Mercredi 18 novembre 2020

- Présidence de Mme Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, et de M. Cédric Villani, député, président de l'Office -

La réunion est ouverte à 17 h 05.

Table ronde, conjointe avec la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, sur la stratégie européenne de l'hydrogène

Mme Sabine Thillaye, députée, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - J'ai aujourd'hui le plaisir d'accueillir trois personnalités très au fait d'un sujet d'actualité essentiel pour notre avenir à tous, celui de la stratégie européenne de l'hydrogène. Cette audition sera commune avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), présidé par Cédric Villani. Je crois que c'est une première et je m'en félicite.

J'ai aussi le plaisir d'accueillir notre collègue Michel Delpon, président du groupe d'études sur l'hydrogène, très actif sur ce sujet.

Avant de vous présenter nos intervenants, je vous signale qu'en application des décisions de la Conférence des présidents, notre réunion se tient en format mixte, en salle et en visioconférence, car nous allons ensuite examiner un rapport d'information portant observations sur le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice spécialisée, qui est un sujet législatif.

Permettez-moi de vous présenter nos intervenants, que je remercie d'être parmi nous. Monsieur Nicolas Bardi, vous présidez Sylfen, une société qui développe des solutions intégrées de stockage et de production d'énergie par cogénération, à destination des bâtiments et éco-quartiers souhaitant couvrir leurs besoins à partir de sources d'énergie locales et renouvelables. Vous avez travaillé auparavant au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), où vous avez notamment été chef de laboratoire et responsable des projets de recherche sur les piles à combustible.

Monsieur Philippe Boucly, vous présidez l'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible, qui a pris il y a quelques semaines le nom de « France Hydrogène ». Votre association fédère les acteurs de la filière française de l'hydrogène et des piles à combustible. En son sein, vous représentez GRT Gaz, le principal opérateur français de réseau de transport de gaz naturel à haute pression en France, où vous avez fait toute votre carrière.

Madame Laura Buffet, vous êtes directrice du pôle Énergie de l'organisation non gouvernementale (ONG) Transport et environnement. Votre organisation est très active sur le sujet de l'hydrogène et sur la stratégie européenne visant à le promouvoir, comme en témoignent notamment les prises de position et courriers adressés à la Commission européenne que vous nous avez transmis.

Comme vous le savez, la Commission européenne a présenté le 8 juillet dernier une stratégie de promotion de l'hydrogène « vert », afin de permettre la décarbonation des secteurs économiques difficiles à décarboner, comme les transports collectifs et individuels où les alternatives aux énergies fossiles sont inexistantes, la production d'électricité, le bâtiment ou certaines industries très polluantes, comme la pétrochimie ou la sidérurgie. Elle préconise à cette fin une approche par étapes, dans l'objectif de la neutralité carbone d'ici 2050.

Nous allons d'abord vous laisser exposer, en cinq à dix minutes chacun, votre point de vue sur les enjeux du développement de l'hydrogène vert et sur cette stratégie présentée par la Commission, qui a déjà mis à l'étude plusieurs axes de réflexion. Des textes législatifs sont ainsi en cours d'élaboration.

Ce sujet est d'actualité dans ma circonscription, puisqu'il existe un comité de pilotage pour le déploiement de la filière hydrogène en Touraine. Cela avance plutôt bien, mais nous nous posons quand même encore beaucoup de questions, d'autant que nous ne connaissons pas véritablement les processus technologiques. A priori, quand nous entendons le mot hydrogène, nous vient à l'esprit l'idée de quelque chose qui explose, si je peux être un peu familière. Est-ce que cela explose effectivement, non au sens propre, mais dans le sens que nous souhaitons tous, à savoir celui de la transition énergétique ? On parle aussi de problèmes de stockage. Aujourd'hui, la production d'hydrogène de masse reste assez coûteuse.

Je pense que vous avez tous des réponses à nous apporter, mais avant de vous entendre je laisse la parole à Cédric Villani, président de l'Office, pour un propos liminaire.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Nous sommes ici rassemblés dans une configuration inédite, réunissant pour la première fois la Commission des affaires européennes et l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. C'est très bien, parce que le sujet est à la fois pleinement scientifique, technologique, d'innovation, de R&D, et pleinement européen. J'ai eu l'occasion d'aborder le sujet de l'hydrogène, dans l'enceinte du Parlement, une première fois dans le cadre de la préparation d'un avis de la Commission des affaires économiques sur le budget de la recherche, et une seconde fois dans le cadre d'une audition conjointe organisée avec le Bundestag par Michel Delpon et des députés allemands intéressés à l'hydrogène.

Cela m'a permis de constater, d'abord, que nous avions des progrès à faire pour une bonne communication entre l'Assemblée nationale et le Bundestag : il faut organiser des réunions bilatérales fréquentes pour que nos moyens de communication, notamment la traduction, soient efficaces. J'ai vu ensuite combien il était important de confronter les idées. Il est apparu que les piliers, les orientations de la stratégie française et de la stratégie allemande n'étaient pas exactement les mêmes, qu'il y avait un volet nucléaire du côté français qui n'existait pas du côté allemand, que du côté allemand la stratégie était orientée vers l'hydrogène 100 % vert, mais sur la base d'une production en grande partie externalisée, là où le projet français insiste sur une production internalisée.

Dans ce contexte, nous nous sommes dit qu'il était important de confronter les idées, de témoigner d'une prise de conscience, de vérifier qu'une vision commune, ou en tout cas coordonnée, se dégage, une vision dans laquelle il est question non seulement d'émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de gains en termes d'empreinte carbone ; dans laquelle nous nous intéressons à toute la chaîne, de la production de l'hydrogène jusqu'à son utilisation, en passant par son transport, et aux innovations que cela implique, y compris en termes d'usages.

Nous voyons à quel point l'hydrogène fait intervenir une multiplicité d'acteurs et une multiplicité de problématiques, et combien il est important de se saisir de ce sujet. L'enjeu est bien sûr européen, tout à la fois en termes de souveraineté énergétique et de transition écologique, pour laquelle il est urgent d'agir. La période est propice, puisque du côté français le plan hydrogène, cette fois, est à la hauteur des enjeux. Comme je l'ai écrit dans l'avis la Commission des affaires économiques, nous pouvons dire : « hydrogène, année zéro pour la France », au sens où le plan hydrogène a vraiment changé de dimension cette année.

C'est pourquoi l'audition d'aujourd'hui prend tout son sens.

M. Nicolas Bardi, Sylfen. - Je suis président de la start-up française de l'hydrogène Sylfen et je suis très heureux de pouvoir témoigner aujourd'hui en tenant un propos qui sera peut-être un peu décalé, mais dont l'objectif est de contribuer à la réflexion sur les stratégies et les politiques européennes de l'hydrogène.

L'entreprise a été créée il y a cinq ans à Grenoble. C'est une start-up de dix-huit personnes et nous développons l'utilisation de l'hydrogène pour le secteur des bâtiments et des éco-quartiers, dans un second temps peut-être pour des usages industriels. Pourquoi cette cible, qui n'est pas forcément celle qui est la plus mise en avant aujourd'hui ? Quand on regarde à l'échelle européenne, la consommation d'énergie des bâtiments représente, avec l'électricité, la chaleur, la climatisation, etc., 36 % des émissions de CO2. C'est, par exemple, beaucoup plus que le transport aérien. Et si l'on considère ce sujet avec un prisme français, où l'électricité est relativement bon marché par rapport à d'autres pays européens et où sa production émet peu de gaz à effet de serre, grâce à l'hydraulique et au nucléaire, on peut avoir tendance à considérer qu'alimenter les bâtiments en électricité est une bonne solution. Dans la plupart des pays européens où l'essentiel de l'électricité est produit à partir de gaz naturel ou de charbon, et de plus en plus à partir d'énergies renouvelables, ce n'est pas une solution, parce qu'alimenter ces bâtiments en électricité, produite à partir de gaz par exemple, émet beaucoup plus de gaz à effet de serre qu'en alimentant directement les chaudières avec du gaz naturel, puisqu'on évite la perte de rendement résultant du passage du gaz à l'électricité, puis de l'électricité au chauffage.

Nous avons en France des raisonnements un peu différents de ceux des autres pays européens. Que pouvons-nous faire avec l'hydrogène en matière de bâtiments ? Aujourd'hui, nous savons produire localement de l'énergie renouvelable avec de l'énergie solaire. Si nous décidons de transformer localement l'énergie solaire en hydrogène par électrolyse de l'eau quand nous n'en avons pas besoin, par exemple un week-end dans un bâtiment de bureaux, quand il fait vraiment très beau et que le bâtiment ne consomme quasiment rien, nous allons générer des stocks d'énergie renouvelable sous forme d'hydrogène. Nous pourrons ensuite l'utiliser de façon différée, pour produire de l'électricité et de la chaleur dans les bâtiments.

C'est ce que Sylfen développe. Plutôt que chercher à alimenter un bâtiment à hauteur de 30 ou 35 % de ses besoins énergétiques, ce qui est l'ordre de grandeur de l'autoconsommation solaire pouvant être atteinte sans stockage, nous sommes capables de l'alimenter à 60 ou 70 %, voire jusqu'à 100 %, avec de l'énergie renouvelable produite localement. Celle-ci est stockée grâce à une technologie réversible, qui par moments produit de l'hydrogène par électrolyse de l'eau à partir de l'électricité verte disponible sur place, et par moments fonctionne comme une pile à combustible, en générant de l'électricité et de la chaleur pour le bâtiment.

Nous avons développé une première preuve de concept. Nos démonstrateurs sont financés à hauteur de 3,7 millions d'euros, pour deux tiers par des projets européens - nous sommes très impliqués dans la recherche européenne - et pour un tiers par des financements français. Nous venons de signer deux commandes commerciales pour les premiers produits qui seront déployés sur le territoire l'année prochaine.

Quand on regarde aujourd'hui la politique de l'hydrogène, on constate qu'il y a une très forte inflexion, à la fois au niveau de la politique européenne et des politiques des États-membres. Cette évolution extrêmement favorable est indispensable, puisque les autres zones de développement économique que sont l'Asie et les États-Unis sont également extrêmement ambitieuses et dynamiques en matière d'hydrogène.

On constate ensuite que les plans sont très orientés vers la production massive d'hydrogène, puis sa distribution à l'échelle du territoire pour alimenter un certain nombre d'usages. Cette vision est une sorte de reproduction du modèle centralisé électrique, ou de la façon dont l'infrastructure pétrolière ou gazière s'est développée, avec de grandes unités de production et de gros tuyaux qui permettent de distribuer l'hydrogène vers des usages. L'allocation des ressources pour le développement de l'industrie de l'hydrogène est donc un sujet de débat : quel doit être l'équilibre entre la production centralisée et la production décentralisée ?

L'intérêt de l'hydrogène est que c'est un gaz, un vecteur énergétique que l'on peut produire où l'on veut. Il suffit pour cela d'avoir un électrolyseur et de l'électricité. On peut aussi le faire, localement, à partir de biogaz ou d'autres ressources de biomasse. La question est : va-t-on répartir des unités de production d'hydrogène de petite puissance partout sur le territoire, ou va-t-on développer des unités de production d'hydrogène de très forte puissance, puis un maillage de distribution ?

Il faut trouver un équilibre. Regardons, par exemple, comment se déploie l'énergie solaire : il y a à la fois de très grandes centrales et des productions décentralisées, à l'échelle des bâtiments, par exemple sur des ombrières de parkings, sur des toits d'entrepôts, etc. Ces deux filières solaires coexistent, aucune n'est ridicule par rapport à l'autre, et les deux visions, centralisée et décentralisée, sont aussi légitimes.

Or la dernière communication de la Commission européenne sur la stratégie européenne de l'hydrogène montre un très grand déséquilibre au seul bénéfice d'une vision centralisée. Il y a juste, en page 6, un petit paragraphe présentant une sorte de seconde étape du développement de l'hydrogène en Europe, où des clusters locaux se développeraient en s'appuyant sur une production locale, basée sur une énergie renouvelable produite de façon locale, éventuellement transportée sur de courtes distances. Ce paragraphe indique que l'infrastructure locale de l'hydrogène pourra non seulement servir des usages de transport ou d'industrie, mais également générer de l'électricité et de la chaleur pour les bâtiments.

Or il s'agit de ce que fait Sylfen. Cette action-là est certes évoquée dans la stratégie européenne, mais rien n'est expliqué sur la façon dont ces clusters vont se développer et vont être soutenus en parallèle du développement des usages centralisés de l'hydrogène.

Voilà ce sur quoi je suis vigilant. Il faut savoir que les coûts diffèrent d'un facteur à peu près 5, entre la partie centralisée de notre système énergétique et les usages. En ordre de grandeur, le coût de production de l'électricité est 40 euros le mégawattheure. De grandes centrales solaires, dans des pays très ensoleillés, produisent aujourd'hui à moins de 20 euros le mégawattheure. Quand vous regardez votre facture électrique, on démarre en France pour certaines entreprises aux alentours de 70 euros le mégawattheure, pour les particuliers c'est plutôt 110. Les particuliers allemands payent 300 euros le mégawattheure. L'écart est très important.

Pour l'hydrogène, c'est assez similaire. On parle d'un coût de production par des moyens centralisés allant de 1,5 à 2,5 euros par kilogramme, avec de gros électrolyseurs et de l'électricité peu chère. Si cette électricité est d'origine nucléaire, on peut garantir qu'elle ne sera pas chère et pas carbonée toute l'année, 24 heures sur 24. Si elle est d'origine renouvelable, forcément, ce ne sera pas 24 heures sur 24, 365 jours par an. Et puis, les usages de l'hydrogène verront un « prix à la pompe » plutôt de l'ordre de 6 à 10 euros du kilogramme.

À ce prix en usage final, la production décentralisée parvient à être compétitive, de la même façon que le solaire décentralisé est beaucoup plus cher que le solaire centralisé, mais reste moins cher que le prix de l'électricité payé par les particuliers. Les productions locales d'hydrogène vont être plus chères que les productions centralisées, de l'ordre de 5 à 6 euros du kilogramme, et néanmoins compétitives par rapport au prix de vente de l'hydrogène aux utilisateurs finaux.

Je vous remercie beaucoup de votre invitation : cela me permet de souligner le besoin de réfléchir aux modalités particulières de soutien aux productions décentralisées d'hydrogène, connectées aux énergies renouvelables qui, à mon sens, sont aujourd'hui l'un des moteurs forts de la transition énergétique. Les collectivités locales et les citoyens cherchent des solutions pour entrer dans des logiques de circuits courts : traçabilité, production et utilisation locale de l'énergie renouvelable ; ils ne souhaitent pas rester dans des modèles d'injection de grosses capacités produites sur des territoires, que les habitants verraient juste passer au-dessus de leurs têtes. Il faudra donc trouver un équilibre entre l'aspect centralisé et l'aspect local de la filière hydrogène.

M. Philippe Boucly, France Hydrogène. - Je suis président de France Hydrogène, qui est le nouveau nom de l'association d'abord dénommée AFH2, puis APHYPAC. Récemment, nous avons pris ce nom, pour bien signifier que nous voulons développer une filière française compétitive de l'hydrogène. L'association connaît une forte dynamique : nous étions 120 en janvier 2019 et nous approchons le cap des 240 membres, que nous atteindrons probablement en début 2021. Elle est composée d'une quarantaine de grands groupes, d'une centaine de PME-PMI, de l'ensemble des centres de recherche français sur l'hydrogène au CEA et au CNRS et, ce qui fait probablement notre spécificité, de 70 associations, collectivités territoriales, syndicats d'énergie ou de transport et pôles de compétitivité. L'ensemble des régions françaises sont membres de l'association. Le rôle d'une association telle que France Hydrogène est de promouvoir l'hydrogène et de développer une filière française compétitive. Au plan européen, nous sommes membres d'Hydrogène Europe, association regroupant l'ensemble des industriels européens engagés dans l'hydrogène, l'ensemble des laboratoires européens qui travaillent sur l'hydrogène et les associations nationales telles que la nôtre qui ont bien voulu adhérer à cette association européenne. Nous déployons actuellement des démarches pour être actifs dans la Clean Hydrogen Alliance, l'Alliance pour l'hydrogène. Il y aura six tables rondes, nous sommes candidats pour au moins l'une d'entre elles - la production ou éventuellement l'industrie. Il y a d'autres tables rondes sur le transport et la distribution de l'hydrogène, mais également sur l'hydrogène - énergie, l'hydrogène pour les bâtiments et l'hydrogène pour la mobilité.

Le dynamisme que l'on observe actuellement est le résultat d'une montée en puissance. Je situe le fait générateur - je ne dis pas cela parce que nous sommes aujourd'hui devant l'OPECST - au rapport de l'Office « L'hydrogène : vecteur de la transition énergétique » de janvier 2014, qui donnait au Gouvernement des recommandations pour développer l'hydrogène en France. Un appel à projets a ensuite été lancé sous l'égide d'Emmanuel Macron, à l'époque ministre de l'Économie, et Ségolène Royal, ministre de l'Écologie, qui a connu un grand succès. La plupart des régions de France ont proposé des projets dans ce cadre. Le 1er juin 2018, le plan Hulot a donné une impulsion majeure au développement de l'hydrogène, mais il faut bien reconnaître qu'il manquait d'une vraie visibilité financière. Le ministre avait dit à l'époque : « nous allons mettre 100 millions d'euros dès 2019 ». Nous avons vu ces 100 millions, mais il n'y avait pas de visibilité plus lointaine. Cependant, les objectifs du plan Hulot ont été repris dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), et un objectif majeur de ce plan, atteindre 20 à 40 % d'hydrogène décarboné à l'horizon 2030, a été repris dans la loi Énergie et Climat. Nous nous en félicitons, bien évidemment.

Nous en arrivons donc à la stratégie nationale, présentée le 8 septembre 2020 par les deux ministres concernés. Ce qui fait la différence avec le plan Hulot, c'est qu'il y a, cette fois, un lien très étroit entre l'écologie et l'économie, chacune s'appuyant sur l'autre pour présenter une vision qui correspond en tout point à celle que l'association avait développée dans le manifeste Pour un plan national hydrogène ambitieux et cohérent, que nous avons publié en juillet de cette année.

Je vais dire quelques mots sur l'articulation entre la stratégie européenne et la stratégie française. Les deux mettent l'accent sur l'hydrogène renouvelable mais aussi sur l'hydrogène bas carbone, au moins pour une période de transition, s'agissant de l'Europe. La voie privilégiée est l'électrolyse de l'eau, c'est-à-dire la décomposition de l'eau par un courant électrique, avec pour la France un objectif de 6,5 gigawatts d'électrolyseurs à l'horizon 2030 et, au niveau européen, une initiative portant sur 40 gigawatts sur le sol européen et 40 gigawatts dans les pays limitrophes. L'Ukraine est citée, les pays d'Afrique du Nord le sont aussi.

La stratégie française et la stratégie européenne partagent également les mêmes cibles, à savoir l'industrie et le transport lourd, c'est-à-dire les bus, les bennes à ordures, les camions, le train, le bateau et, dans un avenir plus lointain, l'avion. Les objectifs côté français sont fixés par l'article premier de la loi Énergie et Climat à 20 à 40 % d'hydrogène décarboné. Pour donner un ordre de grandeur - qui ne figure pas dans le dossier de presse du Gouvernement -, nous avons évalué la production nécessaire à environ 700 000 tonnes d'hydrogène, à comparer à environ 900 000 tonnes de production actuelle. Au niveau européen, les objectifs sont d'un million de tonnes à l'horizon 2024 et 10 millions à l'horizon 2030.

Le dossier de presse gouvernemental ne fait pas le distinguo, il parle d'hydrogène vert ou renouvelable, ce qui peut vouloir dire renouvelable ou bas carbone. Pour développer ces tonnages d'hydrogène renouvelable ou bas carbone, nous disposons en France d'une électricité décarbonée issue du parc nucléaire, mais également du parc hydraulique, qui permet de produire de l'hydrogène en émettant beaucoup moins de gaz carbonique que la production traditionnelle par vaporeformage.

La directive européenne Énergies renouvelables, que nous appelons RED II puisqu'elle vient d'être révisée, propose un levier puissant qui va permettre d'utiliser de l'hydrogène renouvelable dans les raffineries. Je pense qu'on y reviendra dans la suite de l'audition.

Dans ces deux stratégies, européenne et française, les enjeux de compétitivité sont bien cernés. Il s'agit de réduire d'un facteur trois ou quatre le coût de l'hydrogène, qui est encore trop élevé, pour arriver dans certains cas à une parité avec le gaz naturel, c'est-à-dire à peu près à 1,5 euro par kilogramme. Il s'agit donc de changer d'échelle, et dans la situation actuelle la nécessité d'un soutien public est avérée, qu'il soit européen, national, voire régional, puisque quasiment toutes les régions ont maintenant des feuilles de route et des stratégies hydrogène.

En termes de soutien, les choses se précisent en France au travers de l'ordonnance prise au titre de l'article 52 de la loi Énergie-Climat, qui est déjà passée devant le Conseil supérieur de l'énergie et la Commission de régulation de l'énergie (CRE), et qui doit repasser au Conseil d'État avant d'être notifiée à Bruxelles. On pense donc à une mise en oeuvre au deuxième semestre 2021. Les modalités précises ne sont pas encore bien définies. La Commission européenne penche pour un Carbone contract for difference, consistant à compenser l'écart entre le coût de la tonne de carbone évitée par le projet promu et le coût du carbone dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission (en anglais Emission Trading Scheme). Notre souhait est de nous placer dans le cadre d'un IPCEI (Important Project of Common European Interest ou « projet important d'intérêt européen commun »), de façon à pouvoir faire émerger des champions nationaux et développer une véritable industrie de l'hydrogène en France.

Des moyens de financement sont également identifiés. Pour la France, nous les avons évalués à 24 milliards d'euros. C'est le montant des investissements que les acteurs économiques doivent réaliser pour atteindre l'objectif de 20 à 40 % d'hydrogène décarboné à l'horizon 2030.

Au niveau européen, les estimations sont de l'ordre de 100 à 120 milliards d'euros. Nous avons le sentiment que les investissements des collectivités ne sont pas inclus dans ce montant, alors que dans notre estimation ils le sont. Ils consistent notamment dans le renouvellement des flottes de bus, de camions ou de bennes à ordures, ou le renouvellement ou l'achat de véhicules utilitaires légers.

Au niveau français, le soutien est de 7,2 milliards d'euros sur la décennie qui vient. Au niveau allemand, il est de 9 milliards d'euros, se décomposant en 7 milliards pour développer une activité, une économie, une industrie de l'hydrogène sur le territoire allemand, et 2 milliards pour développer des coopérations, permettre la production et l'acheminement d'hydrogène dans des pays adjacents, notamment en Afrique du nord. L'Espagne met 8,9 milliards, l'Italie 4 milliards, l'Autriche 2 milliards et le Portugal 1 milliard.

Je termine mon propos liminaire par quatre points de vigilance.

Le premier m'apparaît le plus important, car il concerne la neutralité technologique. Actuellement, au niveau européen, une préférence, pour ne pas dire une exclusivité, est donnée à l'hydrogène d'origine renouvelable - nous identifions un certain nombre de signaux en ce sens. C'est un point sur lequel il faut être particulièrement vigilant, dans la mesure où il risque d'écarter, ou du moins de ne pas favoriser, le recours à l'électricité nucléaire tel qu'il existe dans le mix énergétique français, qui permettrait d'obtenir de l'hydrogène rapidement et dans de bonnes conditions. Il faut savoir quelle est la priorité : décarboner l'économie ou favoriser les énergies renouvelables. Évidemment, notre préférence va à la décarbonation de l'économie.

La stratégie européenne envisage et admet, dans une période transitoire, le vaporeformage, processus qui casse la molécule de méthane et donne de l'hydrogène et du gaz carbonique, dès lors qu'il serait couplé à ce que l'on appelle le CCS (carbone capture and storage) ou le CCU (carbon capture and utilization). Il s'agit de capter le gaz carbonique, soit pour l'utiliser, comme le fait Air Liquide dans la raffinerie de Port-Jérôme en Normandie, soit pour le transporter sur des bateaux, puis l'enterrer dans des gisements en mer du Nord, comme cela se pratique de plus en plus. Cette solution est admise de manière transitoire au plan européen mais ignorée en France. Les autorités françaises doivent être vigilantes, car il ne faudrait pas que cela se développe ailleurs et que la France soit également en retard sur ce point. France Hydrogène a pris contact avec plusieurs parlementaires européens, dont certains sont « autour de la table » et nous avons sensibilisé les services de la Commission européenne, notamment la DG Énergie. Je crois que les choses vont se nouer au moment où nous allons travailler sur l'amendement à la directive RED II, au deuxième trimestre 2021.

Parallèlement, en partenariat avec RTE, ou en prolongement de l'étude approfondie qu'il mène actuellement, et dans le cadre d'une concertation avec tous les acteurs, nous allons regarder comment se présente l'équilibre des différentes énergies en France, sachant qu'il y a des interactions très fortes entre elles, pour déterminer s'il y aura assez d'énergies renouvelables pour alimenter le marché jusqu'en 2050. Nous regarderons aussi certaines variantes, par exemple si l'efficacité énergétique n'est pas au rendez-vous, si le l'éolien offshore ne décolle pas assez vite, ou si l'éolien onshore est bloqué...

Le deuxième point de vigilance porte sur la nécessité de faire baisser les coûts. Le seul moyen est de continuer à innover et à faire de la recherche et du développement. Mais il faut aussi appliquer les mêmes méthodes que pour d'autres technologies émergentes : il faut changer d'échelle, à la fois dans la production d'hydrogène et dans la production de technologies pour produire l'hydrogène, le distribuer et l'utiliser. Le corollaire est que la production de ces technologies soit faite en France ou au minimum en Europe, pour contribuer à la réindustrialisation.

Pour ce faire, nous comptons sur la mise en place de l'IPCEI, que j'ai déjà mentionné. Nous avons bien conscience que cela n'apporte pas de financement européen, mais il s'agit d'appliquer à l'hydrogène ce qui a été fait sur les batteries. Dès à présent, l'hydrogène est reconnu comme une chaîne de valeur stratégique. L'étape suivante est de faire reconnaître que celle-ci doit faire partie d'un projet important d'intérêt européen commun. Ceci permettra de faire émerger des champions nationaux qui construiront notamment des gigafactories, ces grandes usines qui permettront de mettre en oeuvre les technologies à moindre coût.

Nous sommes relativement confiants sur ce plan. Il suffit de lire le communiqué de presse publié par l'Élysée le 13 octobre 2020, à la suite de la rencontre entre le président de la République et la chancelière allemande : il dit clairement que les deux pays souhaitent qu'il soit décidé d'un IPCEI avant la fin de cette année. Il faudra évidemment, au-delà de la France et de l'Allemagne, rallier un maximum de pays européens.

Là encore, cela va demander une révision des textes, notamment des lignes directrices sur les aides d'État pour l'énergie et l'environnement, pour que celles-ci soient étendues à l'hydrogène. Cela devrait être fait en 2021.

Mme Sabine Thillaye, députée. - Je dois malheureusement vous arrêter car Mme Laura Buffet doit aussi intervenir et nous avons déjà beaucoup de questions. Nous pourrons revenir sur ce point dans la suite de la discussion.

Mme Laura Buffet, ONG Transport et environnement. - Je vais commencer par dire quelques mots sur Transport et environnement. C'est une fédération d'ONG basée à Bruxelles, qui réunit environ soixante membres à travers l'Europe, dont quatre en France, par exemple le Réseau action climat ou France nature environnement. Nous avons six bureaux nationaux à travers l'Europe, dont un vient d'ouvrir à Paris. Notre rôle, au niveau européen et international, est de s'assurer que les politiques de transport permettent de réduire les émissions de CO2 du secteur, et plus généralement l'impact environnemental de ce dernier.

En guise d'introduction, je voulais mentionner que notre priorité est de mettre en place des mesures pour réduire la demande en énergie du secteur. Cela passe, par exemple, par le transfert modal, le soutien aux mobilités douces, etc. En ce qui concerne l'hydrogène, le sujet d'aujourd'hui, nous pensons vraiment que cette technologie zéro émission aura un rôle à jouer dans ce secteur.

Pendant ma présentation, je vais regarder plus en détail trois questions principales : le mode de production d'hydrogène, mentionné précédemment, la question de l'efficacité énergétique et la disponibilité d'autres technologies zéro émission dans les différents segments du transport, pour voir in fine quel rôle l'hydrogène aura à jouer dans ceux-ci.

En ce qui concerne le mode de production, la majorité de l'hydrogène est actuellement produit à partir de ressources fossiles, de gaz naturel plus précisément. Le graphique que je vous présente précise le niveau des émissions de CO2 selon différents modes de production d'hydrogène. Vous y voyezla première option, qui est celle de la production à partir de gaz fossile, la plus émettrice. La deuxième option est l'utilisation du gaz combinée à la technologie de capture et de séquestration du CO2. La troisième option, avec des émissions de CO2 qui restent significatives, est l'électrolyse utilisant le mix électrique européen moyen qui n'est pas encore totalement décarboné. La dernière option est la production à partir d'électricité renouvelable additionnelle. C'est clairement l'option qui permet de réduire les émissions de CO2 de la manière la plus nette.

Il y a beaucoup de discussions au niveau européen sur l'hydrogène dit bleu - c'est-à-dire la deuxième option. Mais nous voyons qu'elle ne réduit pas autant les émissions de CO2 que l'option électricité renouvelable. Or sur le long terme, l'objectif est bien de réduire la dépendance aux ressources fossiles. En continuant à soutenir le gaz fossile à travers l'hydrogène, nous irions clairement dans la direction opposée.

La stratégie de l'Union européenne laisse la porte ouverte à différents modes de production d'hydrogène, mais je pense qu'il est important de rappeler que sa priorité est de développer l'hydrogène renouvelable. Tous les objectifs chiffrés sont en fait des objectifs liés à l'hydrogène renouvelable seulement.

Sur la base de ces constats, notre ONG recommande de soutenir uniquement la filière renouvelable. Au niveau européen, nous travaillons aussi afin de nous assurer qu'il y ait des critères de durabilité, pour que l'hydrogène renouvelable soit le plus propre possible, qu'il soit produit dans l'Union européenne ou importé.

La question de l'efficacité énergétique est très importante quand on parle de l'hydrogène. Il faut deux fois plus d'électricité pour produire l'hydrogène à travers l'électrolyse puis l'utiliser dans un véhicule à piles à combustible qu'avec un véhicule électrique. À gauche dans cet autre graphique, les deux premières colonnes représentent différents scénarios, selon que l'on considère une décarbonation complète du secteur des camions avec l'électrification ou avec l'hydrogène. Vous voyez qu'il y a un doublement de la quantité d'électricité nécessaire dans le scénario hydrogène, de par des rendements plus faibles, à cause de toutes les étapes de conversion supplémentaires par rapport à l'utilisation directe d'électricité.

Ce qui est intéressant, c'est que la stratégie hydrogène a été publiée en juillet, en parallèle d'une stratégie sur l'intégration des systèmes énergétiques. Cette stratégie préconise l'électrification directe accrue des secteurs et mentionne que les carburants renouvelables comme l'hydrogène devraient être utilisés seulement là où l'électrification n'est pas efficace, pas possible ou trop coûteuse.

Sur la base de ces constats, nous recommandons vraiment à l'Union européenne et aux États membres de favoriser l'électrification directe, partout où cela est possible dans le secteur du transport.

Ces éléments étant posés, regardons les différents types de transport et voyons quelles alternatives existent et quel est le rôle de l'hydrogène dans tous ces segments.

Pour les voitures individuelles, les vans et les bus urbains, le véhicule électrique est déjà le choix le plus efficace énergétiquement, comme je viens de le montrer, mais aussi le plus rentable économiquement. Il y a d'ailleurs, à l'heure actuelle, beaucoup plus de modèles électriques que de modèles à hydrogène pour toutes ces catégories de véhicules. En ce qui concerne les camions de 16 tonnes et moins, nous faisons le même constat, surtout pour les livraisons locales. Pour les camions de plus de 16 tonnes, la question reste ouverte. Un camion à hydrogène a un coût de propriété total, c'est-à-dire un coût d'achat et d'utilisation, plus élevé que celui d'un véhicule électrique, parce que le carburant hydrogène est plus cher. En revanche, les temps de recharge sont plus rapides pour un camion à hydrogène, ce qui permet une plus grande autonomie. Sur le segment des camions de plus de 16 tonnes, il faudra laisser l'industrie décider quelle est l'option la plus favorable pour le marché.

Le règlement de l'Union européenne sur les émissions de CO2 des camions va être revu dans les prochaines années. Il est vraiment essentiel que soit fixé un objectif zéro émission pour les camions d'ici à 2030, afin d'avoir à la fois des camions électriques et des camions à hydrogène. Nous verrons in fine quel est le choix favorisé par le marché.

Pour le secteur aérien, il n'y a pas encore de solution technologique zéro émission disponible aujourd'hui sur le marché. Il faut donc réfléchir à la façon de changer les carburants utilisés par les avions actuels. Il y a de nombreuses discussions au niveau européen sur l'utilisation de biocarburants, notamment produits à partir de déchets et de résidus. Nous nous sommes penchés sur la question : il est clair qu'il n'y a pas assez de biocarburants pour assurer que le secteur aérien puisse réduire ses émissions de CO2. Cela crée une opportunité pour l'hydrogène, à travers la production de ce qu'on appelle des carburants synthétiques. Ce sont des carburants produits à partir d'hydrogène renouvelable auquel on associe du CO2, ce qui donne un carburant synthétique qui peut être utilisé dans les avions actuels. Sur ce point, l'Union européenne va développer une initiative qui va être publiée en début d'année prochaine. Nous demandons à ce qu'il y ait un vrai signal, un objectif incitatif, pour que le secteur aérien commence à utiliser ces carburants synthétiques et que l'hydrogène puisse jouer un rôle par ce biais-là.

En matière de transport fluvial ou maritime, il faut rappeler que des mesures d'efficacité énergétique permettraient de réduire de 30 % les émissions de gaz à effet de serre. C'est vraiment une priorité au niveau européen.

Pour les courtes distances, l'électrique a beaucoup à offrir. On voit déjà beaucoup d'initiatives autour de ferries électriques, de barges électriques, de navettes fluviales. En revanche, pour le transport à plus longue distance, l'hydrogène renouvelable et l'ammoniac produit à partir d'hydrogène renouvelable auront un rôle à jouer. Ce sont les seules solutions pour arriver à zéro émission dans le transport de marchandises par la mer. Une réglementation de l'Union européenne est en discussion, avec une proposition attendue en début d'année prochaine. Nous espérons vraiment qu'il y aura des outils incitatifs pour faire en sorte que le secteur non seulement mette en oeuvre des mesures d'efficacité énergétique, mais aussi se prépare à adopter beaucoup plus d'hydrogène et d'ammoniac.

Les trois principales recommandations sont donc de : soutenir uniquement l'hydrogène renouvelable au niveau européen et par les pays membres, favoriser l'électrification directe partout où c'est possible, puisque c'est l'option la plus efficace, et s'assurer que l'aviation et le transport maritime deviennent des marchés clés pour l'hydrogène. C'est au niveau européen que des initiatives doivent être prises pour s'assurer d'une demande de ces secteurs.

Mme Sabine Thillaye, députée. - Merci beaucoup, Mme Buffet. Je vais passer sans tarder la parole aux orateurs de groupe. Pour La République en marche, Caroline Janvier.

Mme Caroline Janvier, députée. - Merci à vous trois pour ces présentations à la fois succinctes et complètes.

C'est aujourd'hui un fait, l'Europe se trouve, comme le reste de la planète, à un tournant énergétique majeur de son histoire industrielle, un tournant nécessaire, je dirais même impératif, que la France comme l'Union européenne ont cependant fait le pari d'aborder comme un défi positif à l'égard de nos capacités d'innovation. Comme vous le savez, l'hydrogène possède des avantages incontournables. Il peut être utilisé comme solution de transport, carburant, stockage d'énergie ou encore matière première. Plus que tout, l'usage de l'hydrogène est neutre en émission carbone.

Le temps est venu de verdir nos sources d'énergie et l'Union européenne l'a bien compris. C'est le sens du Pacte vert pour l'Europe, le Green Deal, qui souligne le besoin d'être pionnier en matière énergétique, pour être le premier continent à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. En 2018, la stratégie européenne bas carbone évoquait elle aussi l'hydrogène dans le mix énergétique de l'Union, dont la part devrait passer de moins de 2 % aujourd'hui à près de 14 % en 2050.

Entre-temps, la crise sanitaire a déstabilisé les économies européennes, conduisant Paris comme Bruxelles à construire un plan de relance ambitieux. Ce plan de relance vise, entre autres, à renforcer les investissements dans des technologies propres, au sein desquelles l'hydrogène figure en bonne place.

L'hydrogène c'est bien, mais l'hydrogène propre c'est mieux. Outre le développement de l'usage de l'hydrogène à travers l'Europe, c'est en particulier la part d'hydrogène propre qu'il faudra accroître. C'est un défi, car, nous le savons, il n'est pas encore compétitif face à l'hydrogène d'origine fossile, bien que le prix de l'hydrogène d'origine renouvelable diminue année après année. Mais le défi est là aussi relevé, puisque le programme de recherche Horizon Europe aura notamment pour but de permettre le développement de nouvelles technologies destinées à renforcer l'hydrogène propre. C'est dans cette dynamique que s'inscrit également le Gouvernement, aux côtés du Président Macron, avec l'appui de notre majorité parlementaire. Ainsi, pionnière parmi les pays du monde, la France a présenté à la mi-2018 son plan de déploiement de l'hydrogène. Cette ambition s'est encore affirmée en septembre, avec la publication d'une stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné en France. Axe prioritaire d'investissement pour notre pays, cette stratégie tient compte des questions environnementales, notamment dans les transports, des questions économiques, afin de nourrir un écosystème industriel porteur et durable et enfin, des questions de souveraineté technologique et énergétique, plus que jamais d'actualité. Les moyens accordés sont de 7 milliards d'euros de soutien public jusqu'en 2030, dont 2 milliards au sein du plan de relance.

L'objectif est d'économiser plus de 6 mégatonnes de CO2 en 2030, soit l'équivalent des émissions annuelles de CO2 de la ville de Paris, tout en générant entre 50 et 150 000 emplois en France. Force est de constater que le gouvernement français, comme l'Union européenne, comptent bien être au rendez-vous du tournant de l'hydrogène, pour mettre à profit ses caractéristiques environnementales, renforcer la production d'hydrogène propre et en faire bénéficier un nombre croissant de secteurs. C'est pour cela que le groupe parlementaire La République en marche est ravi de cette table ronde permettant de bénéficier de vos expertises respectives sur le sujet.

Pour démarrer nos échanges, j'ai une question sur les liens de l'hydrogène avec l'énergie nucléaire. En effet, il semble difficile d'imaginer que la production d'hydrogène par les énergies renouvelables solaire et éolienne suffise à remplacer son équivalent d'origine fossile. Il s'agit alors d'investir fortement dans la recherche et développement, afin de développer des électrolyseurs verts, ce qui semble nécessairement passer par un recours au nucléaire, comme l'a récemment souligné le professeur Gérard Bonhomme. Quelle est votre position sur le sujet ? Considérez-vous le nucléaire comme un concurrent ou un allié du développement de l'hydrogène ?

Mme Sabine Thillaye, députée. - Merci. La parole est à Patrick Loiseau, pour le Mouvement démocrate et démocrates apparentés.

M. Patrick Loiseau, député. - Merci aux intervenants pour leur présentation sur ce sujet passionnant qu'est l'hydrogène.

Le développement de la filière d'hydrogène renouvelable résulte en effet d'une forte impulsion de la Commission européenne à travers sa stratégie présentée en juillet dernier, au croisement des objectifs du plan de relance et du pacte vert. Cette filière doit permettre d'atteindre le but d'une Europe neutre en émissions de carbone en 2050.

La France a pris le pas en investissant massivement pour le développement de la filière, à travers son plan de relance, à hauteur de 7 milliards d'euros. Filière porteuse d'emplois, contribuant à diversifier notre mix énergétique, comportant des avantages économiques et en termes de compétitivité, l'hydrogène vert semble présenter de nombreux atouts.

Mon département de Vendée est d'ailleurs l'illustration de l'excellence industrielle française en ce domaine. L'entreprise Life, que vous devez connaître, développe un site de production d'hydrogène fabriqué sans énergie fossile ni nucléaire, grâce à l'énergie issue d'un site d'éoliennes. L'objectif, à terme, est bien de pouvoir stocker et acheminer cette énergie, qui bénéficiera notamment aux entreprises et collectivités vendéennes.

Ce genre de projet témoigne de grandes avancées réalisées en matière de R&D sur cette technologie. La recherche reste cependant à encourager, et doit être plus largement déployée. Le cadre législatif européen doit aussi accompagner cette impulsion. Ainsi, la Commission a présenté un fonds d'innovation de 10 milliards d'euros pour l'hydrogène vert. En parallèle, elle souhaite établir un cadre législatif pour la recherche et l'innovation sur ces technologies.

Savez-vous comment ces deux aspects vont s'articuler ? De plus, comment s'assurer de la provenance de l'hydrogène ? Comment distinguer, pour la bonne information des consommateurs, l'hydrogène issu de l'énergie nucléaire et celui issu de l'énergie renouvelable ?

Certains États européens souhaitaient ainsi un système de certification pour une meilleure traçabilité de l'hydrogène vert. Connaît-on déjà les contours d'un tel dispositif ? Quels seraient les critères pris en compte pour une telle certification ? Enfin, la consommation de l'énergie issue de l'hydrogène est actuellement de 2 % en Europe. La Commission fixe un objectif de 12 à 14 % d'ici 2050. Les investissements en la matière vous semblent-ils à la hauteur de cet objectif très ambitieux ?

Mme Sabine Thillaye, députée. - La parole est à Chantal Jourdan pour le groupe Socialistes et apparentés.

Mme Chantal Jourdan, députée. - Merci à l'ensemble des intervenants.

L'objectif de neutralité climatique d'ici 2050 impose que nous développions et mettions en place les technologies répondant à cet objectif le plus rapidement possible. L'hydrogène participe de ces nouveaux procédés, bien qu'aujourd'hui il soit loin de remplir l'objectif d'une énergie neutre en termes d'émissions de gaz à effet de serre. En effet, une très importante partie de l'hydrogène produit est d'origine fossile, car résultant de divers procédés qui utilisent des combustibles fossiles comme matière première.

Le but est donc de décarboner cette ressource. Le plan de relance national consacre 2 milliards d'euros à cette technologie de l'hydrogène renouvelable et bas carbone. L'hydrogène vert ou renouvelable produit par électrolyse dépend de ressources électriques qui, pour garantir la neutralité carbone, doivent émaner d'énergies vertes, notamment l'éolien et le solaire. Le développement de cette énergie, au-delà de l'aspect technologique, va dépendre en grande partie de la capacité de production d'électricité renouvelable.

Dans la stratégie européenne, le déploiement à grande échelle de l'hydrogène renouvelable ne sera donc possible que dans un second temps, entre 2030 et 2050. La réalisation de cet objectif dépend donc en grande partie du déploiement des technologies de production d'électricité verte.

L'objectif européen vous semble-t-il raisonnable et quelles décisions doivent intervenir pour l'atteindre ?

Enfin, l'hydrogène bas carbone, c'est-à-dire d'origine fossile avec captage du CO2 ou produit par électrolyse à partir d'une source électrique carbonée, va disposer d'une part des financements européens et nationaux dans les années à venir. Cependant, ce qui nous semble essentiel, c'est bien que nous investissions dans l'hydrogène renouvelable, au risque de prendre du retard et de ne pas orienter suffisamment de fonds sur la technologie réellement verte où les efforts doivent être plus conséquents. Dispose-t-on d'une idée du fléchage qui va s'opérer entre les différentes technologies ?

Mme Sabine Thillaye, députée. - Merci. André Chassaigne pour la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne, député. - L'hydrogène n'est pas seulement l'élément le plus abondant de l'univers, il est le plus espéré et le plus attendu par ceux qui, comme nous, désirent mettre en oeuvre la reconstruction écologique. Les intervenants l'ont dit : pour décarboner l'économie mondiale, le recours à l'hydrogène apparaît aujourd'hui incontournable. Les industries chimiques et sidérurgiques, le raffinage, le transport maritime, l'aviation notamment, n'auront pas d'avenir sans son assistance. On ne peut donc que se féliciter des velléités européennes visant à développer l'hydrogène vert comme nouvelle source d'énergie pour les décennies à venir. C'est un choix politique heureux puisque, comme le soulignait Nicolas Hulot dans sa présentation du plan hydrogène : « l'hydrogène est aujourd'hui la seule technologie qui permet de stocker massivement et sur de longues périodes l'électricité produite à partir d'énergies renouvelables intermittentes. C'est donc un élément clé de la stabilité du mix électrique de demain. »

Source d'enthousiasme, le développement de l'hydrogène n'est cependant pas sans poser de nombreuses questions scientifiques, environnementales et politiques, comme nos intervenants l'ont d'ailleurs souligné.

La première question concerne la façon dont est recueilli cet élément. En dépit de son abondance, l'hydrogène est difficilement accessible, puisqu'il se trouve toujours cramponné à d'autres atomes. Nous savons que dans l'immense majorité des cas, l'hydrogène est actuellement produit, contrairement à ce qui a pu être dit par certains, à 95 % à partir d'énergies fossiles, consommant 6 % du gaz naturel et 2 % du charbon dans le monde. Les émissions associées dépassent 800 millions de tonnes de CO2 par an, soit 2,3 % des émissions totales, autant que l'aviation et autant que le transport maritime. Aujourd'hui, les plus optimistes, dont vous êtes, aiment à parler du développement d'hydrogène vert, celui-ci n'émettant pas de CO2 lors de sa combustion et durant sa production, puisque le processus utilise des énergies renouvelables, notamment les énergies solaire et éolienne, ainsi que des intrants neutres en carbone.

Fort bien, mais un tel renversement des proportions et des pratiques nous oblige collectivement à placer cette question - cela a d'ailleurs été dit par M. Boucly - au coeur du débat public français, notamment en abordant la place du nucléaire dans notre stratégie hydrogène. Il serait en effet inconcevable que l'hydrogène gris ou l'hydrogène bleu, plus émetteurs de CO2, viennent se substituer à un hydrogène censé nous tirer de l'impasse écologique dans laquelle l'humanité se trouve.

Ce point m'amène à évoquer la deuxième question, liée au développement de l'hydrogène sur le continent européen. Vous n'êtes pas sans savoir que je suis député communiste, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Nous ne cessons de répéter que sans l'intervention de la puissance publique, il n'y aura pas de transition énergétique à la hauteur des enjeux climatiques. L'hydrogène n'échappe pas à la règle puisque, comme le rappelle fort justement l'ADEME : « le déploiement d'une filière hydrogène nécessite des investissements relativement lourds, tant pour la production, la distribution que le stockage de l'hydrogène. Ceci suppose un engagement d'acteurs industriels et une maîtrise du risque économique par le soutien des pouvoirs publics. »

En d'autres termes, si nous voulons que l'hydrogène soit la porte de notre salut, il faudra que les puissances publiques jouent les premiers rôles et s'affranchissent des restrictions budgétaires et concurrentielles imposées actuellement par le cadre européen. Si nous pensons, par exemple, que les véhicules à hydrogène sont notre avenir, alors nous devons mettre en oeuvre une politique publique visant à l'installation d'un réseau de stations-service à hydrogène sur tout le territoire, et pas uniquement dans les métropoles où les opérateurs privés iront tout naturellement pour répondre à la demande, en laissant les territoires ruraux à l'abandon. Il en va de même pour notre stratégie industrielle. Si nous voulons constituer des champions européens de l'hydrogène, en particulier dans l'automobile, alors nous devons aller contre la philosophie politique qui anime le traité et le marché unique pour qu'enfin les États puissent jouer le rôle qui leur revient dans cet instant de notre histoire.

Je voudrais citer les propos tenus il y a quarante ans par Ronald Reagan, mais pour les contourner ensuite. Le 20 janvier 1981, Ronald Reagan tenait ces propos : « Dans cette crise actuelle, l'État n'est pas la solution à notre problème, il est le problème ». Moi, je dirais que dans la crise actuelle, sans l'État, sans les financements publics, l'hydrogène ne pourra pas être la solution à notre problème. Mais vous comprendrez que dans ma bouche, cela pose aussi la question de la maîtrise publique de l'hydrogène.

Mme Sabine Thillaye, députée. - Thomas Gassilloud, pour Agir ensemble.

M. Thomas Gassilloud, député. - Merci beaucoup pour cette table ronde et surtout l'approche combinée de la Commission des affaires européennes et de l'OPECST.

J'ai une question en lien avec une mission de l'OPECST que je conduis en ce moment avec le sénateur Stéphane Piednoir, qui suivait l'audition mais a dû s'absenter, portant sur les réacteurs nucléaires de quatrième génération. Cette question concerne un sujet qui a déjà été abordé : l'hydrogène d'origine nucléaire. Effectivement, il ne faut pas se tromper de combat entre énergie renouvelable et énergie décarbonée. La priorité me semble être absolument de produire l'hydrogène de manière décarbonée, alors que la plus grande part est aujourd'hui produite de manière fossile. J'aimerais attirer votre attention sur un point : pour assurer l'adéquation de la production et de la consommation d'électricité au cours de la journée, la France se trouve dans un cas très singulier, car avec 75 % d'électricité d'origine nucléaire, EDF doit « piloter » la production des centrales nucléaires. Nous les utilisons moins, d'une certaine manière, la nuit, contrairement à d'autres pays, par exemple les États-Unis, qui n'ont que 20 % d'électricité d'origine nucléaire et utilisent toujours leurs centrales nucléaires à leur puissance nominale.

Nous avons donc un potentiel important, avec une meilleure valorisation possible de notre parc nucléaire, d'autant que cette énergie nucléaire est à coût fixe et que le coût marginal du mégawattheure, quand on a déjà la centrale et la gestion du cycle, n'est plus d'une cinquantaine d'euros mais plutôt de quelques euros.

Que pensez-vous de la classification en hydrogène, gris ou vert, de l'hydrogène d'origine nucléaire ? Je pense vraiment qu'il faut qu'on arrive à le qualifier d'hydrogène vert. Que pensez-vous de l'idée d'associer à chaque centrale nucléaire un électrolyseur, afin de mieux valoriser leur potentiel de production et d'atteindre l'objectif de décarboner le plus possible la production de notre hydrogène ?

Mme Sabine Thillaye, députée. - Merci. Pour finir avec cette première vague de questions, Michel Delpon, président du groupe d'études sur l'hydrogène.

M. Michel Delpon, député. - Je m'intéresse à l'hydrogène depuis trois ans et j'ai beaucoup oeuvré pour créer ce groupe d'études sur l'hydrogène qui a été accepté le 11 mars 2019. Depuis, beaucoup de chemin a été franchi, notamment avec l'annonce du plan Hulot de 100 millions d'euros, le 1er juin 2018. Le travail que nous avons fait auprès des ministères pour obtenir un budget pour la massification a commencé il y a un an. L'épidémie de Covid-19 a démultiplié le budget, qui est devenu un fer de lance du plan de relance, avec les fameux 7,2 milliards d'euros d'ici 2030, voire 2 milliards dans les deux années qui viennent.

L'objectif est effectivement de faire un plan de production française, il faut y insister. Nous n'avons pas tout à fait les mêmes objectifs que l'Allemagne puisque celle-ci n'a pas les moyens de produire autant d'électricité verte que nous. Elle envisage de l'importer du Maghreb, depuis des parcs de capteurs solaires qui pourraient être créés sur ce territoire, comme vont d'ailleurs le faire l'Australie et le Japon.

Pour en revenir à l'Europe, je dirais que le match se joue avec la Chine. C'est la Chine, encore une fois, qui est notre principal concurrent. L'Europe doit s'organiser pour ne pas subir le même phénomène qu'avec l'énergie solaire, c'est-à-dire se faire piller son système industriel.

Il est essentiel de construire pour nous, pour l'Europe. L'objectif de ce plan en France, en Allemagne et plus largement en Europe, parce que nous avons le même budget de 7 milliards d'euros, est d'arriver à la neutralité carbone en 2050, mais surtout d'arriver à une souveraineté énergétique et économique de l'Europe. Cela bouleverserait la balance commerciale. Il est donc important de réussir ce challenge, qui touche trois secteurs. Effectivement, on ne parle pas souvent du bâtiment, mais il ne faut pas l'oublier. Les deux secteurs dont on parle beaucoup sont la mobilité et l'industrie. Ce plan prévoit de commencer par la mobilité lourde, en l'occurrence les camions, les bus et les trains, où Alstom intervient déjà. Il ne faut pas l'oublier : cela fonctionne déjà. Les voitures à hydrogène aussi fonctionnent, comme des taxis à Paris des taxis. N'oublions pas le plan Airbus à horizon 2035 : un milliard et demi d'euros sont consacrés à cette recherche, et un premier avion hybride de cinq à dix places a déjà volé récemment. L'aviation va évoluer dans ce sens, il n'y aura plus de gros porteurs, comme nous en avons connu : nous allons venir à une aviation propre, avec de plus petites jauges, avec des avions de dix, vingt, trente places maximum.

Voilà un peu le schéma. Je terminerai mon propos sur la certification. Ce serait bien qu'il y ait une certification européenne, pour les différents types d'hydrogène. Nous avons bien compris que l'hydrogène vert est renouvelable. Cela va permettre de tirer vers le haut les énergies renouvelables, de produire beaucoup plus, de faire baisser les prix. Vous le savez, il y a cinq sources d'énergies renouvelables : le solaire, l'éolien, la méthanisation, l'hydroélectrique qu'on oublie souvent, et la géothermie.

L'hydrogène bleu, produit à partir du nucléaire, sera une phase transitoire, qui permettra à la France d'avoir de l'hydrogène bas carbone. Il faudra en finir avec l'hydrogène « gris », fabriqué à partir d'énergie fossile. Entre les deux, on évoque désormais l'hydrogène turquoise produit par pyrolyse du méthane, ce qui ne dégage pas de CO2 et génère du carbone solide que l'on peut utiliser. C'est une technologie qu'il ne faut pas négliger. Les Américains l'ont achetée et industrialisée dans le Nebraska. Je ne pense pas que ce soit une solution pour nous, mais je la cite quand même. Voilà les quatre catégories, et je pense qu'il faudrait une véritable certification de l'hydrogène vert.

Le groupe d'études en a parlé avec l'Aphypac et Philippe Boucly, ici présent. Ils l'avaient appelé CertifHy. Il faut aller dans ce sens pour inciter les utilisateurs, que ce soient des pays, des industries ou des collectivités, à avoir une signature, un label de l'hydrogène vert, dit renouvelable.

Mme Sabine Thillaye, députée. - Merci beaucoup. Je passe la parole aux intervenants. Qui souhaite répondre en premier ?

Mme Laura Buffet. - Je vais répondre à la question nucléaire, à la question sur le système de certification et donnerai peut-être un dernier éclairage sur l'aviation.

Ma présentation soulignait que le mot nucléaire n'apparaît pas dans la stratégie européenne et que tous les objectifs européens en termes de production chiffrée sont des objectifs pour l'hydrogène renouvelable. Cela montre que la France est un cas particulier en termes de mix énergétique par rapport à d'autres pays européens. Par exemple, l'Espagne, le Danemark et l'Allemagne ont vraiment l'hydrogène renouvelable comme priorité. Pour se replacer dans le contexte européen, la France a une perspective très particulière, du fait de la place du nucléaire dans le mix électrique.

En ce qui concerne les coûts, il est intéressant de rappeler qu'il y a eu de très fortes réductions de coûts pour l'électricité renouvelable. Le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie sur les énergies renouvelables montre que le coût de l'énergie solaire a diminué de 80 % entre 2010 et maintenant. Ce processus va s'accélérer. C'est aussi pour cela que l'on considère que c'est l'énergie d'avenir et que c'est là-dessus que l'Europe et les pays doivent se baser pour la production d'hydrogène.

S'agissant des transports, il est important de rappeler que c'est la directive Énergies renouvelables qui gouverne les carburants alternatifs. Cela explique pourquoi on se focalise sur le sujet des renouvelables. C'est dans ce cadre que sont créés des outils incitatifs pour le secteur du transport. Le nucléaire n'y a pas sa place, puisque ce n'est que l'électricité d'origine renouvelable qui sera prise en compte pour l'utilisation dans les transports.

Pour avoir une position plus générale sur le nucléaire, il faudrait se reporter aux positions de nos membres français, comme le Réseau action climat ou France nature environnement. Ils ne considèrent pas que l'électricité nucléaire soit une électricité d'avenir pour des raisons de risques industriels, de coûts de la filière et de problèmes liés à la gestion des déchets. Ce sont ces ONG nationales qui ont l'expertise sur ces questions.

Il n'existe pas encore de système de certification complètement développé au niveau européen pour l'utilisation de l'hydrogène dans le transport. En revanche, des discussions sont en cours. Il est très important d'arriver à un système qui permette d'établir clairement que pour qu'un hydrogène soit considéré comme renouvelable et bénéficie d'un label, il faudra prouver qu'une capacité renouvelable additionnelle a été placée sur le réseau. L'idée n'est pas d'utiliser le renouvelable pour l'hydrogène et plus de fossiles pour d'autres secteurs de l'économie. L'association Transport et environnement travaille au niveau européen, notamment auprès de la Commission européenne, qui pour le moment est leader sur ces questions. Je pourrais vous envoyer plus de détails sur ces questions de certification en matière de transports.

Il est important de mentionner aussi le sujet des importations. Un système de certification européen doit prendre en compte la complexité des importations. Nous l'avons vu dans le domaine des agro-carburants, sur lequel nous avons beaucoup travaillé. Dès qu'on regarde les importations, les critères de durabilité sont beaucoup plus difficiles à vérifier et il y a beaucoup plus de risques de fraude. Nous espérons qu'au niveau européen, des critères spécifiques seront pris en compte si l'on importe de l'hydrogène.

Par ailleurs, à nos yeux, l'importation d'hydrogène renouvelable de pays extérieurs à l'Union européenne est possible. Mais cela ne doit pas conduire à ralentir la décarbonation de ces pays du fait de la demande européenne. Il faut s'assurer que ces pays vont pouvoir décarboner leurs économies en priorité, et que la demande européenne ne va pas mettre en péril leurs efforts visant à réduire par exemple l'impact carbone de leur système électrique.

Il y a eu récemment des annonces sur l'avion à hydrogène à l'horizon 2035, ce qui est une perspective très prometteuse. Cette énergie n'est pas adaptée aux long-courriers. C'est pour cela qu'on essaie de regarder quelles peuvent être les solutions pour les avions actuellement en exploitation. C'est aussi pour cela que nous espérons que les carburants alternatifs produits à partir d'hydrogène seront peut-être le premier « pilier » dans le secteur aérien. L'horizon 2035 est encore lointain et il faut aussi des solutions à plus court terme pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre du secteur, même si toutes les technologies zéro émission ne sont pas encore sur le marché.

M. Philippe Boucly. - Vos questions montrent que le coeur du sujet, c'est « nucléaire ou pas nucléaire ». D'autres pays européens sont équipés en nucléaire et n'ont pas prévu de l'arrêter. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'à long terme, ce serait formidable si l'hydrogène était produit à partir d'énergies renouvelables. L'important, c'est de réussir la transition et d'être encore là à l'arrivée.

Or je constate le retard de développement des énergies renouvelables en France, pour le renouvelable onshore et a fortiori pour l'offshore, pour lequel je crois qu'à ce jour nous avons une éolienne alors que d'autres parlent déjà en gigawatts de parcs offshore. Nos centrales nucléaires tournent et sont en parfait état de fonctionnement. Le mix électrique français donne entre 50 et 70 grammes de gaz carbonique par kilowattheure, il faut à peu près 55 kilowattheures pour faire un kilogramme d'hydrogène, ce qui nous représente à peu près à 3,8 à 4 kilogrammes de gaz carbonique par kilogramme d'hydrogène produit. Vous en conviendrez, c'est beaucoup mieux qu'à partir d'hydrocarbures, même le gaz naturel, où nous sommes à 9 ou 10 kilogrammes de gaz carbonique par kilogramme d'hydrogène.

Sur le point d'arrivée, j'ai le sentiment que nous sommes tous d'accord : nous militons pour la neutralité technologique. Laissons leur chance à tous ceux qui ont les moyens de faire de l'hydrogène bas carbone et arrêtons donc de sortir des seuils de plus en plus bas dans les taxonomies qui fleurissent ici ou là. Une taxonomie verte est en train d'être mise au point à Bruxelles, où l'on parle maintenant de 2,256 kilos de CO2 par kilo d'hydrogène. Si je retiens le taux d'émission carbone de la base carbone de l'ADEME, le photovoltaïque ne passe même pas la barre avec ce seuil.

Michel Delpon a cité le projet CertifHy. Cette démarche globale a recueilli un large consensus chez les acteurs européens et à Bruxelles, qui tend à qualifier justement l'hydrogène de « bas carbone » lorsque son empreinte en CO2 est inférieure de 60 % à celle des meilleures technologies disponibles, ce qui équivaut à environ 4 kilos de gaz carbonique par kilo d'hydrogène. Rien n'empêche, dans cette catégorie d'hydrogène bas carbone, de définir un hydrogène renouvelable et de lui donner éventuellement une prime.

Laissons exister cette électricité et cet hydrogène bas carbone. Le combat essentiel est le changement climatique et non la promotion du renouvelable à tout va. M. Chassaigne et M. Loiseau se demandaient si les ambitions d'investissement de l'Europe étaient à la hauteur. La filière est parfaitement satisfaite par la stratégie annoncée en matière de soutien gouvernemental, surtout avec la présentation commune des ministres de l'écologie et de l'économie.

La marche à franchir est considérable. En matière d'électrolyse, McPhy, qui est en bonne position pour devenir le champion français, a produit depuis dix ans 40 mégawatts. Leur capacité de production est entre 100 et 300 mégawatts. Leur objectif est de créer une première gigafactory de 1 000 mégawatts à l'horizon 2024. Une autre gigafactory serait construite trois ans plus tard, en 2027. Si l'on cumule ces capacités de production jusqu'en 2030, cela ne fait pourtant que 10 gigawatts. Je rappelle que l'ambition européenne est de deux fois 40 gigawatts, c'est-à-dire qu'il faut que d'autres producteurs européens se mettent également à bâtir des gigafactories, de façon à produire au moins 40 gigawatts, si ce n'est 80, puisque pour les 40 qui sont implantés dans des pays limitrophes, nous pouvons admettre qu'il s'agira d'électrolyseurs chinois, mais aussi espérer qu'ils soient européens.

On retrouve le taux de 12 à 14 % évoqué pour la part de l'hydrogène dans la consommation finale d'énergie à l'horizon 2050, dans beaucoup de scénarios imaginés par certaines associations environnementales, certains industriels, certains pétroliers ou certains électriciens. Nous allons vers plus d'électrification : la part de l'électricité, qui est actuellement de l'ordre de 20 à 25 % de la consommation finale, devrait passer à 50 ou 60 %. Le reste devra être couvert par du renouvelable et l'hydrogène devrait occuper une part qui, selon les scénarios, se situe entre 10 et 20 %. Un niveau de 15 % semble être raisonnable.

Sur l'avion, je n'ai pas d'avis particulier. Les dirigeants d'Airbus et autres se donnent cinq ans pour mieux définir l'avion et savoir s'il volera à l'hydrogène ou au kérosène. Je laisse donc les spécialistes parler de l'avion. Je conviens qu'au vu de la place de l'aéronautique en Europe en général, en France en particulier, il serait bon que les avions soient propres. Encore une fois, attendons que les spécialistes se prononcent sur le type de carburant qui sera utilisé.

M. Nicolas Bardi. - Je rappelle qu'un électrolyseur est une machine. Imaginez un aspirateur qui consomme de l'électricité et va produire de l'hydrogène à partir de l'eau. Si vous passez l'aspirateur en milieu de journée et que vous avez des panneaux solaires chez vous, c'est un aspirateur solaire ; si vous passez l'aspirateur à 22 heures, quand la nuit est tombée, c'est un aspirateur qui va consommer le mix électrique de l'endroit où vous habitez. Vous pouvez très bien imaginer un électrolyseur qui, pendant une partie de la journée, va produire de l'hydrogène renouvelable, et une autre partie de la journée utiliser une électricité provenant de sources non renouvelables, ou du nucléaire, etc. On ne peut pas distinguer une technologie d'hydrogène renouvelable et une technologie d'hydrogène nucléaire. La technologie de production de l'hydrogène est neutre, la machine à électrolyse est ce qu'elle est, elle ne reconnaît pas les électrons qui l'alimentent. Du point de vue du développement technologique, développons donc des électrolyseurs efficaces. La question est ensuite : sur quel fil sont-ils branchés et est-on capable de regarder d'où vient l'électricité au moment où on va produire de l'hydrogène ?

On va inéluctablement vers une certification en temps réel de l'électricité consommée. Tous les moyens numériques existent pour ce faire, et il serait extrêmement important d'accélérer dans cette direction, afin qu'on sache si notre mix électrique temps réel est solaire, éolien, nucléaire, etc. et pour quelle part, si le contrat d'énergie l'indique. Aujourd'hui, parce qu'on déverse sur le réseau x mégawattheures d'énergie renouvelable à un moment donné, on est capable, par un jeu de labels et de certificats, de vendre ces mêmes x mégawattheures d'électricité renouvelable à des machines qui vont consommer toute la journée, toute la nuit, y compris à des moments où le renouvelable ne produit pas. Ces mécanismes de certification ont été nécessaires pour favoriser le déploiement des énergies renouvelables. Mais on doit désormais revenir à la physique et développer des solutions pour certifier en temps réel qu'on a du renouvelable ou pas. Cela a un impact sur le coût de production, car le coût de l'hydrogène produit par un électrolyseur dépend du prix de l'électricité achetée et du coût de l'électrolyseur lui-même, son amortissement, sa maintenance. Évidemment, si un même électrolyseur fonctionne 3 000 heures par an, branché uniquement sur du solaire, et que vous l'éteignez quand il n'y a pas de soleil, ou que vous le faites fonctionner 8 760 heures par an, c'est-à-dire 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, à l'arrivée vous n'avez pas le même coût de production.

Dans ce débat sur l'origine de l'hydrogène, on va avoir une problématique de coûts différents et de certifications différentes. Cela ne me gêne pas que le consommateur, à la fin, sache à quel prix il achète son hydrogène et d'où vient cet hydrogène : est-il 100 % renouvelable, ou à moitié renouvelable et à moitié nucléaire pour le mix électrique français ? Finalement, le consommateur peut faire son choix.

Un point est indiscutable dans les stratégies française et européenne : comme l'ont rappelé MM. André Chassaigne et Philippe Boucly, 95 % de l'hydrogène produit repose aujourd'hui sur une source fossile. Cet hydrogène est consommé pour quelques usages : des usines sidérurgiques, des fabriques d'engrais, des raffineries de pétrole, etc. Ces consommations peuvent être satisfaites par l'hydrogène produit par électrolyse de l'eau. De toute façon, c'est positif pour le changement climatique. Il n'y a pas débat, il faut le faire. Je ne critique absolument pas la priorité donnée, dans les plans nationaux et européens, à la construction de gros électrolyseurs qui permettront déjà de décarboner cet hydrogène qui n'est aujourd'hui pas vertueux d'un point de vue environnemental.

La question porte sur l'étape suivante. Comment développer les usages ? Qu'est-ce qu'on en tire ? L'idée n'est pas de consommer de l'hydrogène pour consommer de l'hydrogène, mais d'avoir des véhicules, des maisons, des usages de l'énergie plus vertueux que ceux d'aujourd'hui. L'hydrogène peut être un outil pour décarboner. C'est comme cela qu'il faudrait arriver à prendre le déploiement de la filière, d'autant qu'il va falloir du temps pour que se développent les différents usages qui permettront de consommer cet hydrogène décarboné.

Pour finir, deux points me semblent importants pour le développement de l'hydrogène. André Chassaigne l'a rappelé en citant Nicolas Hulot : l'hydrogène permet de stocker l'énergie renouvelable. Encore faut-il le produire à partir d'énergie renouvelable. Quand on a trop de renouvelable, on stocke, et quand on n'a pas assez de renouvelable, on arrête de produire l'hydrogène. Cette fonction de stockage sera forcément un peu plus chère qu'un hydrogène produit 24 heures sur 24 avec le mix électrique existant. Essayons de différencier ces usages, soutenons le rôle de l'hydrogène comme vecteur de stockage des énergies renouvelables, parce que cela va permettre d'accélérer et d'amplifier l'intégration des renouvelables dans les réseaux. À un moment donné, il faudra du stockage. L'hydrogène est une très bonne façon de le faire, et si on ne le fait pas ainsi on va devoir le faire peut-être à partir de batteries, ce qui, d'un point de vue du cycle de vie et du coût, n'est pas optimal pour un stockage de longue durée. Le soutien au déploiement de l'hydrogène comme vecteur de stockage des énergies renouvelables, comme réserve locale d'énergie dans des écosystèmes durables, est un enjeu très fort, qui ne correspond pas à des logiques de tarifs d'achat d'hydrogène. Il répond plutôt à des logiques de soutien à l'investissement local, d'intégration des énergies renouvelables dans les usages, pour les bâtiments, les éco-quartiers, les véhicules, des logiques de soutien à la production locale d'énergie. Il restera les grandes agglomérations qui, de toute façon, ne peuvent pas produire suffisamment d'énergie pour subvenir à leurs besoins, et pour lesquelles il faudra des systèmes centralisés. Mais en tirant sur les deux bouts de la chaîne, on arrivera à utiliser au mieux l'hydrogène comme vecteur de la transition énergétique.

Mme Sabine Thillaye, députée. - Merci beaucoup. Il y a encore des collègues qui ont des questions.

Mme Nicole Le Peih, députée. - Je voulais remercier les intervenants pour la richesse de leurs interventions. J'aurais voulu avoir quelques éclaircissements sur ce qu'on appellerait les clusters locaux d'hydrogène. En particulier, en comparaison avec les actions engagées aux États-Unis et en Chine, sommes-nous compétitifs pour attirer les talents de cette nouvelle industrie renouvelable ?

Mme Marietta Karamanli, députée. - Merci à tous les intervenants qui ont déjà répondu à beaucoup de questions et ont contribué à nous éclairer. Je voudrais évoquer le sujet du financement. Il faut veiller à ce que les financements ne soient pas de simples sommes annoncées et qu'ils ne soient pas des soustractions mais qu'ils puissent s'ajouter aux crédits déjà prévus. Pour cela, la relance vers l'écologie prévue sur deux ans, jusqu'en 2022, devra se poursuive au-delà. C'est quelque chose qui peut réunir tout le monde sur une position commune.

Ma question porte sur la filière. Sept milliards d'euros seront consacrés à l'énergie. Sur ces 7 milliards, 2 milliards seraient consacrés à l'émergence de la filière hydrogène, et je note que la chaîne à hydrogène reste ce que beaucoup de techniciens appellent une chaîne inefficiente. Un rapport d'EDF et d'autres entreprises appelait à investir 800 millions d'euros par an jusqu'en 2028. Que pensez-vous de cette proposition, qui n'est pas aujourd'hui reprise dans les financements décidés ?

Certains ingénieurs font remarquer que l'hydrogène sera principalement produit par électrolyse avec l'électricité des centrales nucléaires. Cela peut également poser des questions par rapport à tous ceux qui souhaitent voir un équilibre entre les centrales nucléaires et d'autres productions. Mais nous avons aussi vu qu'il y aura toujours l'emploi du reformage du gaz à 900 degrés.

J'aimerais avoir votre point de vue sur les modalités possibles de rééquilibrage du mix français. Certains disent qu'au lieu de diminuer la production nucléaire, on pourrait faire en sorte que la part du nucléaire baisse mécaniquement du fait de l'augmentation de la production issue d'autres sources.

En France, l'éolien et le solaire sont des filières très modestes comparativement à d'autres pays de l'Union européenne et à nos voisins. Comment pourrait-on développer cette partie renouvelable ?

En lien avec la question nucléaire, le fait de développer l'hydrogène sans donner une priorité aux énergies renouvelables, comme l'éolien et le solaire, pourrait nous amener à emprunter une mauvaise route pour l'avenir. Il faudrait donc tirer au clair l'évolution de ces différentes filières.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Nous avons eu la chance d'entendre trois exposés qui présentent des points de vue différents et, parfois, des divergences. La dialectique est toujours intéressante. Nous avons bien noté les sujets « nucléaire ou non nucléaire » et « renouvelable versus décarboné ». La réponse à la question sur la stratégie dépend des objectifs qu'on se fixe : décarbonation ? Optimisation ? À quelle échéance ? J'ai bien entendu la remarque de Mme Buffet, disant que nous pouvons considérer que le nucléaire n'est pas une technologie d'avenir. Mais, pour encore quelques années au moins, les centrales nucléaires en activité vont continuer à produire. Dès lors, comme disait Thomas Gassilloud, qu'est-ce qui empêche de les coupler à des électrolyseurs et d'optimiser la production d'énergie décarbonée ?

Je vais rajouter deux oppositions sur lesquelles j'aimerais avoir vos commentaires.

La première, c'est « émission versus empreinte de gaz à effet de serre ». On sait que ce débat vaut pour les véhicules électriques car une grande partie de leur empreinte carbone vient de la fabrication des batteries. Selon que l'on regarde l'émission ou l'empreinte, l'impact écologique est complètement différent. Pour diverses raisons et selon certaines mesures, le caractère écologique de la voiture électrique est ainsi fortement remis en cause. Comment cela entre-t-il en compte dans l'analyse ?

La deuxième opposition est « système centralisé versus système décentralisé ». Je reviens sur ce que disait M. Bardi au début : selon que l'on considère des modèles centralisés autour de gros moyens de production ou des modèles décentralisés, les analyses sont différentes et les coûts sont différents. Les autres exposés donnaient l'impression de fonder leurs analyses sur le modèle centralisé - M. Boucly nous a parlé de gigafactories, de moyens lourds.

Si je comprends bien, l'analyse économique des usages change de façon importante selon que l'on considère un système centralisé ou décentralisé. J'aimerais entendre M. Bardi sur la question.

Intervient aussi la différenciation des usages. Lorsqu'on compare la voiture à hydrogène et la voiture électrique, il y a des différences par rapport à l'usage de la batterie, par rapport à l'autonomie. Au-delà des questions d'efficacité, les deux outils ne couvrent pas forcément les mêmes cas d'usage. Nous voyons sur cet exemple que, dans le choix des mix à faire, beaucoup de paramètres entrent en compte.

Je voudrais poser une dernière question : est-ce que les moyens de recherche que vous avez à disposition, venant des États ou du budget européen, sont à niveau ? Le budget de la recherche européenne pour les années à venir a été très critiqué pour son manque d'ambition. Êtes-vous satisfaits ou rassurés par rapport à ce qui va venir ? Ma collègue de l'OPECST, Huguette Tiegna, avait aussi une question à poser dans cette veine. Peut-être, pouvons-nous, Madame la Présidente, lui passer la parole une minute ?

Mme Sabine Thillaye, députée. - Nous lui passons la parole une minute sachant que nous devons terminer vers 19 heures.

Mme Huguette Tiegna, députée. - Je remercie les différents intervenants qui ont évoqué le sujet de l'hydrogène avec beaucoup de diversité. Au sein de l'OPECST, j'ai réalisé avec mon collègue Stéphane Piednoir un rapport sur les scénarios technologiques permettant d'atteindre l'objectif d'un arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040. Ce rapport donne des objectifs de décarbonation à l'horizon 2040, notamment via trois scénarios, dont un scénario hydrogène. Aujourd'hui, la question de l'hydrogène a beaucoup évolué dans le débat public, et les financements et la diversité sont aussi à l'ordre du jour. Les industriels accélèrent.

Le sujet concerne l'idée même de produire de l'hydrogène. Vous avez évoqué l'opposition entre « centralisé et décentralisé ». Quand on décentralise la production de l'hydrogène, il faut aussi penser que le citoyen lambda, le particulier ou les collectivités ont besoin, ou en tout cas envie, de l'hydrogène. J'aimerais savoir si vous pouvez nous donner l'état d'avancement des technologies de production de l'hydrogène décarboné, notamment par électrolyse ?

M. Philippe Boucly. - M. Villani citait un certain nombre d'oppositions : émission ou empreinte, centralisé ou décentralisé, et s'interrogeait sur la recherche. Je redis que le combat principal est la lutte contre le changement climatique, donc l'émission de gaz carbonique, plus généralement de gaz à effet de serre, dans l'atmosphère. Pour nous, l'analyse doit être posée en termes de cycle de vie. Les émissions, c'est bien, notamment pour éviter la pollution liée à la mobilité dans les villes. Mais il faut évidemment considérer des analyses en cycle de vie.

À ce propos, il sera d'ailleurs très important de suivre la façon dont le carbone est taxé aux frontières de l'Europe. Taxer les produits importés serait de nature à favoriser toutes les techniques favorables à l'environnement qui produisent peu de CO2, au détriment de ce qui est produit ailleurs dans des conditions souvent douteuses.

Le sujet du modèle centralisé ou décentralisé est revenu plusieurs fois. Le maître mot est changer d'échelle, mutualiser les usages, rassembler les besoins au niveau d'un territoire, de façon à maximiser la demande et de bénéficier de l'effet de taille ou d'échelle pour les coûts. Nous pensons que des écosystèmes territoriaux d'envergure vont se développer. Un appel à projets, doté de 275 millions d'euros, a d'ailleurs été lancé par l'ADEME le 18 octobre dernier. Il va appuyer l'émergence des écosystèmes territoriaux. Nous verrons probablement, chez le plus gros consommateur du territoire, un électrolyseur surdimensionné, qui permettra de produire de l'hydrogène pour des stations de recharge satellites pour des bus, des véhicules de collectivités, des bennes à ordures, des flottes d'entreprises ou captives, éventuellement aussi pour des industriels de taille relativement modeste sur ce territoire.

À côté de cela, on verra également apparaître des productions très centralisées d'hydrogène pour alimenter les grands centres de l'industrie lourde. L'industrie lourde qui reste en France est très localisée. Une fois que vous avez compté les ports : Dunkerque, Rouen, Le Havre, Saint-Nazaire et Fos, plus quelques plaques du type Ambès, la vallée de la chimie près de Lyon ou le sud de l'Alsace, vous avez à peu près fait le tour de la question. Ces centres vont consommer des quantités considérables d'hydrogène. Si l'on veut, par exemple, décarboner la sidérurgie, il faut 700 000 tonnes d'hydrogène, ce qui nécessite plusieurs dizaines de gigawatts. Pour une raffinerie, il faut de l'ordre de 1 000 mégawatts. Ce seront donc des installations très centralisées.

Nous n'avons pas évoqué le transport et la logistique de l'hydrogène. Après une phase transitoire où de petites quantités seront transportées par camion, en espérant que ces camions soient aussi à hydrogène, on verra apparaître des canalisations, des capillaires, desservant les écosystèmes territoriaux, parallèlement à de grandes artères qui les relieront aux différents pôles de consommation. C'est un schéma semblable à ce que l'on a vécu pour le gaz naturel : dans le temps, chaque ville avait son usine à gaz et, petit à petit, on a relié les villes par un réseau.

Je vais aborder un dernier point sur la recherche. Il n'y a pas de priorité établie entre les trois axes de la stratégie annoncée le 8 septembre dernier par les deux ministres. Le troisième axe consiste à maintenir l'excellence en matière de recherche, développement et innovation en France, avec un programme de recherche qui sera géré par l'Agence nationale de la recherche (ANR), à hauteur de 65 millions d'euros. Cela paraît peu, mais les chercheurs que j'ai rencontrés paraissent très satisfaits : ils m'ont dit que cela décuplait les moyens qu'ils avaient jusque-là.

Cela rejoint l'une des remarques qui a été faite. Pour l'instant, les montants sont affichés. L'association France Hydrogène aura à coeur de suivre si les montants affichés sont effectivement dépensés dans les temps, et si les budgets publics sont bien là. Pour l'instant, nous n'avons pas de crainte.

Mme Sabine Thillaye, députée. - Merci beaucoup. Avant de redonner la parole à M. Bardi et à Mme Buffet, il y a deux dernières questions. Nous allons ensuite passer à la conclusion. C'est un sujet passionnant et je crois que nous allons vous réinviter parce que nous aurons à peine fait le tour de tous les sujets.

Mme Aude Bono-Vandorme, députée. - Après avoir lu plusieurs comptes rendus et présentations de la stratégie européenne de l'hydrogène, je m'interroge sur l'absence d'une prise en compte de l'ensemble de la chaîne de valeur. Pourtant l'Union européenne n'a eu de cesse ces dernières années de s'alarmer des risques de dépendance du continent pour son approvisionnement en métaux stratégiques, en particulier pour les batteries : lithium, cobalt, etc. J'ai l'impression que cette donnée, pourtant fondamentale, n'entre que bien peu en ligne de compte dans cette nouvelle stratégie européenne. Or, la filière de l'hydrogène pourrait se trouver confrontée au même risque dans la production, avec les électrodes pour l'électrolyse de l'eau ou le transport via les alliages spéciaux pour des pipelines spécialisés. Partagez-vous ce sentiment ?

Mme Liliana Tanguy, députée. - Merci pour vos interventions très éclairantes. La proposition européenne pour le développement de l'hydrogène vert est ambitieuse. En parallèle, plusieurs États européens, dont la France, ont intégré le développement de la filière de l'hydrogène vert dans le volet environnemental de leur plan de relance. Je souhaitais ici préciser que ce point est également développé dans les propositions de la Convention citoyenne pour le climat.

Ma question porte sur la compétitivité au regard du coût de l'hydrogène, qui a été largement évoqué. Comment les acteurs nationaux de l'énergie, qui sont pénalisés par ce coût, devraient-ils être accompagnés dans la transition vers un hydrogène vert ? Je viens d'entendre qu'il y aurait des fonds pour la recherche et développement, mais je voulais savoir s'il y avait d'autres accompagnements, notamment financiers et techniques.

Mme Sabine Thillaye, députée. - Je suis désolée, M. Bardi, Mme Buffet, vous avez chacun deux ou trois minutes pour répondre.

Mme Laura Buffet. - Il est vrai qu'il faut être vigilant sur la différence entre empreinte et émission. Cela concerne non seulement les batteries pour véhicules électriques, mais aussi l'hydrogène.

La stratégie de l'Union européenne mentionne qu'elle sera dépendante de 19 des 29 matériaux nécessaires à la filière hydrogène, en termes d'électrolyseur et de piles à combustible. C'est une question importante, sur laquelle il va falloir se pencher plus en détail.

L'Union européenne a déjà lancé une initiative sur les conditions de recyclage des batteries et la réutilisation des matériaux rares, ainsi que sur leur mode de production, pour une labellisation verte. Les discussions sont en cours. Nous avons des documents de positionnement spécifiques sur ce sujet, qui prônent une approche en termes de cycle de vie intégrant ces aspects. Pour l'hydrogène, les mêmes questions vont se poser. Il faut avancer dans la recherche de mécanismes de réutilisation et de recyclage beaucoup plus poussés pour cette filière.

En matière de production centralisée ou décentralisée, comme cela a été dit, les ports auront un rôle majeur à jouer, notamment si l'on considère que le secteur maritime va être très demandeur en hydrogène. Je pense qu'il faut encore plus de recherche pour comprendre mieux quel sera le maillage permettant d'interconnecter de façon optimale le secteur du transport pour les poids lourds, les bateaux et les avions.

Enfin, pour la recherche, il faut déterminer quel hub privilégier pour la production d'hydrogène. Un aspect très peu étudié pour le moment au niveau européen est celui des coûts d'infrastructure et d'exploitation. Des études sont disponibles, mais les estimations vont du simple au double. Je pense que pour le secteur français, il pourrait être intéressant de regarder cette question plus en détail.

M. Nicolas Bardi. - Nous avons parlé des 65 millions d'euros de l'ANR. Il faut continuer à faire beaucoup d'efforts dans la recherche technologique et le développement des produits. Deux voies permettent de baisser les coûts : améliorer la conception des produits et produire en grands volumes ; c'est l'industrialisation et pour cela, il faut des débouchés.

Je réponds à la question sur le concept de gigafactory. Baisser les coûts s'obtient en multipliant la quantité d'objets fabriqués. Quand Tesla parle de gigafactory, il ne construit pas des gigas voiture, mais il fabrique beaucoup des voitures de taille tout à fait normale. On peut faire beaucoup de petits électrolyseurs et leur coût baissera. On peut faire des gigafactories de gros électrolyseurs, on aura en plus un effet de taille qui permettra d'avoir un coût encore plus bas pour les productions centralisées. Après, quand on ne consomme pas l'hydrogène à l'endroit où on le fabrique, il faut le distribuer. Le coût de l'infrastructure de distribution de l'hydrogène crée un coût additionnel, dont Laura Buffet vient de parler.

C'est pour cela que dans le débat centralisé ou décentralisé, il faut soutenir les déploiements du marché pour être capable de faire des volumes, de produire en grands volumes les électrolyseurs qui ne sont que des machines. Cela crée des usines sur nos territoires, avec des emplois.

La deuxième chose va être le coût final de l'hydrogène. Je pense que le modèle centralisé et le modèle décentralisé sont relativement équivalents en matière de coût pour le consommateur final. Évidemment, de gros moyens centralisés pour des grosses usines donneront des coûts réduits ; mais si vous voulez recharger un bus à hydrogène dans une petite ville de province, il vous faudra probablement produire l'hydrogène sur place, à partir des ressources renouvelables du territoire, plutôt que développer - en tout cas à court terme - une lourde infrastructure de transport et de distribution.

Dernière remarque : aujourd'hui, l'électricité ne représente qu'une toute petite partie de nos usages de l'énergie. Si on électrifie tous les transports, si l'on augmente encore la part de l'électricité dans le chauffage et si on utilise en plus de l'électricité pour fabriquer de l'hydrogène, il va falloir produire beaucoup, beaucoup, beaucoup plus d'électricité. C'est une absolue nécessité. Savoir avec quels moyens est un autre débat, mais justement, le développement de l'hydrogène est une opportunité incroyable pour que ces nouvelles capacités de production reposent très majoritairement sur les énergies renouvelables.

Mme Sabine Thillaye, députée. - Merci beaucoup à vous trois. Je suis désolée de devoir arrêter les débats ici, mais je proposerais bien à M. le Président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques de donner une suite à ce que nous avons fait aujourd'hui, pour voir à quel point nous développons ou non l'hydrogène, et de quelle manière. Est-ce que l'on veut décarboner ou promouvoir les énergies renouvelables ? Comme l'a dit M. Boucly, ce sont des questions essentielles, et nous serons prêts à continuer à suivre cela avec l'Office.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Dans l'échange et dans la dialectique entre les trois intervenants et les nombreuses questions, nous avons vu qu'il y avait de nombreux axes de lecture : l'axe carbone, l'axe de l'efficacité énergétique, l'axe de la façon dont on dessert le territoire, l'axe de la façon dont les mix sont calibrés, etc. Il y a aussi des questions géopolitiques, et nous avons à peine effleuré les sujets liés à la dépendance. Différentes échelles d'analyse sont possibles : est-ce qu'on parle de développement à 10 ans, 20 ans ou 100 ans ? Nous avons vu toute la richesse du sujet dont nous nous sommes entretenus cet après-midi. Il sera important de l'aborder par tous les angles possibles. C'est ainsi que nous aurons la vision la plus complète possible. Merci, Madame la Présidente. L'Office parlementaire scientifique se réjouit de cet événement commun et appelle de ses voeux le renouvellement de cette expérience.

Mme Sabine Thillaye, députée. - Merci encore à nos intervenants et à très bientôt.

La réunion est close à 19 h 05.

Jeudi 19 novembre 2020

- Présidence de M. Cédric Villani, député, président de l'Office -

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Audition de MM. Patrick Berche, Alain Fischer et Patrick Netter, membres de l'Académie nationale de médecine, sur les vaccins contre la covid-19

M. Cédric Villani, député, président de l'Office- Je me réjouis que nous ayons réussi à réunir en un temps record un superbe panel d'intervenants pour nous éclairer sur les questions relatives à la vaccination contre la Covid-19, dont nous avons vu lors de précédentes discussions à quel point elles touchaient à de nombreux sujets, parmi lesquels la recherche, la politique internationale, la compétition industrielle entre différents types de vaccins ou encore les enjeux de la stratégie vaccinale à venir. L'éclairage des experts sera précieux pour aborder cette question clé, qui est sous les feux de l'actualité.

M. Patrick Netter. - Merci, M. le président, de la confiance dont vous faites preuve à l'égard de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine. J'ai demandé à des experts particulièrement compétents de m'accompagner ce matin. Nous aurons ainsi la chance de bénéficier de l'éclairage de Patrick Berche, Alain Fischer et Christine Rouzioux, experts reconnus dans le domaine de la virologie et des vaccins.

Je vous propose de commencer par la présentation d'un court diaporama préparé par Patrick Berche, sur la base duquel nous pourrons échanger sur des points précis qui permettront d'aborder des questions telles que la stratégie vaccinale ou les différents types de vaccins.

M. Patrick Berche. - J'ai été professeur à l'université de Paris et chef de service à l'hôpital Necker-Enfants malades. J'ai également dirigé l'institut Pasteur de Lille. Je suis très heureux et honoré de m'exprimer aujourd'hui devant vous.

Mme Christine Rouzioux. - Je suis professeure de virologie. J'ai également travaillé à l'hôpital Necker, au sein du même laboratoire que Patrick Berche. J'ai un passé de virologie assez dense, notamment dans le domaine du VIH. Je suis très heureuse de participer à cet échange et vous remercie de nous écouter. Je me suis intéressée au coronavirus depuis le début de l'épidémie, avec la cellule de veille de l'Académie de médecine qui, comme vous avez pu le constater, a beaucoup travaillé et communiqué.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Nous sommes très heureux de pouvoir vous entendre et de nous entretenir avec vous aujourd'hui.

M. Patrick Berche. - Je vais vous parler des vaccins contre la Covid-19. Vous pouvez voir à l'écran la représentation schématique du SARS-CoV-2, virus à ARN, et de la protéine Spike qui hérisse le virus et constitue la cible principale de la plupart des vaccins développés.

La Covid-19 naît d'un virus qui donne 85 % de cas bénins, qui guérissent spontanément. 15 % des personnes atteintes sont hospitalisées en raison de troubles respiratoires et 3 % des patients doivent être admis en réanimation, avec un taux de mortalité qui s'est nettement amélioré, passant de 50 % à 25 % environ, grâce aux nouveaux traitements anticoagulants et anti-inflammatoires. La létalité globale en France est de 0,7 %. De nombreuses personnes contaminées sont par ailleurs asymptomatiques. On peut finalement dire qu'il s'agit probablement d'une maladie immunologique déclenchée par un virus. En effet, lors de l'orage cytokinique du septième jour, les patients n'ont souvent plus de virus. On observe aussi des formes de « Covid long », dans lesquelles des cas bénins ou graves entraînent des séquelles pendant des mois : il s'agit d'un problème majeur pour l'avenir.

Le virus peut entrer dans les cellules grâce à une interaction entre la protéine Spike et un récepteur spécifique, l'ACE2 (Angiotensin-Converting Enzyme 2). Les vaccins vont ainsi tendre à empêcher l'entrée du virus dans les cellules.

Quel est le processus conduisant à l'immunité contre le SARS-CoV-2 ? Le virus se multiplie dans les voies respiratoires et déclenche une réponse immunitaire cellulaire et humorale, avec des cellules CD4 qui vont susciter une production d'anticorps par les lymphocytes B, et une réponse avec les cellules CD8, qui donnent une cytotoxicité détruisant les cellules infectées. La protection obtenue dépend des IgM et des IgG, qui empêchent la pénétration du virus. La réponse est focalisée essentiellement sur la protéine Spike, mais d'autres protéines sont également en jeu. Il existe pour l'instant de très rares cas documentés de réinfections symptomatiques. Ainsi, les personnes qui survivent à l'infection semblent apparemment protégées pendant au moins quelques mois.

Concernant les voies d'administration possibles du vaccin, il faut garder à l'esprit que lors d'une infection naturelle, on observe dans le tractus respiratoire supérieur une production locale d'anticorps dits « IgA », qui protègent contre la propagation du virus, et une forte production d'IgG ailleurs dans l'organisme. Une vaccination consistant en des injections intramusculaires ou sous-cutanées se traduira par une forte production d'anticorps IgG, mais une faible production d'IgA dans les voies respiratoires supérieures ; le problème de la propagation du virus par des individus vaccinés, de la barrière, se posera donc. C'est la raison pour laquelle certains souhaiteraient privilégier une vaccination intranasale, se traduisant par une forte production d'IgA, contrecarrant la propagation du virus, mais une protection moindre de l'individu lui-même. Il faut toutefois savoir qu'aucun vaccin de ce type n'est actuellement en essai de phase 3.

Quelles sont les phases de développement d'un vaccin ? Le calendrier traditionnel s'étale généralement sur dix ou quinze ans. Il comporte une première phase de recherche de la cible, une autre de test chez l'animal, où l'on observe notamment la fabrication d'anticorps et l'éventuelle toxicité. Ces étapes prennent entre deux et quatre ans dans les modèles traditionnels. Des essais dits « de phase 1 » sont ensuite mis en oeuvre sur quelques dizaines de volontaires, généralement des adultes jeunes : ceci prend généralement entre un et deux ans. On teste durant cette période l'efficacité du vaccin, sa toxicité, la durée de la protection induite, etc. La phase 2 s'attache à répondre aux mêmes questions, mais sur un échantillon de quelques centaines de personnes. La phase 3, cruciale, s'effectue sur 30 000 personnes exposées au virus dans la population au cours d'une épidémie. Il convient ensuite d'obtenir une série d'autorisations, avant de lancer la fabrication du vaccin, puis de mettre en oeuvre une vaccination de masse.

L'élaboration de vaccins contre la Covid-19 s'est effectuée dans le cadre d'un calendrier accéléré. Les différentes étapes ont ainsi été raccourcies, dans la mesure où l'on disposait déjà d'une expérience pour un vaccin SARS notamment. On a pu faire en sorte que les différentes phases se chevauchent, si bien que, le virus ayant été isolé en janvier 2020, on disposera certainement, de façon assez incroyable, d'un vaccin en janvier 2021, avec quelques bémols toutefois, sur lesquels nous reviendrons.

Quelles sont les différentes techniques utilisables pour produire un vaccin ? On peut notamment utiliser un virus inactivé : c'est la technique utilisée pour produire le vaccin contre la grippe. On prend le virus, on le cultive, on l'inactive avec un antiseptique, puis on l'injecte en sous-cutané ou en intramusculaire, avec un adjuvant comme l'hydroxyde d'alumine par exemple.

On peut aussi utiliser la protéine purifiée, des vecteurs viraux, des virus atténués (c'est-à-dire rendus moins virulents), des particules ressemblant au virus ou encore élaborer des vaccins à ADN ou ARN, qui sont actuellement l'objet de toutes les attentions et suscitent beaucoup d'espoir.

Les vaccins utilisant des virus inactivés consistent en une culture puis une inactivation chimique du virus. La protection obtenue dans le cas d'un vaccin grippal est généralement de l'ordre de 60 à 70 %, parfois 30 ou 40 % les mauvaises années. Sachant qu'une protection supérieure à 50 ou 60 % permettrait de contrôler la circulation du coronavirus, ces vaccins ne doivent pas être négligés. Deux vaccins chinois, pour lesquels nous ne disposons ni de résultat ni de publication, et un vaccin indien ont été mis au point sur ce modèle. Il faut savoir que toute l'armée chinoise a d'ores et déjà été vaccinée et que la population est en cours de vaccination.

Concernant l'élaboration d'un vaccin sur la base d'un virus vivant atténué par manipulation, rien n'a avancé pour l'instant.

Une autre approche est basée sur l'introduction du gène de la protéine Spike dans un vecteur viral non pathogène (adénovirus, coronavirus bénins, rétrovirus, virus de la rougeole, etc.). Le vaccin élaboré par l'Institut Pasteur selon cette méthode me semble particulièrement intéressant : il s'agit d'un vaccin anti-rougeoleux utilisé depuis des décennies, dans lequel a été introduit le gène codant la protéine Spike. Ce vaccin à vecteur viral vivant atténué est actuellement en phases d'essai 1 et 2. Il serait injecté par voie sous-cutanée ou intramusculaire. Le fait qu'il se réplique laisse supposer un effet assez puissant.

Une autre technique, actuellement développée par Sanofi et par l'américain Novavax, consiste à utiliser une protéine Spike purifiée, produite en masse sur un baculovirus, c'est-à-dire un virus d'insecte. Sanofi indique que son vaccin sera disponible en juin 2021. Le vaccin américain Novavax est quant à lui en essai de phase 3 actuellement.

Enfin, aucun vaccin basé sur l'utilisation de particules ressemblant au virus n'est en développement en ce moment.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Qu'entend-on exactement par « protéine purifiée » ?

M. Patrick Berche. - La technique consiste à prendre un baculovirus, qui est un virus d'insecte, et à lui faire produire in vitro de très importantes quantités d'une protéine caractéristique du virus - ici, la protéine Spike -, que l'on purifie chimiquement et à laquelle on ajoute éventuellement un adjuvant, avant de l'injecter par voie sous-cutanée, ce qui donne des anticorps anti-protéine Spike.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Des campagnes de vaccination massives se déroulent actuellement en Chine, avec un vaccin dont on comprend qu'il a une efficacité très moyenne, mais qui permettra d'avancer globalement vers une immunité collective. Est-ce bien l'objectif ?

M. Patrick Berche. - Je ne connais pas précisément le niveau de protection offert par les vaccins chinois. Peut-être sont-ils plus efficaces qu'on ne le croit. L'OMS indique qu'il faut 50 % de protection pour freiner la circulation du virus. Actuellement, nous ne disposons d'aucune publication sur ces vaccins. Les autorités chinoises ne s'attardent pas sur des questions comme celles relatives à la tolérance du vaccin : elles envisagent la situation globalement et utilisent déjà les vaccins Sinopharm et Sinovac. Les équipes chinoises ont par ailleurs développé des vaccins basés sur des technologies ADN, sur lesquels nous n'avons aucune information.

Mme Christine Rouzioux. - Ces vaccins sont sans doute moins immunogènes que les vaccins à ADN et ARN en cours de développement par ailleurs, car ils reposent sur une seule injection d'antigènes, ce qui ne produit qu'une faible stimulation antigénique. Nous pensons que la persistance d'anticorps avec les coronavirus est peut-être moins longue que dans le cas de la réponse immunitaire contre la grippe. Ces vaccins auraient en revanche un petit avantage, qui serait d'immuniser éventuellement contre plusieurs protéines du virus, contrairement aux autres vaccins qui n'agiront que contre la protéine Spike. Il est vrai que la nucléoprotéine et les protéines de membranes induisent un peu de réponse anticorps. Il n'est donc pas simple de connaître la composition de la réponse immune, et ce d'autant que les équipes chinoises ne donnent aucune information.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - La protéine Spike est-elle stable ?

Mme Christine Rouzioux. - Oui, elle est assez stable. Aucune mutation n'a été observée qui pourrait conduire à ce que le vaccin soit inefficace. Les Danois sont un peu inquiets à propos de la circulation d'un deuxième virus dans des élevages de visons, au sein desquels des personnels ont été infectés. Ils ont donc procédé, par précaution, à l'abattage de tous les visons d'élevage. Apparemment, cette souche ne circule pas ailleurs. Sur les 200 000 séquences de virus qui existent maintenant, il n'y a guère de souci à se faire sur les différents épitopes neutralisants de la protéine Spike.

M. Patrick Berche. - Ce virus, très différent du virus de la grippe qui présente de nombreuses mutations, a la particularité tout à fait exceptionnelle de faire des mutations, mais de les réparer par une exonucléase. On observe des mutations dans les zones silencieuses, mais très peu dans le gène de la protéine Spike. Ce virus est par conséquent relativement stable. Ceci dit, il faut tout de même être prudent, dans la mesure où il peut connaître des sauts de lecture et être l'objet de recombinaisons. Pour le moment, nous constatons une grande stabilité et pas de différence significative en contagiosité et en virulence entre ses différents variants.

Mme Christine Rouzioux. - Le génome de la grippe est fractionné, segmenté, et la recombinaison entre les segments est donc beaucoup plus facile. Ceci explique l'existence de nombreux variants grippaux. Ainsi, lorsque l'on infecte une culture cellulaire avec deux virus, A et B, on peut aboutir assez facilement à un virus AB. Ces recombinaisons sont beaucoup plus difficiles à obtenir avec les coronavirus.

M. Patrick Berche. - La bonne nouvelle est donc que ce virus est relativement stable et que l'on peut ainsi espérer un vaccin.

Qu'en est-il des vaccins ADN et ARN ?

Le vaccin ADN consiste à introduire le gène de la protéine Spike à l'intérieur d'un plasmide par exemple, sous contrôle d'un promoteur de mammifère, dans l'espoir d'obtenir une production d'anticorps. Plusieurs vaccins sont actuellement développés sur ce modèle : le vaccin chinois Cansino, le vaccin Gamaleya en Russie, qui utilise semble-t-il deux adénovirus, le vaccin américano-belge mis au point par Johnson & Johnson et Janssen et enfin le vaccin américano-britannique AstraZeneca-Université d'Oxford.

Les vaccins ARN, qui semblent actuellement les plus avancés, utilisent une technologie tout à fait novatrice, consistant à injecter l'ARN à l'intérieur de nanoparticules lipidiques, qui vont être absorbées par les cellules et déclencher une réponse immunitaire. Ceci expliquerait peut-être les taux de protection exceptionnels annoncés, de l'ordre de 90 %. Ces vaccins sont développés d'une part par le laboratoire Pfizer et la start-up allemande BioNTech, d'autre part par la société Moderna, avec une technologie développée à Cambridge (Massachusetts). Les deux vaccins sont en test de phase 3 et pourront vraisemblablement être proposés à l'utilisation à partir de début janvier 2021. Il s'agit d'une nouvelle génération de vaccins, qui fonctionnent bien chez l'animal depuis des années mais n'ont encore jamais été mis en oeuvre chez l'homme.

Depuis la découverte du virus en janvier 2020, la science a produit plusieurs dizaines de milliers de publications et effectué des avancées incroyables, qui ont permis d'obtenir un vaccin au bout d'un an.

Il convient néanmoins de rester prudent et vigilant, dans la mesure où certaines questions ne sont pas encore résolues.

Ceci concerne notamment l'efficacité de ces vaccins chez les personnes de plus de 65 ans et les patients atteints de comorbidités, élément sur lequel nous n'avons à ce jour aucune notion, ainsi que le problème du nombre d'injections nécessaires (une ou deux), qui soulève des difficultés logistiques considérables.

L'un des points de vigilance concerne aussi les effets secondaires, dont l'article publié par Pfizer dans Nature indique qu'ils sont compris entre 25 % et 50 % (ce dernier taux ayant été observé après la première injection avec des doses assez fortes, de l'ordre de 100mg d'acide nucléique). Ils se caractérisent par des fièvres, des rougeurs, des myalgies, des arthralgies et ne sont donc pas négligeables. Lors des essais de phases 1 et 2, la deuxième injection n'a d'ailleurs pas été effectuée, car il se produisait trop d'effets secondaires.

La durée de la protection est encore inconnue ; on peut espérer qu'elle soit de plusieurs mois.

La question de l'immunité locale et de la transmissibilité du coronavirus est également en suspens : on ignore si les personnes vaccinées transmettront ou pas le virus. 

Quid des anciens porteurs sains ? Sont-ils protégés ? Faut-il les vacciner ? Faut-il pratiquer une sérologie pré-vaccinale ? Nous l'ignorons.

La voie d'administration (intramusculaire, intradermique, intranasale) reste enfin à définir.

Quelle stratégie vaccinale adopter ? Elle est assez simple. L'ordre des vaccinations dépend des pays, mais inclut les personnes fragiles, et notamment les résidents des EHPAD et des Maisons d'accueil spécialisées, les patients présentant des comorbidités, les personnels de soin et les professionnels travaillant au contact du public. La vaccination concernera enfin la population générale : ceci devra passer à mon sens par une forte incitation, mais surtout pas par une obligation vaccinale.

J'insiste sur l'importance de la logistique. Il faut retenir les leçons de 2009 et éviter que les médecins généralistes, les pharmaciens d'officine, les infirmiers libéraux et toutes les personnes susceptibles de procéder à des vaccinations ne soient tenus à l'écart. L'une des difficultés tient en outre au fait que deux inoculations sont nécessaires et que les vaccins à ARN demandent une conservation à -80°C pour le vaccin Pfizer et -20°C pour le vaccin Moderna, avec une tolérance à +4°C pendant 24 heures. La gestion administrative représente aussi un élément capital, avec un nécessaire relevé et suivi des effets secondaires. Il faudra en effet lutter contre la désinformation et les fake news. Je me souviens m'être trouvé en 2009 sur un plateau de télévision face à quelqu'un qui affirmait que, depuis le début de la campagne de vaccination trois semaines plus tôt, on déplorait déjà 15 ou 20 morts en Europe. Or il s'est avéré que ce chiffre incluait l'ensemble des personnes ayant trouvé la mort après avoir été vaccinées, y compris celles décédées dans des accidents de la route. L'importance d'une communication régulière sur les effets indésirables et les difficultés rencontrées est donc un élément majeur. Il est en effet probable que le lobby des complotistes se déchaîne. Je suis pour ma part opposé à la vaccination obligatoire. On sait en effet que si l'on procède à une vaccination de masse, un cas de sclérose en plaques va nécessairement apparaître au sein de toute population de 100 000 personnes ; si ce cas survient quinze jours après la vaccination, cette dernière sera tenue pour responsable. Toutes les maladies rares qui vont apparaître dans la population seront immanquablement imputées à la vaccination. Il faut donc se montrer extrêmement prudent et inciter fortement les gens à se faire vacciner plutôt que les y obliger. Une telle démarche me paraîtrait plus sage.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Merci infiniment pour cette présentation. Je trouve absolument remarquable, compte tenu du très faible délai de préparation dont vous avez disposé, d'être parvenu à un si beau document de synthèse. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Je salue Alain Fischer, qui vient de nous rejoindre.

M. Patrick Berche. - J'ai omis de mentionner qu'une publication venait de paraître dans Immunity, qui indique qu'au bout de six mois les personnes ayant développé une forme, même bénigne, de la maladie présentaient toujours un fort taux d'anticorps et une bonne réponse cellulaire T, CD4 et CD8, c'est-à-dire pour les deux aspects cellulaires et humoraux. Ceci constitue plutôt une bonne nouvelle. On sait en effet qu'avec les trois ou quatre coronavirus bénins, des épidémies surviennent chez les enfants tous les trois à quatre ans environ. On peut donc espérer (il s'agit là d'une spéculation personnelle) deux ou trois ans de protection.

M. Alain Fischer. - Je pense qu'il faut être prudent sur ce point. Il est vrai que l'article auquel il est fait référence est plutôt encourageant. Une autre publication dont je viens de prendre connaissance arrive quasiment aux mêmes conclusions. Il me semble toutefois difficile d'extrapoler et de transposer à la durée d'immunité induite par la vaccination celle induite par l'infection. Il existe en effet de grandes différences entre les deux situations, notamment au niveau muqueux. L'hypothèse d'une immunité de trois à quatre ans est évidemment très positive, mais peut-être un peu optimiste aujourd'hui. Nous verrons. Il convient d'être prudent et d'envisager qu'il faille - malheureusement - procéder à une nouvelle vaccination chaque année, voire plus si les résultats sont encore moins favorables. Attendons d'en savoir plus.

M. Patrick Berche. - Avant l'utilisation du vaccin, il faut absolument disposer des résultats relatifs aux effets secondaires et à la tolérance du vaccin sur les phases 3 complètes. Je rappelle que les résultats affichés actuellement par Moderna et Pfizer sont ceux observés huit à quinze jours après la deuxième injection. On ne dispose donc pour l'instant que de très peu de recul et d'aucune donnée de toxicité, ces données nécessitant au moins six semaines de délai.

M. Alain Fischer. - Je partage cette analyse, mais je pense que Moderna et Pfizer disposent à présent d'un recul d'environ deux mois. Aux États-Unis, la FDA a demandé deux mois de recul et les deux laboratoires, qui s'inscrivent dans la même cinétique, viennent d'annoncer qu'ils allaient soumettre leurs dossiers à la FDA et en parallèle aux agences européenne, canadienne, britannique, etc. Mais je suis totalement d'accord avec toi et j'irais même au-delà : je ne suis pas sûr que deux mois suffisent et avoir davantage de recul, tant en termes de sécurité que d'efficacité, ne nuirait pas. Si l'on veut être hypocrite, on pourrait considérer que si les laboratoires obtiennent les autorisations nécessaires pour commencer la vaccination aux États-Unis dès décembre, la France pourra bénéficier de l'expérience américaine, voire britannique, au cours des prochaines semaines. Ainsi, lorsque la vaccination débutera en France, nous pourrions disposer d'un recul plus important et de résultats non plus sur quelques dizaines de milliers de personnes, mais sur plusieurs centaines de milliers, voire des millions, ce qui nous apporterait une sécurité plus grande.

Mme Christine Rouzioux. - Les essais de phase 2 montrent que le taux d'anticorps est nettement diminué à six mois. La situation n'est donc pas si simple. Les phases 2 ont tout de même donné des résultats informatifs.

M. Alain Fischer. - Absolument. Le seul point est que l'on n'a pour l'instant aucune sorte de corrélation entre l'étude de l'immunité T et l'efficacité clinique. Tout ceci est en suspens.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Je retiens de l'exposé qui vient de nous être présenté par Patrick Berche d'une part que la science, globalement, avance bien et fait preuve de beaucoup d'inventivité, avec des procédures extraordinairement accélérées par rapport au calendrier traditionnel et des résultats très encourageants, d'autre part qu'il existe des risques en matière de logistique, d'éthique et de communication, avec possiblement une très grande variété de questionnements d'une culture à l'autre. Ainsi, la Chine en est déjà au point de vacciner massivement les armées et divers autres segments de la population, là où l'on peut s'attendre, en Occident, à ce que la moindre imprudence ou le moindre défaut mène à toute sorte de rumeurs, d'hésitations ou de refus vaccinal.

Cet exposé a également soulevé la question, qui va nécessairement se poser, de savoir si la vaccination devra être obligatoire ou pas.

Je propose, chers collègues, que nous commencions sans plus attendre les échanges de questions - réponses.

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Je vous remercie pour cet exposé extrêmement riche et complet, qui permet de bien comprendre les enjeux de la situation que nous traversons. Je suis quelque peu interrogatif sur certains aspects. Je me demande par exemple si le calendrier accéléré que vous avez décrit, avec des chevauchements de phases, ne présente pas des risques excessifs. Le processus est-il maîtrisé ? J'aimerais avoir quelques précisions sur la problématique liée à cette temporalité hors du commun.

Comment par ailleurs lutter contre les fake news, qui sont pour nous un réel sujet de préoccupation ? Je pense comme vous que rendre la vaccination obligatoire ne ferait qu'en accroître le nombre. Comment procéder ?

Je m'interroge enfin sur les évolutions potentielles du virus. Un suivi de cette évolution est-il possible ? Dans l'affirmative, comment adapter la stratégie vaccinale ? Une telle situation est-elle déjà anticipée ?

Quel rôle joue aujourd'hui l'OMS dans la recherche sur les vaccins ou la définition des stratégies vaccinales ? Intervient-elle par exemple dans la coordination de ces stratégies ?

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Merci pour ces excellentes questions, qui ne manqueront pas de nous être adressées par ailleurs par nos concitoyens.

Je rappelle que l'Office a déjà travaillé sur l'hésitation vaccinale. Ce travail avait révélé des éléments contre-intuitifs : ainsi, lorsque le ministère de la santé a décidé de rendre certaines vaccinations obligatoires, ceci a certes provoqué un tollé, mais on constate deux ans après que la méfiance vaccinale a sensiblement diminué.

M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Merci pour cette présentation. Je ne suis pas médecin et j'ai beaucoup appris au fil de cet exposé très pédagogique.

Ma question concerne également le calendrier : comment expliquer un développement de vaccins aussi rapide ? La mise en perspective des deux échelles de temps est particulièrement édifiante. Est-ce lié essentiellement aux caractéristiques de la famille des coronavirus, connues depuis longtemps, ou aux investissements massifs en moyens humains, cette épidémie concernant subitement l'ensemble de la planète ? Ces résultats sont-ils dus à l'émulation des équipes de recherche ?

Mme Huguette Tiegna, députée. - Merci aux intervenants pour toutes ces informations qui nous permettent d'en savoir plus sur les vaccins et les perspectives de lutte contre la Covid-19.

Ma question est relative à l'obligation vaccinale. On observe que les personnes les plus fragiles, parmi lesquelles les personnes âgées, sont particulièrement susceptibles de développer des formes graves de la maladie. Rendre la vaccination obligatoire causerait selon moi des problèmes : il est en effet probable que la jeunesse s'élèverait contre cette mesure. Les statistiques indiquent que seuls 54 % des Français seraient prêts à se faire vacciner. Ce refus est en outre renforcé par l'accélération de la recherche, les gens ayant l'habitude que ce type de recherche prenne des années. Les enfants ne développant pas, dans la grande majorité des cas, de formes sévères de la maladie, faudrait-il néanmoins les vacciner ?

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Je vous remercie pour cet exposé très clair, même si je ne suis pas spécialiste de la question.

Ma première question porte sur les mesures prises au Danemark concernant l'abattage des visons d'élevage. Pourrions-nous être confrontés à ce genre de situation, dans des élevages de visons, s'il en existe encore en France, ou d'autres animaux ? Quelles ont été les conséquences pour les personnes infectées au Danemark ? Ont-elles été sujettes à des formes graves ? A-t-on constaté les mêmes symptômes et effets que ceux générés par le virus qui circule chez nous actuellement ?

Vous avez soulevé par ailleurs la question de l'efficacité du vaccin pour les personnes âgées de plus de 65 ans et indiqué parallèlement que la stratégie pourrait consister à vacciner prioritairement ces populations. N'y a-t-il pas là un problème ?

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Notre collègue député Thomas Gassilloud transmet par écrit la question suivante : comment le débat démocratique peut-il se dérouler sur le sujet des modalités de prescription ? Peut-il se déployer sur la base de la consultation publique menée par la Haute Autorité de santé ? Quel rôle le Parlement pourrait-il jouer dans ce débat ? Existe-t-il des exemples internationaux en la matière ? Quelles seraient selon vous les bonnes et mauvaises pratiques dans ce domaine ?

En bref, comment envisagez-vous, avec vos yeux de scientifiques, cette question très délicate, politique, que nous allons devoir aborder au niveau du gouvernement et du Parlement, en faisant en sorte d'éviter les querelles politiciennes, le déchaînement des complotistes, etc. ?

M. Patrick Berche. - L'abattage des 17 millions de visons élevés au Danemark n'a pas encore eu lieu, car un recours pointant l'illégalité de cette décision a été déposé et accepté. Le litige est donc en cours. Pratiquement tous les visons étaient contaminés ; cet animal est en effet très sensible au virus de la grippe et aux coronavirus. On a dénombré une quinzaine ou une vingtaine de cas de personnes présentant des formes bénignes de la maladie ou de porteurs sains. Je n'ai pas eu connaissance d'indications précises sur la clinique. L'inquiétude du gouvernement danois est venue de l'observation de mutations dans le gène Spike et du fait que les anticorps semblaient moins bien reconnaître cette protéine. Ils ont donc redouté d'être en présence d'un nouveau réservoir du virus, avec un taux de propagation énorme parmi les populations de visons.

Mme Christine Rouzioux. - Tous les élevages n'étaient pas concernés par la deuxième souche.

M. Patrick Berche. - Aucune conséquence grave pour l'homme n'a été observée. On court toutefois un risque de propagation dans la population humaine d'un nouveau virus, ayant pour origine les élevages de visons.

Mme Christine Rouzioux. - La France compte entre deux et quatre élevages de visons, placés actuellement sous très haute surveillance. Il n'existe pour l'instant aucun signal d'alarme. Ces élevages n'étant pas totalement étanches, la question se pose toutefois de savoir s'il ne faudrait pas abattre les animaux avant qu'une éventuelle contamination ne se produise, avec une possible dissémination vers des animaux sauvages récepteurs, comme les furets. Il s'agit donc d'une source de préoccupation.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Comme le souligne Huguette Tiegna sur le fil de discussion, la situation est toutefois moins alarmante en France, du fait du très faible nombre d'élevages, qui comptent seulement quelques milliers d'animaux, qu'elle ne l'est au Danemark, où l'on dénombre presque 20 millions de visons dans les élevages.

Mme Christine Rouzioux. - Le Danemark est en effet, avec la Chine, l'un des principaux producteurs de fourrure de vison.

Les Danois avaient décidé, si les animaux étaient abattus, que les fourrures seraient détruites. Les Suédois ont quant à eux décidé d'abattre les animaux mais de conserver les fourrures, ce qui a suscité de très vives réactions sur les réseaux sociaux, dans la mesure où l'on ignore si les fourrures sont ou non contaminées.

M. Patrick Berche. - L'obligation vaccinale, demandée à juste titre par Agnès Buzyn en 2018, concernait les enfants. Le non-respect de cette obligation par les parents était sanctionné par l'impossibilité d'inscrire les enfants à l'école. Ceci est totalement différent, en termes d'acceptation, de la situation consistant à imposer une vaccination à des adultes. Je crois qu'une obligation vaccinale contre la Covid-19 provoquerait énormément de remous.

D'après les sondages, 50 % des Français seraient d'accord pour se faire vacciner. Je trouve ce taux extrêmement élevé, dans la mesure où l'on ignore encore l'efficacité, la toxicité et la durée de protection du vaccin. Les Français sont tout simplement prudents. Je crois que si l'on incite nos concitoyens à se faire vacciner, on atteindra certainement assez facilement une proportion de 70 ou 75 % de personnes vaccinées.

Mme Christine Rouzioux. - On pourra alors atteindre une couverture vaccinale correcte chez les personnes « cibles », c'est-à-dire les personnes âgées et celles présentant des comorbidités.

On ne vaccinera a priori pas les enfants, puisqu'ils ne sont pas un groupe de personnes à risque. Il ne faut pas confondre les vaccinations contre les maladies infantiles et contre le coronavirus.

La question qui se pose selon moi est de savoir s'il faut aller plus loin dans la réflexion sur l'obligation vaccinale, pour les personnes âgées par exemple. Je travaille en ce moment avec une structure regroupant une soixantaine d'EHPAD : la question majeure est celle de la diversité du niveau d'immunité atteint dans chacun des EHPAD, certains ayant eu plus de 40 % des résidents infectés. Faut-il ou non vacciner ces personnes, qui sont fragiles mais répondront certainement moins bien au vaccin, du fait de leur âge ? Les résultats de phase 2 du vaccin Pfizer montrent en effet que les titres d'anticorps chez les personnes âgées sont moins importants que ceux obtenus dans le cas d'une infection naturelle sans vaccination. La question de l'obligation vaccinale dans les groupes à risque peut donc se poser. La priorité à donner, appréhendée de façon si variable d'un pays à l'autre, mériterait d'être discutée sur un plan politique, car chaque décision va impliquer des organisations logistiques différentes. Ainsi, dans les EHPAD, les vaccinations ne seraient certainement pas effectuées par des médecins généralistes, mais plutôt par les infirmières et les services de santé.

M. Alain Fischer. - Je rappelle que la recommandation d'obligation vaccinale pour les nourrissons et la décision prise par Agnès Buzyn résultaient de l'observation d'un effritement de la couverture vaccinale à l'égard notamment de la rougeole et du méningocoque et d'une augmentation des hésitations de la part des parents. On redoutait donc de voir le système se déliter peu à peu. Par ailleurs, on bénéficiait pour les vaccins inclus dans l'obligation vaccinale pour les nourrissons d'une expérience de plusieurs dizaines d'années pour la plupart, permettant de disposer d'indications solides quant aux recommandations que nous pouvions formuler pour la population générale. La situation actuelle est très différente, car le vaccin contre la covid est nouveau et qu'il reste encore une part d'inconnu importante. Il paraît donc logique d'essayer de fonder les décisions de santé publique sur la confiance et non sur l'obligation. Selon moi, l'obligation serait le dernier recours en cas d'échec complet de la politique d'incitation en faveur de la vaccination.

Ceci me conduit à évoquer la question de savoir qui vacciner : est-il logique par exemple de vacciner les personnes à risque en l'absence de preuve que le vaccin les protège correctement ? Selon moi, la recommandation de vacciner les personnes à risque serait évidemment une priorité, mais uniquement si l'on disposait d'évidences raisonnables d'efficacité. Il faudra regarder tout ceci finement : la situation des personnes de 65 ans en bonne santé sera certainement différente de celle ces personnes de 90 ou 95 ans résidant en EHPAD. Il conviendra donc probablement de stratifier la réflexion de façon beaucoup plus fine. Sans doute savez-vous que la HAS est en train de travailler sur ce sujet et va émettre avant la fin du mois de novembre une série de recommandations sur les stratégies et les priorités à mettre en oeuvre, en fonction de ce que l'on saura de l'efficacité des vaccins dans les différents groupes de population. Ce point me paraît absolument critique.

L'autre aspect concerne la confiance. Les politiques vont avoir un rôle absolument majeur, en tant qu'initiateurs d'une démarche. Quelle politique mener pour faire en sorte que les professionnels de santé et la population soient suffisamment convaincus du bienfondé de cette vaccination et que la vaccination soit acceptée par et pour les groupes pour lesquels elle sera indiquée dans un premier temps ? Ceci suppose un énorme effort d'information, qui doit être bien faite, honnête, complète, transparente, notamment sur la question de savoir qui doit mener ces campagnes de vaccination et comment. C'est très important. Je crois qu'il faut essayer d'éviter au maximum que ceci apparaisse comme un message vertical des autorités vers la population. Il faudra autant que possible faire participer la société civile aux recommandations, aux préconisations et à l'information, par le biais notamment des très nombreuses associations existant dans le domaine de la santé et regroupées au sein d'un collectif. Faire participer ces personnes, qui sont très motivées par les questions de santé, de santé publique et de vaccination, à la réflexion et à l'information sur la politique vaccinale serait à mon avis très utile pour faciliter l'intermédiation entre les décisions politiques et le reste de la population.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Que répondre à un interlocuteur qui nous demanderait pourquoi avoir confiance en un vaccin créé en un an plutôt qu'en quinze ? Quels arguments utiliser pour indiquer que ce calendrier restreint ne doit pas susciter de peur particulière : faut-il se baser sur les résultats, sur la procédure ?

Serait-il possible de préciser les termes du débat sur les personnes qui seront chargées d'administre le vaccin ? Comment le débat doit-il s'apprécier ?

Vous avez également indiqué que la logistique à mettre en oeuvre varierait selon la population ciblée. Quels éléments devra-t-on prendre en considération ? Sur quelles expériences, bonnes ou mauvaises, s'appuyer pour appréhender cette question ?

Le rôle des associations et de leur collectif a aussi été mentionné : pourriez-vous nous en dire davantage ?

Je souhaiterais également aborder le rôle de l'OMS, notamment pour ce qui concerne la distribution du vaccin entre les pays : quels pays prioriser ?

Enfin, comment s'effectuera le choix du vaccin dans la commande d'un pays ayant souhaité disposer d'un nombre donné de dose ? S'appuiera-t-il sur des critères scientifiques, sur un mélange de critères scientifiques et d'éléments de souveraineté, sur des aspects de dépendance ? Connaissez-vous les termes du débat sur lequel nous aurons à arbitrer ?

M. Patrick Berche. - Sur le sujet de la confiance, nous travaillons actuellement surtout sur la base des communiqués de presse publiés notamment par Pfizer et Moderna, qui donnent très peu d'éléments en dehors des quelques pourcentages dont vous avez entendu parler. Je crois que la confiance viendra des publications scientifiques, soumises à la critique. Avant cela, il sera selon moi très difficile de prendre une décision en faveur de tel ou tel vaccin.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Durant la première vague épidémique, nous avons vu des journaux prestigieux se tromper complètement et publier des études rétractées par la suite, notamment le Lancet et le New England Journal of Medicine. Comment avoir la certitude que le processus sera plus rigoureux à l'avenir, alors que la pression est toujours considérable ?

M. Patrick Berche. - 32 000 publications sur la Covid ont été répertoriées au cours des six premiers mois de l'année, ce qui est absolument incroyable et a conduit à certains dérapages. Ainsi, le Lancet a mal contrôlé ses sources : il s'agit d'un problème de peer review.

M. Alain Fischer. - Il ne faut pas oublier, à côté de ces quelques articles rétractés, qui ont beaucoup fait parler, les très nombreuses autres publications. En dépit de ces quelques accidents, qu'il ne faut pas sous-estimer, le système a tout de même, globalement, relativement bien fonctionné.

Le garde-fou, au-delà des publications scientifiques, résidera dans le fait que ces vaccins, élaborés très rapidement, sont dès aujourd'hui et vont être l'objet d'une analyse rigoureuse par les agences réglementaires, à savoir pour ce qui nous concerne l'European Medicines Agency (EMA) à l'échelle européenne et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) au niveau français. L'une des garanties tiendra au fait que les règles qui pourraient aboutir à la mise sur le marché de ces vaccins, soit sous forme de procédures d'urgence compte tenu du contexte de la pandémie, soit et ensuite selon une procédure régulière, ne dérogent pas aux éléments d'analyse sur la qualité du produit, la toxicologie, la sécurité d'emploi clinique (c'est là que l'on attend encore un peu plus d'informations) et le degré d'efficacité et de protection en fonction des diverses catégories de population. Les agences vont examiner tout cela et aucune autorisation de mise sur le marché ne sera donnée sans que des réponses n'aient été apportées à ces questions. L'OMS a d'ores et déjà donné des guidelines, qui rejoignent d'ailleurs celles existant pour d'autres vaccins, sur les conditions d'acceptabilité de la mise en place d'un vaccin contre la Covid. Pour la procédure d'urgence, la FDA a demandé qu'un certain taux d'efficacité soit démontré, qu'une protection soit garantie contre les formes les plus sévères et que l'on dispose au minimum de deux mois de recul. Même si ces éléments peuvent être discutés (le recul de deux mois est-il suffisant ?), ils constituent néanmoins des garde-fous assez solides. Pour la France, il faut compter sur deux niveaux d'évaluation, l'un à l'échelle européenne, l'autre nationale. L'EMA et l'ANSM travaillent sur ces vaccins comme elles le font habituellement sur les produits de santé.

Mme Christine Rouzioux. - Concernant la stabilité du virus, il m'apparaît qu'avec une expansion aussi importante du virus dans le monde entier, si des variants avaient émergé, potentiellement plus infectieux et plus transmissibles, nous le saurions déjà. Nous avons étudié plus de 200 000 séquences du virus et les séquences sur Spike sont plutôt rassurantes. On observe des mutations, mais elles n'impliqueront pas forcément des problèmes en termes de vaccination. Les deux souches danoises, différentes chez les visons, ne sont donc peut-être pas si préoccupantes. Les études ont pour l'instant été menées sur les anticorps de douze personnes infectées seulement. Les résultats ne sont donc pas assez nombreux pour pouvoir indiquer avec certitude que cette deuxième souche est vraiment différente.

M. Alain Fischer. - L'OMS a, comme je l'indiquais précédemment, défini des critères en matière d'évaluation des vaccins, qui servent de base pour le regard que chaque pays ou groupe de pays pose sur ce sujet. Elle aurait aimé aller plus loin, en mettant en place par exemple des systèmes de tests, notamment de tests d'anticorps neutralisants, à utiliser par tous les industriels, afin que des comparaisons d'efficacité des vaccins puissent être effectuées. L'OMS avait aussi proposé que les mêmes groupes contrôles puissent être utilisés dans différents essais cliniques, ce qui aurait facilité les comparaisons : or ceci n'a été suivi ni par les pays, ni par les industriels.

Néanmoins, l'OMS mène ses propres essais d'évaluation des vaccins à grande échelle, ce qui est un élément très positif.

Elle propose en outre une politique de distribution équitable des vaccins, avec l'objectif que 20 % de la population mondiale soit vaccinée, aussi bien dans les pays riches que dans les pays pauvres. Une initiative dénommée COVAX, relayée par la Communauté européenne et la France (bien que cette dernière ne se soit pas encore engagée financièrement), a été lancée en ce sens par l'OMS en collaboration avec une série d'organisations non gouvernementales, consistant idéalement à préacheter 2 milliards de doses de vaccin de différents industriels, avec l'idée de les distribuer équitablement à tous les pays, c'est-à-dire pour au moins 50 % à des pays à revenus faibles ou moyens. Ceci permettrait de faciliter l'accessibilité aux vaccins pour les pays les plus modestes.

Les limites de cette superbe initiative tiennent pour l'instant à son financement, qui est loin d'être acquis et repose sur la générosité de fondations non gouvernementales et la contribution des pays, dont peu, malheureusement, se sont encore engagés concrètement.

Le deuxième point non résolu est que même si COVAX parvient à acheter 2 milliards de doses et à les distribuer dans le monde, on sera encore très loin du compte, sachant qu'il faudra certainement 2 doses par individu et ce même si l'on ne vaccine pas les enfants. Il faudrait beaucoup plus de doses pour parvenir à une couverture vaccinale mondiale satisfaisante. Cette initiative nécessitera donc du temps pour prendre tout son essor et débordera largement au-delà de 2021.

Le dernier aspect, plus politique encore, réside dans le fait que, dans un monde rêvé, les recommandations de l'OMS seraient effectivement suivies d'effets dans les États : or comme vous le savez, ceci est loin d'être le cas aujourd'hui. Je vous rappelle ainsi que les États-Unis, même si l'on peut espérer qu'ils y reviennent bientôt, se sont retirés de l'OMS. Cette organisation est d'un côté une instance très bureaucratique, de l'autre une entité absolument indispensable, qui n'est malheureusement pas suffisamment soutenue et reconnue par les différents États.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Merci beaucoup. Je vous propose de procéder à un nouveau tour de table des questions des parlementaires.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Y aurait-il un sens à distinguer au plan pratique, dans la mise en oeuvre de la vaccination, la prescription de l'acte de vaccination ? Quel serait dans ce contexte le rôle du médecin par rapport à celui des personnels paramédicaux susceptibles d'intervenir ?

Ma deuxième question concerne la dimension économique. On parle de deux doses par individu et plusieurs milliards de personnes concernées : comment fixer un prix ? Ceci a-t-il un sens ? Ceci relève-t-il d'une négociation ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Pensez-vous concevable de lancer en France une campagne de vaccination à partir de vaccins différents ou doit-on nécessairement, pour des raisons d'équité et de confiance de la population, avoir recours à un seul vaccin ? Comment le gouvernement et les instances pourront-ils choisir si plusieurs vaccins arrivent sur le marché en même temps ?

Il avait été question au début de l'épidémie d'immunité collective. Pensez-vous qu'il soit possible d'y parvenir, en prenant en compte le nombre de contaminations observées et la vaccination ?

Un détail enfin : la possibilité d'une vaccination nasale a été évoquée lors de l'exposé introductif. De quoi s'agit-il précisément ?

M. Jean-Luc Fugit, député. - Quelles réflexions tirer de la situation que nous vivons en termes de santé globale, incluant la faune, la flore et l'être humain ? Avez-vous le sentiment qu'il s'agit d'une question de plus en plus prégnante, dans la communauté qui est la vôtre et au-delà ? Comment aborder ces sujets à l'avenir ?

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Pour ce qui est des personnes à risque, j'ai bien compris que le bienfondé de la vaccination dépendrait en grande partie des résultats relatifs à l'efficacité du vaccin dans les différents segments de population concernés. Quid des personnels en contact avec ces personnes à risque (infirmiers, personnels des EHPAD, etc.) ? Faut-il envisager une politique spécifique en la matière ?

Quid par ailleurs du débat sur la personne susceptible d'administrer le vaccin ? Est-ce à mettre en lien avec la forme, nasale ou autre, prise par la vaccination ? Nous avons par exemple vu que la fiabilité des résultats des tests PCR dépendait en grande partie de la rigueur avec laquelle les prélèvements avaient été effectués, donc de la personne chargée de les réaliser, au plus proche du patient.

Mme Christine Rouzioux. - L'organisation de la vaccination et la logistique correspondante dépendront de plusieurs éléments, à commencer par le vaccin lui-même : une conservation des doses à -80°C ou à -20°C aura des implications différentes, dans la mesure où il ne sera pas possible d'installer partout des congélateurs pour une conservation à -80°C, même si le ministère en a déjà commandé cinquante. Le vaccin qui se conserve à -20°C serait beaucoup plus facile à distribuer sur le territoire français. Si la décision est prise de procéder prioritairement à des vaccinations dans les EHPAD, ceci demandera également une organisation spécifique.

Il faut savoir que l'Allemagne est en train de s'organiser, avec la mise en place de grands barnums de vaccination dans les villes, dont 5 sites à Berlin.

De nombreux pays envisagent par ailleurs de vacciner prioritairement les soignants et l'ensemble des personnels des EHPAD, infectés à un niveau d'environ 20 % et susceptibles de contaminer les patients. Nos études montrent toutefois que les contaminations observées dans les EHPAD viennent essentiellement des visites des familles. De nombreux manques subsistent néanmoins dans notre connaissance des circuits et des conditions de contamination. Nous effectuons en effet le tracing en aval des cas identifiés et non en amont, alors que cela pourrait nous aider à comprendre la manière dont les gens se contaminent.

La stratégie sera différente si l'on veut vacciner en population générale les personnes âgées ne résidant pas en EHPAD : je suis d'accord sur le fait que la problématique est différente pour les personnes âgées de 65 ans et celles âgées de 85 ans. Je pense que l'immunité collective n'est pas la même dans les différentes tranches de population. On peut imaginer toutefois que cette immunité collective, pour l'heure assez faible puisqu'elle serait de l'ordre de 4 à 12 % selon les villes, pourrait atteindre 50 % avec la vaccination.

Faut-il tester ou non avant de vacciner ? Faut-il vacciner quelqu'un qui a déjà été infecté ? Je l'ignore. Les modèles animaux sur SARS-CoV-1 ont montré que certaines immunisations avaient été délétères. Il s'agit d'une vraie question.

M. Alain Fischer. - Je souhaiterais répondre à la question importante concernant les personnes chargées de la vaccination, laquelle rejoint d'ailleurs celle de la prescription. Un certain nombre de recommandations ont été formulées sur ce sujet dans un rapport auquel j'ai participé, au début juillet 2020 entre le Conseil scientifique présidé par le Pr. Delfraissy, le comité CARE et le comité de la vaccination dont je fais partie, et accessible sur le site du ministère de la santé. Notre proposition visait à rendre la vaccination la plus aisée possible. Si l'on vaccine a priori de façon prioritaire les professionnels les plus exposés (personnels soignants, caissières de supermarchés, chauffeurs de taxis, policiers, pompiers, ambulanciers, etc.), l'idée serait non seulement de permettre aux médecins généralistes de vacciner, mais aussi aux pharmaciens, aux infirmiers, sur les lieux de travail. Il faudrait imaginer toutes les modalités permettant de se faire vacciner facilement, dans le maximum d'endroits et par le plus de personnels soignants, en veillant bien évidemment à ménager au préalable des temps d'explication et d'information complète. Ceci passe par le fait que les professionnels de santé eux-mêmes soient convenablement informés et convaincus du bienfondé de cette vaccination.

La HAS est également en train de se pencher sur cette question et va émettre un avis très prochainement, une fois la consultation en cours terminée.

Concernant les aspects économiques, je sais que l'on dispose d'une idée des prix des vaccins ARN, qui seront probablement les plus chers, de l'ordre de 30 à 40 euros, ce qui est extrêmement élevé et posera problème. Si l'on multiplie ce prix par le nombre de personnes à vacciner, on aboutit en effet à des sommes astronomiques. Il est très probable que les vaccins d'autres classes, comme les vecteurs adénoviraux ou les protéines recombinantes, seront significativement moins onéreux ; on ignore toutefois à ce jour s'ils seront efficaces. Le coût de cette vaccination pour notre société, et plus encore à l'échelle mondiale, sera, quoi qu'il en soit, loin d'être négligeable. Ceci va de pair selon moi, même si cette démarche coûte un peu d'argent à la Caisse nationale d'assurance maladie, avec la préconisation que cette dernière couvre à 100 % le prix du vaccin. Ceci me semblerait légitime dans le contexte actuel et face à la nécessité de freiner autant que possible cette pandémie et toutes ses conséquences dramatiques, et ce même si le prix des premiers vaccins sera très élevé, trop élevé. Ceci renvoie à une négociation avec les industriels.

Mme Christine Rouzioux. - Il est évident que les industriels profitent de la situation. Il est temps que les autres vaccins arrivent, afin de faire baisser les prix.

M. Alain Fischer. - Il semblerait que les vaccins à vecteurs adénoviraux soient franchement moins chers.

Mme Christine Rouzioux. - Il convient de distinguer les adénoviraux réplicants et non réplicants.

M. Alain Fischer. - J'évoquais en l'occurrence les non réplicants. Selon les informations qui circulent, le vaccin élaboré par AstraZeneca serait beaucoup moins cher ; on aimerait toutefois savoir s'il est efficace...

Mme Christine Rouzioux. - Les vaccins non réplicants risquent fort d'être moins efficaces, puisque la dose immunogène est moindre.

M. Alain Fischer. - Si l'on raisonne en termes de types d'anticorps neutralisants, il apparaît que les résultats induits ne sont pas moins bons que ceux des vaccins ARN.

Mme Christine Rouzioux. - Dans l'article de Nature, se pose la question de savoir si les anticorps neutralisants ne sont pas une spéculation sur l'effet protecteur. La question du niveau d'immunité protectrice n'est pas si simple.

Quant à la vaccination par voie nasale, j'ai lu que les vaccins concernés n'étaient pas prêts et n'étaient pas encore en essais de phase 3.

M. Patrick Berche. - Ils ne sont effectivement pas encore prêts. Si j'ai bien compris, ils seraient administrés par aérosol.

M. Alain Fischer. - En effet ; ceci ne nécessiterait pas de piqûre.

Mme Christine Rouzioux. - La question de la rapidité de mise au point est intéressante. Je pense que l'épidémie n'a pas pris de cours les industriels. S'il est clair que beaucoup d'articles n'ont pas été revus par les pairs, les publications sur le sujet sont extrêmement nombreuses. Nous avons indéniablement bénéficié des évolutions survenues lors des dix dernières années : les nanotechnologies et la possibilité d'insérer de l'ARN dans des nanoparticules ne sont pas des éléments nouveaux. Cette épidémie a simplement constitué une opportunité pour mettre ces techniques en oeuvre. On peut toutefois se demander pourquoi ceci n'a pas été testé auparavant sur d'autres infections virales, respiratoires hivernales par exemple. Ceci représente un bond technologique absolument extraordinaire et une opportunité de tester ces technologies. Il est évident que cette situation effraie, mais il s'agit de développements majeurs.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Qui effectuera le geste vaccinal ?

M. Patrick Berche. - Il n'est pas obligatoire que ce soit un médecin. J'avais insisté sur le fait que l'exclusion du médecin généraliste de la procédure vaccinale en population générale était une erreur en 2009. Je suis toujours perplexe face à l'idée de centres de vaccination, car ceci génère, si l'on se réfère à l'expérience de 2009, des files d'attente de plusieurs centaines de mètres, ce qui est susceptible de contribuer à la propagation de la maladie si toutes les précautions ne sont pas prises.

La logistique et la communication constituent selon moi les deux points importants qui peuvent faire échouer une campagne de vaccination.

Mme Christine Rouzioux. - Les médecins généralistes ne pourront toutefois pas avoir des congélateurs à -80°C. Il s'agit d'une vraie limite.

M. Alain Fischer. - Le vaccin Pfizer doit certes être conservé à -80°C, mais résiste une semaine à +4°C.

M. Patrick Berche. - Le laboratoire Moderna indique que son vaccin doit être conservé à -20°C, mais peut résister à un ou deux jours à +4°C.

M. Alain Fischer. - La dernière annonce de Moderna faisait état hier d'une possibilité de conservation à +4°C pendant 30 jours. Ceci témoigne du caractère extrêmement évolutif de la situation, qui va dans le sens d'une simplification.

M. Patrick Berche. - Je suis assez réticent vis-à-vis de la mise en place de centres de vaccination, qui rassemblent les gens. Je pense que les vaccinations pourraient être effectuées par les médecins traitants, les pharmaciens d'officine (qui procèdent actuellement à des vaccinations contre la grippe), les infirmières libérales. Je ne pense pas qu'il soit absolument nécessaire d'avoir une prescription médicale.

Mme Christine Rouzioux. - Les pharmaciens sont déjà très occupés par la réalisation des tests !

M. Patrick Berche. - L'un des autres sujets à considérer est celui des porteurs sains et plus globalement des personnes dont la sérologie se révèle positive : faut-il les vacciner ? Une vaccination ne risque-t-elle pas de déclencher quelque chose ? Il faudrait avoir davantage d'informations. Ceci constitue un problème potentiel.

M. Alain Fischer. - Cette question rejoint un point plus technique, qui est que les anticorps peuvent paradoxalement aggraver une infection. Ceci n'a pas été constaté pour l'instant dans les différents essais de phase 3, mais a été observé dans d'autres contextes. Nous n'avons ni assez de recul, ni assez de personnes observées pour répondre à cette question. Nous y verrons plus clair d'ici quelques mois. Si de telles complications, qui ont pu être observées dans le cadre par exemple d'un vaccin contre la dengue ou lors d'une réinfection par cette même maladie, n'ont pas été décrites dans le cadre des vaccins contre la Covid lorsque quelques centaines de milliers de personnes auront été vaccinées, alors ceci lèvera les craintes et incertitudes éventuelles quant au fait de vacciner une personne ayant déjà un certain degré d'immunité contre le SARS-CoV-2. Il faut attendre un peu pour avoir cette réponse, me semble-t-il.

Je peux tenter de répondre à la question sur l'immunité collective et l'idée selon laquelle, si 70 % de la population était immunisée, naturellement ou grâce à un vaccin, la circulation du virus s'arrêterait. Il faut savoir que l'on attend essentiellement deux qualités d'un vaccin.

La première, évidente, est la protection, c'est-à-dire le fait que l'individu vacciné ne fasse pas l'infection ou tout du moins de façon atténuée et bénigne. Ceci a l'air d'être plutôt le cas suggéré par les deux résultats que nous connaissons, sachant toutefois que ces données sont issues de communiqués de presse et non de publications scientifiques.

La seconde, absolument critique, est de savoir si le vaccin est protecteur à l'égard de la transmission du virus, autrement dit, dans notre jargon, s'il stérilise, c'est-à-dire si la personne vaccinée n'a plus de particules virales dans son oropharynx, donc ne peut plus infecter d'autres personnes. La réponse à cette question, qui pourrait être partiellement dissociée de la première, ne viendra que plus tard, car elle nécessite des observations de phase 4. Ce n'est qu'une fois que nous aurons cette réponse que nous pourrons savoir si un niveau suffisant d'immunité de groupe pourra être créé, qui permettrait de faire diminuer considérablement la circulation du virus. Il est vraisemblable que nous aurons ces réponses au mieux au deuxième semestre 2021.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Merci beaucoup. Nous retenons de vos différentes interventions plusieurs points sur lesquels nous avons besoin de davantage d'informations : ceci concerne notamment la conduite à tenir vis-à-vis des personnes à sérologie positive, la faculté d'empêcher la transmission ou encore les différentes caractéristiques des vaccins.

Nous notons également certains aspects majeurs sur lesquels vous avez souhaité attirer tout particulièrement notre attention, tels que l'importance d'une information en direction des professionnels de santé, de la dimension logistique, de la communication et d'une bataille sur le terrain des idées. J'observe que les points qui vous inquiètent le plus ne sont pas d'ordre scientifique, mais relèvent plutôt de la mise en oeuvre.

Concernant la question du complotisme et de la confiance, je perçois deux ingrédients inflammables dans nos échanges. Le premier est celui des nanoparticules utilisées pour la transmission des ARN. Nous savons en effet à quel point ce terme est un mot clé qui sous-tend de nombreuses théories conspirationnistes, complotistes. Ceci a été le cas notamment à propos de Bill Gates, dont on a dit qu'il voulait prendre le contrôle de la population à l'aide de nanoparticules, de la 5G, etc. Les complotistes verront là une confirmation de leurs théories. Le deuxième élément tient au fait que la Chine est déjà en train de procéder à des vaccinations. Or je vous rappelle qu'une théorie circulait, à laquelle s'est d'ailleurs associé notre distingué collègue le Pr. Montagnier, selon laquelle le virus avait été fabriqué dans des laboratoires chinois, qui seraient les seuls à posséder l'antidote et en feraient évidemment bénéficier leurs ressortissants pendant que le monde entier continuerait à souffrir de la pandémie.

Au-delà de ces rumeurs complotistes, qu'il faudra trouver le moyen de désamorcer intelligemment, peut se poser la question, transmise par notre collègue Thomas Gassilloud, de savoir si l'on peut imaginer qu'à l'avenir une puissance prépare tout à la fois un virus, par biologie synthétique par exemple, et le vaccin correspondant, dans le but de se livrer à une sorte de guerre virologique mondiale ? Ceci relève-t-il de la pure science-fiction ou convient-il d'investir ce champ de réflexion et de préparer des éléments en la matière, pour être prêt le cas échéant à repérer et déjouer ce genre de démarche ? Ceci sort du cadre strict du Covid, mais nous profitons de votre présence, chers collègues, pour soumettre cette question à votre sagacité.

M. Patrick Berche. - Concernant les nanoparticules, il faut insister sur le fait qu'il s'agit de particules de lipides, biodégradables contrairement à d'autres nanoparticules.

Connaissant bien ce problème, l'idée qu'un pays comme la Chine développe une arme biologique et en même temps un vaccin pour protéger sa propre population (qui compte en l'occurrence quelque 1,4 milliard de personnes) me paraît impossible, car très difficile à mettre en oeuvre. Il est probable que ce virus soit issu d'une contamination naturelle, dont l'hôte intermédiaire n'est certainement pas le pangolin, mais un autre mammifère que l'on n'est pas parvenu à isoler, contrairement aux deux précédentes épidémies de SARS et de MERS où l'on avait réussi à identifier le virus chez un hôte intermédiaire. Jusqu'ici un tel scénario n'a jamais été envisagé dans l'histoire des armes biologiques.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Ceci pourrait concerner d'autres pays que la Chine. Je comprends néanmoins de cette réponse qu'en l'état actuel des connaissances et sans doute pour longtemps, il existe un tel niveau d'incertitude par rapport à la production d'une protection qu'aucun dirigeant n'envisagerait de lancer un programme de cette nature.

M. Patrick Berche. - Là est tout le problème des armes biologiques, qui sont des microorganismes vivants susceptibles d'évoluer dans la population dans laquelle ils ont été lancés, de muter, de s'adapter et finalement de se retourner contre l'agresseur. C'est la raison pour laquelle, en 1942, les Japonais ont stoppé leur programme biologique : en effet, suite à des essais menés sur le terrain en Chine, les contaminations de puits auxquelles ils avaient procédé avaient généré des cas de choléra qui ont fait perdre 3 000 ou 4 000 hommes à l'armée japonaise.

Mme Christine Rouzioux. - Il me semble important d'attirer votre attention sur la nécessité de mettre en oeuvre, encadrer et soutenir des réseaux de surveillance, au niveau français, mais aussi européen. Il faut que la circulation des différentes souches virales en cause dans les épidémies hivernales soit hautement surveillée. Nous disposons de centres de référence, mais il faut encourager cela et veiller à ce que le séquençage de ces souches soit réalisé le plus rapidement possible.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Quelles sont, au niveau européen, les institutions susceptibles de jouer un rôle en la matière ?

Mme Christine Rouzioux. - Chaque pays a ses propres réseaux de surveillance, mais il convient de les coordonner afin qu'ils travaillent ensemble, ce qui n'est pas forcément le cas.

M. Alain Fischer. - Il existe à l'échelle européenne l'European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC).

Mme Christine Rouzioux. - L'ECDC s'appuie sur les centres nationaux de référence, mais il est vraiment important qu'une surveillance fine se développe au niveau des territoires.

M. Patrick Berche. - Il est par ailleurs très important que soit publié quasiment chaque semaine un communiqué sur les éventuels effets secondaires rencontrés lors des essais. Ce sera en effet la cible privilégiée des conspirationnistes, qui s'appuient sur de tels éléments pour montrer que les vaccins sont délétères. Il est donc essentiel, pour obtenir la confiance de la population, d'avoir une communication claire et transparente sur ces points.

M. Alain Fischer. - L'ANSM a prévu de procéder ainsi et est très engagée dans cette voie.

Une question a été posée précédemment sur l'implication de la société civile. Les centaines d'associations d'usagers et de patients regroupées au sein de France Assos Santé sont très actives sur les problématiques de santé publique. Ce sont des gens remarquables, dont il faudrait selon moi très largement utiliser les ressources sur la question de la vaccination contre la Covid. Je pense que ces personnes ont beaucoup de compétences, sont très motivées et peuvent être des relais cruciaux sur toutes les questions de santé publique, entre le monde politique, les autorités sanitaires et la population.

Mme Christine Rouzioux. - Ces associations pourraient même être des relais de santé concrets, en s'occupant de vacciner leurs populations cibles.

M. Alain Fischer. - J'ai le sentiment que les interactions sont insuffisantes entre la sphère politique et ce monde associatif qui joue un rôle remarquable.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Nous vous remercions pour ces exposés et ce travail d'une qualité remarquable, réalisé dans un climat de grande confiance et un délai record. L'Office ne manquera pas de revenir vers vous si besoin, pour obtenir précisions et informations complémentaires.

Nous avons entendu notamment dans vos interventions qu'une communication régulière vous apparaissait être un élément clé. Ce sera le cas non seulement en direction de la population, mais aussi entre nous.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je remercie, au nom des collègues sénateurs, les deux académies qui se sont mobilisées pour répondre à notre sollicitation. Ce sont des partenaires réguliers, qui nous permettent d'apporter à l'ensemble des parlementaires des informations utiles. Les questions relatives à l'obligation vaccinale ou aux enjeux logistiques du déploiement de la vaccination sont ainsi des aspects éminemment pratiques, qui préoccupent les grands opérateurs de santé, les partenaires de la médecine, les personnels paramédicaux sur le terrain. Je pense que ce que nous avons entendu et les signaux d'alerte que vous nous avez transmis seront relayés par la voie parlementaire. L'Office est bien là dans son rôle, au coeur de l'actualité et du service rendu aux parlementaires, par une meilleure appréhension des questions scientifiques.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Je partage totalement cette analyse et vous remercie très chaleureusement, chers amis académiciens, pour votre présence et la qualité des échanges que nous avons pu avoir ce matin. A très bientôt.

M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Je souhaite avancer une suggestion. Le programme d'étude sur les conséquences de l'arrêt du projet de réacteur Astrid se poursuit. Thomas Gassilloud et moi proposons à l'Office d'organiser une audition publique de l'Autorité de sûreté nucléaire et d'autres acteurs, autour d'une note publiée par l'ASN sur demande du ministère de la transition écologique et solidaire (MTES) sur la possibilité de classer comme déchet l'uranium appauvri. Une telle décision serait une forme de condamnation de la filière des réacteurs à neutrons rapides.

Nous avions prévu d'auditionner l'ASN sur le sujet Astrid mais, s'agissant d'une note et d'une commande qui nous surprennent quelque peu, une audition élargie à l'ensemble de l'Office, une audition publique, sur le sujet « uranium appauvri », nous paraît tout à fait justifiée.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - C'est effectivement un sujet très délicat et, dans le domaine nucléaire, le débat sémantique est très sensible ; les implications du reclassement que vous évoquez sont considérables. Je constate qu'il n'y a pas d'objection à la proposition de Stéphane Piednoir et Thomas Gassilloud, et celle-ci est donc approuvée.

Désignations de rapporteurs et d'un membre du conseil d'administration de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra)

L'Office doit maintenant procéder à quelques nominations.

Pour l'élaboration d'une note scientifique sur les neurotechnologies, dont nous avions déjà accepté le principe lors de notre réunion du 22 octobre, j'ai reçu la candidature de Patrick Hetzel, député. Je ne vois pas d'autre candidature ; en conséquence, Patrick Hetzel est nommé rapporteur de cette note scientifique.

Nous avons également décidé d'organiser une audition publique sur les New Breeding Techniques (ce qui désigne les nouvelles méthodes de modification et sélection génétiques, par exemple fondées sur la technique CRISPR-Cas9). Il semble d'ailleurs que ce sujet devra trouver des suites. Pour animer l'audition publique, j'ai reçu les candidatures de Catherine Procaccia, sénateur, et Loïc Prud'homme, député. Puisque je ne vois pas d'objection se manifester, il en est ainsi décidé.

Nous devons enfin désigner un député au conseil d'administration de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). Franck Menonville avait été désigné en février 2020 pour siéger au titre du Sénat et Bérangère Abba avait été désignée en septembre 2019 pour siéger au titre de l'Assemblée nationale. Celle-ci ayant été nommée membre du gouvernement, doit être remplacée. Nous avons approché Sylvain Templier, suppléant de Bérangère Abba, qui serait très honoré d'être ainsi désigné. Je ne vois pas se manifester d'objection et il en est donc ainsi décidé.

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques désigne :

- M. Patrick Hetzel, député, comme rapporteur d'une note scientifique sur les neurotechnologies ;

- Mme Catherine Procaccia, sénateur, et M. Loïc Prud'homme, député, comme rapporteurs de l'audition publique sur les New Breeding Techniques ;

- M. Sylvain Templier, député, comme membre du conseil d'administration de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).

La réunion est close à 11 h 20.