à la justice. Notre démarche vise donc à ouvrir aux personnes handicapées ce qui existe déjà pour tout le monde.

Enfin, un large travail reste à faire en matière de culture pour permettre aux femmes handicapées de s'identifier à des « rôles modèles ». J'ai grandi avec une différence. Je sentais dans la cour de récréation que je n'étais pas comme les autres, mais je n'avais aucune référence à laquelle m'identifier dans la littérature, le cinéma ou les bandes dessinées. Il n'y avait aucun personnage sourd, aveugle ou en fauteuil. Par conséquent, le monde autour de moi me disait que je n'existais pas. Je n'avais pas de place dans la société. Or la culture doit montrer la diversité des profils. Les femmes handicapées attendent encore cela. Fabienne Servan-Schreiber, qui est productrice, a compris ce sujet. Elle travaille d'ailleurs sur un projet qui présente l'histoire d'une femme aveugle dont le handicap n'est pas au coeur de l'histoire. Cette femme est incidemment aveugle, comme elle aurait pu être noire ou rousse. Nous avons besoin de ces images-là.

Je vous remercie.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup, Mesdames, pour vos témoignages. La volonté de la délégation aux droits des femmes de travailler sur ce sujet part du constat que les violences faites aux femmes handicapées restent un angle mort dans nos politiques publiques. À travers votre témoignage, Madame Kertudo, nous sentons bien que vous subissez une forme de double peine en rencontrant à la fois les difficultés d'être une femme et de vivre dans une société qui ne vous donne pas les moyens d'exister comme chacune en a le droit. Un travail d'acceptation est nécessaire dans la société.

Vous avez également souligné la différence entre le handicap physique et le handicap mental. Nous constations que les réponses à ces situations doivent être différentes en fonction des handicaps. Nous avons notamment auditionné Marie Rabatel, qui est porteuse de troubles autistiques. Son témoignage nous a fait comprendre que la notion de consentement, par exemple, ne signifie rien pour une personne autiste. En cas de viol, une femme en situation de handicap mental aura des difficultés à formuler les critères qui définissent les agressions sexuelles, les atteintes sexuelles ou les viols. L'adulte, qui est le référent, n'aura pas besoin d'utiliser la menace, la violence, la contrainte ou la surprise. Cela nous interroge sur les critères existants, qui ne semblent pas nécessairement adaptés aux femmes en situation de handicap.

Nous comprenons aussi par votre témoignage que le parcours est difficile pour les femmes victimes de violences. Elles ne parviennent pas à se faire entendre en raison du déficit de moyens et de formation. Le recueil de la preuve et du témoignage doit être adapté aux différentes formes de handicap. Nous connaissons bien les difficultés qui existent déjà pour recueillir les témoignages des femmes qui ne sont pas en situation de handicap. Nous comprenons donc les difficultés insurmontables que peuvent rencontrer les femmes en situation de handicap. Il s'agit d'un réel parcours du combattant.

Par ailleurs, la visibilité est également un sujet sur lequel nous devons travailler. Nous avons fait une audition commune de Sylvie Pierre-Brossolette, alors membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), avec la commission de la Culture, sur la visibilité des femmes dans les médias1(*). En effet, il reste d'importants progrès à réaliser pour que les femmes en situation de handicap puissent trouver des sources d'identification dans tous les médias.

Je laisse la parole à nos rapporteurs.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Merci Madame la présidente. Merci, Mesdames, pour votre exposé. Les obstacles rencontrés par les personnes sourdes paraissent très claires d'après vos exemples. J'ai découvert en tant qu'enseignante accueillant des personnes sourdes dans mes classes la difficulté qu'ont ces élèves à s'intégrer en raison des problèmes de communication. Toutefois, je n'imaginais pas que ces difficultés perduraient à une telle échelle. Vous avez dit que 80 % des personnes sourdes ne savent ni lire ni écrire. Ce chiffre considérable m'interpelle. Votre témoignage m'a donc fait prendre conscience de l'importance de ce phénomène.

S'agissant de la différence entre handicap physique et mental, il reste difficile de porter plainte en cas de handicaps mentaux tels que l'autisme ou la trisomie. Je retiens également votre préconisation de ne pas créer de structures d'accueil spéciales pour les femmes en situation de handicap afin de ne pas créer de nouveaux enfermements. Comme vous l'avez souligné, le fait d'être une femme et de porter un handicap représente une forme de double peine. Nous devons donc éviter de créer des structures spécifiques de manière à montrer qu'une femme en situation de handicap est une femme comme les autres. Elle doit être aidée et non être davantage mise à l'écart. Vous avez bien fait de le souligner.

À travers les sujets que nous traitons à la délégation, nous avons souvent abouti à la conclusion que de nombreux problèmes ne sont pas réglés par manque d'information et de formation des professionnels. Nous préconisons donc d'organiser des formations sur les violences faites aux femmes dans les gendarmeries, les commissariats, les tribunaux ou les services sociaux. Il faudrait que les formations envisagées soient plus complètes. Votre témoignage confirme cette opinion.

Enfin, j'ai beaucoup aimé votre conclusion. Vous avez dit que l'on naissait incidemment aveugle, incidemment sourd ou incidemment brun. Nous pouvons nous approprier ces paroles, notamment dans l'éducation de nos enfants ou petits-enfants.

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - Ma collègue Françoise Laborde a été très complète. Je ne reviendrais donc pas sur les demandes que nous réitérons concernant la formation des professionnels du droit sur la protection de l'enfance et la protection des femmes. Les policiers et les gendarmes, qui prennent la plainte, sont concernés en premier lieu.

Je n'avais pas imaginé non plus que 80 % des personnes sourdes ne savent ni lire ni écrire. Ce chiffre témoigne d'un réel échec. Nous devons corriger cela en priorité lors de la première éducation, à la fois pour les personnes qui recevront la plainte, mais aussi et surtout pour les personnes qui peuvent se trouver en situation de porter plainte.

Comment prenons-nous en charge nos enfants, et particulièrement nos enfants porteurs de handicap ? J'aimerais que vous nous proposiez des pistes d'amélioration sur ce sujet pour que les enfants handicapés soient mieux pris en charge et prennent pleinement possession de l'ensemble de leurs droits. Nous verrons également émerger les problèmes plus facilement. En revanche, si nous mettons ces enfants à l'écart dès leur naissance, il leur sera difficile de se sentir intégrés. Nous le constatons par exemple dans le domaine audiovisuel, où il reste compliqué de faire connaître des personnages ou des personnalités représentatifs de la diversité de la société. Les enfants handicapés auront des difficultés à exister, comme vous l'avez dit. Nous savons toutefois que des blocages existent dans les médias pour montrer des personnes en situation de handicap, et notamment des femmes.

Par conséquent, j'aimerais savoir si vous connaissez des femmes que nous pourrions encourager à se montrer dans les médias, des femmes à qui nous pourrions accorder une plus grande visibilité. Nous en avons une autour de la table, bien entendu. Comment faire pour que ces femmes aient davantage de visibilité ? Nous nous rendons compte au niveau politique qu'il est difficile de trouver sa place en tant que femme.

Mme Chantal Deseyne, co-rapporteure. - Merci, Mesdames, pour vos interventions et témoignages. Votre constat est consternant sur l'invisibilité des femmes en situation de handicap. Pour de nombreuses personnes, le handicap reste dérangeant et renvoie à nos propres faiblesses.

Nous avons souvent entendu ici que la parole des femmes est peu crédible en matière d'agressions sexuelles et sexistes. Je mesure par vos interventions combien elle est encore moins crédible pour les femmes qui sont porteuses de handicap puisqu'il existe une barrière pour s'exprimer et se faire entendre, quelle que soit la nature du handicap.

Vous avez évoqué des partenariats avec les policiers et les professionnels de la justice. Votre association met en place des modules de formation et de sensibilisation auprès de ces derniers. Avez-vous suffisamment de recul pour dresser un premier bilan de ces formations ?

En outre, la question majeure que je me pose est la suivante : comment pouvons-nous sensibiliser l'ensemble de la population à la différence et au handicap, sans stigmatiser les personnes porteuses de handicap, mais en les considérant au contraire dans leur entièreté ? Quelles actions à fort impact pourraient être mises en place pour développer une telle sensibilisation ?

M. Roland Courteau, co-rapporteur. - J'ai bien compris grâce à vous pourquoi si peu de plaintes pour violences portées par les personnes en situation de handicap aboutissent en justice et pourquoi si peu d'entre elles donnent lieu à une condamnation. Cette situation ne peut pas durer. Nous nous efforcerons de faire des propositions pour faire évoluer positivement les choses.

Je regrette également de découvrir l'ampleur du problème aujourd'hui, alors que nous avons déjà beaucoup travaillé sur les violences conjugales et sexistes. J'ai lu dans un article qu'un magistrat avait dit à une femme en situation de handicap qui avait été victime de viol que l'agresseur lui avait « rendu service ». De tels propos sont ignobles. Il existe un réel problème de formation des professionnels de la justice.

Des intervenants sociaux travaillent auprès des commissariats et accompagnent les victimes de violence. Pourrions-nous imaginer des pistes afin de conforter leur action et de mieux les former aux questions spécifiques des violences faites aux femmes handicapées ? Nous observons également un problème de moyens.

Vos témoignages expliquent aussi que le mouvement #MeToo n'ait pas eu le même retentissement auprès des femmes en situation de handicap.

J'aimerais enfin connaître votre réaction sur la situation suivante. Une personne en situation de handicap est venue nous sensibiliser récemment. Elle nous a dit qu'elle était passible de signalements fréquents auprès de l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Sa capacité à exercer sa parentalité a été mise en doute à plusieurs reprises, ce qui relève d'une réelle injustice et d'une véritable violence. Il est possible d'être en situation de handicap et d'être un bon parent. Les pouvoirs publics savent-ils soutenir la parentalité des personnes en situation de handicap ? Cette question m'interpelle sérieusement.

Mme Annick Billon, présidente. - J'aimerais ajouter une question supplémentaire avant de vous laisser répondre et d'écouter les questions des autres sénatrices qui souhaitent intervenir.

Vous avez évoqué un déficit d'information dans les campagnes médiatiques, notamment pour les non-voyants, les sourds et les handicapés mentaux. Nous savons que des personnes en situation de handicap sont victimes de violences dans les institutions. Quels peuvent être les bons relais pour informer et accompagner ces personnes ? Comment pouvons-nous les identifier ?

Je souhaiterais également que vous nous expliquiez plus en détail comment fonctionnent vos formations pour les professionnels de la justice.

Mme Anne-Sarah Kertudo. - Il est important de comprendre que la question du handicap ne présente pas de spécificité ou de nouveauté par rapport à la situation d'autres minorités. L'enjeu est de les faire accepter à part entière dans la société, y compris dans des postes en vue ou à responsabilité, comme d'autres minorités y sont parvenues, non sans difficultés.

Les réponses pour les personnes handicapées devront être les mêmes. Nous nous trouvons au tout début de ce travail d'empowerment. Nous avons fait des clips pour dédramatiser le handicap, mais cela n'est pas intéressant. Ce qui est intéressant, c'est qu'il y ait un présentateur de télévision qui soit en fauteuil ou que des campagnes concernant les violences faites aux femmes incluent une personne qui soit incidemment aveugle. De cette manière, nous comprendrons que les femmes en situation de handicap sont concernées par les violences qui touchent toutes les femmes. Il faut que le handicap soit rendu visible partout. Nous n'avons rien à inventer, nous devons appliquer les recettes qui ont fonctionné pour d'autres minorités.

Il est compliqué de donner des réponses à toutes vos questions, tant le travail qui nous attend reste important. Je pourrais citer par exemple la définition que le dictionnaire français donne du handicap, qui est vu comme une infériorité. Nous nous battons contre cela.

Mme Fabienne Servan-Schreiber. - Je précise que Droit pluriel a écrit aux différents éditeurs du dictionnaire pour modifier la définition du handicap. Nous leur avons proposé une définition qu'ils ont acceptée. Voilà le type d'actions concrètes que nous menons.

Mme Anne-Sarah Kertudo. - En effet, le handicap reste largement perçu comme une infériorité. Les personnes en situation de handicap sont invisibles. De plus, l'école n'a pas été prévue pour les millions d'enfants handicapés. Comment cela est-il possible ? À nouveau, il ne s'agit pas d'une problématique nouvelle et nous ne sommes pas la seule population à avoir été mise au ban de la société et à devoir conquérir nos droits.

La permanence juridique pour les sourds que je tenais se déroulait dans le cadre de la Mairie de Paris. J'ai reçu un agent de la DRH qui souhaitait m'imposer un référent. Je lui ai demandé s'il avait lui-même un référent et il m'a répondu que cela n'était pas le cas. Moi non plus, je n'avais pas envie d'avoir un référent. Depuis toujours, les personnes en situation de handicap entendent qu'elles ont besoin de quelqu'un à leur place pour dire, pour comprendre, pour décider. Nous subissons d'autant plus des situations de violence que nous entendons depuis toujours que nous n'avons pas le droit de faire ce que nous voulons. Nous n'avons pas d'autonomie, notre corps ne nous appartient pas. D'autres personnes décident en notre nom.

Par conséquent, il faut que toutes les personnes qui portent des handicaps ne soient pas stigmatisées et qu'elles ne ressentent pas de honte. Je rappelle que 80 % des handicaps sont invisibles. Dans ce cas, nous avons tendance à le cacher. Mais pourquoi le cacher ? Moi-même, j'ai perdu l'audition et j'ai tout fait pour le dissimuler. Par conséquent, je ne répondais pas aux questions, ou je répondais à côté. Je pensais que si je montrais mon handicap, cela se retournerait contre moi. Or nous ne devons pas avoir honte de nos handicaps.

Droit pluriel agit par le biais de ses formations. Toutefois, nous n'avons pas encore suffisamment de recul, car nous sommes en train de construire les outils qui seront appliqués l'année prochaine. Pour l'heure, nous avons seulement signé une convention avec le ministère de la Justice pour former les Conseils départementaux d'accès aux droits (CDAD). Après une journée de formation, le retour des personnes formées est très positif. Elles expliquent qu'elles ignoraient tout sur la situation des personnes handicapées. Il y a tout à apprendre et à découvrir. Certains professionnels avouent ne pas avoir compris les enjeux en recevant des personnes handicapées. Il semble donc évident que ce travail de formation est indispensable et qu'il aura un réel impact afin de rendre la justice accessible pour tout le monde.

Mme Fabienne Servan-Schreiber. - Cela fait cinq ans que nous travaillons pour réaliser ce kit de formation. Nous avons levé 200 000 euros en cinq ans, ce qui témoigne des difficultés rencontrées pour mobiliser des moyens sur ce sujet.

Je pense néanmoins que le Sénat peut nous aider. En effet, la loi comprend, si je ne me trompe pas, une obligation de faire de la formation sur cette problématique. Nous nous étions demandé avec Dominique Gillot si le Parlement ne pourrait pas rendre obligatoire une formation similaire sur le handicap pour les professionnels du droit. Vous pourriez nous aider à agir de cette manière.

Mme Anne-Sarah Kertudo. - Nous travaillons par exemple avec la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), qui est en charge de réaliser la formation à destination de tous les professionnels sur les violences faites aux femmes. Un de leurs clips a été réalisé en langue des signes. Ce type d'initiative est positif et doit être développé.

En outre, chacun peut agir à son niveau. Au Sénat, il serait intéressant d'augmenter la visibilité des sénateurs ou sénatrices qui sont handicapés, plutôt que de cacher ces handicaps. Nous avons besoin de voir des personnalités politiques qui se montrent et qui prouvent que leur handicap ne les disqualifie pas et ne les empêche pas d'exercer leurs fonctions.

Mme Maryvonne Blondin. - J'ai immédiatement cherché la définition que donne Wikipédia du handicap, qui évoque « la limitation des possibilités d'interaction d'un individu avec son environnement, menant à des difficultés psychologiques, intellectuelles, sociales ou physiques ». L'Académie française pourrait s'en inspirer.

Concernant l'invisibilité dans les médias, nous avons pensé à Mimie Mathy et au film Le Grand bain. Il y a également eu une Miss France sourde. Ces quelques symboles ne sont certainement pas suffisants, mais ils ont le mérite d'exister. En outre, les responsables politiques exigent parfois la présence d'un interprète en langue des signes pour des conférences ou des inaugurations. Nous le faisons par exemple dans ma région.

Vous avez insisté sur le problème de l'accueil et de l'accessibilité dans les gendarmeries et les commissariats de police. Dans mon département, il existe une école nationale de gendarmerie. J'ai pu observer la formation des jeunes gendarmes. J'ai ainsi assisté à une formation pratique avec une mise en situation dans laquelle les élèves gendarmes jouent le rôle des victimes. Cela donne lieu à des échanges et des évaluations. J'en ai discuté avec le colonel qui dirige cette école. À la suite de cette audition, je compte évoquer avec lui les violences faites aux femmes en situation de handicap et lui suggérer de prévoir une saynète spécifique.

Par ailleurs, l'accès aux droits me semble fondamental. Nous l'avons constaté la semaine dernière lors de la journée du 8 mars. Je me suis rendue au tribunal de grande instance, où se déroulait la soirée des droits. Cet événement a lieu plusieurs fois par an et chaque édition porte sur une thématique précise. Celle-ci était consacrée aux violences. Le bureau d'accès aux droits, qui effectue pourtant un travail remarquable, n'a pas évoqué la question des personnes en situation de handicap. Nous pouvons mettre en place ce type d'action rapidement.

Concernant l'enseignement, je suis moi aussi choquée par le chiffre que vous avez cité sur la proportion de sourds qui ne savent ni lire ni écrire.

Mme Marta de Cidrac. - Mesdames, vos paroles sont édifiantes. Comment ne pas vous soutenir dans votre démarche ? Il est évident que les membres de la délégation aux droits des femmes du Sénat ne peuvent pas rester insensibles.

Notre assemblée représente les territoires et les communes. La loi de 2005 sur l'accessibilité des Établissements recevant du public (ERP) dispose que toute personne en situation de handicap doit pouvoir y être accueillie. Cette mesure, qui a ses détracteurs et ses défenseurs, a eu un réel impact financier dans les communes. Lorsque vous parlez d'invisibilité, j'aimerais souligner que les personnes en situation de handicap ne sont pas invisibles dans les communes. Les élus locaux y sont sensibles. Dans mon territoire, à Saint-Germain-en-Laye, nous sommes très investis sur ces questions. Il existe une Commission du handicap dans la commune. Nous faisons régulièrement la tournée de nos trottoirs, de nos rues, de nos chaussées et de nos édifices avec des habitants en situation de handicap, hommes et femmes, afin de constater les améliorations à faire. Les élus locaux sont donc sensibles à cette question et seront à votre écoute sur l'accès aux droits.

En outre, j'ai lu des articles sur les violences qui surviennent dans les instituts, et notamment les violences sexuelles faites aux femmes handicapées, mais les hommes en situation de handicap doivent subir eux aussi de telles violences. Je me demande donc ce que le fait d'être une femme ajoute à la violence que vous subissez, comme vous le disiez tout à l'heure. En tant que femmes, nous nous sentons violentées même quand nous ne sommes pas handicapées. Un collègue m'a interpellé un jour sur le fait que nous ne parlons pas des hommes handicapés. J'aimerais que vous apportiez des précisions sur ces différents points.

Mme Annick Billon, présidente. - Nous savons que plus de 90 % des femmes en situation de handicap subissent des violences. La difficulté concernant les politiques publiques en matière de lutte contre les violences faites aux femmes ou aux hommes handicapés tient au fait que la parole ne s'est pas libérée sur ce sujet. Nous ne disposons pas de statistiques suffisantes.

Mme Laure Darcos. - J'aimerais formuler deux remarques. J'ai un ami élu, qui est sourd et muet et qui a subi des violences de la part de son épouse. Il m'en parle souvent et m'incite à ne pas oublier les hommes dans les combats que nous menons. Les hommes handicapés battus se font railler dans les commissariats, car ils ne sauraient ni « tenir leur femme » ni s'exprimer correctement.

En outre, j'étais hier à la gendarmerie de l'Essonne, où la colonelle Karine Lejeune avait convoqué tous ses collègues pour parler du sexisme, notamment lors des dépôts de plainte. J'ai pu m'exprimer sur les freins qui existent lorsque l'on doit porter plainte. J'aimerais vraiment que notre rapport puisse être diffusé très largement auprès des forces de l'ordre pour que leur formation intègre la question de la vulnérabilité des femmes en situation de handicap.

Nous constatons cependant des évolutions positives. Vous avez subi une réelle indifférence lors de votre cursus scolaire, mais aujourd'hui les enfants handicapés ne sont plus mis à l'écart. De plus, nous savons que l'inclusion d'un enfant atteint de handicap dans une classe est bénéfique pour tous. Cette jeune génération, et notamment les jeunes garçons, aura donc une attitude différente vis-à-vis de la vulnérabilité. Il reste évidemment du chemin à parcourir et nous devons continuer à nous mobiliser. Le projet de loi sur l'éducation2(*) en cours d'examen inquiète ainsi par le manque d'assistantes de vie scolaire (AVS) et d'accompagnant à la scolarité d'élève en situation de handicap (ASESH). Les enfants handicapés doivent être intégrés dans le milieu scolaire et, lorsqu'ils ne peuvent pas l'être, ils doivent être accompagnés tout au long de leur scolarité. Je ne peux pas entendre que nous ayons des personnes qui ne savent ni lire ni écrire en raison de leur handicap dans notre pays. Cela est inadmissible et je vous remercie d'avoir porté ce témoignage.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci, chers collègues. Mesdames, votre témoignage montre les failles et les lacunes qui existent aujourd'hui. En effet, il faut ne pas traiter les gens d'après leur différence, comme vous l'avez souligné.

Mme Anne-Sarah Kertudo. - Tout d'abord, je précise que Droit pluriel travaille sur l'accès à la justice pour tous, femmes et hommes. Il est évident que le handicap empêche l'accès à la justice de la même façon pour les hommes et pour les femmes.

Il existe toutefois une spécificité des femmes en situation de handicap. Vous avez évoqué Mimie Mathy. Il me semble qu'une femme handicapée aura moins de références médiatiques qu'un homme, lequel pourra se référer par exemple à Djamel Debbouze ou Grand Corps Malade.

Il est d'ailleurs passionnant d'approfondir cette question dans la littérature et le cinéma et de constater une telle différence de traitement entre les femmes et les hommes handicapés. Il est toujours terrible pour une femme d'être handicapée, par exemple dans Les lumières de la ville ou La symphonie pastorale. Les femmes handicapées suscitent le pathos. Je pense à la soeur de Laura Ingalls dans La petite maison dans la prairie, qui n'en finit pas de perdre la vue. En général, ces femmes finissent par revoir tant leur sort est terrible, ou bien elles meurent. En revanche, les hommes qui sont représentés par exemple dans Parfum de femme ou dans Intouchables sont des héros malgré leur handicap. Ils dépassent leurs difficultés.

Par conséquent, ces représentations ne renvoient pas la même image. Les femmes en situation de handicap se voient fragilisées et renvoyées à leur situation d'être vulnérable qui a besoin de la protection d'autrui et qui souffrira durant toute sa vie. De plus, ces femmes ne sont vraiment pas dans une situation d'égalité des droits.

Par ailleurs, il est vrai que de nombreux progrès ont été obtenus grâce à la loi de 2005. Mais nous travaillons aussi sur la notion d'accessibilité vivante. Nous avons lancé une action commune avec le Conseil national des barreaux au nouveau Tribunal de Paris la semaine dernière. Cette action s'intitule « Les commandos de l'accessibilité ». Une quinzaine d'avocats et de justiciables présentant différents handicaps sont venus tester l'accessibilité du tribunal. Nous constatons en effet que des dépenses importantes ont été faites, mais cela ne s'avère pas suffisant.

Les personnes appareillées, comme moi, utilisent la boucle magnétique. Il s'agit d'un câble qui permet de capter directement les voix qui passent dans les micros. La boucle magnétique fait partie des installations qui ont été achetées par les communes et les ERP. Pourtant, nous faisons systématiquement l'expérience suivante. Nous nous rendons à l'accueil pour demander au personnel d'activer la boucle magnétique. Mais les agents ne savent pas ce que c'est. Par conséquent, il est essentiel que l'accessibilité se confronte au réel. Les personnels doivent être formés et comprendre les enjeux liés à ces techniques. Il est compliqué pour nous de devoir solliciter quelqu'un ou quelque chose en permanence. J'insiste donc sur cette notion d'accessibilité vivante, au-delà des dépenses et des investissements.

Nous encourageons donc la participation des personnes concernées dès le début des projets. Il est indispensable de créer des démarches de co-construction pour que les personnels apprennent à faire fonctionner les dispositifs. L'idée des « commandos de l'accessibilité » a permis de créer ces temps de rencontre nécessaires, car les personnels n'ont pas reçu de formation sur les équipements.

La loi de 2005 insiste particulièrement sur le bâti, mais les autres handicaps ont été laissés de côté. De nombreux dispositifs existent, tels que la visio-interprétation ou des applications qui permettent de transcrire les propos sur le téléphone. Les mesures symboliques doivent s'accompagner d'une réelle confrontation de la population avec l'ensemble de ces aménagements. Cela permettra à chacun de comprendre que les dispositifs sont là pour garantir une situation d'égalité.

Enfin, notre association est en plein développement et a besoin d'être soutenue sur l'ensemble du territoire.

Mme Fabienne Servan-Schreiber. - Les médias français sont encore en retard sur la visibilité de toutes les minorités en comparaison avec les médias britanniques ou américains. Je me bats depuis trente ans pour améliorer la place des personnes dites issues de la diversité. Il en va de même pour les personnes en situation de handicap. La réalisatrice de la série de programmes courts Vestiaires a mis des années à faire aboutir son projet. Les choses évoluent lentement. Pourtant, les médias sont des outils d'une force étonnante. La présidente de France Télévisions est très sensible à la place des femmes et elle a déjà oeuvré significativement en ce sens, notamment sur la place des femmes expertes. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) travaille également sur ce sujet. Si vous avez des moyens de vous faire entendre et de vous faire comprendre, vous ne pouvez que nous aider. Les producteurs n'y parviennent pas toujours.

J'ajouterais pour finir que nous nous mobilisons pour que les personnes en situation de handicap puissent aller voter. Une expérience est en cours à Montreuil et nous sommes en discussion avec la Ville de Paris.

Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie sincèrement d'être venues témoigner ce matin devant notre délégation. Nos co-rapporteurs poursuivront leur travail et s'inspireront de votre action. Sachez que la délégation sera à vos côtés pour mener ces combats. Nous nous efforcerons de formuler des propositions opérationnelles et susceptibles de faire avancer les choses sur ce sujet qui nous tient particulièrement à coeur.


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