Mercredi 2 décembre 2020

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 08 h 45.

Audition de Mme Nathalie Élimas, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et des sports, chargée de l'éducation prioritaire

M. Laurent Lafon, président. - Nous auditionnons aujourd'hui Mme Nathalie Élimas, secrétaire d'État chargée de l'éducation prioritaire.

Madame la ministre, je vous remercie de prendre le temps de consacrer l'une de vos premières interventions relative à la réforme de l'éducation prioritaire à la commission de la culture du Sénat.

Nous sommes impatients de vous entendre. La commission s'était déjà intéressée à ce sujet l'année dernière. Avec mon collègue Jean-Yves Roux, désormais membre de la commission des lois, nous avions rédigé un rapport sur les nouveaux territoires de l'éducation et constations un certain nombre de carences dans la définition de la carte de l'éducation prioritaire.

J'en rappellerai au moins trois. Tout d'abord, la politique de l'éducation prioritaire crée une dichotomie forte entre les établissements qui se trouvent dans la carte des REP/REP+ et ceux qui n'y sont pas. Toute modification de cette carte est évidemment source de tensions avec la communauté éducative et les élus locaux.

Par ailleurs, il existe une problématique spécifique, celle des « écoles orphelines » : alors même que ces écoles disposent de toutes les caractéristiques pour faire partie de l'éducation prioritaire, elles en sont exclues car elles dépendent d'un collège jugé suffisamment mixte socialement.

Enfin, un chiffre nous avait surpris par son importance lors de la rédaction de ce rapport : 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP/REP+ et ne bénéficient donc pas, par voie de conséquence, de moyens supplémentaires.

Une réforme de l'éducation prioritaire est donc nécessaire, mais elle ne manque pas de susciter un certain nombre de questions.

En premier lieu, comment inclure les écoles rurales dans cette politique de l'éducation prioritaire ? C'est une préoccupation que portent de nombreux sénateurs.

En second lieu, une part importante de la stratégie du ministère en faveur de l'école primaire concerne l'éducation prioritaire. Je pense au dédoublement des classes de grande section de maternelle, au CE1 en REP/REP+, à la prime pour les enseignants en REP ou encore aux dix-huit demi-journées sans élèves allouées aux enseignants de REP+ à des fins de travail en équipe. Comment allez-vous pouvoir concilier ces mesures avec la nouvelle éducation prioritaire que vous appelez de vos voeux ?

Madame la ministre, vous avez la parole.

Mme Nathalie Élimas, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et des sports, chargée de l'éducation prioritaire. - Merci, monsieur le président.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c'est un honneur et un plaisir pour moi de pouvoir échanger avec vous aujourd'hui. C'est en effet la première fois que je vous rencontre et que j'ai l'occasion de m'exprimer sur l'expérimentation que je souhaite mettre en place à compter de septembre 2021.

Avant d'entrer dans le détail de l'expérimentation, je souhaite d'abord vous présenter ma feuille de route en quelques mots.

Comme vous le savez, ce secrétariat d'État est une création. C'est une première sous la Ve République. Le secrétariat d'État à l'éducation prioritaire a été créé pour répondre à la volonté du Président de la République et du Premier ministre de lutter contre l'inégalité des chances, une des priorités de ce quinquennat.

Ma feuille de route repose sur trois piliers. Le premier, dont nous allons discuter aujourd'hui, a trait à la refonte de la carte de l'éducation prioritaire. Je détaillerai ce point un peu plus tard.

Le deuxième pilier s'attache à promouvoir ou à développer les mesures et les dispositifs mis en place par Jean-Michel Blanquer qui, depuis son arrivée, en 2017, a beaucoup oeuvré pour l'éducation prioritaire : dédoublement des classes CP-CE1 - que nous allons d'ailleurs étendre aux classes de grande section pour la rentrée prochaine -, cordées de la réussite, internats d'excellence, dispositif « Devoirs faits », cités éducatives, dont le secrétariat d'État assure le pilotage. Les cités éducatives sont aujourd'hui quatre-vingts. J'ai annoncé le 12 octobre dernier la création de quarante cités éducatives supplémentaires dotées d'une plateforme numérique nationale et d'une offre de services destinée à les aider à se mettre en mouvement et à répondre à leurs différents projets.

Je mets par ailleurs en avant des dispositifs comme « Devoirs faits », cette aide aux devoirs qui est proposée aux élèves des collèges, parfois à distance afin de répondre aux besoins des élèves des territoires ruraux, qui dépendent souvent d'un car scolaire pour se déplacer. Ces « e-Devoirs faits » sont également une façon de répondre à la crise sanitaire malheureusement bien installée et d'éviter le brassage des élèves des écoles et des collèges.

Enfin, le troisième pilier de ma feuille de route, plus social, s'inscrit dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté. J'étudie de près l'utilisation des fonds sociaux, souvent sous-consommés, ou les dispositifs comme le petit-déjeuner ou la cantine à 1 euro.

J'en reviens à la refonte de la carte de l'éducation prioritaire. En préambule, et afin de rassurer chacun, je répète qu'en aucun cas, à ce stade, ni même à la rentrée 2021, nous ne toucherons à la carte des REP et des REP+ telle qu'elle existe.

Les établissements en REP+ sont souvent adossés à la carte des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), qui sera elle-même revue plus tard. Ce sujet sera donc traité dans le même temps par cohérence territoriale.

Pour les établissements labellisés REP, le Grenelle de l'éducation qui se tient en ce moment comporte une dizaine d'ateliers, dont trois au moins sont plus spécialement consacrés à l'éducation prioritaire. C'est l'occasion de mener un travail de fond sur l'éducation prioritaire et les questions indemnitaires. Le dialogue social est également engagé, et j'attends les conclusions du Grenelle.

L'expérimentation que je propose constitue une troisième voie. Elle démarrera en septembre 2021 et donnera bien évidemment lieu à une évaluation qui, si cela s'avère nécessaire, sera étendue à quelques académies supplémentaires. Si le dispositif se révèle parfaitement concluant - ce que je souhaite -, nous verrons comment sortir du zonage tel qu'il existe aujourd'hui. Si c'est un échec, j'y mettrai un terme.

Dès ma nomination au poste de secrétaire d'État, j'ai entrepris, jusqu'à ce que je sois confinée comme chacun, un tour de France de l'éducation prioritaire. Je me déplace deux fois par semaine dans les académies. Je vais à la rencontre des acteurs de l'éducation nationale, mais également des élus. J'échange aussi beaucoup avec les associations d'élus à propos de cette expérimentation et au sujet de ma feuille de route.

Enfin, j'ai rencontré l'ensemble des organisations syndicales, que je réunis à nouveau à partir du mois de décembre. Je souhaite mener ce travail en coconstruction avec l'ensemble des acteurs.

Cette expérimentation s'inspire fortement du rapport de la Cour des comptes et des rapports Azéma-Mathiot ou Salomé Berlioux. Elle se déroulera à partir de septembre 2021.

Trois académies ont été retenues pour ce faire, Lille, Marseille et Nantes qui, du fait de leur diversité géographique, de leurs caractéristiques sociales et économiques, offrent une idée assez représentative de ce que pourrait donner cette expérimentation si elle était généralisée sur le territoire national.

Les objectifs sont évidemment très clairs : il s'agit d'introduire plus de progressivité, de mieux tenir compte des contextes locaux, de mener des analyses de terrain plus fines et, surtout, de faire entrer de nouveaux publics. La carte des REP et des REP+, telle qu'elle existe aujourd'hui, ainsi que vous le disiez, monsieur le président, met de côté près de 70 % de nos élèves. Il y a donc là une injustice.

De plus, ce zonage binaire ignore certains établissements et certains élèves. Vous parliez des « écoles orphelines ». C'est un exemple très juste et très pertinent. Ces écoles, géographiquement situées dans un quartier avec des établissements labellisés REP, mais rattachées à un collège situé de l'autre côté de la route ou de la voie de chemin de fer, ne disposent pas de ces moyens.

Les lycées professionnels qui ne sont plus dans la carte depuis 2014-2015 peinent aussi, alors que les indicateurs leur permettraient de bénéficier de moyens dont ils ne jouissent pas.

Des établissements enclavés situés sur un territoire rural sont par ailleurs en perte d'attractivité et auraient besoin de bénéficier de moyens pour sortir de l'ornière.

D'autres territoires peuvent connaître, à un moment donné, des situations conjoncturelles difficiles, par exemple lorsqu'une entreprise qui salarie bon nombre d'habitants d'une ville serait amenée à fermer, provoquant un choc conjoncturel et social que l'on pourrait amortir en dotant les écoles de moyens.

L'idée consiste à faire entrer de nouveaux publics, de nouveaux territoires, et de leur allouer progressivement des moyens en fonction de leurs besoins propres.

Pour autant, il ne s'agit pas d'une politique d'éducation prioritaire totalement à la carte, à l'échelle de l'établissement. Nous allons conserver un cadre national et une politique publique nationale. Les critères, que nous pouvons d'ailleurs rediscuter dans toute la phase amont préparatoire avant le lancement de l'expérimentation, demeurent nationaux. Toutefois, les recteurs d'académie, en fonction des besoins et des particularités de leurs établissements ou de leur territoire, pourront actionner des critères particuliers.

Cette expérimentation sera fondée sur la base de contrats locaux d'accompagnement (CLA), qui seront passés entre l'établissement et le recteur. Ils seront conditionnés à un engagement portant sur des objectifs pédagogiques. La finalité demeure en effet de veiller à élever le niveau général de nos élèves.

Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Jacques Grosperrin. - Madame la ministre, j'ai relu avec beaucoup d'intérêt le rapport Azéma-Mathiot, mais également le rapport de nos collègues Lafon-Roux, qui évoque les nouveaux territoires de l'éducation. Je pense qu'il est important que vous vous en inspiriez, car ils traitent de la ruralité et de certaines priorités impliquant les acteurs territoriaux dans un travail collégial.

L'éducation prioritaire repose depuis de nombreuses années sur deux branches, la justice sociale et l'élévation du niveau de connaissances des élèves. Le premier article du code de l'éducation dit bien qu'il faut répartir les moyens en tenant compte des différentes situations économiques et sociales.

Maintes réformes ont été mises en place depuis 1981. L'expérimentation de 2015 concerne une quarantaine de départements. Les évaluations ne sont pas toujours effectives, et la Cour des comptes estime elle-même que les choses ne se sont pas autant dégradées qu'on le prétend mais se sont stabilisées.

On ne peut que se réjouir de la mise en place d'un secrétariat d'État. J'espère que ce n'est pas qu'un équilibre politique destiné à permettre à certaines formations de se retrouver au sein de la majorité, et que les choses iront plus loin.

Le temps de l'éducation, madame la ministre, n'est pas le temps politique. Il s'agit d'un temps long. Vous évoquez la prochaine rentrée et l'expérimentation qui doit avoir lieu. Ce sera la dernière rentrée du ministre de l'éducation et la première pour ce qui vous concerne. Vous avez parlé de l'évaluation des pratiques, mais celle-ci est assez compliquée à mettre en place. Le temps est trop court.

Vous auriez pu agir différemment en intervenant sur les primes pour les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), les assistants d'éducation (AED), les conseillers pédagogiques de circonscription, les chefs d'établissement, les « écoles orphelines ».

Une clarification apparaît nécessaire : il existe 350 REP+. Vous avez dit que vous n'y toucheriez pas. Vous faites bien, car ces REP+ correspondent en effet à 350 réseaux sinistrés.

On compte actuellement 700 écoles en REP. 30 % de celles-ci n'ont pas lieu à y figurer. Il faudra faire preuve de courage politique, car on pourrait imaginer que la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) dispose de ses pilotages nationaux avec, au niveau local, ce qu'on pourrait appeler une « académisation » de leur gestion. Je crois que celle-ci passera uniquement par les dotations horaires globales (DHG). Il conviendra d'attribuer des moyens supplémentaires aux recteurs afin qu'ils puissent mener la politique qui réponde à l'ambition que vous avez évoquée tout à l'heure.

Il est important que le recteur puisse accorder une labellisation sur une durée d'au moins quatre ans. Il faut soutenir les bons chefs d'établissement.

Je pense par ailleurs qu'il serait bon de classer les établissements REP en quatrième catégorie, d'accorder des bonifications aux professeurs, de prévoir davantage d'infirmières et de mettre en place un vade-mecum. Les collectivités locales, le ministère de l'éducation nationale, l'agriculture ont aussi un rôle à jouer dans ce domaine.

Je voudrais également parler d'argent, même si c'est un peu vulgaire. S'il s'agit d'un simple affichage, on n'arrivera pas à régler le problème de l'éducation prioritaire. On ne peut accepter que moins de 3 % de 2 milliards d'euros soient utilisés pour la formation initiale et la formation continue. Il faut être formé pour enseigner dans un établissement REP. Or ce n'est pas le cas. Il faut donc allouer de nouveaux moyens aux académies et non les redéployer. Ce serait un signe fort pour les enseignants. Tout le monde sera vigilant sur ce point.

Un indicateur de position sociale (IPS) a été mis en place par la DEPP (direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance). Il faut l'utiliser. Je ne suis pas sûr que la Bretagne ait besoin d'établissements classés en REP, même si certains élus mènent une action politique en ce sens. Je ne vais pas me faire que des amis, mais si on veut sortir de cette grande détresse et de cette souffrance, il faudra procéder à des choix politiques.

Par ailleurs, pourquoi avoir choisi ces quatre académies pour l'expérimentation ? On aurait très bien pu retenir la Seine-Saint-Denis ou la région lyonnaise...

Enfin, je crains que les conditions politiques et sanitaires ne soient pas réunies pour mener à bien cette expérimentation. Êtes-vous en phase sur la suppression des 70 REP, l'« académisation » et les choix concernant les éducateurs physiques et sportifs (EPS) ?

Des moyens supplémentaires - le nerf de la guerre - seront-ils alloués ?

Mme Nathalie Élimas, secrétaire d'État. - Vous m'avez demandé si j'avais l'intention d'allouer des moyens supplémentaires aux AESH et aux AED.

J'ai déjà répondu hier en séance publique, lors des questions au Gouvernement, au sujet des AESH. Les primes des AESH et des AED font l'objet d'une réflexion dans le cadre du Grenelle de l'éducation. Je n'ai donc pas de réponse à ce stade.

Pourquoi avoir choisi les trois académies qui ont été retenues ? Cette répartition géographique nous a semblé pertinente. Les caractéristiques propres à chaque académie nous semblent également intéressantes. On sait que l'académie de Lille, par exemple, a des besoins très particuliers. L'académie de Nantes dispose de davantage de moyens et de souplesse. Cela nous permet d'avoir un échantillonnage assez représentatif de ce que serait l'expérimentation si elle était portée au niveau national.

S'agissant du calendrier, nous sommes en phase préparatoire. Le comité de pilotage est en train de poser les bases de l'évaluation des contrats locaux d'accompagnement (CLA). Pour les évaluer, il faudra observer des critères très précis, qui seront définis dans la phase préparatoire. Ces CLA sont mis en place pour trois ans, avec une clause de revoyure.

L'expérimentation démarrera en septembre prochain, et l'évaluation devrait avoir lieu au printemps suivant. Ainsi que je le disais, le processus sera généralisé si tout fonctionne bien. Si des corrections sont nécessaires, nous les apporterons. Si l'expérience n'est pas concluante, on arrêtera.

Vous m'avez interrogée sur la suppression des REP. Je reviens à mon propos introductif : à ce stade, il n'est nullement question de supprimer quoi que ce soit pendant le temps de l'expérimentation. Le Grenelle de l'éducation est en cours. On va voir ce qui en ressort. Si l'expérimentation se déroule bien, nous verrons comment dé-labelliser certains établissements REP, mais le sujet n'est pas à l'ordre du jour.

Quant aux moyens supplémentaires, à ce stade de l'expérimentation, nous allons fonctionner à moyens constants.

Mme Annick Billon. - Madame la ministre, l'excellent travail réalisé par Jean-Yves Roux et Laurent Lafon fléchait les grands oubliés de la politique de l'éducation et les territoires ruraux. Un certain nombre de propositions préconisaient que la nouvelle politique de l'éducation prioritaire soit établie au niveau de l'académie et du département. Or vous avez évoqué des critères nationaux : je suis donc quelque peu inquiète. Ces critères nationaux pourront peut-être, à la marge, être pris en compte par les recteurs. Pouvez-vous nous apporter un peu plus de précisions à ce sujet ? Je salue bien entendu la volonté de conserver les REP+, qui sont nécessaires.

Je rejoins Jacques Grosperrin à propos des contrats locaux d'accompagnement, dont vous avez vanté la souplesse. Toutefois, les trois territoires soumis à l'expérimentation ne vont guère disposer de moyens humains et financiers supplémentaires. Comment vont-ils s'organiser ?

S'agissant des AESH, on a beaucoup parlé d'école de la confiance, d'école inclusive. Vous évoquez des primes. Serait-il possible de définir une véritable politique en matière de formation, de rémunérations et d'autres perspectives ?

Vous êtes d'autre part revenue sur les critères d'éligibilité et les caractéristiques sociales et économiques. Pouvez-vous développer ce point ?

Par ailleurs, les conclusions de cette expérimentation interviendront en 2022. D'ici là, certains enfants n'auront pu en bénéficier. Il y a aujourd'hui urgence ! Deux confinements successifs ont eu lieu. Lors de son audition par la délégation aux droits des femmes, la semaine dernière, Adrien Taquet disait que la santé mentale et le niveau des enfants étaient extrêmement inquiétants. Comment répondre à ce problème ?

Enfin, vous évoquez le Grenelle de l'éducation. Je pense au Grenelle des violences faites aux femmes, qui a donné lieu à un grand nombre de réunions à grand renfort de communication. Il faut saluer les mesures qui en ont découlé, mais elles n'ont absolument pas empêché la dégradation de la situation, les violences faites aux femmes continuant de progresser. Le Grenelle de l'éducation améliorera-t-il la situation de tous ces enfants ?

Mme Céline Brulin. - Madame la ministre, trois académies vont cohabiter durant l'expérimentation avec celles où le système reste inchangé. Or la carte des REP date de 2014. Beaucoup d'acteurs de l'éducation estiment qu'il est urgent de la revoir. Des communes, des écoles et des secteurs qui devraient en faire partie en sont aujourd'hui exclus, ainsi que vous l'avez évoqué. Pourquoi attendre 2022 alors qu'il y a urgence, compte tenu de la situation sanitaire et de ses conséquences dans un certain nombre de quartiers, notamment populaires ?

Par ailleurs, une centaine de maires ont tiré la sonnette d'alarme - pour ne pas dire plus - à propos du risque de décrochage d'un certain nombre de quartiers populaires. Associez-vous des maires à la réflexion sur l'évolution de la carte de l'éducation prioritaire ? Cela me semble essentiel.

Quid d'autre part des dédoublements ? Certains ont été mis en oeuvre à différents niveaux. L'année dernière, le ministre a accepté qu'aucune classe ne ferme en milieu rural sans l'accord du maire. Nous avons été un certain nombre à plaider en ce sens. Ceci a permis d'améliorer le taux d'encadrement en milieu rural. Les contractualisations que vous proposez vont-elles remettre tout cela en cause ? Imaginons qu'elles ne retiennent pas tel ou tel établissement dont les CP et les CE1 sont dédoublés. Que vont-ils devenir ? Maintient-on le dédoublement ou pas ?

En outre, je n'arrive pas à comprendre en quoi la contractualisation va éviter les effets de seuil. Dans mon département, une école à classe unique en milieu rural a voulu candidater pour le label « École du numérique ». Cela lui a été refusé, l'inspecteur d'académie ayant déclaré qu'il étudierait la contractualisation lorsque cette école envisagera un regroupement avec d'autres établissements. Je trouve cela assez inquiétant.

Enfin, un REP doit faire travailler ensemble toute une communauté éducative. Peut-on parler de réseau lorsqu'un établissement contractualise avec le rectorat ?

Mme Sabine Drexler. - Madame la ministre, tous les rapports, ces dernières années, convergent sur un point : la politique de l'éducation prioritaire mise en oeuvre depuis sa création en 1981 n'a pas atteint ses objectifs.

Pour remédier à la modestie de ses résultats, il faut forcément passer par une analyse des causes, et si une partie de celles-ci a été récemment prise en compte, d'autres difficultés clairement identifiées ne le sont pas. J'évoquerai ici le manque d'attractivité des établissements en REP, qui aboutit à l'affectation de jeunes enseignants peu aguerris, ni assez formés ni assez soutenus, l'absentéisme, qui est plus marqué, avec du personnel affecté au remplacement trop peu nombreux. Ceci rejoint la question des moyens qui a été abordée tout à l'heure.

En outre, la carte des écoles et des collèges classés effraie une partie des familles et conduit à une forme de ghettoïsation de ces établissements.

Enfin, il existe des disparités entre zones urbaines et zones rurales. La réforme que vous avez annoncée propose certes d'expérimenter une nouvelle approche de l'éducation prioritaire, mais qu'en est-il de la ruralité, qui fait l'objet, depuis le début des années 1980, d'une politique scolaire par défaut, sans portage politique au niveau national, à l'inverse de la politique de la ville, qui concentre depuis quarante ans des moyens importants sans avoir produit les résultats attendus ?

Nos villages se vident et l'école, dans les campagnes, peut devenir un facteur d'attractivité et de développement des territoires ruraux si on lui en donne les moyens. Or les critères retenus font davantage prévaloir l'origine sociale des élèves que leur origine géographique. Comment comptez-vous faire, madame la ministre, pour que les 70 % des élèves socialement défavorisés non scolarisés en REP puissent, demain, bénéficier du dispositif « École prioritaire » ?

S'il est bien sûr nécessaire de conserver les REP+, qui répondent aux besoins des territoires particulièrement défavorisés, pour les autres - et notamment les territoires ruraux éloignés de toute autre structure de soins et d'accompagnement psychopédagogique - une politique spécifique doit pouvoir être mise en place et prendre en compte le fait que les classes à multiniveaux y demeurent une réalité très forte, malgré les politiques de regroupements intercommunaux.

Enseigner dans de telles classes demande une pratique spécifique qui n'est pas abordée dans la formation initiale des enseignants.

Il est important aussi que la nouvelle politique prioritaire soit définie au niveau académique et départemental, et qu'elle soit l'occasion d'une concertation respectueuse, apaisée et constructive entre l'éducation nationale et les collectivités locales. Ce n'est pas souvent le cas, alors que ces mêmes collectivités sont les premières, après l'État, à financer la dépense en matière d'éducation.

Il est aujourd'hui socialement vital pour la ruralité de mettre fin à une politique éducative par défaut et de pouvoir la décliner très localement. Alors qu'on parle d'égalité républicaine, trop de territoires sont encore exclus des dispositifs publics ou privés qui leur permettraient d'échapper à une précarité annoncée.

Quelles sont les mesures envisagées pour répondre aux attentes des enseignants qui ont épuisé les dispositifs d'aide classiques dans le premier degré en milieu rural ?

Mme Marie-Pierre Monier. - Madame la ministre, s'il y a une chose que j'ai saluée dans la politique gouvernementale, c'est bien le dédoublement des classes en REP et en REP+. L'annonce, la semaine dernière, de ces expérimentations dans trois départements pour finalement supprimer la carte des REP a vraiment constitué une surprise fort désagréable.

J'ai découvert qu'il était question de fournir une enveloppe à chaque recteur. Celui-ci décidera ensuite des écoles et des collèges qui bénéficieront de ces moyens supplémentaires sans qu'aucune coordination nationale garantisse l'équité dans la répartition des moyens, le respect d'objectifs communs ou la cohérence globale. Or les écoles rurales exclues des dispositifs REP ont également besoin de moyens supplémentaires.

On en a parlé à nombreuses reprises : les écoles rurales ont des besoins spécifiques, et il faut leur accorder des moyens supplémentaires pour maintenir une présence de proximité et de qualité sur tout le territoire. À l'heure actuelle, les dispositifs existants ne permettent pas de répondre à leurs besoins.

Certes, nous avons mis en place plus de maîtres que de classes, ce qui y répondait partiellement. J'ai le sentiment que votre expérimentation va aboutir à une concurrence entre les écoles rurales et les écoles des quartiers urbains défavorisés.

Pourquoi avoir consacré tant d'énergie à améliorer le fonctionnement des écoles en REP ? Leurs besoins ne sont pas les mêmes. Il s'agit de deux problématiques très différentes, et il faut répondre à chacune d'entre elles sans les mettre en concurrence.

Je relève d'ailleurs que Marc Douaire, président de l'Observatoire des zones prioritaires (OZP), a eu une réaction très négative suite à votre annonce concernant l'effacement de la politique d'éducation prioritaire engagée depuis quarante ans. Ne peut-on craindre, avec cette expérimentation qui se jouera au niveau du rectorat, en lien avec les établissements concernés, une rupture d'égalité et une logique de guichets ? Une dynamique collective avait été mise en place. On risque de la casser.

On l'a dit, il y a urgence. La crise sanitaire est aussi une crise sociale. N'allez-vous pas mettre le feu aux poudres ? Nous avons un mauvais souvenir des restructurations. On sait que cela se traduit généralement par des fermetures. Nous sommes donc globalement inquiets de la situation.

Enfin, certaines échéances politiques vont arriver. Face à l'urgence, il faudrait se donner les moyens de réagir tout de suite.

M. Julien Bargeton. - Madame la ministre, a-t-on des retours sur l'expérimentation ? Dispose-t-on d'évaluations sur ce qui est fait en matière de droit commun et sur les dispositifs spécifiques, comme les REP et les REP+ ?

La Cour des comptes va sortir un rapport sur la politique de la ville. Je ne sais si elle y aborde le sujet de l'école dans les quartiers difficiles, mais on dit parfois que les lycées centraux de Paris bénéficient de plus de moyens que des lycées en zone rurale ou situés dans les quartiers de la politique de la ville.

M. Pierre Ouzoulias. - Madame la ministre, j'aimerais vous faire part de mon expérience d'élu des Hauts-de-Seine et de ma tentative de gestion des zones REP et REP+. J'ai commencé très modestement par essayer d'obtenir les critères de détermination des REP et des REP+. On m'a expliqué que ce n'était pas le rôle d'un élu, que le ministère de l'éducation nationale prenait ses responsabilités et ses décisions, et que je n'avais pas à m'en mêler.

Je suis néanmoins tenace. J'ai donc demandé au ministre, dans une question écrite, de bien vouloir expliquer à ces services qu'il était bénéfique de travailler avec un parlementaire : je n'ai toujours pas pu obtenir les critères.

Je vois des établissements de mon département sortir des zones et passer de REP+ en REP sans qu'on m'explique en quoi la réalité sociale du terrain, que je crois mieux connaître que le rectorat, a changé. C'est absolument incompréhensible !

Je tiens à vous dire de façon très forte et très solennelle que vous ne pourrez pas construire une politique des quartiers prioritaires sans les élus et sans une association très forte avec la politique de la ville.

Aujourd'hui, s'il existe deux interlocuteurs à introduire dans le débat que vous allez lancer, ce sont bien l'élu et le sous-préfet chargé des politiques de la ville dans les départements lorsque cette fonction existe. Les élus et les sous-préfets en charge des quartiers sont les seuls à avoir une connaissance exacte de la réalité du terrain.

L'académie de Versailles comporte deux départements sociologiquement totalement différents. Je sens bien, dans mes discussions avec le rectorat de Versailles, une incompréhension totale par rapport à mon département où on trouve à la fois des secteurs extrêmement pauvres, comme Gennevilliers, et le collège Lakanal de Sceaux.

Je l'ai dit à M. Blanquer lorsqu'il est venu nous proposer des pistes de réflexion : je ne vois pas comment on peut, dans une politique de guichets comme celle que vous allez mettre en place, se passer de l'expertise de l'élu.

Mon département compte un certain nombre de communes où il n'existe plus de mixité sociale. Il n'y en a plus non plus dans les collèges. Ce sont des établissements que vous allez pouvoir fermer dans très peu de temps, car les parents mettent malheureusement leurs enfants ailleurs, essentiellement dans le privé.

C'est une forme de séparatisme, madame la ministre : ce sont des territoires perdus de la République. Si vous ne prenez pas rapidement les choses en main, l'éducation nationale va reculer dans ces endroits. Or vous ne pouvez pas le faire sans les élus. J'attends les résultats du Grenelle de l'éducation, mais il faudrait des Grenelle dans chaque département. Cela fait six ans que je siège au comité départemental de l'éducation nationale : je n'ai jamais été associé à la gestion des REP et des REP+. Il faut commencer par là.

Mme Sonia de La Provôté. - Madame la ministre, il existe depuis un certain nombre d'années des initiatives d'accompagnement individuel, même en dehors des REP/REP+, notamment l'identification d'écoles en milieu rural, où les enfants ont besoin d'un accompagnement spécifique. Des contrats de réussite éducatifs ont été mis en place dans certains départements. Ils reposent sur l'accompagnement global de l'enfant et de son parcours en mobilisant le périscolaire ou les élus locaux aux côtés de l'éducation nationale.

La question du zonage interroge toujours parce qu'on renforce de façon collective des moyens dans des secteurs identifiés. Il est vrai que les enfants des secteurs ruraux sont moins accompagnés mais certains, qui ne se trouvent pas dans les zones concernées, même en milieu urbain, relèvent de la réussite éducative.

Comment considérez-vous cette réforme du zonage éducatif et la réussite éducative des enfants d'une façon générale ? Allez-vous mener une réflexion plus globale sur leur accompagnement, l'objectif étant que chaque enfant bénéficie des mêmes chances de réussite ?

Quid en outre des programmes de réussite éducative qui ont permis, dans certaines villes, d'accompagner des enfants hors zonage lorsqu'ils avaient besoin de moyens spécifiques d'accompagnement et de la mobilisation de tous autour d'eux ? Comment voyez-vous cette articulation ?

En second lieu, s'agissant de la mixité sociale, même si je ne sais pas toujours ce que recouvre cette notion, j'ai vécu la fermeture d'un collège en REP+ sur mon territoire. Les enfants ont été pris en charge dans un autre collège qui n'était pas REP+, mais ont conservé leur bagage. Ce transfert a finalement entraîné un moindre accompagnement sans, pour autant, que les enfants réussissent à vaincre toutes leurs difficultés. Réfléchissez-vous à cette question ?

Le zonage n'est-il pas trop dissocié de la notion d'accompagnement individuel des enfants ? Le repérage des enfants qui en ont besoin est peut-être le point de départ pour traiter d'un accompagnement collectif renforcé, mais aussi, pour l'éducation nationale, de créer les conditions d'un accompagnement individuel partout où c'est nécessaire. On trouve des enfants en situation difficile dans tous les secteurs.

Mme Sylvie Robert. - Je ne sais pas pourquoi la Bretagne s'est invitée dans le débat, mais j'en suis ravie. Il est vrai que c'est une région qui est souvent en avance sur beaucoup de politiques publiques. Je comprends donc qu'elle soit souvent citée. J'indique à Jacques Grosperrin qu'il existe à Rennes des QPV, des quartiers prioritaires, une politique de la ville. La question se pose également dans les zones rurales. Il ne faut pas dire que certaines régions, en France, ignorent ce genre de problématique.

Madame la ministre, Jacques Grosperrin a parlé tout à l'heure du temps de l'éducation et du temps politique. Une expérimentation peut être une bonne chose mais, quand elle ne peut compter sur de nouveaux moyens, on est en droit de se poser des questions.

On va déshabiller Pierre pour habiller Paul : je m'interroge donc sur les critères nationaux, qui vont tendre à la généralisation. C'est une méthode qui peut produire des effets, mais qui nécessite beaucoup de transparence. Là aussi, l'intervention des collectivités territoriales me semble indispensable, qu'il s'agisse des communes, des maires ou des départements. Nous devons être informés de la méthode qui va prévaloir lors de cette expérimentation.

En second lieu, quel sera le nombre d'établissements concernés ? L'avez-vous déjà évalué ?

Enfin, Céline Brulin a évoqué la notion de réseau, sur laquelle repose la politique de la ville et des quartiers prioritaires depuis des années. Le rapport Borloo l'avait bien montré dans son introduction. C'est la philosophie même de la politique de la ville.

On va assister dans le cas présent à un émiettement des aides, à une politique de guichets qui va complètement faire éclater la notion de réseau. Si c'est une expérimentation, on peut penser que ce n'est pas grave, qu'il n'y aura peut-être pas de généralisation, mais le fondement même de cette expérimentation et de ce qu'elle recouvre me semble extrêmement préoccupant et inquiète cette commission.

Vous devez donc apporter des réponses précises aux questions qui ont été posées par mes collègues.

M. Stéphane Piednoir. - Madame la ministre, je voudrais que vous compreniez l'émoi des acteurs locaux et nationaux, qui sont très investis dans les politiques éducatives, en particulier la politique d'éducation prioritaire. Annoncer une expérimentation qui peut préfigurer une future politique publique nous interpelle forcément.

Il ne s'agit pas d'un procès d'intention. La plupart d'entre nous ont été élus locaux. Nous sommes à présent élus nationaux. Il nous semble que nous avons un rôle à jouer dans la construction d'une future réforme de l'éducation prioritaire.

Vous l'avez dit dans votre propos liminaire, il existe des effets de seuil. On peut se retrouver, d'une rue à l'autre, classé ou non en zone d'éducation prioritaire. Nous sommes en 2020. Nous n'avons pas les mêmes moyens d'analyse qu'en 1981 : peut-on imaginer une politique d'éducation prioritaire plus fine, une gradation des moyens - et je rejoins ce qu'a dit Jacques Grosperrin sur les moyens supplémentaires qui doivent être envisagés dans le cadre d'une future réforme - afin d'éviter une forme de stigmatisation des établissements classés REP ou REP+ ?

On sait l'effet que cela peut avoir sur certaines familles. Pierre Ouzoulias disait que quelques-unes font le choix d'inscrire leurs enfants dans d'autres établissements voisins dotés de moyens plus importants. L'intégration de l'IPS peut-elle conduire à un changement de ce classement en REP et REP+ ?

M. Max Brisson. - Madame la ministre, j'ai une approche moins béate de la situation actuelle de l'éducation prioritaire. Beaucoup l'ont défendue, mais je porte sur elle un regard bien plus critique. Selon moi, le statu quo n'est pas possible, et j'attends donc avec intérêt l'expérimentation que vous avez lancée.

Cependant, les rapports Azéma-Mathiot et Lafon-Roux posent la question de l'approche des territoires par l'école en tant qu'institution, qui en a une vision trop caricaturale, trop jacobine, trop centralisée. Je pense qu'elle doit adopter une approche beaucoup plus fine des territoires dans lesquels elle évolue - et je suis d'accord avec Pierre Ouzoulias : cela doit se faire en partenariat avec les collectivités territoriales.

M. Bernard Fialaire. - Madame la ministre, la médecine scolaire sera-t-elle prise en compte dans l'expérimentation ? Va-t-on essayer de la mutualiser voire de la fondre avec la médecine de PMI ?

Mme Nathalie Élimas, secrétaire d'État. - Merci pour vos nombreuses questions, qui montrent l'intérêt particulier que vous portez à l'éducation prioritaire et, de façon plus fine, à l'expérimentation.

Je continuerai avec plaisir à échanger avec vous tout au long de la phase préparatoire et pendant l'expérimentation afin que nous en mesurions ensemble les avancées.

Beaucoup d'entre vous ont parlé d'urgence. Je crois qu'il y a une légère erreur sur le calendrier. J'ai dû mal m'exprimer : l'expérimentation va démarrer en septembre 2021. On sera en situation de voir ce que l'on fait à la rentrée 2022, non en 2023.

Vous avez dit que je ne répondais pas à l'urgence. J'ai été nommée le 26 juillet. Je ne pouvais apporter de réponse concrète pour la rentrée 2020. Je pense que, de ce point de vue, tout le monde est d'accord. Il a fallu se saisir à bras-le-corps de la feuille de route et surtout entreprendre le dialogue que je mets en place en ce moment avec l'ensemble des acteurs et avec les élus.

S'agissant de l'urgence, le calendrier est clair et précis. L'expérimentation est prévue en 2021. Vous avez compris que je ne pouvais répondre fin juillet. C'était totalement impossible. En outre, je suis soucieuse du dialogue social, que je veux absolument maintenir.

La feuille de route correspond aux trois piliers que j'ai présentés synthétiquement au début de mon propos. La refonte de la carte de l'éducation prioritaire n'est pas l'unique levier destiné à répondre à l'urgence. Il y a également toutes les mesures qui ont été mises en place par Jean-Michel Blanquer, que nous continuons à impulser largement sur les territoires.

Je me rends dans les territoires ruraux, dans les petites villes, les petits villages. J'en ai déjà vu un certain nombre. J'ai effectivement pu mesurer, en deux mois, les écarts qui existent entre la ruralité et la ville. En effet, le monde rural a besoin de moyens supplémentaires.

S'agissant des critères nationaux et de la méthode, je répète que je souhaite ardemment travailler avec les élus que vous êtes. J'ai moi-même été élue d'une petite commune dans le Val-d'Oise. Je sais ce que c'est que d'être une élue de territoire, conseillère régionale, députée. J'ai été de l'autre côté. Rien ne se fera sans les élus locaux au sens large.

J'ai entrepris un travail de fond. Je reçois les associations d'élus. Je travaille avec eux. J'étais hier encore avec M. Fournier, président de l'Association des maires ruraux. Je veux être particulièrement claire sur ce point et vous rassurer.

Concernant les indicateurs, on reste bien dans un cadre national. L'éducation prioritaire est et restera une politique nationale, dont les leviers peuvent être actionnés par les acteurs de terrain.

Ces données nationales mobilisables sont de quatre ordres. On trouve premièrement des caractéristiques spécifiques aux établissements - typologie du collège, indice d'éloignement, typologie des communes.

Deuxièmement, d'autres caractéristiques sont propres aux élèves. On a beaucoup parlé de l'IPS. On peut aussi évoquer les indicateurs de profession et catégorie sociale (PCS), les élèves boursiers, les résultats des évaluations, l'orientation post-troisième, l'orientation post-seconde, les caractéristiques propres aux personnels du premier et du second degré.

Troisièmement, on étudie la proportion des titulaires, l'âge moyen, l'ancienneté générale, l'ancienneté moyenne sur un poste, la mobilité.

Enfin, le quatrième indicateur est propre aux académies, qui pourront y ajouter des éléments beaucoup plus spécifiques. Ceux existant sont liés au climat scolaire, au décrochage scolaire ou aux réseaux des équipements culturels et sportifs. C'est notamment très pertinent dans le cadre rural.

Ces critères seront retravaillés pendant toute la phase amont jusqu'à l'expérimentation, et les académies pourront y injecter des moyens supplémentaires.

Une remarque au sujet du Grenelle de l'éducation. Vous avez fait un parallèle avec le Grenelle des violences faites aux femmes dont ont résulté 46 propositions. Votre rapprochement m'a quelque peu heurtée. 61 % de ces propositions sont aujourd'hui réalisées. Ce n'est pas l'objet de cette audition, mais il y a du concret derrière le Grenelle de l'éducation - et il y en aura à sa suite.

Dix groupes de travail sont à la tâche, dont trois spécifiquement orientés vers l'éducation prioritaire, afin de répondre à mon souhait.

On a aussi évoqué le temps politique. Mon objectif est d'abord et avant tout de faire réussir les élèves, comme vous tous ici. Je souhaite donc être très concrète. Soyez donc rassurés : je ne me contenterai pas de mots.

On a d'autre part abordé le sujet des moyens. Je vous ai dit que nous étions à moyens constants. Je voulais répondre à une question qui m'a déjà été posée : la mise en place de cette expérimentation ne risque-t-elle pas de déshabiller les REP telles qu'elles existent aujourd'hui ? Non, nous sommes à moyens constants, et des moyens spécifiques vont être alloués à l'expérimentation. Ils sont d'ordre variable. Cela peut être des moyens en formation, des crédits pédagogiques, un abondement en DHG.

Vous m'avez interrogée sur la méthode et le nombre d'établissements. Je disposerai, entre fin décembre et, au plus tard, le 15 janvier, la liste précise des établissements proposés par les académies. Je ne peux, à ce stade, répondre avec précision à votre question.

Quant à la méthode, ainsi que je l'ai dit, un comité de pilotage est installé et a commencé à travailler sur la phase amont de l'expérimentation, afin de déterminer la façon dont on choisit les établissements et les méthodes que nous allons employer.

S'agissant du dédoublement des classes du réseau d'éducation prioritaire, il n'y a pas de remise en cause de ces dédoublements.

Pour ce qui est de la notion de réseau, les contrats locaux d'accompagnement sont à la fois conditionnés à un engagement sur des objectifs pédagogiques ambitieux, mais doivent également faire entrer de nouveaux publics. Vous avez évoqué l'exemple des « écoles orphelines » ou des lycées professionnels : c'est l'objectif. Les lycées professionnels pourront désormais être inscrits dans la logique de réseau. Contrairement à ce que vous avez pu penser, l'idée n'est pas de casser la logique pédagogique ni le parcours du réseau.

Un point sur le lien avec la mixité sociale. On n'a pas, à ce stade, parlé des outre-mer, qu'il ne faut pas oublier et que je vais aller visiter dans le courant du premier trimestre 2021 et avec lesquelles je travaille.

Il existe trois académies expérimentatrices. Les Outre-mer n'en font pas partie, mais sont néanmoins particulièrement intéressées. La Martinique, dont l'un des établissements connaît une certaine perte d'attractivité et de perte de mixité sociale, s'est d'ailleurs saisie de l'expérimentation.

Il existe en Martinique un fort besoin d'apprentissage en langues étrangères, en particulier en anglais. Les professeurs de cet établissement, classé en REP+, à la rentrée prochaine, vont mettre en place un cours spécifique d'anglais, ce qui permettra d'attirer de nouveaux élèves. On va donc, par ce biais, lutter contre la perte d'attractivité et apporter une réponse très concrète à la question de la mixité sociale.

M. Laurent Lafon, président. - Madame la ministre, vous avez constaté que notre commission est très attentive aux politiques éducatives en général.

Mme Nathalie Élimas, secrétaire d'État. - C'est un plaisir d'échanger avec vous. Je reviendrai répondre à vos questions et suivre la phase amont et l'expérimentation.

M. Laurent Lafon, président. - Nous vous recevrons avec joie. Il est important que les recteurs des trois académies où va se dérouler l'expérimentation informent les élus et les parlementaires de la façon dont les choses se mettent en place. C'est important pour nous.

Mme Nathalie Élimas, secrétaire d'État. - C'est parfaitement clair.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi de finances pour 2021 - Crédits « Sport » - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons notre matinée par l'examen de deux avis budgétaires respectivement consacrés aux crédits alloués au « Sport » d'une part et à la « Jeunesse et à la vie associative » d'autre part, au sein du projet de loi de finances pour 2021.

Je cède immédiatement la parole à notre collègue Jean-Jacques Lozach pour nous présenter son avis sur les crédits du « Sport ».

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis des crédits du sport. - Monsieur le président, mes chers collègues, il aura fallu attendre huit mois pour que le Gouvernement prenne la pleine mesure du choc auquel le mouvement sportif a été confronté depuis le déclenchement de la crise sanitaire. Certes, le secteur du sport a pu pleinement bénéficier dès le printemps des dispositions générales mais ces mesures ne tenaient pas compte du caractère particulièrement préjudiciable de la crise sanitaire pour ce secteur.

Lors de la présentation de ses conclusions le 17 juin dernier, le groupe de travail « Covid-19 - sport » de la commission de la culture avait pourtant établi que « la crise que connaît le secteur du sport était profonde et durable » et constaté par ailleurs qu'à cette date « aucun plan de relance digne de ce nom n'a été présenté et mis en oeuvre ».

Je rappelle que le groupe de travail avait fait plusieurs propositions parmi lesquelles :

- la mise en place d'un plan global pour soutenir le secteur du sport à la rentrée de septembre 2020 ;

- des aides spécifiques financées par un déplafonnement de la « taxe Buffet » ;

- la création d'un crédit d'impôt dédié aux annonceurs dans le sport ;

- et la mise en place d'un « Pass Sport » pour encourager les 14-20 ans à pratiquer un sport en club.

Au lieu de présenter au printemps dernier un plan global pour le secteur du sport comme cela a été fait pour le secteur de la culture, le Gouvernement a réagi au travers d'annonces successives intervenues avec retard à mesure que la situation du secteur se détériorait.

Une première étape a consisté en la mise en place en juin 2020 d'un fonds de solidarité afin de soutenir les petites associations sportives. Ce fonds, opéré par l'Agence nationale du sport (ANS), a été doté d'une enveloppe initiale de 15 millions d'euros financée par redéploiements de crédits de l'agence pour 8 millions d'euros et du ministère des sports pour 7 millions d'euros. Face à l'épuisement rapide de ces crédits, le ministère a tout d'abord envisagé d'abonder le fonds de 4 M€ avant, finalement, d'opter pour sa reconduction en 2021 à hauteur de 15 millions d'euros également.

La présentation du projet de loi de finances (PLF) 2021 a constitué une deuxième étape significative avec d'une part, une hausse des moyens de l'ANS et, d'autre part, la mise en place d'un plan de soutien au secteur du sport.

La hausse de ces crédits reste certes limitée dans le cadre du programme 219 dont les crédits s'élèveront à 436 millions d'euros, soit une progression de 1,84 %. Cette hausse se traduira par un accroissement de 5 millions d'euros des moyens consacrés à la prévention par le sport et à la protection des sportifs.

L'essentiel de la hausse des crédits concerne en réalité le budget de l'ANS qui est alimenté d'une part, par une subvention du programme 219 en légère baisse à 133,2 millions d'euros et, d'autre part, par des ressources issues des taxes affectées à hauteur de 180,54 millions d'euros, contre 146,4 millions d'euros en 2020. En 2021, c'est la totalité du produit de la « taxe Buffet », soit 74,1 millions d'euros qui sera affectée à l'ANS ce qui représente une hausse globale de 34,1 millions d'euros.

On ne peut que se réjouir du déplafonnement de la « taxe Buffet » qui constituait une revendication ancienne de la commission de la culture lors de l'examen de chaque projet de loi de finances.

L'annonce d'une enveloppe de 122 millions d'euros sur deux années, portée à 132 millions d'euros à l'issue de l'examen du budget à l'Assemblée nationale, constitue la deuxième annonce importante concernant la politique en faveur du sport.

Cette enveloppe issue du plan de relance comprend :

- une aide de 40 millions d'euros afin de financer 2 500 emplois prioritairement pour les jeunes de moins de 25 ans dans les associations sportives locales d'ici 2022 ;

- une dotation de 12 millions d'euros afin de proposer aux jeunes les plus défavorisés - 1 500 en 2021 et 1 500 en 2022 - un parcours personnalisé vers une qualification en vue d'un emploi dans les métiers du sport ou de l'animation : c'est le dispositif SESAME ;

- des subventions à hauteur de 50 millions d'euros pour permettre aux collectivités territoriales et aux fédérations et associations sportives de conduire des opérations de rénovation énergétique d'équipements sportifs structurants ;

- une aide de 8 millions d'euros à la transformation numérique des fédérations sportives ;

- un soutien aux fédérations sportives à hauteur de 21 millions d'euros en 2021 pour financer en urgence des actions de soutien à la reprise sportive des clubs dans le cadre des projets sportifs fédéraux (PSF).

Nous avons été nombreux à partager le sentiment du mouvement sportif exprimé en octobre dernier selon lequel le plan de relance n'était pas équilibré puisque seulement 21 millions d'euros étaient destinés aux clubs et que l'essentiel des crédits était fléché vers l'emploi dans le secteur sportif et la transition écologique.

Afin de répondre aux conséquences du huis-clos dans les enceintes sportives, un premier ajustement a été opéré avec l'annonce de la création d'un « fonds de compensation billetterie » doté de 110 millions d'euros à destination des fédérations, des ligues professionnelles et des organisateurs de manifestations sportives qui ont subi des pertes de recettes de billetterie entre juillet et décembre 2020. J'aurais souhaité que ce fonds perdure au moins jusqu'à juin 2021 puisqu'il est peu probable qu'un fonctionnement normal soit rétabli d'ici là. Si cette prolongation n'est pas exclue par le Gouvernement, celui-ci se prononcera en janvier compte tenu de la possibilité annoncée de prévoir des jauges de 20 à 30 % dans les enceintes sportives.

La troisième étape a été marquée par plusieurs annonces faites par le Président de la République le 17 novembre dernier. Le chef de l'État a ainsi confirmé la création du « Pass sport ». Ce dispositif doté de 100 millions d'euros devrait voir le jour en 2021 afin d'aider les publics les plus fragilisés à accéder à des licences sportives.

J'avais proposé depuis deux ans, avec un collègue député Régis Juanico, la création d'un dispositif similaire dont je rappelle qu'il ne trouvera sa pleine mesure que dans une étroite articulation avec les initiatives similaires des collectivités territoriales afin d'atteindre un montant d'environ 300 euros prenant en charge le coût de la licence mais également la cotisation au club. J'insiste également sur la nécessité de créer un dispositif pérenne et pas seulement conjoncturel, ainsi que sur l'intérêt de viser la classe d'âge des 14/20 ans et pas seulement des publics fragilisés. Le ministère des sports estime qu'un bilan devra être fait à l'issue de la première année d'application afin d'engager dans un second temps des mesures pérennes en faveur de la réduction des inégalités dans l'accès à la pratique sportive.

Par ailleurs, afin de répondre à la situation des clubs qui subissent une perte de chiffre d'affaires sans avoir été fermés administrativement, l'État a décidé de leur accorder des allègements de cotisations sociales patronales dans le cadre d'une enveloppe de 105 millions d'euros.

Concernant maintenant les autres aspects du budget et notamment la préparation des Jeux olympiques, une nouvelle hausse est prévue en 2021 pour doter le programme 350 de 234,1 millions d'euros en crédits de paiement dont 225,6 millions d'euros accordés à Solidéo. La préparation des Jeux olympiques franchit aujourd'hui un nouveau cap avec, d'une part, une remise à plat de la carte des installations olympiques afin de réaliser des économies et, d'autre part, la fin des études et la préparation de la phase de construction compte tenu d'une livraison des équipements prévue en septembre 2023.

Le directeur général de la Solidéo estime que le calendrier est tenu avec l'achèvement de la phase de conception. Le premier trimestre 2021 marquera le début de la phase de construction. L'enveloppe financière définie en 2016 devrait être respectée.

L'abandon du projet de transfert obligatoire des conseillers techniques sportifs (CTS) aux fédérations sportives n'a pas mis un terme aux interrogations sur l'avenir de ces cadres indispensables. Le ministère des sports indique que l'arrêt de la réforme statutaire doit permettre d'engager une réforme managériale.

Cette réforme managériale devrait se traduire par une réorientation de certains CTS vers les politiques publiques prioritaires, des redéploiements en fonction des projets stratégiques des fédérations sportives, un repositionnement afin de permettre aux CTS de travailler sur des sujets transversaux, la mise en place d'une formation continue au sein d'une nouvelle « école des cadres » et une reprise des recrutements par concours. L'ensemble de ces actions doit permettre aux CTS d'apporter « un appui transversal » au monde du sport.

Le soutien aux fédérations sportives est maintenant opéré par l'ANS à travers des conventions d'objectifs et les projets de performances fédéraux (PPF). L'ANS bénéficiera d'une subvention de 90 millions d'euros - qui pourrait être augmentée compte tenu des annonces récentes - au titre de la haute performance et du haut niveau. Ces crédits seront utilisés notamment pour soutenir les athlètes via des bourses, développer la recherche sur les datas, favoriser l'insertion professionnelle des sportifs de haut niveau et financer des équipements structurants pour le haut niveau.

Les moyens de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep) augmenteront en 2021 de près de 0,8 million d'euros à 23,7 millions d'euros en crédits de paiement. L'articulation entre l'Insep et l'ANS demeure un sujet de préoccupation compte tenu du fait que la stratégie du haut niveau relève maintenant de la compétence du manageur de la haute performance. L'ANS a présenté début octobre son plan de transformation pour la haute performance dénommée « Ambition bleue » préparé sans véritable coordination avec l'Insep. Une plus grande coordination entre ces deux instances me semblerait valoir la peine d'être recherchée.

L'enjeu de 2020 consistait pour les Creps à nouer une relation solide avec l'ANS. Il apparaît que cette relation pourrait prendre une forme institutionnelle, les Creps étant amenés à constituer les relais de l'agence sur le terrain.

Selon son directeur général, l'ANS prévoit de transférer des compétences aux Creps par voie de convention ce qui pose la question des régions dépourvues de Creps. Je rappelle le souhait ancien de la commission que chaque région puisse bénéficier d'un Creps.

Concernant la lutte contre le dopage, nous ne pouvons que constater, à nouveau, la situation financière tendue de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) qui ne dispose toujours pas d'une dotation lui permettant de faire face à l'accroissement de ses missions ni d'atteindre l'objectif de 10 000 prélèvements annuels.

Le projet de nouveau laboratoire constitue par ailleurs une source de préoccupation. Le maintien à Châtenay-Malabry occasionnera, en effet, un loyer annuel de 250 000 euros en 2021 et 2022 payé au conseil régional d'Île-de-France, propriétaire du site. Quant aux études conduites pour le nouveau site en 2020 à hauteur de 695 000 € qui ne bénéficiaient d'aucun crédit de paiement dans le PLF 2020, elles feront l'objet d'un report de charges en 2021 et seront financées sur l'enveloppe de 5,4 millions d'euros prévue dans le cadre du programme 350.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, et notamment des nouvelles mesures décidées par l'État, je propose à la commission d'émettre un avis favorable sur l'adoption des crédits des programmes 219 et 350 de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » du projet de loi de finances pour 2021.

M. Michel Savin. - Jean-Jacques Lozach vient de nous brosser un tableau tout à fait réaliste de la situation du sport amateur et du sport professionnel dans notre pays.

Je limiterai mon propos au sport, même s'il faut dire combien il est difficile de se positionner cette année vis-à-vis de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » au regard de la diversité de ses programmes budgétaires. Le programme 350 enregistre une hausse substantielle, mais celle-ci est liée à la perspective des Jeux olympiques de 2024, puisque ce programme finance quasi exclusivement la Solidéo. Le programme 219, qui concerne la politique du sport stricto sensu, ne progresse pas dans les mêmes proportions, avec une légère hausse de 8 millions d'euros. Entre les sommes résultant des taxes affectées et la revalorisation des crédits votée par l'Assemblée nationale, le budget « Sport » progresse, au final, de 42 millions d'euros.

Je regrette la suppression des 38 postes de CTS dans la perspective des différentes échéances olympiques à venir et je m'inquiète du devenir de ces professionnels. Je déplore la situation budgétaire de l'INSEP qui, faute de moyens, rogne sur ses dépenses, que ce soit l'entretien de ses équipements ou l'investissement, au risque de conséquences regrettables pour la préparation de nos athlètes pour Paris 2024. Je considère également la situation financière de l'AFLD inquiétante dans cette période préolympique. Je tiens toutefois à saluer l'augmentation des crédits de l'ANS, même si ce n'est pas encore suffisant, pour le soutien au développement des pratiques sportives et l'accompagnement de la haute-performance. Par contre, il serait important qu'il y ait un effort significatif en direction des fédérations, mais aussi en direction des collectivités territoriales dans le cadre des investissements qui, je le rappelle, ont subi une baisse de 10 millions d'euros en 2020. Je salue la mesure nouvelle de 3,5 millions d'euros visant au financement des maisons sport-santé. Il demeure toutefois la question de la formation des encadrants et surtout du remboursement des séances de pratique.

Si nous étions dans une période normale, nous pourrions nous satisfaire de ce budget. Mais nous sommes dans une période de crise sans précédent, où le sport, qu'il s'agisse du sport amateur, du sport de haut niveau ou du sport professionnel, est en grande souffrance. Les annonces faites par le Président de la République et le Gouvernement ne se traduisent pas dans le budget du sport pour 2021. Le Président a annoncé 400 millions d'euros en faveur du sport, mais nous savons que ces chiffres ne reflètent pas la réalité. Le budget ne comporte aucune mesure concernant la mise en oeuvre du « Pass sport ».

Nous avons pris nos responsabilités au Sénat en votant 130 millions d'euros de crédits supplémentaires pour l'ANS en première partie, répartis entre le lancement du « Pass sport » pour 30 millions d'euros, le soutien au sport amateur pour 50 millions d'euros, et l'aide au sport professionnel touché par les pertes de billetterie pour 50 autres millions d'euros.

Dans ces conditions, le groupe Les Républicains s'abstiendra sur l'avis proposé par notre rapporteur, en attendant de connaître la position de la ministre en séance sur les avancées votées par le Sénat en première lecture.

M. Claude Kern. - Un budget est généralement la traduction de priorités politiques. Nous regrettons que ce budget ne démontre pas une approche plus pragmatique et pérenne. Certes le budget est en hausse, mais dans le contexte de la crise sanitaire, le Gouvernement aurait dû s'engager davantage en faveur du sport, qui a un rôle plus que jamais crucial en faveur de l'éducation, de la cohésion sociale, de l'insertion, de la santé et du développement durable. Nous estimons que les collectivités territoriales restent insuffisamment soutenues, alors que ce sont dans les territoires que s'entraînent les champions de demain. Les crédits pour le sport amateur nous paraissent en deçà des besoins nécessaires pour assurer son avenir. Les équipements sportifs sont aujourd'hui vieillissants et inadaptés. Le sport professionnel est également en souffrance du fait de l'arrêt des compétitions et des rencontres à huis-clos, qui lui font perdre une bonne partie de ses recettes. Je tiens à saluer les récentes annonces concernant des mesures de compensation ou des mesures de soutien. Mais, ces annonces n'ont pas de traduction budgétaire à ce stade. Ce sont 158 millions d'euros promis qui ne sont pas financés. Malgré ces réserves, le groupe Union centriste suivra l'avis du rapporteur.

Mme Sabine Van Heghe. - Le groupe socialiste, écologiste et républicain suivra l'avis du rapporteur sur les crédits du sport, avec plusieurs réserves. Les clubs sportifs ont des besoins de financement, en particulier en milieu rural, après la cessation d'activité de plus de 4 000 clubs. Le manque de professeurs d'éducation physique est aujourd'hui une source d'affaiblissement pour le sport à l'école. Le sport amateur et le sport professionnel ne sont pas suffisamment considérés, comme l'a d'ailleurs indiqué le CNOSF dans un récent courrier adressé au Président de la République. De nombreuses inégalités d'accès au sport demeurent, en particulier pour les jeunes filles. Le « Pass sport » pourra-t-il les résorber ? J'ai le sentiment que nous avons perdu beaucoup de temps sur cette question et que cet outil aurait pu être mis en place plus tôt.

Mme Céline Brulin. - Comme notre rapporteur, je regrette que le Gouvernement ait mis huit mois à réaliser l'ampleur de la crise dans le domaine sportif. C'est tout notre modèle sportif qui est aujourd'hui encore plus affaibli. D'où un avis en demi-teinte, surtout si l'on exclut les crédits du programme 350, lié aux Jeux olympiques, dans la mesure où il s'agit d'un programme conjoncturel. Le déplafonnement de la taxe Buffet est positif. Mais, les annonces qui ont été faites ces dernières semaines en faveur du sport ne se traduisent pas dans le projet de loi de finances, dans la mesure où elles sont arrivées trop tardivement. Il en résulte des frustrations, parfaitement compréhensibles, dans le mouvement sportif. Je crois, pour ma part, que la crise sanitaire renforce pourtant encore davantage l'importance du sport dans les années à venir, que ce soit en termes de santé ou de cohésion sociale. C'est ce qui nourrit mes inquiétudes autour du sport amateur, insuffisamment doté, en comparaison du sport de haute performance. Les collectivités territoriales ont besoin d'être soutenues.

M. Jacques Grosperrin. - J'aurai deux questions relatives aux mesures annoncées par le Président de la République en novembre dernier. Les 100 millions d'euros pour la création du « Pass sport » ne sont apparemment pas financés : pourriez-vous nous préciser cela ? Il est prévu d'attribuer 5 000 services civiques au secteur « sport ». Or on a l'impression qu'il y a une cavalerie de trésorerie ; les associations sont inquiètes et n'ont pas la visibilité suffisante pour s'engager dans de nouveaux projets.

M. Laurent Lafon, président. - Je précise que ces deux mesures relèvent, pour la première, de l'avis budgétaire « sport », pour la seconde, de l'avis budgétaire « jeunesse et vie associative », que nous allons examiner juste après.

M. Pierre Ouzoulias. - M. Jean Castex, alors délégué interministériel en charge des Jeux olympiques, avait évoqué devant notre commission la question des aménagements de transport nécessaires à l'accueil de cet évènement. Aujourd'hui, un certain nombre d'entre eux sont fortement compromis par la crise. Il serait utile de faire le point sur ce dossier. Nous nous orientons vers une situation peu satisfaisante pour les usagers. Or il y a une question de fond derrière : si nous ne parvenons pas à faire accepter les Jeux olympiques par la population, il y aura de moins en moins de villes candidates. Il faut s'en soucier dès maintenant.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis. - Sur ce budget 2021, nous partageons avec mes collègues Michel Savin et Claude Kern le même état des lieux.

La situation de la politique du sport et de son financement devient, au-delà du contexte sanitaire actuel, très complexe. Si le montant du budget était à la hauteur de cette complexité, il ne se limiterait pas à 0,14 % du budget de l'État ! Mais cela n'est pas nouveau.

Les 3 milliards d'euros présentés dans le bleu budgétaire concernent essentiellement le sport professionnel de haut niveau : les secteurs fédéré et associatif passent sous les radars.

Sur les 100 milliards d'euros du plan de relance, 132 millions seront consacrés au sport sur deux ans. Mais nous ne voyons pas encore aujourd'hui leur traduction budgétaire. Un « Pass sport », doté de 100 millions d'euros, a été annoncé, l'ANS a été mandatée pour le mettre en oeuvre. Mais son directeur, lors d'une récente réunion de pilotage, a indiqué que le sujet de son financement serait traité dans un projet de loi de finances rectificative en mai ou juin 2021. Beaucoup d'annonces n'ont donc pas été suivies d'effet en termes budgétaires.

Quelques mesures sectorielles ont toutefois été prises pendant la crise ; je pense notamment au secteur hippique et à la filière équine.

Le rôle central joué par l'ANS participe de cette complexité accrue. Je rappelle que, dans une décision récente, le Conseil d'État a annulé l'arrêté portant approbation de la convention constitutive du groupement d'intérêt public (GIP), statut sous lequel a été créée l'ANS. Sur les 436 millions de crédits du programme 219, 304 millions, soit les trois quarts, sont fléchés sur l'Agence. C'est désormais un GIP, dont l'État n'est qu'une des quatre composantes, qui définit la politique sportive du pays ! Le périmètre du ministère se limite désormais à : une action normative - arrêter la liste des sportifs professionnels -, une action internationale - contribuer à la préparation des grands évènements sportifs internationaux -, une action interministérielle : « sport et santé » ; « sport et handicap » -, et à une action en faveur de l'éthique du sport.

À cela s'ajoute la nouvelle configuration ministérielle, le sport étant intégré à un grand ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Une restructuration est aussi en cours au niveau de nos territoires avec les nouvelles directions régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et au sport (DRAJES). Il devient très compliqué de se retrouver dans ce paysage administratif.

S'agissant des CTS, le projet de transfert aux fédérations sportives a été abandonné, ce qui a permis un certain apaisement. Mais la situation demeure très perfectible en termes de formation et de répartition entre les différentes fédérations. On est toujours sur un rythme de 40 suppressions de postes de CTS par an, par non remplacement de départs en retraite. Pourtant, on sollicite de plus en plus le secteur du sport, par exemple dans le cadre des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), où un volet sportif est imposé. Les CTS interviennent aussi à ce niveau. Or, dans une récente lettre ouverte, des maires de ces quartiers dénoncent l'absence d'avancée en termes d'équipement et d'animation.

Concernant l'AFLD, la situation financière est tendue : elle a puisé depuis des années dans ses réserves de trésorerie. On est loin de l'objectif de 10 000 prélèvements annuels. Je rappelle qu'il s'agit d'une autorité administrative indépendante (AAI), pas d'un opérateur national. Elle reproche au ministère l'absence de perspective. Celui-ci lui demande en effet de faire toujours plus avec les mêmes moyens !

La souffrance du monde sportif concerne tous les secteurs, professionnel, amateur, associatif. Des dizaines de fédérations sportives sont aujourd'hui en grande difficulté pour boucler leur budget. Le nombre de licenciés pourrait baisser de 25 % voire de 35 % s'agissant de la natation. Un autre secteur est particulièrement éprouvé, celui des loisirs sportifs marchands, qui comprend les salles de sport, de fitness, d'escalade, de stretching, etc. Ces structures ne rouvriront pas avant le 15 janvier prochain. Selon les chiffres qu'on nous a transmis, leurs pertes s'élèveraient à un milliard d'euros.

Et quand on y regarde de plus près, on constate qu'il y a des disparités en termes de taux de TVA : alors que les parcs de loisir, les accrobranches, les salles de trampoline bénéficient d'un taux réduit, les salles de sport se voient appliquer le taux normal. Ces inégalités sont à supprimer.

Le foot professionnel, dont il est beaucoup question dans les médias, accuse, quant à lui, 700 millions d'euros de pertes, soit un quart du chiffre d'affaires des clubs.

Face au projet de budget présenté par le Gouvernement, le Sénat a pris ses responsabilités en adoptant des amendements prévoyant des financements supplémentaires. Ce que nous attendons maintenant, c'est le financement du « Pass sport ». J'estime, pour ma part, que ce nouvel outil devrait cibler la tranche des 14-20 ans ; l'on sait en effet que la rupture dans la pratique sportive se situe à la sortie du collège, à la sortie du lycée et à la fin de la première année d'études supérieures. Un besoin de financement complémentaire venant des collectivités territoriales sera aussi nécessaire ; certaines ont d'ailleurs déjà mis en place des dispositifs similaires. Surtout, ce « Pass sport » devrait avoir vocation à devenir un élément structurel, et non pas seulement conjoncturel, de notre politique sportive. Il faut être plus ambitieux : passer son montant de 50 euros à 300 euros et viser plus loin que la seule aide à la reprise d'une licence sportive. C'est un dossier à suivre...

Sur la question des équipements sportifs, notre parc est aujourd'hui très vétuste. Un cinquième a plus de cinquante ans. Selon un rapport de la Cour des Comptes, 21 milliards d'euros seraient nécessaires pour le rénover ! Dans le plan de relance, 50 millions d'euros y sont consacrés, autant dire qu'on est loin du compte...

Le sujet du sport à l'école me préoccupe aussi. Le ministère en fait l'une de ses priorités. Mais son document programmatique m'est apparu confus à la lecture : dans quel cadre se déploie cette priorité ? Qui la finance ? Qui l'organise ? Je crains que tout cela ne se termine en expérimentation... Seuls deux volets sont précisés et financés, le programme « aisance aquatique » et le plan « savoir rouler à vélo » à l'entrée au collège. Je rappelle qu'un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) classe la France 119ème sur 146 pays en matière d'éducation physique. En primaire, trois heures par semaine devraient être consacrées à la pratique sportive, on en est loin.

S'agissant du sport féminin, la Conférence permanente créée en 2017 est en panne. Le ministère le reconnaît. Elle doit être relancée.

Concernant les infrastructures de transport pour la préparation des Jeux olympiques, il y a clairement une volonté de rationaliser les dépenses. Dans le dossier de candidature de Paris, 70 millions d'euros étaient prévus pour le Stade de France. Seuls 50 millions d'euros sont aujourd'hui inscrits. Cette enveloppe, qui intègre aussi la périphérie du stade, ne porte pas sur les équipements sportifs à proprement parler.

M. Jean-Raymond Hugonet. - C'est le troisième débat budgétaire sur le sport auquel je participe où j'ai l'impression qu'on se laisse mener en bateau. Le sport reste peu considéré. C'est pourquoi je crois qu'il faudra à un moment poser un acte fort. Les Jeux olympiques sont l'arbre qui cache la forêt. Il y a un retard considérable sur les équipements. Il faut savoir qu'il ne pourrait pas y avoir de sport dans les écoles sans la participation des communes.

M. Michel Savin. - Il faut envoyer un signal sur le fait que les crédits budgétaires ne sont pas en phase avec les annonces du Gouvernement. Plusieurs dispositifs annoncés par le Président de la République ne font pas l'objet d'inscriptions de crédits dans ce budget.

Mme Céline Brulin. - Nous nous abstenons sur l'avis mais nous voterons contre les crédits lors du débat en séance publique.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 219 consacré au sport et 350 consacré aux équipements olympiques au sein du projet de loi de finances pour 2021.

Projet de loi de finances pour 2021 - Crédits « Jeunesse et vie associative » - Examen du rapport pour avis

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis des crédits de la jeunesse et de la vie associative. - Mes chers collègues, le programme 163 est doté de 699,72 millions d'euros. Les crédits connaissent une augmentation de 39,52 millions d'euros, soit de près de 6 % par rapport à l'année dernière.

Toutefois, ce budget en augmentation masque principalement un jeu d'écriture comptable. Le doublement du budget du service national universel (SNU), qui constitue la quasi-intégralité de cette hausse relève d'une démarche de sincérisation des coûts. Je reviendrai sur ce point.

Ce budget appelle également une deuxième remarque générale : les principales hausses des crédits pour des mesures « jeunesse et vie associative » sont dans la mission « plan de relance ». Au total 609 millions d'euros sont inscrits dans le plan de relance au profit d'actions de soutien aux associations ou d'engagement de la jeunesse. Je pense aux postes du Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (Fonjep) ou au service civique.

Bien évidemment, je me réjouis de ces sommes importantes. Elles témoignent d'une reconnaissance par le Gouvernement de l'utilité de ces outils. Mais, je regrette que la grande majorité de l'effort financier du Gouvernement en faveur de la jeunesse et de la vie associative se fasse dans un cadre conjoncturel, qui a vocation à disparaître très rapidement. Or, la promotion d'une société de l'engagement nécessite un investissement continu et de moyen terme.

J'en viens maintenant à une analyse plus thématique. Le secteur associatif a montré toute sa force pendant la crise de la covid-19. Mais il a également été très durement frappé. Voici quelques chiffres pour illustrer mes propos : 66 % des associations ont complètement suspendu leurs activités. 55 000 associations déclarent ne pas pouvoir maintenir les salaires. Les déclarations d'embauche sont en chute de 45 %. Enfin 30 000 associations sont menacées de disparition. De manière générale, les associations ont eu de très fortes difficultés à accéder aux aides de l'État. Certes, le PLFR 4 prévoit 5 millions d'euros en faveur des associations. Mais la France en compte près de 1,5 million ! Je regrette ainsi qu'il n'y ait eu aucun abondement du Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA).

En effet, le FDVA est un outil indispensable de soutien aux associations. Le « FDVA 1 » a permis de former près de 170 000 personnes. Toutefois, de l'avis de tous, les possibilités de formation qu'il offre restent en deçà des demandes des bénévoles.

Les crédits du « FDVA 2 » - le soutien aux projets et à l'innovation - ont été exécutés dans leur intégralité. Une attention particulière a été portée aux petites associations : 80 % des associations bénéficiaires ont 2 salariés ou moins et 62 % n'adhèrent à aucun réseau national ou sectoriel. La subvention moyenne est de 2 900 euros. Pour le FDVA, 2021 sera l'année du premier abondement annuel venant des comptes inactifs des associations en déshérence.

Toutefois, ces montants restent insuffisants : pour la campagne 2020, le nombre de dossiers de demandes de subventions était deux fois plus nombreux que le nombre de dossiers retenus ; et les montants alloués deux à trois fois inférieurs aux demandes. Surtout, toute la campagne 2020 a eu lieu avant la crise de covid-19, c'est-à-dire, avant les difficultés financières des associations.

Les crédits Fonjep sont en augmentation, mais la question d'une hausse pérenne se pose : 2 000 postes Fonjep sont financés dans le cadre de la mission « plan de relance ». Vous le savez, ces « postes Fonjep » ne correspondent pas en tant que tel à des emplois, mais à une subvention annuelle de 7 200 euros. Ces postes Fonjep sont particulièrement importants : ils sont perçus pour trois ans ce qui permet une certaine visibilité pour l'association bénéficiaire. Par ailleurs, à l'heure où les subventions publiques sont attribuées sous la forme d'appel à projets, les postes Fonjep demeurent l'une des rares aides qui soutient l'association en tant que telle. Il est important de continuer à aider les associations pour ce qu'elles sont, et pas uniquement pour ce qu'elles font !

J'en viens maintenant à la création de 60 000 parcours emplois compétences - les PEC - qui sont selon le Gouvernement « la nouvelle formule des emplois aidés ». Mais cet outil est mal calibré pour répondre aux besoins des associations. Il est au final beaucoup moins efficace que les précédents contrats aidés. Tout d'abord, le taux de subvention par l'État est inférieur : 65 % contre 75 % auparavant. Le reste à charge est trop important pour des associations qui sont nombreuses à connaître des difficultés de trésorerie du fait de la covid-19. En outre, il s'agit principalement d'un outil d'insertion. Or, toutes les associations ne sont pas capables de faire de l'insertion. En cette période particulièrement difficile, il me semble qu'un retour aux emplois aidés « ancienne formule » avec une prise en charge par l'État à hauteur de 80 %, voire 85 %, serait de nature à mieux soutenir les associations.

Je terminerai ce volet associatif en évoquant le compte d'engagement citoyen. Il permet aux personnes éligibles d'acquérir des droits de formation. Cet outil répond à une demande forte des bénévoles de pouvoir se former. Je crains toutefois que le CEC reste trop confidentiel. J'appelle donc le Gouvernement à communiquer et informer sur l'existence de ce dispositif.

J'en viens maintenant au service national universel. Mes doutes sont nombreux. Vous le savez, le SNU a été fortement touché par la covid-19. La phase 1 n'a pas pu se tenir. En 2021, l'expérimentation est reconduite à l'identique, mais le budget double : il passe de 30 à 62 millions d'euros. La raison est un rapatriement dans le compte 163 de dépenses oubliées ou prises en charge de manière invisible par d'autres ministres. Si nous ne pouvons qu'apprécier cette démarche de transparence budgétaire vis-à-vis du Parlement, je m'étonne que ces coûts n'aient pas été intégrés dès le PLF 2020. Le coût par jeune est de 2 300 euros, hors coût de développement de système d'information, de communication et d'évaluation.

Quant à la phase 2, c'est-à-dire, la mission d'intérêt général pendant 15 jours ou 84 heures, le milieu associatif a fait part de ses doutes. Certains préfets n'ont ainsi pas jugé utile de les associer aux réflexions sur le déploiement de cette phase. Plusieurs mouvements associatifs s'interrogent sur la compatibilité des valeurs qu'elles portent et souhaitent promouvoir, avec la forte dimension militaire qu'a aujourd'hui le SNU. Au final, de nombreuses associations hésitent à poursuivre le conventionnement avec l'État sur le déploiement du SNU. Je l'avais déjà indiqué l'année dernière : il est urgent d'avoir une réflexion de fond sur les objectifs du SNU dans son ensemble, ainsi que sur les phases 1 et 2.

Je terminerai cette présentation du programme 163 par le service civique ; un dispositif qui a fait ses preuves depuis 10 ans. Il me semble important de tirer un premier enseignement de la crise de la covid-19 : il serait intéressant que tous les contrats de mission de service civique prévoient la possibilité de « détourner » un jeune de sa mission, avec son accord, pour l'affecter à une mission d'urgence. Lors de son allocution du 14 juillet dernier, le Président de la République a annoncé la création de 100 000 nouvelles missions de service civique dans le cadre du plan 1Jeune1solution. Elles s'ajoutent au 145 000 annuelles prévues par les lois de finances depuis deux ans. Cette annonce est une reconnaissance de l'utilité du service civique. Mais le défi à relever est important. Au total, ce sont 90 000 missions qui doivent être proposées sur les quatre derniers mois de 2020 : les 60 000 missions initialement prévus par le calendrier d'exécution de 2020, auxquelles s'ajoutent les 10 000 missions de rattrapage du premier semestre - c'est-à-dire des missions qui auraient dû commencer pendant le 1er confinement et qui n'ont pas pu avoir lieu. Et enfin les 20 000 missions du plan de relance au titre de l'année 2020. Et pour 2021, ce sont 80 000 missions supplémentaires qui doivent être trouvées.

La mobilisation de tous les acteurs publics est donc essentielle pour relever ce défi de taille. Or, les instructions aux préfets fixant les objectifs et les thématiques prioritaires n'ont été envoyées que mi-septembre et la première réunion interministérielle n'a eu lieu que fin septembre. Deux mois ont été perdus. De même les collectivités locales doivent également se mobiliser. Seuls 12 % des missions se font dans des collectivités locales. La communauté de communes peut être un échelon intéressant. Je trouve particulièrement intéressant les expériences de pépinières de service civique, ou de pôles d'appui dans les territoires. Ils permettent de présenter aux associations et collectivités territoriales l'intérêt du service civique dans un contexte de renouvellement des équipes municipales, et de les accompagner.

Je finirai avec trois points de vigilance pour 2021. Le premier concerne la qualité des missions dans cette phase de développement très rapide du service civique. Mme El Haïry a indiqué un recrutement de 13 personnes supplémentaires. Cela me paraît indispensable pour s'assurer de la qualité des missions mais aussi pour vérifier qu'il n'y a pas de substitution à l'emploi.

Deuxième point de vigilance : la formation des tuteurs, notamment dans les nouvelles structures. Elle doit avoir lieu avant l'accueil du volontaire, et idéalement avant la définition de la mission. L'agence du service civique est consciente de cet enjeu. C'est pourquoi elle a lancé un marché public sur la formation des tuteurs. Il a été remporté par l'alliance « Unis-Cité/ligue de l'enseignement ». Cette alliance propose des formations taillées sur mesure pour le service civique : par exemple « accompagnement du volontaire pendant sa mission », ou « atelier de découverte du rôle du tuteur ». Or, certains ministères et structures n'ont pas recours à cette formation et forment leurs tuteurs par d'autres biais. Il me semblerait logique que les structures d'accueil et a fortiori les ministères privilégient les formations issues du marché lancé par l'agence du service civique.

Enfin, le service civique doit être une solution offerte à tous les jeunes, quel que soit leur lieu de résidence. Les territoires ruraux ne doivent pas être oubliés, avec des solutions à apporter en termes de déplacement, de logement et d'accompagnement des volontaires, mais aussi d'intermédiation pour soulager et épauler la structure d'accueil.

En conclusion, la hausse du programme 163 est majoritairement due à une sincérisation des comptes. Les principales augmentations se trouvent dans la mission « plan de relance » et risquent d'être conjoncturelles : elles ne concernent que 2021 et éventuellement début 2022. Quant au SNU, mes doutes persistent voire s'intensifient. Il représente désormais 10 % des crédits du programme 163. Imaginez le budget de l'éducation nationale avec ses 74 milliards d'euros, dont 10 % - c'est-à-dire 7,4 milliards d'euros - seraient utilisés pour un dispositif expérimental, qui risque ne pas pouvoir se déployer en 2021 pour les mêmes raisons qu'en 2020, et seraient ainsi sacrifiés au détriment d'autres mesures à financer. Vous ne l'accepteriez pas. Je ne l'accepte pas pour le programme 163. C'est la raison pour laquelle je propose de donner un avis défavorable à ce programme.

M. Cédric Vial. - La situation de la jeunesse est inquiétante. Elle se retrouve fragilisée par la crise dans tous les secteurs, sanitaire, sociaux, universitaire ou encore professionnel. Son avenir est donc directement menacé et l'État a du mal à proposer une réponse lisible et adaptée, alors même que le Gouvernement veut en faire une priorité. Je note que l'appellation du programme « Jeunesse et vie associative » est trompeuse, puisque celui-ci regroupe essentiellement trois dispositifs dont le service civique et le SNU qui à eux seuls absorbent plus de 80 % des crédits. Les budgets de l'éducation nationale consacrés à cette thématique sont très supérieurs, tout comme ceux dédiés à la politique de la ville. Pour résumer, le programme 163 est à la politique jeunesse ce que « le mouton est au troupeau ». Notre premier réflexe est pourtant de donner un avis favorable à ces crédits, assorti de réserves et de points d'attention qui pourraient faire évoluer notre position.

Des points positifs doivent en effet être relevés sur ce budget. Les crédits du Fonjep sont en hausse. Certes, celle-ci ne pallie pas à la fin des emplois aidés dans les associations et la question de leur maintien à moyen terme se pose. Mais je constate que 600 postes Fonjep supplémentaires sont créés au titre du programme 163 et 2 000 au titre du plan de relance. De même, les crédits du FDVA seront en hausse en 2021, grâce au versement de sommes provenant des comptes inactifs des associations tombées en déshérence. La ministre a évoqué le chiffre de 17 millions d'euros. Il s'agit de politiques utiles et de crédits décentralisés dans le cadre du FDVA. Je signale d'ailleurs que les crédits attribués aux associations via le FDVA dépassent désormais les montants qu'elles percevaient au titre de l'ancienne réserve parlementaire.

Pour autant, l'essentiel de la hausse tient aux crédits du SNU. La Cour des comptes avait alerté sur l'insincérité budgétaire. Au moment de l'examen du PLF 2020, le Gouvernement avait annoncé que 20 000 jeunes allaient participer au séjour de cohésion. Au final, seuls 88 d'entre eux ont pu vivre cette phase 1 en 2020. Nous pouvons légitimement nous interroger sur la nécessité de renforcer cette année ce dispositif. En ce qui concerne le « compte engagement citoyen » (CEC), il me semble faire peser un risque encore non chiffré sur le budget de l'État. A titre d'exemple, le Gouvernement a fixé comme objectif pour l'année prochaine 250 000 jeunes en service civique. Or chaque jeune en service civique acquiert des droits de formation au titre du CEC. Ces volontaires représentent 60 millions d'euros de droits nouveaux ouverts sur une seule année budgétaire.

Enfin, pour le service civique, les chiffres arithmétiques et ceux des éléments de langage divergent. On parle de 145 000 jeunes en service civique chaque année. Dans les faits, cela représente 160 000 contrats financés en année civile, car certains contrats sont glissants d'une année civile sur l'autre. Les jeunes sont alors comptabilisés une fois : au titre de l'année au cours de laquelle ils ont débuté leur mission et au titre de l'année au cours de laquelle ils la finissent. 300 millions d'euros manquent au budget pour financer les missions commencées cette année, mais qui se finiront l'année prochaine. Dans ce domaine également, la question de la sincérité budgétaire se pose. Enfin, je partage la position du rapporteur sur l'importance à apporter à la qualité des missions, et au fait que le service civique ne doit pas servir de traitement social du chômage.

M. Claude Kern. - Je note comme le rapporteur que l'essentiel de la hausse s'explique par la croissance des crédits du SNU. Nos associations sont aujourd'hui en péril. La progression du FDVA est bien trop modeste pour permettre de relever le défi des pertes financières des associations. Il n'a jamais atteint le montant de la réserve parlementaire qui était proche de 50 millions d'euros. J'exprime les plus grandes réserves sur le SNU, faute de clarifications sur son déroulement concret : que représentent ces quinze jours en internat et ces quinze jours dans une mission d'intérêt général ? Je m'interroge sur le doublement des crédits, alors que ce dispositif ne répond pas aux enjeux de la jeunesse. J'estime que les crédits qui lui sont réservés auraient été plus utiles pour répondre à la précarité de la jeunesse. Le groupe UC s'abstiendra sur ce programme.

Mme Sabine Van Heghe. - Je fais part de ma grande circonspection sur ces crédits qui me paraissent largement insuffisants pour répondre au tsunami créé par la crise sanitaire. La plus grande partie revient au SNU, un dispositif qui ne me semble pas adapté aux aspirations des jeunes, à la différence du service civique. Il faudrait plutôt augmenter le FDVA - on ne peut que regretter la stagnation des crédits dédiés à ce fonds. Mon groupe suivra l'avis du rapporteur sur le programme et je souhaiterais disposer de son opinion sur le niveau des crédits du Fonjep. Ceux-ci sont-ils suffisants pour répondre aux besoins des associations alors que depuis 2017, ce Gouvernement n'a eu de cesse de diminuer drastiquement le nombre d'emplois aidés ?

Mme Céline Brulin. - Au regard de la situation, et même si le périmètre du programme est restreint, je ne peux que qualifier les crédits de la mission de « dérisoires ». Bien évidemment le programme 163 ne concerne qu'une toute petite partie des crédits dédiés à la jeunesse et à la vie associative. Mais, de manière générale, il est regrettable que l'on ne trouve pas non plus ailleurs dans le projet de loi de finances des moyens à la hauteur du choc subi par la jeunesse. Les associations ont un rôle important à jouer mais ont énormément souffert de la crise. La très faible augmentation budgétaire du programme 163 n'est pas au niveau. Surtout, elle est liée au quasi-doublement des crédits du SNU. Je pense qu'il est légitime de s'interroger sur la priorité à accorder en temps de crise à ce dispositif contesté. Des pans entiers de notre économie sont à l'arrêt, des actions sont reportées en raison de la situation. Or, le Gouvernement donne l'impression que, quoi qu'il arrive, le SNU continuera à se déployer, avec une augmentation régulière des crédits alloués. On ne sait pas si les différentes phases du SNU vont pouvoir être mises en oeuvre. Je ne suis pas sûre que toutes les structures aient les moyens et le temps de se mobiliser de manière optimale pour mettre en place les phases 1 et 2 devant l'ampleur des défis qu'elles auront à relever au quotidien en raison de la crise. Je pense aux propos de Mme Élimas ce matin sur la réforme de la carte des réseaux d'éducation prioritaire (REP) et REP +. Elle nous a assuré que si l'expérimentation montrait l'inefficacité de la réforme envisagée, elle serait abandonnée. J'aimerais que cela s'applique également au SNU. Notre groupe ne votera pas les crédits de ce programme.

M. François Patriat. - La hausse de 13,5 % des crédits de la mission me paraît mériter mieux que des avis mitigés. Je reconnais certes l'immensité des besoins mais, à l'heure où notre cohésion nationale est soumise à rude épreuve, un mécanisme comme le SNU peut démontrer toute sa pertinence. Le SNU comporte également des modules d'insertion dans la vie professionnelle qui peuvent être très utiles. Par ailleurs, dans ma carrière de parlementaire, j'ai rarement vu des budgets connaissant une telle augmentation. Mon groupe votera les crédits du programme.

Mme Elsa Schalck. - Je rejoins la position de mon collègue Cédric Vial. Les associations et les jeunes sont les plus concernés par une crise qui a néanmoins révélé tout l'engagement de la jeunesse et la résilience du secteur associatif. Un chiffre en témoigne : sur les 300 000 personnes inscrites dans la réserve civique, plus de la moitié avait moins de 30 ans. Je partage toutes les interrogations sur le déploiement du SNU dont les contours sont encore flous, en particulier pour la phase de cohésion. L'expérimentation n'a pas pu avoir lieu de manière optimale. Il en est de même pour la phase 2. Dans ce contexte, le doublement des crédits paraît excessif, alors même qu'il existait des actions davantage prioritaires à mener - je pense au secteur associatif, au tourisme associatif, ou encore la lutte contre la détresse de la jeunesse. Nous avons donc des doutes sur l'expérimentation du SNU et plus largement sur son déploiement. De nombreuses questions restent en suspens : comment s'effectue le lien avec les associations, quelles sont les modalités de l'encadrement et de la formation pendant la phase de cohésion ? Je déplore que les régions ne soient pas mieux associées à la définition du SNU. Les régions assurent le chef de filat sur les thématiques de la jeunesse.

Sur le service civique qui a fait ses preuves depuis 2010, il semble difficile d'atteindre les objectifs ambitieux que s'est fixé le Gouvernement. Par ailleurs, les missions proposées ne doivent pas être une substitution à l'emploi.

Le ministre de l'éducation nationale a indiqué dans l'hémicycle que la jeunesse était « la priorité des priorités ». Or, en consultant pour la première fois ce budget, je trouve ce programme 163 réducteur. Et même dans le cadre de la politique transversale de la jeunesse, on a des difficultés à comprendre la cohérence d'ensemble des actions menées dans ce secteur. Or, les jeunes ont besoin de visibilité sur les mesures qui existent en leur faveur.

M. Jacques Grosperrin. - Je déplore l'absence de financement pour l'éducation populaire. La crise va paupériser des publics éloignés des structures sociales. Il faut savoir investir en ces temps de crise. Serait-il possible de prélever des crédits du SNU - dont je doute de la consommation en 2021 - à son bénéfice ?

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis. - Je veux rappeler la distinction entre les crédits du plan de relance, qui constituent un apport très positif pour le secteur et le montant des crédits du programme 163 qui me parait plus contestable. En particulier, le programme 163 est « plombé » par le SNU, et je ne suis pas persuadé que ce dispositif concourt de manière significative à la cohésion nationale et à la citoyenneté. En tout cas, cela démontre l'urgence d'avoir un débat sur le SNU et ses objectifs. Pour ma part, je pense que la citoyenneté se construit avant 16 ans via l'école, le temps périscolaire et les colonies de vacances qu'il est urgent d'accompagner et de renforcer. Je préfèrerais que les crédits investis sur le SNU le soient sur les colonies de vacances, les têtes de réseau de l'éducation populaire qui ont été durement touchées par la crise. En une décennie, le nombre de jeunes qui partent en colonie de vacances est passé de deux millions à 800 000 à peine. En 2020, 88 jeunes ont bénéficié du SNU. Je ne suis pas sûr qu'en 2021, la réalisation du stage de cohésion pour 25 000 jeunes soit possible en raison de la covid-19.

Sur le Fonjep, les crédits me paraissent insuffisants tant les emplois aidés étaient essentiels au secteur associatif. Les parcours emplois compétences ne suffisent pas non plus. Je rejoins donc pleinement ma collègue Céline Brulin qui qualifie le montant du programme de « dérisoire », ce qui justifie ma proposition d'avis défavorable. Enfin, j'indique à M. Grosperrin que les règles budgétaires interdisent au Parlement de modifier la répartition des crédits au sein d'un même programme.

M. Cédric Vial. - Comme je l'ai indiqué, les débats sont susceptibles de faire évoluer notre position. Mon groupe a finalement décidé de s'abstenir sur les crédits du programme.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 163 « jeunesse et vie associative » du projet de loi de finances pour 2021.

La réunion est close à 11 h 50.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion - Examen du rapport et élaboration du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Chers collègues, nous examinons aujourd'hui le rapport de Monique de Marco sur la proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, adoptée par l'Assemblée nationale le 13 février dernier.

Mme Monique de Marco, rapporteure. - Mes chers collègues, à la demande de mon groupe, nous examinerons le 10 décembre prochain une proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion.

Vous avez été plusieurs à participer aux auditions préparatoires que j'ai organisées, et je tiens à vous en remercier. J'ai acquis au cours de ces entretiens une première conviction : la question de la promotion des langues régionales dépasse les clivages politiques.

Une langue régionale est une langue historiquement parlée sur une partie du territoire national, depuis plus longtemps que le français. Elle se distingue des langues non territoriales, qui sont issues de l'immigration et utilisées par des citoyens français depuis plusieurs générations.

La délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) dénombre une vingtaine de langues régionales en France métropolitaine, et plus d'une cinquantaine dans les territoires d'outre-mer. Ainsi la France est-elle le pays européen connaissant la plus grande diversité linguistique. Bien évidemment, l'utilisation et la vitalité de ces langues varient.

Il est très difficile d'estimer le nombre de locuteurs et la dernière enquête nationale date du recensement de 1999. L'Insee avait alors estimé à 5,5 millions le nombre de personnes parlant avec leurs parents dans une langue régionale. Pour sa part, la DGLFLF estime à 4,9 millions le nombre actuel de locuteurs des principales langues régionales. Cependant, cette donnée chiffrée a deux limites. Tout d'abord, certaines langues ne sont pas comptabilisées. De plus, la question se pose de savoir ce qu'est un locuteur, et quelle maîtrise de la langue il faut posséder pour que le terme s'applique.

Lors des auditions, j'ai constaté que les informations relatives aux langues régionales restaient parcellaires. Des associations et certaines collectivités territoriales comme la région Bretagne ont pris l'initiative de lancer des études sur le nombre de locuteurs. Toutefois, il nous manque une enquête nationale sur la pratique et la transmission de ces langues. La dernière date de vingt ans, soit une génération, et il me semblerait intéressant que les pouvoirs publics se saisissent de cette question et lancent une nouvelle étude nationale. Cette demande ne relève pas du domaine de la loi, mais notre débat en séance publique sera l'occasion d'appeler le Gouvernement à agir en ce sens.

Cependant, malgré le manque de données précises, l'ensemble des personnes auditionnées s'accordent à dire que la pratique des langues régionales recule. Si les langues ultramarines résistent plutôt bien, tout comme le breton et le basque, d'autres connaissent une forte diminution de leur usage. Lors de son audition, le président de l'Institut de la langue régionale flamande nous a indiqué que, en l'espace de vingt ans, le nombre de locuteurs avait été divisé par deux, passant de 90 000 à 45 000 environ, par manque de soutien politique. Et cette langue régionale a la chance d'être transfrontalière et de bénéficier du dynamisme linguistique présent en Belgique. Il faut imaginer la situation des langues régionales qui ne sont pratiquement plus transmises dans le cercle familial, ne peuvent s'appuyer sur un vivier linguistique transfrontalier, et ne bénéficient d'aucun volontarisme politique pour les promouvoir et les défendre !

J'en viens au cadre constitutionnel de l'utilisation et de la promotion des langues régionales. Le Conseil constitutionnel s'est saisi de cette question à l'occasion des débats sur la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et plusieurs décisions sont venues ensuite réaffirmer sa position, sur laquelle je souhaite revenir. D'abord, l'usage du français s'impose aux personnes de droit public et aux personnes de droit privé exerçant une mission de service public. De plus, les particuliers ne peuvent se prévaloir d'une langue autre que le français dans leurs relations avec les administrations et les services publics, et ne peuvent être contraints à utiliser une autre langue que le français. Toutefois, et c'est un point sur lequel je reviendrai, le Conseil constitutionnel précise explicitement que l'article 2 de la Constitution n'interdit pas l'usage de traduction.

Vous le savez, la Constitution s'est enrichie en 2008 de l'article 75-1, qui affirme que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Nous pouvons légitimement nous interroger sur les conséquences de ce nouvel article : la jurisprudence du Conseil constitutionnel, antérieure à 2008, est-elle toujours d'actualité ? À la lecture des travaux préparatoires du projet de loi constitutionnelle de 2008, il me semble que c'est le cas. En effet, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, les deux rapporteurs du projet de loi ont indiqué que l'insertion des langues régionales dans la Constitution n'avait pas pour conséquence d'introduire de nouveaux droits pour ces langues. Bien sûr, le Conseil constitutionnel est souverain, et un revirement de jurisprudence constitutionnelle est toujours possible.

Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Il s'agit d'un patrimoine immatériel et leur valorisation, comme leur promotion, passe par leur utilisation et leur transmission. À ce sujet, je souhaite d'abord évoquer rapidement la présence des langues régionales dans les médias. Selon la loi, France Télévisions doit contribuer à la connaissance et au rayonnement des territoires et des langues régionales. En 2018, 385 heures de programmes en langue régionale ou bilingue ont été diffusées sur les chaînes métropolitaines de France Télévisions, et près de 1 800 heures sur les antennes ultramarines. Par ailleurs, quatre stations locales de France Bleu diffusent dans des langues régionales, et des programmes sont proposés dans ces langues au sein du réseau France Bleu. Au total, ce sont 5 000 heures de programmes diffusées sur les antennes du réseau France Bleu.

J'en viens à présent à l'école et à l'enseignement des langues régionales. Aujourd'hui, à part pour quelques langues, la transmission ne se fait plus dans le cercle familial, mais à l'école, qui a donc un rôle important à jouer. Depuis 1951, il est possible d'enseigner les langues régionales à l'école publique et si des progrès sont certainement nécessaires, cette possibilité existe.

Au moyen de plusieurs décisions, le Conseil constitutionnel a défini le cadre dans lequel doit se dérouler cet enseignement. Tout d'abord, celui-ci ne peut revêtir un caractère obligatoire ni pour les élèves ni pour les enseignants. De plus, il ne doit pas avoir pour objet de soustraire les élèves aux droits et obligations applicables à tout usager du service public de l'Éducation. Enfin, l'usage d'une langue autre que le français ne peut être imposé aux élèves, ni dans la vie de l'établissement ni dans les disciplines autres que celles de la langue considérée, et l'enseignement dit immersif est donc interdit dans les écoles publiques. Il existe toutefois une exception à cette interdiction : l'expérimentation, qui doit faire l'objet d'une approbation de la part du directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen). L'expérimentation est conduite pendant une période de cinq ans et doit faire l'objet d'une évaluation. Certaines écoles publiques se sont saisies de ce cadre expérimental pour proposer un enseignement plus intensif des langues régionales, rencontrant plus ou moins de difficultés de la part du rectorat.

De manière générale, il existe un dispositif d'apprentissage des langues régionales de la maternelle à la terminale. À l'école maternelle, les enfants peuvent bénéficier d'une sensibilisation et d'une initiation et puis, à l'école primaire, la langue régionale peut être enseignée pendant l'horaire consacré aux langues vivantes étrangères. Des classes bilingues français et langue régionale peuvent également être créées. Dans ce cadre, la pratique de la langue peut aller jusqu'à la parité hebdomadaire horaire dans l'usage de la langue régionale et du français. Toutefois, aucune discipline autre que les cours de langue ne peut être exclusivement enseignée en langue régionale. Au collège, les élèves peuvent choisir une langue régionale comme deuxième langue et au lycée, la langue régionale peut faire l'objet d'un enseignement au titre de la deuxième, voire de la troisième langue vivante. Du CP à la terminale, ce sont donc un peu plus de 118 000 élèves qui étudient une langue régionale.

J'en viens à présent aux conclusions. Les difficultés ne sont pas dues à un cadre législatif insuffisant, même s'il pourrait être renforcé dans les limites fixées par le Conseil constitutionnel. Elles le sont davantage à une sous-exploitation des possibilités offertes par les textes, par méconnaissance, manque de moyens ou de volonté politique, et à des freins infra-législatifs. Je veux ici vous donner deux exemples.

Premièrement, comme l'a rappelé Laurent Nuñez devant notre assemblée en janvier dernier, les officiers de l'état civil sont autorisés à délivrer, à la demande des intéressés, des livrets de famille ainsi que des copies intégrales et extraits d'actes de l'état civil bilingues ou traduits dans une langue régionale. À titre personnel, je l'ai découvert en préparant ce rapport.

Deuxièmement, je souhaiterais évoquer la réforme du baccalauréat, qui illustre bien les difficultés infra-législatives pouvant être rencontrées. En effet, les nouvelles modalités de comptage des points rendent les langues régionales moins attractives pour certains élèves. Auparavant, seuls les points au-dessus de la moyenne comptaient tandis qu'aujourd'hui les options langues régionales sont comptabilisées dans la moyenne des bulletins scolaires de la première et de la terminale, et peuvent ainsi faire baisser la note du contrôle continu. À l'inverse, une bonne moyenne sera noyée parmi les autres matières du contrôle continu, qui ne compte que pour 10 % de la note finale.

Il existe pourtant un moyen simple pour le ministère de l'éducation nationale d'envoyer un signal en faveur des langues régionales : leur appliquer le même régime qu'au latin et au grec ancien. En effet, ces deux langues sont les seules qui continuent à bénéficier de la bonification pour les points au-dessus de la moyenne. Le grec ancien et le latin sont ainsi comptabilisés deux fois : dans les 10 % du contrôle continu, et dans les points au-dessus de la moyenne qui sont bonifiés d'un coefficient trois avant d'être ajoutés au total des points reçus par l'élève.

Malgré ces réserves, je vous propose d'adopter le texte conforme. Des dispositifs législatifs plus ambitieux pourraient mieux assurer la promotion des langues régionales, mais il n'est pas certain qu'ils puissent faire consensus à l'Assemblée nationale, ni même au sein de notre assemblée. Par ailleurs, depuis la loi Deixonne, une soixantaine de propositions de loi relatives aux langues régionales ont été déposées. Aucune n'a été adoptée ni même, bien souvent, inscrite à l'ordre du jour de l'autre assemblée. L'adoption conforme de ce texte permettrait de clore la navette parlementaire et offrirait un symbole de l'engagement du Parlement en faveur des langues régionales.

M. Laurent Lafon, président. - Avant d'ouvrir le débat général, nous allons examiner la définition du périmètre de l'article 45, qui encadrera le dépôt d'éventuels amendements.

Mme Monique de Marco, rapporteure. - Concernant le périmètre de l'article 45 de la Constitution applicable à cette proposition de loi, je vous propose d'accepter les amendements qui concernent la protection des langues régionales ainsi que leur valorisation et leur promotion. En revanche, pourraient être déclarés comme ne présentant pas de lien, même indirect, avec le texte ceux visant les langues étrangères, portant sur les langues de France autres que les langues régionales, et concernant la promotion et la valorisation de la francophonie.

M. Max Brisson. - Je souhaiterais d'abord remercier le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) d'avoir porté cette proposition de loi du député du Morbihan Paul Molac, ainsi que Monique de Marco, pour son rapport circonstancié et argumenté dont je partage les grandes lignes et la conclusion finale.

Cependant, j'aurais peut-être été plus dur sur la réforme du baccalauréat qui illustre parfaitement le rapport qu'entretient l'éducation nationale avec les langues régionales, qui en avaient tout simplement été oubliées ! Cet oubli résume tout. J'aurais aussi été plus dur sur l'absence de l'audiovisuel public et aurais souligné le relais assuré par les radios associatives, qui portent les langues régionales sur les ondes.

Pour le reste, j'approuve ce rapport et espère qu'il servira de support à un débat apaisé et constructif. En effet, dans les territoires où les langues régionales sont parlées, nous gardons parfois de bien mauvais souvenirs des caricatures offensantes qui sont développées à l'occasion des débats sur les langues régionales - peut-être davantage à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. J'espère en tout cas que le débat de la semaine prochaine sera digne de ces langues qui sont, pour certains de nos concitoyens, des langues maternelles. Nous sommes tous militants de la francophonie et souffrons quand l'usage du français recule ; acceptons que l'on puisse aussi souffrir lorsque l'on voit sa langue maternelle fragilisée ou menacée de disparition.

Je suis élu d'un département qui a la chance de compter deux langues dites régionales : le béarnais et la langue basque, qui est par ailleurs une langue d'Europe puisqu'elle est parlée et bénéficie d'un statut officiel au sein de la communauté autonome d'Euskadi et de la députation forale de Navarre, dans le royaume d'Espagne. En Pays basque de France, 60 % des écoles ont des sections bilingues français et basque, mais j'ai bien conscience que cette situation est exceptionnelle, tout comme l'est le consensus politique qui s'est noué au Pays basque sur ce sujet. Ainsi, un homme comme moi, élu d'un parti de tradition jacobine, a fondé et présidé l'Office public de la langue basque, qui regroupe l'État, la région, le département et les communes du Pays basque.

La République a toujours eu un rapport difficile avec les langues de France, parce qu'elles ont longtemps été le symbole de la France du cheval de trait, que leur usage paraissait archaïque et réactionnaire. Lutter contre les langues de France était aussi le moyen d'imposer la République et l'émancipation, ce que l'on peut respecter. Les hussards noirs ont mené ce combat en conscience, mais, en 1950, dans les rues de Mauléon ou de Saint-Palais où l'école publique était pourtant bien implantée, on continuait de parler parfaitement la langue basque. Il ne faut donc pas surestimer le rôle de l'école comme élément destructeur des langues de France. En fait, c'est la télévision, la modernité et l'urbanisation qui sont responsables. Avec Intervilles, Guy Lux a fait plus de mal aux langues de France que les hussards noirs de Jules Ferry !

Et nous sommes aujourd'hui dans une situation paradoxale puisque la langue est moins parlée dans la rue des villages et des villes et davantage à l'école alors qu'en 1950, c'était le contraire. Cela donne à l'école une responsabilité particulière. La transmission, familiale ou scolaire, est un pilier de ce qui en France est encore un concept inconnu : la politique linguistique.

Il serait injuste de dire que l'école ne fait rien pour les langues de France puisque c'est l'administration française qui en fait le plus, en termes de postes déployés et d'efforts budgétaires. Cependant, l'école conçoit l'apprentissage du basque, de l'occitan, du breton, du catalan ou du corse comme une discipline enseignée et non comme un élément de la politique linguistique d'un territoire qui inscrit sa langue non pas dans une vision muséographique, nostalgique ou historique, mais dans la modernité. C'est en tout cas ce que nous avons fait au Pays basque, où nous sommes partis d'une réflexion simple : la langue est le premier vecteur de l'identité, qui est un facteur d'attractivité, car les territoires sans identité sont des territoires sans projet. En Pays basque de France, nous avons pris conscience dans les années 1990 du lien existant entre identité, langue, attractivité et modernité. Ce que nous demandons, c'est que notre combat soit considéré comme un combat de modernité. Nous ne cherchons pas à protéger et à préserver la langue, mais à produire des locuteurs capables de s'exprimer, de travailler et de vivre dans nos langues ! C'est ce que l'éducation nationale ne comprend pas, et c'est là que réside le hiatus entre l'éducation nationale et les élus des territoires, qui ont pris conscience de la dimension moderne des langues, comme reflets des territoires et vecteurs de leur attractivité.

Depuis la loi Deixonne, les textes qui ont porté sur les langues régionales sont des textes fondamentaux pour l'école et les collectivités, mais les langues y ont toujours été traitées de façon mineure. À l'opposé, la loi Toubon, qui avait pour but de lutter contre l'anglomania et l'imperium de l'anglo-américain, a été largement utilisée par les préfets et les recteurs contre les langues régionales, trahissant par là même l'objectif du législateur.

La proposition de loi de Paul Molac est la bienvenue parce qu'elle rappelle à l'État un certain nombre de ses obligations en ce qu'elle prévoit un cadrage de la loi Toubon, et qu'elle sécurise la place des langues dans l'espace public. En revanche, nous avons tous été surpris par l'absence totale de référence à l'Éducation nationale. Nous avons donc fait des recherches, qui ont montré que les députés de la majorité présidentielle, certainement à l'appel du ministre de l'éducation nationale, avaient systématiquement supprimé tous les articles concernant l'enseignement ! Nous nous retrouvons donc avec une magnifique proposition de loi sur les langues régionales, qui ne dit pas un mot de l'enseignement, comme s'il pouvait y avoir une politique linguistique en faveur des langues régionales qui ne passe pas par l'enseignement !

Ma chère collègue, vous avez proposé un vote conforme, mais j'espère que nous ferons preuve d'imagination dans l'hémicycle pour déposer quelques amendements qui rappelleront au Gouvernement qu'il n'y a pas de politique linguistique qui ne s'appuie sur l'éducation. Sinon, c'est de l'enfumage !

Notre génération a une responsabilité. J'appartiens à un territoire dans lequel les jeunes qui n'ont pas reçu d'enseignement en langue basque ou en langue occitane reprochent à leurs parents de ne pas les avoir inscrits dans une école publique pour apprendre la langue de leurs grands-parents. Mais aujourd'hui, les plus jeunes générations retrouvent des taux de pratique linguistique proches de ceux des années 1960.

Enfin, tout cela n'a jamais remis en cause l'unité de la République. Et je dirais même que les territoires dans lesquels on pratique les langues régionales sont aussi des territoires où l'intégration sociale, le lien et la solidarité sont parmi les plus forts. Les membres du groupe Les Républicains suivront la position formulée par la rapporteure.

M. Claude Kern. - Après ce brillant exposé, il est difficile d'intervenir, mais je vais peut-être le faire en alsacien puisque mon collègue n'a pas osé parler en basque ! (M. Kern prononce une phrase en alsacien, à laquelle répond Mme Drexler).

Je voudrais féliciter Monique de Marco pour ce brillant exposé et m'associer aux propos de Max Brisson sur l'audiovisuel. Cependant, nous avons su chez nous préserver un espace pour les langues régionales sur les chaînes locales, notamment grâce à l'émission Rund Um, qui signifie « autour de nous ». Un certain nombre d'heures de programmes en alsacien sont également diffusées sur France Bleu Alsace.

En ce qui concerne les écoles, il existe une convention pour l'enseignement bilingue entre la région, les deux départements et l'État. Nous avons toutefois des difficultés à trouver des enseignants suffisamment bien formés, même pour les écoles bilingues, qui représentent 40 % de nos écoles. La formation des professeurs d'allemand est un véritable problème, et l'ensemble du cycle allemand de l'université de Strasbourg ne compte que trente étudiants. De plus, dès qu'ils sont formés, ces jeunes partent en Allemagne, où ils gagnent presque le double de ce qu'on leur propose en France. Les écoles de l'Association pour le bilinguisme en classe dès la maternelle (ABCM), soutenues par les collectivités, assurent, quant à elles, un enseignement en alsacien.

Vous l'avez dit, langues et cultures régionales font partie de notre patrimoine. Nous essayons de le préserver dans la région, notamment avec l'Office pour la langue et les cultures d'Alsace et de Moselle (Olcam). Par ailleurs, nous organisons des cours d'alsacien pendant les activités périscolaires, mais également des séances s'adressant aux adultes.

Quand je suis arrivé à l'école maternelle, je parlais alsacien, pratiquement pas français, et il était interdit de parler alsacien même dans la cour d'école. Nous avons eu ensuite le réflexe de ne pas parler alsacien à nos enfants, et je fais mon mea culpa. Aujourd'hui, ce sont les jeunes parents qui demandent à l'éducation nationale de prendre le relais pour enseigner cette langue encore parlée dans la rue en zone rurale, cette langue qui nous permet de comprendre les Allemands et d'être compris par eux.

Grâce à cette proposition de loi, j'espère que nous réussirons à faire évoluer les mentalités. Nous suivrons la proposition de la rapporteure, mais, comme Max Brisson, je pense que quelques amendements s'imposeront en séance.

M. Pierre Ouzoulias. - Comme toute sa génération, mon grand-père parlait le limousin. Il a appris le français à l'école ; il n'avait pas le droit d'y parler une autre langue, même dans la cour de récréation. Il est ensuite monté à Paris, et en perdant l'usage du limousin, il a aussi perdu un vocabulaire précieux, ce qu'il a d'ailleurs beaucoup regretté à la fin de sa vie. L'odeur de la nature après l'orage, ou encore certains noms d'oiseaux ne trouvent pas d'équivalents en français. Républicain fervent et absolu, il concevait pourtant parfaitement qu'on puisse avoir deux cultures.

En Corrèze, il existe toujours un droit coutumier en limousin, qui n'est pas traduisible. Il réglemente notamment certains usages de la forêt. Si celui-ci disparaît, nous serons alors dans l'incapacité de trouver une transcription dans le droit français. Il s'agirait d'une grande perte culturelle. Les langues régionales font partie de l'identité d'un territoire, et de la relation complexe que les individus nouent avec celui-ci. Il est admirable que des familles étrangères au département, voire parfois à la France, utilisent ce vocabulaire pour décrire des réalités quotidiennes. Ainsi, cette identité n'exclut pas, au contraire : elle est intégrante.

Cette proposition de loi me pose plusieurs problèmes, notamment au travers de son article 2, qui fait passer les langues régionales dans le cadre étroit des trésors nationaux. Or, ces derniers sont précisément décrits comme des biens meubles et immeubles. Au-delà de mes doutes sur l'utilité d'une telle démarche, je crains qu'intégrer les langues dans ce registre n'affaiblisse la notion même de patrimoine national, alors que nous en avons absolument besoin.

À propos de l'enseignement, je partage totalement les propos de M. Max Brisson : aujourd'hui, rien n'interdit une reconnaissance plus forte des langues régionales. Il est sidérant de constater l'existence de 185 sections internationales dans les lycées, mais de ne pas pouvoir enseigner certaines disciplines en langue régionale. Faudra-t-il attendre l'instauration d'un lycée international occitan à Toulouse pour pouvoir continuer à utiliser la langue d'oc ? Il y a ici une distorsion que je ne comprends pas. Dans les Hauts-de-Seine, par exemple, l'enseignement d'une langue étrangère au lycée est considéré comme un critère d'attractivité énorme. Pourquoi une langue régionale ne le serait-elle pas ? Il y a un certain vestige jacobin qui aboutit à différencier le traitement donné à ces langues.

J'approuve aussi les propos formulés sur la loi Toubon. Celle-ci n'est absolument pas appliquée en ce qui concerne l'anglais. Le Centre national de recherche scientifique (CNRS) interdit même quasiment à ses agents de produire des articles scientifiques en français ! En revanche, elle a été utilisée contre les langues régionales, ce qui est une absurdité absolue.

L'article 9 vise à autoriser les signes diacritiques des langues régionales dans les actes d'état civil. Mais je ne vois pas ce qui l'interdit dans le droit actuel. De plus, il ne s'agit pas ici des actes de l'administration, mais de la façon dont les gens s'appellent eux-mêmes, ce qui est très différent. Dans les bureaux de vote, on a des cas où les noms sont transcrits sans aucun signe diacritique dans le registre d'état civil, alors que, sur la pièce d'identité de l'individu, ces signes apparaissent parfaitement. Leur usage est donc permis, puisque cette pièce est reconnue par l'administration. Pourtant, cela n'apparaît pas correctement sur la liste électorale. C'est une absurdité.

Nous aurions pu aller beaucoup plus loin sur ce texte. Pour un certain nombre de dispositions, on devine qu'il s'agit de forcer la main à une administration encore très rétive à appliquer les textes existants sur la protection des langues régionales. Même si je souhaite que ce texte poursuive son chemin législatif, je pense qu'une réflexion plus ample et plus aboutie sur le sujet est nécessaire.

M. Lucien Stanzione. - Je félicite la rapporteure pour son travail approfondi. Max Brisson a quasiment tout dit. Ce texte institue la reconnaissance de l'intérêt patrimonial des différentes langues régionales, qui bénéficieront désormais d'actions de conservation et de promotion, confiées à l'État et aux collectivités territoriales - on ne peut qu'y être favorable. Il consacre également l'usage des langues régionales dans la vie publique, avec le recours à une signalétique plurilingue, ainsi que l'usage de signes caractéristiques de ces langues dans les actes d'état civil. Je m'en réjouis, car les mesures prises pour sauvegarder la diversité linguistique ne se révéleront positives que si l'on attribue un rôle significatif aux langues régionales. Le dynamisme d'une langue dépend en effet de son utilisation, dont l'espace public et l'état civil sont deux composantes essentielles.

Concernant la langue provençale, on peut dire que l'école de la République a fait son travail. Dans les cours d'école, il était effectivement interdit de parler le patois, comme me le racontaient mes grands-parents. Aujourd'hui, le provençal n'est quasiment plus utilisé. L'audiovisuel est un vecteur important, qui peut contribuer à sa conservation. Dans mon département, cela se résume à une émission d'une heure et demie appelée « Vaqui », diffusée le dimanche matin. Effectivement, la pratique du provençal est réinstaurée en maternelle et en primaire, mais cela reste relativement marginal. Mon groupe et moi-même sommes donc favorables aux dispositions de cette proposition de loi. Comme l'ont indiqué certains de mes collègues, il sera probablement utile d'y ajouter quelques amendements, afin d'aller plus loin dans ce travail.

M. Jean-Pierre Decool. - Madame la rapporteure, je salue votre détermination à défendre les langues régionales. Je voterai cette proposition. J'en profite pour souligner que la version présentée par mon ancien collègue à l'Assemblée nationale, Paul Molac, a été complètement vidée de sa substance. Ce débat est donc très emblématique.

Je souhaite évoquer le problème du flamand occidental, qui n'est pas inscrit dans la circulaire relative à l'enseignement des langues et cultures régionales. On a beau soutenir les langues régionales et la pédagogie qu'il faut mettre en oeuvre au collège et au lycée, mais si la langue n'est pas inscrite dans cette circulaire, on ne peut pas avancer. Dans le Nord, nous avons certes réussi à obtenir une expérimentation, mais sa pérennisation n'est pas assurée - cela témoigne de la lenteur administrative pour continuer à enseigner le flamand.

Le néerlandais, langue officielle pratiquée en Belgique et aux Pays-Bas, est souvent mis en opposition avec le flamand. Or, il n'y a pas d'antagonisme : le flamand est un dialecte, et les frontaliers franco-belges apprennent le néerlandais à l'école tout en parlant le flamand en entreprise ou à la maison. Je regrette donc que cette proposition de loi n'évoque pas la circulaire et ne prévoit pas la possibilité d'y ajouter une langue, d'autant que le soutien de la région des Hauts-de-France est sans équivoque sur ce point. Il y a, par exemple, une volonté de créer un office de la langue flamande. Néanmoins, je soutiendrai l'adoption de cette proposition de loi.

Mme Sylvie Robert. - Depuis 2014, nous débattons de ce sujet au Sénat. La dernière fois, ce fut à l'occasion de l'examen de la loi pour une école de la confiance, en 2019. Nous avions aussi débattu de la question de la signalétique plurilingue, à l'occasion de la discussion d'une proposition de loi déposée par le groupe socialiste, qui avait été adoptée à l'unanimité par le Sénat, mais qui n'avait jamais été inscrite à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale. Je suis donc heureuse de voir que ce texte consacre cette question. Par ailleurs, il y a de vrais sujets sur l'audiovisuel, mais aussi sur l'enseignement et la transmission de ces langues régionales, lesquels pourront faire l'objet de futurs amendements.

Sur la question de l'inscription des langues régionales parmi les trésors nationaux, je rejoins l'avis de Pierre Ouzoulias. En revanche, je voudrais lui répondre sur les signes diacritiques dans les actes d'état civil. La question du tilde sur le prénom « Fañch » a suscité des revirements de jurisprudence en Bretagne. En effet, le 19 novembre 2019, la cour d'appel de Rennes a autorisé son inscription sur un acte d'état civil, alors même que le tribunal de Brest avait refusé. Le fait d'introduire cet article dans la proposition de loi n'est donc pas anodin, car il y a les discours et les actes.

Je suis ravie que l'on puisse débattre de nouveau de ces sujets dans notre hémicycle. Je regrette que la portée de la proposition de loi de Paul Molac ait été amoindrie par l'Assemblée nationale, notamment sur le volet de l'enseignement. Le Sénat a toute liberté pour légiférer. Comme nous souhaitons que ce texte soit voté conforme, nous suivrons la proposition de la rapporteure.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je félicite Monique de Marco pour son travail. Je m'associe aux propos de mes collègues, qui se sont exprimés avec passion et finesse. Il manque peut-être à ce texte l'évocation de ce que l'on appelle les géolectes, qui sont des variations géographiques du langage. L'une d'entre elles m'est particulièrement chère : il s'agit de l'argot parisien, si cher à mes idoles que sont Albert Simonin, Michel Audiard, André Pousse. Les géolectes font vraiment partie de notre patrimoine. À l'heure où l'on parle talbin dans la cambuse, laisse quimper ton sabir, Maxou ! Mordez un peu le papelard, c'est de la roupie de sansonnet !

Mme Monique de Marco, rapporteure. - Nous venons d'entendre un véritable plaidoyer en faveur des langues régionales. Même si cette proposition de loi ne donne pas entière satisfaction, car elle a été largement amputée par l'Assemblée nationale, je préfère m'y tenir dans un premier temps, par prudence. Et, libres à vous de déposer des amendements. Quoi qu'il en soit, il était important, pour moi, de poser une première pierre sur ce sujet qui est en suspens depuis très longtemps, et qui a toujours fait l'objet de débats, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.

Je remercie Max Brisson pour ce plaidoyer pour les langues régionales. Au Pays basque, j'ai constaté que la presse était très mobilisée pour la défense de la langue locale. Cela crée un véritable dynamisme. Il est vrai que le Pays basque est un peu à part, comme nous le voyons au travers des expériences d'immersion à l'école. Ils ont réussi à faire vivre la langue basque. Il en est d'ailleurs de même pour les Corses.

Concernant les médias, depuis 1999, la situation évolue, même si cela reste encore insuffisant. Par exemple, le nombre d'heures de diffusion en langues régionales est en augmentation, mais cette évolution pourrait être plus importante encore. Il est clair que les radios associatives et locales ont un grand rôle à jouer pour faire perdurer cette culture locale.

Je ne comprends pas la réticence de Pierre Ouzoulias sur les signes diacritiques. Je constate plutôt un besoin de faire en sorte que ces signes soient actés et écrits. On ne peut pas les accepter parfois, et les rejeter à d'autres occasions, car cela peut parfois aboutir à des refus d'acceptation de documents officiels. Il faut donc être très prudent sur ce point ; c'est pourquoi il est important de maintenir cette mesure.

Le terme de « trésor national » concerne les biens présentant un intérêt majeur. Nous avons posé la question au ministère de la culture, pour savoir si cette rédaction était acceptable. Ils ont considéré qu'elle l'était.

M. Decool, très présent au cours des auditions que nous avons réalisées, nous a vraiment sensibilisés sur cette problématique du flamand occidental, qui n'est absolument pas reconnue par l'éducation nationale, considérant qu'il s'agit d'un dérivé du néerlandais. Je comprends son combat. Pourtant, le breton, ou encore le gallo, sont inscrits dans la circulaire. Je ne comprends toujours pas ce refus à ce jour.

Il est vrai que je n'avais pas pensé à l'argot, qui, pour moi, n'est pas une langue régionale. À mes yeux, il s'agit plutôt d'un dérivé d'une langue de France. C'est pourquoi nous ne l'avons pas du tout évoqué.

M. Laurent Lafon, président. - Je remercie la rapporteure de son avis éclairé. Nous allons avoir un débat de belle qualité dans l'hémicycle ; chacun d'entre vous a apporté une dimension personnelle, dont nous avons apprécié la sincérité. En tant que sénateur francilien, j'ai considéré ce texte, au départ, comme une curiosité législative, mais cette prétention francilienne était déplacée. Au contraire, on voit bien à l'issue de vos interventions à quel point il touche à des questions d'identité culturelle, qui doivent être abordées avec beaucoup de sérénité. Il est de notre responsabilité de législateur de protéger ces identités en vue de pouvoir les transmettre.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 2 bis

L'article 2 bis est adopté sans modification.

Article 8

L'article 8 est adopté sans modification.

Article 9

L'article 9 est adopté sans modification.

Article 11

L'article 11 est adopté sans modification.

Article 12

L'article 12 est adopté sans modification.

En conséquence, la proposition de loi est adoptée sans modification.

La réunion est close à 17 h 40.