Mercredi 26 juin 2019

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Sécurité des ponts - Examen du rapport de la mission d'information

M. Hervé Maurey, président. - Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour la présentation du rapport de la mission d'information sur la sécurité des ponts.

Comme vous le savez, cette mission a été créée dans un contexte particulier : le 14 août dernier, une partie du pont Morandi de Gênes s'effondrait, provoquant la mort de 43 personnes. Ce drame a suscité une vive émotion et relancé, en France, les débats sur l'état des ouvrages d'art, vingt ans après la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc.

La mission que nous avons créée avait ainsi pour objectif d'évaluer la manière dont l'État et les collectivités territoriales entretiennent leurs ponts, c'est-à-dire d'évaluer les politiques de surveillance et d'entretien qui sont mises en oeuvre ainsi que les moyens financiers qui y sont consacrés. Nous nous sommes particulièrement intéressés à la situation des collectivités territoriales, qui gèrent 90 % des ponts routiers et qui sont donc fortement exposées.

La mission a rencontré une cinquantaine de personnes au cours de nombreuses auditions et tables rondes, et lors de trois déplacements effectués à Gênes, en Moselle et en Seine-et-Marne. Afin de recueillir le plus grand nombre possible de témoignages d'élus, un questionnaire a été mis en ligne sur la plateforme de consultation des élus locaux du Sénat. Près de 1 200 contributions y ont été déposées, qui ont étayé les constats de la mission.

La mission s'étant vue confier les pouvoirs d'une commission d'enquête, elle a par ailleurs pu avoir communication d'un grand nombre de documents et rapports de l'État sur le sujet.

L'ensemble de ces données et témoignages nous a permis de dresser plusieurs constats sur la situation des ponts en France. Et ces constats sont inquiétants.

Le premier constat, c'est qu'il n'est pas possible aujourd'hui de connaître le nombre exact de ponts en France. Ce constat est surprenant, et en lui-même révélateur des lacunes de la politique de surveillance et d'entretien des ponts.

On estime qu'il existe entre 200 000 et 250 000 ponts en France, dont 24 000 appartiennent à l'État - la moitié étant géré par les sociétés concessionnaires d'autoroutes -, entre 100 000 et 120 000 sont gérés par les départements et entre 80 000 et 100 000 sont gérés par les communes et les intercommunalités.

En tant qu'éléments permettant d'assurer la continuité des voies de communication, ces ouvrages sont indispensables à l'activité économique - la route restant, de loin, le principal mode de transport de personnes et de marchandises.

Deuxième constat : l'état des ponts routiers s'est dégradé de manière continue ces dernières années et est aujourd'hui préoccupant.

En dix ans - de 2007 à 2017 -, le pourcentage des ponts gérés par l'État nécessitant un entretien sous peine de dégradation ou présentant des défauts est passé de 65 % à 79 %. 720 ponts environ sont actuellement en mauvais état et nécessitent des travaux de réparation.

S'agissant des départements, 8,5 % des ponts dont ils ont la gestion sont en mauvais état, ce qui représente environ 8 500 ponts, et près de 30 % nécessitent des travaux d'entretien spécialisé.

Quant aux ponts gérés par les communes et les intercommunalités, c'est la grande inconnue. Les dernières données disponibles datent de 2008 et ont été collectées dans le cadre de l'assistance que l'État apportait aux petites collectivités pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire - l'Atesat, qui a été supprimée en 2014.

À l'époque, sur 17 600 ouvrages évalués, 16 % étaient en mauvais état et 20 % nécessitaient des réparations.

Tout indique que l'état des ponts communaux s'est dégradé depuis 2008. La suppression de l'assistance de l'État, l'absence de politique généralisée de surveillance et d'entretien des ponts, la dégradation de la situation financière des collectivités territoriales et les réorganisations territoriales successives ont certainement pesé sur l'entretien des ponts.

D'après les experts rencontrés par la mission, il est probable qu'aujourd'hui 18 % à 20 % des ponts des petites communes soient en mauvais ou très mauvais état, soit plus de 16 000 ponts.

Ainsi sur l'ensemble du patrimoine routier, il y a a minima 25 000 ponts dont la structure est altérée ou gravement altérée.

Troisième constat : la dégradation de l'état des ponts pose des problèmes de sécurité et de disponibilité.

À la suite d'un audit externe réalisé sur l'état des ponts du réseau routier national non concédé, le ministère des transports a indiqué que 7 % des ponts gérés par l'État « présentaient à terme un risque d'effondrement » avec une forte probabilité de devoir être fermés préventivement à la circulation.

Quant aux ponts communaux, la mission a été à de nombreuses reprises alertée au cours de ses travaux sur les problèmes de sécurité que leur état pose. Elle a par exemple été saisie de la situation de la commune de Sainte-Radegonde-des-Noyers, qui est propriétaire d'un pont dans un état préoccupant qu'elle n'est pas en mesure de réhabiliter. Ce pont supporte un ouvrage hydraulique qui, s'il était endommagé, engendrerait des risques d'inondations pour les territoires en amont. Il s'agit d'un exemple parmi de nombreux autres.

Le mauvais état des ponts se traduit en outre par la mise en place de restrictions de circulation ou de fermetures d'ouvrages. Ces fermetures peuvent être ponctuelles, le temps de procéder à des travaux de réparation, mais elles peuvent également se prolonger lorsque les gestionnaires de voirie n'ont pas la possibilité de financer les travaux nécessaires.

Dans tous les cas, elles pénalisent les usagers dans leurs trajets quotidiens.

Lors de la table ronde des élus locaux que nous avions organisé en commission au mois de janvier, M. François Poletti, adjoint au maire d'Argenteuil avait par exemple témoigné des difficultés rencontrées par sa commune suite à l'effondrement d'une partie du mur de soutènement du viaduc de Gennevilliers en mai 2018. 190 000 véhicules transitant sur le viaduc chaque jour, sa fermeture partielle a entraîné des embouteillages très importants sur l'ouvrage et sur les axes de déviation, et généré des nuisances pour les automobilistes et les riverains - le retour à la normale n'étant intervenu qu'en mars 2019.

Ces problèmes de sécurité suscitent l'inquiétude des usagers et des élus locaux que nous avons rencontrés.

Sur la plateforme de consultation du Sénat, 61 % des élus locaux ayant répondu au questionnaire ont ainsi indiqué que l'état des ponts constituait pour eux une source de préoccupation. Et un sondage récent réalisé par IPSOS a montré une baisse du taux de satisfaction des Français concernant l'état du réseau routier.

Je laisse maintenant la parole aux rapporteurs afin qu'ils vous présentent les raisons pour lesquelles nous sommes dans cette situation, ainsi que les propositions de la mission pour en sortir.

M. Michel Dagbert, rapporteur. - Le constat que vous a présenté le président Hervé Maurey est inquiétant et invite à se demander : comment en est-on arrivé là ?

Trois phénomènes principaux expliquent que l'état des ponts se soit dégradé au cours des dernières années.

Le premier phénomène, c'est le vieillissement du patrimoine des ponts en France. Comme toute infrastructure, les ponts ont une durée de vie limitée, qui est en théorie de 100 ans, mais qui s'établit en pratique autour de 70 ans en moyenne.

Or, de nombreux ouvrages ont un âge avancé. Un quart des ponts gérés par l'État ont été construits entre 1950 et 1975 et arrivent ou arriveront donc prochainement en « fin de vie », soit 2 800 ponts. De même, l'âge du patrimoine des communes dépasse souvent 50 ans.

Par ailleurs, certains types de ponts sont des ponts « à risques », car susceptibles de développer des pathologies particulières, et nécessitent donc une vigilance renforcée.

C'est notamment le cas des ponts en béton précontraint construits avant 1975, des buses métalliques, qui sont soumises à des phénomènes de corrosion importants, des ponts en maçonnerie situés en milieu aquatique ou encore des ponts mixtes acier-béton.

La mission a également été alertée sur le risque d'une accélération à venir du vieillissement des ponts sous l'effet de deux facteurs.

Le réchauffement climatique, d'une part, à travers la multiplication d'événements exceptionnels (crues, tempêtes). Les inondations survenues dans l'Aude en octobre 2018, qui ont provoqué la destruction de quatre ponts, sont un exemple marquant ;

Les conséquences de l'utilisation de certains outils de navigation GPS, d'autre part, qui orientent le trafic, notamment poids lourds, sur des ponts qui ne sont pas conçus pour supporter de telles charges.

La deuxième cause de dégradation de l'état des ponts, c'est l'insuffisance des moyens qui sont consacrés à leur entretien.

Ces dernières années, l'État a consacré en moyenne 45 millions d'euros par an à l'entretien des ouvrages d'art, soit environ 0,2 % de leur valeur à neuf lorsque l'OCDE recommande d'y consacrer 1,5 %.

Ce montant est largement insuffisant pour assurer l'entretien du patrimoine des ponts et éviter que leur état ne se dégrade.

Plusieurs audits du réseau routier récents ont montré que le maintien d'un tel budget conduirait à un doublement du nombre d'ouvrages en mauvais état dans les dix prochaines années, et à un triplement voire un quadruplement de ce nombre en vingt ans, ce qui se traduirait par des risques de sécurité importants pour les usagers.

Ces audits ont évalué entre 110 et 120 millions d'euros par an le budget nécessaire pour améliorer l'état des ouvrages d'art, soit deux fois plus que le budget actuel.

S'agissant des collectivités territoriales, les budgets qu'elles consacrent à l'entretien de leurs réseaux routiers sont fluctuants. Après avoir augmenté entre 2003 et 2013, ces dépenses de voierie ont baissé de près de 30 % entre 2013 et 2017, pour atteindre 11,7 milliards d'euros.

Cette baisse s'explique notamment par la baisse des dotations de l'État appliquée depuis 2014, ainsi que, s'agissant des départements, par l'augmentation de leurs dépenses relatives aux allocations individuelles de solidarité et par la prise en charge de nouvelles dépenses, par exemple en matière de numérique.

Lors de son audition devant notre commission, l'Assemblée des départements de France avait indiqué que deux tiers des départements estiment que l'entretien des ponts pose des problèmes financiers importants ou très importants.

Le troisième facteur qui explique la dégradation de l'état des ponts, ce sont les limites que présente la politique de surveillance et d'entretien.

L'État applique un référentiel technique qui prévoit notamment une visite d'évaluation des ouvrages tous les trois ans. Toutefois, cette évaluation repose sur un suivi des dégradations visibles qui n'est pas suffisant pour détecter les pathologies qui se développement à l'intérieur des matériaux.

Le cas du pont de Gennevilliers, dont un des murs de soutènement s'est effondré sans que les inspections visuelles n'aient pu le détecter, montre les limites de cette méthode.

Les experts que la mission a rencontrés ont tous convergé pour souligner qu'il était nécessaire d'améliorer la gestion des ponts en évoluant vers une politique de gestion du risque et en consacrant davantage de moyens au préventif plutôt qu'au curatif.

Il existe par ailleurs des tensions sur les effectifs consacrés à l'entretien des ponts dans les services de l'État comme dans les départements, qui rencontrent des difficultés à recruter et à conserver un personnel technique suffisant, en raison d'une raréfaction des compétences en matière d'ingénierie spécialisée.

La mission a également été alertée d'une difficulté à laquelle les gestionnaires de voirie peuvent être confrontés : la perte des archives liées aux ponts. Il arrive en effet que les éléments techniques relatifs aux ponts aient été perdus, notamment à l'occasion de transferts de compétences, ce qui nécessite de procéder à des investigations coûteuses pour les reconstituer.

L'ensemble de constats relatifs au manque de moyens financiers et humains sont plus préoccupants encore s'agissant plus spécifiquement des communes et des intercommunalités.

Il ressort des travaux de la mission qu'une grande partie de ces collectivités ne sont pas équipées pour assurer la gestion et l'entretien de leurs ponts, car elles ne disposent ni de l'expertise interne ni des ressources financières suffisantes.

90 % des élus des communes et des intercommunalités ayant répondu à la consultation du Sénat ont indiqué que leur collectivité ne dispose pas de ressources en interne pour assurer la gestion de leurs ponts. Il en résulte qu'un grand nombre de communes méconnaissent le nombre de leurs ponts et leur état.

Par ailleurs, les coûts que représentent le diagnostic, l'entretien, la remise en état et la reconstruction des ponts sont souvent prohibitifs pour les petites communes et intercommunalités.

La mission a ainsi été alertée à de nombreuses reprises sur la situation de communes qui sont dans l'incapacité de financer des travaux de remise en état de leurs ponts.

Lors de son déplacement en Seine-et-Marne, la mission a par exemple visité deux ponts appartenant aux communes de Guérard et de Tigeaux fermés à la circulation depuis 2014 en raison de leur mauvais état. Les travaux de réhabilitation ont été estimés à un million d'euros par pont, soit un investissement hors de portée pour les communes compte tenu de leurs ressources budgétaires - le budget annuel de la commune de Guérard étant de 3 millions d'euros.

Enfin, la mission a été alertée sur la situation de ponts qui posent des problèmes particuliers.

Les ponts dits « orphelins », d'une part, dont la propriété n'est pas établie ou est contestée, et qui ne sont par conséquent pas entretenus. La mission a par exemple visité un pont à Petite-Rosselle, en Moselle, qui a été construit par les Houillères du Bassin de Lorraine et qui devrait donc aujourd'hui être pris en charge par l'État. Mais celui-ci refuse jusqu'à présent d'assumer le coût de réparation de ce pont en très mauvais état ;

Les « ponts de rétablissement » des voies qui ont été coupées par de nouvelles infrastructures de transports, d'autre part. Ces ponts peuvent générer des conflits entre les collectivités et les gestionnaires SNCF Réseau et Voies navigables de France s'agissant de leur entretien. En application de la loi du 7 juillet 2014, votée à l'initiative de notre ancienne collègue Évelyne Didier, un recensement de ces ponts qui ne font pas l'objet d'une convention de répartition des charges d'entretien a été effectué. Plus de 17 000 ponts ont été identifiés, qui sont en attente de conventionnement.

M. Patrick Chaize, rapporteur. - Face au constat inquiétant qui vous a été présenté, la mission considère qu'il est essentiel de mettre en place des mesures urgentes afin d'enrayer la dégradation de l'état des ponts, en particulier ceux gérés par les communes et les intercommunalités dont l'état est particulièrement préoccupant. Il en va de la sécurité des usagers.

Après des années de sous-financement, la priorité est d'augmenter les moyens consacrés à l'entretien des ponts, en mettant en oeuvre un véritable « plan Marshall ».

Ce plan viserait, premièrement, à doubler les montants consacrés par l'État à l'entretien de ses ouvrages d'art, pour les porter à 120 millions d'euros dès l'année prochaine, soit le niveau recommandé par différents audits pour stopper leur dégradation.

Le Gouvernement a engagé, depuis 2017, une trajectoire d'augmentation des crédits dédiés à l'entretien des réseaux routiers et des ponts, qui est certes positive mais qui est insuffisante au regard des besoins.

Le deuxième volet de ce « plan Marshall », c'est la mise en place d'un fonds d'aide aux collectivités territoriales. Les travaux de la mission ont en effet mis en évidence qu'un grand nombre de collectivités étaient dans l'incapacité d'assurer l'entretien de leurs ponts. Sans une aide financière, l'état de ces ponts ne pourra que continuer à se dégrader à l'avenir.

Ce fonds doit par conséquent poursuivre deux objectifs.

Premièrement, permettre qu'un diagnostic de l'ensemble des ponts des petites communes et intercommunalités soit réalisé d'ici cinq ans.

Deuxièmement, permettre aux collectivités qui en ont besoin de bénéficier d'une aide pour procéder aux travaux de réparation et de reconstruction de leurs ponts d'ici dix ans.

L'objectif est donc que, d'ici dix ans, l'état de l'ensemble du parc des ponts routiers français soit connu, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui, et que les ponts les plus dégradés aient fait l'objet de travaux de remise en état.

Ce fonds bénéficierait aux collectivités qui rencontrent des difficultés pour financer les diagnostics et les travaux de réparation de leurs ponts, en fonction de critères liés au nombre de ponts dont elles ont la gestion et à leurs ressources financières, et sur la base d'un cofinancement.

Au regard des besoins estimés par la mission, ce fonds devrait être doté de 130 millions par an pendant une durée de dix ans, soit 1,3 milliard d'euros au total.

Afin d'alimenter ce fonds, la mission recommande d'utiliser les crédits actuellement dédiés au programme de mise en sécurité des tunnels, qui s'achèvera en 2021.

À la suite de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, des mesures fortes ont été prises pour renforcer la surveillance des tunnels et des moyens très importants ont été consacrés à leur sécurisation. Entre 2007 et 2018, 1,2 milliard d'euros ont été alloués à ces travaux.

Nous considérons qu'il ne faut pas attendre qu'un drame se produise pour augmenter les moyens consacrés aux ponts, mais qu'il convient d'agir dès maintenant en réalisant, au cours des dix prochaines années, un effort financier identique à celui consacré aux tunnels.

En dehors de ces moyens financiers, devant être déployés à court terme, la mission recommande de mettre en place des mesures structurelles permettant de développer une gestion patrimoniale des ponts.

Tout d'abord, afin d'améliorer la connaissance et le suivi des ponts, la mission préconise la mise en place de trois outils.

Premièrement, un système d'information géographique (SIG) national, permettant de recenser tous les ouvrages d'art en France.

Deuxièmement, un « coffre-fort numérique » permettant aux gestionnaires de voirie d'archiver les documents techniques relatifs à leurs ponts. Cela permettrait d'éviter les pertes d'archives que l'on constate fréquemment.

Troisièmement, un « carnet de santé » pour chaque pont, permettant d'assurer le suivi de leur état et de retracer les opérations effectuées sur l'ouvrage ainsi que celles à venir.

La mission recommande également d'améliorer la prise en compte des dépenses d'entretien des ponts dans la comptabilité publique.

Les ponts sont aujourd'hui insuffisamment considérés comme un patrimoine qui, au même titre que d'autres biens, doit faire l'objet de provisions pour renouvellement et d'actions préventives.

Or le sous-entretien des ponts se traduit par des coûts de réparation beaucoup plus importants ensuite, ce qu'on appelle la « dette grise ».

Afin d'inciter les collectivités à consacrer davantage de moyens à l'entretien préventif des ponts, la mission recommande par conséquent d'intégrer dans la section « investissement » des budgets des collectivités les dépenses de maintenance des ouvrages d'art, qui sont actuellement considérées comme des dépenses de fonctionnement mais qui permettent d'accroître la durée de vie des ouvrages. Afin de créer un effet incitatif, nous proposons que ce changement comptable soit ouvert aux collectivités pendant une période transitoire de dix ans.

Il conviendrait également de lancer une concertation pour adapter les outils de comptabilité publique afin qu'ils prennent en compte l'amortissement des ouvrages d'art et le provisionnement de sommes pour assurer leur entretien.

Pour terminer, la mission considère qu'il est essentiel d'apporter une offre d'ingénierie aux collectivités territoriales.

Afin d'aider les petites communes et les intercommunalités à définir une politique de maintenance de leurs ponts, il conviendrait d'élaborer et de mettre à leur disposition un référentiel technique allégé - celui utilisé par l'État n'étant pas adapté.

Par ailleurs, il est nécessaire de recréer une ingénierie publique locale pouvant être mobilisée par les communes et les intercommunalités qui font face à des difficultés dans la gestion de leurs ouvrages.

La suppression de l'assistance que l'État apportait aux communes (Atesat), en 2014, a laissé un vide qui n'a été que partiellement comblé par les départements, en fonction de leurs capacités financières.

L'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), qui sera créée prochainement, devrait permettre de mobiliser une ingénierie technique et financière au profit des collectivités qui en ont besoin.

Le ministre des relations avec le Parlement a confirmé la semaine dernière en séance publique que l'ANCT pourra apporter un appui en matière d'infrastructures de transport, donc d'ouvrages d'art. Mais elle devra pour cela être dotée de moyens humains et financiers suffisants.

De même, il conviendra que l'ANCT puisse mobiliser l'expertise du Cerema au profit des collectivités territoriales, comme s'y est engagé le Gouvernement. Aujourd'hui, les actions de partenariat entre le Cerema et les collectivités ne représentent que 6 % de ses activités...

En dehors de l'appui de l'ANCT, la mission recommande de mutualiser la gestion des ponts des collectivités territoriales soit au niveau des intercommunalités, lorsqu'elles ont une taille suffisante, soit au niveau des départements, en mettant en commun un ou plusieurs experts en ouvrages d'art.

L'emploi de personnels spécialisés ne se justifie économiquement que lorsque le patrimoine de ponts a une taille suffisante, ce qui n'est pas le cas pour de nombreuses communes.

Par conséquent, la mutualisation des moyens humains et techniques, par le biais d'un conventionnement, est une solution pertinente pour maintenir des compétences rares et coûteuses sur un territoire.

Enfin, de manière plus générale, la mission estime qu'il convient de d'appréhender la gestion des ponts d'un territoire au niveau départemental, et de sortir de la stricte logique de « maîtrise d'ouvrage », selon laquelle le propriétaire du pont doit en assurer l'entretien.

La mission recommande par conséquent la mise en place d'un schéma départemental permettant d'identifier, à l'échelle du territoire, les voies et les ouvrages à fort enjeu.

Un tel document ouvrirait la possibilité que les travaux de réparation des ponts fassent l'objet d'un cofinancement de la part de plusieurs collectivités compte tenu de leur importance et de leur intérêt à l'échelle du département.

Voilà, mes chers collègues, les principaux constats et propositions que nous souhaitions vous présenter ce matin.

M. Jean-François Longeot. - Malheureusement, le constat est dramatique. Les maires ne savent pas toujours qui est propriétaire de tel ou tel ouvrage. Cette mission aura permis de sensibiliser et d'informer les maires sur le sujet. Les maires de communes ayant un pont peu utilisé mais en mauvais état sont souvent démunis, face à un problème qui relève de l'ingénierie. Au-delà du volet financier, l'accompagnement technique des collectivités est fondamental. Des défauts d'entretien accumulés sur plusieurs années nous obligent à dépenser des moyens considérables ne serait-ce que pour colmater les brèches.

M. Patrick Chaize. - Je rejoins notre collègue Jean-François Longeot, qui conforte les conclusions de notre rapport. Une collectivité ne dispose pas forcément du recensement de ses ponts, souvent car elle n'a pas eu l'idée de le réaliser. Elle ignore généralement vers qui se tourner pour bénéficier d'un appui technique ou financier. Il faudrait donc pouvoir ouvrir et offrir une mutualisation de la gestion des ponts, en évitant les problématiques juridiques, de fonds de concours et de responsabilité que l'on connaît aujourd'hui.

M. Hervé Maurey, président. - Je voudrais revenir sur une des mesures que nous préconisons, en réponse à l'intervention de Jean-François Longeot : la mise en place de schémas départementaux pour identifier les flux de véhicules.

Les deux communes de Seine-et-Marne que nous avons visitées avaient chacune un pont totalement fermé à la circulation en raison du coût financier que représente leur remise en état. Mobiliser 1 million d'euros n'est pas évident pour une commune disposant d'un budget annuel de 3 millions d'euros, sachant que ces ponts ne relèvent pas de la compétence de l'intercommunalité. Aujourd'hui, environ 30 % des communes n'ont pas transféré la compétence « voirie » à l'intercommunalité et donc la gestion des ponts. D'ailleurs, la plupart ne souhaite pas le faire, et j'ai relevé, lors de notre déplacement en Seine-et-Marne, qu'il s'agissait d'un sujet sensible. S'agissant de ces deux communes, il n'y a sans doute pas besoin de reconstruire entièrement les deux ponts, mais il faudrait au moins en réhabiliter un et que le département s'implique dans ces travaux car il existe des flux routiers qui sont au minimum d'intérêt départemental.

Mme Éliane Assassi. - Je voudrais tout d'abord remercier la commission d'avoir créé cette mission d'information. Il faut reconnaître le travail rigoureux et minutieux du président et de nos rapporteurs. En participant à quelques auditions, j'ai pu constater combien le sujet était vaste et le danger latent. Un plan d'urgence s'impose, et je souscris par conséquent à l'idée de mettre en place un « plan Marshall ».

La proposition de prendre le relais des financements qui ont été utilisés pour les tunnels est intéressante, car elle permettrait de répondre à cette urgence.

Je suis aussi très intéressée par les propositions permettant de répondre aux attentes des collectivités territoriales, en particulier des petites collectivités. En ce sens, il existe déjà un vrai enjeu pour l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Je suis également sensible à la proposition visant à créer un « coffre-fort numérique » pour archiver les données car, au cours des auditions, nous avons été alertés sur la problématique de la perte des données relatives à certains ouvrages.

En conclusion, je suis ravie du rapport qui nous a été présenté ce matin et je souscris totalement à ses constats et à ses propositions.

M. Hervé Maurey, président. - Concernant l'ingénierie, il est vrai que les communes ne sont pas toutes égales entre elles. Certaines communes arrivent à bénéficier d'une ingénierie, car elles sont situées sur un territoire où le département a mis en place une agence départementale technique qui permet d'apporter un appui ou, dans certains cas, l'intercommunalité est compétente en matière de voirie et bénéficie d'une expertise suffisante. Mais dans d'autres cas, les communes ne bénéficient d'aucune aide.

C'est pour cela que nous avons souhaité interroger le Gouvernement à propos de l'ANCT, afin de savoir si elle pourrait appuyer les collectivités territoriales en matière de gestion de leurs ouvrages d'art. Une réponse positive a été obtenue. Reste à voir comment cela se passera concrètement. Il faudra également assurer un lien avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), qui n'est pas inclus dans l'ANCT. Celui-ci possède une réelle expertise, mais malheureusement ses moyens humains et financiers ont diminué ces dernières années.

M. Olivier Jacquin. - Vous plaidez pour une gestion des ponts planifiée à long terme, avec une offre d'ingénierie publique et des fonds mutualisés, vision dont on ne peut que se satisfaire. L'idée de réaffecter les crédits du fonds dédié aux tunnels donne une crédibilité particulière à vos propositions.

Je suis satisfait que la piste d'une gestion privée ou déléguée des ponts par des formules diverses et variées ait été écartée, alors qu'elle aurait été évoquée, sans aucun doute, en d'autres temps. Dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités, un amendement a été adopté par les députés à l'initiative de Joël Giraud, qui porte sur les concessions autoroutières : il propose de modifier le code des transports pour revoir la définition de l'autoroute, ce qui serait susceptible de faire rentrer dans le champ des concessionnaires autoroutiers des sections de route alimentant les autoroutes. Il y a donc une extension de la définition des concessions. Dans mon département, il existe un ouvrage d'art très important alimentant une autoroute, qui pourrait être concerné par cette approche.

Concernant la loi de 2014 adoptée à l'initiative de notre ancienne collègue Évelyne Didier, j'ai un exemple dans mon département : nous sommes en négociation avec Voies navigables de France (VNF), l'État et une commune à propos d'un ouvrage qui a été créé pour franchir un canal et remis à ladite commune qui ne peut le prendre en charge. Les premières réunions ont eu lieu et les discussions s'avèrent très longues et complexes pour savoir qui va payer quoi. L'État reconnaît que la commune ne peut pas le prendre en charge. Toutefois, il va être compliqué que VNF assume sa responsabilité.

M. Michel Dagbert, rapporteur. - Le point que vous soulevez souligne la nécessité de conventionner pour déterminer les modalités de gestion des ouvrages de franchissement. Il convient de trouver la clé de répartition entre l'opérateur et le maître d'ouvrage s'agissant de l'entretien de ces ponts. À ce jour, 17 000 ponts sont en attente de conventionnement, avec VNF, SNCF Réseau, ou l'État.

M. Hervé Maurey, président. - En complément de l'intervention d'Olivier Jacquin, je vous signale que le candidat pressenti pour la présidence de VNF sera auditionné prochainement par notre commission, en application de l'article 13 de la Constitution. Vous pourrez ainsi lui poser toutes les questions que vous souhaitez.

Concernant l'amendement de M. Giraud, nous avons été alertés avec le rapporteur Didier Mandelli sur le sujet. Il serait de nature à renforcer le pouvoir des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Nous en avons parlé avec la ministre des transports lors d'un échange préparatoire à la commission mixte paritaire (CMP) et celle-ci en a plutôt minimisé la portée. Il devra être expertisé car, pour être franc, ce ne serait pas la première fois qu'un ministre minimise la portée d'un amendement en le présentant comme technique ou rédactionnel alors que ce n'est pas le cas. Au sein de notre commission, nous ne sommes pas des adeptes des concessions accordées aux sociétés d'autoroutes.

M. Olivier Jacquin. - Je suis absolument opposé à ces concessions. À première vue, c'est très bien présenté. D'ailleurs, lors de l'une des premières auditions auxquelles le rapporteur du projet de loi d'orientation des mobilités nous a proposé de participer, l'association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA) a défendu une idée similaire à celle du présent amendement. C'est dévastateur. Je voudrais le mettre en perspective avec un amendement proposé par le député Jean-Baptiste Djebbari, mais refusé par l'Assemblée nationale, qui était extrêmement intéressant : il proposait, lorsque les concessions arriveront à leur terme, de mobiliser les recettes des autoroutes pour les infrastructures de transports.

M. Guillaume Chevrollier. - Merci aux rapporteurs pour ce travail. La mission pointe plusieurs sujets de préoccupation des élus locaux sur le recensement, la planification de l'entretien et la planification du budget d'investissement nécessaire pour réhabiliter les ouvrages, et elle aborde la question de la clarification de la compétence pour assurer ladite prise en charge.

Je voudrais vous interroger sur la place des nouvelles technologies : comment les exploiter pour optimiser et faciliter le recensement des ponts et la planification des investissements ?

Ma seconde question concerne les besoins d'ingénierie : est-ce que le Cerema est suffisamment identifié par les collectivités locales comme une structure d'expertise pouvant contribuer au recensement des ouvrages et à la planification de l'entretien ? Sachant que le Cerema a vu cette année son budget diminuer de 5 millions d'euros par rapport à l'année dernière.

M. Patrick Chaize. - Les nouvelles technologies sont des solutions intéressantes, sauf qu'en raison de leur coût, elles sont et devront être réservées aux grands ouvrages d'art, qui ne représentent pas la majorité des ouvrages concernés dans le cadre de nos travaux. Néanmoins, des expérimentations utilisant ces nouvelles technologies (capteurs, drones, etc.) ont lieu. Elles permettent d'avoir un suivi permanent et continu de l'état des ponts, de la charge qu'ils supportent ou encore de l'impact des conditions environnementales. À court terme, je n'imagine pas une généralisation de l'utilisation de ces technologies sur l'ensemble des ponts pour des raisons de coût financier.

Concernant le Cerema, il n'est pas assez mobilisé et connu. L'ANCT peut être un relais pour apporter une compétence, en parallèle du Cerema, afin d'accompagner les collectivités, sous réserve qu'il dispose des moyens humains et financiers suffisants.

M. Hervé Maurey, président. - S'agissant de l'utilisation des nouvelles technologies, j'ai eu l'occasion de rencontrer une société qui développe un système de pose de capteurs et de suivi. Un contrat annuel permet de suivre la vie du pont. En Italie, des contrats ont été conclus sur ce vol. Mais je rejoins Patrick Chaize : cela représente un coût annuel inenvisageable pour les petits ponts.

Concernant le Cerema, je regrette qu'il ne fasse pas partie de l'ANCT. La voie d'un format réduit de l'ANCT a été retenue en raison de la crainte d'une nouvelle réorganisation du Cerema, susceptible de « traumatiser » plusieurs centaines d'agents. Or, de mon point de vue, il y avait une vraie logique à intégrer le Cerema.

M. Benoît Huré. - Merci pour la qualité du travail, qui s'inscrit dans nos missions d'expertise à l'égard des collectivités et de l'État. Les communes et les intercommunalités ont pris conscience de la problématique que vous évoquez. En raison des sommes à engager, la réparation des ponts est souvent reportée. Parfois, il est plus facile de mettre un panneau « tonnage limité ».

Après des discussions avec des responsables techniques de différentes collectivités, il m'a été indiqué que les études environnementales préalables à la mise en oeuvre de travaux près des milieux aquatiques - qui sont d'ailleurs les mêmes pour un fleuve que pour un ruisseau intermittent coulant que l'hiver - peuvent représenter plus de 30 % du coût total des travaux. Il faut également ajouter la lourdeur administrative des dossiers. En raison de la récurrence de ces questions, je souhaiterais qu'il soit possible d'avoir une approche pragmatique : ne pourrait-on pas, pour des questions d'urgence, alléger un certain nombre d'études ? L'année dernière, j'ai assisté à un chantier où le représentant de la police de l'eau lui-même était un peu gêné de venir sur le chantier. Je souhaiterais expertiser les coûts de ces évaluations et que soit mise en place une boite à outils plus utile.

J'ai entendu que 30 % des communes n'avaient pas transféré la compétence voirie aux intercommunalités. Est-ce que nous ne pourrions pas montrer le chemin en étant incitatifs sur la réalisation d'un tel transfert ? Par expérience, quand les communes les plus réticentes à transférer la compétence voirie y ont été forcées, elles ne veulent plus reprendre cette compétence par la suite, en raison des bénéfices tirés de « l'effet de masse Dans certains cas, la défense des petites communes passe aussi en leur montrant en chemin. Il y a des économies à faire.

M. Michel Dagbert, rapporteur. - C'est un crève-coeur pour un certain nombre d'élus de transférer la compétence voirie au niveau intercommunal. Compte tenu de la technicité nécessaire, des montants en jeu et de la responsabilité de celui qui est en charge de l'ouvrage, ce transfert de compétence va se faire naturellement. Il n'est pas utile de s'accrocher à l'exercice d'une compétence si elle pose des difficultés en termes de responsabilité et en matière technique et financière.

Concernant l'ingénierie, le Cerema est plutôt bien identifié par les départements compte tenu des compétences qu'ils possèdent, comme l'illustre par exemple les travaux de l'association professionnelle des directeurs généraux adjoints en charge de la voirie qui participe à des colloques et des études nationales voire internationales. Par contre, les communes et les intercommunalités méconnaissent le Cerema et on se demande d'ailleurs s'il pourra faire face à un fort afflux de demandes et répondre aux sollicitations, ses moyens ayant été réduits ces dernières années.

M. Patrick Chaize, rapporteur. - Concernant le transfert de compétence voirie, il faut ajouter que certaines intercommunalités n'en veulent pas non plus ! Il ne peut pas y avoir de généralisation en la matière.

M. Hervé Maurey, président. - Je comprends qu'une intercommunalité n'ait pas envie de récupérer une compétence très coûteuse. Lorsque cette question a été évoquée avec les maires de Seine-et-Marne, ils étaient hostiles à un tel transfert, y compris ceux qui n'arrivaient pas à financer la reconstruction de leurs ponts, car ils avaient le sentiment de perdre une compétence importante, contribuant une nouvelle fois à la diminution de leur pouvoir.

M. Benoît Huré. - S'agissant de l'impact du coût des mesures environnementales quand il est procédé à des travaux, il faut arrêter d'avoir des sujets tabous. Il faut avoir le courage d'aborder les questions et justifier les solutions retenues si elles sont justifiables.

M. Michel Dagbert, rapporteur. - Dans les préconisations, il est demandé de bâtir un référentiel allégé pour les collectivités territoriales par rapport aux référentiels nationaux appliqués aux ouvrages.

La mission n'a pas abordé les problématiques spécifiques liées à l'eau mais il est évident qu'il ne faut pas venir mettre des entraves disproportionnées par rapport à la nature de l'ouvrage, au trafic supporté et aux potentialités financières de la collectivité.

M. Patrick Chaize, rapporteur. - C'est un sujet qui a été identifié mais n'a pas été intégré dans les propositions car il constitue une remise en cause de la loi sur l'eau.

M. Michel Dagbert, rapporteur. - Je pense qu'il faut éviter les commissions travaillant en tuyaux d'orgue. Il faut de la transversalité. La délégation aux collectivités a reçu récemment les préfets expérimentateurs à qui sera offerte la possibilité de déroger à certaines règlementations lorsque l'analyse permet de constater qu'il est possible de mettre en place un dispositif plus léger. C'est peut-être par cette voie que la solution sera trouvée.

M. Didier Mandelli. - Je vous félicite pour le travail réalisé et vos préconisations, qui démontrent tout l'intérêt de la mission. L'exemple cité de Sainte-Radegonde-des-Noyers, commune vendéenne, illustre la complexité de la situation. Cette commune a un pont écluse - soit un ouvrage hydraulique - qui est très ancien. Il régule l'eau dans une partie du marais poitevin. Il a été fragilisé à l'occasion de la tempête Xynthia. La complexité réside dans le fait que ce pont est à la limite de deux communes, deux départements et deux régions différentes. Cet ouvrage à vocation hydraulique permet par ailleurs d'éviter aux véhicules l'empruntant de faire 20 kilomètres supplémentaires.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités, le sujet a été abordé avec la mission. Des discussions sont menées avec le ministère ainsi qu'avec l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) sur le programme de mise en sécurité des tunnels et j'espère que le travail de la commission permettra au Gouvernement et à l'Afitf d'intégrer le financement nécessaire pour les dix ans à venir en prenant en compte tous les besoins, même s'ils sont nombreux (fluvial, route, etc.). Ce rapport devra servir de socle pour ces travaux.

Mme Angèle Préville. - Je vous remercie à mon tour pour ce panorama complet, très éclairant, et les propositions intéressantes et pertinentes que vous avez formulées, en particulier s'agissant du financement. Je vous félicite pour cette idée, ainsi que pour vos préconisations sur le schéma départemental.

Élue locale, j'avais été frappée par le reclassement de la voirie départementale, initiée pour des raisons budgétaires. Pourtant, nous avons au sein des services départementaux des agents techniques experts de ces sujets. Pensez-vous les mobiliser dans le cadre du schéma départemental ?

S'agissant des ponts construits entre 1950 et 1970, je suis effarée de constater la différence entre tout ce qui a pu être fait par le passé et tout ce que nous sommes incapables de conforter ou de garder en état aujourd'hui. Il y a un véritable manque d'investissement dans nos infrastructures.

M. Patrick Chaize, rapporteur. - S'agissant des moyens et compétences, ils dépendront de chaque département, des agents et de leur expérience. Nous ne pouvons pas fixer de règle générale, c'est pourquoi nous avons souhaité inciter au développement de schémas départementaux.

Il est vrai que les moyens ne sont plus les mêmes que par le passé, notamment parce que, aujourd'hui, les départements doivent également investir dans des domaines qui n'existaient pas auparavant, comme le numérique. Néanmoins, il faut prendre conscience de la durée de vie des ouvrages et de leur nécessaire renouvellement - c'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous préconisons une gestion patrimoniale incluant des provisions pour le renouvellement.

M. Hervé Maurey, président. - Il est évident que tous les départements n'auront pas la même capacité à apporter une assistance en ingénierie aux communes. C'est un choix qui appartient aux collectivités.

Mme Évelyne Perrot. - Avez-vous abordé dans le rapport le sujet de l'obligation d'entretien des rives situées près des ponts ? Il faudrait notamment que les riverains débarrassent tout ce qui risquerait d'être emporté en cas de crue, car ce sont des choses qui viennent ensuite buter contre les piliers des ouvrages et les fragilisent.

M. Hervé Maurey, président. - Nous n'avons pas abordé directement le sujet, mais nous avons évoqué les conséquences des risques climatiques sur l'état des ponts.

M. Guillaume Gontard. - Je tiens également à vous remercier pour les mesures précises et très concrètes que vous avez formulées. Il est important de réaliser les travaux de maintenance.

J'ai rencontré le syndicat des scaphandriers, qui ont dénoncé le manque d'entretien des ouvrages, qui rend leurs interventions de plus en plus difficiles et dangereuses. Avec une maintenance régulière, cela n'arriverait pas, et effectués plus régulièrement, les travaux seraient également moins importants. Je trouve donc très positif de proposer que les coûts d'entretien puissent être assurés grâce au budget dédié à l'investissement.

Par ailleurs, les GPS orientent parfois les camions vers des ponts qui ne sont pas prévus pour un passage intensif de tels véhicules, ce qui contribue à dégrader les ouvrages. Avez-vous formulé des propositions sur ce sujet ?

M. Hervé Maurey, président. - S'agissant des navigateurs, les rapporteurs proposent effectivement la mise en place d'un système d'information géographique (SIG) pour rendre l'information disponible.

Quant à la dégradation des piliers, qui va croissante à mesure que l'on repousse les travaux, c'est hélas une vérité générale en matière de voirie. En 2017, lors de nos travaux sur les infrastructures routières et autoroutières, des experts nous avaient prévenus : si on ne met pas un euro dans les infrastructures aujourd'hui, on en mettra dix dans dix ans... D'où l'intérêt d'entretenir et d'anticiper.

Si le budget dédié à la maintenance des ponts de l'État - environ 45 millions d'euros par an en moyenne depuis 10 ans - n'augmente pas, le nombre de ponts en mauvais état aura doublé dans dix ans, et probablement triplé dans vingt ans. À titre de comparaison, en Allemagne, le budget d'entretien des principaux ponts est passé de 450 millions d'euros en 2016 à 780 millions d'euros prévus pour 2020, soit environ 1 % de la valeur à neuf des ponts investi chaque année. Les experts préconisent entre 0,5 % et 0,8 %, l'OCDE recommande même 1,5 %, et nous sommes à 0,2 % ! Nous avons un problème de sous-entretien chronique.

Mme Pascale Bories. - Je m'interroge sur la banque de données que vous avez évoquée : qui sera chargé de sa gestion ? Les services du ministère ? Le Cerema ? L'Agence nationale pour la cohésion des territoires ? Il serait d'ailleurs intéressant d'étendre ce principe aux barrages.

Le carnet de santé des infrastructures prévu dans le schéma départemental est une initiative très intéressante, mais le schéma s'appliquera-t-il à tous les ponts, même ceux dont la gestion n'est plus assurée par le département ? Allez-vous inciter à un recensement obligatoire, afin d'assurer que l'alerte sur l'état d'un pont puisse être donnée en cas de besoin ?

Je rebondis enfin sur l'amendement Giraud, évoqué tout à l'heure. Pour ma part, j'y suis très favorable : les élus de mon territoire demandent depuis des années la création d'un nouveau pont entre les deux autoroutes du sud de la France, une liaison est-ouest à Avignon baptisée la « voie LEO ». Or, le ministère ayant une nouvelle fois repoussé aux calendes grecques son investissement dans le projet, nous recherchons donc des financements privés. Un nouvel exemple de désaffection de l'État...

M. Patrick Chaize, rapporteur. - Il nous a semblé opportun que l'institut des rues, des routes et des infrastructures pour la mobilité (Idrrim), déjà chargé de l'observatoire national de la route, soit également chargé de cette nouvelle base de données.

S'agissant du schéma départemental, il n'implique pas un transfert de compétences : seulement, compte tenu de son expertise, il nous a paru pertinent que le département soit chargé de l'agrégation des données au sein du schéma, quel que soit le gestionnaire des ponts.

Mme Nadia Sollogoub. - Je suis très heureuse d'avoir participé à ces travaux sur un sujet cher aux territoires. Les élus ont beaucoup apprécié d'être interrogés sur ce sujet dans le cadre de l'enquête que nous avons menée auprès des collectivités territoriales.

Lors de l'audition de Voies navigables de France (VNF), ses représentants ont fortement insisté sur le fait que leur métier était la voie d'eau et que, par conséquent, ils ne s'occuperaient pas des ponts. La négociation risque d'être compliquée.

Par ailleurs, la loi sur l'eau, bien que très vertueuse, a considérablement complexifié le petit entretien courant, au point d'échapper aux élus locaux. Pourquoi ne pas profiter de ce rapport pour proposer un assouplissement de l'application de cette loi ? Ce serait une grande avancée pour les agents de terrain.

M. Patrick Chaize, rapporteur. - Un paragraphe du rapport porte sur cette question.

M. Hervé Maurey, président. - Sans remettre en cause la loi sur l'eau, il est important de montrer que toutes les normes, si vertueuses soient-elles, peuvent avoir des conséquences pratiques difficiles à gérer.

M. Jean-Marc Boyer. - Je souhaite revenir sur la compétence en matière de voirie, largement transférée aux intercommunalités. Il me semble que, lors du Grand Débat, les élus ont largement exprimé leur sentiment de dépossession et de perte de pouvoir. Certes, ce transfert est généralement guidé par des choix financiers, mais il est nécessaire de trouver un équilibre entre mutualisation à visée économique et responsabilité des élus locaux.

M. Hervé Maurey, président. - Nous ne préconisons pas et nous n'obligeons pas le transfert de compétences ! Si les communes préfèrent gérer seules leurs ponts, sans bénéficier des moyens qui peuvent exister au niveau intercommunal ou départemental, c'est leur choix.

Au début des travaux de la mission, nous nous sommes interdit de proposer des mesures obligatoires qui créeraient des contraintes réglementaires ou entraîneraient un coût pour les collectivités locales. À l'époque, un journaliste qui m'interrogeait m'avait d'ailleurs dit que la solution était simple, qu'il suffisait d'obliger les communes à faire un diagnostic. Y'a qu'à, faut qu'on... Un diagnostic simple coûte environ 5 000 euros par pont. Alors lorsqu'un élu vient me dire qu'il y a 80 ponts sur sa commune...

Il n'y a donc, dans notre rapport et nos propositions, aucune volonté d'imposer des transferts de compétence ou des mutualisations.

M. Frédéric Marchand. - J'ajoute ma voix au concert de louanges, car j'ai apprécié la méthode adoptée pour nos travaux et la qualité des auditions que nous avons menées.

J'insiste sur l'importance du coffre-fort numérique, qui, en devenant un référentiel pour tous les services de navigation qui orientent parfois les camions de façon anarchique, permettra d'améliorer la visibilité.

Toutes les propositions formulées dans le rapport satisfont les maires des petites communes.

M. Michel Vaspart. - Nous solliciterons certainement beaucoup l'ANCT et le Cerema : espérons qu'ils seront capables de gérer cette soudaine affluence de demandes...

Comme pour beaucoup de missions sénatoriales, les propositions sont très intéressantes. Mais, concrètement, que fait-on pour donner corps à ce travail de fond ? Allez-vous solliciter le gouvernement ? Envisagez-vous le dépôt d'une proposition de loi ? Il faut aller plus loin.

M. Hervé Maurey, président. - Le rapport sera remis à la ministre des transports et, en fonction du retour donné par le gouvernement à nos propositions, nous aviserons. Nous pouvons également demander un débat en séance au titre de notre mission de contrôle.

M. Patrick Chaize, rapporteur. - Nous avons mené nos réflexions, formulé nos propositions. Maintenant, nous devons travailler sur la concrétisation.

M. Hervé Maurey, président. - Nous avons anticipé la fin des travaux de la mission. La commission a adopté un amendement du rapporteur Didier Mandelli lors de l'examen du projet de loi d'orientation pour les mobilités, qui pose le principe de la participation de l'État à l'entretien des ponts. Cet élément figure désormais dans le rapport annexé au projet de loi.

M. Michel Vaspart. - Il faut absolument casser l'idée que les missions et rapports restent dans les tiroirs, car le travail mené est généralement remarquable. Je compte sur vous, monsieur le président, pour insister sur ce point lors de la conférence de presse !

M. Jean-Paul Prince. - Merci pour ce beau travail.

Pour ma part, la démolition d'infrastructures comme des barrages au nom de la continuité écologique me semble poser problème. Nous devons être très vigilants à assurer une bonne gestion hydraulique au pied des infrastructures. En effet, lorsqu'il n'y a plus d'eau au pied d'un pont sur pilotis... il s'écroule, comme cela a été le cas à Tours avec le pont Wilson ! Les conséquences des actions menées au nom de la continuité écologique doivent être soigneusement étudiées, car elles affectent les infrastructures, mais également le patrimoine.

M. Michel Dagbert. - C'est une question que nous n'avons pas expertisée, mais il faudra effectivement assurer la bonne gestion des bassins hydrauliques.

La commission autorise la publication du rapport.

Nomination d'un rapporteur

La commission désigne Mme Marta de Cidrac en qualité de rapporteure pour le projet de loi pour une économie circulaire et une meilleure gestion des déchets, sous réserve de son dépôt.

La réunion reprend à 11 h 10.

Audition de M. Yann Wehrling, ambassadeur délégué à l'environnement

M. Hervé Maurey président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir M. Yann Wehrling, ambassadeur délégué à l'environnement. Il exerce cette responsabilité depuis relativement peu de temps, puisqu'il a été nommé en décembre 2018.

Vous avez commencé votre parcours professionnel en tant qu'illustrateur, mais vous avez principalement effectué votre carrière dans le monde politique : chargé de mission au Parlement européen entre 1999 et 2005, secrétaire général du parti écologiste Les Verts entre 2005 et 2007, puis secrétaire général du MoDem entre 2017 et 2018. Vous avez travaillé à l'Ademe en tant que directeur de l'action régionale pour l'est et le nord.

Vous nous expliquerez en quoi consiste votre fonction d'ambassadeur délégué à l'environnement car, dans notre assemblée, on s'interroge parfois sur l'utilité et la pertinence des fonctions d'ambassadeur spécialisé. Vous nous direz en quoi cette fonction peut être complémentaire d'autres fonctions tournées vers l'environnement, que ce soit au niveau gouvernemental ou dans des instances internationales.

Nous serions également heureux que vous puissiez nous indiquer vos priorités et peut-être dresser, même si c'est très tôt, un premier bilan de votre action, des succès que vous avez rencontrés et des difficultés auxquelles vous vous heurtez.

Vous pourrez également nous dire quelles sont les prochaines échéances importantes pour la France dans les négociations internationales en matière d'environnement, en faisant un focus sur la question des pays en voie de développement (PVD) qui, souvent, sur ces questions, ne facilitent pas toujours les choses dans les instances internationales - ce que l'on peut comprendre par ailleurs.

M. Yann Wehrling, ambassadeur délégué à l'environnement. - Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, cette audition va me permettre de vous expliquer ce que sont la diplomatie environnementale française et la diplomatie environnementale au sens général du terme.

Il me paraît nécessaire d'expliquer ce que nous portons à l'international devant le Sénat et l'Assemblée nationale, où je serai d'ailleurs entendu dans une dizaine de jours par la commission du développement durable et la commission des affaires étrangères. J'ai par ailleurs été entendu par la commission du développement durable du Conseil économique, social et environnemental (CESE). La connexion avec les assemblées parlementaires est parfois insuffisante, et il me semble important de pouvoir échanger avec vous.

Nous sommes plusieurs ambassadeurs thématiques au Quai d'Orsay. Le déploiement diplomatique de la France est parmi les plus importants au monde. Nous avons quasiment une représentation dans chaque pays, ainsi que quelques diplomates thématiques qui ne sont pas affectés géographiquement. Les uns sont chargés du numérique, les autres de l'immigration ou des océans. Nous sommes une dizaine en tout, et trois d'entre nous se partagent les questions d'environnement. Ségolène Royal est chargée des pôles Nord et Sud, Brigitte Collet est ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique, pour les énergies renouvelables et la prévention des risques climatiques. Je m'occupe du reste.

La diplomatie environnementale recouvre le suivi de tous les enjeux environnementaux à l'international et, en premier lieu, des accords qui engagent la France. Ils sont particulièrement nombreux dans le domaine de l'environnement, même s'ils ne sont pas tous de même importance. Nous en avons signé une centaine. Il est d'ailleurs assez difficile de les comptabiliser. Ils concernent tous les sujets environnementaux.

Les principales conventions dont on parle le plus souvent en matière d'environnement sont la convention climat de 2015 - la COP 15 - et la convention biodiversité, qui va devoir être renégociée pour une dizaine d'années. Ces deux conventions sont issues du sommet de la Terre de Rio de 1992. Une troisième convention importante porte sur la lutte contre la désertification, et va arriver à échéance fin 2020.

Énormément de conventions sont thématiquement plus pointues, comme la convention sur le commerce des espèces menacées (CITES). Il existe également des conventions qui ne regroupent que les pays concernés par une zone géographique, comme la convention de Barcelone, consacrée à la protection de la Méditerranée, ou la convention de Carthagène, qui couvre les mers Caraïbes. D'autres traitent des questions de déchets - convention de Bâle -, des produits chimiques - convention de Rotterdam, etc.

Le suivi de ces conventions, qui est dévolu à l'ambassadeur à l'environnement, me permet de travailler sous une double tutelle : ma lettre de mission est signée à la fois par le ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy, et par le ministre des affaires européennes et étrangères, Jean-Yves Le Drian, afin de couvrir le double champ de la diplomatie et de l'environnement.

Je vous ai dit que l'essentiel de mon travail consistait à traiter des conventions. Il se trouve que la diplomatie représente parfois plus. Il s'agit parfois de relations bilatérales, de discussions avec certains pays sur des sujets bien précis. C'est ainsi que je me suis récemment rendu au Tchad pour évoquer la coopération que la France pourrait mettre en oeuvre avec ce pays concernant la protection des éléphants, qui nous tient à coeur et à propos de laquelle nous avons réussi à construire des partenariats et des coopérations pour permettre à ce pays de mieux sauvegarder, protéger et surveiller ses espaces naturels contre le braconnage.

Je me suis d'autre part rendu en Malaisie il y a quelque temps pour dialoguer avec les autorités au sujet de l'huile de palme. Ce sujet a fait l'objet de plusieurs débats au Parlement ces dernières années et a provoqué quelques remous dans nos relations avec les pays producteurs. Une de mes missions a consisté à aller sur place pour voir comment travailler avec ce pays à une production d'huile de palme dans laquelle on ait davantage confiance et qui ne participe pas massivement à la déforestation. Ce dialogue a été plutôt constructif.

Les échéances sur la question de la biodiversité vont aller crescendo et être de plus en plus importantes. Le sujet monte indéniablement sur le plan politique, après qu'on se soit largement focalisé sur les questions climatiques.

Le Président de la République, à plusieurs reprises, a indiqué qu'il souhaitait que les questions de biodiversité atteignent un niveau d'intérêt, d'implication et d'engagement égal à celui du climat. C'est ce vers quoi nous nous dirigeons en essayant d'y contribuer avec l'ensemble de la communauté internationale.

Plusieurs rendez-vous vont jalonner le parcours jusqu'à la convention des parties qui se réunira en Chine en octobre-novembre 2020. Ce sera pour la biodiversité l'équivalent de ce qu'a été la COP 21 pour le climat. Nous avons devant nous plusieurs autres rendez-vous qui sont liés, comme la CITES, qui se réunira à la fin de l'été pour remettre à jour les listes de protection des espèces les plus menacées, la convention sur la désertification, en novembre prochain, ou l'accueil à Marseille, en juin 2020, du congrès international de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), congrès non-onusien.

Il s'agit d'un organisme hybride tout à fait original dans le paysage international, qui regroupe un nombre très important d'organisations non gouvernementales (ONG) de protection de la nature. Toutes les grandes ONG sont membres de cette organisation, et tous les États siègent à l'UICN. Cet organisme se réunit tous les quatre ans. La dernière rencontre a eu lieu à Hawaï, la prochaine aura lieu à Marseille. La COP biodiversité se tiendra quelques mois avant. Ce sera un rendez-vous extrêmement important pour déterminer les grands enjeux qui sont devant nous dans ce domaine.

La France a par ailleurs voulu utiliser d'autres rendez-vous internationaux pour mettre en avant la biodiversité, comme le G7, que la France préside cette année. Cette réunion aura lieu à Biarritz, fin août. D'habitude, le G7 traite plutôt de commerce et de sécurité, ou de sujets comme l'Iran ou autres. Le fait d'aborder la biodiversité constitue une grande innovation, grâce à la France.

L'état des lieux de la biodiversité, nous ne l'inventons pas. La question, comme pour le climat, a été objectivée en passant commande à la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), un panel de scientifiques internationaux qui se sont réunis à Paris en avril dernier, à l'Unesco, que l'on qualifie aussi de « GIEC » de la biodiversité, par analogie avec l'organisme d'expertise de référence au plan mondial sur le climat.

Il est très important d'avoir un rapport objectif qui puisse servir de point de départ à des décisions. L'IPBES nous alerte sur la situation de l'état de la biodiversité dans le monde. Ce rapport est disponible en ligne sur son site. Un million d'espèces sont menacées d'extinction, 75 % des terres émergées et 66 % des océans sont altérés par les activités humaines, 33 % des terres et 75 % de l'eau douce sont aujourd'hui utilisées par l'agriculture, et la dégradation des sols a globalement réduit de 23 % la productivité des sols. Seuls 7 % des stocks de poissons sont aujourd'hui exploités de manière durable. C'est dire à quel point nous sommes dans l'excès. Aujourd'hui, il y a dix fois plus de plastique dans les océans qu'en 1992. On estime que, d'ici 2050, on en trouvera davantage que de poissons.

Parmi les mammifères, 35 % sont des humains, 60 % des animaux d'élevage - vaches, cochons, animaux de compagnie - et 5 % des mammifères sauvages. C'est totalement effarant !

L'IPBES parle donc de sixième extinction de la biodiversité. Le rythme faramineux des disparitions est à comparer à ce que la planète a connu par le passé. La cinquième extinction remonte aux dinosaures. On estime qu'elle s'est déroulée sur quelques centaines de milliers d'années, alors que la présente extinction ne prendra que quelques dizaines d'années. Si cette cinquième extinction a été provoquée par une météorite, c'est cette fois une espèce parmi d'autres, la nôtre, qui est en train de détruire toutes les autres.

L'IPBES nous indique aussi que ces disparitions massives dues à nos activités auront à terme pour conséquence la disparition de notre propre espèce. En protégeant la biodiversité, nous agissons donc également dans notre propre intérêt.

Heureusement, les scientifiques estiment que tout n'est pas perdu et qu'on peut encore agir. Ils nous invitent à l'action, et c'est pourquoi nous allons nous réunir fin 2020, pour essayer de passer à l'action.

La discussion est en cours. Nous ne saurions donc dire aujourd'hui quelles seront les conclusions, mais nous allons travailler sur quatre niveaux.

Le premier niveau consistera à définir des objectifs aussi simples que ceux que la COP climat avait réussi à définir à l'époque. On avait alors réussi à se mettre d'accord pour ne pas dépasser une augmentation de 2 degrés Celsius. Il va falloir faire la même chose pour la biodiversité. Certains parlent de zéro perte nette d'espèces à l'horizon 2030, 2050 ou 2100. D'autres estiment qu'il va falloir ne pas détruire plus de deux espèces par an. D'autres encore pensent qu'il convient de classer 30 % à 50 % de la planète en aire protégée.

À vrai dire, des objectifs ont déjà été définis il y a une dizaine d'années. Il s'agit des objectifs d'Aichi. Ces vingt objectifs ont cependant deux défauts. En premier lieu, ils n'ont pas été assortis d'une méthode de mise en oeuvre. C'est certainement un des chantiers sur lequel il va falloir travailler en priorité. Le deuxième défaut des objectifs d'Aichi réside dans le fait qu'ils n'ont fait l'objet d'aucun plan de financement.

L'IPBES, dans son rapport, estime que nous ne sommes pas au rendez-vous, seuls deux ou trois objectifs sur vingt ayant été atteints, comme la définition par certains États de plans d'action, ou le respect du niveau de protection des aires protégées - 17 % pour les aires terrestres et 10 % pour les aires marines - dont il semblerait qu'on se rapproche.

Le deuxième niveau consiste à analyser, au regard de ces objectifs, les engagements que les États sont prêts à prendre. À l'époque de la COP 21, on avait défini des objectifs en degrés et invité chaque État à prendre des engagements pour les atteindre. On va faire exactement la même chose pour la COP biodiversité en demandant à chaque État de s'engager à son niveau pour répondre aux objectifs qui seront assignés.

La difficulté réside dans le fait que tous les pays n'ont pas le même impact sur la biodiversité, selon qu'il s'agit d'un État africain avec une forêt tropicale et une biodiversité extrêmement dense, d'un pays d'Europe, où la biodiversité est moins importante, ou encore de régions désertiques. Les actions seront donc différentes.

Il existe aussi des différences entre pays riches et pays pauvres, qui n'ont pas les mêmes moyens ni la même capacité d'intervenir pour protéger la biodiversité. Les engagements des États ne seront donc pas de même niveau. Cette question est néanmoins très importante. Nos travaux devront répondre aux cinq causes de la perte de biodiversité ciblées par l'IPBES.

Il s'agit, par ordre d'importance, du changement d'usage des terres, de la surexploitation des ressources - principalement la surpêche -, du changement climatique, qui touche des espèces qui disparaissent faute de pouvoir s'adapter, de la pollution, qui détruit la planète, et enfin des espèces exotiques envahissantes, végétales et animales, qui s'adaptent très bien à leur nouveau territoire et éliminent toutes les autres espèces.

L'usage que l'on fait des terres est la principale cause de la perte de biodiversité. Quand on transforme une forêt tropicale en un champ, on détruit la biodiversité. Quand on urbanise un espace naturel, on détruit bien sûr encore plus de biodiversité. L'agriculture, de ce point de vue, est particulièrement pointée du doigt. Il ne s'agit pas d'ouvrir ici un débat, qui est par ailleurs partout compliqué, mais l'INPES estime scientifiquement que l'agriculture est la principale responsable de la perte de biodiversité. Ceci questionne évidemment nos modes de production.

Le troisième niveau sur lequel nous devons travailler concerne les engagements d'État, qui doivent se traduire en parallèle par des engagements de la société civile. Les États ne peuvent répondre à toutes les questions et, sans l'engagement des entreprises et des collectivités locales, le verre ne serait qu'à moitié plein. Un engagement des États, des entreprises et des collectivités locales est absolument indispensable.

Le dernier niveau qu'il nous faut traiter est celui des finances. C'est une lacune des objectifs d'Aichi. Il va falloir inventer un dispositif financier mobilisant bien sûr des ressources publiques, mais aussi privées. Des fonds souverains peuvent intervenir. Beaucoup de pistes sont possibles. Des travaux ont été menés par les agences de développement, les agences bancaires, les agences de financement. Elles sont plutôt optimistes sur notre capacité à mobiliser des financements en faveur de la biodiversité, et tout ceci fera accord
- espérons-le - d'ici fin 2020.

M. Hervé Maurey, président. - Merci beaucoup pour cet exposé à la fois intéressant et alarmant !

La parole est à M. Chevrollier, rapporteur pour avis de notre commission sur les crédits budgétaires de la politique de protection de la biodiversité.

M. Guillaume Chevrollier. - Monsieur l'ambassadeur, vous l'avez dit, le sujet de la biodiversité prend de l'ampleur au niveau international, mais également dans notre pays. On ne peut que s'en réjouir. Il appelle la mobilisation des États, des citoyens, mais aussi des collectivités locales - et les élus ne sont pas inactifs sur ces sujets.

Vous avez évoqué l'organisation de la COP 15 sur la biodiversité, qui se tiendra en Chine et qui verra donc l'adoption d'un nouveau cadre mondial pour la gouvernance en matière de biodiversité. Vous avez effectué récemment un déplacement en Chine pour préparer cette convention : quelles sont vos attentes ? Comment la Chine s'y prépare-t-elle ? On sait que lorsque la Chine prend des orientations, elle les met en oeuvre assez rapidement. Va-t-elle faire des propositions fortes dans ce domaine ?

Vous avez également évoqué la COP climat. Voyez-vous, à terme, un rapprochement possible avec la COP 15 en vue d'une plus grande efficacité, compte tenu de l'impact du climat sur la perte de biodiversité ? Ne vaudrait-il pas mieux une seule grande conférence internationale pour obtenir davantage de résultats concrets et ainsi en optimiser le financement ?

Par ailleurs, la France compte trois ambassadeurs sur les questions environnementales. Comment coordonnez-vous vos travaux ?

Enfin, quel regard portez-vous sur les divisions qui peuvent parfois opposer, sur le terrain, les acteurs locaux que sont les chasseurs, les agriculteurs, les associations environnementales, les collectivités locales ? Pouvez-vous servir de médiateur ?

M. Yann Wehrling. - Vos questions, monsieur le sénateur, démontrent que vous êtes très au fait des sujets que nous abordons ce matin.

J'étais effectivement en Chine la semaine dernière pour vérifier le niveau de préparation et d'engagement de cet État dans la perspective de la COP. Il est difficile pour moi de répondre précisément à votre question. La Chine est un pays qui, pour le moment, ne nous révèle pas beaucoup ses intentions en la matière. Nous leur avons offert notre pleine et entière collaboration. Nous leur avons expliqué comment nous voyons les choses. Il existe des points de convergence. Les Chinois sont totalement conscients du fait qu'il faudra que l'on trouve des solutions de mise en oeuvre et de financement des accords d'Aichi.

Je pense que ce pays a pris conscience du problème environnemental. Ils sont passés, comme beaucoup, d'un mode de développement effréné, avec une pollution assez importante de leur milieu naturel, à une prise de conscience de leur classe moyenne émergente, très forte en Chine, qui fait pression et demande au pouvoir d'agir.

Ils sont en train de s'organiser en termes de pollution de l'air. Ce n'est pas directement lié à la biodiversité, mais c'est un sujet environnemental majeur pour eux, leurs villes étant très polluées. La pression de la population pour résoudre cette question est forte. Par voie de conséquence, des politiques de protection de la nature sont également mises en oeuvre. Vont-elles se déployer à l'échelle internationale ? La Chine proposera-t-elle à l'ensemble de la communauté internationale une solution répondant à toutes les questions ? Pour le moment, je n'en sais rien.

Nous restons évidemment en contact étroit avec eux. Ils ont donné leur accord pour que l'on travaille ensemble sur la préparation de cette COP. C'est le principal point positif que je retiens de ce déplacement.

Le rapprochement entre la question du climat et celle de la biodiversité est essentiel. Je plaide en ce sens depuis que je suis arrivé dans mes fonctions. Ces sujets ont été séparés du fait qu'il existait des conventions différentes, mais le temps est maintenant au rapprochement des thèmes, d'abord parce que nous parlons globalement de la même chose, c'est-à-dire de la survie de la planète et de l'humanité, de la conciliation des activités humaines avec la protection de l'environnement, ensuite parce que nous avons commis des erreurs en travaillant séparément, notamment en déployant des solutions en faveur du climat qui n'allaient pas forcément dans le sens de la biodiversité.

Ainsi, s'agissant de l'huile de palme, nous remplaçons les énergies fossiles par de l'huile végétale, mais les pays qui la produisent, comme la Malaisie, ont rappelé aux acheteurs occidentaux que ce sont ces derniers qui leur ont demandé d'en produire pour l'utiliser dans leurs moteurs et que ce sont les mêmes qui désormais n'en veulent plus à cause des problèmes que cela en matière de biodiversité. Il faut donc que les deux sujets soient l'occasion d'échanges cohérents pour éviter de reproduire ce genre d'erreur.

Ce rapprochement est de plus en plus souvent mis sur la table à l'échelle internationale. Reste à faire bouger la machine onusienne, ce qui n'est pas simple.

J'ajoute qu'il convient sûrement de rapprocher immédiatement la convention biodiversité de la vingtaine d'autres qui en traitent également. La convention biodiversité pourrait constituer un chapeau pour mettre un peu de cohérence dans tout cela. Le chantier est devant nous. Je plaide donc pour que ce qui se ressemble s'assemble.

Je travaille avec mes deux collègues ambassadeurs. Les agendas sont tels que nous sommes sollicités tous les jours. Nous échangeons cependant. Il existe également un ambassadeur chargé des océans, qui mène une importante discussion sur les eaux internationales. Je travaille également avec lui sur la biodiversité. Tous nos bureaux du Quai d'Orsay étant voisins, nous nous parlons tous.

Enfin, s'agissant de la division des acteurs, le fait que les sujets d'écologie sont hautement politiques et attisent les tensions de la société n'est pas une découverte. Dans la discussion diplomatique environnementale sur la biodiversité, les plastiques, la déforestation des zones tropicales, nous nous heurtons par exemple à des pays totalement opposés à ces questions. Je pense au Brésil, aux États-Unis, à la Malaisie ou à l'Indonésie.

La seule voie possible est d'objectiver la situation. De ce point de vue, le travail des scientifiques est essentiel. Ce sont eux qui nous indiquent vers quoi aller. Les moyens et la manière de faire relèvent des politiques, des pays, des États, des ONG, des entreprises, ou des collectivités locales.

Il s'agit essentiellement de faire partager le constat et d'aller vers des solutions acceptables pour tous. Un certain nombre de choses doivent changer. Nous faisons de la médiation chaque jour.

Mme Nelly Tocqueville. - Monsieur l'ambassadeur, la question environnementale, qui a longtemps été considérée comme mineure, est aujourd'hui omniprésente. Pourtant, elle n'est pas nouvelle : en 1970, dans un rapport scientifique remis au Président Nixon, l'hypothèse d'une mutation climatique et ses conséquences étaient déjà clairement énoncées. Dans le même temps, trois mathématiciens français fondent le groupe écologique et politique Survivre et vivre. D'autres publications interpellent aussi sur les conséquences de la croissance, qui est perçue comme une cause majeure de cette situation. En pleine période des trente glorieuses, ces alertes ne sont pas entendues.

Aujourd'hui, l'urgence et les menaces qui s'imposent à nous ne remettent-elles pas en question le principe de modernité, fondée sur l'idée de progrès ?

D'autre part, alors que certains s'interrogent sur la notion même de croissance, les pays émergents que vous avez mentionnés revendiquent le même droit au progrès que celui dont nous avons bénéficié. Nous leur expliquons qu'ils doivent participer aux efforts pour accélérer la transition écologique et modifier leur comportement. Comment motiver les populations de ces États à relever les nombreux défis qui s'imposent à nous tous au niveau mondial sans créer un sentiment d'injustice ?

Mme Angèle Préville. - Monsieur l'ambassadeur, je conçois avant tout cette audition comme un échange, et je suis entièrement d'accord avec vous sur le partage des connaissances et sur le fait que la biodiversité constitue un sujet important.

Cependant, comme beaucoup d'entre nous, j'ai au sujet de l'urgence et des discours un avis très partagé. L'urgence, ce n'est pas qu'un mot : cela signifie qu'on doit prendre rapidement des décisions propres à changer véritablement la situation. On répète les mêmes choses depuis fort longtemps, et le constat de la baisse drastique de la biodiversité est maintenant bien partagé - au moins dans notre pays -, mais que faisons-nous si ce n'est prononcer de belles paroles ?

Je m'interroge également sur la question de la méthode : la COP 21 est-elle vraiment l'alpha et l'oméga de ce que l'on doit faire, puisqu'on constate qu'on n'y arrive pas par rapport au changement climatique ?

Par ailleurs, notre pays possède la plus grande biodiversité d'Europe, mais la faune sauvage y est cependant moins importante qu'ailleurs. Heureusement, certains pays ont su conserver des espèces qui ont pu migrer et s'installer chez nous !

Des réserves naturelles ont été mises en place par le passé. Toutefois, on n'a guère avancé sur le sujet depuis plusieurs dizaines d'années. L'Italie, qui s'y est mise plus tard, a fait bien mieux que nous. Il convient donc de regarder ce que l'on peut faire.

J'ai été nommée rapporteure sur la pollution plastique dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques (OPECST). Va-t-on continuer à se contenter d'informer les acteurs sans imposer de contraintes fortes ? Je m'étonne du décalage vertigineux qui existe entre l'état des lieux et le fait qu'on ne mette pas en place de solutions. Entreprendre de sauver les grands singes ou les récifs coralliens revient à coller de simples pansements sur un grand brûlé. Il s'agit d'actions curatives, alors qu'il convient d'agir de façon préventive. Que comptez-vous faire par rapport à cette urgence ?

M. Ronan Dantec. - Monsieur l'ambassadeur délégué, si notre capacité d'analyse a augmenté en ce qui concerne le climat, je pense qu'on n'en est pas au même niveau en matière de biodiversité.

On a encore aujourd'hui, s'agissant de la biodiversité, une approche qui porte plutôt sur la concurrence des usages de la nature : en France, on peut passer des heures sur la chasse à la glu, alors que ces sujets sont derrière nous mais culturellement toujours bien présents ! On ne parvient pas à expliquer la menace qui pèse sur la biodiversité par rapport aux équilibres socio-économique. On adopte une approche très patrimoniale au sujet de l'ours, de l'éléphant ou de l'orang-outan, qui sont en soi des enjeux culturels importants, mais il convient d'abord d'avoir un discours d'alerte sur le fait que, si les stocks de poissons continuent de s'effondrer ou si on laisse se poursuivre la dégradation des terres, on va remettre en cause l'autonomie alimentaire de la planète.

L'État français progresse-t-il aujourd'hui dans la mise en cohérence de l'ensemble de ses interventions ? Je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il est urgent de regrouper les conventions sur le climat, la biodiversité et la lutte contre la désertification. L'argent consacré au climat peut financer la restauration de la biodiversité, notamment la reforestation. C'est un sujet qui sera, je pense, sur la table de la prochaine COP en Chine. Est-ce également le cas des autres conventions ? Travaillez-vous avec le ministère de l'économie et des finances pour disposer d'analyses communes sur la dimension environnementale des grandes conventions en matière de commerce internationale ?

Le président de la République a dit lui-même, à la tribune de l'ONU, que si l'on ne met pas les questions environnementales au coeur des grandes conventions de libre-échange, on ne pourra y arriver. Progressez-vous dans ce domaine ?

Par ailleurs, il existe un enjeu énorme en matière d'ingénierie de restauration, notamment au sujet des terres. Nous avions obtenu des avancées à ce sujet avec le ministre de l'agriculture Stéphane Le Foll au moment de la COP 15, avec le 4 %o, qui joue à la fois sur le climat et la biodiversité. J'ai le sentiment que la France, au-delà de l'affichage, n'a pas été capable de débloquer les moyens nécessaires, qui sont pourtant très limités. Pouvez-vous me rassurer sur ce point ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - Monsieur l'ambassadeur, les pays qui possèdent la biodiversité la plus riche sont malheureusement souvent ceux qui ont le moins de moyens, ce qui les conduit souvent à adopter des modèles de développement agricole intensifs qui vont dans le sens d'un changement d'usage des terres. Ils font aussi parfois preuve de laxisme en ce qui concerne le contrôle des activités illicites.

On sait que la sensibilisation conduit à la signature d'accords internationaux. C'est sans doute nécessaire, mais malheureusement insuffisant face aux autres difficultés. La coercition ne me semble pas non plus la meilleure voie possible : ceci relève plutôt du domaine du punitif. Cette approche pénalise souvent ceux qui ont le moins de moyens.

Quel mécanisme d'incitation financière peut-on mettre en place, considérant que la biodiversité appartient au patrimoine mondial de l'humanité ? Comment valoriser celui-ci et faire converger de façon vertueuse des fonds au service de la protection de la biodiversité ?

M. Yann Wehrling. - Comme vous l'avez dit, madame la sénatrice, nous sommes ici dans le cadre d'un échange. Je prends note de certains de vos points de vue, et je les partage.

Vous avez évoqué les PVD, qui aspirent à la croissance, et posé la question du progrès et de la modernité. Ce sont des sujets fondamentaux, extrêmement lourds, qui nous interrogent également : le maître-mot reste-t-il toujours la croissance et l'économie, ou parvient-on à mettre un peu plus de sens dans nos décisions et à tempérer notre gourmandise à vouloir faire de l'économie le centre de nos débats ?

Les discussions avec les PVD ne sont pas fermées. Ils ne rejettent pas a priori les questions de protection de l'environnement. Ils sont dans le consensus international et reconnaissent qu'il existe des problèmes environnementaux. On ne compte aujourd'hui pratiquement aucun pays dans le déni total. Mis à part Jair Bolsonaro et Donald Trump, dont les positions s'agissant des questions de climat sont personnelles, je ne constate pas que mes collègues, dans les conventions internationales, sont dans le déni. Comme l'a dit l'un d'entre vous, les PVD sont souvent les lieux qui accueillent la biodiversité la plus riche, notamment dans la zone équatoriale et tropicale.

Le message des PVD, qu'il s'agisse du climat, de la biodiversité ou des enjeux environnementaux, consiste à nous dire que nous, pays développés, nous sommes enrichis depuis le début de l'ère industriel en exploitant leurs ressources. Nous qui sommes selon eux responsables de la destruction de la planète leur demandons à présent de protéger leur biodiversité sans leur donner les moyens d'accéder à la richesse.

À chaque fois qu'on entame une discussion, revient la question de l'aide que les pays riches sont prêts à mettre sur la table pour permettre aux pays pauvres d'accéder à nos demandes. Ils n'ont cependant jamais refusé d'agir. On ne retrouve pas non plus, comme parfois en France, dans certains cercles, une vision caricaturale qui opposerait modernité et progrès à la protection de l'environnement. On n'en est plus là.

On essaye d'avancer de manière très pragmatique pour résoudre les questions qui sont devant nous. Un modèle reste à construire afin de permettre à la planète de reconstituer ses réserves, ce que nous ne faisons pas aujourd'hui, puisque nous prélevons à peu près deux à trois fois plus que ce que la planète est capable de reproduire naturellement.

Vous avez posé la question de l'efficacité des conventions et de la méthode. Nous partageons, je l'ai dit, le constat que les conventions internationales ne suffisent pas à résoudre les problèmes. Il faut mettre plus de 180 pays d'accord. C'est un défi considérable. La plupart du temps, on aboutit à des textes assez peu contraignants pour obtenir la signature de tous et rester dans la logique onusienne du consensus.

L'efficacité repose d'abord sur la bonne volonté de chaque État et la capacité des acteurs non étatiques à s'engager. C'est pourquoi j'ai beaucoup insisté sur la responsabilité des entreprises et les collectivités locales. Il faut leur indiquer les actions concrètes et précises que chacune peut mettre en oeuvre pour contribuer à l'effort collectif.

J'ajoute - c'est un point que développe souvent le président de la République
- que, face aux déclarations, aux grandes conventions et aux engagements, souvent à des échéances assez lointaines qui n'engagent pas les décideurs actuels, nous avons besoin de développer des actions concrètes et précises plus que par le passé. C'est pourquoi le Président de la République a lancé les One Planet Summits, qui sont très efficaces et qui rassemblent des acteurs de toute nature - États, entreprises, collectivités locales - pour définir les sujets sur lesquels s'engager. La France est le seul pays au monde à s'être engagé sur une stratégie de lutte contre cette question avec un certain nombre de sociétés comme Danone ou des chocolatiers, qui vérifient l'origine des produits qu'ils emploient pour être sûres de ne pas participer à la déforestation.

Nous sommes dans le concret, et c'est le nouveau visage de la diplomatie environnementale internationale : plutôt que de rechercher le consensus général et risquer d'obtenir une « soupe froide », il s'agit de se mettre d'accord avec quelques-uns sur des sujets bien précis.

S'agissant des aires protégées et du fait que la France ne va peut-être pas assez loin, 20 % de nos espaces terrestres, y compris outre-mer, sont protégés, ainsi que 20 % de nos espaces marins. Le président de la République a annoncé qu'il voulait aller vers un chiffre de 30 %. C'est un engagement de la France pour pousser les autres pays à faire de même.

Deux débats vont s'ouvrir très rapidement : en premier lieu, si tout le monde le veut bien, il faudra se mettre d'accord sur le type d'aire à protéger. Car la Chine pourrait prétendre que 30 % de son territoire est protégé avec le désert de Gobi ! Il faut donc que l'on trouve de la biodiversité dans ces zones pour que cela ait un intérêt. La deuxième question consiste à savoir comment protéger ces aires.

Les différents modèles existant sont très différents. Les États-Unis mettent leurs parcs « sous cloche », sans activité humaine, avec des animaux et des rangers. Ce n'est pas le modèle français. Le coeur de nos parcs nationaux est très protégé, mais des activités humaines y demeurent. En Afrique du Sud, on trouve de grands parcs, mais payants. Les nôtres sont gratuits. Il va donc falloir discuter de la méthode.

Même si on arrive demain à 30 % de protection de la part des États, on constate que ces aires sont bien souvent des timbres-poste, de petits morceaux de forêts, de zones humides, d'espaces naturels sensibles, avec une biodiversité qui peut être riche mais qui est vouée à disparaître parce qu'elle n'est pas interconnectée, qu'elle ne peut partager ses ressources. Il va falloir mettre en place tout un système de corridors et de liaisons écologiques pour permettre aux espèces de continuer à circuler, ne serait-ce que pour celles qui ont toujours migré et qui ont besoin de continuer à le faire.

Le sénateur Dantec a posé la question de la mise en cohérence avec les grands enjeux qui ne sont pas qu'environnementaux. Le sujet est sur la table. Je trouve la discussion encore timide à l'échelle internationale. Faire en sorte que les conventions internationales convergent constitue cependant un progrès important, tout comme le fait de demander, sous l'égide de l'ONU, à intégrer l'agenda des discussions des grands accords commerciaux - OMC, CETA, etc.

Tous les États connaissent le même problème. En France, il serait bon que le ministère de l'économie et des finances et le ministère de la transition écologique et solidaire dialoguent davantage - mais je n'ai pas à me prononcer sur ce point.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Monsieur l'ambassadeur, dispose-t-on d'un classement des pays qui respectent les conventions internationales ?

M. Jean-Paul Prince. - Monsieur l'ambassadeur, tous les dix ans, ce sont environ 6 300 kilomètres carrés qui sont artificialisés. Or un sol imperméabilité est un sol perdu pour la biodiversité. Ceci pose la question de la capacité de la France à résister aux changements climatiques, d'autant que le taux de bétonisation de nos sols est supérieur à la moyenne européenne.

De plus, selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la France figure parmi les dix pays hébergeant le plus grand nombre d'espèces animales et végétales menacées au niveau mondial. Quelle position notre pays prendra-t-il sur la question de l'artificialisation des sols dans les négociations internationales ?

Enfin, une action internationale ne pourrait-elle être mise en place pour lutter efficacement contre les espèces exotiques envahissantes, comme le frelon asiatique ou la jussie ? On pourrait également faire évaluer les risques par des scientifiques et mettre en place de mécanismes de surveillance ainsi qu'une politique de prévention.

M. Joël Bigot. - Monsieur l'ambassadeur, on ne peut que partager le constat que vous avez dressé à propos du changement climatique de la perte de biodiversité. Je suis membre du Comité pour l'économie verte et du Conseil national de la transition écologique. Nous avons beaucoup travaillé sur la question de l'artificialisation des sols. Face à l'irréversibilité de l'usage des terres dès lors qu'elles ont été artificialisées, on s'oriente vers une artificialisation nette zéro dans les années qui viennent.

Ceci tient à un certain nombre de choses, comme l'urbanisation ou l'augmentation de la population, mais aussi au modèle économique agricole, et amène les agriculteurs à parler aujourd'hui d'« agri-bashing ». Il faudra sans doute, en tant qu'ambassadeur, que vous fassiez preuve de diplomatie pour accompagner les agriculteurs dans le choix d'un autre modèle économique.

Par ailleurs, un certain nombre de pays émergents observent la manière dont on évolue, ainsi que nos modes de production. Leur démographie étant galopante, il faudra aussi les accompagner dans leur cheminement, car ils aspirent à une meilleure qualité de vie. Il faudra pour ce faire agir de concert avec les PVD pour dégager des priorités dans les actions à mettre en oeuvre. Cela passe par des solutions de coopération culturelle et économique.

Enfin, seuls quatre des objectifs des accords d'Aichi ont été satisfaits. Un certain nombre d'entre eux restent donc à mettre en oeuvre. Comment voyez-vous l'évolution de la diplomatie environnementale ? Faut-il la graduer ? Faut-il travailler avec les pays industrialisés pour les accompagner dans la transformation de leur modèle économique ?

M. Yann Wehrling. - La question du reporting - ou de la mesure des avancées
- est un sujet extrêmement important, qui n'a pas été totalement résolu dans le cadre de la convention climat ni des conventions internationales de manière générale. On entre là dans un sujet très délicat, celui de l'ingérence. Pour autant, il n'est pas tabou. On l'a évoqué dans le cadre de la convention climat. Chacun a dit ce qu'il s'engageait à faire, puis on a décidé de mettre en place un système de mesure. Toute la question était de savoir qui allait la réaliser. Était-ce de la responsabilité de chaque État ? Ceci pouvait être sujet à caution. Une tierce personne était donc nécessaire. C'est une discussion diplomatiquement complexe. Le seul organe qui est véritablement capable d'établir des mesures, c'est l'ONU. Le sujet n'a pour le moment pas été totalement résolu mais, s'agissant du climat, les choses seront mises en oeuvre.

Ce sera la même chose s'agissant de la biodiversité : on se reverra une fois qu'on aura défini les objectifs et les engagements des uns et des autres. Peut-être y aura-t-il une clause de revoyure, comme pour le climat.

L'opinion publique aspire de plus en plus à des résultats concrets. Il faudra qu'ils soient tangibles et mesurables en nombre d'espèces protégées et d'individus d'une même espèce. Tout cela est devant nous. Nous sommes bien conscients de l'importance de ce sujet.

Pour ce qui est de l'artificialisation des sols, vous l'avez dit vous-même, des engagements français ont été pris. C'est un sujet commun à l'ensemble des États de la planète. Je vous l'ai dit, l'INPES a identifié ce sujet comme la principale cause de perte de biodiversité. A ce jour, on n'arrête pas pour autant l'artificialisation, mais on la compense.

C'est également vrai pour la biodiversité. C'est ce que défend le WWF. Zéro perte nette, cela signifie qu'il faudra compenser à même hauteur. À titre personnel, je pense qu'il va falloir qu'on travaille cette question bien plus qu'on ne l'a fait jusqu'à présent. Là aussi, il faudra étudier si la compensation fonctionne. C'est parfois le cas, mais pas toujours. Ce n'est donc pas le Graal : quand on détruit un milieu naturel qui comporte une espèce endémique, on ne peut le recréer ailleurs. La nature ne fonctionne pas ainsi. C'est du réalisme.

J'ai eu un débat avec l'industrie minière, lors du congrès de l'UICN, à Marseille, il y a quelques jours. L'industrie minière a obligation de remettre les sites en état après exploitation. Cela coûte un argent fou ! C'est une opinion personnelle, mais cet argent serait peut-être plus utile pour faire de la restauration ailleurs... Même les naturalistes reconnaissaient que cela coûte très cher et que cela ne fonctionne pas forcément.

Pour ce qui est des espèces envahissantes, je pense qu'il convient d'accentuer la sensibilisation de tous les réseaux commerciaux de vente, jardineries et autres, qui vendent peut-être encore trop d'espèces exotiques potentiellement envahissantes. Il faut aussi tenir compte des points d'entrée sur le territoire. Certains États, comme la Nouvelle-Zélande ou l'Australie, ont déployé un arsenal de désinfection très poussé. Peut-être devrait-on s'inspirer des meilleures pratiques.

La difficulté, sur un territoire continental comme le nôtre, réside dans le fait que les choses sont moins faciles à contrôler. On peut évidemment contrôler l'arrivée des avions et des bateaux, mais c'est moins évident pour ce qui passe par les frontières terrestres, en provenance de Russie ou d'ailleurs. C'est un sujet complexe.

Quant à l'évolution de la démographie, étonnamment, le sujet n'est plus tabou. On l'évoque même désormais. Que signifie toucher à la question de la démographie ? On se souvient de la politique de l'enfant unique en Chine, avec les ravages que l'on sait...

On constate toutefois partout que l'augmentation du niveau de vie mondial va de pair avec une baisse de la démographie. La solution est donc dans le développement. Les pays où la démographie est galopante sont des pays en général très pauvres. Je ne crois pas possible de convaincre uniquement avec des arguments culturels. Un meilleur niveau de vie permettra de résoudre cette question. Les débats environnementaux ont toujours été liés au développement : un pays très pauvre ne peut faire que très peu de choses en matière de protection de l'environnement, alors qu'un pays riche peut se doter de tout un arsenal de dispositions pour résoudre les problèmes qui sont face à lui

M. Hervé Maurey, président. - Je suis toujours frappé par le décalage qui persiste entre l'ampleur des enjeux et la difficulté de sensibiliser l'ensemble des intervenants à ces questions. Si chacun a pris conscience du problème, on ne peut pour autant dire que les comportements changent. Il est à la fois nécessaire et très long d'y arriver. Les milieux économiques ont leur logique, ce qui peut se comprendre, mais elle est parfois peu conciliable avec un certain nombre de sujets que nous avons abordés aujourd'hui. C'est une question de sensibilisation de l'ensemble des acteurs, publics comme privés, mais aussi des citoyens.

Certes, il est très bien de parvenir à des accords internationaux, mais on voit bien la difficulté à les mettre en place. Nous sommes encore loin de la trajectoire affichée dans le cadre de la COP 15. La question du contrôle et de la mise en oeuvre des engagements est donc un vrai sujet. On ne peut demeurer indéfiniment dans le constat et le regret. À force de dire que nous allons vers une catastrophe écologique, je crains qu'on n'y arrive réellement !

Enfin, je rappelle régulièrement à mes interlocuteurs, notamment diplomates, qu'il faudrait que les parlementaires soient davantage associés aux conférences internationales. Nous avons en effet le sentiment de ne pas être intégrés aux équipes de diplomates. Elles ont leur logique, mais ce sont les parlementaires qui mettent ensuite les accords en oeuvre : nous votons les lois, les budgets, contrôlons le Gouvernement et sommes aussi des relais d'opinion, notamment dans nos territoires. Si l'on veut que tout cela infuse, il faut que nous soyons nous-mêmes bien informés. Or il nous arrive parfois le sentiment d'être tenus à l'écart. Ce n'est pas un problème d'ego, mais d'utilité et d'intérêt général. Merci à vous.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 30.