Mercredi 24 mars 2021

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30

Projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales - Audition de M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement (AFD)

M. Christian Cambon, président. - Monsieur le directeur général, nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui pour parler du projet de loi relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Ce texte, que nous attendions depuis plus de deux ans, devrait arriver au Sénat les 11 et 12 mai. C'est une réelle satisfaction car nous y réfléchissons depuis longtemps !

On ne présente plus l'AFD, notre agence et banque de développement, qui oeuvre sur les cinq continents, dotée de moyens en forte augmentation depuis quelques années. Les engagements financiers de l'agence sont ainsi passés de 4 milliards d'euros en 2009 à 14 milliards en 2019 ! Je pense que c'est une situation unique dans la sphère publique, qui montre l'engagement des pouvoirs publics à progresser dans l'aide au développement. L'AFD a également vu ses moyens en dons augmenter récemment, avec 1 milliard d'euros d'autorisations d'engagements supplémentaires en 2019. C'était une demande constante de notre commission.

Cette augmentation des engagements est allée de pair avec un élargissement de ses missions. A la lutte contre la pauvreté et les inégalités mondiales, s'est ajoutée la protection des biens publics mondiaux tels que le climat ou la biodiversité. Cette évolution s'est effectuée en conformité avec les engagements internationaux de notre pays, notamment le programme de développement durable des Nations unies et l'accord de Paris de 2015. L'AFD mobilise désormais tous les types de financements en faveur du développement dans un grand nombre de pays, qui vont, à un bout du spectre, des plus pauvres de la planète, à des nations émergentes en passe de rejoindre les pays développés à l'autre bout.

L'AFD est ainsi l'instrument précieux et efficace de notre politique de développement. Je salue toutes les équipes sur le terrain qui mettent en oeuvre ces programmes.

Néanmoins, un certain nombre de problèmes ont été relevés ces dernières années, notamment par notre commission, mais aussi, récemment, par la Cour des comptes. Ils concernent en premier lieu le fait que l'État peine à fixer une stratégie globale qui intègre l'action de l'AFD au sein des autres dimensions de cette politique. En second lieu, l'État a du mal à assurer de manière satisfaisante la tutelle et le pilotage de son opérateur d'aide au développement principal, au niveau central aussi bien que dans les pays de l'aide. À cet égard, l'article 7 du projet de loi vise spécifiquement à renforcer la tutelle de l'agence, tandis que le rapport annexé prévoit la création de conseils de développement dirigés par les ambassadeurs.

Je voudrais rappeler une nouvelle fois l'importance de l'évaluation et du contrôle de l'activité. C'est une priorité ! Il s'agit de sommes colossales, et il est indispensable que les conditions d'une évaluation impartiale soient définies. Nos rapporteurs auront sans doute des propositions à nous faire sur ce point lorsqu'ils nous présenteront leur rapport, dans trois semaines.

Nous avons également maintes fois regretté une insuffisante concentration des financements sur les pays qui en ont le plus besoin, tandis que le volume des prêts vers les pays à revenu intermédiaire a explosé. Nous y reviendrons certainement au cours de la séance. Les causes de ces phénomènes sont multiples mais l'AFD fait partie de l'équation et nous sommes convaincus que certains paramètres peuvent, et doivent changer !

Nous souhaiterions ainsi connaître votre regard sur ce projet de loi, sur les grandes orientations fixées par le rapport annexé et sur la programmation financière, mais aussi sur ces mesures de gouvernance et de pilotage qui concernent plus spécifiquement l'AFD.

Par ailleurs, le projet de loi autorise l'AFD à détenir le capital d'Expertise France, transformée par l'article 8 en Société par actions simplifiée. Pourriez-vous faire le point sur ce rapprochement : où en est-on aujourd'hui et quel est le point d'arrivée de cette réforme ? Je rappelle que nous entendrons également sur ce sujet Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France, en visioconférence, à la suite de la présente audition.

Monsieur le directeur général, je vous laisse vous exprimer sur ces sujets avant de donner la parole aux deux rapporteurs, Hugues Saury et Rachid Temal, puis à l'ensemble de nos collègues.

M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement. - Je vous remercie pour cette invitation. Je suis à votre disposition pour rendre des comptes sur l'action de l'AFD et débattre sur le projet de loi de programmation et la politique de développement elle-même. Ma lecture d'ensemble de ce texte est extrêmement positive. Il fournit tout d'abord l'occasion d'un débat public devant la représentation nationale sur les enjeux et les spécificités de l'action de développement, son pilotage politique, ses objectifs et ses moyens, le dernier débat ayant eu lieu en 2014. Il est essentiel pour notre agence de recevoir une orientation fixée par la loi.

Je salue l'ensemble des travaux approfondis conduits par les parlementaires depuis de longues années éclairant cette redéfinition de la politique de développement. Je pense notamment aux rapports de MM. Requier, Collin et Canevet, de Mme Keller, de M. Vial, de Mme Perol-Dumont auxquels ont succédé les sénateurs Saury et Temal. Je salue tous les travaux auxquels vous avez contribué, M. le président, avec votre regrettée collègue Marielle de Sarnez. Cette loi de programmation vient consolider ces nombreux travaux et échanges. C'est pour la première fois une loi de programmation budgétaire. Nous sommes heureux de ce signal politique. Les crédits de la mission aide publique au développement connaissent 75 % d'augmentation entre 2016 et 2022, se stabilisant à 0,55% du RNB en 2022. Ils atteignent 0,7% en 2021 compte tenu des annulations de dettes envisagées. C'est très intéressant au moment même où les Britanniques, considérés pendant vingt ans comme les leaders de la politique d'aide au développement dans le monde, ont réduit d'un tiers les crédits qui y sont alloués.

Cette loi opère aussi une redéfinition de la politique de développement. Elle mentionne les politiques partenariales, le développement solidaire, les inégalités mondiales, l'approche globale intégrée. La grande nouveauté figure à l'article 3 du projet de loi avec les objectifs de développement durable des Nations unies comme cadre de référence de cette politique qui est affirmée comme l'un des trois piliers de notre politique étrangère avec la défense et la diplomatie. C'est très important pour nous.

La loi clarifie également les modalités de pilotage de la politique de développement, depuis le conseil présidentiel pour le développement qui s'est réuni la première fois fin 2020, jusqu'au conseil local de développement qui va rassembler toute l'équipe autour de nos ambassadeurs. La loi établit le rôle leader du ministère des affaires étrangères. J'ai des réunions périodiques avec Jean-Yves Le Drian, dont je salue l'engagement et l'intérêt portés à ces questions de développement. Ce soutien politique est important, de même que la confiance dans la mise en oeuvre de ces orientations.

La loi vient considérablement renforcer l'évaluation et la transparence, ainsi que la communication. Plus les Français sont informés sur cette action, plus ils y adhèrent et la trouvent efficace. La commission indépendante d'évaluation, créée par l'Assemblée nationale, viendra apporter de l'information indépendante et scientifique dans le débat public. Je suis très favorable à ce que l'agence soit soumise à cette analyse.

Ce texte vient en fin de mandature. Nous l'attendions depuis longtemps. Cela n'enlève rien à sa force. Il clarifie et consolide le mouvement et la transformation de cette politique engagée en 2015 et accélérée depuis 2017 dont l'AFD a grandement bénéficié. Il reste des questions à régler. Elles doivent être débattues afin que notre mandat soit plus clair et légitime. Je pense que nous sommes cohérents dans notre action. Les parlementaires qui siègent dans notre Conseil d'administration sont les vigies et les acteurs de cette cohérence et nous seront heureux d'accueillir prochainement vos quatre nouveaux représentants, si le texte reste en l'état ! Ils renforcent le lien politique avec les Français.

Il y a une forte croissance des engagements de l'AFD, qui a eu lieu préalablement à la loi, suscitant des interrogations. Le texte ramène ce montant à 12 milliards d'euros d'engagement annuel. On entre dans une période de consolidation et de rééquilibrage entre les différents produits financiers. Nous avons atteint la taille d'une banque régionale de développement, ce qui nous donne une influence proportionnée à notre pays. La loi confirme les priorités géographiques fixée à l'agence, notamment l'Afrique, et les priorités sectorielles. Je serai très attentif au débat devant la Haute assemblée, cette partie du texte ayant été largement discutée à l'Assemblée nationale, notamment sur les enjeux d'égalité homme/femme et les droits de l'enfant.

Enfin, le texte nous encourage à nous transformer en plateforme au service de toutes les parties prenantes, les collectivités locales, la société civile et les entreprises. Il s'agit de « mettre notre pays en coopération ». C'est sur cette base collective de solidarité que nous pouvons bâtir une coalition internationale. Je pense à l'Alliance pour le Sahel ou au sommet « Finance en Commun ».

C'est un excellent texte qui, j'espère, recevra l'unanimité de vos suffrages, comme à l'Assemblée nationale après un débat intensif. Il y a évidemment dans le texte plusieurs dispositions concernant directement l'AFD sur lesquelles je pourrais revenir. Le renforcement d'Expertise France, auquel le Sénat est très attaché, est prévu par le texte, qui prévoit une gouvernance assurant toute l'autonomie nécessaire à Expertise France et garantit une synergie entre l'aide financière et l'aide humaine. Cela va renforcer notre action et relancer cette expertise, cette dimension humaine dont le nombre d'acteurs s'était beaucoup réduit.

Le 1% mobilité est également un outil très important. Le dispositif en matière d'eau, dite « loi Oudin », a fait ses preuves. Nous avons la réplique dans un autre domaine d'excellence de l'offre française. L'AFD se met en ordre de marche pour aller chercher les collectivités locales qui souhaitent développer leur coopération.

Il y a plusieurs dispositions qui concernent directement l'AFD : Expertise France, le 1% mobilité, la question des biens mal acquis et la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme en zone de crise. Un article a été ajouté pour qu'un rapport soit remis au Parlement sur ces sujets très sensibles, notamment dans le Sahel.

M. Hugues Saury. - Je vous remercie, Monsieur le directeur général, pour vos propos. L'une des ambitions affichées du projet de loi est de renforcer l'exercice de la tutelle de l'État sur l'AFD, au niveau national et au niveau du pays partenaire afin de garantir la bonne utilisation des crédits budgétaires de l'État et de répondre devant le Parlement de l'efficacité de ces dépenses qui vont croissantes. Nous nous félicitons de cette disposition souhaitée à la fois par le Parlement et la Cour des comptes. Toutefois, la valeur ajoutée de ce texte n'apparaît pas aussi nettement qu'annoncé. Les textes sur l'AFD restent en grande partie inchangés même s'ils passent du niveau réglementaire à législatif.

À votre avis, en quoi ce projet de loi favorise-t-il en particulier des axes stratégiques et un meilleur pilotage et quels sont les éléments qui permettent de garantir la bonne utilisation des crédits de l'État ?

Enfin, je souhaiterais évoquer le rapprochement de l'AFD et Expertise France. Comment a évolué l'activité de cette dernière depuis le début de cette union ? A-t-elle dû abandonner certains aspects de son activité ? Ses relations avec les bailleurs ont-elles continué à se développer ? Pourriez-vous nous donner des exemples de ces nouvelles « offres intégrées » dont vous nous aviez parlé lors d'une précédente audition, mises en oeuvre par les deux agences ? Enfin, la gouvernance d'Expertise France prévue par le projet de loi vous paraît-elle pertinente ?

M. Rachid Temal. - Avant tout, je voudrais faire une remarque sur ce projet de loi tant attendu. Ce texte, dit de programmation, ne couvre en réalité que l'année 2022, comme le fera la prochaine loi de finances. C'est un des reproches que l'on peut faire à ce texte, je regrette qu'il n'y ait pas d'engagements financiers pour les années 2023 à 2025. C'est un manque dans une loi de programmation. Mais nous aurons l'occasion de déposer des amendements.

Je ne pense pas que ce texte règle beaucoup de choses sur la tutelle politique. Ainsi, le conseil présidentiel vient plutôt complexifier la situation.

Ma question porte sur les engagements financiers de l'AFD, avec d'une part l'augmentation des moyens budgétaires et le réendettement progressif et conséquent d'un certain nombre de pays. Les prêts de l'AFD restent-ils un bon outil ? Allez-vous stabiliser les encours à hauteur de 12 milliards d'euros, comme le demande l'État ? C'est aussi la question du lien entre les prêts et les dons. Maintenant qu'Expertise France rentre dans le groupe AFD, pourrions-nous imaginer que le groupe AFD ait trois pôles : les prêts, les dons et l'expertise ?

Ma seconde question porte sur l'apport véritable de ce texte, le conseil local de développement, qui rassemble, sous l'autorité de l'ambassadeur, tous les acteurs du développement local. Est-ce que cela va changer vos relations avec les ambassadeurs ? Comment imaginez-vous l'intégration des sociétés civiles locales dans ce conseil ?

M. Rémy Rioux. - Il me semble que la loi permet de progresser sur l'exercice de la tutelle et le pilotage politique de l'agence. Elle élève au niveau de la loi des mécanismes qui n'étaient conçu qu'au niveau de conventions ou de textes réglementaires. Elle leur donne une force supérieure. Elle fait figurer explicitement le rôle du ministre des affaires étrangères dans le pilotage de cette politique et ajoute ce conseil local de développement autour de nos ambassadeurs, qui va apporter des précisions et de la cohérence dans la programmation des actions de développement. C'est une orientation que j'avais donné dès mon arrivée en poste à l'agence en 2016. Il est important d'être proche de l'ambassadeur. L'avis de ce dernier est requis à deux étapes du projet : très en amont lors de son identification et avant l'approbation par l'AFD.

Nous travaillons actuellement sur la déclinaison des nouvelles dispositions législatives dans le fonctionnement quotidien, au niveau de la convention-cadre entre l'État et l'AFD, et sur la gestion des dons dans les pays. L'agence aspire à un pilotage politique, seul gage d'une plus grande ambition.

Concernant les produits financiers et le rapprochement avec Expertise France, nous allons devoir organiser le groupe AFD avec cette nouvelle filiale et construire cette offre intégrée qui comprendra différents produits financiers et des interventions non financières (assistance technique, renforcement de capacités, recherche, formation...). L'idée est d'avoir les instruments d'une politique forte plutôt que de faire la politique de ses instruments, comme on l'a fait trop longtemps, au prix d'une forte réduction des moyens humains de coopération. Nous sommes en train d'inverser cette tendance. Nous avons déséquilibré notre modèle en faveur des prêts faute de moyens budgétaires suffisants. Le rééquilibrage est engagé avec ce milliard d'euros voté en 2019. Maintenant il faut trouver le meilleur instrument financier compte tenu du problème de développement qui nous est présenté. Je ne pense pas qu'il faille séparer la gestion des dons et celle des prêts. En revanche, il est utile d'isoler la partie expertise dans sa capacité à nouer d'autres partenariats. Depuis notre rapprochement avec Expertise France, ce dernier n'a rien abandonné de son champ géographique d'intervention, ni de son champ sectoriel, légèrement différent de celui de l'AFD. Notre autre filiale Proparco n'a pas non plus exactement le même champ d'intervention géographique et sectoriel que l'AFD.

Je tiens à votre disposition des fiches pays où vous pourrez voir la palette des interventions possibles des trois entités de notre groupe, avec les partenaires, les clients publics pour l'AFD, le secteur privé pour Proparco, et la partie humaine et technique pour Expertise France. Dans chaque pays, il faudra voir comment orienter et pondérer l'ensemble de ces instruments.

Il me semble que dans le texte voté par l'Assemblée nationale, l'ambition est bien poussée jusqu'en 2025. L'objectif de 0,7% de notre revenu national brut est expressément mentionné. Il est également prévu un débat dans le deuxième semestre 2022. Je m'en remets au gouvernement sur la durée de validité de la programmation budgétaire.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur de la commission des finances. - Cette loi de programmation était très attendue. La commission des finances est saisie pour avis sur ce texte et donnera son avis sur les sujets budgétaires.

L'article 9 prévoit le rattachement de la commission d'évaluation à la Cour des comptes. En quoi la Cour des comptes est-elle spécialement compétente pour évaluer l'aide publique au développement ?

Comment les personnels de l'AFD et d'Expertise France perçoivent leur rapprochement de structure et de statut ?

M. Rémy Rioux. - Le texte ne prévoit pas de contrôle de la Cour des comptes, en tant que telle, à ce stade. Le texte prévoit juste que cette commission d'évaluation indépendante est hébergée par la Cour des comptes. Il revient au gouvernement de débattre sur sa composition et sa mission. Le rapport de votre collègue Hervé Berville, en date de septembre 2018, précisait qu'il s'agissait bien d'évaluation et non de contrôle. Le contrôle de la gestion de l'AFD est déjà assuré par la Cour des comptes et par les différents corps d'inspection de nos ministères de tutelle, ainsi que par nos dispositifs internes. Il s'agit de mesurer notre impact sur la vie des populations à qui nous apportons notre aide et sur les politiques publiques des pays où nous intervenons. Ce sont des compétences qu'il va falloir aller chercher. La Cour des comptes me semble une institution intéressante à ce titre pour deux raisons : son autorité et sa crédibilité, ainsi que l'hébergement de structures déjà existantes. Le Parlement y a d'ailleurs recours. En tout cas, nous sommes très heureux de cette instance indépendante d'évaluation.

Sur la question des ressources humaines, je pense que les salariés des deux maisons sont très enthousiasmés par ce rapprochement. C'est à l'évidence un projet stratégique. J'ai lancé la révision du statut du personnel de l'AFD. Le statut actuel résulte d'un arrêté du ministre des finances qui date de 1998. Il a vécu et n'a pas encore intégré toutes les évolutions qui ont eu lieu depuis lors. On cherche à maintenir les spécificités des statuts de chaque filiale, liées à leur cadre juridique et à leurs métiers. On cherche les éléments communs afin que la vie sociale et la mobilité au sein du groupe soit plus cohérente. Ce projet de rapprochement donne des perspectives de carrière très appréciées de nos collègues, notamment ceux d'Expertise France.

M. Christian Cambon, président. - Je vous ai entendu dire que le Parlement devait davantage se pencher sur l'évaluation, laissant le contrôle aux corps d'inspection. J'ai beaucoup de respect pour ces derniers mais le Parlement a un aussi rôle de contrôle, d'autant plus qu'il s'agit de sommes importantes, 12 milliards d'euros d'engagements ! Dans le cadre de ses compétences, le Parlement doit pouvoir contrôler l'utilisation de cet argent public en faveur du développement, sachant que les corps d'inspection font également leur travail.

M. Olivier Cigolotti. - Le 25 mai dernier, vous avez lancé, en partenariat avec le ministère des outre-mer, une initiative dénommée « Outre-mer en commun », dotée d'un fonds d'un milliard d'euros, destinée à apporter une réponse à la crise sanitaire et à l'impact économique pour les territoires ultra-marins. La pandémie a touché presque tous les territoires, or, dans le projet de loi ne figure pratiquement aucune disposition particulière sur les territoires ultra-marins. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

M. Jacques Le Nay. - Depuis 2015, votre agence suit une stratégie 100% accords de Paris. Elle ne soutient plus les projets allant à l'encontre de la réduction des émissions des gaz à effet de serre et de l'adaptation aux impacts du dérèglement climatique. Avez-vous pu mesurer l'impact de cette stratégie ? A-t-il été difficile de trancher contre certains projets intéressants mais ne rentrant pas dans les critères écologiques désormais défendus par votre agence ?

Devant les députés, vous avez émis le souhait de faire de nos Outre-mer des plateformes de coopération avec les pays voisins. À quels projets pensez-vous ? Les collectivités territoriales de nos territoires ultra-marins n'ont-elles pas un rôle prééminent à jouer dans le cadre d'une telle coopération ?

M. Philippe Folliot. - Certains pays font en sorte que les aides qu'ils accordent au développement entrent dans une stratégie globale de puissance et d'influence. L'objectif de ce texte est très altruiste et multilatéraliste à certains égards, en accord avec la convention de Paris. Dans votre esprit et au regard de ce texte et de la stratégie de l'AFD, peut-il y avoir un continuum entre l'action que mène la France sur le terrain, notamment au Sahel, et les actions civilo-militaires menées par nos forces armées ? A-t-on une vision à long terme ? Y a-t-il un élément de discrimination positive dans les projets financés par rapport à la défense de la francophonie ?

M. Jean-Marc Todeschini. - Expertise France devient une filiale de l'AFD, son directeur sera nommé par le gouvernement. Quelle sera l'articulation entre l'AFD et Expertise France ? Certaines parties du texte méritent des éclaircissements. Ainsi, à l'article 26, la France fait preuve d'une exigence accrue vis-à-vis des partenaires au développement et promeut une logique de réciprocité. Cela ne va-t-il pas changer la nature même de l'aide ? L'AFD est mandataire pour les actions spécifiques en outre-mer, ce qui n'est pas le cas d'Expertise France. Quelle va être la cohérence des actions menées par la filiale ?

M. Rémy Rioux. - En évoquant les corps d'inspection et la Cour des comptes, je ne visais que l'exécutif. Le contrôle parlementaire est bien évidemment présent. J'avais d'ailleurs cité en introduction les nombreux rapports parlementaires qui sont aussi des actions de contrôle sur l'AFD. Nous sommes en permanence sous votre regard !

S'agissant de l'outre-mer, on a dépassé le milliard d'euros l'année passée. « Outre-mer en commun » était la marque de réorientation de notre plan pour répondre à la crise covid dans sa dimension sanitaire et économique. Le 1,2 milliard d'euros représente une augmentation significative par rapport à 2019 pour répondre à l'urgence, notamment dans le Pacifique. Le texte porte sur la politique de développement, donc plutôt sur notre activité dans les pays étrangers. Il y a une cohérence dans notre action dans les territoires ultra-marins qui sont eux-mêmes en coopération et en lien avec les pays voisins. Nous avons changé l'organisation de l'AFD pour développer une stratégie « Trois océans » dans laquelle nous avons placé les territoires ultra-marins et les pays voisins pour une meilleure intégration régionale. Nous avons un programme sur la biodiversité dans le Pacifique, que nous menons avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Je suis très favorable à ce que vous ameniez cette dimension ultra-marine dans vos débats, de même que l'action de Proparco et d'Expertise France qui n'est pas prévu à ce stade en Outre-mer. Les filiales peuvent tout à fait recevoir des mandats distincts et des orientations différenciées de votre part.

S'agissant de l'alignement 100% accord de Paris, nous avons développé depuis plus de six ans une procédure interne à l'AFD, « l'avis développement durable ». Nous notons chacun des projets selon les différentes dimensions du développement durable, en particulier la dimension climatique et environnementale, comme la biodiversité. En cas de notes négatives, les projets ne sont pas financés. Nous garantissons ainsi que tous les financements de l'AFD aient une contribution positive pour le climat et le développement durable. En 2020, nous avons été les premiers à faire une émission obligataire « durable » sur les marchés financiers, à l'instar des obligations vertes, afin de financer notre propre agence.

Je partage l'avis du sénateur Folliot sur la stratégie globale. Je me suis félicité de notre stratégie en trois D « Défense, Diplomatie, Développement » étroitement articulée. C'est ce que nous cherchons à faire, notamment dans le Sahel, où ces trois composantes de la politique internationale de la France sont très présentes. Nous devons montrer comment nous articulons les actions de développement selon l'approche territoriale intégrée. On fait de la cartographie commune. Nous essayons de programmer nos propres actions en cohérence, en vue d'une programmation conjointe, de façon à être le plus efficace possible.

J'ai eu l'occasion d'intervenir récemment devant la section française de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), où j'ai rappelé que 50% des financements de l'AFD étaient engagées dans un pays membre de l'organisation internationale de la francophonie. J'ai même dit que le français était la langue du développement par la diversité de ses actions. La francophonie est un axe essentiel dans la programmation de nos actions. Nous favorisons également l'enseignement du français. Je serai ravi de poursuive la discussion sur ce sujet que je considère comme majeur.

Enfin, sur la logique de réciprocité, il s'agit de parler des valeurs de notre aide, des priorités, et d'engager nos partenaires à suivre les mêmes pratiques. Nous y sommes très attentifs.

M. Richard Yung. - Je me félicite des priorisations dans le projet de loi, sur les pays et sur les thèmes. Quelles sont vos relations avec la Caisse des dépôts ? À une époque, on en entendait beaucoup parler, qu'en est-il aujourd'hui ? Et pour la BPI ?

Concernant la gouvernance, je suis inquiet de voir la multiplication de tous ces conseils : un conseil présidentiel, un Comité interministériel du développement et de la coopération internationale (CICID), un Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) et un conseil pour les collectivités locales. Comment fait-on pour assurer la cohérence et respecter les limites de leurs actions ?

Mme Michelle Gréaume. - L'aide de la France se fait en majorité par des prêts, contrairement à la majorité des autres pays. Ne pensez-vous pas que l'endettement des pays bénéficiant de ces prêts nuise à leur capacité d'investissement et de structuration administrative ? Je regrette enfin qu'aucun travail de fonds n'ait été amorcé sur la taxe sur les transactions financières (TTF) dans ce texte. Qu'en pensez-vous ?

M. Yannick Vaugrenard. - Vous avez évoqué les trois D « Défense, Diplomatie, Développement ». Nos militaires sont au Sahel et, en particulier au Mali, depuis huit ans. La victoire ne sera pas que militaire, si elle l'est, mais également politique. Il est par conséquent nécessaire d'avoir un accompagnement économique, social, voire administratif. Durant les prochaines années, quel développement soutenu va être engagé dans cette zone du Sahel et pouvons-nous espérer une aide plus importante et efficace de nos partenaires européens ?

M. Guillaume Gontard. - Comme vous l'avez rappelé, l'AFD a fait office de pionnier en 2017 en s'engageant à rendre ses activités 100% compatibles avec l'accord de Paris. Une part importante des financements de l'AFD s'effectue via des intermédiaires financiers. Comment est-il possible d'évaluer de manière indépendante les effets de ces financements et leur alignement avec les accords de Paris ? Je voudrais prendre comme exemple un prêt de 60 millions d'euros accordé en 2015 à la First Bank du Nigéria par Proparco, destiné à soutenir le secteur privé nigérien. Or en 2017, il était évalué que 43% des prêts de cette banque étaient dirigé vers des projets d'énergie fossile, pétrole et gaz ! Des prêts peuvent ainsi financer indirectement des projets de ce type. Comment améliorer la transparence, la traçabilité et l'évaluation de ces prêts aux établissements financiers ainsi que la manière d'évaluer après coup ces projets ?

M. Rémy Rioux. - Notre alliance avec la Caisse des dépôts se poursuit. Nous avons été partenaire en novembre dernier sur les banques publiques de développement et la Caisse des dépôts est venue amener toutes son expérience dans les discussions. Les équipes techniques ont toujours continué à échanger régulièrement compte tenu de la durée de la crise économique pour faire le lien entre les enjeux internationaux. Nous avions créé un fonds d'investissement STOA, pour accompagner les entreprises françaises pour mener des projets significatifs à l'international. La quasi-totalité des fonds est désormais engagée dans des projets sur lesquels nous pouvons vous rendre des comptes.

BPI France est une filiale de la Caisse des dépôts avec laquelle nous venons de signer une nouvelle convention pour donner un mode d'emploi aux entreprises dans leur capacité à interagir avec la banque des PME en France et Proparco à l'étranger.

La France n'est pas la seule à intervenir avec des prêts, l'Allemagne, le Japon, la Banque mondiale interviennent essentiellement avec des prêts à très long terme, à taux faibles, qui permettent d'avoir un effet financier significatif.

Sur la difficulté que rencontrent un certain nombre de pays en développement compte tenu de la situation de leur endettement, il y a de nombreuses discussions sur le plan international, y compris avec les bailleurs émergents comme la Chine, pour leur redonner de l'espace financier. C'est également important d'avoir des subventions pour ne pas surendetter des pays qui seraient en difficulté, comme les Fonds verts pour le climat pour des projets dans l'Océan indien.

Je renvoie le débat sur la TTF au gouvernement, n'étant pas directement concerné.

Je suis d'accord avec le sénateur Vaugrenard sur la nécessité de faire plus de place aux questions de développement, d'éducation, de santé ...

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, je vous propose de mettre un terme à cette audition en raison des problèmes techniques de visioconférence que nous rencontrons, et de demander une réponse écrite aux dernières questions posées.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales - Audition de M. Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France

M. Christian Cambon, président. - Monsieur le directeur général, nous sommes heureux de vous auditionner sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, que notre commission examinera prochainement. Nous avions déjà eu le plaisir de vous entendre, le 13 mai dernier, sur le contrat d'objectifs et de moyens (COM) d'Expertise France pour la période 2020-2022, et les mesures prises par votre agence pour lutter contre le coronavirus.

Vous connaissez l'attention toute particulière que le Sénat porte à Expertise France, créée en 2014, sous l'impulsion de notre commission, par la fusion de multiples opérateurs d'expertise ministériels. Cette réforme a ainsi mis fin à l'atomisation de l'expertise française, en nous dotant d'un opérateur unique et puissant, capable de projeter nos savoir-faire dans le monde entier, à l'instar de certains de nos voisins.

Depuis sa création, l'activité d'Expertise France connaît une croissance rapide : alors qu'en 2014 les opérateurs d'expertise réalisaient un chiffre d'affaires de 105 millions d'euros seulement, celui de l'agence issue de leur regroupement a atteint 230 millions d'euros, soit plus du double.

Expertise France a d'ailleurs connu une crise de croissance, avec un modèle économique fragile fondé sur l'autofinancement et une situation sociale parfois délicate. Cependant, dans le cadre du nouveau COM, l'État a décidé de contribuer à l'équilibre financier de l'agence, notamment lorsque celle-ci met en oeuvre des projets financés par des crédits de l'Union européenne. Nous nous félicitons de cette décision qui va permettre à votre agence de continuer à se développer.

Le projet de loi que nous allons examiner vous concerne à deux égards.

En premier lieu, il définit la stratégie globale, les objectifs et les moyens de notre politique de développement solidaire, à laquelle Expertise France contribue. Pourriez-vous nous expliquer comment votre agence trouve sa place dans ce dispositif, et nous présenter les objectifs spécifiques qui lui sont fixés ainsi que ses grandes priorités ?

En second lieu, les articles 7 et 8 du projet de loi transforment Expertise France en société par actions simplifiée (SAS) et organisent son intégration au sein du groupe de l'Agence française de développement (AFD). Pourquoi avoir choisi le statut juridique de SAS plutôt que celui de groupement d'intérêt public ou de société anonyme ? Cette forme juridique vous permettra-t-elle de poursuivre l'intégralité de vos activités actuelles, notamment en relation avec l'Union européenne, y compris dans le domaine de la sécurité ? L'intégration au sein du groupe AFD est en réalité déjà largement entamée : pourriez-vous nous en dresser le bilan ? Cette opération a-t-elle déjà eu des conséquences sur le volume et la nature de vos activités ?

Je vous donne la parole pour un exposé liminaire, puis les rapporteurs du projet de loi, Hugues Saury et Rachid Temal, et les autres membres de la commission, vous interrogeront.

M. Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France. - Je regrette de ne pas être présent parmi vous ce matin, car je me suis autoconfiné à mon retour de mission en Guinée et en Côte d'Ivoire.

À titre liminaire, je souhaite saluer le travail du Sénat, qui est à l'initiative de la création d'Expertise France, ainsi que l'action des sénateurs Marie-Françoise Pérol-Dumont, Christophe-André Frassa et Isabelle Raimond-Pavero au sein de notre conseil d'administration.

Le projet de loi marque une rupture historique en matière de coopération technique, qui s'inscrit dans le droit-fil des recommandations formulées par le Sénat dans ses rapports sur le sujet. En effet, après des années de réduction des moyens budgétaires qui lui étaient alloués, cette coopération était devenue le parent pauvre de la politique d'aide publique au développement, marquée par l'arrêt des dispositifs lancés dans les années 1970-1980. Le nombre d'experts s'est lui aussi réduit : alors qu'il existait quelques dizaines de milliers de coopérants par le passé, la France compte aujourd'hui quelque 200 experts techniques internationaux portés par Expertise France pour le compte du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, auxquels s'ajoutent environ 250 experts mobilisés sur projets. D'autres pays - Allemagne, Japon - ont maintenu un effort de coopération technique important, en s'appuyant parfois sur plusieurs milliers d'assistants techniques.

Aussi le dispositif français avait-il besoin d'être rénové et renforcé ; l'ambition affichée par le projet de loi à travers le cadre de partenariat global est donc bienvenue, de même que les décisions prises par le Conseil présidentiel du développement visant, d'une part, à augmenter le nombre d'experts techniques internationaux à travers le doublement de la commande du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et, d'autre part, le renforcement du rôle d'Expertise France pour attirer de nouveaux publics (jeunesse, diasporas) vers la coopération technique.

Pour ce faire, l'État pourra s'appuyer sur Expertise France qui est un acteur solide. Sa taille a doublé en quatre ans, et son chiffre d'affaires devrait être supérieur à 300 millions d'euros cette année. Cette forte croissance traduit le besoin d'une expertise française à travers le monde, à laquelle nous devons pouvoir répondre.

Le contrat d'objectifs et de moyens passé avec l'État a permis de définir un modèle économique durable, grâce notamment au mécanisme de soutien qui nous permet de mobiliser, chaque année, entre 150 et 200 millions d'euros de fonds européens, pour un coût d'environ 6 millions d'euros pour l'État français.

Notre agence est l'opérateur interministériel de la politique française de coopération. Expertise France a su développer des compétences dans les domaines de la santé, de la gouvernance, du développement durable, du développement humain, de la sécurité et de la défense, et prochainement dans celui de la justice avec l'intégration de Justice coopération internationale (JCI) à la fin de l'année. Expertise France est aujourd'hui la deuxième agence européenne dans le domaine de la coopération technique, après la GIZ allemande. Ce projet de loi met en avant une coopération technique plus partenariale, en rationalisant les instruments de cette politique. Il fixe en outre un cadre de partenariat global dont nous partageons les priorités. L'Afrique est la priorité absolue d'Expertise France qui y consacre l'essentiel de son activité. Nous appuyons nos États partenaires dans plusieurs domaines - santé, etc. - définis comme prioritaires par le Quai d'Orsay.

Le traitement des crises et des fragilités représente une autre part importante de l'activité de l'agence. Nous agissons dans des pays ou des régions fragiles tels que le Sahel, le Proche-Orient, la République centrafricaine et la Libye, dont la stabilité est cruciale pour la France et l'Europe. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement nous demande d'y être présents.

La question de la gouvernance est l'une des priorités de l'agence, dans tous ses aspects : gouvernance démocratique, justice, retour de l'État de droit, gouvernance économique et financière.

Le projet de loi rationalise le dispositif de coopération en intégrant Expertise France à l'AFD, sans préjudice de ses spécificités. La décision d'intégration avait été prise par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) en février 2018, ce qui nous a laissé du temps pour la préparer. Cette réforme essentielle nous a déjà permis de développer des synergies, et nous permettra d'être efficace et de nous démarquer sur le plan européen. Le renforcement de nos moyens et la complémentarité entre l'assistance technique et les financements, fait de nous un acteur unique en Europe - voire dans le monde -, auquel nos partenaires, de même que les délégations de l'Union européenne, sont attentifs.

Les spécificités d'Expertise France justifient son maintien ainsi que son rattachement au groupe AFD comme filiale, tout en conservant une certaine autonomie. L'agence aura des missions de service public qui sont définies dans le projet de loi et qui pourraient être renforcées. Elle aura le statut de SAS, ce qui est classique pour une filiale d'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). La souplesse de ce statut permettra d'organiser une gouvernance avec un rôle important de l'État, la présence de parlementaires - deux sénateurs et deux députés - et d'une représentation de la société civile.

Pour son activité, Expertise France n'est pas dépendante de l'AFD. En effet, l'activité sur financement de l'AFD représente près du quart de notre activité - probablement le tiers l'an prochain -, quand les financements de l'Union européenne représentent plus de la moitié. Nous sommes également un partenaire important des Nations unies, et de fonds comme UNITAID dans le domaine de la santé ; nous conserverons ces relations, parallèlement aux mandats que l'État nous a confiés - gestion des expertises techniques internationaux, initiative 5 % en matière de santé mondiale, commande publique des ministères.

Au sein du groupe AFD, nous serons un levier de mobilisation de l'expertise publique. Nous lui apporterons notre connaissance pour coopérer avec des pays autres que ceux en développement, puisque nous sommes présents au sein même de l'Union européenne, dans des domaines tels que la sécurité et la défense.

Ce projet est aussi fédérateur sur le plan social, et suscite des attentes chez nos salariés.

Le projet de loi conforte Expertise France dans son rôle d'acteur clé de la coopération et du développement. L'amendement du rapporteur à l'Assemblée nationale, Hervé Berville, sur la gouvernance de l'agence et la clarification du rôle de directeur général, était bienvenu car il permet d'assurer la stabilité de cette gouvernance qui a connu des difficultés par le passé. En outre, il est important de conserver l'agilité d'Expertise France en précisant ses missions de service public ; cela est essentiel pour notre positionnement vis-à-vis de nos partenaires dans le monde.

Par ailleurs, nous devons être réactifs et prendre des décisions rapidement. À cet égard, je me réjouis que l'Assemblée nationale ait réduit les délais exécutoires des décisions prises par le conseil d'administration, passant de 15 à 8 jours, même si un délai de 24 ou de 48 heures serait préférable dans certains cas.

Enfin, la filialisation au sein du groupe AFD est l'un des objectifs de ce projet de loi. Ce texte parle toutefois d'un transfert d'Expertise France à l'État, sans mentionner l'AFD ; il serait donc utile d'en préciser les modalités, afin de pouvoir intégrer le groupe AFD dès le 1er juillet prochain.

Ce projet de loi ambitieux est donc nécessaire pour nous permettre d'être présents sur le terrain et renforcer notre politique d'influence, comme l'a indiqué le ministre Jean-Yves Le Drian.

M. Hugues Saury. - Vous avez insisté sur le lien avec l'État par le biais d'un contrat d'objectifs et de moyens. Les missions d'Expertise France sont actuellement décrites avec précision dans l'article 12 de la loi du 27 juillet 2010. Or l'article 8 du projet de loi lui substitue une définition lapidaire, qui n'évoque même plus la notion d'expertise, ni même les liens nécessaires avec les ministères.

N'est-ce pas un problème, d'autant que le rapprochement avec l'AFD pourrait justement avoir pour effet de distendre les liens avec les ministères pourvoyeurs d'expertise ?

En 2020, Expertise France devait renouveler l'accréditation lui permettant de recevoir des délégations de financement de la Commission européenne. Cette accréditation a-t-elle finalement été délivrée ?

M. Rachid Temal. - Les députés ont marqué des hésitations sur la nature de la gouvernance qu'il convenait de mettre en place pour votre établissement. En principe, le statut de société par actions simplifiée (SAS), prévu par le projet de loi, implique l'existence d'un Président de la SAS doté de larges pouvoirs. En même temps, le Gouvernement voulait préserver le lien fort avec l'État en assurant une présence importante au Conseil d'administration. Les députés ont finalement recréé un poste de directeur général à côté de celui de président du Conseil d'administration. Cette configuration vous paraît-elle pertinente ? De manière plus générale, n'y a-t-il pas une contradiction à vouloir en même temps rattacher Expertise France à l'AFD et maintenir un lien fort entre Expertise France et l'État ?

Comment se déroule actuellement le dialogue social au sein d'Expertise France ? Les évolutions de l'équilibre économique, avec un meilleur soutien de l'État, et le rapprochement avec l'AFD, ont-ils permis d'améliorer la situation par rapport aux premières années d'existence de l'organisme ?

M. Jacques Le Nay. - Quelle évolution du rôle de l'Union européenne dans le domaine du développement peut-on constater ? La France peut-elle apprendre des modèles nationaux européens en matière de développement ? Quel rôle jouent aujourd'hui les collectivités territoriales françaises en matière d'aide publique au développement ? Ont-elles une expertise particulière sur des projets de coopération à l'échelle locale ?

M. Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France. -L'Union européenne a repoussé d'un an la ré-accréditation de l'ensemble de ses partenaires à la fin de l'année 2021. Nous avons déjà réalisé l'audit blanc. Nous ne sommes pas inquiets. Sur les statuts et l'article 8 du projet de loi, ce qui relève du niveau législatif est sans doute la précision sur les missions de service public de l'agence, point qui - comme je le disais tout à l'heure - est absolument essentiel. La description des missions fera l'objet de précisions dans nos statuts, comme pour toute société, et il sera très important dans ce cadre-là de rappeler tous les points que vous avez indiqués, notamment notre mandat, notre rôle, les liens avec l'État. Nous y serons évidemment très vigilants.

Le dispositif actuel est le suivant : un président du conseil d'administration délègue ses pouvoirs au directeur général. C'est un bon système. Il assure une gouvernance saine avec un président - une présidente, en l'espèce Laurence Tubiana - dont le rôle d'animation des travaux du conseil d'administration et des administrateurs se fait de manière extrêmement fluide. C'est un dispositif satisfaisant. Le projet de loi tient compte du fait que la SAS n'a pas en principe de directeur général. Par ailleurs, la mission même d'Expertise France nécessite une proximité très grande de l'opérateur avec l'État, avec l'administration centrale, dans la gestion des outils d'intervention, des experts techniques internationaux, avec les postes diplomatiques. Nous avons mis en place un dispositif pour remplacer une comitologie qui était compliquée, afin de faire en sorte qu'il y ait des discussions stratégiques par grand secteur d'activité de l'État sur les différents aspects de la coopération technique internationale, ce qui nous permet de nourrir ce dialogue avec l'Etat et de nous assurer que nous sommes bien en lien avec les priorités, en matière de coopération internationale, des ministères. Il n'y a donc pas d'ambiguïté ou de difficulté à être au sein du groupe AFD tout en gardant une relation privilégiée avec l'État. D'autres dispositifs fonctionnent sur ce mode, comme la gestion des garanties publiques sur l'export au sein de BPI France, qui a des relations très étroites avec l'État.

Nous avons beaucoup de choses à apprendre de l'Union européenne. D'abord, comme je le disais en introduction, Expertise France est une agence aussi européenne que française dans son activité. Nous avons donc des relations très fortes avec l'Union européenne. Nous avons aussi un travail à faire en commun avec nos pairs, les autres agences de coopération technique. Je mentionnais la GIZ, il y a d'autres agences, Enabel en Belgique, la FIAP en Espagne, avec lesquelles nous montons des projets. Nous avons un même modèle au sein de l'Europe, un même modèle social, un même modèle de gouvernance, qu'il est important de promouvoir et sur lequel nous avons une expérience à partager au niveau mondial. Cette expérience est aussi le fait des collectivités locales françaises et vous avez tout à fait raison de l'indiquer. Aujourd'hui, les collectivités territoriales françaises sont une source très importante d'expertise pour nous. D'ailleurs, un certain nombre de cadres territoriaux sont extrêmement volontaires pour participer à des actions de coopération internationale. Je l'évoquais avec le président Rousset il y a quelques semaines. C'est évidemment très important, c'est un vivier. Les collectivités territoriales sont des partenaires qui jouent vraiment un rôle de plus en plus central dans les projets que nous menons à travers le monde et nous nous en réjouissons.

M. Christian Cambon, président - La commission va continuer ses travaux sur ce texte. Le rapport sur le projet de loi sera adopté dans trois semaines et nous souhaitons bon vent à Expertise France, en vous redisant l'attachement que notre commission porte à cette institution. Les succès que vous remportez montrent que ce rassemblement des énergies était justifié.

La réunion est close à 11 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.