Mardi 7 janvier 2020

- Présidence de Mme Annick Billon -

Échange de vues sur les dispositions du projet de loi relatif à la bioéthique concernant la délégation

Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, je voudrais tout d'abord vous souhaiter à toutes et tous une excellente année 2020.

J'ai souhaité inscrire à notre ordre du jour un échange sur le travail de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique. La commission examine le texte dès cet après-midi, avant la discussion en séance publique prévue à partir du 21 janvier.

Nos collègues membres de la commission spéciale, que je remercie de s'être mobilisés pour nous éclairer, vont nous présenter la façon dont ils ont travaillé et ce qu'ils ont retiré des auditions auxquelles ils ont assisté.

Mes chers collègues, je vous laisse vous organiser comme vous le souhaitez pour ces prises de parole.

Mme Laurence Rossignol. - La commission spéciale a procédé à de nombreuses auditions et débutera ses travaux sur l'examen du texte cet après-midi.

L'objectif de cette réunion est, il me semble, de prendre acte que sur les sujets abordés dans ce texte, nous ne pourrons pas dégager de position commune au sein de la délégation. Des points de vue divers s'exprimeront, aussi bien sur la PMA pour toutes, que sur les enjeux liés à la filiation ou à la PMA post-mortem, par exemple.

On ne saurait parler d'une seule voix sur tous ces sujets, qui touchent bien souvent à l'intime et aux convictions personnelles de chacun. Autrement dit, nous ne pourrons nous exprimer dans ce débat qu'à titre personnel, et jamais au nom de la délégation. Cela me semble important pour protéger l'image et la crédibilité de notre délégation, notamment auprès de nos interlocuteurs extérieurs. Il serait sans doute dommageable pour la délégation si nos partenaires retenaient qu'elle s'oppose à la PMA pour toutes, par exemple...

Mme Marie-Pierre Monier. - Je suis d'accord. Veillons à ne pas altérer l'image de la délégation, dont nous relayons les travaux dans nos territoires, en tentant de dégager une position commune sur le projet de loi relatif à la bioéthique. Le consensus qui constitue notre identité ne doit pas être compromis.

Mme Maryvonne Blondin. - En ce qui me concerne, je voudrais attirer votre attention sur l'article 21 bis du texte, portant sur la prise en charge des enfants dits intersexes. Cet article, adopté à l'initiative de l'Assemblée nationale, rejoint les préoccupations exprimées dans le rapport Variations du développement sexuel : lever un tabou, lutter contre la stigmatisation et les exclusions sur lequel j'ai travaillé avec Corinne Bouchoux au nom de la délégation en 2016-2017. Nous avions à l'époque beaucoup discuté sur les termes à employer, l'adjectif « sexuel » nous paraissant plus approprié que l'adjectif « génital » pour rendre compte de la complexité de la situation des enfants dits intersexes.

Malheureusement, le fait que l'article 21 bis ait été introduit au cours du débat à l'Assemblée nationale en première lecture pourrait conduire à considérer cette disposition comme un cavalier législatif.

Dans le cadre des travaux de la commission spéciale, Michelle Meunier et moi-même avons de nouveau entendu le Défenseur des droits. Ce dernier soutient l'article 21 bis.

Notre rapport avait notamment relevé les difficultés liées au code civil, rappelant l'existence d'une circulaire de 2011 qui aborde le cas des personnes dites intersexes. J'ai évoqué ce problème avec la ministre, qui m'a répondu que le projet de loi n'avait pas vocation à modifier le code civil.

Pourtant, il faudra bien que la loi évolue pour être en phase avec la société. Comme dans d'autres domaines, la société bouge plus vite que le droit sur ce sujet... Nous avons pour objectif de mettre en place un recueil de bonnes pratiques établi par la Haute Autorité de Santé (HAS), qui serait appliqué par les différents acteurs susceptibles d'intervenir dans le parcours médical d'un enfant dit intersexe. L'idée serait de mieux encadrer les centres de référence sur les maladies rares.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci, chers collègues. Il est évident qu'il ne saurait y avoir d'unanimité au sein de la délégation sur le projet de loi relatif à la bioéthique. L'unanimité semble difficile au sein des groupes politiques, alors comment y parviendrions-nous ? En la matière, nos positions personnelles peuvent être amenées à évoluer sur tel ou tel sujet et nous sommes toutes et tous influencés par nos parcours individuels.

Nous avons réussi au cours des dernières années à mobiliser nos collègues, au-delà de la délégation, sur les sujets qui nous préoccupent. Je pense notamment à notre proposition de résolution sur les violences faites aux femmes en situation de handicap, qui rassemble à ce jour 158 signataires, de tous les groupes. Protégeons le consensus qui nous caractérise, et qui nous permet de fédérer de nombreux collègues autour des engagements que nous portons.

Si j'interviens au cours du débat en séance publique, je ne m'exprimerai donc pas en tant que présidente de la délégation.

Mme Laurence Cohen. - Je partage ce qu'a dit la présidente : à travers la richesse des auditions auxquelles nous assistons dans le cadre des travaux de la délégation ou de la commission spéciale, nos avis sur les sujets abordés par le projet de loi ne sont pas figés. En ce qui me concerne, j'ai évolué sur la question de la PMA post-mortem. Je n'y étais au départ pas favorable, mais j'ai changé d'avis en entendant des témoignages qui m'ont alertée sur la situation des intéressées. Les éclairages dont j'ai bénéficié au cours des auditions m'ont donc amenée à changer de position sur ce point.

En ce qui concerne les enfants dits intersexes, il me semble que les professionnels de la santé ont fait du chemin depuis la parution de notre rapport. Au cours des auditions réalisées dans le cadre de la commission spéciale, ils ont dit avoir, par le passé, pratiqué les interventions chirurgicales en toute bonne foi, tout en reconnaissant que l'évolution des connaissances en psychologie et le retour d'expérience de plusieurs patients laissent à penser que certaines opérations n'étaient pas nécessaires. Ils paraissent désormais plus prudents dans leur approche de cette problématique, et moins enclins à proposer des opérations systématiques. On ne peut que s'en féliciter. Pour ma part, j'estime que ces auditions invitent à l'humilité.

Mme Annick Billon, présidente. - Qu'en est-il des militants ? Nous avions constaté, dans le cadre de la préparation du rapport, combien le point de vue de certains était frontalement hostile aux médecins.

Mme Maryvonne Blondin. - Certaines personnes ayant subi des opérations dès le plus jeune âge sont marquées à vie et en veulent toujours au corps médical. Il y a encore beaucoup de ressentiment. Mais les positions ne sont pas forcément unanimes parmi les militants.

Mme Annick Billon, présidente. - Y a-t-il d'autres sujets sur lesquels les travaux de la commission spéciale ont fait évoluer vos positions ?

Mme Maryvonne Blondin. - Comme Laurence Cohen, j'ai été très marquée par les auditions sur les conditions de la PMA post-mortem. J'ignorais jusque-là que les femmes engagées dans une démarche de PMA n'avaient d'autre choix, au décès de leur conjoint, que de détruire ou de faire don des gamètes du couple. Je trouve cela presque inhumain.

Mme Laurence Cohen. - Le droit actuel sur ce sujet est absurde : quand il y a un projet de PMA mené par un couple et que le conjoint disparaît, la femme n'a pas d'autre solution que de donner ou détruire ces gamètes. Et, si elle veut poursuivre son projet de PMA, elle doit recourir à un don. C'est inconcevable !

En tant que législateurs, nous devons être attentifs aux progrès de la science et à leurs implications. Le professeur René Frydman nous a indiqué que dans sa pratique professionnelle, il veillait toujours à laisser la plus grande liberté possible à ces patients. Je crois que nous devons écouter cette mise en garde. Nous ne pouvons pas tout encadrer par la loi, qui plus est sur des sujets aussi intimes !

Mme Françoise Laborde. - Comme vous, je tente de me forger une opinion sur ces questions très complexes, notamment à travers des lectures. Le groupe RDSE se réunira demain pour entendre nos deux collègues qui participent aux travaux de la commission spéciale et pour discuter des amendements que nos membres pourraient déposer sur le projet de loi. Il est vrai qu'il semble difficile d'atteindre le consensus au sein des groupes politiques, tant ces sujets sont divers et sensibles, touchant souvent aux convictions intimes - je dirais presque viscérales - de chacun.

Je rejoins Laurence Cohen quand elle dit que nos positions peuvent évoluer au fil de nos travaux. Sur le douloureux sujet de la PMA post-mortem, je ne suis pas sûre que le vocabulaire employé reflète la réalité vécue par les intéressées.

Par ailleurs, les médias résument le projet de loi bioéthique au débat sur la PMA et à la GPA. Il y a notamment des interrogations sur la question des diagnostics préimplantatoires (DPI) dans le cadre d'une FIV. Le professeur Ayoubi, que nous avons entendu le 14 novembre 2019, y a fait référence devant nous. Je lisais ce matin une tribune sur ce sujet. Pour ma part, j'aurais tendance à juger souhaitable un tel diagnostic avant l'implantation d'un embryon pour des femmes ayant multiplié les FIV se soldant par une fausse couche. Dans ce cas précis, pour moi, il ne s'agirait pas d'eugénisme, mais de donner une chance supplémentaire à une femme de mener une grossesse à terme. Je suis donc favorable à ce type de test, à condition bien sûr que le couple - ou la femme seule - donne son accord.

Mme Chantal Deseyne. - Je partage ce qui a été dit sur la diversité des positions en présence et la difficulté à dégager une unanimité sur ces questions. Dans ma réflexion, je me place du point de vue de la délégation aux droits des femmes, en me demandant quelles seraient les incidences des dispositions du projet de loi relatif à la bioéthique sur les femmes et les enfants à venir.

La PMA pour toutes est évidemment un sujet de société sensible, qui touche aux convictions de chacun. Je n'y reviendrai pas ici.

Comme Laurence Cohen, je pense qu'il faut faire évoluer les conditions légales en cas de PMA post-mortem.

S'agissant du diagnostic préimplantatoire (DPI), je suis assez mal à l'aise. Le fait qu'un DPI puisse être systématiquement réalisé dans le cadre d'une FIV me pose problème, car cela questionne notre rapport au handicap. Pour moi, cela relèverait d'une forme de sélection, même si j'ai bien entendu les arguments de Françoise Laborde. Où mettre le curseur ? Ne dériverait-on pas vers une forme d'eugénisme ?

M. Loïc Hervé. - Tout d'abord, je suis d'accord pour que chacun parle en son nom propre sur le projet de loi relatif à la bioéthique, mais il ne s'agit pas pour moi d'une question de crédibilité pour la délégation aux droits des femmes. À mon avis, si celle-ci s'opposait à la PMA pour toutes, cela n'affecterait pas sa crédibilité. Les positions sur ces sujets complexes, quelles qu'elles soient, doivent pouvoir être exprimées.

Ensuite, je ne conteste pas le fait que beaucoup de ces sujets touchent à l'intime et que nos points de vue puissent évoluer au fil des auditions, éclairés par divers experts.

Enfin, je sais que la GPA ne figure pas dans le projet de loi, mais elle sera forcément abordée dans nos débats, ne nous y trompons pas. Je me pose beaucoup de questions sur la marchandisation du corps et je m'exprimerai sur ce sujet qui soulève des enjeux éthiques considérables.

Mme Laurence Cohen. - Ces interrogations sont largement partagées !

M. Loïc Hervé. - Gardons à l'esprit que l'appréhension de la GPA n'est pas la même dans les sociétés occidentales et dans les pays dont les références philosophiques et éthiques sont assez éloignées des nôtres. Par exemple, en Inde, la GPA est très développée, selon une logique de production mercantile incompatible avec notre droit, qui prohibe la marchandisation du corps. Je n'hésiterais pas à faire état de réserves si ce sujet venait à être abordé au cours de nos débats.

Mme Marta de Cidrac. - Je rejoins les propos de Loïc Hervé et, à ce jour, je n'ai pas encore arrêté ma position sur les dispositions de ce texte, notamment celles relatives à la PMA.

Je demeure réservée sur l'extension de la PMA, car je m'interroge sur les conséquences de la PMA pour toutes en termes d'égalité entre couples homosexuels. Même si le texte n'aborde pas la GPA, je crains que les arguments avancés pour promouvoir la PMA ne soient aussi ultérieurement employés pour justifier la légalisation de la GPA. Le désir d'enfants étant en effet largement partagé, pourquoi refuserait-on alors à un couple homosexuel masculin ce que l'on autorise à un couple de femmes ?

Je confirme sans ambiguïté, comme l'ont affirmé avant moi tous les intervenants, que je m'exprimerai sur ce sujet en mon nom personnel et en mon âme et conscience.

Mme Laurence Cohen. - Je voudrais revenir, après notre collègue Chantal Deseyne, sur le diagnostic préimplantatoire. En effet, s'il est important de proposer à un couple ou une femme seule des tests préimplantatoires permettant la détection d'anomalies chromosomiques susceptibles de conduire à un handicap pour l'enfant à naître, c'est aux personnes concernées - couple ou femme seule - que doit revenir la décision de poursuivre ou non la PMA.

S'agissant de la GPA, si je suis favorable à la PMA pour toutes, je n'adhère pas à l'idée que la légalisation de la GPA serait nécessaire au nom de l'égalité entre les couples homosexuels. Pour moi, l'égalité ne saurait induire de parallélisme entre la PMA pour toutes et la GPA. En effet, la GPA implique le recours à une tierce personne qui portera un enfant pendant neuf mois. Pardonnez-moi cette image, mais le corps de cette femme sera utilisé comme un four à pain, en faisant fi des interactions entre mère et enfant pendant la grossesse, révélées par les recherches des psychologues.

Nous évoluons dans un monde où la marchandisation des corps existe, principalement aux dépens des pauvres, d'ailleurs. Avec la GPA, on est au coeur de cette dérive ! Tant que persisteront pauvreté et inégalités, celles qui porteront les bébés des autres feront partie des plus pauvres. On voit où conduit cette pratique dans certains pays : on peut quasiment choisir sur catalogue son futur enfant, à partir des critères physiques et intellectuels caractérisant la mère porteuse.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - À titre personnel, je m'interroge aussi sur ces questions extrêmement graves. Comme Marta de Cidrac l'a bien indiqué, la légalisation de la PMA pour toutes pourrait rendre difficile le maintien du statu quo en matière de GPA. Je trouve aberrante la marchandisation du corps d'autrui. La presse s'est fait écho d'un couple ayant refusé l'enfant né par GPA, au motif qu'une erreur de la clinique était responsable de la couleur de sa peau. Où est donc le respect dû à l'enfant ?

Ne vaudrait-il pas mieux accueillir des enfants abandonnés et encourager l'adoption, a fortiori parce qu'elle évite de contribuer à l'inflation démographique ? J'estime que le droit à l'enfant n'existe pas, et qu'élever un enfant est une responsabilité considérable à assumer. Pensons d'abord aux enfants !

Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Notre société confond le droit à l'enfant et le droit de l'enfant. Faute de régler ce dilemme, on laisse prospérer des avis très clivants, ce que je déplore.

Mme Françoise Laborde. - Je souhaite préciser mes propos précédents sur le diagnostic préimplantatoire. Il me semble qu'à la suite de plusieurs FIV infructueuses, notamment celles qui ont échoué pour les mêmes raisons en début de grossesse, il serait nécessaire de procéder à des tests préimplantatoires afin de détecter l'anomalie responsable de ces échecs. Ayons à l'esprit le fait que le nombre de FIV est limité. Mieux vaut à mon avis s'assurer que l'embryon implanté permette à la grossesse de suivre son cours.

Selon moi, la science permet des avancées dont il serait regrettable de se priver, à condition de respecter la liberté de chacun, valeur à laquelle je suis comme vous le savez extrêmement attachée.

Mme Dominique Vérien. - L'audition du professeur Ayoubi, le 14 novembre 2019, m'a fait prendre conscience que la PMA est aussi un réel problème de santé publique, compte tenu de la proportion croissante de couples hétérosexuels qui, infertiles, doivent recourir à la PMA, souvent d'ailleurs avec un donneur tiers. Dans ces couples, les parents selon l'état civil ne sont pas nécessairement tous les deux les parents biologiques de leur enfant.

Cela pose le problème de l'anonymat des donneurs, avec les difficultés juridiques qui en résultent. Nous savons qu'il est important de connaître son patrimoine génétique, notamment afin de mieux détecter certaines maladies. Pour ma part, je n'ai pas de réponse à ces questions.

Mme Annick Billon, présidente. - Nous sommes d'accord sur la complexité des questions - médicales, juridiques, éthiques - posées par la PMA et la GPA.

Ce projet de loi aborde des sujets très divers. Certaines dispositions pourront donner lieu à un consensus. D'autres, plus complexes, nous laissent en proie au doute. Pour ma part, je n'ai pas encore arrêté de position personnelle précise sur tous ces points ; mes convictions pourraient évoluer au fil du temps, car ces sujets sont particulièrement complexes.

Si par ailleurs survenaient des divergences au sein de la délégation, celles-ci ne remettront jamais en cause nos avancées communes et l'esprit de consensus dans lequel nous travaillons.

Nous en venons au second point de notre ordre du jour. S'agissant de la réforme des retraites, l'équipe des rapporteurs sera constituée de Laurence Cohen, Laure Darcos et Michelle Meunier ainsi que de Françoise Laborde.

Je vous remercie de votre présence à cette première réunion de 2020 et je vous renouvelle tous mes voeux à l'occasion de la nouvelle année.