Mardi 26 mai 2020

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La téléconférence est ouverte à 16 h 30.

Table ronde sur l'impact sanitaire et environnemental de la pollution des sols ayant accueilli des activités industrielles ou minières (en téléconférence)

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux, sous forme de table ronde, par l'audition conjointe de Raymond Cointe et Martine Ramel, respectivement directeur général et responsable du pôle « Risques et technologies durables » de l'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), ainsi que de Rafik Hadadou et Philippe Baranger, respectivement directeur et responsable de l'unité « Eau et environnement » du groupement d'intérêt public Geoderis ;

Vos deux organismes sont organiquement liés. En effet, Geoderis est un groupement d'intérêt public constitué par le ministère de la transition écologique et solidaire, l'Ineris et le BRGM.

L'Ineris intervient tout particulièrement dans le diagnostic des risques, notamment sanitaires et écologiques, que présentent les activités industrielles présentes ou passées. Il réalise ainsi des analyses de toxicité à la suite d'identifications de pollutions ou d'accidents industriels, comme nous l'avons observé suite à la catastrophe de Lubrizol, et produit des modélisations des risques correspondants.

Geoderis s'investit dans la gestion de l'après-mine, en apportant son expertise dans la cartographie des terrains miniers et dans l'analyse des risques environnementaux associés.

Nous comptons sur votre éclairage concernant les capacités scientifiques dont dispose l'État à travers vos organismes, afin d'identifier et prévenir les risques sanitaires et écologiques liés aux activités industrielles et minières. Pourriez-vous nous exposer des cas concrets et récents de pollution des sols pour lesquels votre expertise a permis d'orienter l'action de l'État dans la prévention et la gestion de ces risques sanitaires et écologiques ? N'hésitez pas à évoquer des cas pour lesquels votre expertise n'aurait pas été correctement suivie ou l'aurait été insuffisamment, n'empêchant pas la survenue de problèmes sanitaires ou écologiques.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. J'invite chacun d'entre vous, dans l'ordre où je vous appellerai, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et dire : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Raymond Cointe, Mme Martine Ramel et MM. Rafik Hadadou et Philippe Baranger prêtent serment.

M. Raymond Cointe, directeur général de l'institut national de l'environnement industriel et des risques. - Merci de nous donner l'occasion de nous exprimer sur ce sujet.

Je rappelle que l'Ineris est l'héritier du centre d'études et de recherche des charbonnages de France, le Cerchar. Il a été créé en tant qu'établissement public à caractère industriel et commercial en 1990, lorsqu'il a été décidé d'abandonner l'exploitation du charbon en France, sous la tutelle du ministère chargé de l'environnement, ce qui n'était pas fréquent. Nous avons depuis cette date un rôle d'appui et de conseil aux pouvoirs publics et aux entreprises en matière de maîtrise des risques dans le domaine industriel, et des pollutions liées aux activités économiques. Nous n'avons en revanche aucun rôle de gestion de risque, qui relève de la responsabilité des pouvoirs publics ou de l'industriel lui-même.

Dans le domaine des sols, nous avons acquis une expertise historique sur deux volets : le volet géotechnique concernant la problématique de sécurité immédiate, relative aux mouvements de terrain pouvant affecter les biens et les populations proches d'anciennes exploitations minières notamment, et l'évaluation des risques sanitaires. Ces évaluations visent à prévenir et gérer sur le long terme les risques potentiels encourus par les populations vivant à proximité d'une source de pollution. L'objectif est d'estimer l'exposition des riverains et de la rapporter à des valeurs servant de référence. Nous émettons ainsi des recommandations concernant des valeurs limites d'émission, restreignant le cas échéant certains usages ou proportionnant un plan de surveillance des émissions.

Le directeur général de la prévention des risques l'a déjà rappelé lors d'une audition, l'histoire minière de l'Ineris a de fortes implications en matière de gestion de l'après-mine, du fait des spécificités du code minier. Pour encourager l'exploitation des sous-sols et des mines, la France a en effet mis en place au début du 19e siècle un droit particulier permettant de passer outre les réticences des propriétaires du sol pour exploiter le tréfonds. Les préoccupations environnementales étaient sans doute moins fortes à l'époque qu'aujourd'hui. En contrepartie, l'État s'est rendu garant de la réparation des dommages causés par l'activité minière de l'exploitant en cas de disparition ou de défaillance. Nous en observons aujourd'hui les conséquences.

Un certain nombre de difficultés liées à l'après-mine sont apparues dans les années 1990. La disparition progressive des opérateurs miniers et du Cerchar, auquel nous avons succédé, et l'érosion des compétences dans le domaine ont conduit les ministères à mettre en place un dispositif spécifique concernant l'après-mine. Une maîtrise d'ouvrage des interventions nécessaires est assurée par le ministère en charge de l'environnement. Celui-ci s'appuie d'une part sur le groupement d'intérêt public Geoderis, et d'autre part sur un assistant et un maître d'ouvrage, voire un maître d'ouvrage délégué, qui est le département prévention et sécurité minière (DPSM) du BRGM. Geoderis a été créé à cet effet. Il est constitué, vous l'avez dit, entre le ministère, le BRGM et nous-mêmes afin de rassembler l'ensemble des compétences disponibles en la matière.

Évidemment, l'activité minière n'est pas la seule à impacter la pollution des sols. Nous devons noter l'importance du code de l'environnement, qui suit un principe général assez différent de celui du code minier. En effet, il ne transfère aucune responsabilité de l'exploitant vers l'État pour la réparation des dommages. L'objectif est de faire jouer autant que faire se peut la responsabilité de l'exploitant, voire celle du propriétaire du sol. De ce fait, il n'y a pas de maîtrise d'ouvrage de l'administration, en dehors de quelques cas exceptionnels, tels que les sites orphelins. Notre intervention dans ce domaine est potentiellement assez différente. Nous sommes amenés à intervenir en ce qui concerne la réglementation liée au code de l'environnement en appui à l'administration, tant dans l'élaboration de la législation que dans celle de guides permettant d'émettre des recommandations aux pouvoirs publics et aux gestionnaires des sites. Le cas échéant, nous donnons un avis indépendant sur les études proposées par l'exploitant, ou appuyons directement ce dernier.

Mme Martine Ramel, responsable du pôle « Risques et technologies durables » de l'institut national de l'environnement industriel et des risques. - En appui au ministère de l'écologie, nous élaborons les guides de référence sur l'ensemble du périmètre de l'évaluation des risques. La méthodologie d'évaluation des risques sanitaires intègre une phase d'évaluation des expositions, qui est extrêmement importante. En amont de celle-ci, des diagnostics de pollution dans les différentes matrices environnementales doivent être menés. L'évaluation des risques sanitaires est réalisée en comparaison avec des valeurs sanitaires de référence. Ces guides permettent de disposer de méthodologies homogènes sur l'ensemble du territoire. Les bureaux d'étude s'en emparent pour mener les études sur le terrain.

Sur les sites miniers, l'ensemble des études réalisées pour Geoderis constitue les exemples les plus concrets. Nous réalisons à leur demande l'ensemble des volets d'évaluation des risques sanitaires, selon la même logique que celle que je viens de vous exposer : caractérisation des milieux, caractérisations des expositions et calcul des risques sanitaires jusque la rédaction de recommandations de réduction des risques par la réduction des expositions.

Je peux également citer l'accompagnement d'un industriel dont l'ensemble du site en activité est pollué par une pollution antérieure, essentiellement ciblée sur des polluants volatiles. Ces pollutions mettent longtemps à se révéler dans leur environnement, car elles imprègnent les sols avant de se transférer vers les eaux souterraines. Elles retournent ensuite vers les milieux d'exposition plusieurs années plus tard. Nous accompagnons cet industriel depuis plusieurs années, à la demande de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Nous sommes d'abord intervenus en tiers expertise. Nous l'accompagnons encore pour identifier les priorités d'action et définir les actions de remédiation possibles sur ce site, dans une logique d'évaluation et de recommandations.

M. Rafik Hadadou, directeur du groupement d'intérêt public Geoderis. - Geoderis est un groupement d'intérêt public entre le BRGM et l'Ineris, créé en 2001 pour dix années. Il a d'abord été reconduit pour dix ans, puis par anticipation jusqu'en 2026. Nous sommes opérationnels depuis 1999, suite à des affaissements spectaculaires survenus dans le bassin lorrain à la fin des années 1990. Plus de 140 familles ont été évacuées sur la commune d'Auboué, par exemple. L'État a alors décidé de mettre en place cet outil pour appuyer la Dreal dans la gestion de ces crises.

Geoderis emploie aujourd'hui 21 ingénieurs et techniciens répartis sur deux antennes, à Metz et Montpellier. Nous sommes contrôlés par une assemblée générale à laquelle siègent trois représentants du BRGM, trois représentants de la direction générale de la prévention des risques (DGPR), trois représentants de l'Ineris, le commissaire du Gouvernement et le contrôleur général économique et financier. Son président vient du BRGM. Le groupement est totalement financé par l'État. Nous disposons à ce jour d'environ d'un budget de six millions d'euros.

Nous travaillons sur un programme annuel, validé en assemblée générale et sur demande des Dreal, sur une planification en termes d'aléas et de mouvements de terrain, ou sur une étude environnementale. Nous gérons également une base de données. En France, nous dénombrons aujourd'hui plus de 5 600 titres miniers. Plus de 3 000 communes sont concernées par l'exploitation minière.

Nous sommes organisés par axes thématiques, en petites équipes : une unité « Mouvements de terrain et gaz de mine », une unité « Eau et environnement » et une unité « Base de données ».

En termes de missions, nous inventorions et hiérarchisons tous les types de risques. Nous avons réalisé un inventaire de tous les sites potentiellement à risque de 2008 à 2012 pour identifier, le cas échéant, un cas tel que celui arrivé subitement en Lorraine. Depuis ce commentaire, nous réalisons des études d'aléas détaillées.

Concernant les études environnementales, un inventaire a également été demandé. Nous avions déjà commencé à lister quelques sites problématiques tels que Pechelbronn en Alsace.

Conformément à l'article 20 de la directive européenne 2006/21/CE, nous avons réalisé un inventaire de tous les déchets miniers, qu'ils soient métalliques ou de charbon.

Nous sommes en train de mener des études environnementales d'interprétation de l'état des milieux (IEM) avec l'appui du BRGM et de l'Ineris. Nous dressons les synthèses et accompagnons ensuite les Dreal dans les communications à l'intention des élus, en présence des services de l'État.

L'une de nos missions est davantage liée aux problématiques de mouvements de terrain. Nous l'appelons « Reconnaissance et étude de risques ». Nous réalisons une étude d'aléas et de mouvements de terrain concernant des zones comprenant des habitations ou des endroits stratégiques. Nous précisons les risques en faisant rouvrir les anciennes mines lorsque cela est possible. Dans le cas contraire, nous réalisons des forages et inspectons la surface grâce aux outils modernes dont nous disposons.

La base de données n'est pas encore publique, mais est vouée à le devenir. Elle contient toutes nos études et toutes les informations recueillies dans les archives départementales et nationales, au niveau des Dreal et des communes.

14 interprétations de l'état des milieux (IEM) ont été réalisées depuis la fin de l'inventaire. Cinq sont encore en cours. Il en restera cinq à effectuer.

Je peux citer quelques sites problématiques pour répondre à vos questions : La Croix-de-Pallières dans le Gard, Le Bleymard en Lozère ou encore Le Pic de la Fourque en Ariège.

M. Laurent Lafon, président. - J'ai compris que 14 études étaient réalisées, et que 5 autres étaient programmées. Est-ce bien cela ?

M. Rafik Hadadou. - Cinq études sont en cours et déjà engagées. Cinq doivent encore être engagées. Un planning a été établi avec l'administration. Il devait se terminer en 2021. Nous l'avons mis à jour et reporté à 2022 en raison du confinement. Nous pourrons ainsi finaliser les études connues aujourd'hui sur toute la France.

M. Philippe Baranger, responsable de l'unité « Eau et environnement » du groupement d'intérêt public Geoderis. - Geoderis a réalisé l'inventaire des déchets miniers, suite à l'article 20 de la directive européenne sur les déchets de l'industrie extractive. Nous avons d'abord eu à rechercher relativement rapidement l'ensemble des archives que nous pouvions rassembler pour caractériser et identifier les différentes sources de pollution sur les sites de la base de données. Nous avons ensuite fait des visites de terrain sur les sites les plus importants, qui nous paraissaient potentiellement présenter le plus d'impact. 630 sites ont été visités en 2 ans, ce qui a représenté un travail considérable. Nous nous sommes bien entendu appuyés sur l'Ineris et le BRGM. À la suite de ces visites, nous avons mis au point une méthodologie de classement des sites, classant les secteurs en fonction de leur potentiel d'impact environnemental et de risque sanitaire.

Nous avons identifié six classes, de A à E. La classe E, rassemblant les sites présentant le plus d'impact potentiel, fera prioritairement l'objet d'études sanitaires et environnementales. La classe A, pour sa part, représente les sites qui ne présentent aucun risque sanitaire et environnemental à nos yeux, ou très peu. Pour l'instant, toutes les IEM évoquées par monsieur Hadadou portent sur les sites classés en D et E. Nous en avons identifié environ 26 en 2012. Nous en avons réalisé 14. Il en reste une dizaine. Certains sites sont encore occupés par un exploitant. Nous n'y intervenons donc pas.

Cet inventaire permet de choisir les sites à traiter prioritairement.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - La loi de 1 999 est présentée comme un progrès en matière de réparation des dommages miniers, devant être pris intégralement en charge par l'État. Il s'avère pourtant que les dommages miniers en question restent très circonscrits et se limitent aux risques physiques tels que des affaissements. N'est-il pas temps d'actualiser le code minier afin de permettre une réparation des dommages sanitaires et écologiques liés aux activités minières ? Dans ce cas, l'État doit-il les prendre intégralement en charge, ou une responsabilisation pleine et complète de l'exploitant est-elle envisageable ?

Par ailleurs, je m'interroge sur la méthodologie de l'Ineris pour procéder à l'analyse des risques sanitaires occasionnés par une pollution industrielle, accidentelle ou chronique. Vos services effectuent-ils directement les prélèvements que vous analysez ? Si ce n'est pas le cas, pouvons-nous faire pleinement confiance aux organismes auxquels vous confiez cette mission ? Sont-ils certifiés, et observent-ils une méthodologie éprouvée scientifiquement ?

Je salue les efforts déployés par l'Ineris et Geoderis dans la modélisation des risques sanitaires et écologiques associés aux activités industrielles et minières. Vos études me semblent toutefois d'une complexité redoutable. Elles sont finalement difficilement compréhensibles des élus locaux et du grand public qui ne disposent pas toujours de l'expertise nécessaire. Selon vous, les recommandations que vous formulez dans vos études sont-elles toujours suivies d'effet et mises en oeuvre par les autorités sanitaires ? Dialoguez-vous uniquement avec les services de l'État pour expliquer vos recommandations, ou effectuez-vous également un travail de pédagogie auprès des élus locaux ?

Notre commission d'enquête a, entre autres, pour objectif de formuler des propositions pour améliorer la cartographie des risques sanitaires et écologiques liés à la pollution des sols. La base Basol semble incomplète et difficile d'accès. Les secteurs d'information sur les sols (SIS) ne sont pas encore achevés. Pouvons-nous envisager dans un avenir proche la mise en place d'une cartographie accessible au grand public, qui permettrait d'identifier les risques sanitaires et écologiques associés aux sols pollués ?

Les inondations survenues dans l'Aude il y a un an et demi ont révélé les pollutions liées à l'exploitation des mines de Salsigne et des sites orphelins autour de la vallée de l'Orbiel. J'en retiens que le risque naturel remet parfois en lumière des préoccupations perdues de vue. Les maires et élus de terrains connaissant l'histoire de leur territoire, je crois qu'il pourrait être important de les associer.

En répondant au questionnaire que nous avions transmis, vous avez considéré que la démarche nationale d'évaluation des risques ne comportait pas de zones d'ombre ou d'angles morts. Je pense à l'expansion urbaine sur d'anciens territoires industriels tels que les lotissements bâtis à Achères sur les anciens terrains d'épandage du syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (Siaap). Beaucoup de Français vivent aujourd'hui sur ces terrains pollués par des exploitations sans aucune évaluation des risques pour leur santé. Ne considérez-vous pas qu'il s'agisse d'un angle mort ?

Les techniques que vous avez développées fort brillamment sont importantes. Elles n'ont toutefois d'intérêt que si elles trouvent une application directe par rapport au lieu et à la sécurité des populations qui y vivent. Je suis admirative de l'apport scientifique et théorique. Pour autant, le vécu des personnes sur ces secteurs revêt pour moi une importance majeure. Il se doit d'être traduit dans les faits.

Vous justifiez dans vos réponses le guide méthodologique qui a été réalisé par le BRGM en 2017. Il n'a lui aussi que la portée d'un guide. Il n'a pas de portée juridique contraignante. Pensez-vous qu'inscrire des préconisations de ces textes et guides dans la loi pourrait être utile ?

Vous évoquez majoritairement les études que vous réalisez sur les anciens sites miniers. Êtes-vous vraiment chargés de suivre leur mise en oeuvre ? L'étude est passionnante. Il est toutefois important de connaître ces débouchés. Exercez-vous le suivi de la mise en oeuvre de ces recommandations pour vous assurer de sa conformité aux conseils fournis ?

M. Rafik Hadadou. -Effectivement, la loi minière de 1999 était basée sur des problèmes de sécurité publique. L'aspect environnemental n'était pas pris en compte. Selon moi, le code minier était basé sur les évènements du bassin ferrifère lorrain, assez spectaculaires et ayant nécessité d'évacuer plusieurs fermes, bien que par chance aucun mort n'ait été dénombré. L'État a pris en charge les dégâts. La création de l'après-mine et du DPSM en ont résulté.

Le code minier pourrait être amené à évoluer. Au même titre que les mouvements de terrain, je pense que nous devons prendre en compte le code de l'environnement. Tout dépendra d'autres facteurs.

Les prélèvements sont effectivement réalisés par Geoderis, en collaboration avec l'Ineris pour les aspects sanitaires. Cette méthodologie est connue et a fait ses preuves. Nous pouvons lui faire confiance.

Concernant votre question suivante, je suis moi-même étonné de la longueur des rapports de 400 ou 500 pages de Geoderis. Toutefois, une synthèse vulgarisée est fréquemment rédigée par Geoderis, afin de rendre le dossier accessible à tous les élus. Une communication est préalablement diffusée aux élus, en présence du préfet ou du sous-préfet, afin d'expliquer ce que nous allons faire. Ensuite, les résultats sont communiqués en la présence de la Dreal et de l'agence régionale de santé (ARS). Effectivement, certaines personnes posent des questions d'ordre technique. Nous sommes obligés d'y répondre.

Je ne connais pas très bien la base Basol. Nous avons répondu que les secteurs d'information sur les sols étaient en cours. Nous sommes totalement impliqués et fournissons toutes les informations dont nous disposons. Bon nombre de sites sont aujourd'hui prêts à être intégrés dans ces SIS. Ils nous semblent être les outils les plus adaptés aujourd'hui. Ils permettent aux individus de connaître la teneur en plomb de leur parcelle, par exemple. L'outil est systématiquement porté à connaissance par les préfets.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je précise ma question. Des enfants ont été touchés par l'arsenic. Les inondations ont montré que les politiques de confinement n'ont pas tenu le choc. Les systèmes étaient pourtant prévus pour tenir 30 ans. En a résulté un risque sanitaire manifesté par des taux très élevés chez les enfants. Les nouvelles populations arrivées sur site après 20 ou 25 ans n'ont pas toujours connaissance de ce qui s'est passé plus tôt sur leurs terrains. Les cours ou les écoles ne peuvent plus être utilisées puisque les inondations ont apporté de l'arsenic partout. Cette situation montre qu'une étude n'est pas figée. Les pollutions bougent. La terre vit. En se régénérant, elle transforme les problématiques. D'autres études doivent donc être menées. L'empilement d'études décontenance les élus, les populations et les services publics. Dans ce sens, je crois que nous devons simplifier les usages et voir ces enquêtes déboucher.

M. Rafik Hadadou. - Effectivement, certains cas aggravants interviennent dans des situations déjà potentiellement à risque. Nous les prenons généralement en compte dans nos recommandations. Nous préconisons par exemple une surveillance en suivant les sites. Nous considérons tous les facteurs connus à ce jour dans notre analyse. Nous essayons d'émettre un maximum de recommandations afin de maîtriser le risque.

Vous avez cité le site d'Achères. Je ne le connais pas.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Il est situé dans les Yvelines.

M. Rafik Hadadou. - S'il ne s'agit pas d'une mine, nous n'intervenons pas.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Ce n'est effectivement pas une mine. Je cherchais à illustrer la question de la santé et les questionnements des riverains.

M. Rafik Hadadou. - Nous sommes associés, sous l'égide du ministère, pour transmettre au DPSM et au conseil minier des recommandations. Nous sommes ensuite informés de l'avancement des travaux, mais pas d'une manière officielle. Si, pour supprimer un risque, les travaux sont réalisés par analogie avec les études d'aléas de mouvements de terrain, nous devons savoir s'ils ont été menés conformément aux recommandations. Nous pouvons ainsi éventuellement modifier la carte, si une mise en sécurité a été réalisée. Nous sommes donc associés, sans suivre les travaux durant la mission.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Dans la mesure où il n'a pas de portée juridique contraignante, pensez-vous qu'il serait judicieux de traduire le guide des bonnes pratiques de façon législative ?

M. Rafik Hadadou. - L'Ineris, ayant rédigé les guides, pourra vous répondre. Ces guides constituent selon nous une aide à la décision. Une notion d'expertise en découle : nous tenons compte des seuils et des normes. Le retour d'expérience peut également faire évoluer la méthodologie. Des points sont régulièrement organisés à ce sujet entre le BRGM, l'Ineris et Geoderis.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Les administrations, hôpitaux et autres établissements disposent tous de leurs guides méthodologiques. Ce sont presque des documents internes, même s'ils acquièrent une certaine validité et s'ils sont suivis par différents organismes. Ils n'ont aucun aspect contraignant si nous devons rechercher une responsabilité par défaut, non pas pour condamner, mais pour que les usagers et concitoyens connaissent l'arsenal législatif à leur disposition.

M. Rafik Hadadou. - Nous appliquons le guide méthodologique, et avons notre avis à donner. Je ne sais pas si l'Ineris pourra répondre concernant l'aspect juridique.

M. Raymond Cointe. - Ces questions sont assez juridiques. Nous ne sommes pas forcément les mieux placés pour y répondre. Nous devons trouver le bon équilibre entre ce qui relève de dispositions législatives ou réglementaires, ou de dispositions sous forme de guides, ayant pour objectif d'expliquer et détailler l'application de la législation.

Nos guides méthodologiques n'auraient pas vocation à figurer dans une loi, compte tenu de leur caractère technique et évolutif. Je pense que la réglementation renvoie déjà à un certain nombre de principes, puis à l'application de guides. Vous citiez précédemment la gestion de l'accident de Lubrizol. Dans la gestion de crise en situation post-accidentelle, des circulaires renvoient à des méthodologies appliquées de manière homogène par l'ensemble des services de l'État, et notamment les services déconcentrés. Un certain nombre d'éléments relèvent, je pense, du niveau législatif ou réglementaire. D'autres se rapprochent davantage d'une doctrine de mise en oeuvre.

Il est nécessaire de trouver un équilibre et de bien positionner le curseur entre ce qui relève de la réglementation et de la législation, et ce qui relève du guide méthodologique, par essence technique et évolutif.

Concernant l'après-mine et l'actualisation du code minier, ma réponse sera similaire à celle de Geoderis. Elle relève selon moi davantage de la responsabilité d'une décision politique.

Je rappelle que deux types de logiques peuvent entrer en oeuvre. La première, héritée du code minier, porte sur une responsabilité de l'État en dernier ressort pour réparer les dommages. La seconde, héritée du code de l'environnement, porte sur la responsabilisation de l'exploitant. Nous ne trouvons pas toujours d'exploitant solvable. Un problème de mise en oeuvre de la réparation des dégâts et de la dépollution peut alors se poser.

À l'inverse, une responsabilité automatique de l'État déresponsabiliserait les exploitants. Il est évident que la priorité, pour éviter les problèmes de sols pollués, est d'éviter que de nouveaux sols ne le soient. Pour ce faire, nous devons faire en sorte que les exploitants soient responsabilisés et ne polluent plus les sols qu'ils occupent.

Le curseur est difficile à placer entre une logique d'indemnisation par l'État, permettant de répondre rapidement aux demandes légitimes des personnes sur ces sites pollués, et une logique de responsabilisation de l'exploitant visant à prévenir les pollutions. Je crains de ne pouvoir en dire beaucoup plus, en tant qu'expert technique.

Sur les méthodologies et les questions de prélèvements, nous sommes à l'Ineris amenés à réaliser un certain nombre de prélèvements, voire à mener un certain nombre d'analyses. Ceci étant, nous n'avons pas la possibilité de le faire systématiquement, pour des raisons de disponibilité de nos équipes par exemple. Nous pouvons donc recourir à de la sous-traitance. Dans ce cas, nous sommes très vigilants quant à la qualité des personnes que nous sommes amenés à faire intervenir. Un problème plus général de compétence des bureaux d'étude peut se poser. Elle n'est pas de notre responsabilité directe. Il est évident que l'élaboration des guides méthodologiques vise à faire monter en qualité les divers intervenants dans la chaîne.

Le cas de Lubrizol pose typiquement la question de savoir gérer en urgence les questions d'analyse de prélèvement. Il a d'ailleurs été décidé que les laboratoires de l'Ineris mèneraient ces analyses, compte tenu de la sensibilité de la situation et de l'urgence de les réaliser.

Je ne peux qu'acquiescer lorsque vous évoquez la complexité redoutable des études et des modélisations. C'est vrai de manière générale en matière d'évaluation du risque, et encore plus dans le domaine de la pollution des sols. Ce milieu est encore plus compliqué que l'air ou l'eau. Nous imaginons qu'il est assez simple d'évaluer les risques liés au fait de boire de l'eau. C'est bien plus compliqué pour les sols, en raison des sources d'exposition et des transferts dans l'environnement. De plus, la méthodologie est très compliquée. Nous avons certainement des efforts à réaliser en termes de pédagogie, de discussion et d'évolution de nos méthodes et de concertation avec l'ensemble des parties prenantes.

Il est vrai que l'Ineris se concentre sur le volet national d'élaboration de guides, bien que nous soyons présents sur un certain nombre d'études locales. Nous avons essayé, avec un succès relatif, d'associer des parties prenantes dans nos instances de gouvernance. Une commission d'orientation de la recherche et de l'expertise est composée d'élus locaux, de représentants des entreprises, de syndicats ou encore d'associations environnementales. Ils sont consultés sur nos programmes de travail et sur la manière dont nous pouvons communiquer sur les différents sujets.

L'ancien maire de Moyeuve-Grande, René Drouin, est membre de notre instance de gouvernance. Il participe activement à nos travaux, et particulièrement au volet de l'impact en termes d'effondrement minier. Nous avons à coeur d'associer les élus à nos réflexions.

Nous n'intervenons absolument pas dans l'élaboration des bases de données sur les sols pollués. De manière générale, nous ne pouvons être que favorables à ce que les bases sur les sujets environnementaux soient rendues accessibles. Nous en gérons un certain nombre dans le domaine de la qualité de l'air.

Sur le sujet de Salsigne et des inondations, je pense qu'il est utile d'associer autant que possible les élus à toutes les études qui peuvent être menées. Nous souhaitons, à l'Ineris, les associer à nos réflexions globales en termes de méthodologie, plutôt que sur des dossiers plus ponctuels. Nous y intervenons plutôt en appui à la puissance publique locale, que directement en tant que gestionnaires du sujet.

Je pense que la réponse que nous avons apportée au questionnaire concernant les angles morts ne doit pas être sur-interprétée. Nous avons compris la question sur le volet méthodologique. De notre point de vue, nous considérons que la méthodologie utilisée pour évaluer les risques sanitaires liés aux sites et sols pollués ne comporte pas vraiment d'angles morts. Pour autant, le sujet est très complexe. Des progrès scientifiques peuvent toujours se produire. Des recherches sont en cours.

Il est évident qu'une excellente méthodologie est inutile si l'histoire d'un certain nombre de sites et sols pollués a été perdue. Il est problématique de ne pas savoir qu'une crèche ou une école est construite sur un site pollué.

Nous en arrivons plus à des lacunes sur la connaissance du passif existant en matière de sites et sols pollués plutôt que sur le sujet précis de la méthodologie pour évaluer les risques associés à un cas identifié. Un deuxième sujet se pose concernant ensuite le traitement lui-même.

Concernant la mise en oeuvre de nos recommandations, nous sommes amenés à intervenir dans des situations assez différentes. Notre intervention et le suivi de nos recommandations seront différents si nous intervenons à la demande des pouvoirs publics ou en tierce expertise, ou si nous sommes amenés à nous autosaisir. Tous les éléments que nous produisons sont rendus publics. C'est un premier élément pour nous assurer du suivi des recommandations émises. Si nous travaillons en accompagnement industriel, dans le cadre d'une prestation privée, nous avons un devoir d'alerte, que nous avons déjà été amenés à exercer. Si nous jugeons qu'une situation est problématique, nous serons amenés à en alerter les autorités en charge du dossier.

Nous avons le sentiment qu'il est rare que nos recommandations ne soient pas suivies.

M. Alain Duran. - La rapportrice a parlé de confiance. Force est de constater qu'elle n'est pas au rendez-vous du grand public, malgré la qualité de vos travaux. Nos citoyens expriment régulièrement des doutes vis-à-vis des risques industriels. Une mine de tungstène a cessé son activité en 1986 dans mon département, suite à l'effondrement du cours de tungstène orchestré par la Chine, dont nous sommes aujourd'hui totalement dépendants. Dans le contexte sanitaire actuel, nous sommes appelés à relocaliser nos activités. Un projet de réouverture est à l'étude. La préfète rencontre de nombreuses difficultés pour trouver des soutiens.

À la suite de la catastrophe de Lubrizol, nos collègues de l'Assemblée nationale ont déposé une proposition de loi pour créer une autorité indépendante qui serait un véritable gendarme des sites Seveso. Dans le système actuel, le préfet est à la fois juge et partie. Il ne peut pas remplir correctement ses missions sur des sujets aussi sensibles. Pourriez-vous me faire part de votre avis concernant cette initiative parlementaire ? Elle permettrait de réconcilier les autorités et nos administrés sur ce sujet sensible. Nous avons tout intérêt à retrouver notre autonomie dans des secteurs aussi stratégiques que le tungstène.

M. Raymond Cointe. - Il m'est compliqué de vous répondre. Si vous effectuez une comparaison avec le secteur nucléaire, l'Ineris est plus ou moins équivalente à l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), expert technique travaillant pour l'autorité de sûreté nucléaire. Nous sommes l'expert technique travaillant sur le risque industriel, non pas sous la forme d'une autorité indépendante, mais pour le compte du ministère chargé de l'environnement, et plus particulièrement de la direction générale de la prévention des risques. Je pense qu'il n'est pas de mon rôle de répondre concernant le rôle de la DGPR et d'une potentielle agence indépendante pour améliorer la situation. De mémoire, je pense que la raison essentielle ayant conduit à la création d'une autorité de sûreté nucléaire ne portait pas tellement sur des questions de crédibilité, mais plutôt des questions de potentiels conflits d'intérêts entre l'État, actionnaire de l'exploitant des centrales nucléaires, et de l'État régulateur. Dans la situation des industries et notamment des sites Seveso, nous ne sommes absolument pas dans la même configuration. L'État n'est pas actionnaire des grandes installations à risque. Je n'ai aucune raison de douter de l'indépendance des positions prises par la DGPR, les services déconcentrés de l'État et les préfets dans ce type de situation.

M. Joël Bigot. - Merci pour toutes ces informations. Les diagnostics que vous réalisez peuvent-ils mettre en évidence des migrations de particules, notamment dans les zones souillées par des hydrocarbures, et donc des pollutions ? Pouvez-vous cartographier de manière dynamique et dans le temps les risques sur la terre, l'eau et l'air ? C'est important lorsque nous souhaitons urbaniser certains secteurs. Cet outil pourrait être très utile pour les collectivités, à l'heure où le foncier se raréfie et où nous devons lutter contre l'artificialisation des sols.

De votre point de vue, pouvons-nous parler d'économie circulaire des sols ? La réparation de la nature est-elle possible ? Comme réparer la destruction de la biodiversité ?

Relevez-vous l'impact de la pollution plastique dans les sols, et notamment celle des micro-plastiques ? Quels peuvent être les vecteurs de substances chimiques ? Quelles sont les dépollutions possibles pour ce type de pollution des sols ?

Je m'interroge également concernant la prescription trentenaire. La recherche de la responsabilité est parfois extrêmement difficile, notamment lorsque les exploitants ont disparu de la circulation ou ne sont pas solvables. Pensez-vous qu'il soit souhaitable de la maintenir ?

M. Raymond Cointe. - Les micro-plastiques dans les sols constituent un sujet émergent en matière de prévention et d'évaluation des risques. À l'Ineris, nous essayons d'avoir une vision globale de l'évaluation des risques, notamment émergents. Nous avons beaucoup parlé de la présence de micro-plastiques dans l'ensemble des milieux. Ce sujet est émergent au niveau de la recherche. Nous sommes assez actifs en la matière, dans le cadre de partenariats européens. Il s'agit, je pense, d'un sujet qui prend de l'importance dans l'agenda de recherche européen.

Concernant les friches urbaines et le souci de réutiliser, dans la mesure du possible, les sites anciennement occupés par des industries, et donc potentiellement pollués, nous essayons de développer des méthodes. C'est la spécificité de l'évaluation des risques dans le domaine des sols pollués en France. Des études sont systématiquement menées en fonction de l'usage qui sera fait des sols. Nous pourrions suivre deux doctrines différentes. La première consisterait à fixer des valeurs limites de divers types de polluants partout dans les sols, en fixant comme objectif de dépolluer en atteignant ces valeurs. Ce n'est pas du tout la doctrine française. Nous regardons le niveau de dépollution le plus adapté en fonction de l'usage futur du site. La construction d'une crèche, la faible habitation d'une zone ou l'installation d'une industrie ne nécessiteront pas les mêmes niveaux de dépollution pour tous les polluants. C'est ce qui explique la complexité des études et des méthodologies existantes, pour protéger les populations dans les conditions économiques les plus acceptables possibles. Calibrer le niveau de dépollution en fonction de l'usage des sols nécessite des méthodologies sophistiquées.

Mme Martine Ramel. - Dans le domaine des sols pollués, il est totalement impératif que les diagnostics intègrent tous les phénomènes de migration et de transfert, tant au niveau des particules qu'au niveau des migrations entre les sols et les nappes souterraines. Dans tous les diagnostics réalisés, nous recommandons de regarder tous les risques de ré-envol de poussière vers les environnements proches ou les populations, et d'observer les migrations au sein d'un milieu et les pollutions vers les nappes souterraines. Nous le faisons lorsque nous sommes opérateurs.

Au niveau de l'Ineris, nous ne faisons pas de dépollution à proprement parler. Pour autant, une technologie de phytoremédiation se développe pour certains sites sans pression foncière. Après une dizaine d'années de travaux de recherches, nous commençons à avoir des idées assez construites sur les situations pour lesquelles ce type de technologie est possible ou non. La phytoremédiation, technique douce, suit une logique de réparation et de reconstitution de la biodiversité.

Nous venons de démarrer un programme de recherche européen, financé par l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) au niveau français, dont le seul objectif durant un an est de dresser un état des lieux des connaissances sur la présence des micro-plastiques dans les sols. Nous démarrerons un séminaire de réflexion cet automne, afin de réunir l'ensemble des connaissances déjà disponibles sur le sujet.

Mme Maryse Carrère. - Vous évoquiez 5 000 sites miniers inventoriés aujourd'hui, avec votre méthodologie de classement de A à E. Pensez-vous avoir fait le tour des sites miniers sur le territoire ? Avez-vous prévu d'en inventorier davantage ? Certains pourraient-ils vous avoir échappé ? Le cas échéant, quels sont les critères pour être inventoriés dans votre base ?

Aujourd'hui, l'État vous mandate pour réaliser cet inventaire et pour mener des études. Vous avez pourtant indiqué que vous pouviez vous autosaisir. Sur quelles bases le faites-vous ? Des collectivités peuvent-elles également vous saisir ?

M. Rafik Hadadou. - Nous existons depuis vingt ans. Grâce aux archives des Dreal et des communes, et aux archives nationales, nous pensons aujourd'hui avoir tout inventorié. Nous avons compté les sites, concessions, sites miniers exploités aux Moyen-Âge, dont seule une trace administrative a été conservée. Dans certains cas, nous le découvrons sur le terrain. Dans d'autres cas, un effondrement se crée. Ils sont toutefois marginaux.

Geoderis n'intervient que pour l'État. Il arrive parfois, pour des cas très spécifiques, que les gestionnaires de site fassent appel à nous. C'était le cas de l'autoroute A4, gérée par la société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (Sanef), qui traverse des sites miniers. Toutes les études ont été réalisées par Geoderis. Cet appui reste marginal, sous forme de prestation et avec l'accord de la Dreal.

M. Raymond Cointe. - Je rappelle que l'Ineris est un établissement public. À la différence de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS), par exemple, nous ne faisons pas l'objet de saisines des ministères. Un contrat d'objectifs et de performance sur cinq ans fixe les grandes orientations de notre programme de travail, discuté en lien avec notre ministère de tutelle. Nous sommes en train de préparer le prochain contrat couvrant la période de 2021 à 2025. Ensuite, un programme annuel est arrêté par notre conseil d'administration. Nous décidons des sujets sur lesquels nous travaillons. Depuis quelques années, nous avons mis en place un dispositif de concertation avec les parties prenantes de la gouvernance environnementale. Nous pouvons associer la commission que j'évoquais tout à l'heure à l'élaboration de notre programme de travail annuel. Le cas échéant, à la demande notamment de cette commission, nous pouvons être amenés à nous saisir de certains sujets. Il s'agit a priori de sujets à portée nationale, portant notamment sur certaines études ou méthodologies.

En tant qu'établissement public à caractère industriel et commercial, nous pouvons être sollicités par les collectivités locales, sur des sujets très ponctuels.

M. Laurent Lafon, président. - Dans le questionnaire, vous indiquiez qu'il existait plus ou moins 500 substances polluantes, et seulement une soixantaine de valeurs toxicologiques de référence (VTR). Nous sommes étonnés de leur faible nombre. Pourriez-vous nous l'expliquer ? Poursuivez-vous leur mise en place ?

Ma seconde question porte sur une pollution qui commence à être médiatisée : les perfluorés PFAS et les PFOS. Quelle perception avez-vous de cette pollution à l'Ineris ?

Enfin, vous avez fait référence à des pollutions existant sur des sols dont nous ne connaissions pas le passé industriel. Il y a quelques années, un travail avait porté sur les crèches et les écoles construites sur des sites qui se sont révélés pollués. Cette évaluation a été arrêtée il y a quelques années, alors qu'elle n'avait pas été menée à son terme. Savez-vous si elle sera poursuivie ? L'Ineris en était-elle une partie prenante ?

Mme Martine Ramel. - Nous avons contribué à cette opération en appui au ministère de l'écologie. Le BRGM a piloté cette mission, en constituant un groupe de travail. Le ministère travaille depuis très longtemps de cette manière en matière de sols pollués. Un groupe de travail a travaillé de façon collégiale avec le BRGM, l'Ademe et l'Ineris. Nous avions un rôle d'expert sur l'utilisation des valeurs toxicologiques de référence et de hiérarchisation sanitaire des situations en cas de besoin.

À ma connaissance, l'opération a été arrêtée pour des raisons de budget. Ceci n'étant pas de notre ressort, nous ne disposons pas de davantage d'informations. Nous sommes toutefois encore mobilisés sur la fin des dossiers continuant d'être traités.

Concernant les valeurs toxicologiques de référence, je crois que notre réponse n'était pas suffisamment claire. Je pense qu'il existe bien plus que 500 substances susceptibles de polluer un sol. Leur nombre doit plutôt atteindre plusieurs milliers. Il existe en réalité environ 500 VTR au niveau international. Elles sont mises à disposition sur le portail « substances chimiques » de l'Ineris. L'ANSéS en a construit une quarantaine. C'est de sa mission de les construire, proposer et mettre à disposition.

Vous nous demandiez si nous pouvions rencontrer des substances toxiques sans valeur toxicologique de référence. C'est extrêmement rare dans les sites miniers. L'ensemble des substances des métaux et métalloïdes est en principe concerné par les VTR mises à disposition pour mener les études à leur terme de façon quantitative.

Nous avons récemment eu à traiter un cas sur le tungstène. Depuis l'étude pour Geoderis, une valeur toxicologique de référence a été publiée. Nous sommes en train de reprendre les conclusions de cette étude en la réintégrant. L'absence de VTR ne signifie pas que nous ne savons rien de la toxicité de la substance. Cela signifie simplement qu'aucun organisme n'a proposé de valeur permettant de calculer un risque. Souvent, il est tout de même possible de mener une expertise toxicologique permettant de disposer d'informations sur cette substance.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Lorsque vous êtes au coeur d'une tourmente et que les avis des experts divergent, vous comprendrez qu'il est compliqué pour les familles concernées de voir trois organismes ne pas s'entendre sur un danger potentiel. Je crois que c'est au coeur de tous les sujets liés à des sites pollués, quelle que soit la pollution. Bien souvent, les pollutions découlent de l'histoire de sites sur des années d'exploitation, qui est à prendre en compte.

Chacun fait avancer son raisonnement. Pour autant, une mise en pratique est nécessaire. Alors qu'aujourd'hui, les questions environnementales et de santé préoccupent nos concitoyens, nous devons améliorer et clarifier les processus.

Dans les responsabilités et la chaîne des procédures à mettre en place, les coûts sont à prendre en compte. Tout projet se termine par une facture. Je souhaiterais conserver ce delta en mémoire. Bien souvent, les préconisations des bureaux d'étude ou des organismes comme les vôtres n'étaient pas contestées. Pour autant, les travaux n'ont jamais été réalisés pour des raisons budgétaires.

M. Raymond Cointe. - À l'Ineris, nous avons nous-mêmes été confrontés à une situation de site et sol pollué. Nous avons en effet découvert une pollution au mercure lorsque nous avons effectué des travaux dans nos locaux. Nous avons donc été confrontés à un certain nombre des difficultés que vous évoquiez. Nos salariés constituent pourtant un public averti. Nous avons également été confrontés à des questions de coûts, puisque nos travaux de dépollution nous ont coûté plusieurs millions d'euros.

Nous sommes convaincus de la complexité du sujet, tant au niveau technique qu'en termes de sensibilité. Dans un monde idéal, il serait bien plus simple de disposer de VTR pour toutes les substances. Elles ne donneraient ainsi plus lieu à des débats techniques sur les valeurs à utiliser. Ce n'est malheureusement pas le cas aujourd'hui. Si nous avions plus de moyens pour mener un certain nombre d'études et de recherches et pour développer de la connaissance sur ces valeurs, nous serions tous dans une situation bien plus confortable pour gérer une situation de crise en urgence.

M. Daniel Gremillet. - Le sujet est très intéressant. En Lorraine, nous avons eu à traiter le problème de la fin de la sidérurgie et du charbonnage. Le travail que vous évoquez présente plusieurs niveaux : le problème de la santé qui touche l'homme, le problème économique touchant l'entreprise et le problème de territoire. Si je m'intéresse à des dossiers tels que la mine, les intérêts ne sont pas régionaux, mais nationaux. Bien souvent, les territoires ne sont pas pris en considération, malgré la politique d'après-mine. Le degré de prise en compte ne se situe pas toujours au bon niveau. La solidarité nationale ne prend pas suffisamment en compte ce qu'a apporté le territoire à l'époque du charbonnage et de la sidérurgie.

M. Laurent Lafon, président. -Merci d'avoir participé de manière active aux travaux de notre commission d'enquête.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La téléconférence est close à 18 heures.

Mercredi 27 mai 2020

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La téléconférence est ouverte à 16 h 45.

Table ronde de représentants des organismes d'inspection et de contrôle des installations classées pour la protection de l'environnement (en téléconférence)

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par une table ronde de représentants des organismes d'inspection et de contrôle des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), avec la participation de :

- M. Alexandre Gelin, secrétaire national, et M. Julien Jacquet-Francillon secrétaire général adjoint du syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines (Sniim) ;

- M. Bertrand Georjon, chef du pôle « Déchets, sites et sols pollués » à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) Auvergne-Rhône-Alpes, et M. Joël Crespine, responsable de la subdivision « Déchets, sites et sols pollués » du pôle « Environnement » au sein de la même Dreal.

Cette table ronde est l'occasion de recueillir votre éclairage sur la qualité et l'efficience de notre système d'inspection et de contrôle des ICPE. Il serait notamment utile que vous nous rappeliez rapidement les grands principes qui régissent l'inspection des ICPE et les principales différences en termes d'inspection qui existent entre les différents régimes d'installations classées, entre les ICPE soumises à autorisation, notamment celles présentant les risques industriels les plus importants comme les installations Seveso, celles soumises à enregistrement et celles soumises à déclaration.

En matière d'inspection et de contrôle, il serait également intéressant que vous nous fassiez part de votre sentiment sur la répartition des responsabilités entre les Dreal et les bureaux d'études certifiés. Les bureaux d'études échangent-ils des informations avec les Dreal, notamment lorsque leurs diagnostics des sols font état d'anomalies et proposent des contre-mesures, ou seul l'exploitant peut-il décider de communiquer ces conclusions aux Dreal ?

Par ailleurs, de nos précédentes auditions il ressort que la question de la pollution des sols est parfois traitée de manière trop ponctuelle pour un grand nombre d'installations : elle est abordée au moment de la demande d'autorisation environnementale pour établir un état initial des sols et eaux souterraines, puis la question ne semble revenir véritablement qu'au moment de la fermeture du site, souvent plusieurs décennies après. Entretemps, l'exploitant peut s'intéresser à la pollution atmosphérique ou encore aux déchets mais la question de la pollution des sols semble, elle, ne se poser dans cet intervalle qu'en cas d'accident impliquant un déversement de polluants. Seules les installations les plus polluantes, comme les installations relevant de la directive « IED », font l'objet d'un suivi du milieu souterrain plus prégnant.

Quel regard portez-vous sur la périodicité des inspections et contrôles périodiques des ICPE : faut-il la renforcer pour certaines catégories d'ICPE, notamment les installations soumises à déclaration ? Quels seraient, selon vous, les moyens de renforcer le suivi plus régulier de la problématique de la pollution des sols par les industriels, au-delà de la seule question des déchets et des eaux souterraines ?

Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes maximum, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je vous invite, chacun dans l'ordre que j'appellerai, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Alexandre Gelin, Julien Jacquet-Francillon, Bertrand Georjon et Joël Crespine prêtent serment.

M. Julien Jacquet-Francillon, secrétaire général adjoint du syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines (Sniim). - Le corps des ingénieurs de l'industrie et des mines compte 1 800 ingénieurs fonctionnaires d'État qui travaillent pour moitié sur les métiers d'inspection des installations classés, pour le quart à l'autorité de sûreté nucléaire et pour le quart au ministère de l'économie et des finances. Tous ces ingénieurs travaillent au contact des entreprises. Le Sniim fédère 85 % de ces ingénieurs de l'industrie et des mines.

À titre liminaire, quatre points retiennent notre attention, points que nous avons déjà mis en exergue dans le cadre de Lubrizol et qui sont également ressortis dans le cadre de la crise sanitaire actuelle.

Le premier concerne l'efficience. L'inspection des installations classées est aujourd'hui accaparée par un certain nombre de tâches administratives. La ministre de la transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne, l'avait d'ailleurs souligné à la suite de l'accident de Lubrizol et s'est engagée à ce que nous re-calibrions ces tâches administratives qui détournent l'inspection de son vrai métier. Ces tâches relèvent d'une part du fonctionnement des Dreal et d'autre part des processus d'évaluation environnementale. Les Dreal sont des structures très volumineuses, avec beaucoup d'inertie, et qui requièrent beaucoup d'énergie au quotidien.

Le processus d'évaluation environnementale est imposé par le droit européen et transposé en France en faisant intervenir un nouvel acteur. L'inspection passe donc beaucoup de temps à se coordonner avec ce nouvel acteur qui peine à se doter de compétences et pour lequel il existe beaucoup de redondances avec notre métier. Pour améliorer l'efficience de l'inspection, il convient de supprimer ces tâches administratives.

Nous considérons pour cela qu'il convient de donner une nouvelle place à l'inspection dans l'organisation de l'État afin de viser un système intégré en termes d'évaluation environnementale et d'inspection, nouvelle place qui lui donnerait plus de visibilité et qui donnerait ainsi plus de crédit à la parole publique sur les risques technologiques et des sites et sols pollués. Si nous cherchons cette nouvelle place, il convient toutefois de ne pas toucher aux acquis qui font la force de l'inspection des installations classées. Ses forces consistent en une chaîne de l'inspection à trois niveaux, de l'administration centrale, au travers de la direction générale de la prévention des risques (DGPR), à l'échelon régional et territorial. Cette chaîne fonctionne, comme on le voit pendant la crise sanitaire actuelle ou pour Lubrizol. Un autre atout consiste en l'intervention de l'inspection des installations classées de la conception des projets au démantèlement de celles-ci et à la remise en l'état, mais aussi en l'intervention sur l'instruction, la réglementation et le contrôle, qui forment un tout indissociable et constituent une force. Enfin, l'inspection dispose de compétences, s'appuyant sur un corps de fonctionnaires d'État qui connaît les entreprises.

Un second point concerne l'information du public. De nombreuses informations sont disponibles, notamment avec les bases de données Basias et Basol, mais ces informations sont peu accessibles et peu compréhensibles du grand public. Il convient donc de travailler sur la vulgarisation de cette information. En travaillant sur l'efficience, nous récupérerons des moyens humains qui pourront être mis à contribution sur cette vulgarisation de l'information.

M. Alexandre Gelin, secrétaire national du syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines (Sniim). - Le point suivant que nous souhaitons aborder concerne l'objectif de réconcilier l'écologie et l'industrie. Il convient de s'assurer que le projet industriel est suffisamment étudié du début à la fin de l'exploitation. Nous notons en premier lieu un sujet de prévention, qui débute à la conception du projet, avec la demande d'autorisation, de déclaration et d'enregistrement, et va jusqu'à la cessation, voire à l'usage futur envisagé pour le site. En assurant une bonne sécurité et une bonne remise en l'état, il est possible de rendre compatible un ancien site industriel avec son usage futur, dans le but d'éviter les multiples friches industrielles qui pourraient apparaître. Nous considérons que la question se pose, dès l'ouverture du site et la demande d'autorisation avec la notion de capacités technique et financière, sujets qui doivent être abordés, même si ces sujets économiques sont très peu mis en avant dans les procédures.

Comme le préfet ne peut se prononcer sur l'opportunité ou non de créer un site pour raison économique, il prend sa décision sur les seuls fondements environnementaux et l'inspection, en tant que service instructeur, formule son avis de la même manière. Nous regrettons ce point puisque l'inspecteur des installations classées est un agent de l'État en contact avec la vie des entreprises et qu'il connaît leur santé économique et leur fonctionnement, pour les entreprises classées pour l'environnement. Son avis pourrait donc éclairer l'opinion sur la viabilité économique des projets et l'inspecteur pourrait porter une vigilance, voire mettre en place une surveillance, sur les capacités financières d'un exploitant tout au long de l'exploitation, en intégrant de fait un moyen de contrôle, voire de sanction, sur la base de cette surveillance sur les capacités financières. L'avis de l'inspection des installations classées pourrait ainsi porter également sur ce volet, à condition d'élargir le champ de l'inspection et de le rendre plus visible, en lui donnant une nouvelle place dans l'organisation de l'État.

Je souhaite par ailleurs aborder le sujet de la gestion des pollutions historiques ou accidentelles. Même si les sites ont bien été suivis, nous pouvons avoir à gérer ces pollutions, parfois relativement lourdes. Il existe des garde-fous, tels que les garanties financières qui ne permettent toutefois que la mise en sécurité du site et non la réhabilitation, et il existe des solutions pour rechercher la responsabilité des exploitants. Le dispositif de tiers demandeur permet d'associer l'aménageur à la remise en état d'un site. Ce dispositif est encore relativement jeune et peu utilisé, mais il pourrait devenir plus puissant en prévoyant que l'artificialisation d'un nouveau sol ne pourrait se faire qu'en contrepartie de la dépollution du sol. Ceci réconcilierait l'enjeu du développement industriel et l'enjeu écologique. Sur ce point, il paraît important qu'un dispositif de ce type ne puisse pas libérer un pollueur de ses obligations et constituer un frein au développement industriel ou économique.

Sur les responsabilités, si le code de l'environnement permet de réaliser un certain nombre de choses, nous notons que le code minier est assez divergent sur la notion de responsabilité, avec une police des mines qui cesse à la fin de la concession minière et des garanties financières qui portent sur d'autres sujets. Des rapprochements entre les deux codes devraient être envisagés, sur les enjeux sanitaires, l'intégration des travaux miniers dans l'autorisation environnementale, les garanties financières et la possibilité de solliciter les maisons mères quand un exploitant est mis en défaut. Le développement économique nous tient à coeur et il convient de conserver la spécificité minière, puisque le développement de l'activité minière ne répond pas exactement aux mêmes besoins que le développement de l'activité industrielle. Les deux codes doivent donc coexister.

M. Bertrand Georjon, chef du pôle « Déchets, sites et sols pollués » à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) Auvergne-Rhône-Alpes. - Je souhaite revenir sur l'organisation de l'inspection et la chaîne de l'inspection avec l'administration centrale, les services de la direction régionale de la Dreal et les unités départementales au niveau du préfet de département. Cette organisation comprend au niveau départemental les inspecteurs des installations classées en charge de l'approche intégrée de l'inspection des installations classées avec l'ensemble des thèmes (eau, air, risques industriels, sites et sols pollués).

Dans l'unité Loire Haute-Loire dont je suis chef de pôle, nous avons un inspecteur dédié à cette problématique des sites et sols pollués. Nous avons choisi cette organisation puisque le département a un passif industriel important, avec des entreprises minières, métallurgiques et sidérurgiques. Les dossiers sites et sols pollués sont complexes, notamment quand les exploitants ont disparu. Nous nous retrouvons alors face à des liquidateurs judiciaires qui reprennent à leur charge les responsabilités du dernier exploitant.

Je souhaite attirer votre attention sur les difficultés rencontrées par certains départements, au regard de la valeur du foncier des sites et sols pollués. Dans les grandes métropoles, il n'est pas difficile de réhabiliter des sites et sols pollués puisque le coût du foncier le permet. Pour les friches industrielles des départements ruraux, le foncier n'est pas élevé et le coût de réhabilitation se confronte rapidement à une logique économique non rentable. Nous disposons alors de très peu d'outils économiques pour réaliser cette réhabilitation.

La méthodologie des sites et sols pollués demande une réhabilitation en fonction de l'usage futur envisagé, usage qui diffère en fonction des sites et sols pollués et n'a pas de seuil de dépollution à atteindre. Si le site industriel accueille un parking ou un parc photovoltaïque, il est possible de moins dépolluer que si le projet vise à accueillir des bureaux ou des habitations qui requièrent une dépollution plus approfondie. Les coûts pour les exploitants diffèrent donc selon l'usage futur porté par l'aménageur ou par des collectivités locales. Le traitement des sites et sols pollués n'est donc pas équivalent. Comme les seuils de dépollution sont différents, les coûts de réhabilitation diffèrent aussi.

Nous rencontrons également des difficultés avec les liquidateurs. Un liquidateur gère aussi la garantie des salaires et oppose souvent ce privilège pour ne pas investir dans la réhabilitation des sites.

Vous posiez une question sur les bureaux d'études. Ces derniers sont des acteurs techniques, mais dont les donneurs d'ordre sont les exploitants. Cette relation empêche l'indépendance des bureaux d'études. L'inspection des installations classées dispose en revanche de cette indépendance vis-à-vis de l'exploitant qui lui permet de s'opposer à lui. Les bureaux d'étude ont davantage de difficulté à s'opposer à leur donneur d'ordre, d'autant qu'un des critères repose sur le coût de la réhabilitation. Les bureaux d'études proposent des mémoires de réhabilitation en fonction du coût que l'exploitant octroie pour réhabiliter son site et non en fonction des objectifs de dépollution à atteindre.

En termes de sanction, le code de l'environnement comprend une police des sites et sols pollués. Contrairement aux polices qui existent par exemple sur les déchets, cet outil de sanction est bien moins abouti. La jurisprudence est bien plus jeune pour les sites et sols pollués que sur les déchets.

M. Joël Crespine, responsable de la subdivision « Déchets, sites et sols pollués » du pôle « Environnement » au sein de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) Auvergne-Rhône-Alpes. - Je vous apporterai un éclairage d'inspecteur en matière de relation avec les bureaux d'études et de méthodologie nationale. En fin de vie, les sites doivent être remis en l'état en fonction d'une méthodologie nationale prévoyant la suppression des pollutions concentrées. Cette notion est relative puisqu'une pollution concentrée est supérieure à la pollution du bruit de fond, anthropique ou naturel. Les sources de pollution doivent être supprimées et maîtrisées, soit ce qui génère un écoulement ou un rayonnement de la pollution sur le site et hors de son emprise. Il convient également de remettre le site en l'état, en le dépolluant dans des limites qui permettent une réutilisation en fonction de l'usage prévu. Si une usine laisse la place à un supermarché, les exigences seront donc moindres que si elle laisse la place à un lotissement pavillonnaire.

Cette méthodologie prévoit donc un certain nombre d'évaluations historiques, de sensibilité du milieu, et de prélèvements. Elle conclut à des seuils de dépollution sur mesure. Chaque site a ses propres seuils de dépollution qui dépendent du bruit de fond, du bilan coûts-avantages, de l'état antérieur et de l'usage futur. Cette méthodologie requiert un certain nombre de contrôles, puisque les incertitudes existent. Un bureau d'études qui souhaiterait ne pas faire valoir une pollution particulière pourrait effectuer des prélèvements qui ne sont pas adaptés ou utiliser des valeurs toxicologiques anciennes. Il pourrait utiliser des modèles de diffusion des polluants qui conditionnerait les résultats. Cette méthodologie accumule un certain nombre d'incertitudes et l'inspecteur doit vérifier que ces incertitudes sont prises en compte de manière majorante et réaliste à la fois. Un risque existerait si un bureau d'études attestait qu'un site présente un impact résiduel acceptable. D'expérience, il est rare qu'une étude de sol ne fasse pas l'objet de remarques, de concertation et d'échanges avec le bureau d'études pour qu'il se justifie ou modifie ses hypothèses pour parvenir à un consensus sur les conditions de réhabilitation d'un site. À titre d'exemple, le débit de renouvellement d'air est inversement proportionnel au risque : si le risque est deux fois supérieur à la limite acceptable, en partant de l'hypothèse que le renouvellement de l'air dans les locaux est deux fois supérieur, vous parvenez au risque acceptable, du fait d'une inversion de la proportionnalité. Notre rôle consiste à vérifier que les hypothèses sont prises de façon satisfaisante. À chaque étude de sol, nous demandons des justifications au bureau d'étude, qu'il soit certifié ou pas.

Avec la réglementation actuelle, nous ne croisons pas les bureaux d'études certifiés dans le cadre de leurs missions pour lesquelles la certification est nécessaire. Les bureaux d'études certifiés attestent de la prise en compte de la pollution d'un site pour son usage futur, dans le cas des secteurs d'information sur les sols (SIS) et dans le cadre de l'application de l'article L.556-1 du code de l'environnement qui prévoit que, pour la modification de l'usage d'un site occupé par une installation classée, le bureau d'études doive attester la prise en compte de la pollution résiduelle. Ce travail nous échappe puisque c'est un problème d'urbanisme et que l'attestation est délivrée dans le cadre du permis de construire. Nous croisons donc les bureaux d'études dans des dossiers où ils n'interviennent pas au titre de leur certification et nous échangeons de la même manière avec un bureau d'études certifié et avec un bureau d'étude non certifié.

Nous avons assisté depuis 1994 à une obligation des exploitants des installations soumises à autorisation de remettre leur site en l'état. La réglementation s'est ensuite étoffée avec des méthodologies, des modifications du code de l'environnement, dont les articles L. 556-1 et L. 556-2 sur les SIS. La loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) modifiera le contenu de nos missions et l'inspection devrait perdre la main sur un certain nombre de sites, au profit des bureaux d'études. Il me parait nécessaire de définir les responsabilités respectives des bureaux d'études et de l'inspection. Je crains personnellement les dispositifs selon lesquels « silence vaut accord ». L'objectif visant à décharger l'inspection de certaines tâches pour se concentrer sur d'autres sujets ne sera pas atteint si l'inspection doit étudier le dossier du bureau d'études pour formuler des remarques. L'expérience montre que tous les dossiers appellent des remarques ou un échange.

Un autre point semble problématique dans le projet de loi : le bureau d'études attestera la mise en oeuvre des dispositions de réhabilitation du site et le dossier nous sera transmis pour que nous mettions en place les servitudes d'utilité publique, si nécessaire. Nous récupérerons donc le dossier pour une tâche purement administrative. Au-delà de cette tâche administrative, nous devrons endosser les conclusions de l'étude de sol. Si le bureau d'études nous propose de mettre en oeuvre des servitudes, nous devrons implicitement les valider, sans disposer de droit de regard sur l'amont. Les évolutions prévues dans le cadre de la loi ASAP nécessitent de positionner clairement l'inspection dans ses missions, en distinguant les points dont elle est responsable et les points dont elle n'est pas responsable et en évitant de lui faire endosser les conclusions d'un bureau d'études pour une étude à laquelle elle n'aura pas participé.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je vous remercie de la clarté de vos propos liminaires qui font émerger des questionnements sur le projet de loi.

Quel est votre sentiment sur l'adéquation des moyens des Dreal à leurs missions d'inspection des sites industriels ? Les services de l'État disposent-ils des moyens suffisants pour réaliser globalement aujourd'hui un nombre plus important d'inspections des sites industriels qu'auparavant ? Nous avons l'impression qu'il existe une lourdeur dans la gestion et que les retours ne parviennent pas dans les délais voulus.

En particulier, pour l'élaboration et la mise en oeuvre de leur plan pluriannuel de contrôle des installations classées, pensez-vous que les Dreal aient les moyens des ambitions que devrait se fixer l'État ? Parmi les installations soumises à autorisation ou enregistrement qui ne sont théoriquement inspectées que tous les sept ans, les Dreal sont en effet censées assurer un contrôle plus fréquent pour les établissements les plus problématiques, tous les ans pour les établissements dits « prioritaires » et tous les trois ans pour les établissements dits « à enjeux » : toutes les Dreal procèdent-elles bien à des contrôles annuels ou tous les trois ans des établissements qui le méritent ?

Par ailleurs, les inspecteurs des installations classées semblent réclamer plus de transparence et d'indépendance dans les contrôles qu'ils effectuent. Pourriez-vous revenir sur les obstacles que vous rencontrez au quotidien pour assurer des inspections transparentes et indépendantes et fournir au grand public une information tout aussi transparente et indépendante sur les risques industriels qui se situent dans leur voisinage ? Quelles seraient vos propositions pour améliorer cette transparence auprès du grand public ?

Enfin, quel regard portez-vous sur la qualité du dialogue entre les exploitants, les services de l'État et les élus locaux ? Lorsque des craintes ou des alertes sont émises par des associations de riverains et sont relayées par les élus locaux, avez-vous le sentiment que le processus aujourd'hui en oeuvre pour traiter des alertes soit optimal ?

Je souhaite ensuite connaître vos suggestions pour améliorer le dialogue et la transparence tout au long de la vie de l'installation. Serait-il pertinent d'ajouter le suivi de la qualité des sols dans les obligations des arrêtés préfectoraux de suivi de la qualité environnementale des ICPE ? En effet, les rejets dans l'eau et l'air font l'objet de mesures régulières. Pourquoi les sols ne rentreraient-ils pas dans le même dispositif de suivi ? Ceci permettrait que l'état du sous-sol soit connu par l'administration tout au long de la vie de l'installation et de la vie post-installation. Je réside dans le département de l'Aude, dans la vallée de l'Orbiel. Ces problématiques de suivi sont quotidiennes.

Je souhaiterais également savoir pourquoi les exploitants d'ICPE ne doivent déclarer à la Dreal que les pollutions liées à un accident ou à un incident. Ne serait-il pas plus efficace d'imposer la déclaration de toute découverte de pollution, notamment pour les pollutions historiques, hors de la vie de l'installation ?

Enfin, je m'interroge sur l'article 27 du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique en cours d'examen au Parlement, me demandant s'il ne vise pas à externaliser vos fonctions pour qu'elles soient réalisées par des bureaux d'études privés, payés par leurs clients, plutôt que par votre service public garant de la santé des populations. Vous avez déjà répondu sur la ligne de partage des compétences, puisque vous seriez alors dessaisis de missions pourtant de grande importance. Il m'aurait semblé plus pertinent que vous soyez davantage associés comme autorité de référence à ces analyses sur les SIS, pour mieux les contrôler. Je crains sinon que les études de complaisance se multiplient. Sans séparation des pouvoirs et des compétences, des doutes pourraient naître, dans un contexte de crise de confiance avec les populations. Je ne remets pas en cause la valeur scientifique des bureaux d'études, mais je constate, dans mon département, que l'organisme en charge de la cartographie des pollutions était le conseil de l'exploitant dans les années 1990 alors que le confinement interne n'a pas résisté en sous-sol. Il me semble nécessaire de demander plus de clarté, pour établir une confiance et répondre aux attentes de la population. Pour nos concitoyens, les questions d'environnement, de santé, de qualité de vie et d'accès à des informations lisibles sont primordiales. Actuellement, des informations sont accessibles, mais elles sont incompréhensibles et jettent une suspicion.

Des attentes sont exprimées puisque les Dreal, faute de moyens, ne peuvent rendre les avis nécessaires à certains futurs travaux.

M. Alexandre Gelin. - Votre première question porte sur les objectifs, l'adéquation des moyens et le plan pluriannuel de contrôle (PPC). Le PPC définit trois périodicités en fonction de l'enjeu sur les établissements (un an, trois ans et sept ans), en déclinaison d'un objectif ministériel et national non négociable.

Tout ce qui doit être fait tous les ans est a minima fait tous les ans et il en est de même pour les périodicités de trois et sept ans. Les Dreal ont toutefois la liberté d'adapter les enjeux à la connaissance du terrain. Si un établissement doit être inspecté plus souvent que prévu, l'inspection est adaptée. A minima, le PPC est respecté.

Sur l'adéquation entre les missions et les moyens, l'ambition ministérielle consiste à réaliser 50 % d'inspections sur site supplémentaire d'ici la fin du quinquennat, ce qui se traduit par un renforcement de la présence sur le terrain, avec un PPC comprenant les mêmes fréquences. La simple approche de l'adéquation missions et moyens par la question du nombre d'inspecteurs nous semble tronquée puisque d'autres tâches monopolisent l'inspection, avec des tâches parfois un peu éloignées de l'inspection. En préservant l'inspection dans une structure plus ouverte, l'inspection aurait plus de liberté pour déployer ses moyens sur le terrain pour atteindre cet objectif de 50 % supplémentaire et assurer une surveillance plus fine et mieux adaptée aux enjeux réels du terrain.

M. Julien Jacquet-Francillon. - Il ne convient pas de raisonner uniquement en termes d'effectifs de l'inspection. Nous avons insisté sur l'efficience puisque nous pensons que la priorité consiste à travailler sur l'efficience de l'inspection, à moyens constants ou un peu plus élevés. Nous pensons que cette efficience passe par la place de l'inspection dans l'organisation de l'État.

Le débat parlementaire sur la place de l'inspection a commencé dans le cadre du post-Lubrizol et il me semble souhaitable de poursuivre ce débat sur la base de la proposition de loi du député Bouillon.

Sur l'augmentation de 50 % des contrôles sur site, j'ai l'impression que l'inspection est résumée à la présence sur le terrain. Nos propos liminaires rappellent bien que l'inspection est chargée de bien d'autres travaux, comme l'instruction, qui contribuent à la prévention des risques. Ces travaux doivent être pris en compte pour apprécier l'efficience de l'inspection. Au cours de la présente crise sanitaire, nous avons vu naître un nouveau type de contrôle, avec les contrôles déportés : l'inspecteur ne se trouve alors pas sur le terrain, mais il est présent auprès de l'entreprise, en visioconférence, et demande des pièces justificatives et contrôle. Il convient peut-être d'élargir les modalités de mesure de l'efficience de l'inspection.

M. Bertrand Georjon. - Vous avez posé une question relative à l'instruction des sols pollués au sein de l'inspection. Nous instruisons aujourd'hui ce sujet au moment des cessations d'activité et des pollutions ou incidents. La directive IED a ajouté des contrôles périodiques, mais seulement pour une minorité d'établissements. Pour la grande majorité de nos installations, cette thématique n'est étudiée qu'à la fin et nous ne pouvons souvent que constater les dégâts pour la pollution des sols.

Nous sommes informés par la déclaration de la cessation d'activité de l'exploitant. Nous sommes toutefois confrontés à de nombreuses absences de déclarations de cessations d'activité par les exploitants. Quand nous instruisons des dossiers, nous devons avoir obtenu l'information. Or les exploitants ne réalisent souvent pas cette formalité administrative, ce qui conduit à laisser des pollutions en place pour une durée plus longue que celle initialement prévue.

Vous avez évoqué l'instruction avec des régimes, puisque certains sites sont soumis à autorisation, d'autres à enregistrement et d'autres à déclaration. Cette notion de régime n'est pas tout à fait liée à l'impact sur les sols. Je citerai l'exemple d'une station-service qui n'est soumise qu'au régime de la déclaration alors que son impact sur les sols peut pourtant être catastrophique. En revanche, une installation soumise à autorisation et entrepose des matériels solides aura un impact dans les sols quasiment nul. Le code de l'environnement prévoit des dispositions qui dépendent des régimes, sans lien entre l'impact dans les sols et l'activité de l'entreprise. Comment pourrions-nous améliorer le diagnostic sur les sols, en cours de vie d'une installation classée ? Nous réalisons actuellement des contrôles inopinés pour l'eau et l'air, en mandatant des bureaux d'études pendant le fonctionnement d'une installation pour contrôler que l'installation respecte la réglementation. Nous pourrions procéder à des prélèvements de sol ou d'eau souterraine, de manière inopinée ou ponctuelle. Certaines installations sont équipées de piézomètre et nous pourrions réaliser des mesures inopinées ou procéder à des sondages de sols. Ce dispositif n'est aujourd'hui que peu utilisé par l'inspection des installations classées, mais nous pourrions imaginer de mettre en place un dispositif similaire à celui mis en place pour les rejets à queue ou les rejets atmosphériques.

Pour accroître la transparence, nous pouvons mettre en place des commissions de suivi de site (CSS), regroupant différents collèges pour les représentants de l'État, les associations, les exploitants et les représentants du personnel, pour partager les problématiques et le choix des bureaux d'études. Une CSS améliore la transparence et permet à chacun de s'exprimer et de disposer des mêmes informations au même moment.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Cette commission de suivi a été mise en place, mais elle dépend des préfets. La réunion se tient avec des parties qui ne comprennent pas toutes le jargon scientifique. Si les commissions de suivi ne débouchent pas sur des travaux pratiques sur les territoires, des études sont présentées et s'empilent. Il conviendrait de prévoir une périodicité pour la tenue de ces commissions et de clarifier leur fonctionnement pour que les parties en voient les résultats pratiques.

Vous avez indiqué qu'une évolution du code minier était nécessaire, avec des rapprochements sur certains points avec le code de l'environnement. Pourriez-vous développer ce point ?

M. Alexandre Gelin. - Le code minier est historique et n'a pas été révisé en profondeur depuis un certain temps. Pour rechercher les responsabilités des anciens exploitants miniers, le pouvoir administratif reste très limité, une fois la concession finie. Le point relève alors de la juridiction civile. Une solution consisterait à rechercher la responsabilité des maisons mères. Une évolution du code minier, pour se rapprocher de certains principes du code de l'environnement, semble donc nécessaire.

L'exploitation minière vise initialement à exploiter une ressource à caractère stratégique et le code minier a donc été écrit dans cette logique. Des divergences existent maintenant et le rapprochement semble nécessaire.

M. Bertrand Georjon. - Les CSS sont parfois imposées pour des installations Seveso ou de stockage de déchets, parfois sans les associations. Cet outil présente un intérêt, à condition d'être adapté : les rendre obligatoires ne semble pas pertinent, si les participants ne montrent pas d'intérêt pour le sujet. À l'inverse, si des associations souhaitent y participer, il conviendrait de prévoir ces CSS. Actuellement, ces CSS sont plutôt liées au régime de l'installation et les enjeux sites et sols pollués ne sont pas traités de manière spécifique.

M. Joël Crespine. - Le suivi périodique des sols présente des inconvénients puisqu'il n'est pas pratique à mettre en oeuvre et que le prélèvement peut affaiblir la protection. Les milieux intégrateurs et la nappe phréatique peuvent toutefois être analysés puisque l'analyse des eaux souterraines qui passent sous l'usine, avec des piézomètres, permet en outre de détecter les pollutions, ce qui permettrait d'intervenir immédiatement ou de prendre des précautions au moment de la cessation d'activité. La généralisation du suivi des eaux souterraines me semble donc plus pertinente qu'un suivi régulier des sols.

La directive IED prévoit une surveillance des eaux souterraines, ainsi qu'une surveillance des sols tous les dix ans. L'arrêté ministériel du 2 février 1998 prévoit, pour certains types d'installations, une surveillance des eaux souterraines. Enfin, au gré des incidents et accidents ou des traces des écoulements visibles en inspection, nous sommes amenés à prescrire la surveillance des eaux souterraines dans des installations où cette surveillance n'était pas prévue. La surveillance des eaux souterraines est riche d'enseignements et relativement aisée à mettre en oeuvre.

Enfin, vous parliez de rapport de complaisance. Il est vrai que les bureaux d'études payés par les industriels peuvent être tentés de satisfaire leur client, mais je pense que les rapports ne disent pas le contraire de la vérité : ils déroulent toutefois la méthodologie nationale de manière de parvenir à des conclusions satisfaisantes. Il existe des seuils d'acceptabilité sanitaire et un grand nombre d'études conclut à un risque acceptable, juste inférieur à la limite. Nous devons alors vérifier que les hypothèses retenues sont crédibles.

Mme Maryse Carrère. - Je vous remercie pour ces explications et les pistes que vous suggérez.

Je partage le constat de Monsieur Gelin sur l'inertie des Dreal avec des inspecteurs souvent embourbés, dans le cadre des processus d'évaluation environnementale, dans les instructions pour prendre en compte les contraintes réglementaires, ce qui occasionne des demandes en escalier, avec des ajouts et des compléments d'étude demandés tous les deux mois, rallongeant les délais d'instruction.

Vous avez également parlé de la vigilance à apporter sur les capacités financières des exploitants. Cette vigilance devrait également s'appliquer aux capacités financières des collectivités qui prennent souvent en charge les dommages et sont par exemple confrontées à la réparation des dommages de mines très anciennes.

Un enjeu sanitaire existe sur la pollution des eaux souterraines. Je ne suis pas certaine que la pollution des eaux superficielles, liée au ruissellement d'un ancien site minier, soit bien prise en compte et évaluée à son juste niveau alors que cette pollution est durable et a des répercussions sur les collectivités ayant des compétences sur la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GeMAPI), confrontées à des demandes de dépollution démesurées.

M. Alexandre Gelin. - Les capacités financières étudiées sont bien celles des exploitants ICPE, en application d'une obligation réglementaire. Mon propos visait à porter un regard sur ces capacités en cours d'exploitation pour vérifier qu'elles ne s'amoindrissent pas avec le temps, compromettant ainsi la sécurisation des sites qui serait alors laissée à la charge de l'État, d'une collectivité ou du propriétaire du terrain.

Nous ne regardons pas les capacités financières des collectivités. Le code minier prévoit que la responsabilité de l'exploitant soit étudiée pour les dommages miniers.

M. Bertrand Georjon. - Je sais que vous avez auditionné l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) qui intervient notamment sur les sites et sols pollués, pour la mise en sécurité. Quand nous rencontrons une problématique environnementale, nous sommes confrontés à une absence d'outils. L'Ademe se substitue à l'exploitant, quand il n'existe plus et qu'il existe des sites orphelins, ce qui évite de reporter cette charge sur les collectivités. Sur les sites et sols pollués, quand il existe une problématique de mise en sécurité, il n'existe aucun dispositif et les collectivités se retrouvent avec des friches industrielles dont le coût de réhabilitation est exorbitant. Les collectivités ne disposent alors d'aucun outil financier pour réaliser cette réhabilitation. Je pense que cet outil devrait être créé. L'objectif de zéro artificialisation des sols répond à des problématiques d'inondation ou de développement durable. Cet outil pourrait être porté par les aménageurs qui ne procéderaient plus à des artificialisations des sols et contribueraient à la réhabilitation des sites et sols pollués en créant un fonds pour permettre cette réhabilitation. Dans de nombreux territoires, cette réhabilitation n'est pas viable économiquement et les collectivités ne peuvent s'engager seules, sans appui financier, dans une réhabilitation simplement environnementale. Trouver un outil pour réhabiliter quand l'exploitant est insolvable présenterait un intérêt, même si le principe pollueur payeur doit être privilégié, tant qu'il est possible de rechercher un exploitant. Si l'exploitant est orphelin ou ne peut payer, il convient alors de disposer d'un outil financier pour réhabiliter et éviter l'aggravation de la situation.

M. Laurent Lafon, président. - Je souhaite prolonger votre réflexion sur la nécessité de trouver un outil si le dernier exploitant n'existe plus ou n'est pas suffisamment solvable. Comment alimenter cet outil financier ? Compte tenu du nombre de sites potentiellement concernés, le montant pourrait être significatif. Avez-vous réfléchi à la manière d'alimenter un tel outil financier ?

Il semblerait par ailleurs que l'inspection des Dreal n'interviendrait plus dans les sites situés dans les SIS. En conséquence, les bureaux d'études ne pourraient plus s'appuyer sur l'inspection, dans le cadre d'une collaboration, et les aménageurs seraient alors tentés de réduire les travaux de dépollution. Avez-vous observé cette situation dans laquelle les travaux ne correspondent pas à ce qu'ils devraient normalement être ? Pensez-vous que les Dreal pourraient jouer un rôle d'arbitre pour assurer des travaux de dépollution de meilleure qualité ?

M. Bertrand Georjon. - Nous considérons les sols comme un bien commun. Si un sol n'est pas réhabilité, il est laissé aux générations futures et le problème est alors reporté. Il convient d'intervenir pour éviter une aggravation de la situation. Il faut éviter que, sous prétexte qu'il n'existe pas de projet de réaménagement, la pollution se diffuse sans intervention. Je ne peux vous dire quels fonds pourraient alimenter cet outil, mais les pollutions qui perdurent créent des problèmes. Une réflexion doit être menée, mais je me garderai de formuler une proposition.

Sur les SIS, les Dreal n'assurent effectivement plus de contrôle et les bureaux d'études peuvent indiquer que la réhabilitation est correcte. L'inspection ne voit même pas passer le dossier et n'est informée qu'au moment du permis de construire futur. Nous ne contrôlons alors que la présence d'une attestation, assurant ainsi un contrôle administratif, sans disposer des études nous permettant de vérifier que la dépollution a été correctement réalisée. Le dispositif ne nous permet pas de contrôler la réalisation en bonne et due forme, dans l'état de l'art, de la dépollution d'un site placé en SIS.

Nous avons effectivement déjà été confrontés à des cas de fraude, notamment avec des établissements publics fonciers. J'ai en tête un exemple dont nous avons eu connaissance par délation d'un salarié de l'entreprise qui nous a informés qu'une demande de recouvrir les sols avait été formulée. Nous avons alors fait venir une pelle mécanique pour ouvrir un site recouvert et avons constaté, visuellement et à travers des prélèvements, qu'une pollution volontaire avait été dissimulée, recouverte par du remblai, par l'aménageur. Ces cas sont alors très difficiles à détecter, puisque nous nous basons sur des rapports administratifs. Nous nous rendons parfois sur le terrain, mais la meilleure solution pour détecter les fraudes consisterait en des contrôles inopinés.

M. Julien Jacquet-Francillon. - Le débat me fait penser à un système qui existe en matière de défrichement. Quand un exploitant veut défricher un terrain pour y implanter un projet, il doit contribuer financièrement à un fonds ou reboiser l'équivalent de ce qu'il a défriché. Nous pourrions nous inspirer de cet exemple.

Sur l'iniquité entre les CSS, je vous invite à regarder les pratiques du nucléaire. Outre les commissions locales d'information (CLI), une association nationale veille à l'animation des CLI, assurant une plus grande équité sur le territoire.

M. Joël Bigot. - Vous avez parlé de l'Ademe, des sites orphelins et de la difficulté à dépolluer certains sites pollués. Nous léguons ces sols aux générations futures et devons traiter le sujet. Constatez-vous une recrudescence à l'échelle nationale des accidents industriels qui polluent les sols ? Au moment où nous parlons de la nécessité de relocaliser l'industrie, sommes-nous en capacité de retisser un tissu industriel mal en point ? Ne risquons-nous pas de faire émerger de nouveaux conflits de type « zone à défendre » (ZAD), y compris dans le cadre de réhabilitations des solutions ?

Disposez-vous des retours d'expérience de nos voisins européens en matière de réhabilitation des sols et de surveillance des pollutions ?

M. Joël Crespine. - Le pays à l'avant-garde de la démarche sur les sols pollués était les Pays-Bas, dont nous nous sommes initialement inspirés, en 1996, quand les évaluations simplifiées des risques ont été établies. Nous utilisions alors les valeurs hollandaises, parmi d'autres. Les Hollandais avaient adopté des valeurs de dépollution en fonction de ce que devenait le site (habitation, industrie...) ce qui permettait de fixer des objectifs de dépollution simples. Actuellement, quand une usine importante ferme, nous pouvons lui demander de justifier, par des études approfondies, les seuils de dépollution au cas par cas. Quand une station-service ou une petite installation s'arrête, la démarche est similaire et reste très complexe. Nous ne pouvons répondre simplement sur les seuils à respecter et cette réponse n'est pas très satisfaisante. Il conviendrait de mener une réflexion, à partir de l'expérience des Pays-Bas et de la Belgique, pour définir des seuils de dépollution standard pour les cas simples, afin de dégager du temps pour les cas plus complexes.

Entre 1996 et 2006, le protocole Gaz de France a été déroulé en France. Pour les usines à gaz exploitées et fermées dans les années 1950, le ministère avait hiérarchisé les enjeux de chaque usine à gaz et avait déterminé des protocoles et des seuils de dépollution. Ainsi, pour les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), une concentration inférieure à 50 mg par kilo de terre permettait d'utiliser le site pour un usage d'habitation et entre 50 et 500, le site pouvait être utilisé pour des activités industrielles ou commerciales. Des valeurs standard étaient ainsi définies.

Il conviendrait de définir des seuils de dépollution pour les cas simples et d'utiliser la méthodologie actuelle, exhaustive, pour des cas plus complexes.

M. Bertrand Georjon. - Je ne crois pas que nous assistions à une recrudescence des accidents industriels. Un bureau de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) recense tous les accidents. Ce n'est toutefois pas tant la recrudescence des accidents qui amène aux pollutions, mais plutôt la recrudescence des cessations d'activités. Avec la désindustrialisation de la France, des ICPE ferment. Comme nous ne nous intéressons à la question des sites et sols pollués qu'au moment des fermetures de site ou de futurs projets, nous détectons alors les pollutions, ce qui explique que ce sujet émerge davantage. Faute de pouvoir remettre un usage industriel à la place d'un usage industriel, il convient de réhabiliter.

Dans le cadre d'une réhabilitation d'une friche industrielle, un exploitant a voulu connaître l'état des sols en amont de son site, à 50 ou 100 mètres, et a réalisé un sondage. Ce sondage a permis de détecter une source de pollution non traitée par un exploitant cinquante ans auparavant et l'Ademe est alors intervenue pour prendre en charge cette dépollution.

M. Alain Duran. - Vous avez évoqué les difficultés rencontrées en milieu rural et je suis élu d'un milieu rural, où de nombreuses friches attendent une réhabilitation, après l'effondrement du textile en Ariège. Je partage l'idée de créer un outil financier puisque le sol est un bien commun et que la pollution risque sinon de se répandre.

Je trouve insupportable que la pollution des villes soit mieux traitée que la pollution des champs, à cause des coûts du foncier. Existe-t-il un inventaire des sites en attente de réhabilitation, avec des pollutions qui perdurent ? Un tel inventaire pourrait justifier la création de cet outil.

M. Bertrand Georjon. - Nous disposons de trois inventaires avec les bases de données Basias, Basol et des SIS. Cette dernière base est majoritairement constituée des bases de données Basol et peut être regroupée avec cette dernière : elles sont toutes deux alimentées par l'inspection des installations classées qui remonte toutes les informations dont elle dispose sur l'état des sols. Toutes les valeurs disponibles sur un site sont enregistrées dans la base de données Basol : si le site est pollué et qu'il n'existe plus d'exploitant, les données sont mises dans la base de données SIS pour alerter le futur aménageur. La base de données Basias recense l'ensemble des exploitants industriels susceptibles d'avoir pollué. Cette base de données est gigantesque, mais ne comprend pas d'informations sur l'état des sols. Un diagnostic pourrait être établi, mais nous ne disposons pas d'outils permettant de connaître l'état des sites et sols pollués de manière exhaustive et précise pour présenter une cartographie certaine des diagnostics.

L'information de la réhabilitation et des diagnostics de sols n'est toujours pas imposée à tous les exploitants, notamment ceux soumis au régime de la déclaration, comme les stations-services. Il est très probable, d'après notre retour d'expérience, que ces installations aient conduit à des pollutions des sols, mais l'exploitant peut nous fournir un rapport signé par un bureau d'études qu'il n'a pas pollué les sols : nous ne disposons alors d'aucun outil réglementaire pour lui imposer des sondages de sols ou d'eaux souterraines pour vérifier la bonne qualité des sols.

La démarche de sites et sols pollués est née en 1976. Nous avons créé un dispositif pour les installations soumises à une autorisation. Nous augmentons progressivement notre champ d'intervention, même s'il reste des zones pour lesquelles nous ne pouvons intervenir, comme les pollutions historiques. Pour construire les mines, du remblai a été excavé et a fini dans des zones d'aménagement concerté (ZAC). Les sondages réalisés maintenant montrent que la qualité des remblais historiques des années 1960 et 1970 est extrêmement polluée, alors que l'exploitant n'y est pour rien. Cette pollution des mines s'est disséminée sur les territoires par ces remblais. Je ne vois pas comment disposer d'un inventaire précis et exhaustif.

Le code de l'environnement prévoit qu'une attestation soit délivrée par un bureau d'études certifié en sites et sols pollués, établissant un diagnostic pour les anciens sites ICPE. L'aménageur doit alors être informé de l'état du sol, grâce à ce document. Rechercher la responsabilité d'un ancien exploitant s'avère en revanche bien plus compliqué.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Les méthodologies ont évolué au fil du temps. Ne croyez-vous pas qu'il conviendrait de repositionner tous les dispositifs pour gagner en clarté ? Vous avez tous évoqué des pistes intéressantes dont nous nous saisirons certainement. Il me semble maintenant nécessaire de clarifier la situation et de pallier les manques. Nous constatons que différents types de pollutions existent. Il conviendrait de traiter les pollutions avec équité, qu'elles se trouvent dans les villes ou en milieu rural, et de traiter tous les volets, pour les installations classées ou pas, en activité ou pas.

Les textes doivent permettre d'accroître la transparence administrative et juridique. Nous sentons bien que chacun tente de s'adapter et que des insuffisances existent. Je souhaiterais savoir comment les certifications des bureaux d'études sont délivrées et contrôlées.

Cette table ronde était très enrichissante. Nous devrons nous pencher sur les différentes formes de pollution et penser au devenir de ces sites, une fois que l'activité a cessé et que ces sites deviennent des friches, afin de les valoriser.

Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions et d'avoir proposé des pistes pertinentes.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous joins mes remerciements et ceux de mes collègues. Vous avez précisément répondu à nos interrogations et au questionnaire écrit, avec des éléments qui enrichiront notre réflexion et notre rapport. Si vous souhaitez ultérieurement nous adresser d'autres remarques, nous pourrons tout à fait les recevoir.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La téléconférence est close à 18 h 30.