Mardi 8 octobre 2019

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

La réunion est ouverte à 17 h 15.

Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête à la suite de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen - Désignation d'un rapporteur et examen de la proposition de résolution

M. Hervé Maurey, président. - Je souhaite tout d'abord la bienvenue à M. Pascal Martin, qui rejoint notre commission en remplacement de M. Charles Revet. M. Martin est normand, et appartient au groupe Union centriste (UC).

En application de l'article 8 ter du Règlement du Sénat, nous sommes aujourd'hui réunis pour désigner un rapporteur et examiner la proposition de résolution, déposée par tous les présidents de groupe et tous les présidents de commission, tendant à la création d'une commission d'enquête dans le cadre de l'incendie de l'usine Lubrizol. Cette proposition sera examinée jeudi matin par le Sénat en séance publique, dans la version que nous adopterons aujourd'hui, selon une procédure très simplifiée puisque, l'ordre du jour étant cette semaine fixé par le Gouvernement, nous n'avons obtenu qu'une courte plage de temps : chaque groupe politique aura deux minutes et trente secondes pour s'exprimer. Je me porte candidat pour être rapporteur.

La commission désigne M. Hervé Maurey rapporteur sur la proposition de résolution n° 20 (2019-2020) tendant à la création d'une commission d'enquête dans le cadre de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen.

M. Hervé Maurey, rapporteur. - Cette proposition de résolution vise à « évaluer l'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen », à « recueillir des éléments d'information sur les conditions dans lesquelles les services de l'État contrôlent l'application des règles relatives aux installations classées et prennent en charge les accidents qui y surviennent ainsi que leurs conséquences » et à « tirer les enseignements sur la prévention des risques technologiques ». Sa recevabilité juridique au regard de l'ordonnance de 1958 doit encore être examinée par la commission des lois, qui se réunira demain.

Un incendie s'est déclaré dans la nuit du 25 au 26 septembre dans l'enceinte de l'usine Lubrizol, située à proximité immédiate du centre-ville de Rouen. En raison de la nature des substances stockées sur le site - l'usine produit des additifs pour les lubrifiants industriels et pour l'essence et le carburant diesel - l'incendie a provoqué une fumée noire, dont nous avons tous en tête les images, et qui a, par la suite, causé d'importantes retombées de suie. Grâce à l'intervention des sapeurs-pompiers et des forces de l'ordre, le feu a été maîtrisé dans la journée du 26 septembre.

Cet accident a plongé la population dans un profond désarroi, d'autant plus important que les communications successives du Gouvernement et des services de l'État, à grand renfort de conférences de presse quotidiennes, ont pu donner le sentiment d'une information confuse et peu transparente.

La proposition de résolution vise donc à créer une commission d'enquête pour faire toute la lumière sur les modalités d'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences de cet accident.

Ces conséquences sont de plusieurs ordres. Il s'agit d'abord de dégâts environnementaux : les fumées ainsi que les retombées de suie ont sans doute pollué l'air, les sols et l'eau. Il s'agit également de dégâts sanitaires, car il est tout de même question de l'incendie de plus de 5 000 tonnes de produits chimiques, voire de 10 000 tonnes, puisque l'on apprend aujourd'hui qu'il y en avait autant dans l'usine voisine Normandie Logistique. D'une part, certaines sources rapportent que plusieurs des sapeurs-pompiers, policiers et gendarmes n'auraient pas disposé d'équipements de protection suffisants. D'autre part, de nombreux habitants se sont plaints de maux de tête ou de difficultés respiratoires après avoir inhalé les fumées. Pour être allé hier à Rouen, je confirme que l'on sent une odeur inhabituelle. Les conséquences sont enfin économiques pour le territoire et ses nombreuses activités, au premier rang desquelles l'agriculture.

Or, malgré les inquiétudes et la colère légitimes des habitants de la région, les informations diffusées par le Gouvernement et les différents services de l'État n'ont pas convaincu.

Plusieurs ministres se sont ainsi succédé à Rouen, dans l'espoir de rassurer.
Le Premier ministre a indiqué que les odeurs étaient « gênantes », mais « pas nocives », précisant, par ailleurs, que les premières analyses de la qualité de l'air n'avaient pas mesuré de « toxicité aiguë de l'air », alors même que la ministre de la santé annonçait quelques jours plus tard que personne ne savait « ce que donnent ces produits mélangés quand ils brûlent » et que la liste des produits stockés dans l'usine n'avait pas encore été publiée. Dans le même temps, le préfet a pris des mesures conservatoires sur les productions agricoles environnantes et l'agence régionale de santé de Normandie invitait à éviter tout contact avec les suies.

Ces indications peu coordonnées, parfois contradictoires, loin de rassurer les populations, ont conduit à accroître la suspicion quant à la véracité et la crédibilité des informations communiquées par les services de l'État. Plusieurs milliers de personnes ont ainsi manifesté dans la ville de Rouen, notamment devant la préfecture, pour réclamer
« la vérité sur l'incendie ». De nombreuses fausses informations ont en outre été diffusées sur les réseaux sociaux. À la catastrophe industrielle a donc succédé une cacophonie médiatique. Si le Gouvernement, ainsi que la préfecture, ont prôné la transparence - le Premier ministre a d'ailleurs évoqué devant le Sénat « l'engagement absolu du Gouvernement à la transparence » -, la communication autour de l'incident et de ses conséquences a été chaotique.

Concernant les fermetures d'écoles, par exemple, l'information des directeurs a été clairement défaillante : plusieurs d'entre eux, mais aussi de nombreux élèves, se sont présentés dans leurs établissements sans avoir été informés de leur fermeture. Quelques jours plus tard, la réouverture des écoles après leur nettoyage n'a pas mis fin aux inquiétudes des familles et des enseignants. Plusieurs d'entre eux ont d'ailleurs décidé d'exercer leur droit de retrait, estimant que les conditions sanitaires n'étaient pas réunies pour accueillir les élèves. L'information des élus a, elle aussi, été lacunaire. Plusieurs maires des communes proches ont été informés très tardivement par les services de l'État. Certains ont eu connaissance des faits par les médias ou les réseaux sociaux bien avant d'être contactés par la préfecture. Dans ces conditions, comment pouvaient-ils informer la population ? Enfin, la publication, plus d'une semaine après l'accident, de la liste des produits stockés dans les enceintes de l'usine, a créé un nouveau sentiment de confusion. Comment se satisfaire de documents totalement inexploitables pour le plus grand nombre d'entre eux ? Je parle ici de tableaux de plusieurs milliers de colonnes et de plusieurs centaines de fiches de sécurité portant chacune sur une substance...

Cette réflexion, visant à évaluer les modalités d'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences d'un tel événement, doit se doubler d'une enquête sur les règles relatives aux installations classées et sur leur contrôle par les services de l'État. Cela doit constituer un autre volet de réflexion de cette commission d'enquête. D'emblée, cet accident industriel, qui est l'un des pires que la France ait connus depuis l'explosion de l'usine AZF en 2001, pose la question de possibles insuffisances de ces règles et de leur contrôle par les services de l'État.

En l'espèce, le site de Lubrizol est classé « Seveso seuil haut », en référence à la directive européenne « Seveso 3 » de 2012, qui concerne la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses. Concrètement, les sites Seveso, et a fortiori les sites Seveso seuil haut, correspondent à des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) particulièrement sensibles en raison de la dangerosité des substances qui y sont utilisées pour l'homme et son environnement. Le fait, pour une installation, de relever de cette nomenclature, emporte plusieurs obligations, notamment la réalisation d'une étude de dangers présentant plusieurs scénarios d'accidents possibles, ou encore la mise à disposition d'informations à destination des riverains. À cela s'ajoute un outil créé par la loi de 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, à savoir les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) visant à limiter les effets d'accidents susceptibles de survenir dans de telles installations et approuvés par arrêté préfectoral.

Le cas de Lubrizol nous conduit, collectivement, à nous poser la question plus générale de la bonne application des règles relatives aux installations dangereuses
- notamment celles qui sont proches de lieux d'habitation - et des conditions du contrôle de leur application par les services de l'État. En 2018, le ministère de la transition écologique et solidaire recensait 1 312 sites Seveso, dont 705 sites seuil haut. Plusieurs questions se posent. Une telle catastrophe pourrait-elle se produire sur un autre de ces sites ? Les règles actuelles sont-elles suffisantes pour assurer la protection de nos concitoyens et prévenir les risques ? Leur application est-elle correctement contrôlée par les services de l'État ? Ce cas précis nous conduit à nous interroger en outre sur la réduction du champ des projets soumis à évaluation environnementale, réduction souhaitée par le Gouvernement - nous interrogerons tout à l'heure la ministre sur ce point.

Au total, la création d'une commission d'enquête doit renforcer le cadre juridique et améliorer les dispositifs existants, afin d'assurer la protection des populations et la préservation de l'environnement.

Pour toutes ces raisons, l'ensemble des groupes politiques du Sénat a jugé indispensable la création d'une commission d'enquête. Celle-ci aurait deux objectifs principaux.

D'une part, il s'agit de questionner la gestion par les services de l'État des conséquences de cette catastrophe, qu'elles soient de nature environnementale, sanitaire ou économique. En réponse aux différentes lacunes identifiées en matière de transmission de l'information, nous devons nous poser la question de la manière dont ces accidents sont pris en charge par les services de l'État, pour en tirer des leçons pour l'avenir.

D'autre part, il est essentiel de faire la lumière sur les conditions dans lesquelles les services de l'État ont été en capacité de contrôler l'application des règles en vigueur en matière d'installations classées, ce qui sera l'occasion de questionner le cadre juridique existant et de renforcer la prévention de tels risques.

M. Ronan Dantec. - La commission d'enquête devra aussi s'interroger sur la culture du risque dans les territoires et sur le rôle des collectivités territoriales à cet égard. Après l'épisode du nuage toxique en 1987, celles du pays de Nantes ont poussé à la création d'un outil commun, au sein de l'établissement public de coopération intercommunale, pour gérer l'alerte à destination des populations que l'État couvre mal. Il faudrait regarder les différentes cultures territoriales de gestion de ce type de crise.

M. Pascal Martin. - Merci de votre accueil chaleureux. Étant pour quelques jours encore président du conseil départemental de la Seine-Maritime, je souhaite rappeler que, avec les Bouches-du-Rhône, c'est le département qui compte le plus de sites Seveso
- une soixantaine environ.

J'étais sur les lieux du sinistre dès onze heures du matin. Près de 250 pompiers sont intervenus, six services départementaux d'incendie et de secours ont été mobilisés, ainsi que la compagnie de sapeurs-pompiers de Paris. L'extinction des feux d'hydrocarbures nécessite de les recouvrir de mousse, et il a fallu attendre midi pour disposer d'émulseurs en quantité suffisante. Je souligne qu'il n'y a eu ni morts ni blessés. Et les sapeurs-pompiers ont su faire la part du feu : le risque majeur était un effet domino et la contagion du feu aux autres sites Seveso situés à proximité.

La culture du risque est insuffisante en Seine-Maritime. Les habitants ne savaient guère à quoi correspondait la sirène qui a été actionnée à 8 h 30. Le préfet a décidé un confinement dans un rayon de 500 mètres pour les personnes atteintes de déficience respiratoire et les jeunes enfants. Mais le premier objectif était d'éteindre cet incendie d'une violence inouïe.

Il y a certainement eu une pollution par les eaux d'extinction - au plus fort de l'incendie, 25 000 litres étaient extraits de la Seine par minute. Le panache de fumée, long de vingt kilomètres et large de six, a atteint la Belgique, et des suies sont retombées.

L'information par les services de l'État a été insuffisante, pour la population comme pour les maires. Le vrai problème est la défiance envers la parole publique : si l'on dit que les analyses disponibles montrent que le risque n'est pas avéré, on nous accuse de mensonge !

Toute notre réglementation relative aux incendies est la conséquence de sinistres conséquents. Celle qui concerne les établissements recevant du public découle de l'incendie du « 5-7 » et de l'incendie de 1976 à Seveso en Italie. Il sera donc bon de tirer les conséquences de ce sinistre pour faire évaluer notre réglementation, notamment sur l'information du public. Toutefois, c'est facile de critiquer après coup ; sur le moment, la priorité était d'éteindre le feu.

Mme Nicole Bonnefoy. - Outre les sites industriels en activité, il en est d'anciens qui renferment nombre de produits chimiques dangereux dans leur sol ou dans l'air et l'eau. Dans mon département, on a retrouvé des dioxines dans l'alimentation humaine, ce qui révèle des manquements sérieux de l'État.

M. Jean-François Longeot. - Cet événement dramatique doit nous conduire à réfléchir à l'occupation du foncier. Ce site a-t-il été implanté après les habitations ? Quid des exploitations agricoles ? Il faut réfléchir à de telles implantations en amont.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Bas-Normand, j'ai à connaître des sites nucléaires, pour lesquels existent les commissions locales d'information. Sur les 58 qui fonctionnent en France, 38 concernent les sites nucléaires. Elles font un véritable travail partenarial avec les associations environnementales, et jouent un rôle important dans la diffusion de l'information et de la culture du risque auprès des élus. Pourquoi n'y en a-t-il pas pour chaque site d'industrie chimique ?

M. Hervé Maurey, rapporteur. - Il faudra en effet que nous travaillions sur la culture du risque, car nous sommes mauvais en ce domaine - je l'avais constaté lors des inondations de 2015 dans le sud de la France. Je m'étais alors rendu sur place avec M. Nègre, et nous avions compris que les systèmes d'alerte de Météo France n'étaient pas toujours assez fins en cas de catastrophe naturelle, et que nos concitoyens n'étaient pas assez formés aux réactions à avoir : certains étaient descendus dans les sous-sols... À Rouen, heureusement que le drame s'est produit un week-end ! Sinon, les gens auraient pris leur voiture pour aller chercher leurs enfants à l'école. Il y a un vrai problème d'éducation aux risques de catastrophe naturelle ou industrielle.

L'occupation du foncier est aussi un sujet. On a tendance à oublier - ou négliger - les risques pour s'installer toujours plus près... On a notamment appris qu'un écoquartier était en construction à proximité du site de Lubrizol !

M. Pascal Martin. - L'écoquartier Flaubert se situe en effet à 300 mètres...

Mme Évelyne Perrot. - Pour nos sites Seveso, nous avons des plans de sauvegarde. Tout le monde est informé : il est interdit d'aller chercher les enfants à l'école, chacun doit rester confiné. Les déchets nucléaires sont enfouis loin des habitations, mais celles-ci, petit à petit, se rapprochent : peut-être en a-t-il été de même pour ce site ! Désormais, l'installation de sites dangereux est généralement bien pensée par les élus.

M. Hervé Maurey, rapporteur. - Je vous propose de mettre aux voix la proposition de résolution qui fera ensuite, sous réserve de sa recevabilité juridique, l'objet d'un vote du Sénat.

La commission adopte la proposition de résolution sans modification.

M. Hervé Maurey, rapporteur. - La commission d'enquête comptera 21 membres, dont neuf sont issus du groupe Les Républicains, quatre du groupe Socialiste et républicain, trois du groupe Union centriste, deux du groupe La République en Marche, un du groupe Rassemblement démocratique et social européen, un du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste et un du groupe Les Indépendants - République et Territoires.

Incendie de l'usine Lubrizol à Rouen - Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

M. Hervé Maurey, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre réunion avec l'audition de la ministre de la transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne, au sujet de l'accident de l'usine Lubrizol de Rouen. Nous vous remercions, madame la ministre, d'avoir accepté cette demande d'audition.

L'incendie qui s'est déclaré le 26 septembre dernier dans l'usine Lubrizol, classée Seveso seuil haut, et l'épais panache de fumée noire qu'il a provoqué ont suscité beaucoup d'inquiétudes et d'interrogations à Rouen, sachant que le site est situé à trois kilomètres à peine du centre-ville, dans une zone assez densément peuplée. Les informations qui ont été diffusées par le Gouvernement et la préfecture dans les jours qui ont suivi ont parfois été confuses pour nos concitoyens.

Le Sénat souhaite donc la création d'une commission d'enquête afin de faire toute la lumière, d'une part, sur les conditions dans lesquelles les services de l'État sont intervenus dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de cet accident, et, d'autre part, sur la manière dont ces services contrôlent l'application des règles en vigueur concernant les installations classées et prennent en charge les accidents qui y surviennent. Au-delà, nous souhaitons engager une réflexion sur les règles applicables à ces sites afin d'éviter un nouvel accident et de faire en sorte que les réactions, en cas d'accident, soient plus appropriées.

Ma première question porte sur la gestion globale de cet accident. Estimez-vous réellement que « toutes les mesures de précaution nécessaires ont été prises par le préfet afin de protéger les populations et l'environnement » ? Alors que plusieurs membres des forces de l'ordre ont déploré le manque d'équipements de protection lors de leur intervention, que de nombreux enseignants ont exercé leur droit de retrait, et que des milliers de riverains s'inquiètent des possibles effets sur leur santé, nous sommes en droit de nous interroger.

Nous souhaiterions également vous entendre sur la gestion des conséquences potentielles de cet accident. La préfecture a publié il y a quelques jours la liste des produits stockés sur le site de l'usine Lubrizol. Pour rappel, ce sont plus de 5 000 tonnes de substances chimiques qui ont été détruites dans cet incendie, auxquelles il faut sans doute ajouter les produits chimiques de l'usine voisine, Normandie Logistique, soit potentiellement un total de 10 000 tonnes. La ministre de la santé a indiqué que « personne ne sait ce que donnent ces produits mélangés quand ils brûlent ». Pensez-vous que la publication en fin de semaine dernière de tableaux comportant des milliers de lignes, et de centaines de pages de documents - au demeurant inexploitables - constitue une réponse suffisante ? Un suivi épidémiologique de la population est-il prévu ?

Je souhaiterais également vous interroger sur le cadre applicable en matière d'installations classées. La France compte plus de 1 300 sites Seveso, dont 705 sites Seveso seuil haut. L'accident de Rouen inquiète nos concitoyens quant à la mise en oeuvre effective des mesures préventives. En effet, l'usine de Lubrizol a déjà connu plusieurs incidents par le passé, ce qui suscite des interrogations sur l'efficacité des contrôles réalisés par les services de l'État. Par ailleurs, et c'est extrêmement préoccupant, nous avons lu dans la presse que l'usine de Lubrizol aurait bénéficié de deux arrêtés autorisant l'augmentation du stockage des produits dangereux sur le site, en janvier et en juin 2019, et que ces mesures n'auraient pas fait l'objet d'une évaluation environnementale depuis qu'un décret de 2018 a restreint le champ de cette évaluation. Confirmez-vous cette information ?

Enfin, nous venons d'apprendre que l'usine Normandie Logistique contenait autant de substances chimiques que celle de Lubrizol, et qu'elle aurait dû à ce titre être soumise au régime de l'enregistrement et non au régime de déclaration. Comment est-il possible que les services de l'État n'aient pas veillé à ce que cette usine se soumette à enregistrement ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous aujourd'hui pour évoquer la catastrophe industrielle qui touche depuis jeudi 26 septembre les habitants de Rouen, de la Seine-Maritime et au-delà.

Cette catastrophe résulte de l'incendie qui a pour origine deux sites industriels, les entreprises Lubrizol et Normandie Logistique. En préambule, je tiens à dire combien nous comprenons l'émotion et l'inquiétude de tous les habitants touchés par cette catastrophe. Il est bien sûr de notre devoir d'y répondre. Le Premier ministre, devant la représentation nationale, a pris l'engagement de faire preuve d'une transparence absolue. Je le redis : notre rôle est non pas de rassurer coûte que coûte, mais de dire la vérité. Toutes les informations, toutes les données scientifiques sont rendues publiques au fur et à mesure que nous en disposons.
Cette audition participe aussi de cette volonté de transparence.

Je tiens également à souligner la très grande mobilisation du Gouvernement et de l'ensemble des services de l'État pour faire face à cette crise et être aux côtés des Rouennais. Je pense au ministère de l'intérieur, chargé de la gestion de crise, au ministère de la santé, s'agissant des effets sanitaires, au ministère de l'agriculture pour les impacts sur les productions agricoles, au ministère de l'éducation nationale pour les écoles, au ministère du travail s'agissant de la protection des travailleurs, en particulier ceux qui interviennent sur le site, et, bien sûr, à mon ministère.

Sur de telles installations, le ministère de la transition écologique et solidaire est plus particulièrement chargé de la prévention des risques industriels. En cas d'accident, il est chargé de prévenir tout risque de sur-accident, de contrôler la réalisation par l'exploitant des opérations de dépollution et de superviser l'évaluation à court, moyen et long terme de l'impact environnemental. Le ministère remplit ses missions en s'appuyant sur l'expertise des agences de l'État spécialisées. Je pense notamment à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) et à l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Il s'assure également que les industriels assument toutes leurs responsabilités.

La mobilisation du Gouvernement s'est traduite dès le début de ce très grave incendie pour prévenir tout risque pour les populations pendant la crise.

Je rappelle les faits : l'incendie s'est déclaré aux alentours de deux heures quarante le jeudi 26 septembre à Rouen, au sein de deux entreprises. L'entreprise Lubrizol, qui est classée Seveso seuil haut, produit des additifs pour lubrifiants. Dès le début de l'incendie, les sapeurs-pompiers sont intervenus et ont mobilisé des moyens très importants. Au total, 200 sapeurs-pompiers, 200 véhicules venus de six départements, renforcés par des moyens nationaux de la sécurité civile, ont pris part aux opérations. Ils ont par ailleurs bénéficié de moyens d'extinction supplémentaires, mis à leur disposition par les principaux exploitants de sites Seveso du département.

Je tiens à saluer l'engagement sans faille des services de secours, dont le grand professionnalisme a permis, malgré les risques, de maîtriser le sinistre dès le début d'après-midi et surtout d'écarter tout risque de sur-accident. Je tiens également à rendre hommage aux équipes de mon ministère, en particulier à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie (Dreal), qui est mobilisée jour et nuit depuis la survenue de ce sinistre.

En complément, des moyens exceptionnels, notamment issus du plan Polmar (POLlution MARitime), ont été mobilisés pour écarter les risques de pollution de la Seine par les débordements des eaux fortement polluées d'extinction du site. Des barrages flottants ont permis de confiner ces eaux avant qu'elles ne soient pompées. La protection des populations a immédiatement été au coeur de l'attention des services de l'État. Très vite, et par précaution, un périmètre de sécurité a été mis en place dans un rayon de 500 mètres autour du site. Les établissements scolaires ont été fermés pour permettre leur nettoyage dans douze communes situées sous les fumées. Des consignes ont été passées afin d'inviter chacun à limiter ses déplacements.

Ces mesures de précaution ont aussi consisté à mesurer en urgence la qualité de l'air. Des prélèvements ont été réalisés en grand nombre par les services de secours tôt le matin du jeudi 26. Ils ont porté sur différents polluants : sulfure d'hydrogène, dioxyde de soufre, dioxyde d'azote et monoxyde de carbone, ces substances étant habituellement produites lors de ce type d'incendie. Ces analyses ont été complétées par des mesures exceptionnelles réalisées par une association indépendante et agréée de surveillance de la qualité de l'air, Atmo Normandie. Les résultats de ces prélèvements ont été mis en ligne le vendredi 27, puis le samedi 28. Tous les autres résultats étaient inférieurs aux seuils mesurables, sauf sur le site de l'usine pour ce qui concerne certains composés organiques volatils et des composés soufrés.

Le toit de l'entrepôt étant amianté, des analyses ont été réalisées dans un rayon de 300 mètres autour de l'usine, lequel a été élargi à 800 mètres, puis à plusieurs kilomètres. Selon les derniers résultats mis en ligne hier soir, aucune fibre n'a été détectée dans les prélèvements de surface réalisés dans un rayon de 300 mètres autour du site. Dans l'air, les concentrations sont inférieures au seuil de recherche dans les bâtiments. On peut donc considérer que l'incendie n'a pas généré autour du site des niveaux inhabituels ou préoccupants de fibres d'amiante dans l'air.

En ce qui concerne les suies, des préconisations ont été formulées par les autorités sanitaires sans attendre les résultats des analyses. Il a notamment été demandé de les manipuler avec des gants et de procéder au nettoyage des surfaces touchées. Ces analyses ont immédiatement été réalisées pour rechercher les polluants dangereux habituellement produits par ce type d'incendie, des métaux et des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Ces analyses, mises en ligne samedi 28, ne mettent pas en évidence de pollution particulière, hormis la présence de plomb, qu'il n'est pas possible de différencier de la pollution de fond ou d'imputer à l'accident, l'usine n'utilisant pas particulièrement de plomb.

Une attention particulière est portée à la recherche de dioxines dans les retombées, mais aussi dans les productions agricoles. À cet égard, j'indique que l'analyse de ces polluants prend du temps, ce qui explique que les premiers résultats n'aient été connus qu'en fin de semaine dernière. Les résultats dont nous disposons montrent que les teneurs en dioxines sont inférieures aux seuils existants pour les produits agricoles. Plusieurs campagnes seront nécessaires pour nous prononcer, car les dioxines peuvent s'accumuler dans les animaux et les végétaux. La surveillance se poursuit en liaison étroite avec l'Anses.

Les analyses ont été réalisées le plus précocement possible pour éclairer les impacts environnementaux et sanitaires de cet accident. Par exemple, lors du précédent incident de 2013, les services de secours ne disposaient pas du tout d'outils de mesure tels que ceux qu'ils ont utilisés immédiatement pendant l'incendie. C'est la première fois que nous réalisons sur un incendie des analyses aussi rapides, sur un spectre aussi large.
Des prélèvements continueront d'être effectués aussi longtemps qu'ils seront nécessaires.

Aujourd'hui, les odeurs persistantes sur place inquiètent beaucoup les Rouennais. Nous avons conscience de la gêne et de l'inquiétude qu'elles suscitent. Les services de l'État ont fixé deux priorités claires à l'exploitant, dès l'extinction du sinistre : mettre en sécurité le site pour éviter un sur-accident et traiter les sources d'odeurs. Cela implique le nettoyage des résidus de combustion sur le site et l'évacuation de 1 000 fûts, dont 160 peuvent être à l'origine d'émanations. Depuis hier, un espace de confinement est en cours d'installation sur les fûts. Il permettra leur manipulation, leur neutralisation et leur évacuation, tout en limitant les risques de mauvaises odeurs. En parallèle, nous avons demandé aux exploitants des deux sites d'accélérer le nettoyage des résidus de combustion et le pompage des eaux d'extinction, qui peuvent également être source de mauvaises odeurs. Les principales opérations devraient être finalisées avant la fin de la semaine.

Nous conserverons lors de la phase post-accidentelle le même niveau d'exigence et de transparence. L'objectif est de procéder à l'évaluation précise des conséquences de cette catastrophe dans la durée, sur l'environnement et la santé. Pour cela, les services appliquent un protocole très clair. Il faut d'abord affiner la liste des substances susceptibles d'avoir été émises dans l'environnement. Nous avons ciblé lors de la phase de crise les principaux polluants ; nous recherchons à présent ceux qui pourraient avoir des effets potentiels à moyen et à long terme.

Comme nous nous y étions engagés, les listes des substances qui étaient stockées sur les sites ont été rendues publiques. Je reconnais que les listes fournies par les exploitants ne sont pas facilement exploitables, mais nous les avons transmises à l'Ineris et à l'Anses afin qu'ils nous aident à identifier d'éventuels polluants complémentaires, qu'il serait pertinent de rechercher dans le cadre de la surveillance de l'environnement. Les premiers retours partiels dont nous disposons montrent la pertinence des substances recherchées dans les premiers prélèvements. L'analyse de quelques paramètres complémentaires est préconisée pour les denrées alimentaires, notamment des phtalates et du zinc, mais il n'est pas demandé de rechercher des produits complémentaires, notamment dans l'air.

Ces données nous permettront d'alimenter la surveillance approfondie de l'ensemble des impacts environnementaux dans l'eau, dans l'air, dans les sols et dans les produits agricoles. Cette surveillance a été prescrite à l'exploitant Lubrizol. Les résultats des analyses qui ont d'ores et déjà été effectuées seront versés à cette surveillance. Enfin, cette cartographie de la pollution de l'environnement permettra la réalisation d'une étude de risques sanitaires, à la demande des autorités sanitaires. Le Gouvernement a indiqué qu'il était favorable à la mise en place d'un suivi épidémiologique de long terme par les autorités sanitaires locales.

Nous portons également une attention très forte au transfert de contaminants vers la chaîne alimentaire. À cet égard, les préfets et le ministère de l'agriculture ont pris des mesures de précaution très rapidement et édicté des mesures de confinement des productions agricoles, dans l'attente du résultat des analyses, concernant notamment les dioxines. Je suis bien consciente, tout comme le ministre de l'agriculture, que c'est une épreuve difficile pour les éleveurs et les agriculteurs, mais je sais aussi qu'ils sont très attachés à la qualité sanitaire de leurs produits. Nous prenons clairement l'engagement de bien les accompagner afin de compenser leurs pertes d'exploitation.

Agnès Buzyn, Didier Guillaume et moi-même, nous installerons vendredi prochain un comité de suivi pour assurer, dans la durée, la totale transparence sur les conséquences environnementales et sanitaires de cet accident. Ce comité rassemblera les collectivités, les associations de protection de l'environnement, les professionnels de santé, les représentants des riverains et des professionnels impactés. Nous sommes déterminés à faire la pleine lumière sur les conséquences de ce grave accident dans la durée.

Au-delà des conséquences directement perceptibles, il faudra aussi assurer la pleine transparence sur les causes de cet accident. Dès jeudi 26, j'ai annoncé le lancement d'une enquête administrative, qui complétera l'enquête pénale en cours. Aujourd'hui, de nombreuses zones d'ombre demeurent, à commencer par l'origine même de l'incendie, alors que le site faisait l'objet d'une surveillance rigoureuse par le service de l'inspection des installations classées de la Dreal.

Depuis le précédent accident, survenu en 2013, 39 inspections ont été réalisées sur ce site, les dernières datant de juin et de septembre. Un plan de prévention des risques technologiques (PPRT) a été approuvé en 2014. Nous ne disposerons d'une analyse plus précise des causes que d'ici quelques semaines, mais j'ai d'ores et déjà saisi l'ensemble des préfets afin qu'ils demandent aux exploitants des sites Seveso de renforcer leur vigilance et d'interroger leurs propres systèmes et procédures de gestion des risques, au regard de cet incendie.

Vous le constatez, le Gouvernement et les services de l'État sont depuis les premières heures pleinement mobilisés pour protéger les Français. Nous continuerons de le faire et nous serons pleinement transparents, y compris sur les causes de l'accident. Nous le devons aux Français et à la représentation nationale.

M. Patrick Chaize. - Sachant que 39 contrôles ont été effectués dans cette usine ces dernières années, trop de contrôles ne tuent-ils pas le contrôle ?

Le Gouvernement envisage-t-il aujourd'hui une évolution des normes Seveso ?

Le fonds d'indemnisation des agriculteurs a estimé que les pertes agricoles s'élevaient à 400 000 euros par jour depuis la survenue de l'accident. Pouvez-vous nous garantir que le principe du pollueur-payeur s'appliquera intégralement, et que Lubrizol indemnisera les agriculteurs et prendra à sa charge tous les coûts annexes tels que les frais d'analyse ou le nettoyage des écoles ?

Enfin, comment expliquer que Normandie Logistique, l'entreprise mitoyenne de Lubrizol, ne soit pas classée Seveso seuil haut et qu'elle n'ait pas fait l'objet d'une surveillance particulière alors qu'elle stockait plus de 4 000 tonnes de produits chimiques ? Plus globalement, comment expliquer de telles lacunes dans le processus de contrôle des sites industriels ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Les 39 contrôles n'ont manifestement pas permis d'empêcher cet incendie, qui, à ce stade, n'est pas expliqué. L'entrepôt était protégé par un système de sprinkler, dimensionné pour éteindre un incendie, mais qui n'a pas permis d'empêcher l'incendie. L'enquête judiciaire et l'enquête administrative nous éclaireront sur ce qui s'est passé.

Une catastrophe de cette ampleur doit forcément nous amener à réfléchir aux normes et aux procédures en vigueur. Les PPRT ont été mis en place à la suite de la catastrophe d'AZF. De la même façon, des enseignements devront être tirés après cet incendie, mais ses causes doivent au préalable être éclaircies. Pour l'heure, les deux industriels se renvoient un peu la balle. Pour ma part, ne disposant d'aucun élément à ce stade, je reste prudente.

Je vous confirme que le principe du pollueur-payeur s'appliquera et que les opérations de dépollution et de nettoyage, ainsi que les analyses, seront bien à la charge de l'exploitant. Par ailleurs, ce dernier devra réaliser un suivi environnemental dans la durée.
Le plan de surveillance qu'il nous a remis vendredi dernier ne nous semble pas suffisant, le préfet le lui a écrit. Il doit nous remettre un tel plan, que nous devrons valider. Enfin, l'industriel devra indemniser les préjudices, notamment ceux des agriculteurs.

J'ai dit au PDG de Lubrizol, que j'ai rencontré, que je considérais que son entreprise n'avait pas été à la hauteur lors de la crise, en particulier parce qu'elle a mis du temps à fournir les listes des produits stockés. Même si ces listes ne sont pas parfaitement lisibles, j'en conviens, nous les avons rendues publiques, car elles permettent de faire toute la transparence sur les produits impliqués dans l'incendie.

Comme l'a souligné Agnès Buzyn, il peut être compliqué de déterminer les polluants potentiels produits lors de ce type d'incendie. C'est la raison pour laquelle nous avons saisi l'Ineris et l'Anses afin de savoir s'il était nécessaire de faire des prélèvements et des analyses complémentaires pour rechercher d'autres substances. Les prélèvements qui ont été réalisés, notamment dans l'air et sur les suies, ont été validés. Il nous a juste été demandé, je l'ai dit, d'étendre les recherches sur les produits agricoles.

Sur la situation de Normandie Logistique, je serai très prudente, dans l'attente de l'enquête administrative. Ce site a été construit dans les années 50, antérieurement à la législation sur les ICPE. De fait, les exploitants bénéficient dans ce cas d'un régime d'antériorité et ont le droit de poursuivre leur activité. Le site a ensuite été agrandi, la législation ICPE a évolué dans le même temps, un régime d'enregistrement et d'autorisation ayant été instauré pour certains entrepôts. Dans ce cas, l'exploitant a l'obligation de signaler si un nouveau régime s'applique à sa situation.

L'enquête administrative dira si l'entreprise n'a pas fait les déclarations qu'elle aurait dû faire et nous éclairera peut-être sur la façon de nous assurer à l'avenir que ces déclarations sont mieux faites.

M. Claude Bérit-Débat. - Des pollutions supplémentaires sont-elles à craindre, à en juger par la liste remise par l'industriel ?

Vous exigez un auto-contrôle renforcé des 1 312 sites classés Seveso, madame la ministre. Pensez-vous que cela sera suffisant ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Le site de Normandie Logistique n'est pas classé Seveso et n'est donc pas soumis aux mêmes obligations que celui de Lubrizol.

Normandie Logistique nous a fourni des listes des produits présents sur son site au moment de l'incendie, mais n'a pas été en mesure de nous indiquer quels produits ont brûlé, deux de ses trois entrepôts ayant été partiellement détruits, le troisième l'ayant été totalement. Nous avons néanmoins rendu publique la liste des produits et demandé à l'Ineris d'actualiser ses recommandations sur la base des produits présents sur le site de Normandie Logistique
- de la gomme arabique, de la magnésie et de la bauxite, ainsi que des asphaltes stockés pour le compte de Total implanté à proximité - et de Lubrizol - des matières premières et des produits finis. Par ailleurs, Lubrizol nous a indiqué avoir fait appel à Normandie Logistique pour le stockage de produits non dangereux. Nous sommes là aussi en train d'analyser la liste qui nous a été transmise. Il faudra vérifier que les produits se trouvaient bien sur ce site.

Mme Nicole Bonnefoy. - Madame la ministre, vous avez demandé au PDG de l'entreprise Lubrizol d'assumer pleinement toutes ses obligations légales et réglementaires, en matière de transparence, de mise en sécurité du site, de dépollution ou de suivi des conséquences à moyen et à long terme de cet incendie, en application du principe du pollueur-payeur. Dès lors, comment expliquer que le préfet de Seine-Maritime ait refusé toute expertise indépendante et contradictoire - expertise que vient d'accorder le tribunal administratif à l'association Respire -, alors que vous aviez déclaré vouloir faire preuve de transparence ?

La transparence doit prévaloir et le principe du pollueur-payeur doit être appliqué, dans cette affaire comme dans d'autres. Je pense au cas de l'ancienne usine Saft, près d'Angoulême, dont le site, exploité pendant cinquante ans, n'a jamais fait l'objet d'une quelconque dépollution. Alors que les sols et la nappe phréatique sont pollués, les riverains sinistrés se voient refuser une étude indépendante, contradictoire et exhaustive. Dans cette affaire, l'action combinée de l'État et du département de la Charente aboutit à un renversement des responsabilités : c'est le pollué qui paie !

L'État envisage-t-il de changer sa doctrine, qui consiste manifestement à refuser systématiquement les demandes d'expertises indépendantes dans ce type de dossier ?
Cette position n'est plus tenable, car elle peut donner à penser que l'État à quelque chose à cacher et qu'il couvre les responsables de la situation.

Le principe du pollueur-payeur doit s'appliquer, à Rouen comme ailleurs. L'État dispose des pouvoirs de le faire respecter. Quelles mesures envisagez-vous de prendre à cet égard, madame la ministre ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - J'ai effectivement rencontré le PDG de Lubrizol et je lui ai demandé d'assumer toutes ses responsabilités, sans même attendre les décisions au civil en matière d'indemnisation. L'entreprise nous a indiqué qu'elle travaillait en ce sens.

La surveillance à moyen et long terme de l'environnement relève de la responsabilité de l'exploitant du site, en l'occurrence Lubrizol. Notre responsabilité, à nous, est de veiller à ce qu'il mette en place cette surveillance environnementale, conformément aux meilleurs standards ; nous nous y employons. C'est la raison pour laquelle nous avons retoqué sa copie pour l'instant.

Je suis pleinement consciente que la parole publique n'est pas crue. Celle d'autres experts le sera-t-elle ? Je ne le sais pas.

Les analyses sont réalisées par des bureaux d'études compétents, puis sont revues notamment par l'Ineris, qui est sans doute la structure la plus experte sur ces sujets. Il est dommage qu'on ne leur fasse pas confiance. Si d'autres analyses permettent de rendre crédible leur expertise, j'en prends acte.

Nous devons réfléchir à la question des friches industrielles, sachant en outre qu'il faut éviter l'artificialisation des sols. Aujourd'hui, lorsqu'un industriel quitte un site classé pour la protection de l'environnement, il a l'obligation de le mettre en sécurité, de le dépolluer pour un usage industriel et de s'assurer de l'absence d'impact sur les riverains. Je n'ai pas précisément en tête le dossier que vous évoquez, mais nous pourrons réfléchir à des évolutions de ces obligations ultérieurement.

M. Guillaume Gontard. - Depuis trois ans, on note une augmentation des accidents sur les sites classés. Dès lors, on peut s'interroger sur la réglementation.

Le Gouvernement ne cesse en effet de réduire le périmètre d'intervention de l'autorité environnementale, que ce soit dans la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance ou dans la loi relative à l'énergie et au climat actuellement en fin de navette parlementaire, pour confier plus de compétences au préfet. L'établissement Lubrizol a demandé à deux reprises l'autorisation d'augmenter les quantités de substances dangereuses qu'il stockait. Dans les deux cas, le préfet a considéré qu'il n'y avait pas lieu de demander une évaluation environnementale.

Dans la même logique, le Gouvernement annonce un élargissement du régime d'enregistrement. Le 23 septembre, trois jours avant l'incendie, Édouard Philippe a annoncé un grand chantier de simplification pour accélérer les projets industriels. Il est ainsi prévu d'autoriser le démarrage d'une partie des travaux sans attendre l'autorisation environnementale.

Le Gouvernement a-t-il désormais pris conscience que les intérêts industriels ne sont pas compatibles avec la sauvegarde des populations et de l'environnement ? Va-t-il tirer les conséquences de ce terrible événement et revenir sur la réglementation, devenue trop laxiste ?

J'en profite, madame la ministre, pour vous inviter au colloque que nous organisons ici le 29 novembre prochain sur la démocratie environnementale.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie, monsieur Gontard, de rappeler la question, à laquelle je n'ai pas obtenu de réponse, sur l'augmentation du stockage de produits dangereux qui aurait été décidée au début de l'année 2019.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Concernant l'augmentation des accidents, je ne dispose pas d'informations. Je puis, en revanche, vous assurer que le nombre de sanctions administrées aux exploitants a augmenté, ce qui témoigne que les inspecteurs sont présents sur les sites classés et que la vigilance est importante. En 2018, environ 400 sanctions ont ainsi été prononcées, contre un peu plus de 300 en 2016. S'agissant du site de Lubrizol, 39 contrôles ont été menés depuis 2013.

Vous avez également mentionné les mesures de simplification adoptées. Sachez que le temps consacré aux dossiers par les inspecteurs étant plus long qu'auparavant
- les dossiers sont plus riches et plus compliqués -, celui qui est passé sur les sites s'en trouve d'autant réduit. Les démarches de simplification administrative ne doivent pas conduire à baisser la garde en termes de sécurité. Pour mémoire, la sécurité concerne l'étude de danger ; elle diffère de l'évaluation environnementale réalisée via l'étude d'impact de l'autorité compétente. Sans, bien entendu, me désintéresser de l'évaluation environnementale, je tiens à rappeler que les études de danger doivent être réalisées systématiquement dans les sites à risque. La remise à plat nécessitée par la catastrophe de Lubrizol doit être l'occasion de s'assurer que les simplifications administratives, dont je défends le principe, ne réduisent pas les garanties en matière de sécurité des sites. Votre commission d'enquête, la mission d'information de l'Assemblée nationale et les enquêtes administratives permettront de le vérifier et de s'assurer de l'équilibre entre l'étude des dossiers et les contrôles sur site.

Le site de Lubrizol a fait l'objet de deux arrêtés : le premier mettait à jour des prescriptions techniques pour une unité sans rapport avec l'endroit où s'est produit l'incendie - il autorisait une nouvelle gamme de produits et une augmentation du stockage - et le second augmentait la capacité de stockage possible sur le site, mais il n'a jamais été mis en oeuvre.
En conséquence, ces arrêtés n'ont pas de lien avec l'accident. Quoi qu'il en soit, il me semble essentiel que les études de danger couvrent l'ensemble des situations et des évolutions proposées par l'exploitant ; elles doivent donc être régulièrement actualisées.

Mme Marta de Cidrac. - L'accident de l'usine Lubrizol nous inquiète tous, et nous souhaitons obtenir des explications. Parmi les sites Seveso, 705 sont classés seuil haut, dont un qui est situé dans ma commune : le Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (Siaap) chargé de la dépollution des eaux de la région d'Île-de-France. Un accident est survenu début 2018, puis un second à l'été 2019. Nous avons eu quelque inquiétude à la vue de la fumée noire qui s'échappait de l'usine. Le préfet a immédiatement pris en charge l'incident et a pu heureusement nous rassurer quant à l'absence de chlorure ferrique. Au regard de cet incident et de la catastrophe de Lubrizol, pensez-vous que notre chaîne de contrôle et notre politique de prévention fonctionnent correctement ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Je comprends et je partage l'émotion et l'inquiétude des habitants de Rouen ainsi que des acteurs économiques de la région.
Il convient cependant de rappeler que l'incendie a été maîtrisé sans sur-accident et que les résultats des analyses dont nous disposons sur l'air, l'eau et les sols, ainsi que les premières mesures réalisées sur les végétaux, n'indiquent aucune anormalité, même si les fumées étaient impressionnantes.

La France bénéficie de la législation la plus la plus protectrice d'Europe : nous appliquons la directive dite Seveso dans sa dernière révision, doublée d'une réglementation nationale mise en oeuvre à la suite à l'accident d'AZF, avec les PPRT, qui ont pour objet de réduire le risque à la source. Des mesures sont prises, dans ce cadre, pour la protection des riverains et des activités à proximité du site qui peuvent aller jusqu'à l'expropriation et au droit de délaissement. La grande majorité des PPRT - 98 % d'entre eux - est réalisée, mais les mesures qu'ils impliquent se mettent en oeuvre trop lentement, notamment les travaux chez les particuliers, pourtant pris en charge.

Les sites Seveso sont astreints à des fréquences minimales de contrôle. Ils sont inspectés régulièrement, mais peut-être convient-il, après l'accident de Lubrizol, de renforcer certains aspects du contrôle. J'estime, en particulier, anormal qu'il faille autant attendre pour disposer d'une liste de produits. J'ai interpellé le préfet sur ce sujet. Nous aurons également à réfléchir, s'agissant de Normandie Logistique, aux sites qui existaient antérieurement à la législation sur les installations classées et qui peuvent changer de catégorie en fonction des évolutions de la réglementation.

Mme Angèle Préville. - Il y a plus de quarante ans avait lieu la catastrophe industrielle de Seveso, avec une pollution à la dioxine qui a provoqué un véritable électrochoc. À Rouen, les pompiers ont oeuvré pour éviter un sur-accident, mais nous avons eu à déplorer l'absence d'un plan d'urgence et des lacunes concernant la protection des populations. Quel est alors le bénéfice du classement Seveso ? Selon des témoignages, certains habitants n'ont pas entendu de sirènes ; des enseignants et des élèves se sont rendus dans les établissements scolaires malgré les consignes de confinement. L'incendie s'est déclaré en pleine nuit et, à huit heures du matin, des habitants se promenaient dans
le périmètre affecté : cela pose question en matière de protection des populations. Je m'interroge également sur la liste des produits et des molécules qu'ils contiennent. Un industriel connaît évidemment le résultat de la combustion des produits qu'il stocke ! Dans le cadre de la réglementation des sites Seveso, cette liste devrait être obligatoire. Je doute enfin de la pertinence du périmètre de 500 mètres : le panache de fumée sortant de l'usine Lubrizol a largement franchi cette limite. À ce stade, la dioxine n'a pas été détectée, mais la quantité de produits concernée par l'incendie laisse à craindre le pire à plus long terme... Souvenez-vous qu'à Seveso il avait fallu dépolluer la terre sur une large épaisseur.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Le classement Seveso emporte un certain nombre de conséquences, notamment des études de danger permettant de connaître les polluants à rechercher. Cette réglementation est issue de la catastrophe de Seveso ; elle a ensuite été complétée après la catastrophe d'AZF qui fit 31 morts, plus de 2 000 blessés et endommagea 26 000 logements. Elle vise prioritairement le traitement du risque immédiat que constituent les polluants comme le sulfure d'hydrogène pour la santé et pour l'environnement, mais ne traite peut-être pas suffisamment les risques de moyen et long termes. Nous avons donc interrogé l'Ineris et l'Anses dans la perspective du plan de suivi à moyen et long terme des conséquences sur l'environnement et la santé. L'Ineris nous a confirmé que la liste des produits recherchés était conforme à ce que pouvait produire un tel incendie.

Le classement en Seveso offre également d'importants moyens d'extinction, notamment des dispositifs sprinkler, qui n'ont hélas pas permis de prévenir l'incendie de Lubrizol. Enfin, il rend obligatoire un plan d'opération interne (POI) de l'exploitant, mis en oeuvre en cas d'incident, ainsi qu'un plan particulier d'intervention (PPI) déclenché par le préfet pour mobiliser les moyens nécessaires. Ces éléments ont permis de contenir l'incendie, limitant son périmètre à 15 % du site, et d'éviter les sur-accidents.

M. Didier Mandelli. - Les différentes procédures en cours permettront de faire la lumière sur ce qui s'est produit et sur les conséquences pour l'environnement et pour les populations. La gestion de l'accident de Lubrizol traduit l'absence totale de culture du risque et d'action de prévention en direction des populations et symbolise la défiance de nos concitoyens vis-à-vis de la parole publique. Nous le vivons depuis longtemps en tant qu'élus locaux et parlementaires... Il aurait, dès lors, été préférable que la communication de l'État s'incarne en un interlocuteur unique, au lieu des multiples interventions auxquelles nous avons assisté. Vous avez évoqué les PPRT, dont la mise en oeuvre de certaines mesures tarde. Disposez-vous d'un état des lieux précis du nombre de communes engagées dans un plan communal de sauvegarde (PCS) et disposant d'un dossier d'information communal sur les risques majeurs (Dicrim) ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Votre question sort quelque peu du champ de responsabilité de mon ministère. Nous tirerons, avec les ministères de l'intérieur et de la santé, les enseignements de l'accident s'agissant de la gestion de crise, notamment en matière d'information des citoyens. Des sirènes ont été activées, mais leur rôle en cas de risque industriel n'est peut-être pas suffisamment connu. Par ailleurs, les informations doivent être plus rapidement transmises aux professionnels de santé.

La culture du risque doit évidemment être améliorée. L'application effective des PPRT interroge, de même que le rôle des enquêtes publiques auxquelles sont soumises les études de danger et les études d'impact environnemental des sites Seveso. Il existe également, en cas de risque industriel particulier, des commissions de suivi de sites (CSS) qui doivent permettre d'associer les riverains et de les informer régulièrement des dispositions qui sont prises sur les sites. Par ailleurs, l'État fournit une information sur les Dicrim, qui doit donner lieu à des PCS. Si des progrès ont été réalisés en matière de culture du risque industriel, ils demeurent insuffisants. C'est également vrai pour les risques naturels : certains partent par tempête en pleine mer, alors que les alertes ont été données ! Cela peut avoir des conséquences dramatiques, y compris sur la crédibilité de la parole publique. Peut-être devrions-nous envisager des expertises indépendantes et le développement de comités du type de celui que j'installerai prochainement avec Didier Guillaume, qui pourraient notamment prescrire des analyses.

M. Pascal Martin. - L'incendie de Lubrizol s'est déclaré à 3 heures du matin et je me suis rendu sur place à 11 heures, alors que le panache de fumée commençait à passer au-dessus de l'hôtel du département. Les villes se sont construites autour de ces entreprises, venues s'installer en Seine-Maritime pour profiter de l'axe privilégié de la Seine. À quelques centaines de mètres de Lubrizol se construit l'écoquartier Flaubert : est-il raisonnable d'autoriser de telles implantations près d'entreprises qui, par ailleurs, participent au développement économique de la métropole Rouen Normandie et du département de la Seine-Maritime ? La question des autorisations d'urbanisme est accrue par cet accident majeur.

Par ailleurs, le fait d'actionner les sirènes à 4 heures du matin n'aurait interpellé personne. Hormis, progressivement, dans les établissements scolaires, la culture du risque n'est pas partagée. Après l'incendie, l'information des populations doit être reprise de zéro.

La réglementation en matière de lutte contre les incendies s'est construite après des drames comme celui de Seveso, en Italie, en 1976. Au-delà des politiques de prévention, il faut désormais améliorer la prévision, partant du postulat que, sur ces sites, le risque zéro n'existe pas, et imaginer des moyens adaptés pour faire face aux incendies. De fait, plus un incendie est maîtrisé rapidement, moins il cause de dégâts. Il convient, dans ce cadre, de renforcer les équipes de sécurité en interne, comme il en existe chez Lubrizol. Outre les moyens d'extinction comme les sprinklers, les moyens humains demeurent indispensables.
La coopération entre les différents établissements Seveso implantés sur la métropole Rouen Normandie mérite aussi d'être développée.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Nous devons effectivement trouver des moyens efficaces d'informer la population, ce qui suppose que chacun soit convenablement tenu au courant des risques et des actions à mener s'ils venaient à se concrétiser. En matière d'urbanisme, les PPRT ont instauré des périmètres autour des entreprises à risque dans lesquels les habitations, voire toute autre installation, sont interdites. Faut-il aller au-delà ?
Je vous rappelle que les PPRT sont déjà, bien souvent, considérés comme très contraignants par les collectivités territoriales. C'est également le cas des périmètres fixés par les plans de prévention du risque inondation (PPRI). Les analyses réalisées depuis l'incendie sont rassurantes puisqu'aucun polluant anormal n'a été constaté dans les communes sous panache de fumée, mais ledit panache a eu des retombées jusqu'à Valenciennes. Cela pose la question du périmètre à une échelle bien différente, s'il s'agissait de prendre en compte la pollution diffuse à moyen terme. Dans le cas de Lubrizol, la mutualisation des dispositifs d'intervention que vous évoquez entre les sites de Seine-Maritime a bien fonctionné et nous encourageons sa diffusion sur d'autres territoires.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je vais m'exprimer en lien avec notre collègue Nelly Tocqueville, retenue en Seine-Maritime. Je partage l'analyse de Didier Mandelli sur l'incohérence de la communication gouvernementale concernant l'incendie : cela a sans doute contribué à susciter des peurs ou, du moins, à les accentuer. La crise n'est pas terminée, car les habitants de Seine-Maritime vivent toujours dans le doute. Nous aurions gagné en temps et en sérénité si cette communication avait été concertée et coordonnée. Nos concitoyens veulent connaître la vérité. Ils s'interrogent sur les dysfonctionnements ayant marqué le début de la crise : ils ont respiré les substances issues de la combustion et certains agents ont nettoyé des locaux scolaires alors que des parents d'élèves recevaient des consignes de confinement. Nelly Tocqueville nous disait, par exemple, que, le 3 octobre, dans sa commune située à quinze kilomètres à l'ouest de Rouen, dans une zone qui n'aurait pas dû être concernée par le panache de fumée, les habitants avaient senti des odeurs et des picotements à la gorge.
En outre, des gens du voyage, qui occupent une aire située à 400 mètres de l'usine, n'ont reçu aucune information et n'ont eu droit à aucune protection. L'inquiétude demeure également chez les acteurs économiques. Comment redonner de la confiance à la population ?
Les habitants sont désemparés et ne savent pas quel comportement adopter. Les commissions d'information, comprenant des élus, des syndicalistes, des représentants d'associations, des experts et des exploitants de sites, sont compétentes en matière d'information sur la santé et la sécurité des riverains ; elles contribuent à diffuser une culture de sécurité et sont de nature à rassurer les populations en cas d'incident. Hélas, la France n'en compte que cinquante-trois, dont trente-huit sur des sites nucléaires.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Sauf erreur de ma part, les CSS doivent exister sur tous les sites Seveso de seuil haut. C'est une obligation réglementaire. S'agissant de la gestion de la crise, le préfet a rapidement mis en oeuvre, conformément au plan particulier d'intervention, des mesures sur la pollution de l'air qui n'ont pas mis en évidence de concentrations anormales de polluants, ainsi qu'un périmètre de protection de 500 mètres autour du site. Je comprends toutefois les inquiétudes exprimées. Nous allons d'ailleurs diffuser les résultats des prélèvements et des analyses réalisés par l'exploitant, par les pompiers, par les services de l'État et par des experts indépendants, afin de convaincre les populations que les teneurs en polluants demeurent en dessous des seuils d'alerte.

Par ailleurs, Agnès Buzyn a confirmé qu'une étude épidémiologique de long terme serait mise en place, à l'instar de celle qui avait été menée après l'incident de 2013, laquelle n'avait montré aucune conséquence sur la santé.

M. Guillaume Chevrollier. - L'explosion d'une partie de l'usine Lubrizol est une véritable catastrophe industrielle, avec des impacts économiques, humains et agricoles. L'agriculture représente un secteur en crise. Dans le département de la Seine-Maritime, les exploitations sont spécialisées dans la production de lait et dans certaines cultures. L'industrie agro-alimentaire est également bien implantée. Quels sont les risques de séquestre des productions agricoles et de stockage de la production laitière ? Les industriels peuvent-ils exploiter ces produits ? Les interrogations et les inquiétudes de la filière agricole et agro-alimentaire sont nombreuses.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Le principe est celui du pollueur-payeur : c'est l'exploitant à l'origine du risque de pollution qui paiera. Une réunion était organisée aujourd'hui au ministère de l'agriculture pour étudier quels mécanismes pourraient être mis en place rapidement, sans attendre les décisions d'un tribunal. Dans l'attente du remboursement, l'interprofession laitière a par exemple annoncé qu'elle assurerait la gestion en temps réel. Mais le ministère de l'agriculture travaille avec l'exploitant, Lubrizol, à ce que les agriculteurs soient indemnisés rapidement.

Pour ce qui concerne la consignation des productions agricoles, les premiers résultats sont rassurants, mais la surveillance doit se poursuivre, la contamination du lait par le fourrage pollué n'étant, par exemple, pas instantanée. Le ministre de l'agriculture avait invité les industriels à assurer la collecte ; certains le font, d'autres pas. S'agissant de produits périssables, une perte de production sera inévitablement constatée ; elle devra être indemnisée - nous mettons la pression sur l'industriel pour que le principe du pollueur-payeur soit respecté.

M. Jérôme Bignon. - Je suis élu de la Somme, une zone riveraine de celle de la catastrophe. Le nuage est passé au-dessus de chez moi, sur une quarantaine de kilomètres ;
je n'ai pas mangé de framboises ce week-end, principe de précaution oblige.

Les agriculteurs sont fragiles financièrement ; il faut évidemment les indemniser le plus vite possible. Les déclarations ne suffisent pas. On ne peut pas les laisser se débrouiller seuls, sachant que le lait, par exemple, représente le salaire des petits agriculteurs - toutes les fermes, dans la Somme, n'ont pas mille vaches ! La même chose est vraie, d'ailleurs, pour nos voisins et amis normands, de l'autre côté de la vallée de la Bresle ; nous sommes tous solidaires les uns des autres.

Je voudrais évoquer, par ailleurs, le doute qui habite un certain nombre d'élus et de producteurs locaux. À tel endroit, nous dit-on, le lait des vaches n'est pas propre à la consommation ; à tel autre endroit voisin, nous dit-on aussi, il l'est. On interdit à un agriculteur d'ensiler à tel endroit ; sur la terre voisine, on l'y autorise. Où sont la cohérence et la crédibilité des décisions prises ?

Je serais partisan d'une vision un peu plus globale du problème. Trente-neuf communes, dans la Somme, figurent sur la liste. Or, en termes de cohérence géographique, eu égard au mitage qui caractérise la région, il me paraît invraisemblable de traiter différemment des territoires mitoyens. C'est la fameuse histoire du nuage de Tchernobyl qui se répète :
le nuage ne s'est pas arrêté sur le Rhin !

Mme Élisabeth Borne, ministre. - S'agissant des framboises et autres productions naturelles, j'ai saisi l'Office national des forêts (ONF), l'Agence française pour la biodiversité (AFB) et les agences de l'eau pour qu'elles participent au suivi environnemental de moyen et long terme.

Les préfets ont invité les forces de l'ordre, les collectivités, les agriculteurs, à signaler les retombées de suie constatées ; c'est sur la base de ces signalements que les communes ont été classées dans la liste de celles dans lesquelles les productions agricoles sont consignées. N'aurait-il pas été excessif de consigner toute production dans toutes les communes situées entre Rouen et Valenciennes ?

Peut-être pourrons-nous réfléchir à une méthode plus scientifique, et j'ai bien noté votre préoccupation. Didier Guillaume est totalement mobilisé pour que le préjudice important subi par les agriculteurs soit rapidement pris en charge par Lubrizol.

M. Éric Gold. - S'agissant de la défiance du public à l'égard des informations transmises, force est de constater que, aujourd'hui, si c'est l'entreprise qui informe, elle est, en tant que partie prenante, peu crédible ; si ce sont les scientifiques, on leur reprochera d'être à la botte d'un lobby ; si c'est le Gouvernement, il sera accusé de vouloir étouffer l'affaire. Même si l'information est transparente, la théorie du complot fera jouer ses effets, à grand renfort de réseaux sociaux.

L'attente du grand public est néanmoins légitime. Je m'interroge sur les procédures actuelles. Elles doivent être revues ; surtout, l'enjeu doit être d'inculquer à nos concitoyens la culture du risque. Tout le processus doit s'assortir de la plus grande transparence, dès le dossier de création, au-delà de la seule enquête publique. Un suivi régulier et obligatoire doit être instauré pour toute activité pouvant comporter un danger, autour d'une instance associant l'ensemble des parties prenantes.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Sur la méfiance des citoyens, je partage votre constat.

L'information régulière des populations est du ressort des CSS. Manifestement, la circulation de l'information est insuffisante ; comment l'améliorer ? La question est posée.
Il faut aussi étudier la façon dont les plans communaux de sauvegarde (PCS) sont mis en oeuvre au plus près des citoyens.

Mme Céline Brulin. - Est-il possible que, à la faveur des assouplissements qui ont été évoqués, des entreprises dépassent les seuils autorisés, en l'occurrence les seuils Seveso haut ? Un certain nombre d'articles apparemment très bien renseignés laissent entendre que les seuils auraient été dépassés pour au moins deux produits. Est-ce le cas ?

Vous avez indiqué que vous disposiez désormais de la liste des produits stockés dans l'entreprise qui jouxte Lubrizol, Normandie Logistique. Le préfet, il y a quelques heures encore, faisait état de difficultés à obtenir cette liste. Ces difficultés sont-elles levées ?
Le problème est-il désormais simplement de savoir quels produits, parmi ceux de la liste, ont brûlé ?

Vous dites que l'entreprise Normandie Logistique s'est installée antérieurement à la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement ; mais c'est le cas pour la quasi-totalité des entreprises. L'usine Lubrizol est en service depuis 1954 ; la réglementation n'était évidemment pas celle qui est aujourd'hui en vigueur.

Lorsqu'une entreprise de stockage jouxte une usine Seveso, il est impératif que l'on sache quels effets cocktail sont susceptibles de se produire.

S'agissant de la collecte du lait, au-delà des difficultés économiques que représente pour les agriculteurs la nécessité de jeter leurs productions - c'est un véritable crève-coeur pour eux -, des engagements ont été pris par le ministre de l'agriculture pour que les coopératives viennent collecter le lait. Ces engagements ne sont pas respectés.
Les producteurs doivent jeter eux-mêmes leur lait dans la fosse à purin, pour ne pas dire n'importe où ! Vos propos se veulent rassurants ; mais, si d'aventure le lait était pollué, l'absence de collecte aurait forcément un impact environnemental.

Vous évoquez des pistes sur les plans de prévention des risques technologiques. L'État offre des crédits d'impôt pour aider à la réalisation des travaux nécessaires ; mais, dans certains endroits, les collectivités sont forcées d'avancer la dépense.

En matière de système d'information et d'alerte, les maires sont des vecteurs d'information essentiels. Il est regrettable qu'ils n'aient pas été saisis par le préfet comme ils auraient pu l'être ; ils auraient été des relais d'information extrêmement efficaces.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Pour ce qui concerne la collecte ou la non-collecte du lait, attendons les analyses. S'il existe un seuil applicable à la quantité de dioxines présente dans les produits alimentaires, il n'existe pas vraiment, en revanche, de norme de référence pour la quantité présente dans l'environnement. Reste que les taux constatés dans l'environnement se situent dans la fourchette habituelle du prélèvement de référence. Personne ne souhaite que l'on doive détruire du lait ; pour autant, il faut se donner le temps de conduire toutes les analyses nécessaires.

S'agissant des maires, l'esprit des plans communaux de sauvegarde est justement de les mettre au coeur de l'information des citoyens sur les risques. C'est bien là le principe du Dicrim élaboré par les préfets. Sans empiéter sur les compétences de mon collègue ministre de l'intérieur, je constate que les douze maires concernés par le panache de fumée ont été prévenus par le préfet ; mais sans doute aurons-nous à tirer des leçons de cette expérience.

Quant aux travaux préconisés dans le cadre des PPRT, aucun problème de financement, à ma connaissance, n'en retarde la mise en oeuvre. Un dispositif d'avance sera instauré à partir de 2020.

Je reviens sur votre première question : quid des produits stockés sur le site de Normandie Logistique ? Compte tenu du caractère erratique des informations qui nous ont été données, je préfère laisser le temps à l'enquête administrative de remettre à plat les listes qui ont été mises en ligne. Il n'existe aucune contradiction entre mes propos et ceux du préfet :
la liste que nous avons rendue publique est celle de l'ensemble des produits stockés sur le site, et le préfet essaie d'obtenir de l'exploitant la liste de ceux qui ont brûlé dans les entrepôts détruits.

M. Alain Fouché. - Cet accident, bien que grave, n'est pas le premier du genre. J'entends dans vos propos la volonté de gérer l'avenir ; je reconnais là la préfète de région que j'ai connue en Poitou-Charentes.

L'administration contrôle les entreprises ; quelle est la fréquence de ces contrôles ? Quel est le nombre d'inspecteurs affectés à ces contrôles ?

Cela a été dit, il est difficile de faire parvenir l'information aux citoyens. J'habite à côté de la centrale nucléaire de Civaux ; je suis pour le nucléaire et n'ai pas hésité à faire construire ma maison à cinq kilomètres de la centrale. Un bruit assourdissant a retenti il y a trois semaines, en pleine nuit ; on a pu constater combien il était difficile pour EDF d'informer la population. Ce n'était rien du tout, mais les gens ont eu peur. Je sais que le Gouvernement y travaille, et les progrès technologiques permettront sans doute d'améliorer l'information - c'est plus facile en centre-ville.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Les inspecteurs des sites classés sont au nombre de 1 600, représentant 1 300 équivalents temps plein. Ces effectifs ont progressé depuis les années 2000 ; ils sont relativement stables et ne diminueront pas l'an prochain.
La fréquence des contrôles est très précisément encadrée pour les sites Seveso : ceux-ci doivent être inspectés au moins une fois par an, et, de fait, ils le sont bien davantage.

En matière d'information, il est impératif de réfléchir à des moyens autres que les sirènes - je pense aux SMS par exemple, même si les expérimentations menées sur le risque terroriste n'ont pas totalement fait leurs preuves. À l'échelle d'une commune, il serait bon que le maire puisse diffuser des informations plus éclairées que ne l'est une simple sirène.

M. Hervé Maurey, président. - Sous réserve que le territoire en question dispose d'une couverture en téléphonie mobile.

Mme Martine Filleul. - Des assouplissements sont possibles depuis août 2018 ; l'usine en question en a bénéficié. J'entends ce que vous dites - les entrepôts concernés par les assouplissements ne sont pas ceux qui ont pris feu. Néanmoins, il est logique de considérer cet assouplissement comme un facteur d'aggravation du risque pour les sites dangereux. L'État est-il en mesure de nous dire quels autres sites ont bénéficié de ces assouplissements réglementaires ?

Je suis sénatrice du Nord, où le nuage est arrivé : là aussi, pas de lait, pas d'oeufs, pas de fruits. Les études d'impact ont-elles été menées, dans ce département, comme elles l'ont été dans la région rouennaise ? Il faut s'assurer, en outre, du caractère rigoureux et scientifique de ces études.

L'ancienne région Nord-Pas-de-Calais, qui compte 68 sites Seveso, est concernée au premier chef par les PPRT. Or les mairies se sentent bien seules dans l'exécution de ces plans, en particulier pour ce qui concerne les bâtiments publics : elles n'ont pas les moyens financiers de mettre en oeuvre cette réglementation.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - La règle générale est celle d'un financement en trois tiers, État, exploitant, collectivité. Peut-être pouvons-nous réfléchir à un mécanisme permettant de lisser les dépenses qui seraient trop importantes pour les collectivités.

Des prélèvements ont bien été effectués par les services du ministère de l'agriculture sur l'ensemble de la zone impactée par les retombées. Nous aurons une conception extensive du suivi à moyen et long terme des conséquences de la catastrophe sur l'environnement et sur la santé. C'est d'ailleurs dans cet esprit que j'ai saisi l'AFB, l'ONF et les deux agences de l'eau concernées, Artois-Picardie et Seine-Normandie, bien au-delà de la seule métropole rouennaise.

Quant aux sites qui ont bénéficié des assouplissements, je ne suis pas, pour le moment, en mesure de vous en fournir la liste ; nos services y travaillent.

M. Christophe Priou. - L'émotionnel n'est pas rationnel ; dès lors que les premières minutes de communication sont ratées, c'est fichu !

Mon assureur m'envoie des SMS à la moindre tempête - quoi de mieux pour faire paniquer les personnes âgées ? Malgré tout, si un assureur peut le faire, ce devrait être dans les cordes de l'État et des élus locaux.

S'agissant de la dimension juridique du problème, des jugements ont été rendus, en France, au fil des catastrophes, où le principe du pollueur-payeur s'est vu appliqué
- je pense à l'arrêt « Erika » de 2012. Le législateur, de son côté, a fait son travail ; Bruno Retailleau a, par exemple, déposé une proposition de loi sur le préjudice écologique, qui a été adoptée à l'unanimité et dont le contenu a ensuite été intégré à la loi biodiversité du 8 août 2016, à l'initiative du Sénat. Les entreprises en viennent-elles ou non à considérer qu'il vaut mieux une juste réparation qu'un mauvais procès ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Sans préjuger de la concrétisation des engagements annoncés par l'entreprise, je pense qu'elle a bien compris où était son intérêt, sachant qu'elle a une réputation mondiale.

M. Christophe Priou. - C'était le cas de Total à l'époque ! Ses dirigeants avaient préféré attendre le procès.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Sous réserve, donc, de la concrétisation des bonnes intentions qui ont été annoncées, je pense que Lubrizol a une image à défendre dans de nombreux pays. Son président me disait qu'il était aussi interpellé par ses homologues d'autres entreprises chimiques, et je l'ai moi-même sensibilisé sur les délibérations prises par certains maires, qui commencent à demander que les sites Seveso accueillis par leurs communes déménagent. Chacun a bien en tête qu'un comportement exemplaire est une condition de l'acceptabilité de ce genre d'installations industrielles.

M. Christophe Priou. - Reste à connaître la position des actionnaires...

Mme Élisabeth Borne, ministre. - On peut espérer qu'ils s'intéressent à l'image de leur entreprise sur le long terme.

Mme Françoise Cartron. - Le comité de suivi est une pièce centrale du dispositif d'information. Quel est son périmètre ? Il aura à rassurer les citoyens sur le fait que les engagements pris seront bien tenus sur le long terme ; quelle sera donc sa longévité ?
Quel accompagnement sera mis en oeuvre à l'horizon de dix ou quinze ans ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - L'objectif de ce comité est d'associer tous les acteurs concernés, parlementaires, collectivités, agriculteurs, associations de protection de l'environnement, riverains, professionnels de santé, au suivi des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de cette catastrophe, à moyen et long terme.

Ce comité a donc vocation à se réunir dans la durée. Il se réunira fréquemment au début - la transparence la plus totale est indispensable -, puis, dans la durée, autant que nécessaire. L'enjeu est vraiment de rassurer ; on peut espérer que, au fil du temps, en fournissant l'information de façon transparente et régulière, les populations soient informées et, si les résultats des analyses continuent à le justifier, rassurées.

M. Ronan Dantec. - Une augmentation des taux de dioxines dans l'air vient d'être annoncée par Atmo Normandie, ce qui ne rassurera probablement pas la population.

J'étais vice-président de Nantes Métropole chargé du risque au moment de la catastrophe d'AZF. Les débats que nous avons aujourd'hui sont pour partie les mêmes que ceux que nous avions alors. Deux problèmes, en particulier, restent pendants. Le premier est celui de l'effet domino. Dans le cas présent, on ne sait pas d'où est parti l'incendie ; si les inspections sont fréquentes sur les sites Seveso, l'effet domino n'est pas vraiment pris en compte, sachant que le traitement de cette question nécessite beaucoup de temps et de moyens humains.

En matière d'alerte, nous sommes, en France, très mauvais. Nous avions, à Nantes, établi un Dicrim. Mais notre pays n'a aucune culture du risque. Nous ne sommes mobilisés que sur le risque zéro : nous nous contentons de nous demander comment il se fait qu'un incendie soit possible.

Il faut en particulier des réponses communes pour le risque technologique, pour le risque climatique et pour le risque sanitaire. De ce point de vue, madame la ministre, une partie de vos réponses expriment la segmentation de l'État entre ce qui relève du ministère de l'intérieur, du ministère de la santé, du ministère de l'environnement, du ministère de l'agriculture, etc. Si l'on ne casse pas cette logique de silos, on ne peut créer aucune culture du risque. Et je pense vraiment que vous devez, en tant que ministre de l'environnement, être pilote en la matière.

Une méthodologie affinée doit notamment être instaurée, fondée sur le cumul des alertes. Tous les leviers doivent être actionnés en même temps ; aucun ne suffit à lui seul, qu'il s'agisse de la sirène, du message téléphonique ou du message radio. Ce travail doit être mené en liaison avec les réseaux de collectivités territoriales, qui ont une vraie expertise, en partant des bons exemples - je pense à celui du centre de gestion des crises de Nantes.

Si nous ne sortons pas de cette catastrophe armés d'une méthodologie renforcée, les mêmes problèmes se poseront la prochaine fois. Il nous incombe de ne pas rater l'opportunité qui suit, hélas, chaque catastrophe.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Nous avons forcément des leçons à tirer de la façon dont l'information a circulé. Sans me défausser, et en tant qu'ancienne préfète, j'ai tendance à penser que c'est le rôle du préfet d'assembler les différents silos sur le terrain.
Et, en l'occurrence, c'est bien le préfet qui a eu à gérer la crise avec l'ensemble des services de l'État.

Mon ministère se sent évidemment concerné par la culture du risque. La réflexion sur une meilleure prise en compte des risques naturels ou technologiques est sans aucun doute indispensable. Ma longue expérience en matière de gestion des catastrophes me montre que nos concitoyens considèrent aujourd'hui qu'ils sont protégés en toute heure et en tous lieux. Sans affoler tout le monde par des messages intempestifs, il faut que chacun se sente davantage concerné par les comportements à adopter lorsqu'un risque se concrétise.

Quant aux effets domino, en toute logique, ils doivent être pris en compte dans les études de danger réalisées sur les sites Seveso - là encore, un retour d'expérience devra être fait sur ce sujet.

M. Joël Bigot. - Tout a été dit sur la gestion de la crise ; je n'y reviendrai pas.

J'évoquerai la culture de crise, qui n'en est, en France, qu'à ses balbutiements, et reste en particulier très compartimentée - risque industriel, risque d'inondation, risque minier, etc. Les règles d'urbanisme, en outre, tardent à s'adapter : on a construit sur des remblais ou des zones inondables, ce qui crée des zones de fragilité. Quant aux friches industrielles, certaines n'ont pu être réhabilitées ; lorsque l'ancien propriétaire se déclare en faillite, il peut s'écouler une vingtaine d'années avant que le site ne soit déclaré orphelin et pris en charge par l'État.

En matière de gestion du risque, il existe une véritable ingénierie au niveau des collectivités territoriales. J'ai moi-même eu l'occasion d'établir un plan communal de sauvegarde, ma commune étant située le long de la Loire. Je peux vous dire qu'il a fallu, pour y parvenir, faire oeuvre de pédagogie auprès de l'intercommunalité, sachant qu'une inondation ne s'arrête pas aux limites d'une commune.

Le bricolage doit cesser d'être la règle ; cette culture du risque balbutiante doit être structurée et rationalisée, en direction tant des élus que des populations. Certains pensaient ne pas avoir besoin de plan communal de sauvegarde au motif que la Loire n'avait pas débordé depuis vingt ans ! Il faut donc insister sur la pédagogie dans sa dimension pluridisciplinaire. C'est un vaste chantier ; comment comptez-vous l'aborder ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Nous avons à progresser, en effet, en matière de culture du risque, ce qui n'est pas exclusif de l'effort réalisé pour sensibiliser les collectivités - nous avons tous en tête des catastrophes qui auraient pu être évitées si l'on n'avait pas construit dans des zones où nos anciens savaient qu'il ne fallait pas construire.

Quand on veut élaborer des documents protecteurs, qui, comme tels, restreignent les possibilités d'urbanisation, les PPRT par exemple, on se heurte à des réticences. Vous avez donc raison de dire qu'il faut sensibiliser, y compris certains élus.

Nous devons, Christophe Castaner et moi, identifier les bonnes pratiques en matière de PCS. Cela permettra d'éviter que chacun ne reparte de zéro et d'accélérer la mise en oeuvre de plans efficaces.

M. Hervé Maurey, président. - Merci, madame la ministre, pour vos réponses. La commission d'enquête que nous allons mettre en place essaiera de faire la lumière sur ce qui s'est passé et sur les règles qu'il conviendrait de modifier pour l'avenir.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 h 05.

Mercredi 9 octobre 2019

- Présidence de de M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et M. Claude Raynal, vice-président de la commission des finances -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Zones de revitalisation rurale (ZRR) - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nos deux commissions sont réunies ce matin afin d'entendre une communication de nos collègues M. Bernard Delcros, Mme Frédérique Espagnac et M. Rémy Pointereau sur les zones de revitalisation rurale (ZRR). Lors de sa réunion du 22 janvier dernier, la commission des finances a confié la réalisation d'un contrôle budgétaire sur ce sujet à deux de ses commissaires : M. Bernard Delcros, rapporteur spécial des programmes 112 et 162 relatifs à l'aménagement du territoire au sein de la mission « Cohésion des territoires », et Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale de la mission « Économie ». Dans le même temps, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable avait chargé M. Rémy Pointereau de réaliser un contrôle sur le sujet. Aussi, nos deux commissions ont décidé d'unir leurs forces. Nous nous en félicitons, car cette méthode de travail inter-commissions et transpartisane reflète parfaitement l'esprit qui anime les travaux du Sénat. En l'espace de cinq mois, nos trois rapporteurs ont mené une douzaine d'auditions et effectué deux déplacements, entendant ainsi, au Sénat et sur le terrain, dans les ZRR elles-mêmes, plus d'une centaine de personnes.

Les ZRR intéressent tout particulièrement la commission des finances, puisqu'elles recouvrent à ce jour plusieurs mesures d'incitation fiscale, deux mesures d'exonération de charges sociales, une majoration partielle de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et une série de dispositifs destinés à favoriser le développement des territoires concernés. Le coût global annuel de ce dispositif peut être estimé en 2018 à plus de 300 millions d'euros, répartis en 145 millions d'euros d'exonérations d'impôt sur les bénéfices, 118 millions d'euros d'exonérations de cotisations sociales et une cinquantaine de millions d'euros pour les autres mesures.

La restitution de ce travail de contrôle intervient à point nommé. Le principal dispositif d'exonération fiscale prévu en ZRR prendra automatiquement fin au 31 décembre 2020, s'il n'est pas renouvelé par le législateur. En outre, l'examen en commission du projet de loi de finances (PLF) pour 2020 vient de démarrer à l'Assemblée nationale et le sujet des ZRR y fera probablement débat. Nous entendrons donc beaucoup parler de ce sujet dans les prochaines semaines.

M. Hervé Maurey, président. - Je me réjouis que nous ayons pu unir nos efforts afin d'apporter nos éclairages respectifs sur les ZRR. Notre commission, et tout particulièrement notre collègue Rémy  Pointereau, souhaitait mener une étude sur ce sujet. Compte tenu des initiatives de la commission des finances, il nous a semblé logique, cohérent et pertinent de réaliser un travail commun. Celui-ci s'inscrit dans le droit fil des travaux de notre commission, je pense par exemple au rapport de notre commission Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité, que j'avais publié avec Louis-Jean de Nicolaÿ en octobre 2017, dans lequel nous regrettions que les ZRR n'aient pas fait l'objet d'une réforme plus ambitieuse en 2015, réforme qui semblait alors essentiellement guidée par des préoccupations budgétaires, ciblées sur les critères d'éligibilité, privilégiant une approche intercommunale - qui n'était pas la meilleure selon nous...

Depuis la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (LOADT) de 1995, les ZRR sont un élément d'attractivité pour les territoires ruraux et un moyen de résorption de leurs fragilités structurelles. Nous sommes passées de 11 688 communes classées en 1995 à près de 18 000 communes en 2019 mais 4 000 communes sortiront du classement au 1er juillet 2020 tandis que le principal dispositif d'exonération fiscale prévu en ZRR prendra fin au 31 décembre 2020 s'il n'est pas expressément renouvelé par le législateur. Par ailleurs, des doutes persistent sur les intentions du Gouvernement et de la majorité présidentielle. Nous espérons que l'examen du PLF pour 2020 permettra d'y voir plus clair. Je salue la qualité et l'importance du travail des rapporteurs, en parfaite coordination.

M. Bernard Delcros, rapporteur. - Au cours des quinze dernières années, les outils financiers en faveur du secteur rural se sont peu à peu étiolés : le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), qui a fusionné six fonds précédents a fondu comme neige au soleil, alors qu'il aurait dû être le principal outil d'aménagement du territoire. Les pôles d'excellence rurale et le fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (Fisac) ont disparu, et les contrats de ruralité, mis en place en 2017 n'ont déjà plus de crédits dédiés. Et désormais, ce sont les ZRR qui sont menacées ! Pendant ce temps, faute d'une réelle politique d'aménagement du territoire, les fractures territoriales continuent à se creuser sous l'effet du processus de métropolisation. Il aura fallu une crise sociale majeure déclenchée en octobre 2018 et le Grand débat qui a suivi pour que la ruralité trouve enfin sa place au coeur du débat national. Pour qu'une prise de conscience émerge, les territoires ruraux ne sont pas un handicap pour le pays, mais ils détiennent des atouts pour répondre aux défis que notre société doit relever. Il faut miser sur ces territoires.

Dans ce contexte, il serait incohérent, incompréhensible et à contre-courant de laisser disparaître les ZRR sans trouver une solution globale, efficace et durable de soutien au développement rural.

Je remercie Mme Frédérique Espagnac et M. Rémy Pointereau d'avoir mené avec moi une vingtaine d'auditions et fait deux déplacements.

Les ZRR, auxquelles les élus locaux sont très attachés, présentent plusieurs intérêts pour la ruralité : exonérations fiscales et de cotisations patronales, majoration de la DGF, exonérations pour les aides à domicile, aides pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), bonification des subventions d'investissement ou de la dotation aux agences postales communales... Au total, 17 mesures fiscales et une série d'autres dispositifs apportent un réel soutien aux territoires ruraux.

Pourquoi les ZRR sont-elles menacées, et pourquoi y-a-t-il urgence à agir dès le PLF pour 2020 ? Première menace, dès le 1er juillet 2020, 4 074 communes, soit un quart des collectivités classées en ZRR, vont sortir du dispositif, souvent victimes de l'élargissement des périmètres des intercommunalités depuis la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Loi NOTRe) en 2017. Nous avons tous des exemples de ces communes n'ayant pas réussi leur reconquête démographique et qui seront exclues du dispositif.

Deuxième menace, les dispositifs d'exonération d'impôt sur les bénéfices et de fiscalité locale arrivent à échéance au 31 décembre 2020. Sans un acte législatif, c'est un levier essentiel pour l'attractivité des territoires ruraux qui disparaîtra.

Troisième menace, le rapport de la mission flash de la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale, rédigé par les députées Anne Blanc et Véronique Louwagie, remet en cause des ZRR. Elles préconisent la fin des exonérations fiscales et patronales, au profit d'une hausse compensatoire de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Cette proposition n'est pas recevable : la DETR soutient l'investissement des collectivités locales, alors que les ZRR soutiennent l'activité économique et les services en milieu rural.

De plus, il serait prématuré et hasardeux d'exclure tout ou partie des communes classées en ZRR avant que le Gouvernement ne remette les deux rapports - prévus pour juillet et septembre prochains - et qu'ils soient débattus. Lors de la présentation de son agenda rural, le Premier ministre a fait des annonces qui vont dans le bon sens, mais le maintien des ZRR n'est pas inscrit dans le PLF 2020.

Nous proposons un plan d'action en deux temps : dès le PLF 2020, il faudra proroger les ZRR jusqu'au 31 décembre 2021 pour les communes sortantes à l'été 2020 et proroger d'un an les dispositifs d'exonération fiscale arrivant à échéance au 31 décembre 2020. Ensuite, nous proposons une réforme des ZRR fondée sur de nouveaux critères d'éligibilité et un panel de mesures différenciées, mieux adaptées à la diversité des territoires et proportionnées au niveau de fragilité des communes.

Les ZRR sont à la croisée des chemins, avec deux échéances majeures. Nous devons les réformer en profondeur pour disposer d'une politique globale plus efficace en faveur du développement rural. Mais dans cette attente, le report au 31 décembre 2021 des ZRR actuelles est un préalable, notamment pour garantir la réussite de la nouvelle cartographie des zones prioritaires demandée par le Premier ministre. Cela nécessitera de disposer de simulations précises sur le chiffrage et la déclinaison concrète de ces mesures sur le terrain.

M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Je remercie mes collègues rapporteurs pour le travail conduit ensemble. Ce fut un grand plaisir et un honneur de travailler avec deux membres éminents de la commission des finances !

Oui, les ZRR sont à la croisée des chemins. En complément de la prorogation des ZRR, nous devons aussi traiter le problème à la racine. J'évoquerai donc les critères de classement des EPCI en ZRR et nos propositions de refonte. Sur ce sujet comme sur d'autres, nous devons encore nous adapter à des changements issus de la loi NOTRe, comme nous l'avons vu hier dans l'hémicycle. Je suis convaincu que nous pouvons trouver un équilibre et rénover les ZRR pour soutenir le développement local.

Avant la réforme de 2015, le classement des communes en ZRR se faisait sur la base de trois critères, appréciés soit à échelle de l'EPCI, soit du canton, soit de l'arrondissement : en premier lieu, un critère de faible densité, selon des seuils fixés par décret ; en second lieu, un critère sociodémographique, apprécié par rapport au déclin de la population, au déclin de la population active ou de la forte proportion d'emplois agricoles ; enfin, un critère institutionnel, imposant à la commune souhaitant être classée d'être membre d'un EPCI à fiscalité propre.

Dans ce cadre, en 2014, environ 15 000 communes étaient concernées, dont 55 % étaient des communes de moins de 250 habitants.

En 2014, nos collègues députés MM. Alain Calmette et Jean-Pierre Vigier avaient publié un rapport d'information pour lancer une réforme des critères de classement. Ce rapport proposait de ne retenir que deux critères : un critère démographique et un critère de revenu des habitants, dans le cadre d'une unique référence aux EPCI à fiscalité propre.

Sur la base de ce rapport, la loi de finances rectificative (LFR) pour 2015 a mis en place une réforme visant à maintenir un nombre stable de communes bénéficiant du classement, tout en améliorant la lisibilité des critères applicables. Au 1er juillet 2017, 13 890 communes, dont 3 679 nouvelles, étaient classées tandis que 4 074 perdaient le bénéfice du classement, car elles ne répondaient pas aux nouveaux critères. Depuis cette réforme, c'est tout ou rien : soit toutes les communes d'un EPCI sont classées en ZRR, soit aucune d'entre elles ne l'est.

Si l'ambition simplificatrice de la réforme était louable, je déplore le manque d'anticipation du Gouvernement par rapport aux variations intervenues au sein des périmètres intercommunaux, qui ont profondément redessiné la carte du zonage ZRR, et un manque d'attention aux dynamiques locales propres à certains espaces.

En Lozère, département peuplé par moins de 80 000 habitants, la sortie du zonage des communautés de communes Coeur de Lozère et Gévaudan est un non-sens, alors qu'elles concentrent un tiers des créations d'entreprises. Il en est de même dans les communes de La Chabane dans l'Allier, Banca et Aincille dans les Pyrénées Atlantiques ou Mandailles-Saint-Julien dans le Cantal.

Par ailleurs, l'article 33 de la loi NOTRe, en portant le seuil de constitution des EPCI à fiscalité propre de 5 000 à 15 000 habitants, a conduit, au 1er janvier 2017, à une diminution d'environ 40 % du nombre d'intercommunalités, passé de 2 062 à 1 266, alors que le nombre moyen de communes par EPCI augmentait de 17 à 28, sans compter les 143 EPCI qui rassemblent plus de 50 communes en 2019, alors qu'ils n'étaient que 53 en 2016.

Par conséquent, des communes antérieurement classées en ZRR ont perdu le bénéfice du classement, car l'EPCI auquel elles appartiennent ne répond pas aux critères de la réforme de 2015, alors même que la situation de ces communes ne s'est pas ou peu améliorée. Au sein de la communauté urbaine du Grand Reims, 39 communes sur les 143 membres de l'EPCI ont perdu leur classement en ZRR en raison de la fusion d'EPCI ; 72 % des communes de la communauté d'agglomération du Pays basque sortent du classement, soit 114 communes sur 158 ; dans le Cher, 106 communes sur 236, représentant 58 000 habitants, sont sorties du classement. La fusion entre la communauté de communes des Terres d'Yèvre avec la communauté de communes des Vals-de Cher et d'Arnon au sein de la communauté de communes Coeur-de-Berry a entraîné une perte de classement pour l'ensemble des communes du nouvel EPCI. Parfois, des cantons en grande difficulté sont exclus en raison de la place de la ville-centre, c'est le cas avec la communauté de communes Pays Fort-Sancerrois, qui comprend la ville de Sancerre.

Il y a eu trop de gagnants et de perdants : les mouvements d'entrée et de sortie du classement ont concerné près de 30 % des communes classées, ce qui constitue un facteur de déstabilisation et d'incompréhension. La part de la population sortant du classement ZRR atteint ainsi 83 % pour le Loir-et-Cher !

Enfin, l'attachement des élus locaux à ce « label ZRR » a été sous-estimé. C'est la raison pour laquelle le législateur a prorogé à deux reprises le bénéfice du classement ZRR pour les communes sortantes, à la suite d'amendements parlementaires lors de l'examen de la loi « Montagne 2 » en 2016 puis lors de l'examen du PLF pour 2018.

Je rappelle qu'à l'origine aucun dispositif transitoire n'avait été prévu pour les communes sortantes par le Gouvernement, alors même que le rapport Calmette-Vigier l'avait proposé en 2014. En 2013, dans une situation similaire, il avait été décidé de continuer à faire bénéficier du classement en ZRR les 2 039 communes ne satisfaisant plus aux nouveaux seuils.

Depuis le 23 février 2018, 17 976 communes sont concernées par les ZRR, soit environ 50 % des communes françaises, dont 4 074 communes qui ne sont plus classées mais qui bénéficient des effets du classement jusqu'au 30 juin 2020, avec 1 011 communes de montagne et 3 063 communes prises en compte par la loi de finances pour 2018.

Cette situation illustre les limites d'une réforme dont le principal et critiquable objectif était de faire baisser ou de maintenir un nombre stable de communes en ZRR, au détriment d'une priorité accordée à leur situation réelle.

Aussi, nous proposons de préparer une réforme des ZRR d'ici au 31 décembre 2021. Des simulations vont être réalisées par une étude qui sera lancée rapidement, pour chiffrer précisément les effets positifs attendus de nos propositions et définir les seuils les plus adaptés aux besoins des territoires ruraux. En modifiant juste une décimale, les effets sont parfois importants.

D'abord, nous souhaitons mieux prendre en compte les fragilités et la diversité des territoires dans les grands ensembles intercommunaux, en affinant les critères de classement par secteurs géographiques au sein des EPCI. Les EPCI « XXL » sont des espaces politiques importants, mais ils sont parfois en décalage avec la logique des projets des communes et ne permettent pas toujours une approche fine des enjeux territoriaux. Sans revenir à l'échelle du canton ou de l'arrondissement, il est nécessaire de porter une attention plus approfondie aux dynamiques locales.

Ensuite, nous souhaitons que soient revus et affinés les critères de classement en ZRR pour définir trois niveaux de zonage ZRR 1 / 2 / 3, sur le modèle par exemple des groupes iso-ressources (GIR).

Je m'interroge sur le maintien de cette précision. Il compare les ZRR au GIR qui est un indice de calcul de la perte d'autonomie pour les personnes âgées.. bof non ?

Ces ZRR1, ZRR2 et ZRR3 permettront une différenciation devant correspondre à la diversité des situations des territoires ruraux : la fragilité d'un territoire sera mesurée par rapport au nombre de critères optionnels remplis parmi les six critères identifiés. Les simulations permettront d'affiner ce système.

Les critères que nous retenons à ce stade sont la densité démographique, constante du dispositif ZRR depuis l'origine, auquel s'ajouteraient le déclin démographique observé sur plusieurs années, le revenu par habitant, un critère de dévitalisation mesuré par l'évolution du nombre d'artisans, d'agriculteurs et de commerçants, l'âge moyen de la population, et le nombre de logements et de bâtiments d'exploitation vacants ou abandonnés. En fonction du nombre de critères remplis, un indice de fragilité permettra de classer le territoire concerné en ZRR 1, 2 ou 3 et il bénéficiera des mesures associées à chaque niveau de zonage. En complément, il sera essentiel de renforcer le pilotage et la gouvernance de ce dispositif, notamment en clarifiant le rôle de la future Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT).

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure. - Nous avons souhaité faire des ZRR un zonage pivot pour maintenir un soutien actif aux territoires ruraux et pour adapter les moyens des politiques publiques de la ruralité à la situation de chaque espace, d'ici au 31 décembre 2021.

Pour construire la réforme que nous envisageons, nous souhaitons nous appuyer sur les dispositifs financiers actuels, dont nous avons pu mesurer les effets positifs directement sur le terrain, et les adapter aux différents zonages ZRR 1, 2 et 3 présentés par mon collègue rapporteur.

J'évoquerai d'abord le principal dispositif : les exonérations d'impôt sur les bénéfices. Pour les entreprises et les professions libérales qui s'installent en ZRR, les bénéfices sont intégralement exonérés pendant les cinq années qui suivent la création ou la reprise de l'activité, puis l'exonération est dégressive les trois années suivantes, avec un abattement qui passe de 75 % à 50 % puis à 25 % des bénéfices la dernière année. Le dispositif d'exonération d'impôt sur les bénéfices a représenté, au niveau national, plus de 145 millions d'euros d'économies pour près de 24 000 bénéficiaires en 2018.

Concrètement, cela signifie qu'un artisan, un commerçant ou un restaurateur peut recevoir un avantage situé entre 3 000 et 7 000 euros par an. Cette économie d'impôt est souvent réinvestie pour pérenniser des projets qui sont souvent plus fragiles que s'ils étaient implantés dans des territoires plus densément peuplés et plus dynamiques. Le dispositif permet également de rendre ces territoires beaucoup plus attractifs pour les professionnels de santé. Les exonérations d'impôt sur les bénéfices doivent être maintenues pour continuer à compenser le différentiel d'attractivité dont sont victimes les territoires ruraux, et ce à tous les niveaux de zonage - ZRR 1, 2 ou 3.

Toutefois, les exonérations ne concernent aujourd'hui que l'installation et la reprise d'activités. Dans les territoires qui seraient classés en ZRR 3, à savoir les plus fragiles, nous considérons que le dispositif devrait pouvoir être étendu au maintien de certaines activités.

Un deuxième type de mesure concerne les allègements de cotisations patronales. Les exonérations ZRR actuelles recouvrent deux dispositifs distincts. D'une part, le dispositif d'exonération de cotisations patronales spécifique aux organismes d'intérêt général (OIG), qui représente l'essentiel du montant total des exonérations. D'autre part, le dispositif d'aide à l'embauche pour les augmentations d'effectif des entreprises de moins de 50 salariés situées en ZRR. Le coût global de ces deux mesures s'élevait à 101 millions d'euros en 2017, composé de 91 millions d'euros pour les contrats OIG et de 10 millions d'euros pour le dispositif de soutien à l'embauche.

Or, les contrats OIG sont en extinction : seuls sont concernés par l'exonération OIG les contrats signés avant le 1er novembre 2007. Les OIG sont menacés par la disparition progressive des contrats bénéficiant de l'exonération. Le nombre de contrats est passé de 61 000 en 2007 à 17 000 aujourd'hui, et décroit à présent à un rythme de 5 % en moyenne par an. Cette disparition constitue un manque à gagner pour les OIG qui ne bénéficient plus du dispositif sur les nouveaux contrats. Aussi, nous sommes particulièrement inquiets de voir cette mesure disparaître sans être compensée par aucun dispositif permettant d'accompagner les OIG concernés. En 2014, pour les 134 principaux établissements concernés, le montant global moyen de cette exonération représentait 200 000 euros. La disparition des contrats exonérés conduirait donc à une augmentation importante des coûts pour ces structures. Ces conséquences doivent impérativement être mieux chiffrées afin de mieux accompagner les établissements.

L'autre dispositif d'exonération concerne les allègements de charge pour les nouvelles embauches. Ils sont applicables un an et sont strictement conditionnés à une augmentation nette d'effectif. L'intérêt de ce dispositif a été progressivement réduit par l'augmentation des allègements généraux. Les entreprises devant opter pour l'un ou l'autre des dispositifs, les allègements généraux sont désormais plus intéressants que les allègements ZRR entre une fois et 1,15 fois le SMIC. Ils sont en revanche plus attractifs pour les salaires compris entre 1,15 et 2,4 fois le SMIC. L'intérêt des exonérations ZRR peut parfois atteindre des niveaux substantiels : à 1,5 fois le SMIC, l'avantage représente 5 712 euros de plus pour l'année de l'embauche que les allègements généraux.

Toutefois, compte tenu de la répartition des revenus dans les territoires ruraux, ce ciblage n'est plus adapté : 80 % des embauches se faisant à des niveaux de rémunérations inférieurs à 1,4 SMIC, les dispositifs d'exonérations devraient être recentrés à ce niveau de rémunération. Surtout, la condition d'augmentation nette d'effectif, qui constitue un critère d'éligibilité, n'est pas satisfaisante. D'abord, elle crée une complexité administrative qui limite le recours au dispositif. Ensuite, elle n'est pas en phase avec les problématiques de la ruralité, qui sont parfois celles du déclin. La priorité ne doit pas être seulement de faire croître le niveau d'activité mais également de préserver l'existant en soutenant les entreprises qui embauchent.

Pour répondre à ces difficultés, il convient de repenser le système actuel d'allègements en l'appliquant à toutes les nouvelles embauches et en définissant, en fonction du niveau de zonage et du secteur d'activité, des durées d'allègement différenciées.

Enfin, le dispositif de ZRR actuel comprend un volet de majoration de dotations. Depuis 2005, la fraction bourg-centre de la dotation de solidarité rurale est majorée de 30 % pour l'ensemble des communes situées en ZRR. Cette majoration a été appliquée sur les dotations des communes concernées lors de la création du dispositif et représente un total de 35 millions d'euros de dotation pour 2 434 communes.

La question des majorations de dotation doit être posée dans le nouveau dispositif. Le niveau de classement en ZRR 1, 2 ou 3 devrait mieux se ressentir dans l'attribution des dotations d'investissement. Elles devront être progressives en fonction de ce zonage et un coefficient multiplicateur devra être appliqué pour aider les communes les plus en difficulté à réaliser les investissements indispensables à leur attractivité.

De plus, nous avons pu constater que plusieurs dispositifs sectoriels dépendaient du zonage ZRR. Les communes sortantes risquent de perdre un soutien important et les menaces qui pèsent sur le zonage, pourraient mettre en péril ces dispositifs. Il existe en particulier des bonifications d'indemnité des agences postales communales mais également pour les agences de l'eau, qui offrent des aides renforcées en direction des communes situées en ZRR. L'agence de l'eau Loire-Bretagne prend en compte le zonage ZRR, de même que l'agence Rhône-Méditerranée-Corse qui s'est d'ailleurs fixée pour objectif de contractualiser avec 75 % des EPCI situés en ZRR d'ici à 2024. Le nouveau zonage ZRR doit demeurer une référence pour les acteurs publics et privés qui assument des politiques publiques et des services structurants. Il est indispensable de disposer d'une géographie prioritaire pour coordonner l'ensemble des actions en faveur des territoires.

Enfin, notre dernière proposition concerne uniquement les territoires les plus fragiles, classés en ZRR 3. Il est nécessaire de mettre en place un fonds de soutien à l'activité orienté vers ces territoires. Ce fonds servira de levier pour soutenir les entreprises, les commerces et les artisans et pourrait éventuellement servir de co-financement à des fonds européens.

Toutes nos propositions visent à construire une politique de la ruralité qui soit cohérente, avec des objectifs clairs et des moyens adaptés aux enjeux. Il est impossible de faire l'économie de ce chantier.

Un dernier mot sur le projet du Gouvernement, intégré au PLF pour 2020, de créer un nouveau zonage ad hoc pour soutenir les commerces et curieusement appelé « zones de revitalisation commerciale » : alors que le Gouvernement dit être engagé dans une démarche de rationalisation des zonages et devra remettre au Parlement un rapport sur ce sujet d'ici fin 2020, la sortie de ce dispositif est bien la preuve d'une absence de vision globale de la ruralité et de la proximité des élections municipales.

Voilà les grandes lignes du rapport que vous nous avez confié et que nous souhaitons approfondir grâce à des simulations précises, pour préserver un dispositif essentiel mais qu'il faudra aménager.

M. Hervé Maurey, président. - Merci à tous les rapporteurs pour cette communication. Je donne la parole à M. Louis-Jean de Nicolaÿ, auteur du rapport Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité, rapporteur pour avis des crédits de l'aménagement du territoire au sein de notre commission et qui était par ailleurs le rapporteur du texte portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Merci pour ces propositions que nous appelions de nos voeux depuis longtemps. Cette politique date de 1995 ; elle est peu connue du grand public mais très importante pour les territoires ruraux. Les ZRR ne doivent pas être un outil complémentaire mais une véritable politique de soutien aux zones les plus fragiles des territoires ruraux. On a tendance à ajouter à chaque fois de nouveaux zonages, avec de nouvelles mesures pour combler les difficultés des territoires ruraux...

Les ZRR, définies selon vos critères, pourront être une véritable politique de soutien aux territoires, dont certains font face à d'importants décrochages.

Je m'interroge sur le lien entre les ZRR et l'attribution des compétences. Les bénéfices des ZRR sont attribués aux communes, alors que la compétence de développement économique appartient aux EPCI. Il faut trouver une bonne articulation entre les deux.

- Présidence de M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de M. Vincent Éblé, président de la commission des finances -

M. Charles Guené. - Félicitations pour cette analyse et les solutions préconisées. Après avoir lu le rapport des députés Jean-Pierre Vigier et Alain Calmette de 2014 et le rapport récent des députées Anne Blanc et Véronique Louwagie, nous ne pouvons que nous féliciter de la spécificité du Sénat et de la qualité de ses travaux.

Les ZRR ne sont pas le seul dispositif s'arrêtant en 2020, les autres zonages étant également concernés : les zones franches urbaines - les territoires entrepreneurs (ZFU), les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), les zones de restructuration défense (ZRD), les bassins d'emplois à redynamiser (BER) et les bassins urbains à dynamiser (BUD). Les territoires relèvent d'ailleurs souvent de plusieurs zonages et il faut étudier en détail ce qu'il en est.

Les propositions de critères que vous formulez pour les ZRR permettent de mieux appréhender la réalité des territoires ruraux. Le système actuel, tel que le montre bien la cartographie des ZRR, exclut l'est et le centre de la France, alors même que ces territoires manquent de dynamisme.

Comme vous l'avez justement relevé, il serait difficile de revenir à l'échelle communale. Il y a effectivement des difficultés posées par les intercommunalités dites XXL et je conçois tout à fait qu'il faille regarder en deçà du niveau intercommunal.

Cependant, il faut porter une attention particulière à la formule utilisée pour coupler les critères choisis. Le diable se loge dans les détails. La formule actuelle, qui accorde une même importance à la démographie et au revenu médian par habitant, est une hérésie. Par exemple, on rencontre des intercommunalités qui comptent 10 habitants par kilomètre carré mais dont le revenu par habitant est légèrement supérieur à la médiane nationale et qui sont par conséquent exclues. Méfions-nous également du revenu médian, critère intéressant à certains égards mais qui n'offre pas une bonne vision de la richesse d'un territoire, le revenu moyen me semble à cet égard plus pertinent. J'espère que vos bonnes préconisations seront suivies d'effet !

M. Jean-François Longeot. - Merci pour cette présentation intéressante. Je regrette que la simple entrée d'une commune dans un EPCI avec certains moyens conduisent à une sortie de collectivités des ZRR. Ce constat a une résonnance particulière alors que nous examinons le projet de loi « Engagement et proximité ». Dressons un inventaire, collectivité par collectivité, pour savoir où elles en sont. Sinon nous remettrons en cause, chaque année, les exonérations, et cela pénalisera ceux qui s'installent.

Par ailleurs, il ne suffira pas de donner en compensation une DETR... Il faut soutenir le développement des territoires en leur donnant des outils propres et les aider par le biais de la DETR.

M. Antoine Lefèvre. - Chers collègues, l'aura de votre rapport a déjà dépassé le Sénat, puisque la Ministre de la Cohésion des territoires, Mme Jacqueline Gourault l'a cité lors des questions au Gouvernement... Je ne doute pas qu'elle en prendra pleinement connaissance.

Depuis quelque temps, on adore les maires et la ruralité. C'est formidable, profitons-en, mais de graves difficultés surviendront à la suite de l'arrêt des ZRR. Le dispositif s'est étiolé car il n'a pas été accompagné de moyens suffisants. Le phénomène de métropolisation s'est accru dans notre pays, et les intercommunalités XXL ont accentué ce phénomène.

Maintenons dans le PLF 2020 - la commission des finances y sera vigilante - ces dispositifs pertinents, avant même d'envisager une réforme fiscale : ne mettons pas tout à plat avant d'avoir défini des dispositifs ultérieurs.

La ruralité recouvre des réalités très diverses. Certains territoires vont bien, d'autres doivent être aidés de façon spécifique.

M. Claude Bérit-Débat. - Merci pour vos constats et vos propositions. De nombreux maires de communes membres d'EPCI ont souhaité fusionner avec une autre intercommunalité, en connaissant les avantages et les inconvénients. Vous proposez certains critères, mais ne faudrait-il pas également prendre en compte un critère lié aux politiques de revitalisation en milieu rural menées par certaines intercommunalités, qui apportent d'importants avantages à certaines communes ?

J'approuve totalement vos constats et vos propositions, ainsi que les revendications des maires en milieu rural qui ont perdu certains avantages.

M. Vincent Delahaye. - Dans la synthèse qui nous a été remise, j'ai été un peu surpris de ne pas voir apparaître le bilan de ces ZRR, mises en place depuis 1995. Un rapport a-t-il été réalisé sur ce sujet? Avant de proroger les dispositifs, connaissons d'abord le coût annuel de ces mesures et le résultat obtenu sur les territoires.

De plus, vous prenez la densité démographique comme critère principal, ce qui interroge : c'est un critère, certes, mais elle ne va pas forcément de pair avec la fragilité ou la pauvreté. Par ailleurs, je suis surpris de ne pas voir apparaître un critère de ressources publiques par habitant ou par hectare, car des péréquations existent déjà dans les territoires. Cela pourrait être un critère pour apporter ou non des financements complémentaires.

M. Olivier Jacquin. - Je connais bien le sujet des ZRR car mon intercommunalité était concernée.

Votre proposition est intéressante, mais si un territoire bénéficie d'une ressource particulière - centrale électrique ou ressource touristique -, selon vos critères, celle-ci n'apparaîtrait pas comme un élément de richesse du territoire, malgré son importance. Prenons en compte ces critères financiers : le potentiel fiscal, des revenus divers ou l'effort fiscal.

Certaines intercommunalités sont très grandes, ce qui pose problème si les ZRR doivent respecter ce périmètre, mais il faut prendre aussi en compte les politiques spécifiques de certaines intercommunalités et la compétence économique.

M. Éric Bocquet. - Je félicite les rapporteurs pour ce rapport très intéressant, et qui illustre le fameux « en même temps » qui fit florès à une certaine époque... C'est un processus lent. Aux yeux des élus, le dispositif est satisfaisant, mais ses dispositions se sont étiolées. En même temps, le Grand débat a bousculé les choses. Le Président de la République dit lui-même avoir « beaucoup appris ».

En juillet dernier, le législateur a décidé la création de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) qui a pour but, je cite, de « transformer en profondeur la manière dont l'État organise son action et le soutien qu'il apporte aux territoires et à leurs projets ». Lors de la présentation de l'Agenda rural du Gouvernement par le Premier ministre, lors du congrès national des maires ruraux de France, ce dernier indiquait avoir pris en compte 173 propositions sur les 200 faites par les maires... Il y a donc bien une différence entre le discours et la réalité !

Mme Angèle Préville. - Merci pour rapport très éclairant. Ne faudrait-il pas prendre comme critère des symptômes de déprise comme la fermeture des services publics, des gares, des perceptions, des écoles ?

M. Patrice Joly. - Je félicite les rapporteurs, bons connaisseurs du sujet, d'avoir rappelé les politiques à destination des territoires ruraux et d'avoir souligné les risques pour l'avenir des financements européens : les crédits de la politique de cohésion et du développement local sont menacés.

Merci d'avoir rappelé l'éventail des déclinaisons des ZRR - dotations et exonérations - dont nous n'avons pas toujours une vision très claire. L'enjeu de la fracture territoriale et sociale a été rappelé par la crise des Gilets jaunes. Il y a un enjeu symbolique de cohésion des territoires, alors que la métropolisation des politiques publiques a été première depuis quelques années.

L'enjeu financier est important pour les collectivités, mais le coût pour l'État est modeste, un peu plus de 300 millions d'euros. En comparaison, pour le Grand Paris, on passe allègrement d'un coût de 24 à 36 milliards d'euros. Dans nos collectivités, on raisonne au maximum en dizaines de millions d'euros, et on nous rétorque que c'est tout de suite très coûteux...

J'ai participé à la mission sur la ruralité. Sur les 200 mesures proposées, 173 auraient été retenues par le Premier ministre - en réalité, 143 seulement, dont 45 ont un lien très ténu avec nos propositions initiales. Seules une centaine de propositions auront une déclinaison opérationnelle.

L'agenda envisageait la mise en place d'une géographie prioritaire, ce qui supposerait un report des dispositifs à fin 2021. Le Premier ministre s'y est engagé. La mission avait suggéré une redéfinition du dispositif sur les travaux de rénovation le plus pertinents possibles. Vos orientations convergent avec les nôtres. Avoir différents niveaux d'aide selon les territoires me semble pertinent. Il me semble que la question de l'échelle est importante et que vous avez raison de vouloir une approche plus fine que simplement les intercommunalités. De la même manière que les ZFU sont réservées aux territoires urbains denses, il pourrait y avoir zones franches rurales.

M. Guillaume Chevrollier. - Merci pour ce rapport d'information. Vous proposez d'adapter le dispositif des ZRR, cher aux élus des communes concernées mais il nous faudrait un réel bilan sur l'efficience de ces dispositifs d'exonération fiscale, sur l'effet levier entre le coût pour la collectivité et les investissements générés dans les territoires.

Il existe aussi d'autres dispositifs, comme les pactes pour la ruralité mis en place par les régions... Ayons une dépense publique efficiente. Avec le recul, la création de l'ANCT peut-elle suppléer ce dispositif, et peut-on avoir une bonne articulation entre ces deux outils ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Merci pour la qualité et la quantité des informations précieuses que nous fournissent les rapporteurs. Je partage les remarques de Charles Guené : attention à la superposition des critères qui pourrait être fatale à certaines zones.

Serait-il opportun, au-delà des exonérations fiscales et sociales pour les entreprises et autres avantages directs, d'assouplir l'application stricte des règles d'urbanisme ? Vous le voyez au sein des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Quand on révise le plan local d'urbanisme (PLU) ou qu'on met en place les PLU intercommunaux (PLUi), les marges de manoeuvres pour créer des parcelles à urbaniser sont très limitées, en témoigne le décret du 29 juillet 2019 sur le zéro artificialisation en zone rurale... Certes, il faut mettre en place et maintenir des aides fiscales et sociales mais compte tenu de la difficulté d'installer des entreprises, je pense que l'adaptation des règles d'urbanisme pour favoriser l'implantation d'entreprises serait une bonne chose.

M. Michel Canévet. - Félicitations pour votre rapport sur un sujet extrêmement important pour notre pays, en témoignent les événements de l'automne dernier. J'espère que le dispositif perdurera. Je souscris aux propositions d'évolution.

Parmi les critères, il est nécessaire de prendre en compte la présence des services médicaux, qui permettent le maintien en zone rurale des populations, et l'accès aux commerces alimentaires, qui doivent être pris en compte dans la politique d'aménagement du territoire. La population ne peut résider dans des zones rurales que si elle y trouve les services nécessaires à ses besoins.

Faut-il que l'ensemble du périmètre communautaire soit intégré dans les ZRR, ou peut-on avoir un maillage un peu plus fin pour s'approcher davantage de la réalité des situations et permettre un meilleur ciblage des aides ?

M. Alain Houpert. - Je félicite les rapporteurs pour ce rapport très attendu dans le milieu rural. Pour votre proposition n° 4, le revenu par habitant ne me parait pas approprié : nous avons vu les dégâts faits par le potentiel fiscal dans les calculs de DGF dans la ruralité et dans la haute ruralité. Nous connaissons tous des communes qui ne sont pas classées en ZRR, comme des communes viticoles qui restent pauvres quand bien même les habitants paieraient un impôt sur le revenu important, ou des communes qui n'ont pas d'autres ressources économiques.

M. Bernard Lalande. - Les élus du Grand Paris ont une connaissance fine de leur territoire, dont je ne dispose pas et c'est pour cela que je les écoute. Ils ont une analyse du terrain, un vécu, ils ont géré de près une collectivité... N'opposons pas ruralité et métropolisation. Ce serait une erreur fondamentale qui reviendrait à tout mélanger. Vos propositions me conviennent.

Ma question porte sur la coresponsabilité des différents acteurs, collectivités et entreprises. C'est une chose que de demander à l'État d'intervenir, mais quel lien faire avec les régions et les EPCI au sein du dispositif ? Lorsqu'on est acteur local et fervent défenseur de décentralisation, on doit décider, après un débat, au plus près des zones pouvant être aidées.

J'habite dans la zone de Cognac, nous avons des communes pauvres, avec une zone viticole qui est une zone riche. Si la commune-centre de l'EPCI est suffisamment attrayante, tout le monde va s'installer là et bénéficier des aides des collectivités. Dans vos propositions, a-t-on une coresponsabilité des collectivités, départementales ou régionales ?

Aujourd'hui, des usines explosent dans les centres villes, mais lorsqu'on veut installer une unité Seveso en zone rurale, on nous répond que c'est impossible. Il faudrait élargir le bénéfice économique à des zones beaucoup plus larges.

M. Philippe Dallier. - Ce débat montre combien le Parlement prend des décisions sans mesurer toutes les conséquences induites. En l'occurrence, les conséquences indirectes de la réforme de la carte intercommunale issue de la loi NOTRe n'ont pas été suffisamment mesurées. Il faudrait qu'un jour nous ayons enfin les simulations qui nous permettent d'apprécier les conséquences des réformes votées par le Parlement.

Cela étant dit, n'opposons pas la ruralité et les autres territoires. C'est inefficace, et ce l'est d'autant plus quand les arguments sont faux. Pour le Grand Paris Express, pas un euro des 28, 35 ou 40 milliards d'euros ne viennent du budget de l'État ou des régions. Ils sont payés par la taxe spéciale d'équipement, par les habitants et par les entreprises d'Ile-de-France.

Mais il faut que nous réfléchissions à la sortie des dispositifs ZFU et ZRR. Pour les ZFU, il a fallu négocier avec Bruxelles en 1995-1997 une sortie en sifflet. Maintenant, anticipons et voyons comment remplacer le dispositif des ZRR, et si nous avons besoin d'un accord de Bruxelles pour les maintenir sous une autre forme.

M. Yannick Botrel. - La reconfiguration de la carte des intercommunalités a des conséquences importantes. Dans le département des Côtes d'Armor, nous avons fait le choix de réduire drastiquement le nombre d'intercommunalités, qui sont passées de 33 à 8, sans que personne ne mette d'épée dans les reins de la commission départementale. Avec la même loi, la carte des intercommunalités du Finistère n'a pas bougé pour autant... Les conséquences de ce bouleversement n'ont pas été envisagées dans tous leurs aspects.

Nous avons eu une première alerte lors du recalcul du montant de la DGF versée aux communes. En mixant communes riches et communes pauvres, le potentiel fiscal moyen a varié : s'il était inférieur au niveau précédent, les dotations ont augmenté pour les territoires riches et, dans l'autre sens, des territoires pauvres ont pu voir leur dotation baisser... Les choses se sont un peu améliorées depuis mais le mouvement a d'abord été celui-là.

On voit, sur la carte, que le déclassement des ZRR tient du même processus. Au sein des grandes intercommunalités, certains territoires appartiennent au rural profond et se trouvent exclus du dispositif ZRR.

Je suis donc d'accord pour affiner les critères de classement par secteur géographique au sein des grandes EPCI, pour éventuellement reconfigurer la carte. Traiter un territoire disparate de façon identique aboutit à un sentiment d'injustice, avec des bouleversements pour les porteurs de projets. Le chef d'entreprise ne se fonde pas uniquement sur la ZRR pour décider de son implantation.

M. Vincent Éblé, président. - Revenons à nos rapporteurs pour répondre à l'ensemble de ces questions...

M. Bernard Delcros, rapporteur. - Merci pour les très nombreuses questions et propositions.

Une question importante est celle de l'articulation entre les différentes échelles, communale et intercommunale. Cela interroge sur les solidarités locales. Dans le rapport des de Jean-Pierre Vigier et d'Alain Calmette en 2014, les députés considèrent que les intercommunalités détiennent la compétence économique et qu'en conséquence les critères des dispositifs de soutien ZRR doivent être appréciés à l'échelle de l'intercommunalité. C'est cohérent, mais cette approche ne tient pas toujours compte de la réalité du terrain et a été remise en cause par la modification de certains périmètres. Certaines communes pauvres et isolées ont perdu le classement en ZRR à cause d'une ville-centre riche, alors qu'elles sont situées parfois à 40 kilomètres...

Nous proposons donc de rentrer dans le dispositif par l'échelle de l'intercommunalité, mais qu'à l'intérieur du périmètre intercommunal, nous affinions les secteurs dont la fragilité justifie un classement en ZRR.

Pour la question des solidarités locales, elles sont évidemment nécessaires mais elles doivent être complémentaires de l'action de péréquation de l'État. Certes, il y a des politiques locales utiles mais elles ne peuvent pas suffire. Solidarité nationale et solidarité rurale doivent se compléter.

M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Mieux vaudrait conserver l'intercommunalité pour porter le classement en ZRR, par cohérence avec sa compétence dans le domaine du développement économique et ses capacités d'intervention. Mais dans le nord du Cher, nous avons trois cantons qui ont fusionné il y a deux ans dans un EPCI : Belleville, avec une centrale nucléaire et des communes qui ont beaucoup de moyens ; Sancerre, sans moyens importants mais avec un revenu par habitant élevé ; et Vailly-sur-Sauldre, canton le plus pauvre du département. Ce dernier ne bénéficie plus d'aucun zonage : ni les zones défavorisées simples (ZDS) pour les agriculteurs, ni les ZRR... Comment fait-on pour que Vailly puisse conserver le classement ZRR sans que ni Belleville ni Sancerre n'en profitent ?

Monsieur Guéné, c'est la diagonale du vide, zone intermédiaire entre le centre et l'est de la France, qui a vu le plus grand nombre de communes perdre leur classement en ZRR. Nous devons y remédier.

Monsieur Houpert, nous devons affiner le sujet du revenu moyen ou du revenu médian. Le Président du Sénat a souhaité qu'un cadre et des ressources spécifiques soient mis en place pour permettre la commande d'études et d'évaluations à des organismes extérieurs ; nous devons nous saisir de cette opportunité sur ce projet de nouvelles ZRR afin d'affiner nos travaux, en effectuant des simulations et en déterminant les seuils adaptés à chaque critère.

Monsieur Longeot, les ZRR sont un outil intéressant pour maintenir et faire venir des médecins dans nos territoires, avec des facilités fiscales. Il semble qu'elles soient plus efficaces que d'autres types d'incitation.

Monsieur Joly, les ZRR ne sont pas assez connues et il faut faire la démarche auprès de la direction générale des finances publiques (DGFiP) pour bénéficier des exonérations fiscales et de charges sociales. Dans mon département, deux cabinets d'infirmières ont ouvert récemment. Le comptable du premier connaissait le dispositif et a fait les démarches pour en bénéficier, tandis que le comptable du second, par méconnaissance, n'a pas pu en faire bénéficier le cabinet. Ce n'est pas très équitable...

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure. - Autre exemple, pour pouvoir financer le maintien d'une pharmacie dans une zone rurale, les banques demandent si elle se trouve ou non en ZRR... Si le dispositif devait s'arrêter immédiatement, cela provoquera des conséquences néfastes pour les territoires. De plus, si l'entreprise ne formule pas de demande d'exonération la première année, elle n'a pas droit au dispositif.

De nombreux acteurs du tourisme et en particulier les hôteliers nous ont alertés sur le fait que le dispositif ZRR aidait pour la reprise d'une génération à l'autre et pouvait contribuer aux mises aux normes des établissements. La remise en cause du dispositif provoquerait de vraies difficultés. De même, certaines CCI considérées comme rurales ont des avantages par rapport à d'autres, tout comme La Poste, ou des agences de l'eau qui financent des travaux d'assainissement des communes en ZRR.

Bien sûr, il y a une complémentarité avec d'autres dispositifs existant au sein des régions, mais ce sont d'autres avantages, fiscaux, qui visent le maintien de l'emploi, le recrutement, l'installation, et pour aller plus loin et c'est ce que nous souhaitons, la préservation de l'activité...

Depuis quelques années, tous les crédits sont soit totalement en extinction - y compris en zone urbaine - soit en baisse. Je suis rapporteure spéciale de la mission Économie à la commission des finances et les crédits du Fisac, qui n'ont cessé de baisser, sont à zéro depuis 2019. Si en plus il n'y a plus d'avantages fiscaux pour les entreprises qui s'installent, que fait-on pour maintenir le dernier commerce dans une commune ? Quand on maintient ou qu'on rouvre un café dans un village, cela permet d'avoir un point poste, des livraisons de pain, et d'autres services adossés à ce dernier commerce. Les crédits des contrats de ruralité ont également fondu, ainsi que les financements européens, et la réserve parlementaire a disparu. Si les ZRR disparaissent, les conséquences seront terribles. Si l'on supprimait le bénéfice des dispositifs existants cela représenterait jusqu'à 800 000 euros annuels pour certaines maisons de retraites, et aboutirait à une fermeture immédiate de ces établissements, à des licenciements et à la disparition de services connexes.

Il est urgent de compléter les ZRR par deux à trois critères supplémentaires. Vous demandiez un bilan chiffré, nous pouvons vous transmettre ces éléments.

M. Bernard Delcros, rapporteur. - Ce n'est pas opposer urbain et rural que de constater un fait : il existe un fait métropolitain et une désertification de certains territoires ruraux.

Monsieur Bérit-Débat, si rejoindre un EPCI est parfois le choix du maire, il est de nombreux cas où les périmètres des intercommunalités ont été imposés aux communes.

Monsieur Delahaye, évidemment, nous avons réalisé le bilan du dispositif dans notre rapport. Nous sommes capables de montrer les effets bénéfiques du dispositif pour les territoires. C'est pour cela que nous faisons des propositions pour renforcer le dispositif.

Sur le critère démographique, nous considérons qu'un territoire qui perd des habitants ne se développe pas. C'est un indice de fragilité qui suffit à considérer qu'il s'agit d'un territoire menacé auquel il faut accorder un soutien particulier....

En revanche, nous ne retenons pas comme critère la ressource publique par habitant, qui ne veut rien dire parce qu'elle donne une prépondérance injustifiée au nombre d'habitants. Dans une commune qui compte quelques centaines, voire seulement quelques dizaines d'habitants et 40 ou 50 km de voirie communale et des longueurs de réseaux très importantes, que signifierait de comparer le montant des aides publiques par habitant ? Ce serait injuste, il faut sortir de cette logique du seul critère du nombre d'habitants.

Il faut des actes et non des discours, je suis d'accord avec Monsieur Bocquet. L'ANCT peut avoir un rôle à jouer mais elle ne va pas remplacer les dispositifs de soutien financier qui sont nécessaires. Madame Préville, sur le critère de l'évolution des services, cela est très important et cela fait partie de nos propositions pour mesurer l'indice de fragilité.

Dans le cas des OIG, lorsqu'on parcourt 30 km pour porter un repas à domicile à une personne, isolée en zone de montagne, ce n'est pas le même coût que de le faire pour plusieurs dizaines de personnes en zone dense. L'exonération de cotisation patronale vient compenser en partie les surcoûts liés à la faible densité et à l'éloignement des populations...

M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Nous devons prendre en compte des critères de dévitalisation : diminution du nombre d'artisans, d'agriculteurs, de services médicaux, de services publics...

Monsieur Chevrollier, vous évoquiez les contrats de ruralité. Mettons de la cohérence, alors qu'on observe une multitude de dispositifs pour la ruralité, les zones de montagne, les zones de restructuration de la défense, les bassins d'emplois à redynamiser etc. Soyons plus efficaces.

Les députés Louwagie et Blanc déplorent que les ZRR ne soient pas efficaces, mais c'est aussi parce que le dispositif n'est pas suffisamment connu. De nombreuses entreprises passent à côté des ZRR et ne consomment pas les crédits. On parle de dizaines de millions d'euros alors que d'autres dispositifs se comptent en milliards d'euros - sans comparer avec les zones rurales... Le Fisac était un dispositif vraiment utile, qui s'élevait à plus de 10 millions d'euros.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure. - C'est zéro aujourd'hui !

M. Bernard Delcros, rapporteur. - En matière d'urbanisme, madame Vermeillet, je suis d'accord avec vous. Évidemment, il ne faut pas faire n'importe quoi en matière de construction mais les mêmes règles sont appliquées à l'échelle nationale alors qu'il y a des différences selon les territoires. Mon département, le Cantal, perd des habitants. Et pourtant quand une entreprise veut s'installer, ou une famille construire son habitation, on lui applique les règles de non-consommation des terres agricoles, alors que les surfaces concernées par les constructions dans ces territoires sont très faibles. Ces règles ont du sens dans certaines régions, mais dans d'autres, elles pénalisent les quelques projets indispensables que nous avons. Il faut donc assouplir certaines règles comme la non consommation des terres agricoles si le territoire compte de grandes superficies exploitées et peu de constructions...

M. Vincent Éblé, président. - Je vous remercie.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie, j'espère que vos propositions seront retenues. Le ciblage actuel du dispositif ne donne pas une bonne image de la réalité du territoire. Appartenir à une grande intercommunalité soumet parfois les communes à une double peine : elles ont perdu le classement en ZRR et leur DETR. L'aménagement du territoire est le parent pauvre des politiques publiques, comme nous le répétons souvent dans notre commission. Le Sénat, dernier défenseur de la ruralité, doit toujours rester vigilant.

M. Bernard Delcros, rapporteur. - Nous en débattrons lors du prochain PLF.

Les commissions autorisent la publication de la communication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 10h50.