Mardi 16 juillet 2019

- Présidence de M. Vincent Capo-Canellas, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Audition de MM. Thomas Juin, président, et Nicolas Paulissen, délégué général de l'Union des aéroports français

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Nous avons initié nos travaux en réunion plénière le 6 juin dernier par l'audition de M. Augustin de ROMANET, Président-directeur général du groupe Aéroports de Paris, dont l'activité représente la moitié des quelque 206 millions de voyageurs accueillis en 2018 dans des aéroports français. Pour traiter de l'autre moitié du trafic aérien nous nous intéresserons aujourd'hui plus particulièrement à la question des aéroports comme outils de désenclavement de territoires.

M. Thomas Juin est directeur de l'aéroport de La Rochelle-Ile de Ré et président de l'Union des aéroports français (UAF) depuis mai 2017. Vous êtes également accompagné par M. Nicolas Paulissen, délégué général.

Parmi les projets de votre mandature, j'ai noté que vous aviez défini plusieurs axes qui intéressent les travaux de notre mission :

- le renforcement de la connectivité des aéroports français, vecteur de développement économique des territoires ;

- la mise en oeuvre d'une nouvelle vision et gouvernance de la sûreté aéroportuaire ;

- mais aussi la défense des spécificités des aéroports ultramarins.

J'ajoute que vous intervenez régulièrement auprès des pouvoirs publics et de la presse. Votre dernière publication en date dans le journal La Tribune du 19 juin dernier est intitulée « La suppression des lignes intérieures : une mesure contre les régions françaises ». Vous y soulignez le rôle incontournable du transport aérien dans le développement économique et social des régions. Vous affirmez également que l'avion n'est pas concurrent du train, mais complémentaire. Aussi, votre analyse nous sera d'une grande utilité, notamment dans un contexte médiatique défavorable à ce mode de transport et pour lequel nous ne pouvons faire l'impasse sur son impact climatique. Les perspectives de taxation du carbone lié à l'activité aérienne que la ministre a annoncé il y a quelques jours pourront appeler des réflexions de votre part.

Avant de passer la parole à ma collègue Josiane Costes, sénatrice du Cantal, nommée rapporteure le 14 mai dernier, je rappelle que le Sénat a constitué cette mission d'information à l'initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Mme la rapporteure va vous préciser les objectifs de cette mission.

Mme Josiane Costes, rapporteure. - Je remercie mon collègue et président d'avoir rappelé que le point central de nos travaux porte sur le rôle des transports aériens pour le désenclavement des territoires non desservis efficacement par le rail ou par la route. Nous revenons de déplacements en régions où nous avons pu constater à Quimper, à Aurillac et à Rodez que certaines liaisons aériennes représentent un enjeu vital pour le développement économique et touristique. Dans ces trois cas, comme pour les autres lignes d'aménagement du territoire, ce qui justifie un soutien public de l'État et des collectivités locales est l'existence même d'une activité humaine, en particulier industrielle et commerciale, dans ces régions. Le transport aérien est le seul moyen rapide de rejoindre Paris et de permettre aux clients de ces entreprises de venir visiter les lieux de production. À Quimper, nous avons visité une entreprise emblématique de la Bretagne - Armor Lux - qui a besoin de recevoir des clients des quatre coins de la planète. Dans le Cantal, une usine fabrique des ponts exportés dans le monde entier et reçoit des clients d'Irak ou des Philippines. Sans ligne aérienne, ces entreprises délocaliseraient, ce qui provoquerait des destructions d'emploi. Il en va de même pour Rodez qui abrite l'entreprise Bosch et un des leaders mondiaux des semences agricoles.

M. Thomas Juin, par vos activités à La Rochelle et vos connaissances du maillage aéroportuaire de notre pays, votre avis nous est précieux. Compte tenu du nombre important d'aéroports dont dispose notre pays et qui est le fruit d'un héritage, j'ai constaté que les situations selon les régions pouvaient être très différentes quant aux collectivités propriétaires des aéroports, quant aux structures d'exploitation et bien sûr, quant aux financeurs principaux : parfois la région comme en Bretagne, le département dans l'Aveyron ou la communauté d'agglomération à Aurillac.

Quel regard portez-vous sur le rôle des collectivités territoriales et notamment les régions dans le développement de stratégies aéroportuaires ? Comme nous avons constaté des différences d'approches importantes entre les régions, y-a-t-il des bonnes pratiques à retenir et diffuser ?

Après votre intervention, je vous poserai éventuellement d'autres questions qu'il s'agisse du système existant de taxe d'aéroport et de péréquation ou de l'avenir dans lequel se dessine une taxation d'abord du carbone à l'échelle nationale, puis européenne ou internationale.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - L'entreprise qu'évoquait Mme Costes à Rodez est RAGT. Cette société a son siège à Rodez, communique avec 18 implantations dans le monde et a besoin de connexion à l'international.

Mme Josiane Costes, rapporteure. - Tout à fait, avec 700 employés sur place à Rodez.

M. Thomas Juin, président de l'Union des aéroports français. - Je souhaite revenir sur trois points essentiels pour notre secteur. D'abord son évolution et sa transformation au cours des dernières années, puis la question de la compétitivité et de la concurrence, enfin le sujet du développement durable qui est particulièrement prégnant depuis quelques mois.

Sur l'évolution du transport aérien français, un record a été battu en 2018 puisque nous avons franchi pour la première fois les 200 millions de passagers et atteint le chiffre que vous avez évoqué de 206 millions. Le secteur évolue avec une croissance de 4,8 %, en retrait de la moyenne européenne qui se situe à 5,4 %. C'est le fruit d'une mutation engagée depuis une dizaine d'années et qui s'apparente à une révolution douce. Le secteur s'est adapté pour ouvrir l'accès à l'avion au plus grand nombre. Le temps où l'avion était réservé aux CSP+ est révolu et nous constatons des profils de voyageurs qui s'apparentent à la clientèle des TGV. L'avion répond à un besoin de mobilité des Français lié à l'arrivé des compagnies low-cost qui tire à 66 % la croissance du marché. Très décrié dans les premier temps, ce modèle s'est imposé en Europe, tant dans le court que le moyen-courrier. Cette évolution joue un rôle dans le lien social. Sur certaines lignes comme Caen-Toulouse ou Brest-Toulouse, la clientèle familiale et de loisirs représente plus de 50 % des passagers.

Nous vivons un changement de paradigme. Les aéroports ont fait évoluer leurs capacités pour accueillir ce trafic nouveau dans de bonnes conditions, hormis quelques exceptions tenables, par exemple celle de Nantes-Atlantique qui est en forte croissance. Tous les aéroports ont été certifiés en 2017 selon la législation européenne.

Il faut noter la forte progression des lignes transversales. Contrairement à une idée reçue, le trafic aérien domestique ne se contracte pas. Depuis 15 ans, la progression est de 14,5 % pour le trafic local, dans une progression de 50,6 % du trafic global. Donc la progression est moindre qu'à l'international mais elle existe. Sur les lignes transversales, la dynamique est très forte depuis 2017. Les lignes domestiques représentent 27 % du trafic, soit 52 millions de passagers, et sont un vrai outil de développement et d'aménagement du territoire.

En France, le réseau TGV est organisé en étoile depuis Paris essentiellement. Tout l'intérêt de l'aérien est de contrebalancer ce rayonnement et d'apporter des liens entre les régions et les villes pour des besoins de trafic moins massifs que pour le TGV. La complémentarité des modes est claire et il n'y a pas de concurrence, ou marginalement, entre le train et l'avion. Une ligne inutile est une ligne qui ferme d'elle-même pour des raisons économiques.

Sur les villes à moins de 3 heures de Paris, le TGV prend l'ascendant pour les liaisons de point à point. Dans ce cas, si l'avion persiste, c'est essentiellement pour répondre à un besoin de correspondance, par exemple pour Nantes-Paris ou Lyon-Paris. Je rappelle que Nantes-Paris a rouvert, sans subvention, pour répondre à la demande de connexion aux aéroports parisiens qui sont incontournables pour correspondre avec le reste du monde.

Sur les lignes d'aménagement du territoire, je considère qu'il s'agit d'un dernier recours lorsque tout le reste n'a pas marché. C'est un système par défaut.

Sur la compétitivité et la concurrence, l'élément essentiel dans le transport aérien est la notion de « coût de touchée » plus que celle du coût du billet. Lorsqu'une compagnie décide de s'intéresser à une région et à un aéroport, elle va regarder évidemment le potentiel de trafic mais aussi le prix à payer pour se poser. Elle fait ses comparaisons, non pas par rapport à un aéroport concurrent mais sur toute l'Europe, et fera ses arbitrages en fonction de pays, par exemple l'Espagne, où les coûts de touchée sont plus faibles. Ce sujet est extrêmement sensible et nous avions milité pour que la direction générale de l'aviation civile (DGAC) mette en place un observatoire des coûts de touchée. Il faudra regarder les résultats par catégorie d'aéroports et non par moyenne nationale, car il n'y a pas de sens à comparer petits, moyens et grands aéroports, avant d'envisager toute évolution des taxations. Les non-initiés peuvent penser que 1 ou 2 euros ne changeront pas grand-chose à la décision des passagers. Sauf que la décision de maintenir ou non une ligne ne revient pas au passager. C'est la compagnie qui décide et qui fait des choix aux dépens d'un aéroport ou d'une région en considération de sa marge si elle varie de 1 à 3 euros car on sait que le bénéfice par passager court et moyen-courrier est de 4 à 6 euros.

La décision du Gouvernement met à mal les coûts de touchée puisque rajouter une nouvelle taxe - cette fameuse écotaxe - ne nous va pas pour deux raisons. C'est une taxation franco-française. Nous avions compris pendant les Assises du transport aérien qu'il n'était pas souhaitable de s'orienter vers une surtaxation française et que toute évolution devait s'appréhender dans un cadre européen. En plus, cette taxe va financer d'autres modes de transports alors que nous avions également milité pour que toutes recettes du secteur aérien servent à sa propre transition écologique. C'est d'autant plus regrettable que les modes de transports qui vont bénéficier de ces recettes ne pourront pas se substituer à l'aérien. Dans la plupart des cas, l'avion a du succès car il permet de desservir des territoires lorsque le train ou la route ne le font pas efficacement. Ce qui nous paraît important est de mobiliser des moyens pour que le transport aérien diminue son empreinte carbone tout en répondant aux besoins de mobilité des Français.

Cette surtaxation française va s'aggraver à deux niveaux. Le Brexit qui est annoncé pour le 30 octobre va entraîner une fiscalité supérieure de 7 euros par passager pour tous les vols partant de France vers le Royaume-Uni. Si vous rajoutez cela à l'éco-taxe, ce sont 10 euros supplémentaires. Nous allons au-devant de déprogrammations de lignes sur les low-cost court-courrier. Cela tient à ce que la fiscalité française - taxe d'aviation civile et taxe de solidarité - a un régime différent en pays tiers. La taxe « solidarité » nous inquiète également sur le fait qu'elle n'a pas été dupliquée par nos pays compétiteurs en Espagne ou ailleurs. Nous n'avons pas été entendus sur cette taxe qui représente 217 millions d'euros et dont le surplus sort du secteur aérien, certes pour le financement de la santé dans les pays en voie de développement ce qui est en soi une bonne cause. Mais il y a une fâcheuse habitude à puiser de l'argent sur l'aérien pour servir d'autres activités. Cela nous paraît extrêmement contreproductif, un non-sens économique pour la compétitivité et un non-sens environnemental puisque cela n'aidera en rien à la transition écologique du secteur aérien.

J'en viens au développement durable et voudrais rappeler que le secteur est mobilisé pour réduire son empreinte carbone. L'obsession des compagnies aériennes est de moins consommer de carburant. Les attaques dont nous sommes l'objet sont incohérentes avec l'empreinte carbone du secteur qui représente 2 % des émissions de CO2 dans le monde. Ce n'est pas 20 %, c'est bien 2 %. Donc si nous supprimions les avions, 98 % des émissions carbone ne seraient pas résolues. Il ne s'agit pas de se défausser mais de le rappeler. L'avion représente 8,75 % des carburants consommés en France. L'élément factuel est que ce qui pollue, ce sont les mouvements d'avions, pas les passagers. Depuis 15 ans, la progression des mouvements est de +0,3 %. Autant dire qu'il n'y a pas de progression alors que le nombre de passagers a progressé de 52 %. Les compagnies proposent des vols de plus forte capacité avec en moyenne 115 passagers par vol au lieu de 70 passagers il y a 15 ans. Cette contribution à la mobilité ne vient pas en proportion dégrader l'environnement, bien au contraire. Toute la chaîne du secteur est mobilisée. Les aéroports sont engagés dans le programme européen Airport accreditation carbon qui ouvre un processus de réduction de l'empreinte carbone vers l'objectif d'émission zéro en 2050. En France, 40 aéroports sont engagés, ce qui en fait le premier pays en Europe. Les nouveaux avions sont moins consommateurs de carburant et le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC) bénéficie d'un soutien public.

Nous avons besoin de mobiliser les financements pour aller vers une rupture technologique à moyen et long-termes. Sur le court terme, il faut rapidement déployer la filière biocarburant qui réduit sensiblement l'empreinte carbone de 40 % sur un avion. Donc, on ne comprend pas pourquoi nous ne sommes pas plus allants dans ce domaine car les avions sont en situation de fonctionner avec. Il y a une filière de retraitement de déchets qui peut être développée et qui n'est pas en concurrence avec les terres arables. Il faut s'engager sur des mesures efficaces plutôt que sur des mesures de taxation qui n'auront aucun effet sur l'environnement.

Enfin sur l'intermodalité, il n'y a pas eu à mon sens, de la part du Gouvernement et des collectivités locales, suffisamment de prise en compte de l'accessibilité des aéroports. Je rappelle qu'une des principales sources de pollution des aéroports provient de leurs moyens d'accès. C'est en train de changer, mais je pense qu'il faut prendre acte du rôle joué par les aéroports en lien avec les populations. Par exemple Toulouse-Blagnac n'est pas relié au réseau de métro de cette ville. Aéroport de Paris est le seul au monde de ce niveau qui n'a pas de desserte pratique en site propre. C'est assez révélateur de notre culture de ne pas avoir pris en considération la démocratisation du transport aérien.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Vous avez été particulièrement complet et nous vous en remercions. Vous avez abordé le trafic, les taxes, les coûts de touchée, le biocarburant et l'intermodalité entre autres.

Mme Josiane Costes, rapporteure. - Vous avez évoqué le problème des taxes. Le rôle de la taxe d'aéroport pour assurer le financement de la sûreté et de la sécurité est un enjeu important, notamment pour les petits aéroports et les collectivités qui en ont la charge. À terme, n'est-il pas souhaitable que l'État prenne en charge ces coûts et que la taxe d'aéroport soit supprimée ? Comment développer une complémentarité entre aéroports pour mieux mailler le territoire ? Lors de notre déplacement à l'aéroport de Quimper, nous avons vu que cet aéroport est adossé à celui de Brest. Ce modèle-là pourrait-il être dupliqué ? Enfin, comment améliorer le régime juridique des lignes d'aménagement du territoire pour assurer une meilleure qualité de service, par exemple via le recours à un intéressement ou à une formulation des obligations de service public (OSP) en termes de résultats ?

M. Thomas Juin. - La taxe d'aéroport a été instituée pour permettre le financement de tous les aéroports en France, afin qu'ils disposent du même standard de sécurité et de sûreté aéroportuaires, quelle que soit leur taille. Ce choix, qui consiste à faire supporter par l'usager la totalité des coûts de sécurité et de sûreté, n'est opéré que par la France. Dans d'autres pays, le coût est réparti entre la puissance publique et le passager, alors que dans d'autres pays, comme l'Espagne, la quasi-totalité est financée par la puissance publique. Il s'agit d'un élément fondamental dans la compétitivité des aéroports, notamment des petits aéroports. Une péréquation a été mise en place afin d'éviter que ceux-ci supportent des coûts extrêmement élevés. Elle consiste à appliquer une taxe de 1,25 euro payée par tous les passagers fréquentant les aéroports français. Elle permet de financer la sûreté dans l'ensemble des aéroports. Son fonctionnement n'est toutefois pas complètement satisfaisant : d'une part, les grands aéroports régionaux s'en plaignent, dans la mesure où ils sont exposés à la concurrence d'autres aéroports européens qui n'ont pas à l'assumer ; d'autre part, la taxe atteint son plafond de 14 euros dans les petits aéroports, auxquels s'ajoutent les 1,25 euro, ce qui constitue un différentiel de taxe très important, dissuasif pour les compagnies aériennes susceptibles d'opérer dans ces aéroports. Sinon, elles négocient des accords avec les aéroports concernés, mais dans des conditions d'insécurité juridique très forte. Pour répondre à votre question, je dirais oui. La prise en charge de la taxe par la puissance publique se traduirait par une induction du trafic et permettrait de lever cette insécurité juridique. S'agissant de la complémentarité entre aéroports, celle-ci existe déjà, à deux niveaux : dans les régions qui mettent en place des délégations de service public (DSP) pour la gestion commune d'aéroports, mais également au sein d'entreprises privées répondant à des DSP, et qui parviennent à une mutualisation de leur gestion. Ce qui importe, c'est qu'il puisse y avoir une cohérence sur la vocation des aéroports, sur leur orientation (développement passagers ou de zones industrielles) à l'échelle d'une région. Des gains de mutualisation sont possibles mais restent marginaux. Les petits aéroports sont plutôt bien gérés en France. Il ne s'agit pas d'un problème de compétence, mais plutôt d'un problème structurel : si l'aéroport n'atteint pas un certain trafic, il connaît alors un déficit. S'agissant des lignes d'aménagement du territoire (LAT), nous avons fait, dans le cadre des assises du transport aérien, un certain nombre de préconisations. Globalement, il faudrait éviter toute surréglementation française. La surréglementation existante tient au fait que la réglementation était assujettie à la participation financière de l'État. Nous souhaiterions en revenir à une réglementation exclusivement européenne, qui apporte plus de souplesse, avec plus d'objectifs de résultats que de moyens. Le grand problème des lignes de service public est l'absence d'émulation. Parmi les candidatures que nous avons pu enregistrer en France en 2018, pour 69 % des dossiers en appel d'offres, il n'y avait qu'un seul candidat. Il faudrait également ouvrir davantage les OSP sur l'Europe. Or, la loi ne permet pas de déléguer aux régions les OSP européennes. On rencontre également un problème de prévisibilité du soutien de l'État. Il conviendrait que les critères soient homogènes et que chaque région bénéficie des mêmes critères d'accessibilité.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Vous avez abordé des sujets qui sont au coeur des travaux que nous avons menés, notamment lors des déplacements que la mission a été amenée à faire à Quimper, à Aurillac puis à Rodez. La question de la concurrence est un vrai sujet. Or, on se rend compte que, parfois, assez peu de compagnies sont capables d'opérer sur des lignes intérieures, en particulier dans le cas des lignes d'aménagement du territoire. Le prix du billet tient-il compte des subventions publiques ? N'a-t-on pas des situations monopolistiques ? Y a-t-il des mesures que l'on pourrait essayer de développer ? J'ai cru comprendre que vous appeliez à réfléchir sur les directives européennes et sur le cadre réglementaire français un peu rigide.

M. Thomas Juin. - Pour les LAT, nous connaissons en effet un déficit de compagnies sur le marché national. Le passage de la compagnie HOP à des avions de type jet va nécessairement induire de nouvelles limitations en termes d'offre. La plupart des lignes de service public sont des lignes à petit potentiel. Les turbopropulseurs sont donc les avions les plus adaptés, tant pour des raisons de coût que pour des raisons d'environnement. Ce sont de très bons avions tout aussi sûrs que des avions à réaction. Il faut commencer par rendre les aéroports plus attractifs, en trouvant une solution qui fasse en sorte qu'ils ne soient pas surtaxés par rapport au marché tel qu'il existe. Je citerais l'exemple de l'aéroport de Caen qui, depuis deux ans, s'est développé de façon spectaculaire, avec une tendance de 50 % en 2018 et probablement la même pour 2019. Or, ce développement n'est pas lié aux LAT. Il s'agit d'un petit aéroport qui développe des liaisons vers de nombreuses villes, avec une concurrence qui s'est imposée entre plusieurs compagnies aériennes, ce qui a permis de développer des marchés. Les lignes d'aménagement du territoire (LAT) devraient donc constituer un dernier recours. Il faut s'interroger sur les raisons qui font qu'on ne peut pas faire autrement qu'y avoir recours : soit parce que le potentiel de la région est insuffisant, ce qui est assez rare ; soit parce que l'aéroport subit une attractivité insuffisante. C'est pourquoi il conviendrait de supprimer les contraintes franco-françaises (exemple des contraintes d'aller-retour ou d'amplitudes horaires...). Il faut donc s'adapter à ce qui existe aujourd'hui dans l'environnement européen pour les compagnies européennes. Cela permettrait, d'une part, d'avoir plus de candidatures de compagnies aériennes et, d'autre part, de réduire considérablement les coûts de l'OSP. Concrètement, on pourrait introduire des indicateurs de performance. Les conventions types issues de la réglementation française pourraient être remplacées par des clauses types permettant d'introduire des indicateurs de performance. L'objectif est d'aboutir à un résultat moins coûteux pour tout le monde.

Mme Josiane Costes, rapporteure. - Vous avez dit qu'avant de mettre en place une LAT, d'autres solutions étaient envisageables. Pourriez-vous nous donner des exemples concrets de ce qui pourrait être fait, avant ce que vous qualifiez de dernier recours ?

M. Thomas Juin. - Il faudrait regarder les potentiels de marché existants. Beaucoup d'outils permettent de l'analyser, notamment grâce au numérique. Les données sur le trafic, que les aéroports délivrent aux compagnies aériennes, sont aujourd'hui très précises sur les comportements des clients et les échanges entre telle ou telle région. On peut dire aujourd'hui que sur tel aéroport, des lignes pourraient être créées. Le premier point serait d'arriver à résoudre le problème d'attractivité de l'aéroport via l'attribution d'un outil aux régions qui pourraient faire le choix d'une compensation de ces taxes, ce qui n'est actuellement juridiquement pas possible. Enfin, il manque peut-être aussi une force de vente pour les régions. Nous avons des régions qui s'activent beaucoup pour la promotion de leurs destinations. Il serait important que les campagnes de promotion produites par les territoires soient plus coordonnées, notamment avec les aéroports. Or, cette promotion a un impact immédiat : elle permet d'accroître la réputation d'une destination (sa « e-réputation »). Concilier la e-réputation et la desserte aérienne permettrait de développer certaines régions.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - On peut rappeler que le trafic en région progresse bien, notamment dans les grands aéroports régionaux. Tout n'est pas noir non plus.

M. Michel Canevet. - Un rapport du Commissariat général à l'égalité des territoires et du Conseil supérieur de l'aviation civil a été publié. Celui-ci indique que l'équilibre budgétaire des aéroports est incertain avec moins de 500 000 passagers et impossible à moins de 200 000 passagers. Partagez-vous cette analyse ? Pour nous, il est important qu'il y ait des liaisons avec la capitale. Y a-t-il aujourd'hui des difficultés pour obtenir des créneaux permettant d'ouvrir ou de maintenir des lignes avec les aéroports parisiens ? Ou bien cela vous semble-t-il être un obstacle ? Serait-il possible de massifier les échanges entre les aéroports, soit par des systèmes de transport d'un aéroport à l'autre, soit par des étapes entre aéroports. Quels dispositifs efficients permettraient d'améliorer la desserte des territoires ? Pourrait-on, sinon, recourir à d'autres moyens de transport (hélicoptères, moyens de transport autonomes) ? Voyez-vous des perspectives pour le désenclavement des territoires ?

M. Éric Gold. - M. le président Juin, votre rôle est de défendre la communauté aéroportuaire, ce que vous faites parfaitement. Vous avez parlé d'arbitrages à venir sur la fermeture ou le maintien de certains aéroports, en partie à cause d'une taxation jugée trop importante. Je vais vous parler d'une façon provocatrice et faussement naïve. N'y-a-t-il pas une contradiction entre un trafic aérien qui est en situation d'évolution importante depuis quinze ans et l'impossibilité à vos yeux de prendre en charge une taxation supplémentaire, notamment par des compagnies qui sont souvent en situation de monopole ?

M. Didier Mandelli. - J'ai une question, qui amène sans doute une réponse très courte. Elle concerne les taxations dont nous avons eu connaissance la semaine dernière. Je rappelle tout d'abord qu'en tant que rapporteur de la loi d'orientation des mobilités (LOM), j'ai pu voir qu'un grand nombre d'amendements avaient été déposés, mais pas adoptés, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, concernant la taxation de l'aérien. Un amendement a cependant été adopté à l'Assemblée nationale concernant le surplus de la taxe « Chirac » à laquelle vous avez fait allusion, à hauteur de 30 millions d'euros fléchés vers l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Nous n'étions pas forcément demandeurs à ce stade, en attendant le projet de loi de finances pour 2020. Nous avons eu l'occasion d'aborder le sujet avec la ministre il y a quelques jours, dans le cadre de cette mission d'information. Nous n'avions pas eu de réponses de la ministre indiquant qu'une taxe supplémentaire allait être imposée sur l'aérien, ni sur le routier. Ma question est donc simple, car nous avons découvert la veille de la commission mixte paritaire sur la LOM cette nouvelle taxation : avez-vous été consulté en amont de cette annonce ?

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Il est vrai que lors de l'audition de Mme Borne, nous n'avions pas pressenti que la foudre allait frapper si vite. Vous avez sans doute plus d'éléments que nous sur ce point. Je vous passe donc la parole.

M. Thomas Juin. - Concernant la taxation, nous n'avons pas été consultés. Mme la ministre a eu la courtoisie de m'appeler la veille pour me prévenir. J'ai eu l'occasion de lui dire que c'était un marqueur qu'on ne souhaitait pas voir franchir. Ça a été un effet de surprise, un coup de semonce. Ça ne correspond en rien aux échanges que nous avions eus jusqu'à présent. Nous n'étions pas opposés à avoir une évolution de la fiscalité européenne sur le transport aérien, dès lors qu'elle était considérée à l'échelle européenne. Je rappelle que le secteur est extrêmement sensible, par rapport à des transporteurs qui ont tout de suite des coûts très importants, avec des marges faibles, ce qui implique de faire beaucoup de volume. Tout ça doit être regardé de près. On peut contribuer à la fiscalité, mais il faut être extrêmement vigilant, lorsqu'on commence à changer cela sans considérer les voisins et les compétiteurs. Nous n'avons pas été consultés mais prévenus.

Concernant la question sur les arbitrages, il ne s'agit pas d'arbitrages sur l'ouverture ou la fermeture des aéroports. Je ne considère pas qu'il y ait trop d'aéroports en France, contrairement à ce que l'on dit. Cela est surtout une question de vocation d'aéroports : tout aéroport n'a pas vocation à accueillir des passagers. Tout dépend de quel usage d'aéroports nous parlons.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Quand vous parlez d'absence de passagers, vous parliez d'absence de lignes régulières, n'est-ce pas ? Car il peut y avoir aussi du trafic d'affaires.

M. Thomas Juin. - Je parlais en effet d'aéroports avec des lignes. Mais vous faites bien de le rappeler, certains aéroports ont d'autres fonctions : usage de service public, d'aviation d'affaire, de formation aéronautique... Autant d'activités diverses et variées, fort utiles pour la région. Il s'agit en effet d'arbitrages sur la fermeture de lignes aériennes et non pas d'aéroports. Ce sont donc les compagnies aériennes qui arbitrent. C'est la résultante à la fois d'une insuffisance de rentabilité d'une ligne, notamment en raison d'une augmentation de taxes et d'un tassement du marché. L'effet taxe peut donc être redoutable. La prise en charge par la compagnie aérienne de la taxe aéroport est déjà une réalité. Aujourd'hui, les passagers payent à la compagnie aérienne cette taxe, qui est ensuite reversée à l'État, qui ensuite la reverse aux aéroports. Ce choix, compréhensible, n'a pas été fait par d'autres pays autour de nous. Ceci induit donc une taxe élevée par rapport à l'Espagne ou l'Italie. Il faudra donc regarder demain l'implication en termes de trafic pour les territoires enclavés s'il y avait un financement de la puissance publique.

Concernant la conception de liaisons avec escales, il existe une ligne de service public La Rochelle-Poitiers-Lyon. Cette liaison, qui est en cours de reconduction, a bien fonctionné depuis des années. Elle permet de lier deux marchés. L'avion est rempli à près de 80 %. C'est donc possible. Il y a nécessairement pour la compagnie aérienne plus de coûts, puisqu'il y a un temps d'escale et un temps de vol supplémentaires. Cependant, cela coûte moins cher que s'il y avait deux lignes directes. Ce sont donc des lignes qui peuvent s'envisager, plutôt avec des turbopropulseurs qu'avec des jets, car cela coûterait trop cher. Il faut aussi qu'il y ait deux marchés pertinents, qui permettent de concilier les deux villes.

Concernant les créneaux d'Aéroports de Paris (ADP), il y une impérieuse nécessité pour ces lignes de service public de pouvoir conserver des créneaux sur les aéroports parisiens. Le naturel conduirait nécessairement à réserver ces créneaux pour des avions beaucoup plus importants. Il faut à l'avenir pouvoir réserver des créneaux à Orly. La question de Roissy se pose également. Je sais que Roissy est dans des contraintes de trafic extrêmement fortes, avec des avions qui augmentent en capacité. Cependant, il est vrai que certains territoires mériteraient d'être mieux reliés à Roissy pour la connexion au monde.

Sur le déficit des aéroports, nous avons eu des échanges avec la Commission européenne. Vous savez que la Commission européenne, dans le cadre de ses lignes directrices, a considéré dans un premier temps que tous les aéroports devaient s'équilibrer. J'avais retenu l'expression « ceux qui ne le sont pas sortent du marché ». Autrement dit, le prisme de la Commission européenne était assez radical. Dans un monde libéralisé, il est vrai que ça fonctionne comme ça. Cependant, pour les petits territoires, cela ne peut s'accommoder de ce genre d'objectifs. La Commission est aujourd'hui en observation sur ces questions-là et semble plus nuancée. Nous avons une position qui est la suivante : en dessous de 500 000 passagers, on doit pouvoir justifier la possibilité d'avoir une contribution publique pour équilibrer les coûts d'exploitation d'un aéroport. En sachant qu'il y a des variantes et que tout dépend du profil de l'aéroport. Quand vous avez un aéroport qui est sur un bassin touristique, avec des compagnies purement low-cost, la compétition est très forte. L'aéroport aura donc des comptes qui seront un peu plus à la peine qu'un aéroport qui sera sur un bassin « affaires », avec des compagnies qui peuvent avoir des tarifs plus élevés. En résumé, en dessous de 500 000 passagers, on considère qu'on doit pouvoir garder cette liberté, en France, pour les collectivités de contribuer financièrement aux aéroports.

Mme Josiane Costes, rapporteure. - Monsieur le président, vous avez évoqué la possibilité d'ouvrir des OSP sur l'Europe. Pourriez-vous nous donner des exemples précis de lignes qui mériteraient cette ouverture ?

M. Thomas Juin. - Je ne vais pas vous citer des lignes en particulier. On voit clairement que les échanges se sont considérablement développés au niveau européen avec l'aérien. Si vous regardez les bassins touristiques, vous avez clairement une économie qui fonctionne grâce à l'aéroport en provenance du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de l'Espagne... Il y a aujourd'hui un certain nombre de pays européens qui sont en échange fort avec la France sur l'aérien. Vous avez des petits territoires qui mériteraient, je pense, de pouvoir rendre éligibles des liaisons avec ces bassins forts, notamment en import de passagers. Vous avez aussi des territoires avec des bassins d'entreprises qui ont des liens avec l'Allemagne, avec telle ou telle ville d'Europe. Pourquoi ne pourrait-on pas justifier, comme nous le faisons pour Paris, la nécessité de disposer d'une liaison aérienne qui permettrait de connecter certaines villes, pas forcément au quotidien ? On a eu un changement européen : ce n'est plus uniquement un enjeu de connexion Paris-province, mais région-région et parfois entre métropoles européennes où l'on identifie des axes forts.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - On doit peut-être se montrer prudents s'agissant des low-cost, concernant un certain nombre d'éléments d'accompagnement.

M. Thomas Juin. - La question des compagnies low-cost est un sujet sensible. Je rappelle que des aéroports de proximité ont été précurseurs avec ces compagnies dans les années 2000 pour une raison assez simple : ces aéroports étaient bien en peine à l'époque de développer une offre avec des compagnies françaises. Quand vous avez faim, vous êtes plus imaginatifs. Ils ont perçu auprès des compagnies low-cost une opportunité pour ré-ouvrir des marchés. Pour un aéroport comme Bergerac, par exemple, on prédisait, il y a quinze ans, sa fermeture. Il n'avait que 15 000 passagers et ne disposait que d'une ligne sur Paris. Cet aéroport a aujourd'hui 300 000 passagers, car il a pu développer des liaisons avec des compagnies aériennes. Aujourd'hui, ces compagnies aériennes, qui étaient décriées, sont non seulement présentes sur toute l'Europe, mais ont inspiré les autres compagnies pour développer une offre analogue. On voit maintenant même dans la stratégie d'Air France qu'il est bien de pouvoir disposer d'une compagnie low-cost qui se développe. Il y a donc eu l'avant : cela a été un défrichage, avec une Commission européenne qui n'était pas suffisamment claire dans les règles qu'elle appliquait, qui ont été révisées en 2014. Il y a aujourd'hui l'après : ces compagnies low-cost constituent, aujourd'hui et demain, l'essentiel du trafic court et moyen-courrier sur l'Europe. Il ne faut donc pas en avoir peur. Les choses sont en train de se régler : la Commission européenne a établi des règles. Cependant, il y a une pierre à l'édifice qui manque : c'est une Europe fiscale qui soit équitable. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation compliquée, car on concilie des accords avec ces compagnies low-cost et une fiscalité hétérogène, qu'on considère parfois comme déloyale par rapport à certains pays. Les lignes de service public - qui doivent être envisagées en dernier recours - permettraient d'intéresser un peu plus des compagnies aériennes qui ne sont pas prêtes à s'enfermer dans un carcan. Il faut de la souplesse dans l'aérien pour que la compagnie puisse faire évoluer sa liaison en fonction du marché. Ce carcan empêche aujourd'hui toute possibilité de lignes opérées par des compagnies low-cost. Je pense que, demain, il faudra être plus souple et plus incitatif avec des règles qui doivent être respectées par toutes les compagnies aériennes.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Vous avez ouvert un champ en disant que nous n'étions pas si loin que ça dans le partage des données et la possibilité d'en déduire des hypothèses de nouvelles lignes. Que manque-t-il ? Vous évoquez le fait qu'avec le numérique, les aéroports ont ces données. On a bien compris que les transversales se sont développées. Nous avons procédé avec la rapporteure et les membres de la mission à une audition des « petites compagnies ». Nous avons senti de leur côté qu'il y avait cette recherche-là. Les technologies vont-elles être matures ? Certains commencent, semble-t-il, à développer des logiciels pour déterminer l'existence d'un marché, par exemple en s'appuyant sur les données téléphoniques. Vous qui êtes professionnels sur le terrain, pensez-vous que cela va favoriser une éclosion des lignes ? Qu'attendriez-vous de la mission, en termes de proposition ?

M. Thomas Juin. - Cela serait une très bonne idée d'engager une vraie réflexion. Je pense qu'elle est attendue. Je rappelle que le paysage aéroportuaire français est très varié, très divers. On ne peut pas parler d'une seule voix. Vous avez bien entendu Aéroports de Paris, qui représente plus de 50 % du trafic, qui a des atouts considérables. Ce sont également des atouts pour la France. On parle beaucoup de la privatisation - ce n'est pas le sujet aujourd'hui - mais on a à l'heure actuelle un aéroport qui a une capacité de développement. C'est une chance pour la France, mais aussi pour nos régions, car cela leur permet de se connecter. Vous avez ensuite les sociétés aéroportuaires, avec plus de 5 millions de passagers. Elles sont dans une vraie dynamique, sans précédent. Nous nous plaignions dans le passé que ces aéroports étaient vraiment à la peine ; ils sont en train de rattraper le retard. Il y a une vraie compétition qui s'est instaurée, qui est à l'avantage des aéroports. Je pense qu'il faut être vigilant sur les taxes, car c'est extrêmement prégnant, surtout quand une compagnie décide d'implanter telle ou telle base sur tel ou tel aéroport en France. Il y a une vraie connectivité qui se met en place et je pense que les régions le voient. Cela permet surtout à nos concitoyens de considérer le transport aérien différemment.

Enfin, il y a toute cette frange d'aéroports, qui se situent entre 100 000 passagers et 1,5 à 2 millions de passagers, pour lesquels je pense qu'il y a une réflexion, une mission à mener. Il y a un certain nombre d'aéroports qui sont à la peine, qui sont sous exploités, sur ces territoires enclavés. Que manque-t-il ? La mission, justement, sera là pour le dire. Il doit y avoir une réelle coordination de cette force de vente qui existe en France dans les territoires. Il y a certes Atout France. Mais je pense qu'il faudrait fédérer, autour des aéroports, une force de vente des territoires. Les aéroports sont une vraie contribution pour donner un certain nombre d'informations aux territoires. Il faut donc une coordination entre la mission touristique et l'aéroport. Les connaissances progressent tous les ans, avec des données nouvelles. Il y a une analyse comportementale, même téléphonique, qui permet d'avoir des précisions et des discussions avec les compagnies aériennes qui sont bien différentes de ce qu'elles étaient dans le passé. On ne parle plus d'intentions, mais on apporte des éléments factuels. On est en train de progresser. Il faudrait, je pense, le considérer dans cette mission. Il faut enfin donner un outil aux régions en question pour pouvoir transformer l'essai. On ne peut pas le faire aujourd'hui, au vu de la réglementation européenne, de ses lignes directrices et du choix fait par la France d'une taxation franco-française. On ne trouvera pas la décision au niveau de l'Europe, car elle a établi ses règles. La main revient donc à l'État français et à la puissance publique. Il faut pouvoir concilier ce choix de financer un certain nombre de missions régaliennes par le transport aérien avec cette nécessité pour ces aéroports de proximité de rester dans la course. Ils essayent tant bien que mal de rester dans la course, mais avec une insécurité juridique qui n'est pas tenable dans le temps. Une vraie réflexion sur cette frange d'aéroports permettrait à la fois de compléter le trafic de ces aéroports et d'y inclure, non exclusivement, les lignes d'aménagement du territoire. Il faut donc voir comment ces aéroports peuvent plus contribuer à l'aménagement de leur territoire.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Vous avez abordé deux points s'agissant du développement durable. Le premier concerne le programme de l'association européenne des aéroports vers une neutralité carbone. Pouvez-vous nous dire en quelques mots de quoi il s'agit pour pouvoir partager l'information là-dessus et voir en quoi cela peut répondre à la problématique environnementale qui existe ? Deuxièmement, vous avez dit un mot sur les biocarburants. Que manque-t-il pour que cela marche ? S'agit-il d'un problème de filière, mais peut-être aussi d'un problème d'infrastructures dans les aéroports pour ces biocarburants ? S'agit-il d'un problème de financement ou d'un problème technique ?

M. Thomas Juin. - Concernant les biocarburants, il ne s'agit pas d'un problème technique, car les avions peuvent accueillir ce carburant utilisable, et déjà en partie utilisé. Je pense qu'il faut qu'on arrive à concilier un objectif plus ambitieux que celui aujourd'hui retenu - 2% en 2025 - avec un financement à la clé qui permette à la filière de s'inscrire dans un développement plus ambitieux. Il y a aujourd'hui des pétroliers qui sont présents sur les aéroports et qui n'ont pas intégré cette donnée, car il n'y a pas demain d'usage prévu, les coûts de ces biocarburants étant trop élevés. Nous n'irons pas naturellement vers le développement des filières. Il faut donc, au niveau du secteur, une coordination avec une mission au niveau de l'État pour que l'on puisse arriver à des ambitions plus fortes qui permettront de baisser le prix de ces biocarburants, avec des financements à la clé qui conduiront la filière à aller vers des investissements en conséquence. Je crois qu'il y a aujourd'hui une ambition trop timide pour véritablement enclencher le processus. Je pense qu'il faut fixer des objectifs plus importants, avec des moyens en face qui doivent être étudiés en coordination avec les compagnies aériennes et surtout les pétroliers, qui doivent rapidement être associés. Il faut des ambitions plus fortes et une mise en place de moyens pour engager cette filière. Aujourd'hui, l'objectif de 2 % en 2025 n'est pas très cohérent avec la problématique dont on parle. Ce n'est surtout pas une taxe sur les activités du secteur qui va permettre d'avancer.

Concernant la neutralité carbone, je vais céder la parole à Nicolas Paulissen, qui a travaillé sur ce sujet avec la cellule Europe, pour apporter des éléments techniques.

M. Nicolas Paulissen, délégué général. - Il s'agit d'un engagement de notre organisation professionnelle, Airports Council International Europe, dont l'UAF est un membre actif. Les aéroports européens se sont engagés à atteindre le zéro émissions nettes de carbone. Ils se sont donc engagés à ne plus avoir d'émissions de carbone, sans compensations, qui ne sont pas prises en compte. Les émissions résiduelles devront être traitées par captation ou stockage. On abandonne l'idée de compensations. On pouvait jusqu'ici compenser par l'achat de terrains, par la plantation d'arbres... Il s'agit donc d'un engagement beaucoup plus contraignant que le zéro carbone avec compensations. Il faudrait donc des progrès technologiques pour améliorer la captation et le stockage de ces émissions. C'est un objectif pour 2050 qui concerne l'ensemble des aéroports. Mais on ne doute pas que certains aéroports atteindront ces objectifs avant cette date, qui a été choisie car l'objectif concerne tous les pays européens, lesquels ne sont pas tous en capacité d'apporter à leurs aéroports tous les moyens nécessaires pour atteindre ces objectifs. Il fallait laisser le temps à tous les pays d'être au même niveau.

M. Thomas Juin. - Concernant le court-terme, on a une problématique car cet engagement représente un coût. Nous sommes en train de travailler pour que les aéroports de proximité et les petits territoires puissent s'engager dans ce processus. Cela signifie un état des lieux de leur empreinte carbone. Il y a une quarantaine d'aéroports qui ont fait cet état des lieux en France. Il y a aussi trois niveaux avant d'atteindre l'émission zéro en 2050. Le niveau 3 +, qui a déjà été obtenu à Nice, à Lyon, à Cannes et à Saint-Tropez, correspond à un aéroport carbone neutre par de la compensation. Pour que les plus petits aéroports puissent aller dans cette direction - car l'objectif n'est pas de rester à un état des lieux mais de réduire son impact -, nous sommes en train de mettre en place une démarche pour bénéficier de financements pour accompagner ces petits aéroports. L'UAF a donc vraiment une ambition pour que tous les aéroports, quelle que soit leur taille, soient à terme sur une hypothèse d'aéroport en carbone neutre.

Simplement un mot pour conclure, sur le fait que l'on entend régulièrement des critiques des dépenses effectuées dans le secteur du transport aérien. Le secteur aérien est historiquement plutôt discret en termes de lobbying. Le secteur s'exprime toutefois de plus en plus fréquemment depuis quelque temps, parce que nous considérons que nous ne valorisons pas suffisamment notre secteur et l'apport qu'il représente sur l'économie, mais également les efforts qui sont engagés quant à la réduction de son empreinte écologique. Nous nous sommes engagés à réduire en 2050 de 50 % les émissions du secteur par rapport à 2005. Au vu de la croissance attendue, cela signifie que l'on aboutira à la construction d'avions n'émettant aucun carbone. Nous ne savons pas le faire aujourd'hui.

Le transport aérien est donc très engagé pour l'environnement, apporte énormément à l'économie, et c'est également l'un des secteurs les plus vertueux en termes de dépenses publiques. Il ne représente que 5 % des dépenses publiques consacrées aux transports en France, et 0,5 % de la dépense globale des collectivités territoriale dans ce domaine. Il n'y a donc pas une abondance de dépenses publiques pour notre secteur et il est important de véritablement optimiser l'utilisation de nos aéroports. Il nous faut aujourd'hui, au lieu de sous-exploiter les aéroports en France, regarder comment, demain, ces aéroports peuvent encore mieux contribuer à l'aménagement du territoire.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Je vous remercie. Votre audition nous ouvre un grand nombre de champs, notamment sur l'idée que le partage des données ainsi qu'un assouplissement du cadre réglementaire devrait apporter plus d'émulation et de concurrence. Merci à tous les deux : cette audition nous a permis de compléter notre information et sera sans doute source d'inspiration pour la rapporteure et les membres de la mission.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 heures.