Jeudi 11 février 2021

- Présidence de Mme Victoire Jasmin, vice-présidente -

Étude sur le logement dans les outre-mer - Audition de M. Charles Trottmann, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement (AFD), et MM. Hervé Tonnaire, directeur des outre-mer et directeur régional Pacifique, et Philippe Blanchot, directeur des relations institutionnelles, de la Banque des territoires

Mme Victoire Jasmin, vice-présidente. - Le président Stéphane Artano, qui suit notre réunion en visioconférence depuis Saint-Pierre-et-Miquelon, m'a chargée de l'excuser auprès de vous et de bien vouloir le remplacer pour présider la présente audition.

Dans le cadre de notre étude sur le logement outre-mer, nous entendons les représentants de deux grandes institutions financières publiques très engagées dans ces territoires : M. Charles Trottmann, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement (AFD), et MM. Hervé Tonnaire, directeur des outre-mer et directeur régional Pacifique, et Philippe Blanchot, directeur des relations institutionnelles, de la Banque des territoires.

Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation et de permettre ainsi à nos trois rapporteurs, M. Victorin Lurel, Mme Micheline Jacques et M. Guillaume Gontard, de vous interroger sur vos actions en matière de logement en outre-mer, tant au niveau de la construction que de la réhabilitation.

Lors de ses précédents travaux, la délégation a déjà eu l'occasion d'auditionner l'AFD et la Banque des territoires à plusieurs reprises, et encore récemment pour son étude sur l'urgence économique outre-mer dont les rapporteurs étaient M. Stéphane Artano, Mme Viviane Artigalas et Mme Nassimah Dindar. Nous apprécions que vous abordiez vos interventions avec une approche régionale, un souci d'adaptation et des mécanismes concrets. Nous savons également le rôle que vous jouez en matière de soutien aux finances des collectivités pour leur donner des marges de manoeuvre supplémentaires aux politiques locales.

Nous avons déjà entendu, dans le cadre de notre étude, la direction générale des outre-mer (DGOM), la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), l'Union sociale pour l'habitat (USH), l'Union sociale pour l'habitat en outre-mer (Ushom), Action Logement, ainsi que la Cour des comptes qui a produit un rapport très complet en septembre dernier sur la situation fort insatisfaisante du logement dans les départements et régions d'outre-mer (DROM).

En effet, en dépit des annonces faites ces dernières années, en particulier dans le cadre de deux plans logement successifs, les acteurs privés et publics paraissent toujours en difficulté pour répondre à la très forte demande - notamment en logements locatifs sociaux et très sociaux - et pour améliorer les conditions d'habitat dans ces territoires. Nous attendons donc que vous nous aidiez à faire des propositions pour construire plus et mieux en outre-mer. Ce thème en débat en séance publique au Sénat le mardi 2 mars après-midi concernera l'ensemble du territoire français.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Mes questions portent sur le développement de l'offre de logement social et sur la résorption de l'habitat indigne. Pourriez-vous nous citer des projets emblématiques financés grâce au concours de vos organismes en matière de dynamisation des centres-villes et de développement d'offres de logements mixtes - logements sociaux et très sociaux associés à des logements intermédiaires ?

En matière de logements à loyers très sociaux (LLTS), constatez-vous des difficultés pour respecter les quotas de 30 % ? S'agissant de l'accession sociale à la propriété, quel a été, selon vous, l'impact de la suppression de l'aide personnalisée au logement (APL) accession en outre-mer ?

Les dispositions de la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, dite loi Letchimy, sont-elles selon vous suffisantes en matière de résorption de l'habitat indigne (RHI) ? La Cour de comptes indique que les opérations de RHI se sont fortement réduites dans les années récentes. Comment l'expliquer et quels blocages faudrait-il lever ?

Enfin, faut-il, selon vous, prolonger la durée de vie des agences des cinquante pas géométriques ? Pour permettre la réhabilitation de logements informels, avez-vous des exemples d'expériences réussies en termes d'autoconstruction et d'autoréhabilitation encadrées ?

M. Hervé Tonnaire, directeur des outre-mer et directeur régional Pacifique de la Banque des territoires. - Les territoires ultramarins présentent des thématiques et des problématiques différentes auxquelles il convient d'adapter les réponses que nous apportons.

Parmi les projets emblématiques auxquels la Banque des territoires a contribué, je peux citer l'opération innovante menée par la société Pointoise d'HLM dans le centre-ville de Pointe-à-Pitre, rue Achille-René Boisneuf, avec le programme Action coeur de ville et le Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU) : treize logements sociaux, six en accession à la propriété et quatre locaux commerciaux. Au Lamentin, nous avons également participé à la construction de trente et un logements en prêt locatif social (PLS) et, aux Abymes, à la réhabilitation, via un éco-prêt outre-mer de 4,9 millions d'euros, d'une résidence de 360 habitations, comprenant notamment des travaux d'isolation des murs et de réalisation d'un système d'eau chaude à l'énergie solaire.

À La Réunion, avec le programme Action coeur de ville et le NPNRU, nous avons participé à une opération de dynamisation du centre-ville de Saint-André, miné par la précarité économique et sociale - 46 % de chômeurs et 78 % des habitants non imposables -, par le déclin des commerces et l'insécurité. Le projet, d'envergure, comprend le renouvellement du bâti, la restauration de la voirie, la transformation de l'école en un espace de restauration et de commerces de bouche et la création d'un cinéma pour renforcer l'offre culturelle. Sur cette dernière opération, les prêts d'intérêts généraux ne pouvant intervenir, nous avons participé au montage comme investisseurs.

Je ne puis, en revanche, vous répondre sur les quotas de LLTS qui ne relèvent pas de notre compétence. Nous observons cependant, en outre-mer comme ailleurs, une mobilisation variable des collectivités territoriales sur le sujet. L'accession à la propriété n'entre pas non plus dans nos missions, limitées au logement social. Elle joue toutefois un rôle majeur dans les problématiques de l'habitat, notamment dans des territoires où la demande est importante, à l'instar de Mayotte.

La Banque des territoires n'est qu'un acteur de deuxième ligne s'agissant du financement des opérations de RHI. Nous constatons leur recul, notamment aux Antilles et à La Réunion, en raison de la réduction - heureuse - du stock de logements concernés. À Mayotte et en Guyane, la situation demeure toutefois préoccupante du fait de la pression démographique et migratoire.

Nous disposons d'une expertise limitée sur les agences des cinquante pas géométriques. Le projet de l'extinction du dispositif semble faire l'objet d'une analyse partagée en faveur, au contraire, d'une prolongation, en raison de la complexité des opérations menées qui nécessitent des financements adaptés. Le projet de loi dit 4D - décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification - prévoit d'ailleurs de prolonger de dix ans leur durée de vie. Il apparaît toujours nécessaire de disposer d'un temps minimum pour mettre en oeuvre des travaux qui font intervenir des financements structurants, comme l'installation de réseaux.

Enfin, l'autoconstruction représente un enjeu important dans les territoires à forte pression démographique comme Mayotte ou la Guyane. Le NPNRU a engagé des opérations à Mayotte et des projets sont à l'étude en Guyane. Nous n'avons pas encore été sollicités, mais pourrons intervenir en soutien aux filières.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Ma première question concerne les deux plans logement outre-mer (PLOM), l'efficacité du plan de relance que vous avez initié, ainsi que vos nouvelles offres de prêts, notamment à taux fixe.

Quel partenariat avez-vous passé, notamment avec Action Logement, l'Ushom ou CDC Habitat ? Comment faire face à la pénurie de logements neufs en outre-mer, en particulier dans le logement social ? Que proposez-vous pour construire plus et mieux ? Peut-on construire outre-mer sans fonds propres ? Comment réhabiliter davantage, notamment aux Antilles ? Comment financer les structures d'hébergement, laissées depuis trop longtemps en déshérence ? Comment voyez-vous la restructuration du secteur du logement social, notamment à la Réunion et à Mayotte ? Y a-t-il un risque de conflit d'intérêts entre vous et CDC Habitat ?

M. Charles Trottmann, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement (AFD). - En tant que banque de développement au service des territoires d'outre-mer, l'Agence française de développement dispose, pour financer l'ensemble des collectivités locales des outre-mer, essentiellement de prêts. Depuis peu, nous intervenons également en appui d'ingénierie par des crédits d'études et des assistances en maîtrise d'ouvrage, tout comme nous a été confié le Fonds outre-mer 5.0 l'année dernière. Dans le cadre du plan de relance, nous disposons cette année d'une nouvelle enveloppe de 15 millions d'euros, ce qui renforce notre palette d'interventions. Nous apportons aussi des financements au secteur privé et aux sociétés d'économie mixte.

Il y a des enjeux importants de production et de réhabilitation du logement en outre-mer, notamment de réduction de l'habitat insalubre, qui nous amènent à travailler sur les friches urbaines et les territoires délaissés. Par ailleurs, du fait des enjeux climatiques spécifiques de ces territoires, la qualité environnementale et l'efficacité énergétique sont primordiales pour l'AFD.

Nous étions associés au Plan logement outre-mer de 2015 qui, il est vrai, a eu une activité décroissante avec le temps. Néanmoins, depuis plusieurs années, notre positionnement sur le secteur du logement a évolué, en particulier suite à la vente, en 2017, de nos participations au sein des sociétés immobilières d'outre-mer. Entre 2010 et 2019, nous avons financé 840 millions d'euros de logements outre-mer, de manière décroissante du fait de notre désengagement dans ce secteur.

À titre d'exemple, nous avons participé au financement, via des programmes d'aménagement, de la zone d'aménagement concerté (ZAC) Sans-Souci à La Réunion, territoire fortement marqué par l'habitat insalubre et informel.

Le soutien à l'autoconstruction nous paraît très intéressant. Nous disposons d'une certaine expérience à l'étranger, que nous pouvons partager. Dans cette veine, nous avons lancé une étude sur le renouvellement des modes de traitement de l'habitat informel à Mayotte.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Pourquoi l'AFD ne fait-elle pas de prêts sur 40 ans en Polynésie française ?

M. Charles Trottmann. - Nous ne proposons pas ce produit, car il ne correspond pas à notre modèle économique et nous ne pouvons pas apporter de financement de cette maturité.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Avez-vous, avec vos partenaires, un plan de réaménagement de la dette des sociétés d'économie mixte (SEM) ?

M. Charles Trottmann. - Nous n'avons pas de plan concerté, toutefois, pour répondre à la demande d'une SEM, nous pouvons nous associer avec les autres co-financiers pour trouver un plan de réaménagement.

M. Philippe Blanchot, directeur des relations institutionnelles de la Banque des territoires. - L'action de la Banque des territoires en outre-mer s'inscrit, dans le cadre du plan de relance, par des modalités et des maturités nouvelles en direction du secteur public local. Sur les 26 milliards d'euros affectés, 11,1 sont consacrés au logement : sur les 42 000 ventes en l'état futur d'achèvement (VEFA) réalisées par notre filiale CDC Habitat, 8 200 ont lieu outre-mer. En ce qui concerne le risque de conflit d'intérêts en outre-mer, nous nous exprimons - non comme opérateur - mais en tant que financeur universel du logement social, aux côtés de l'AFD avec laquelle nous avons un partenariat stratégique. Sur le territoire hexagonal comme en outre-mer, nous tenons à garder une muraille de Chine entre notre rôle de financeur et le rôle d'opérateur de CDC Habitat.

M. Hervé Tonnaire. - La Caisse des dépôts est un groupe avec des actions spécifiques et des modes d'interventions particuliers définis par le législateur. En matière de logement social, nous intervenons de plusieurs façons, leur financement étant ultra-prioritaire. Nous pouvons également nous trouver en position d'investisseurs en soutenant des projets classiques de logement social ou de commerces de pied d'immeuble. Nous pouvons aussi intervenir avec BpiFrance.

Notre modèle étant très solide - la Caisse des dépôts intervient depuis plus de cent ans dans ce secteur -, nous disposons d'une ressource particulière et immédiate avec le livret A. Ingénierie financière aidant, nous pouvons prêter, uniquement pour le logement social, jusqu'à 80 ans. L'usage du livret A est conditionné par la réglementation qui en définit l'emploi et il nous faut négocier avec l'État ses propositions d'utilisation.

S'agissant du risque de conflit d'intérêts, nous avons souhaité la double intervention pour bien distinguer l'action de la Caisse des dépôts, à travers un de ses opérateurs, de l'action de financeur d'intérêt général. Il en va de même pour Action Logement qui doit distribuer ses produits à tous les opérateurs sans discrimination. Il n'y a donc aucun risque de conflit d'intérêts de ce point de vue et notre gouvernance est organisée de manière à en prévenir toute forme.

En matière de travaux communs avec nos partenaires, nous avons décidé d'initier, avec Action Logement, une pré-réflexion technique sur nos financements, notamment en outre-mer. Nous souhaitons cependant l'élargir, par exemple aux fédérations de HLM. Pour améliorer le dispositif, l'idéal est que les préconisations partent du terrain, sachant que les opérations en outre-mer sont plus coûteuses du fait de la distance, des coûts d'acheminement, de la cherté du foncier ou des difficultés juridiques parfois multiples.

Concernant le PLOM, toutes les ambitions n'ont pu être atteintes. Les conditions, notamment en Guyane, et même avec un plan bien programmé, sont difficiles en raison du foncier disponible, des financements ou de la concertation. Si la bonne volonté est partagée par tous les acteurs du domaine, on se voit rattrapé par toutes ces contraintes.

Le foncier étant effectivement rare et cher, même dans les territoires de grande dimension, les dispositifs de portage foncier nous paraissent intéressants et nous soutenons la création d'offices fonciers solidaires. Nous proposons d'identifier le sujet de la production, notamment pour les territoires à la démographie jeune, comme la Guyane et Mayotte. En l'occurrence, il s'agit spécifiquement de logement très social et de l'équilibre d'opérations à destination de populations très fragiles. Nous nous posons la question d'aller plus loin, à l'instar de notre activité en Nouvelle-Calédonie où nous avons lancé un dispositif inspiré du 1 % logement, le fonds social de l'habitat, pour répondre aux besoins des bailleurs. Aux Antilles, l'enjeu est de rebâtir de la ville dans la ville. La Réunion a une démographie différente, mais commence à se poser la question de la décohabitation. Nous souhaitons donc travailler la question de la production de logements neufs et celle de la réhabilitation, qui coûte de plus en plus cher.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Appliquez-vous le dispositif d'offre PAM (prêts à l'amélioration de l'habitat) pour la réhabilitation ?

M. Hervé Tonnaire. - N'ayant pas le détail de tous les dossiers, nous vous répondrons plus précisément, par écrit, si vous le souhaitez. Il est important de savoir si ces produits sont efficaces et adaptés aux outre-mer.

En ce qui concerne exclusivement le logement social, nous avons prêté, cette année, 820 millions d'euros pour des opérations dans les outre-mer. Le logement social, en termes de prêts nouveaux, qu'il s'agisse de constructions neuves ou de réhabilitations, a représenté 602 millions d'euros. Dans l'ensemble, depuis 2017, nous avons octroyé 2,6 milliards de prêts d'intérêt général pour les outre-mer, avec un total de 30 000 logements, dont 16 000 neufs. En 2020, nous avons financé 4 500 logements neufs et 5 100 en rénovation.

Outre nos prêts traditionnels à la rénovation et à la construction, nous avons mis en place de nouveaux produits pour aider les opérateurs, en quasi-fonds propres. De surcroît, nous sommes en train de développer tout ce qui est lié à la rénovation thermique ou classique.

En ce qui concerne le lien avec la ligne budgétaire unique (LBU), le positionnement de la Banque des territoires dans la politique du logement fait que nous recevons une demande de logement quand le dossier est crédité d'une subvention et qu'il dispose d'un permis. Nos dossiers ont donc un plan de financement déjà prêt.

Nous avons deux dispositifs fiscaux sur les outre-mer : celui des sociétés immobilières d'outre-mer (SIDOM) ainsi qu'une défiscalisation classique sur la zone Pacifique. Nous avons donc surtout besoin que l'opération soit équilibrée, du fait, notamment, de notre position de garant du livret A.

Nous intervenons très régulièrement sur des réaménagements de dette, notamment pour des sociétés d'économie mixte.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - S'agissant des garanties et du financement de la programmation mixte, comment financez-vous ces montages qui peuvent être compliqués ? Faut-il revoir le régime des garanties ?

M. Hervé Tonnaire. - Je sais que la garantie pose parfois des questionnements aux collectivités. Cette obligation est une contrepartie du modèle économique des fonds d'épargne. Ce modèle doit être touché avec la plus grande prudence, étant donné son extrême utilité. Il s'agit certes d'une question complexe pour les collectivités, mais c'est le meilleur système actuellement en vigueur. Sans garantie, on ne peut pas mobiliser les fonds d'épargne ; perdre ce dispositif s'avèrerait dangereux.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Mes questions portent sur l'habitat de demain. Vous avez parlé de l'initiative de l'AFD « Outre-mer en commun ». Quels projets d'urbanisme respectueux de l'environnement comptez-vous financer ? Soutenez-vous des projets d'habitat innovant en outre-mer ? Quels territoires vous paraissent particulièrement dynamiques dans ce domaine ? Quelle synergie sera encouragée avec les initiatives développées en métropole ?

En matière de normes de réglementation thermique, acoustique et d'aération (RTAA), adaptées aux outre-mer, quelles seraient vos propositions d'adaptation et de simplification de la réglementation environnementale RE2020 pour les outre-mer ? Quelles sont vos actions en faveur de la filière de matériaux locaux, tels que le secteur de la brique de terre compressée à Mayotte ? Comment recourir davantage à la construction sur du bâti détruit, pour éviter l'étalement urbain et l'artificialisation des sols ? Intégrez-vous la préservation des paysages et l'intégration des patrimoines locaux dans les projets d'aménagements ?

M. Charles Trottmann. - L'initiative « Outre-mer en commun », réponse de l'AFD à la crise du Covid-19, compte trois volets. Le premier, sur l'urgence sanitaire, nous amène à travailler de concert avec les acteurs de la surveillance épidémiologique. Le deuxième volet, davantage centré sur une intervention économique, porte sur notre soutien à la trésorerie et sur la capacité financière des acteurs publics comme privés. Enfin, le troisième aspect est celui de la relance durable. Il comporte trois actions spécifiques : une contribution à la réflexion sur la définition de cette relance durable, un accompagnement en matière d'ingénierie, et une formation appelée « Mouv'outremer », pour soutenir les porteurs de projet locaux.

En matière de relance durable, le sujet du bâtiment est effectivement ressorti, étant donné que ce dernier représente, à l'échelle mondiale, 35 % de la consommation énergétique et 40 % des émissions de gaz à effet de serre. Nous travaillons en partenariat avec l'Agence de la transition écologique (Ademe) via un programme pour l'efficacité énergétique des bâtiments (PEEB), qui nous permet d'apporter des études et des financements. Dans le cadre des crédits du plan de relance, nous répliquons ce dispositif aux outre-mer avec un lancement prévu fin mars 2021.

Sur la réglementation thermique outre-mer, la mise en application a été repoussée en juillet 2021. Les indicateurs de consommation, de carbone et de cycle de vie doivent être adaptés à la réalité des territoires, pour tenir compte des moindres besoins de chauffage, des climats plus venteux, qui facilitent la ventilation naturelle et les constructions bioclimatiques, ainsi que du rayonnement solaire.

S'agissant des filières de matériaux locaux, nous n'avons, actuellement, pas beaucoup d'actions spécifiques à ce sujet. La brique de terre compressée de Mayotte, matériau prometteur qui compte de nombreuses qualités, pâtit néanmoins d'une difficulté d'homologation et d'une image assez défavorable. Nous travaillons néanmoins à trouver des voies pour redynamiser cette filière qui dispose de nombreuses capacités d'utilisation, notamment dans l'habitat.

M. Hervé Tonnaire. - Nous soutenons tous les programmes neufs reposant sur la conception bioclimatique avec les éco-prêts. En matière de normes, l'analyse faite par l'AFD est pertinente et l'enjeu est essentiellement l'adaptation utile à ces territoires.

S'agissant des filières locales, nous avons l'expérience de dispositifs parfois expérimentaux, notamment en Guyane où nous avons été sollicités sur le projet local de béton fibré. Nous sommes prêts à aider des projets qui disposent d'un modèle économique et d'une acceptation sociale. Nous soutenons les entreprises du secteur par des modes d'action divers, mais surtout complémentaires au sein du groupe, le logement étant l'amortisseur social principal.

Les sujets du bâti détruit et de l'étalement urbain doivent être portés de manière collective car ils nécessitent une programmation, voire une politique coercitive, notamment dans le cas de logements très dégradés et insalubres.

Pour lutter contre les dents creuses, nous agissons dans le cadre des programmes « Action coeur de ville » ou « Petites villes de demain » et nous réfléchissons à une action avec les foncières. Il faut également recréer de l'attractivité économique dans les centres historiques pour reconstruire de la ville dans la ville. Ce chantier, nécessairement partenarial, s'inscrit sur le long terme et ces dispositifs ne sont pas applicables dans les collectivités du Pacifique. Nous essayons donc de construire des réponses adaptées à chaque collectivité - j'ai notamment rencontré le maire de Papeete pour aborder ce problème.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - L'enjeu est aussi l'acceptabilité. Souvent, des opérations très spécifiques sont interrompues, puis réorientées. Les filières doivent bénéficier d'une véritable stratégie de soutien.

M. Hervé Tonnaire. - L'enjeu de légitimité est bel et bien essentiel, d'autant que la Banque des territoires peut intervenir sur des sujets dits « privés », comme la création d'une filière forestière dans la province Sud de la Nouvelle-Calédonie. De tels chantiers prennent du temps.

Au titre de la transition énergétique, d'autres actions de portage sont menées à Saint-Pierre-et-Miquelon, comme le sait le Président Artano. Leur modèle économique exige des financements longs et une acceptation de rentabilité qui soit celle d'un investisseur d'intérêt général.

M. Stéphane Artano, président. - Je rejoins tout à fait les propos de M. Guillaume Gontard, au sujet de l'acceptabilité, et ceux de M. Hervé Tonnaire, au sujet du temps long. Les modèles économiques propres aux outre-mer exigent le soutien de financeurs et un portage politique fort, pour convaincre l'ensemble des acteurs.

Je vous remercie par avance de nous adresser, par écrit, les éléments de nature à alimenter nos réflexions.

Mme Nassimah Dindar. - L'AFD dispose de plusieurs SEM aux Antilles, en Nouvelle-Calédonie, mais pas à La Réunion. Un tel actionnariat pourrait-il être envisagé pour soutenir des sociétés en grande difficulté, comme la société de développement et de gestion d'immobilier social (Sodegis) ? Aujourd'hui, les bailleurs n'ont pas la capacité de lever les fonds : ne pourraient-ils pas être associés ? Je pense notamment au pôle CDC - Action Logement qui est en train de se constituer à La Réunion.

Au sujet de l'autoconstruction, j'ajoute, pour La Réunion, l'enjeu de l'accession à la propriété. Des familles louent, depuis parfois trente ans, des logements qui ont besoin d'être réhabilités. L'AFD ne pourrait-elle pas engager une étude sur ce sujet ?

Enfin, la Banque des territoires a signé deux conventions avec la société immobilière du département de La Réunion (SIDR) et je souhaiterais avoir des précisions sur ce sujet.

M. Charles Trottmann. - Nous gérons un portefeuille historique de participations au sein de SEM, mais il est en extinction ; ce métier spécifique, qui pourrait nous placer en situation de conflit d'intérêts, est plutôt celui de la CDC. De notre côté, nous intervenons en qualité de financeurs et, a priori, nous n'envisageons pas de nouvelle participation.

L'accession à la propriété est un sujet important. Il renvoie aux questions du parcours résidentiel, des mobilités sur le territoire et de la politique de la ville. Dans une perspective d'investissement, le Fonds outre-mer nous permet de financer des actions auprès des collectivités et des acteurs publics ; les études de l'AFD sont orientées vers l'investissement. Si une collectivité de La Réunion souhaite nous solliciter, notre agence sur place sera tout à fait en mesure d'examiner son dossier.

M. Hervé Tonnaire. - Je le confirme : l'économie mixte est un pilier majeur de notre intervention, notamment en matière d'investissement. C'est un choix très clair de notre gouvernance. Cette crise révèle d'ailleurs la nécessité de disposer d'opérateurs semi-publics, menant des projets économiques dans une logique d'intérêt général, tout en prévenant les conflits d'intérêts. Ainsi, à Wallis-et-Futuna, nous devrions créer prochainement une SEM en lien avec la collectivité et la chambre interconsulaire. Il s'agit d'aménager un bâtiment d'accueil d'entreprises. De manière prudentielle et volontaire, ce portage est un bon outil pour développer les filières locales de ce territoire.

Malgré une forte pression démographique, La Réunion est également un territoire de taille limitée. Sans une régulation au sens large, il risque de subir les effets pervers que l'on observe, par exemple, en Polynésie, en matière d'aménagement : les chargés d'opérations restent deux ans dans une société, puis la quittent pour une autre qui leur offre un meilleur salaire. Ce n'est pas très sain.

Les collectivités ne sont pas nécessairement en mesure de financer ou de mener de grandes opérations. De plus, toutes les SEM n'ont pas vocation à conduire les mêmes types de projets : il faut une forme de spécialisation. Ainsi, l'existence de trois SEM n'aurait aucun sens à Wallis-et-Futuna ; il en faut une et une seule. Pour éviter l'épuisement des acteurs, Saint-Pierre-et-Miquelon a, de manière volontaire, simplifié le paysage de ses SEM. C'est une question de cohérence et de bon sens.

La Banque des territoires est à la disposition des territoires : elle est dans la concertation ; nous ne sommes pas dans le régalien, mais dans l'accompagnement.

Mme Nassimah Dindar. - Je vous remercie par avance de nous faire parvenir, par écrit, un point d'étape au sujet de la Société immobilière du département de La Réunion (SIDR).

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - J'ai été maire de Cayenne pendant dix ans ; je reste conseillère municipale et j'estime que je dois défendre mon territoire, notamment en ce qui concerne le logement. Dans quelle mesure l'AFD et la Banque des territoires peuvent-elles appuyer les réhabilitations de logements en Guyane ? Vous rappelez la mauvaise répartition des logements sociaux. Avec un taux de 35 %, Cayenne a atteint son quota, mais d'autres communes, comme Remire-Montjoly, préfèrent payer l'amende.

Quels sont vos liens avec l'établissement public foncier et d'aménagement de la Guyane (EPFAG), qui s'efforce de trouver des solutions pour créer des logements, notamment dans le cadre des écoquartiers ?

M. Hervé Tonnaire. - J'ai une affection particulière pour la Guyane. J'ai vécu cinq ans et demi dans ce département qui, avec Mayotte, est un des territoires de la République qui mérite le plus d'être accompagné.

Les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH) et le bâti privé ne relèvent pas de notre champ d'intervention, mais plutôt de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et de l'Ademe. Nous pouvons agir en complément en portant le bâti économique.

L'EPFAG est un acteur essentiel pour nous. Il peut porter directement nos différents prêts, notamment le prêt Gaïa qui, en panachant les court et moyen termes, peut couvrir de trois à quatre-vingts ans et permet ainsi des opérations complexes de portage foncier, avec des différés d'amortissement.

Le directeur régional Antilles-Guyane porte une attention spécifique à la Guyane, où la pression démographique et les enjeux sont tels que nous devons nous investir tout particulièrement. Je pense notamment aux projets d'habitat adapté.

En 2020, nous avons créé notre représentation à Mayotte et, en 2021, nous en ouvrirons une en Polynésie : la Banque des territoires sera ainsi présente dans sept territoires ultramarins. Les outre-mer ne subissent aucune discrimination négative, bien au contraire. Notre taux d'ingénierie est plus élevé pour les collectivités ultramarines. Nos fonds Covid résistance suivent un ratio de 2 euros par habitant en métropole contre 5 euros outre-mer. Tous nos produits sont applicables outre-mer et, généralement, ils sont adaptés en conséquence.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Je comprends parfaitement les inquiétudes qu'inspire le logement social à Mayotte, en Guyane et dans les autres territoires ultramarins. J'espère que nous pourrons poursuivre ces échanges sur d'autres projets de développement économique outre-mer.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Je salue à mon tour la qualité de nos échanges, en vous remerciant par avance des précisions que vous nous apporterez par écrit.

M. Stéphane Artano, président. - À mon tour, je remercie l'ensemble des participants, en attendant la table ronde que nous consacrerons, la semaine prochaine, à Mayotte.

Mme Viviane Artigalas. - Je suis membre du conseil de surveillance de la CDC et, au Sénat, j'ai beaucoup travaillé sur les questions de logement et la politique de la ville. Lors de notre débat du 2 mars prochain en séance publique, je poserai une question sur sujet du logement outre-mer afin de mettre l'accent sur les travaux de nos trois rapporteurs.

Mme Victoire Jasmin, vice-présidente. - Au nom du président, au nom de la délégation et en mon nom propre, je vous adresse à tous mes plus sincères remerciements.