Jeudi 16 avril 2020

- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -

La téléconférence est ouverte à 14 heures.

Table ronde « Les collectivités territoriales face à l'épidémie de Covid-19 »

M. Jean-Marie Bockel, président. - Mes chers collègues, tout le monde constate aujourd'hui l'importance d'une telle audition. Les grandes associations d'élus sont très engagées dans la lutte liée à cette crise sanitaire inédite. Elles répercutent les nombreuses demandes de nos concitoyens vis-à-vis de l'exécutif, que nous avons déjà entendu la semaine dernière avec Sébastien Lecornu, et y répondent de leur mieux. Ces questions concernent à la fois leurs nombreux domaines de compétences mais traitent également de questions hors du champ de leurs compétences spécifiques.

C'est pour nous faire l'écho de ces préoccupations que nous avons lancé, en accord avec le Président du Sénat, une consultation nationale des élus locaux. Les réponses affluent déjà et la consultation est largement relayée par les sénateurs. Nous tirerons les enseignements de cette démarche avant la fin du confinement.

Les questions au sujet de la coordination entre les collectivités territoriales et l'État sont également nombreuses, qu'il s'agisse de la préfecture, où cette coopération fonctionne plutôt bien, ou de l'Agence régionale de santé (ARS), où les choses sont plus compliquées. Cet État centralisé, dans cette crise sanitaire, découvre qu'il n'a peut-être pas la souplesse nécessaire, notamment en comparaison avec l'Allemagne où les décisions s'effectuent à un niveau plus proche du terrain.

Je souhaite donc la bienvenue aux trois présidents et donne la parole à François Baroin.

M. François Baroin, président de l'Association des Maires de France (AMF). - Je parle au nom des communes et des intercommunalités. Les maires sont au premier rang de la coordination générale. Le confinement a été décrété par le Président de la République sans concertation préalable, ce qui, au vu de la gravité de la situation, est naturellement compréhensible. Nous avons, dans un premier temps, apporté notre regard, qui a permis au Parlement de voter l'état d'urgence sanitaire dans des contraintes très particulières.

Nous avons connu des problématiques de divers niveaux. L'une consistait en la respiration démocratique lors du maintien du premier tour et de la préparation du second tour des municipales. L'autre sujet, plus important, concerne l'organisation de l'État. Le côté familier du préfet aide. En cet état d'urgence sanitaire, j'ai demandé ce matin au Premier ministre que les préfets de département récupèrent la totalité des administrations d'État pour la gestion de cette crise. Je souhaite donc que l'ARS passe sous l'autorité du préfet de département. Je pourrais même aller jusqu'aux recteurs, compte tenu de la problématique des écoles. Cela me paraît être la solution la plus simple au vu des nombreuses autres questions à régler.

Le premier sujet concerne les masques. On ne pouvait pas attendre des ARS, habituellement dédiées aux coupes budgétaires des établissements hospitaliers, d'organiser une telle logistique. Les professionnels de la gestion de crise sont le ministère de l'Intérieur et les préfets de département. La tension sur la logistique doit naturellement être réglée dans les trois semaines qui viennent, au vu de la perspective de distribution à toute la population de masques alternatifs en textile. Je souhaite donc, pour ma part, que les hôtels de ville de préfecture soient les centres logistiques de la distribution des masques chirurgicaux à destination de la médecine de ville et des masques alternatifs pour toute la population. Charge ensuite à chaque maire d'organiser la distribution.

Le deuxième point est la question des tests. Les départements qui n'ont pas de centre hospitalier universitaire ne disposent pas du dispositif cadre général du protocole mis en place par les ARS sous l'autorité du ministère de la Santé. Des tensions existent donc dans de nombreux départements. Cela m'amène à penser que si la campagne de tests prévue par l'État consiste en un test généralisé de l'ensemble de la population, il faudra nécessairement des lieux d'hébergement pour les personnes testées positives. Cela rend obligatoire le début d'un recensement des centres d'hébergement de personnes. Je pense sur ce sujet travailler avec le secteur privé, selon l'exemple récent d'Accor. Il faut également dès à présent réfléchir à la problématique de la restauration.

Concernant les écoles, de très nombreux maires, quelle que soit la taille de leur commune, constatent que trop d'interrogations demeurent : peut-on laisser les parents accompagner leurs enfants à la même heure ? Comment organiser à l'intérieur des écoles le temps scolaire ? Comment organiser le temps périscolaire ? Les questions sont encore nombreuses et, bien que le ministre de l'Éducation nationale suive le sujet, il nous appartient d'établir un protocole adapté.

Enfin, la question de la problématique financière se pose d'ores et déjà. Pour les communes comme pour les Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), les pertes de recettes seront massives. Je souhaite d'ailleurs que le Sénat se penche rapidement sur la question du financement du fonds de solidarité pour aider les plus petites entreprises, les plus touchées par la crise sanitaire. Les pertes pour les départements sont déjà estimées à 3,5 milliards d'euros et les régions seront bien entendu également très sévèrement touchées. Nous devrons donc coordonner nos actions afin d'obtenir un positionnement de la part de l'État. Est-ce qu'une nationalisation de la dette Covid des collectivités locales est envisageable ? Peut-on basculer les dépenses de fonctionnement en dépenses d'investissement, comme cela avait été le cas en 2008, 2010 et 2012, ce qui permettrait de stimuler l'activité économique ?

Pour conclure, nous souhaitons, après la présentation par les experts de leur rapport le 23 mai prochain, l'installation dans les meilleurs délais des maires élus au premier tour. Cela est indispensable pour la relance économique, pour la commande publique et pour la stabilité des actes juridiques. Ce rapport nous éclairera également sur la possibilité de tenir ou non le second tour au mois de juin. Quoi qu'il en soit, il existe un consensus chez les maires : les résultats du premier tour doivent être gelés. Il appartient au Gouvernement de discuter de la validité de ces arguments vis-à-vis du Conseil d'État. L'AMF souhaite la tenue de ce second tour dans les meilleurs délais.

M. Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des Départements de France (ADF). - L'état d'esprit est, comme dans toute crise, à la collaboration entre l'État et les collectivités. Néanmoins, comme vient de l'indiquer à l'instant François Baroin, cette collaboration est plus aisée avec le ministère de l'Intérieur et le corps préfectoral qu'avec les ARS, dont l'organisation un peu technocratique mériterait certainement d'être revue. Cette position est d'ailleurs partagée par beaucoup d'élus mais aussi plusieurs préfets.

Durant cette crise sanitaire, les départements ont accompli leur mission de solidarité territoriale et sociale. Nous sommes à la disposition des communes pour leur fournir des moyens, notamment logistiques. Nous continuons à verser les prestations telles que le Revenu de solidarité active (RSA), l'Allocation personnalisée d'autonomie (APA), la prestation de compensation du handicap (PCH), et nous permettons aux travailleurs sociaux d'exercer leurs missions qu'il s'agisse de la Protection maternelle et infantile (PMI), de l'aide sociale à l'enfance, des mineurs non accompagnés, des Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et de toutes les structures médico-sociales sur le terrain.

Pour revenir sur la question des masques, nous avons constaté les difficultés rencontrées dans certaines régions dues à des initiatives mal contrôlées au niveau central. Les départements se sont lancés dans des achats massifs de masques médicaux et chirurgicaux, souvent d'ailleurs via des commandes communes en lien avec leurs régions et les grandes métropoles de la région. Ces masques sont en cours de livraison et leur distribution, dans la plupart des cas, est assurée par l'hôtel du département avec le soutien des ARS. La collaboration est une réussite, à part quelques incidents épars liés à des problèmes de personnes plus qu'à des questions de fond. Beaucoup de départements ont également commandé des masques alternatifs et envisagent de les distribuer par l'intermédiaire de leurs conseillers départementaux via le réseau des EPCI et des municipalités.

S'agissant des tests, la bataille a été longue, voire trop longue. Nous plaidions pour que nos 75 laboratoires d'analyse, qui oeuvrent d'habitude à des tests vétérinaires ou au contrôle de la qualité des repas et des eaux, puissent être mobilisés. C'est désormais le cas dans beaucoup de départements grâce à des conventions avec les centres hospitaliers. Cela a permis un grand mouvement de dépistage dans tous les EHPAD, concernant tant les résidents que le personnel. L'objectif est d'étendre ce mouvement aux résidences autonomie, aux foyers pour personnes handicapées, aux structures d'hébergement collectif de confinés. Ce mouvement est donc parti des laboratoires d'analyse mais s'effectue en lien avec les laboratoires privés et, là encore, en coordination avec les ARS.

Je me suis entretenu hier avec le ministre Jean-Michel Blanquer au sujet de la rentrée scolaire. J'ai ressenti de nombreuses incertitudes concernant les dates, le nombre d'élèves ou les classes d'âge. Les choses sont très différentes selon les établissements et selon les régions. J'ai proposé la création d'un groupe de travail afin d'établir une charte efficace pour la réouverture des collèges. Cela s'effectue évidemment en lien avec le bloc régional, de même que les transports scolaires sont, à l'exception de ceux pour les personnes handicapées, réalisés par les régions. Cette tâche est particulièrement ardue, et de nombreuses entreprises de transport scolaire sont très durement touchées par cette crise.

Je terminerai par l'aspect financier. Dès le début, nous avons obtenu, par une démarche commune, la fin du très contesté plafond de 1,2 appliqué à l'augmentation des dépenses de fonctionnement. Beaucoup de nos demandes sont pour l'instant restées sans réponse, par exemple la possibilité d'inscrire dans la section d'investissement du budget les achats de masques. J'ai demandé au Premier ministre que les achats de masques, en particulier sur le marché chinois, soient exemptés de droits de douane, voire de TVA. Nous avons également adressé au Gouvernement plusieurs demandes afin d'autoriser des écritures comptables exceptionnelles.

Nous anticipons une hausse logique du RSA, de nombreuses personnes risquant de se retrouver au chômage. La question de son financement, dont les départements assurent plus de la moitié des dépenses, va naturellement se poser de manière accrue après cette crise.

Enfin se posera le problème des Droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Nous nous attendons à une baisse très importante. Cela pourrait remettre en cause tout notre système de péréquation horizontale. Il faudra donc repenser, conjointement avec l'AMF et Régions de France, le système de financement des collectivités locales. Au moment de financer la reprise, nous ne pourrions participer à la relance économique si nos moyens baissent trop sévèrement.

M. Renaud Muselier, président de l'association Régions de France. - La crise sanitaire qu'a connue le Grand Est a permis de préparer certains territoires par des réorganisations préalables et d'amortir le choc. Ici, à Marseille, la région a adopté la thèse du professeur Raoult : on dépiste tout le monde, on soigne toutes les personnes positives, on les isole et on réalise un confinement maximum. Cette méthode permet aujourd'hui à la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur (PACA) de n'avoir, pour l'heure, pas connu de pic épidémique mais un plateau. Nous disposons de lits vides en réanimation et nos services, en urgence, en réanimation, en hospitalisation comme en post Covid, ne sont pas pleins. Sur 100 000 habitants, nous constatons 7,3 décès, contre une moyenne nationale de 14 et 32 à Paris.

Nous avons connu, comme beaucoup, des difficultés dans la gestion des masques. Nous en avons commandé conjointement près de 65 millions. Certains sont arrivés, d'autres non, certains ont été subtilisés. Malgré les frustrations, ces masques arrivent au fil de l'eau. Nous en avons déjà obtenu 2 millions et 5 millions sont attendus cette semaine. Nous avons organisé une filière sécurisée à l'achat, à la fabrication et à la livraison. Nous nous appuyons en effet essentiellement sur CEVA, numéro 1 mondial en matière de logistique, qui est une filiale de CMA CGM, transporteur marseillais et troisième transporteur au monde

Dans cette crise sanitaire, chacun fait comme il peut. Le désastre sur le plan économique est général et chez nous la situation est apocalyptique. Tous nos festivals sont annulés. Nous disposons de la compétence économique depuis la loi sur la Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et nous travaillons donc avec le Gouvernement. Nous avons abondé pour un quart du fonds de solidarité nationale. Notre contribution a doublé afin que nous puissions traiter au niveau régional les deux vagues de dossiers selon leur montant. La plupart des présidents ont par ailleurs mis en place un fonds de résistance en lien avec la Banque des Territoires, les EPCI, voire les départements pour tripler ou quadrupler les moyens financiers locaux. Ceci ne suffira toutefois pas pour éviter le désastre économique qui s'annonce. Je tiens à saluer la mécanique mise en place par le ministre Bruno Le Maire, avec qui nous sommes en ligne directe et qui nous apporte de nombreuses réponses complémentaires avec une souplesse administrative inédite et une réactivité appréciable.

Les pertes des régions sont d'environ 700 millions d'euros pour 2020 et sont estimées pour l'année prochaine à 3 ou 4 milliards d'euros. Le Premier ministre nous a expliqué à plusieurs reprises que le pacte de Cahors était caduc. Il nous faut donc inventer de nouvelles modalités de financement de nos territoires. Nos trois associations en discutent régulièrement et nous sommes à votre disposition pour échanger sur les pistes les plus efficaces envisageables.

Parallèlement à cette question, les contrats de plan État-région devaient avancer et se retrouvent aujourd'hui bloqués. Nous imaginons, là aussi, de toutes autres modalités de fonctionnement. Il faut que nous arrivions à construire une forme de « New Deal » environnemental et industriel. La réindustrialisation de nos territoires et la mise en avant de l'environnement sont essentiels à moyen et long terme. Tout cela doit être repensé dans les plus brefs délais.

La méthodologie du déconfinement diffère selon les territoires et connaît quelques tâtonnements. Les scientifiques ne sont jamais d'accord, l'organisation territoriale n'est pas la même par exemple dans le Grand Est ou en PACA, notamment en ce qui concerne l'organisation du système de soins. Il est donc nécessaire de trouver un moyen de coordonner sur le plan médical cette sortie du confinement. Je me permets d'attirer votre attention sur des choses simples, mais qui ont été oubliées et méritent d'être rappelées.

La diminution du nombre de patients positifs est nette. Dans notre région, nous sommes passés de 22% à 5%. Parallèlement à cela, nous devons maintenir le confinement. Cela peut sembler paradoxal, mais le confinement et la distanciation sociale sont des mesures essentielles.

Les théories sur les masques sont très divisées et les débats complexes. Les types de masques sont nombreux et les intervenants, qu'ils soient élus, membres du Gouvernement, scientifiques ou prétendus sachants, nous disent tout et son contraire. En région PACA, nous avons décidé d'établir avec notre ARS une méthode assez simple : celui qui a été testé positif et a été soigné a développé un anticorps positif. Il doit donc avoir la possibilité de circuler librement. Pour les personnes devant être dépistées, il existe plusieurs situations, dont celle des personnes fragiles et notamment les plus de 70 ans, qui devront restés confinées.

Il faut ensuite trouver des tests. Nous n'avons de notre côté pas de problème de matériel concernant les tests PCR. Pour les tests sérologiques, peu de laboratoires sont capables de réaliser des dépistages sérologiques en grand nombre. Les tests en laboratoire ne sont d'ailleurs pas toujours fiables - là où le professeur Raoult au Centre hospitalier universitaire (CHU) peut en effectuer 5 000 par jour -, et le matériel qui a été livré aux laboratoires de nos régions comportait de nombreuses erreurs. Ce volet sanitaire nécessite une clarification. Les masques chirurgicaux ne sont pas les mêmes que les masques FFP2, et les masques en tissu fabriqués par les couturières de la Marne sont utiles mais je doute de la possibilité d'une production massive. Ce qui est certain aujourd'hui, c'est que le masque est utile en cas de non-distanciation et inutile lorsque l'on est seul.

De façon très concrète, par rapport au 11 mai, le premier problème concerne les lycées. Nous échangions avec Jean-Michel Blanquer hier ; des groupes de travail se mettent en place. Les questions sont multiples, tant sur les masques ou les blouses que sur les cantines ou encore le transport scolaire. Une réouverture progressive et le calendrier exact sont également incertains. Il est indispensable de commencer par les lycées professionnels, et pourtant rien n'est pour l'heure organisé en la matière.

Mme Sonia de La Provôté. - Ma question porte sur les compétences post loi NOTRe. Nous avons désormais suffisamment de recul pour les analyser et peut-être les faire évoluer. Les circonstances particulières actuelles montrent les rigidités de cette loi, notamment dans le domaine économique où les départements ont des difficultés pour intervenir. Nous avons vu pour le transport scolaire que les départements et les régions ont pu collaborer, dans certains cas. Même s'il n'était pas envisagé de grand soir de la loi NOTRe sur cette question des compétences, peut-être pourrions-nous, au travers de la loi 3D, entrevoir une évolution de ces compétences au cas par cas, de façon différenciée selon les régions et les départements, ou alors de manière plus générale à l'aune de la souplesse légitime attendue dans les relations des collectivités entre elles et avec les citoyens ? Peut-être pourrions-nous dès à présent réfléchir à bouger les lignes et à se donner la possibilité de faire évoluer ces compétences ? Je pense donc notamment à la compétence économique, mais aussi à l'urgence environnementale, qui va également reposer question. Nous voyons bien les frontières rigides d'une compétence à l'autre et nous constatons que l'adaptation à chacun des territoires est essentielle pour exercer ces compétences le mieux possible et être au service des citoyens de la manière la plus efficace.

M. Mathieu Darnaud. - Ma première question concerne la scolarité dans son ensemble, dans la perspective du déconfinement du 11 mai. Ce sujet étant particulièrement anxiogène pour les élus locaux et singulièrement les maires, peut-on imaginer avoir un guide, ou au moins des consignes spécifiques, préparé par le ministère et les associations concernées afin d'éclairer et de rassurer l'ensemble des élus locaux qui vont devoir mettre en place les rentrées scolaires, qu'elles soient progressives ou définitives ?

Ma deuxième question, relative à l'urbanisme, concerne sans doute plus l'AMF. Beaucoup d'inquiétudes subsistent par rapport à la reprise. Comment peut-on inviter les maires, comme le permet la circulaire du ministre, à faire en sorte qu'il n'y ait pas trop de retard dans la signature des permis, puis par la suite à relancer toute cette part de l'économie et notamment le bâtiment et les travaux publics ?

Enfin, mon dernier point abordera la problématique de la relance économique, largement abordée par les trois présidents, et le rôle fondamental que joueront nos collectivités dans cette perspective. Ce rôle sera malheureusement rendu difficile par la baisse des dotations, notamment la DMTO, dont on connaît la part importante d'investissement qu'elle représente, surtout pour les départements, mais aussi de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Venant d'un département où le tourisme joue une part prépondérante, je pense que les collectivités vont devoir assurer un rôle majeur car le tourisme, l'artisanat et la vie des commerces locaux vont durement souffrir. Comment les trois présidents perçoivent-ils notre capacité à rebondir et quelle sera selon eux la place de nos collectivités ?

Mme Françoise Gatel. - Je salue avec beaucoup d'amitié et de gratitude les trois présidents parce que cette crise met bien en évidence l'engagement et la solidité de nos collectivités. En complément des questions posées, je m'interroge moi aussi sur l'ouverture des écoles qui concerne les trois niveaux de collectivité que vous représentez. Je suis extrêmement favorable à l'établissement d'un protocole national pour aider nos collectivités à gérer cette question. J'ai demandé à la préfète l'organisation d'une « task force » départementale et ai plaidé pour une communication auprès des familles pour éviter que les maires, les présidents de départements et les présidents de régions soient critiqués avec véhémence par les familles qui auraient compris que toutes les écoles rouvraient le 11 mai et qui auront légitimement de nombreuses questions quand tous leurs enfants ne seront pas accueillis.

Mon deuxième point porte sur les finances. En 2008, un plan de relance avait concerné tous les territoires. Ma remarque s'adresse plus spécifiquement à Renaud Muselier. Les régions ont été sollicitées pour participer au fonds de solidarité nationale et je ne crois pas que les métropoles l'aient été. Il ne faudrait pas, à la sortie de la crise, que les régions soient extrêmement sollicitées pour investir et participer à la relance alors que les métropoles auraient pu bénéficier de meilleures conditions.

J'ai une question enfin pour François Baroin, sur le processus électoral. Si les élections municipales se déroulaient d'une autre manière et étaient à nouveau reportées, qu'en est-il de l'avis de l'AMF sur la gouvernance provisoire des EPCI ?

Par ailleurs, pensez-vous que parmi les leçons que nous tirerons de cette crise, il y aura celle de l'impérieuse nécessité d'une meilleure décentralisation et d'une plus grande déconcentration ?

M. Hervé Gillé. - Comme Françoise Gatel l'a souligné, nous constatons l'importance de nos collectivités dans cette crise. Cette crise a toutefois aussi souligné un certain nombre de difficultés de coopération, notamment avec les services de l'État. Le sujet de la commande et de la répartition des masques en est sans doute une des illustrations. J'aimerais connaître le sentiment des trois présidents sur ce sujet mais surtout sur leurs propositions pour améliorer ces coopérations. Comment peut-on, d'une manière plus générale, renforcer la solidarité territoriale et les coopérations entre les métropoles, les départements, les régions et naturellement les services de l'État ?

Cela a également été évoqué mais dans la perspective de la loi 3D, une réflexion dans l'adaptation des compétences est peut-être envisageable ? Les conventions territoriales d'exercice concerté des compétences constituaient un outil. Cet outil pourrait-il être amendé pour le rendre plus efficace ? De quelle manière peut-on, en ce moment, affirmer la notion de chef de file et de subsidiarité pour une efficacité maximale sur le terrain ?

Mme Josiane Costes. - Monsieur le président de l'AMF, avez-vous connaissance de difficultés dans le fonctionnement des communes du fait de la non installation des conseils municipaux ? D'autre part, comment envisagez-vous le fonctionnement des exécutifs communautaires dans les prochaines semaines et même les prochains mois, alors que les conseils municipaux ne sont donc pas installés et que le second tour aura lieu au mois de septembre ou au mois de mars 2021 ?

Monsieur le président de l'ADF, disposez-vous d'une évaluation des dépenses supplémentaires actuelles effectuées par les départements en raison de la crise sanitaire et avez-vous également une projection de ces dépenses liées à cette crise d'ici la fin de l'année 2020 ?

M. Daniel Chasseing. - Les collectivités territoriales souhaitent naturellement conserver leurs commerces. Ont-elles la possibilité d'abonder l'aide de 1 500 euros par mois donnée par l'État aux commerçants et artisans dont l'établissement a été fermé ? Ces collectivités doivent-elles plutôt mettre en place une procédure différente ?

Les masques intermédiaires, dits « grand public », semblent avoir une efficacité pour diminuer la propagation du virus. La généralisation de ces masques a été évoquée par le Président de la République. Ces masques « grand public » généralisés seraient-ils à la charge des communes ou des départements pour les populations locales ?

Enfin, la différence de prise en charge des personnes Covid plus entre la France et l'Allemagne ou d'autres pays réside dans le nombre de tests et l'isolation immédiate des testés positifs. Nous pouvons espérer qu'il y ait bientôt plus de tests. Est-ce que les personnes diagnostiquées Covid devraient être isolées de leurs familles ? Pour limiter la propagation du virus dans la population, les collectivités vont-elles devoir chercher des lieux de confinement et de restauration ?

Mme Patricia Schillinger. - J'aimerais évoquer le sujet des élections sénatoriales. Si toutes les élections devaient se tenir au mois de mars, est-ce qu'il y aurait également un report des sénatoriales ?

Concernant les tests, si la personne est négative, il est néanmoins nécessaire de procéder régulièrement à de nouveaux tests. Tant que nous ne disposerons pas d'un vaccin ou de moyens de protection, cette situation demeurera problématique.

Mme Michelle Gréaume. - Avez-vous pu évaluer les pertes de recettes dues aux conséquences de l'épidémie pour chaque niveau de collectivité que vous représentez ? La réforme de la fiscalité locale devait initialement faire l'objet d'un projet de loi spécifique en 2019. La réforme a finalement été intégrée à la loi de finances 2020. Le ministre Sébastien Lecornu estime que la situation actuelle est totalement décorrélée de la question de cette réforme. Qu'en pensez-vous, au regard des conséquences de la crise sanitaire sur les recettes des collectivités ?

M. Charles Guené. - Mes premières observations sont destinées à François Baroin. Même si les juristes restent sereins, il existe plusieurs offensives sur la question du premier tour des élections. Une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est dans l'air pour remettre en cause ses résultats. Sur le terrain, on constate les impatiences de certains maires élus. Tous ces éléments plaident pour une action rapide. Un décret en conseil des ministres sur cette question a été reporté. À cet égard, l'AMF met-elle bien « l'épée dans les reins » du Gouvernement ? S'agissant du second tour des élections municipales, je sais que ce sentiment n'est pas partagé mais je pense qu'il faudrait le tenir dès le mois de juin, pour les mêmes raisons. Les arguments qui s'y opposent, comme le fait qu'on ne puisse organiser une campagne électorale ou que les citoyens aient d'autres sujets en tête existeront également en septembre, il me semble donc nécessaire d'agir le plus rapidement possible en la matière.

Je me suis aperçu par ailleurs qu'il n'existait pas de protocole pour les personnes touchées au sein d'un même foyer. Les communes n'ont pas de mode opératoire à destination de ces familles. Dans les régions les plus touchées, ces procédures existent sans doute. Ne pourrait-on pas imaginer un partage d'expériences par le truchement de l'AMF ?

Enfin, concernant les régions mais surtout les départements, des discussions sont-elles engagées avec l'État concernant les recettes ? Sébastien Lecornu nous a donné des garanties pour la CVAE mais le sujet des DMTO ou de la TVA reste critique.

Mme Catherine Troendlé. - Ma question s'adresse à François Baroin et concerne particulièrement l'installation des nouveaux conseils municipaux qui ont été élus dès le premier tour le 15 mars dernier. L'AMF a-t-elle sollicité le ministère de l'Intérieur concernant une nouvelle organisation plus assouplie pour l'installation de ces conseils municipaux, comme le porte notamment le président Philippe Bas, via des outils tels que le vote électronique, un quorum assoupli ou le recours renforcé à des procurations ? Je pense qu'il est nécessaire que nous activions le plus rapidement possible l'installation de ces conseils municipaux, comme des élus s'organisent pour le dépôt d'une QPC ou pour des recours en annulation sur la base d'une non-sincérité du scrutin faute d'électeurs.

M. Rémy Pointereau. - Beaucoup prônent un assouplissement budgétaire pour que les aides économiques à destination des entreprises, notamment des acteurs du tourisme, soient inscrites en section d'investissement plutôt qu'en section de fonctionnement pour éviter les problèmes d'équilibre. Concernant les budgets annexes, tel que ceux de l'eau et de l'assainissement, pour là aussi prévenir d'éventuels déséquilibres du fait d'impayés, serait-il possible de créer dans le budget général une subvention à destination de ces budgets annexes ?

Enfin, où en sont les livraisons des masques commandés par l'AMF ?

M. Pascal Savoldelli. - Vous évoquez, Monsieur Baroin, la question de l'organisation de l'État à travers deux questions qui préoccupent notre délégation : celle du rôle, de la place et de l'efficience des ARS et celle liée à l'Éducation nationale avec cette possibilité d'une rentrée progressive le 11 mai. Je souhaiterais que vous précisiez le périmètre de vos propositions et leur temporalité. Par exemple, la question des ARS est intimement liée à la nature du plan d'investissement pour l'hôpital. Ce plan comporte à la fois des aspects de structure renvoyant à la décentralisation et à la déconcentration mais aborde aussi la réponse plus globale que l'État pourrait nous apporter.

M. Jean-François Husson. - Je note la très forte mobilisation des différentes collectivités dans cette crise. Les communes, les départements et les régions répondent, chacune à leur échelle, à l'ensemble des problématiques de leurs habitants et des acteurs locaux. Peut-on envisager que ce mouvement invite à une renaissance de la clause de compétence générale ?

Les EHPAD ont connu une vague de décès très importante. Cela crée, de manière totalement compréhensible, des places vacantes. N'y a-t-il pas là un risque de dépenses supplémentaires pour les départements ?

Je m'associe à la proposition de Catherine Troendlé sur la nécessité d'assouplir les conditions d'élection pour les conseils municipaux élus au premier tour. N'existe-t-il pas une possibilité de mettre en place un vote électronique ?

Je souscris enfin aux différentes propositions formulées à la fois par nos trois invités et par un certain nombre de nos collègues d'établir un protocole en vue des réouvertures progressives des classes dans le cadre du déconfinement.

M. Philippe Mouiller. - Ma première question est destinée à François Baroin. Nous sommes en ce moment, malgré la crise, en discussion avec les Directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (DASEN) au sujet de la future carte scolaire. Même si le ministre Jean-Michel Blanquer a pu donner certaines indications, notamment relatives aux communes de moins de 5 000 habitants, sur la non fermeture de classes, cela signifie néanmoins que dans plusieurs départements ruraux l'effort demandé par le Gouvernement va porter sur les communes de plus de 5 000 habitants avec des impacts souvent très importants. Or nous sommes dans une période où ces communes doivent fournir beaucoup d'efforts en matière d'inclusion et de suivi des élèves les plus en difficulté. Dans vos négociations au niveau national, quel message peut-on porter afin de limiter ces effets potentiellement dévastateurs ?

Ensuite, pour Dominique Bussereau, la crise financière pour l'ensemble des structures médico-sociales est générale. Dans les structures liées au handicap, de nombreuses personnes ont été invitées à rejoindre leurs familles. Cela a un impact direct en termes de financement. Cela dépend pour une partie des liens avec le département. Quelle vision portez-vous sur ces structures qui devront rouvrir par la suite ?

Enfin j'aurai une dernière remarque générale. Les collectivités sont essentielles par leur capacité d'investissement dans le cadre de la relance économique. Ne faudrait pas apporter une évolution au code des marchés publics, quitte à tendre nos relations avec l'Union européenne, afin que les collectivités puissent investir à nouveau le plus rapidement possible ?

M. Bernard Delcros. - Je vais insister à nouveau sur deux sujets déjà évoqués. Le premier concerne l'impact du confinement sur les recettes des collectivités, à la fois fiscales mais aussi les recettes liées aux tarifications de leurs services. Serait-il possible selon vous de mettre en place un observatoire pour évaluer, mesurer et suivre l'évolution dans la baisse des recettes de chaque niveau de collectivité ? Avez-vous connaissance de collectivités aujourd'hui particulièrement en difficulté du fait de ces baisses de recettes ? Lors de notre audition avec la commission des Finances hier, le Gouvernement a annoncé que l'État pouvait éventuellement procéder à des avances de trésorerie pour des collectivités en difficulté. Cela a-t-il déjà été le cas ? Je souhaite également rebondir sur une remarque de Dominique Bussereau relative à la possible remise en cause de la péréquation horizontale. J'insiste sur le fait que cette péréquation, à l'initiative des départements, a été un ballon d'oxygène pour les départements les plus fragiles et donc les plus susceptibles d'être mis en difficulté par la baisse des recettes liée à la crise.

Le second sujet est celui des élections. Il y a une réelle urgence à installer les conseils municipaux élus au premier tour et j'aimerais beaucoup avoir le point de vue de François Baroin à ce sujet. L'urgence est aussi due à ces initiatives visant à remettre en cause les élections du premier tour. Je pense qu'il faudra dans un second temps installer les exécutifs des EPCI. Je partage le sentiment que si ces élections ne peuvent pas se tenir en juin, il faudrait les organiser en septembre pour ne pas perdre trop de temps dans le redressement du pays, pour lequel les collectivités seront essentielles. Par ailleurs, l'idée de geler le premier tour même si le second devait avoir lieu après l'été est-elle bien la disposition retenue, auquel cas j'y serais très favorable ?

M. Philippe Pemezec. - Le Gouvernement fait principalement reposer cette crise sanitaire sur les communes et les maires. Je me réjouis donc que le Gouvernement réalise enfin l'importance des maires et leur rôle prépondérant dans le fonctionnement de nos institutions. J'aimerais que la loi 3D retrouve très vite une place dans l'agenda parlementaire pour que les compétences des maires puissent être revues, notamment en région Île-de-France où les maires n'exercent plus la compétence urbanisme. Il faut introduire un peu de souplesse et ce le plus rapidement possible. Compte-tenu u rôle que nous avons à jouer durant cette crise, ne devons-nous pas relever la tête et exiger que les choses soient rapidement remises en cause ?

Par ailleurs, les maires sont toujours sur le terrain mais se retrouvent démunis. Nous recevons des masques d'entreprises, de la région et nous gérons la répartition sur le terrain. Pour les tests, les populations doivent être certes testées mais nous n'avons pas les moyens de les mettre en place. Que fait l'État ?

Enfin, les marchés peuvent être ouverts dans l'Essonne mais ce n'est pas le cas dans les Hauts-de-Seine - alors que les microbes sont plus importants dans une grande surface que dans des marchés couverts aérés comme les nôtres. Nous sommes capables d'organiser la distanciation de manière beaucoup plus efficace que les grandes surfaces. Pouvez-vous, Messieurs les présidents, intervenir auprès des préfets pour qu'ils nous laissent exercer notre travail correctement, comme nous en avons l'habitude, plutôt que de tout désorganiser, comme le fait une fois de plus l'État ?

M. Jean-Marie Bockel, président. - Au moment où le déconfinement commence à être préparé, avec parfois un sentiment de cacophonie et de manque de coordination, est-ce que l'on ne pourrait pas réfléchir et proposer quelques pistes partagées entre le Sénat et les associations d'élus ? Ne pourrait-on pas, par ailleurs, implanter à l'échelle départementale une forme de « task force » où tous les acteurs de l'État et des territoires, ainsi que quelques sachants, pourraient échanger et éclairer les décideurs locaux face à la diversité des situations auxquelles nous serons confrontés ?

M. François Baroin, président de l'Association des Maires de France (AMF). - Nos échanges sont particulièrement utiles alors que nous sommes actuellement en première ligne. Je tiens à préciser que notre état d'esprit, ainsi que celui de la quasi-totalité des maires, est d'être à côté de l'État pour assurer la protection de la population, garantir que la peur légitime s'atténue progressivement et permettre aux pouvoirs publics de bien faire leur travail.

La question de l'ouverture sur l'avenir est très importante. Nous avons créé il y a deux ans, avec Dominique Bussereau et Hervé Morin - le prédécesseur de Renaud Muselier -, Territoires Unis, afin de pousser un cri collectif provenant d'une saturation. Nous disons depuis de nombreuses années que l'État, très amaigri, n'était plus en situation d'avoir cette ambition voire cette prétention d'être présent partout et en toutes circonstances. Il n'en a plus ni les moyens financiers ni les effectifs. Comme nous ne voulions pas basculer dans un modèle fédéral mais que nous souhaitions activer des forces centrifuges, nous avons décidé de créer cette association réunissant, pour la première fois de l'histoire de la décentralisation, les régions, les départements, les communes et les intercommunalités afin d'offrir une réflexion pour une grande et ambitieuse décentralisation. Cette grande ambition s'est caractérisée par l'envoi d'un courrier il y a dix-huit mois, adressé au Premier ministre, retraçant la méthode, les objectifs et le calendrier de notre projet. Ce courrier précisait les compétences attendues et le cadre de transfert qui leur est associé. Cela n'a rien à voir avec le projet de loi 3D qui nous est proposé aujourd'hui, dont le coeur traite avant tout de la déconcentration et a minima de la décentralisation. Sur la base de ce que tous les Français et tous les élus constatent actuellement, il n'y a pas d'autre choix que d'avoir pour ambition l'établissement d'une troisième grande loi de décentralisation.

Je considère que les régions ont réalisé un important travail de coordination durant cette crise. Elles doivent conserver la compétence relative au développement économique, récupérer celle liée à la formation professionnelle et évidemment à l'alternance et, à mon sens, récupérer une partie de la gestion de Pôle Emploi. J'émettais cette idée, qui peut sembler iconoclaste, avant la crise, et à la lumière de ce qui nous attend, à savoir la perte de centaines de milliers d'emplois ou l'augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA, le maillage territorial piloté par les régions pour accompagner les personnes en demande d'emploi doit être un axe important d'une nouvelle loi.

Les départements s'occupent de la solidarité qu'il s'agisse des établissements ou des prestations. À titre personnel, j'avais plaidé dans plusieurs discours que la santé devait elle aussi passer sous la coupe des départements. Il est incontestable que le système actuel, composé du ministère de la Santé et des ARS, a explosé en plein vol. Ce qui a été demandé aux ARS, sur le plan des réductions budgétaires notamment - et je suis d'autant plus à l'aise pour le dire que j'ai moi-même participé à des gouvernements qui ont oeuvré à la création de ces ARS - est dans l'impasse. Ce système doit être revisité et une partie de la santé doit désormais être pilotée par les collectivités locales, comme par exemple l'investissement et la possibilité d'embaucher des médecins, d'accompagner des sages-femmes, des infirmières ou des aides à domicile.

Les communes et les intercommunalités devraient enfin également récupérer une partie des compétences de proximité dans le domaine de la santé, du tourisme, du sport, de la culture,... Nous appelons de nos voeux un « big bang » territorial. Nous plaidons pour cela depuis de nombreuses années, bien avant la crise des gilets jaunes. Le Président de la République s'est appuyé sur les maires à travers le grand débat et a repris une démarche décentralisatrice. Celle-ci s'est retrouvée dans la tuyauterie bureaucratique française et a abouti à un projet qui vole lui aussi en éclats à la lumière de la crise. Cette contreproposition d'organisation territoriale est fondamentale ; elle est d'ores et déjà un des enjeux de la crise que nous vivons.

Sur la question du déconfinement, un protocole de bonnes pratiques est la solution adaptée. Nous l'avions fait, en lien avec le ministère de l'Intérieur, pour la tenue du premier tour. Le protocole qui avait été proposé prévoyait la distanciation sociale, le marquage au sol, l'organisation du bureau de vote et l'ensemble des consignes de manière générale. Un tel protocole peut parfaitement être imaginé pour le déconfinement et est même indispensable. Nous avons déjà engagé des discussions avec le ministère de l'Éducation nationale. Je rappelle que l'éducation est nationale et non municipale mais que nous devons être associés, avec la question des parents, juste avant que les élèves arrivent à l'école et jusqu'à leur sortie, alors que les parents doivent les récupérer dans des conditions sanitaires stables, mais aussi pendant la journée lors de l'organisation des repas, des cours, des pauses,... Les enseignants et les parents d'élèves ont de nombreuses interrogations.

Sur l'urbanisme, un texte est passé récemment en conseil des ministres. Sans critiquer le Gouvernement, je ne peux que constater que ce texte ne nous arrange guère. Le Gouvernement souhaite relancer la filière du Bâtiment et des travaux publics (BTP) et donc réduire les délais d'inscription sur les actes d'urbanisme. Or nous sommes aujourd'hui en volume réduit avec un temps de latence et tout ne repose pas sur les collectivités locales. Les services de l'État, les Architectes des Bâtiments de France (ABF), les fouilles archéologiques sont autant d'acteurs à prendre en compte. La réduction du temps de latence exigée par le Gouvernement ne permettra donc pas de donner entière satisfaction sur tous les points.

Pour la relance économique, il appartiendra de dresser un état des lieux très précis. Aujourd'hui les estimations se situent entre 4 et 5 milliards d'euros mais les pertes seront sans doute bien plus importantes au final. Si l'on estime par exemple qu'à l'échelle européenne l'impact du Covid est de l'ordre d'un minimum de 10% du PIB européen, cela nous amène au niveau européen à 1 600 milliards d'euros de pertes. On nous annonce aujourd'hui 700 milliards d'euros. Donc, en appliquant un tel ratio d'évolution, les pertes attendues pour les collectivités peuvent atteindre probablement les 10 milliards d'euros à la fin de l'exercice. L'effondrement des recettes fiscales s'accompagne également d'un effondrement des recettes de nature autre que fiscale, baisse très difficile à estimer. Par ailleurs, les restaurateurs demanderont un effacement des droits de terrasse, les acteurs sportifs auront eux aussi des réclamations, etc. Notre examen de ce sujet vient de commencer et est donc loin d'être exhaustif sur ce point.

Concernant le processus électoral, nous avons eu un point important sur ce sujet avec le Premier ministre ce matin. Après le rapport des experts du 23 mai prochain, notre volonté, partagée et collective, est d'installer le plus vite possible tous les maires et les conseils élus au premier tour. Le plus vite possible nécessite l'envoi d'une convocation et le respect du délai de cinq jours francs a minima. Si les experts donnent leur aval dès le 23 mai, cela peut donc s'envisager au plus tôt fin mai, et au plus tard durant la première semaine de juin. Pour le second tour, il existe une grande différence entre le tenir en septembre 2020 et le reporter en mars 2021. Nous sommes, à l'unanimité, partisans d'une organisation solide et rapide de nos communes et de nos intercommunalités car, comme vous l'avez évoqué, 70 à 75% de l'investissement public national est porté par les collectivités locales. Or la relance se fera nécessairement par l'investissement public. Cependant, alors que l'État peut emprunter pour financer ses dépenses de toute nature, nous ne pouvons le faire que pour les dépenses d'investissement et non pour les dépenses de fonctionnement. Il va donc falloir traiter rapidement la question du transfert des dépenses de fonctionnement en investissement. Je suis très favorable également aux transferts entre budgets annexes et budget général.

Les maires, dans leur totalité, souhaitent que le second tour puisse se tenir dans les meilleurs délais. Néanmoins ils s'aligneront naturellement sur la proposition du Gouvernement sur la base du rapport des experts. Certains membres du Gouvernement plaident pour l'organisation du second tour dès juin. Mais il nous faut avant tout agir sur la relance économique. Le choix de geler, c'est-à-dire de considérer comme acquis les résultats du premier tour, est éminemment politique. Ce n'est pas le regard actuel du Conseil d'État au regard des jurisprudences passées. Nous sommes toutefois dans un cadre tellement atypique qu'en cas de consensus des élus et du Parlement sur ce sujet, le Conseil d'État pourrait adapter sa jurisprudence pour justifier d'un écart de six mois entre les deux tours. Cela serait plus délicat si le second tour devait avoir lieu en mars 2021. La sincérité du scrutin pourrait alors être altérée. Ce débat est loin d'être clos. Sur la question de la QPC, le Conseil d'État a en revanche conforté les résultats du premier tour, et il s'agit là d'une décision de bon sens. Geler les résultats du premier tour permet l'organisation de campagnes sur un nombre de jours bien plus restreint. Sur les quorums assouplis ou les procurations, nous avons soutenu les propositions formulées en la matière par le président Philippe Bas et la commission des Lois du Sénat. L'installation des conseils municipaux devrait donc être grandement facilitée.

Nous avions effectué une première commande de 6,5 millions de masques puis une nouvelle de 12 millions. 1,5 millions de masques sont arrivés hier soir à Saint-Étienne et sont actuellement stockés au siège social de Casino, comme nous nous sommes appuyés sur une de ses filiales pour la logistique. Les premiers masques devraient donc arriver très rapidement dans les différents territoires. L'AMF avance et passe les commandes, les communes et les intercommunalités intéressées indiquent le lieu d'affectation logistique et elles remboursent par la suite les commandes passées à l'AMF.

Notre grande ambition sur la décentralisation passe également par la question de la clause de compétence générale. Comment redonner des moyens à l'échelon local ? Cela passe par des transferts de compétences, de personnels et de crédits budgétaires, mais avant tout par un cadre général. Je pense donc que la question de la clause de compétence générale se posera, notamment pour l'efficacité des politiques publiques de proximité.

Je pense que le modèle de 2008 et de 2012 est pertinent pour l'adaptation du code des marchés publics. Les mesures mises en place avaient permis à Bercy à l'époque d'être à la manoeuvre sur la relance. Or cette relance passera aussi par une refonte du code des marchés publics pour faciliter les achats. Mais Bercy saura se souvenir des exemples passés.

Pour les EPCI, si le second tour est reporté au mois de mars, les choses seront très compliquées. L'alliance des anciens et des modernes peut tenir sans difficulté jusqu'au début de l'automne mais elle aura du mal à perdurer au-delà.

Enfin nous sommes très favorables à l'idée d'une « task force », proposée par le Président Jean-Marie Bockel.

M. Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des départements de France. - Je suis évidemment d'accord avec les deux propositions formulées par Jean-Marie Bockel, qu'il s'agisse de la mise en place d'une « task force » départementale ou de l'établissement de pistes communes entre le Sénat et les associations de collectivités locales. Nous avions déjà engagé un travail en ce sens par l'intermédiaire du président du Sénat Gérard Larcher et de l'ensemble des groupes politiques sur le projet de loi 3D. Il serait d'ailleurs dommage que le Gouvernement choisisse de ne plus inscrire ce projet de loi à l'ordre du jour parlementaire. S'il venait à être inscrit, ce que je souhaite ardemment, il faudrait, ainsi que le soulignait François Baroin, qu'il aille beaucoup plus loin et soit beaucoup plus décentralisateur. L'organisation de la loi NOTRe vacille et on ne peut pas se contenter d'une loi de déconcentration. Mon président de région, Alain Rousset, demande aux départements d'abonder des fonds, y compris purement régionaux, dans lesquels les départements n'ont théoriquement pas le droit d'intervenir. Néanmoins, nous constatons que si les départements ne viennent pas s'allier à l'État, aux régions et aux intercommunalités pour aider notamment la filière touristique, alors une partie de cette filière va disparaître. Il faudra de la souplesse dans l'immédiat.

Nous avons signé aujourd'hui avec nos trois associations, mais également d'autres associations d'élus locaux, une lettre afin de demander au Gouvernement de mettre en place un observatoire des pertes de recettes de collectivités pour les évaluer et réfléchir à leur compensation. Nous n'avons pas encore évalué les dépenses supplémentaires mais des cabinets spécialisés travaillent actuellement sur cette question, ainsi que sur la projection de l'ensemble de nos dépenses.

Si le rôle des ARS venait à être modifié, la place des collectivités locales devrait y être bien plus importante.

Je souhaite par ailleurs que les départements puissent participer à l'aide aux commerces en difficulté, mais cela nécessite en amont d'assouplir la répartition des compétences entre les collectivités telle que définie par la loi NOTRe.

Nous demandions la suppression de la TVA sur les masques que nous commandions. Un amendement au projet de loi de finances rectificative vient d'être voté à l'Assemblée nationale, pendant notre réunion, abaissant cette TVA à 5,5%. C'est un geste significatif mais nous souhaitons aller plus loin, et donc jusqu'à la suppression totale de la TVA sur nos commandes.

Il faudra revoir entièrement la réforme de la fiscalité locale après cette crise. Nous n'avons pas encore engagé de discussions avec l'État sur la question des recettes des collectivités. Nous souhaitons que cet échange réunisse l'ensemble de nos associations afin de dégager une position commune sur la question des compensations à court terme sur les exercices 2020 et 2021 et sur la réforme plus globale à venir.

Nous aurons des dépenses supplémentaires liées aux EHPAD. Le Premier ministre nous a demandé hier de prendre en charge l'octroi d'une prime complémentaire. Comme les EHPAD ont ou vont hélas perdre des fonctionnaires, cela créera également de nouvelles dépenses

Enfin, concernant les DMTO, nous ne souhaitons pas du tout renoncer à la péréquation. Nous disposerons toutefois de moyens plus limités et la péréquation s'en trouvera nécessairement amoindrie. Nous disposons d'un fonds de réserve et il appartiendra au Comité des finances locales de débloquer son usage. Mais il n'est naturellement pas question d'abandonner les départements les plus affaiblis, qui sont d'autant plus affaiblis, bien que les plus riches soient un peu moins riches. Sans remettre en cause le principe ni les montants, il faudra cependant trouver une clause de revoyure.

M. Renaud Muselier, président de l'association Régions de France. - J'avais dit à la ministre Jacqueline Gourault qu'avant d'envisager le projet de loi 3D, nous avions besoin des 3C : confiance, clarté et compétence. Ma position n'a pas évolué sur ce point, notamment sur la question de la clause de compétence générale. Nous sommes en charge des transports ou de l'économie mais il est prévu dans le projet de loi 3D la possibilité de délégation de compétences. Néanmoins nous ne pouvons nous passer d'une logique structurelle. Nous devons être très clairs sur ce point. Les fonds nationaux peuvent donc faire appel aux régions, puis aux départements, puis aux EPCI. Ainsi, dans ma région, nous avons d'abord structuré notre fonds de soutien avant de faire appel aux métropoles, et trois sur quatre ont donné leur accord pour intégrer ce fonds.

Sur la question des modes opératoires, leur mise en place est très difficile en absence de clarification dans l'exercice des compétences. Quel mode opératoire pour les masques ? Pour les tests ? Peut-on dépister à Marseille mais pas dans le Centre de la France ? Il demeure un flou sur l'application différenciée des modes opératoires selon les territoires.

J'ai entendu beaucoup de remarques sur les ARS. Les relations avec mon ARS sont bonnes et globalement les régions ont très peu de problèmes dans leurs relations avec ces agences. La chose est plus compliquée avec les départements, car le domaine social relève de leur champ de compétences. Les ARS gèrent des situations de carence, de pénurie et ils ne peuvent guère apporter de réponses claires. Cela crée un climat de défiance.

Nous avons un vrai problème de rigidité. Dans notre région, nous avons tous fait l'expérience du télétravail l'an passé. Tous les lycéens de la région sont équipés d'une tablette numérique. Aujourd'hui, plus personne ne nous critique. Tout le monde télétravaille et aucune rupture éducative n'est constatée. Nous pouvons travailler 24 heures sur 24. Ce n'est pas le cas des services de l'État et quand un avion arrive à 16 heures à Roissy en transportant 5 millions de masques, il n'est pas possible, aujourd'hui, de le dédouaner. Quand vous devez envoyer un chèque en Chine pour régler les commandes et que cela coïncide avec le lundi de Pâques, vous êtes coincé. Malgré nos efforts pour accélérer divers processus et sauter quelques étapes, dès que nous nous retrouvons face à l'État souverain, nous subissons les effets d'une énorme pesanteur. La capacité d'adaptation et le matériel font défaut.

Enfin, s'agissant de l'avenir, soit l'administration va vouloir reprendre le pouvoir que nous avons réussi à fissurer en accélérant les dispositifs au risque d'un conflit majeur, soit il y a une prise de conscience de la nécessité et de la capacité à décentraliser, à différencier et à additionner nos forces au service de l'intérêt général. Nos associations, de par nos expériences, peuvent éviter les écueils sénatoriaux, de l'Assemblée nationale, gouvernementaux ou administratifs.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Plusieurs régions, comme le Grand Est qui a été en première ligne dans cette crise, ont pu s'affirmer au fil de cette crise sanitaire. Aujourd'hui un certain nombre de citoyens a vu l'intérêt de disposer à cette échelle d'un outil comme la région.

Je vous remercie, Messieurs les présidents, de nous avoir accordé ce temps d'échanges. Nous gardons naturellement contact et reviendrons vers vous pour vous faire un certain nombre de propositions au titre du Sénat, en lien avec la présidence et les groupes politiques.

Notre prochaine réunion aura lieu jeudi prochain et sera consacrée à l'audition de la ministre Jacqueline Gourault. Cette réunion aura donc contribué tant sur les aspects Covid que sur les questions de décentralisation. Beaucoup ont évoqué la question du projet de loi 3D, y compris ses limites. Nous avons en parallèle des réflexions au Sénat sur la décentralisation à venir, au sein du groupe de travail mis en place par le Président Larcher en janvier dernier. Nous ne voulons pas être en attente d'une proposition gouvernementale qui tarde à se concrétiser mais être force de propositions.

J'invite enfin nos collègues ainsi que les associations à relayer notre consultation en ligne, qui a déjà recueilli beaucoup de réponses.

La téléconférence est close à 16 h 05.