Mercredi 26 mai 2021

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de MM. Pascal Cormery, président et François-Emmanuel Blanc, directeur général de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA)

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous entendons ce matin MM. Pascal Cormery, président, et François-Emmanuel Blanc, directeur général, de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA).

J'ai en effet souhaité que nous fassions un point sur la situation de la Caisse et en particulier sur ses actions dans le domaine des retraites.

La question des petites retraites est bien connue du Sénat et de notre commission. Les causes sont bien identifiées : la faiblesse des revenus et des cotisations moins élevées sur ces faibles revenus.

Le Gouvernement a annoncé que le texte portant la pension minimale des agriculteurs à 85 % du Smic, adopté au Sénat après de nombreuses péripéties, serait mis en oeuvre en novembre prochain. Pourquoi novembre ?

Nous voudrions savoir où en est le degré de la préparation de la caisse, en particulier de ses systèmes d'information, pour la mise en oeuvre de ce dispositif et obtenir des précisions sur son financement. Nous avons compris que des difficultés particulières persistaient dans les outre-mer et nous souhaiterions des précisions sur ces dernières et dans quel délai elles pourront être résolues.

Alors que l'Assemblée nationale examinera le 17 juin prochain une proposition de loi relative aux conjoints collaborateurs, dans quelle mesure les nouveaux outils de liquidation des pensions, notamment la liquidation des régimes alignés, permettent à la CCMSA d'identifier les bénéficiaires de retraite inférieure à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) et de s'inscrire dans une logique « d'aller vers » ces personnes. Nous sommes frappés dans nos départements par l'interpellation de personnes bénéficiaires de pensions très faibles alors qu'il existe des outils pour leur procurer très rapidement un revenu plus élevé.

Je vous laisse la parole.

M. Pascal Cormery, président de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA). - Je prends quelques instants pour présenter la CCMSA. Nous avons 5,5 millions de ressortissants, plus de 16 000 élus, 14 000 salariés et 9 000 salariés sur l'offre de services dans nos différentes associations. Nous sommes à la fois un organisme de protection sociale, le deuxième après le régime général, et une organisation professionnelle agricole. Nous avons une gouvernance assumée par nos ressortissants, les salariés du monde agricole, les employeurs de main d'oeuvre et les exploitants à titre principal. Nous avons la spécificité de disposer en notre sein de l'ensemble des branches maladie, famille et retraite. Je reviendrai sur les cotisations. Nous avons aussi la particularité d'appeler les cotisations pour un certain nombre d'organismes conventionnés comme les organismes de formation, et d'autres opérateurs comme le Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental (FMSE), et aussi la CSG et CRDS pour le compte de l'État. Nous sommes aussi opérateur dans le cadre de l'infogérance pour la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV), la SNCF, la RATP... Nous disposons de plateformes pour la CAF. Depuis le 1er janvier 2021, nous assurons l'infogérance pour les assemblées sur l'assurance maladie. Nous avons également cette capacité à offrir, au-delà de la mission de service public qui nous incombe, une offre territoriale pour le soutien économique aux producteurs en période de crise, des actions fortes et de la présence humaine sur les territoires suite aux rapports Damaisin et Cabanel sur la prévention psychologique du mal-être dans le monde agricole.

Concernant les personnes les plus âgées, nous avons un partenariat avec la CNAM, nous assumons les actions du bien vieillir grâce à notre association l'Association de santé, d'éducation et de prévention sur les territoires (ASEPT) en relation étroite avec le régime général.

Concernant l'ingénierie de projets sur les territoires, parmi lesquels la lutte contre les déserts médicaux, nous apportons notre ingénierie en matière de formation des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et des hôpitaux de proximité, de développement social territorial, de soutien aux aidants, des micro-crèches... Nous avons un rayon d'actions important. Nous disposons de 210 associations implantées localement fédérées au sein de 29 MSA Services.

Je n'oublie pas la présence d'acteurs importants comme le réseau Présence Verte qui soutient les personnes isolées, le réseau national des maisons d'accueil et de résidence pour l'autonomie (Marpa) ou encore des établissements et services d'aide par le travail (ESAT), qui accompagnent les personnes âgées ou en situation de handicap.

Dans le cadre des Marpa, le Covid a été bien géré et nous avons eu peu de cas difficiles dans ces petites unités de vie, qui regroupent entre 25 à 30 personnes.

Enfin, nous avons 30 espaces labellisés MSA dans les maisons France services, avec un objectif de 200. C'est un partenariat avec le ministère de la cohésion des territoires avec comme objectif le maintien sur les territoires ruraux des services publics et une expertise sur l'ensemble des branches de la protection sociale. 54 % des demandes adressées à France services concernent la protection sociale.

Nous sommes enfin, comme tous les cinq ans, en pleine négociation sur la convention d'objectifs et de gestion (COG). C'est la première fois que les pouvoirs publics acceptent que nous proposions des évolutions d'effectifs selon les orientations et actions. Nous avons fixés trois objectifs pour cette COG : une protection sociale efficiente en améliorant la protection sociale de base, une réponse aux nouveaux enjeux du monde agricole (valorisation du métier, avenir de la ruralité...) et la consolidation de son rôle comme relai de service de l'État au plus près des populations.

Je rappelle que la loi de 1948 nous autorisait à mener l'ensemble de ces actions. Il était inscrit dans le code rural que nous pouvions mener des actions pour la population rurale dans son ensemble.

Nous avons commencé les négociations depuis environ 15 jours, mais nous sommes désagréablement surpris par l'attitude des conseillers techniques de nos ministères de tutelle, qui considèrent une nouvelle fois qu'il faut diminuer les effectifs au moment même où Olivier Véran avait fait remarquer l'importance de conserver la MSA sur les territoires et dans l'accompagnement des populations en cette période particulièrement difficile.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Lors de votre dernière audition fin mars, nous avions évoqué plusieurs points parmi lesquels les retraites agricoles, les agriculteurs en détresse, les maisons France services et votre action en matière d'accès aux soins et de soutien aux CPTS. Le texte sur la prévention de la santé au travail va arriver au Sénat. Pourriez-vous nous faire un point sur la COG ? Puis mes collègues vous poseront des questions.

M. François-Emmanuel Blanc, directeur général de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA). - Notre démarche vis-à-vis de la négociation de notre COG part d'une vision stratégique à l'horizon 2025, portée par 18 mois de débats entre l'ensemble de nos élus et collaborateurs et traduite dans un Livre blanc qui a sollicité plusieurs parlementaires : M. Alain Milon, sénateur, sur la retraite, M. Daniel Gremillet, sénateur, sur la présence des services publics dans les territoires ruraux, Mme Brigitte Bourguignon, députée, sur la dépendance, et M. Thomas Mesnier, député, sur la santé dans les territoires. Cette démarche s'est traduite dans une proposition de COG rédigée l'été dernier.

Le premier engagement de la MSA est d'améliorer la qualité de service sur tous les segments de notre offre et de façon homogène sur le territoire, notre service de base étant constitué par les prestations. À ce titre, nous pensons pouvoir faire des gains de productivité sur le back office de notre service socle, estimés à environ 600 personnes. L'originalité de notre démarche est de proposer de réinvestir immédiatement ces 600 ETP sur l'action territoriale qui s'inscrit pleinement dans l'agenda rural, dans les maisons France services, au CPTS et sur le développement social local. Cette démarche vise à renforcer la présence territoriale de la MSA pour répondre aux enjeux territoriaux : la fracture territoriale, la réparation des territoires ruraux, la crise sanitaire et l'accompagnement de proximité des populations rurales. Sur le plan politique, les déclarations du Gouvernement étaient plutôt rassurantes. Olivier Véran préparait avec Julien Denormandie la nouvelle COG visant à conforter la MSA dans l'ensemble de ses missions. La position de l'administration à ce jour n'est pas celle-là et s'inscrit dans une logique de baisse continue des effectifs. Nous sommes passées en quelques années de 95 à 35 caisses en 2010. Tous les cinq ans nous avons perdu peu près 10 % de nos effectifs et aujourd'hui, la position de l'administration est de continuer cette baisse de 10 % sur les 5 prochaines années, soit environ 1 500 ETP. Nous arriverions à une situation où nous ne pourrons plus assurer les maisons France services, accompagner le projet des 1 000 CPTS alors que c'est notre responsabilité, et renforcer notre action sociale sur les territoires alors que le mal-être des populations est bien présent. Si nous trouvons 600 postes issus de gains de productivité sur le back office, il faudra trouver 900 postes sur le front office pour répondre à cet objectif ! On ne pourra pas maintenir toutes nos implantations territoriales. 900 postes à l'échelle de la MSA qui emploie environ 15 000 salariés, cela équivaut à plus de la totalité de nos assistantes sociales ou des agents aux accueils. Si ce scénario est tenu, nous ne pourrons pas participer à la démarche de l'agenda rural alors que nous avons toute la légitimité pour le faire. Nous sommes un outil au service de l'État et des collectivités publiques. De plus, nous serons contracycliques par rapport à la politique voulue par le Parlement qui est de réinvestir les territoires ruraux. Nous serons obligés de nous recentrer sur le versement des prestations. Cette situation nous paraît incompréhensible. Nos élus balancent entre consternation et colère. Ce n'est pas ce que nous avions compris des engagements du Gouvernement au titre de l'agenda rural. Voilà l'inquiétude qui est la nôtre aujourd'hui. Or, nous avons besoin de tous les services publics dans les territoires. Nous sommes la protection sociale du monde agricole et rural, au service du bien-être des agriculteurs dont on a tant besoin pour réaliser les ambitions de souveraineté alimentaire, de transition agro-écologique et d'entretien du paysage comme le veut le projet stratégique agricole français.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Tous les sénateurs sont attachés à la caisse de MSA présente sur leur territoire. C'est également ce que l'on entend sur le terrain.

M. François-Emmanuel Blanc. - 1 500 personnes représentent l'équivalent de cinq caisses sur 35 !

M. Pascal Cormery. - C'est presque 5 000 salariés sur 15 ans. Des efforts ont déjà été consentis. Il y a déjà eu la suppression de 4 000 salariés sur une dizaine d'années. Nous avons considéré qu'il était possible de faire des efforts jusqu'à maintenant. Aujourd'hui, c'est la marche de trop !

Mme Brigitte Micouleau. - Nous voyons apparaître de nouveaux métiers en agriculture dans les zones rurales, la fibre optique arrive dans les campagnes et le déploiement du très haut débit se poursuit. Ma question est double. Je suis consternée et en colère d'entendre ce que vous venez de nous dire. Dans ce contexte et devant les aspirations des habitants dans les zones rurales, quels sont les nouveaux services prévus par votre organisme ? Et quels risques nouveaux avez-vous pu identifier, et quels sont les impacts pour les agriculteurs et leurs ayant-droits ? Nous sommes tous des sénateurs qui tenons à nos campagnes.

Mme Michelle Meunier. - Dans le droit fil des propos de notre présidente, je voudrai vous entendre sur tout ce qui concerne la prévention. Lors de notre travail sur la perte de l'autonomie et le maintien à domicile avec mon collègue Bernard Bonne, nous avons découvert que la MSA, depuis de nombreuses années, développait l'accompagnement et avait même des actions innovantes dans certains territoires comme la Gironde, et d'autres actions en direction des usagers en termes de prévention. Vous êtes précurseur sur certains aspects. Est-ce la socio-démographie de vos assurés qui vous pousse à développer ces sujets de prévention ou avez-vous cette propension à agir dans le monde agricole ?

M. René-Paul Savary. - Je souhaite avoir des précisions sur les réserves du régime de retraite complémentaire obligatoire (RCO). Nous venons d'avoir une audition de la CCMSA dans le cadre de la Mecss qui ne nous a pas permis d'avoir de réponses. J'ai cru comprendre que vous étiez en capacité de verser à partir du 1er novembre la prestation supplémentaire pour les petites retraites à hauteur de 85 %. Allez-vous respecter le délai du 1er janvier 2022 ?

M. Pascal Cormery. - Je laisserai mon collègue répondre sur le RCO. Nous sommes tout à fait en capacité de verser les prestations supplémentaires au 1er novembre, date qui relève d'un choix politique.

Depuis une trentaine d'années, nous avons constaté une évolution démographique du vieillissement de la population rurale et agricole. Il fallait accompagner cette tendance notamment en améliorant l'habitat pour permettre aux personnes de rester le plus longtemps possible chez eux. Il y a 30 ans, le réseau Gérontologie a été créé en Touraine avec l'hôpital local, les médecins et les infirmiers pour accompagner le mieux possible le vieillissement de la population, période où il y avait encore des médecins sur le territoire ! Nous avions analysé la situation pour mettre en place un certain nombre d'actions comme les ateliers du bien vieillir. Ce sont des actions souvent menées gracieusement par des bénévoles et nos délégués auprès de l'ensemble de la population rurale. Nous avons également mené des actions sur la gestion du handicap et sur les maladies dégénératives comme Alzheimer en soulageant les aidants. Certains disparaissent avant les malades ! Nous avons mis en place des systèmes leur permettant de disposer d'un service de répit à domicile grâce à des relais comme l'association « Bulle d'air » en Savoie.

L'évolution de la fibre optique est une bonne nouvelle. On va bientôt pouvoir faire les raccordements. Cela dit la formation à l'outil informatique est insuffisante. Beaucoup ont des difficultés à accéder aux sites de façon pratique. C'est bien pour cela que 54 % des questions aux maisons France services portent sur la protection sociale, la réglementation étant relativement complexe et les cas individuels à gérer assez nombreux. Les personnes préfèrent se déplacer dans ces maisons pour avoir une réponse directe à leur question, ce qui n'est pas toujours possible à travers la plateforme Internet. Si c'est une évolution importante de pouvoir accéder au haut débit, il faut tout de même garder des personnes sur les territoires car il reste une difficulté d'accessibilité aux sites Internet. Je répète que nous devons gérer de plus en plus de difficultés individuelles, les parcours étant souvent hachés et variés. Il faut une analyse particulière pour chacun, il n'y a pas toujours de réponse type.

M. François-Emmanuel Blanc. - Je souhaite rappeler que notre approche de guichet unique nous autorise toute une gamme de nouveaux services. Nous avons une approche globale de la personne. C'est bien là la caractéristique de notre protection sociale de proximité. La MSA a trois caractéristiques : le guichet unique, la proximité géographique et un régime démocratique. Nous avons un régime participatif depuis 1945, tous les cinq ans nous avons des élections des délégués cantonaux (7 à 9 par canton) qui nous permet de conjuguer une réponse des élus et des représentants des bénéficiaires, avec des services administratifs de proximité. Cette capacité de personnalisation au bénéfice de nos adhérents est une particularité de la MSA. Dans ce contexte, nous avons développé l'étude globale des droits avec le Rendez-vous prestations, ce qui permet d'avoir avec un seul interlocuteur la vue générale du portefeuille social d'un adhérent salarié ou exploitant agricole. Cela nous permet d'avoir cette démarche pro active d'accompagnement. Cette singularité qui associe les 15 000 à 16 000 bénévoles que sont nos élus en territoire avec nos 35 caisses territoriales, est à valoriser. Concrètement, nous sommes capables de mener des actions de prévention sur le territoire, grâce à ce maillage territorial et à la capillarité fine de nos délégués. Nous faisons également de l'inclusion numérique dans tous nos accueils qui sont équipés pour faciliter l'accès aux services numériques que nous proposons. C'est dans cette originalité que réside notre capacité d'innovation. Nous sommes à l'écoute des besoins. « Bulle d'air » vient des élus. Beaucoup de services d'aides à la personne, tout le travail d'insertion professionnelle viennent de la demande d'élus. Nous avons cette démarche d'écoute et de proximité. Nous sommes le régime qui a conservé l'ambition initiale de la sécurité sociale de faire gérer le système par les bénéficiaires eux-mêmes. C'est une réalité opérationnelle.

Sur la question des réserves du RCO posée par M. Savary, l'évolution des charges au titre des prévisions pour 2021 est en baisse de 1,2 %. J'enverrai une note détaillée sur le sujet à l'ensemble des membres de la commission.

M. René-Paul Savary. - Nous avons posé des questions précises à votre directeur financier dans le cadre de la Mecss. Nous voudrions des réponses claires sur les réserves.

Mme Pascale Gruny. - Je suis consternée d'entendre que l'on va baisser les effectifs de la MSA. Cela participe au mépris général de la ruralité. Je remets mon « gilet jaune » ! Venant du milieu agricole, j'ai pu constater la diminution des actions et des animations en milieu rural. Je trouve cela dommage à un moment où le monde agricole ne va pas bien. Comme conseiller départemental, je m'appuie beaucoup sur la MSA pour disposer des informations sur les agriculteurs en difficulté. On ne trouve cette prévention qu'à la MSA. Ce n'est pas juste une caisse de cotisations/prestations, elle constitue de plus en plus un volet social essentiel. J'ai remis un rapport sur la santé au travail avec mon collègue Stéphane Artano et ma question porte sur le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP). Quelle est son évolution et comment sert-il à améliorer la prévention ? Sur la désertification médicale, la MSA a-t-elle, sur le volet médecine du travail, des difficultés à recruter des médecins ? Enfin, je constate qu'il est difficile d'obtenir les chiffres de la MSA afin de pouvoir vérifier une déclaration de revenus. Une personne âgée qui reçoit des codes et mot de passe n'y fait pas attention. Je suis dans le département où il y a le plus fort taux d'illettrisme et l'illectronisme est également une grosse difficulté. Je trouve regrettable que la MSA n'apporte pas un accompagnement suffisant qui correspondrait mieux à son image !

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Beaucoup de questions ont déjà été posées sur la prévention et la santé au travail. Une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale par le groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR) afin d'améliorer la retraite des conjoints collaborateurs et des aides familiaux. Il s'agit de permettre à ces oubliés de toucher une meilleure pension dont la moyenne des retraites en 2019 pour une carrière complète se situe en moyenne à 601 euros pour les conjoints collaborateurs et à 718 euros pour les aidants familiaux. Ce texte propose de financer l'augmentation des pensions en excluant plusieurs ressources comme la pension de réversion ou la majoration pour enfant, du calcul de la pension majorée de référence (PMR) dont le plafond est fixé à 862 euros. Il propose également d'élargir l'accès du complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire (CDRCO) qui permettra de relever le niveau minimum de retraite de ces personnes. Que pensez-vous de cette proposition dont les préconisations sont actuellement seulement accessibles aux chefs d'exploitation ?

Mme Catherine Procaccia. - Je voudrais revenir sur le nombre de caisses. J'ai travaillé comme salariée en mutualité agricole pendant longtemps et j'ai toujours entendu parler de la fusion de la MSA avec le régime général. Le rapport de la Cour des comptes, qui ne correspond pas à ma position, dénonce le fait qu'il y ait davantage de salariés que d'exploitants agricoles et évoque le fait d'élargir la base de la MSA à l'agro-alimentaire. Or, il semble que vous ne soyez pas favorable à cet élargissement de la base au monde agro-alimentaire. Qu'en est-il exactement ?

Quand allez-vous rendre votre site Internet un peu plus opérationnel car je constate que, même en maîtrisant Internet, votre site est peu pratique. Allez-vous le moderniser ?

Mme Corinne Imbert. - Je partage les propos de ma collègue Pascale Gruny sur la proximité et l'intérêt de la présence territoriale de la MSA. J'ai l'impression que le Gouvernement vous a pris en otage à travers les discussions de la COG et vos objectifs à l'horizon 2025 et de l'autre côté, la posture du ministère qui continue à vouloir une diminution des ETP. Lors de l'inauguration d'une maison France services où la MSA est présente, j'ai constaté que l'État avait donné ce label à une maison France services dans une commune de 6 000 habitants où il y avait déjà une agence de la MSA. Du coup, j'ai demandé quand serait fermée l'agence de la MSA, les deux structures faisant doublon, ce qui m'est apparu comme un non-sens. Pour moi, l'aménagement du territoire ce n'est pas ça ! J'ai l'impression que le Gouvernement nous prépare le désaménagement du territoire. C'est pour cela que je parle d'une prise d'otage, vous ne pouviez pas être absent de la maison France services et d'un autre côté, ce label est un non-sens. Quel rôle ou contribution êtes-vous censé apporter aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ?

Mme Chantal Deseyne. - Pour faire suite aux propos de Corinne Imbert, je constate que la population active agricole est en constante diminution, les situations sont très disparates selon les départements et les cotisations sont souvent très faibles. Est-ce que vous ne craignez pas une disparition de la MSA et une fusion avec le régime général, sachant que je défends la MSA venant d'un milieu agricole ?

Mme Annie Le Houerou. - Ma question porte sur vos actions sur les CTPS et dans la lutte contre les déserts médicaux. Cette préoccupation est très prégnante dans le milieu rural et je souhaitais connaître vos actions en la matière.

Mme Annick Jacquemet. - La crise sanitaire n'a pas épargné les agriculteurs. Comment comptez-vous les accompagner ? Avez-vous des exemples sur les actions que vous avez déjà mises en place ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Pour défendre votre présence et les ETP que l'on vous demande de supprimer, je note tout particulièrement le maillage, l'approche d'écoute et de proximité que vous garantissez, la démarche pro active ainsi que l'étude globale des droits. Avez-vous constaté une différence dans l'accès au droit par rapport au régime général ?

M. Pascal Cormery. - Je vous ferai une réponse globale. Je ne pense pas que l'on soit pris en otage, les maisons France services sont mises en place dans les départements avec l'accord du préfet. Dans les endroits où nous avions une agence MSA, on les a supprimé quand une maison France services labellisée MSA ou un relai s'installait dans cette même commune. Il faut regarder au cas par cas les situations.

Sur l'avenir de la MSA, sa disparition ne figure pas dans les rapports de la Cour des comptes. Les branches du régime général reconnaissent l'importance de la MSA sur les territoires qui sont un relai important y compris pour leurs propres ressortissants. Je vous rappelle que même s'il y a aujourd'hui moins de 500 000 agriculteurs, nous avons fait évoluer les entreprises agricoles avec des salariés. C'est normal que l'équilibre salarié/non salarié évolue aussi dans la production. Faute d'avoir des candidats à l'installation, il est important que l'agriculture embauche. C'est un lieu où l'on manque de main-d'oeuvre, notamment saisonnière pour le ramassage de fruits et légumes. L'évolution vers l'agriculture biologique amène également une augmentation de main-d'oeuvre, même s'il y a des réflexions sur la mécanisation de ce type d'agriculture. Je ne vois pas d'arguments en faveur d'une fusion avec le régime général. L'agriculture est le premier ou deuxième acteur économique qui dégage le plus d'excédents dans la balance commerciale française. Il est important de conserver cette structure.

Concernant le DUERP, on essaie de jouer un rôle important pour que l'ensemble des entreprises en bénéficie. On pourra vous communiquer les chiffres précis. La préoccupation dans les territoires étaient, à l'époque, les maladies du travail liées aux troubles musculo-squelettiques. Aujourd'hui, on en parle moins car nous avons mené des actions fortes qui ont permis aux employeurs d'améliorer les conditions de travail et aux salariés de leur fournir des outils pour un meilleur aménagement de ces conditions de travail, limitant ainsi ces risques et maladies professionnels. La prévention reste un point important. Nous manquons de médecins du travail, comme partout.

Nous avons également des actions importantes sur les CPTS. Ainsi, la MSA a mené l'ingénierie pour la mise en place des CPTS dans le sud de l'Eure-et-Loir, à la demande du député. Aujourd'hui, il y a une vraie satisfaction des politiques, des professionnels de santé et de la population sur la coordination apportée par la MSA.

Enfin, nous sommes sensibles à l'accès au droit, d'autant plus en cette période compliquée, pour tous nos ressortissants. Dès qu'un ressortissant nous contacte, nous avons tout de suite une vision globale de sa situation, nos conseillers y sont formés. Nous sommes très attentifs à chacun.

Nous avons mené quelques actions importantes dès le début de la crise sanitaire, notamment la mise à disposition des employeurs des moyens de prévention, des barrières de sécurité pour prévenir la pandémie dans le milieu professionnel et familial. Le milieu agricole a été plutôt moins touché que le reste de la population. La MSA a été très réactive en informant précisément l'ensemble de sa population. Certains préfets nous ont fortement sollicités, notamment lors de l'apparition de clusters dans le Sud du pays, pour que l'on apporte notre expertise à des salariés qui n'étaient pas des ressortissants MSA, afin de trouver des solutions de logement ou d'alimentation selon les cas. Nous ne nous sommes pas posé la question de savoir s'il s'agissait de nos ressortissants ou non, nous avons accompagné l'ensemble de ces populations souvent étrangères pour leur apporter de meilleures conditions sanitaires.

Enfin, nous demandons depuis longtemps l'élargissement de la base de la MSA à l'agro-alimentaire. Je prends souvent l'exemple des coopératives agricoles dont l'ensemble des ressortissants sont affiliés à la MSA. Les salariés d'une coopérative reviennent au régime général quand les actionnaires privés sont majoritaires. Un négociant qui fait le même travail que la coopérative relève du régime général. C'est le statut juridique de l'entreprise qui détermine l'affiliation au régime agricole ou au régime général. Dans le milieu rural, bon nombre d'entreprises pourraient accéder au régime agricole car leur activité est agricole, mais c'est le statut qui fait cette différence. Je suis favorable à un élargissement de la base à un certain nombre d'entreprises agro-alimentaires. L'agriculture, c'est plus que les seuls exploitants agricoles et les salariés de l'agriculture.

M. François-Emmanuel Blanc. - Sur la santé et la médecine du travail, nous avons effectivement une carence de médecins du travail qu'on arrive difficilement à combler. Cela nous conduit à un rapprochement avec La Poste, nos manques pouvant parfois se compléter et nos médecins respectifs pouvant couvrir les besoins des deux structures.

L'accompagnement des CPTS est un accompagnement de proximité sur le chaînon manquant de la transformation du système de santé en territoire local, à savoir l'ingénierie de projet. Nous sommes tous confrontés au fait que l'action publique et l'action collective se heurtent à ce chaînon manquant, le savoir-faire opérationnel pour décharger les professionnels de santé de la constitution de ces groupements quelle qu'en soit la forme, les équipes de soins primaires, les maisons de santé ou les CPTS qui sont des leviers contre la désertification médicale et aux besoins territoriaux. La MSA a décidé d'investir dans cette ingénierie de projet. De la même manière, nous apporterons un service particulier pour la construction d'une relation entre les CPTS et les hôpitaux de proximité, dans le cadre de leur nouveau statut. Les CPTS participent désormais à la gouvernance des hôpitaux locaux. Ces derniers sont la clé de voûte du système de santé territorial.

Sur les perspectives de la MSA, il est vrai que la population agricole diminue et la taille des exploitations augmente. C'est à moduler avec la part croissante des salariés agricoles. En revanche, les enjeux associés à l'agriculture ne diminuent pas, l'autosuffisance alimentaire, la transition agro-écologique, l'aménagement du paysage... Il pèse sur chaque exploitant agricole une charge plus lourde liée à cette action de souveraineté agricole et au projet agricole stratégique français. Cela impose un traitement encore plus soigné de la relation de proximité avec les agriculteurs, la transition agro-écologique supposant un accompagnement dans l'expression de notre savoir-faire.

Concernant notre site Internet, nous avons des travaux en cours pour l'améliorer. Cela fait partie de nos engagements COG afin d'arriver en deux ans à une meilleure qualité de services.

Sur la déclaration de revenus, nous pourrions avoir un service plus personnalisé compte tenu de la situation de la personne. Je pourrai aborder ce sujet dans nos dialogues de gestion avec les directions de caisses pour partager ce retour d'expérience qui rentrera dans notre boucle d'amélioration permanente.

La proposition de loi relative à la retraite des conjoints collaborateurs rejoint également la préoccupation de la MSA à mieux considérer cette population. Nous sommes tout à fait favorables à cette évolution.

J'ajouterai un dernier mot sur les maisons France services où la cohérence de l'action publique est placée sous l'autorité des préfets. Dans la plupart des cas, il n'existe pas les incohérences que vous avez soulignées. La coordination est très étroite avec les préfectures qui nous demandent souvent de coordonner cette action. Nous apportons ce service global de protection sociale pour le compte de nos adhérents comme pour l'ensemble des bénéficiaires du régime général.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie pour ces réponses précises à nos nombreuses questions montrant l'attachement des sénateurs à la MSA et à votre rôle important auprès des populations de nos territoires.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi pour la prévention en santé au travail - Audition de Mmes Laëtitia Assali, présidente de la commission AT-MP, et Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels, de la Caisse nationale de l'assurance maladie

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous poursuivons nos travaux sur la proposition de loi pour la prévention en santé au travail avec l'audition commune de Mmes Laëtitia Assali, présidente de la commission accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) et Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels de la CNAM.

Nous examinons ce matin le rôle des caisses de sécurité sociale dans l'organisation de la santé au travail dans le cadre de la réforme envisagée par la proposition de loi. Il s'agit de notre dernière audition plénière sur le sujet avant celle du ministre Laurent Pietraszewski le 16 juin prochain. Notre commission se réunira pour établir son texte le 23 juin prochain avant un examen en séance publique prévu le 6 juillet.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Mme Laëtitia Assali, présidente de la commission accidents du travail et maladies professionnelles de la Caisse nationale de l'assurance maladie. - MM. Ronald Schouller et Christian Expert, tous deux vice-présidents de la commission AT-MP que je préside, sont également présents en visioconférence.

La proposition de loi qui nous rassemble ce matin est la reprise de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020. Il est donc important que tous les équilibres de cet accord, tels qu'établis par les partenaires sociaux, se retrouvent dans la proposition de loi. Certains des thèmes de l'ANI ont déjà été visités par la convention d'objectifs et de gestion (COG) de la branche.

Mme Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie. - Je voudrais insister sur l'importance de l'articulation entre santé publique et santé au travail : les échanges d'informations et la coordination entre médecins du travail, médecins de ville et médecins-conseils de l'Assurance maladie doivent être renforcés. Cela sera profitable aux salariés, notamment en matière de prévention de la désinsertion professionnelle (PDP).

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Quelles sont vos observations sur la redéfinition de l'offre de services des services de prévention et de santé au travail (SPST) et les nouvelles modalités de tarification ? Au-delà du changement de dénomination, cette réforme permet-elle de réorienter les services de santé au travail vers la prévention des risques professionnels ? Comment va-t-elle s'articuler avec les conventions pluriannuelles d'objectifs et de moyens (CPOM) qui encadrent leur activité ?

Quel bilan faites-vous des actions mises en oeuvre par l'Assurance maladie et la branche AT-MP en matière de PDP ? La proposition de loi vous semble-t-elle conforme aux objectifs de la branche AT-MP dans ce domaine ?

L'article 14 bis, qui prévoit des échanges d'informations entre les cellules de PDP et les organismes de sécurité sociale, peut-il contribuer à améliorer la détection des risques de désinsertion professionnelle ? Le texte va-t-il assez loin en matière de consolidation des données personnelles dans un objectif de prévention ?

Faut-il, selon vous, limiter l'ouverture de l'accès au dossier médical partagé (DMP) au seul médecin du travail ou plutôt l'élargir à tout professionnel de santé chargé du suivi de l'état de santé du salarié, comme les infirmiers de santé au travail employés par le service de santé au travail ?

La CNAM est chargée du déploiement du DMP dont l'ouverture devrait devenir automatique en 2022. Quel bilan faites-vous à ce stade des créations de DMP ? Il semblerait, selon un rapport parlementaire, que moins de dix millions de DMP aient été créés en juin 2020. Le Gouvernement vous avait fixé comme objectif 30 millions de DMP créés en 2021 : confirmez-vous que cet objectif ne sera pas atteint ? J'ai moi-même essayé d'ouvrir un DMP, mais y ai renoncé : c'était trop long.

Il est prévu une visite de bilan à 45 ans. Est-il pertinent de fixer un âge ? Pourquoi celui-ci a-t-il été retenu ? Pourquoi ne pas laisser le médecin du travail choisir le bon moment pour ce bilan, au regard notamment des spécificités du métier ?

Dernière question : qu'est-ce qui ne figure pas dans ce texte et que vous auriez aimé y trouver ?

M. Stéphane Artano, rapporteur. - Cette proposition de loi est la transposition de l'ANI. Les partenaires sociaux ont souhaité renforcer l'autonomie de la branche AT-MP. C'est aussi le souhait du Sénat : l'excédent de la branche doit aller au fonds national de prévention des accidents du travail (FNPAT).

Les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) sont-elles parvenues à être mieux identifiées comme un acteur de soutien en prévention, plutôt que comme un organisme de contrôle et de sanction ?

Que pensez-vous des dispositions de la proposition de loi concernant la transmission, la mise à disposition et la conservation du document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) ? Plusieurs organisations syndicales considèrent que les entreprises ne seront pas en capacité de les conserver pendant 40 ans, comme le prévoit le texte. Que pensez-vous de la proposition de transférer cette compétence vers les services de santé au travail ou l'assurance maladie ?

À quelles garanties les plateformes de téléconsultation - les SPST pourront les utiliser ou les créer pour assurer le suivi individuel des travailleurs - devront-elles répondre ? Ces téléconsultations pourront-elles être réalisées via un outil de visioconférence en accès libre choisi par le médecin du travail ou le travailleur ? Ou devront-elles plutôt passer par des plateformes privées de télémédecine aujourd'hui conventionnées avec l'Assurance maladie ?

Mme Laëtitia Assali. - Le processus d'élaboration de l'offre de services a été identifié : celle-ci devra répondre aux exigences du législateur, mais aussi aux objectifs du CPOM. Cette redéfinition de l'offre de services devra permettre à toutes les entreprises, même les plus petites, d'avoir accès à un service minimum en matière de prévention, de suivi médical et de PDP. Le suivi médical s'est enrichi au fil des réformes. Désormais, tous les salariés, de toutes les entreprises, doivent bénéficier de cet accompagnement, sous la forme d'une offre-socle, articulée à une offre complémentaire. Cette offre sera certifiée et devra être agréée par l'administration : c'est une double précaution.

Notre commission a évalué la première génération de CPOM. Nous pourrions leur donner une structure plus homogène afin d'en faciliter le suivi. Il faut qu'ils respectent les exigences de la réforme en cours.

Mme Anne Thiebeauld. - Nous avons effectivement réalisé un important travail sur les CPOM pour veiller à leur homogénéité avec les orientations de la branche et à leur adaptation aux besoins de chaque territoire en matière de santé au travail. Il s'agit d'outils de contractualisation très structurants qui permettent de concilier les objectifs des plans régionaux de santé au travail (PRST) et ceux de la COG déclinée dans les contrats pluriannuels de gestion (CPG) des Carsat. Les quelque 200 CPOM traitaient dans leur première version des principaux risques professionnels ; dans leur nouvelle version, ils intègreront davantage la prévention.

Mme Laëtitia Assali. - La PDP constitue un enjeu central pour le maintien dans l'emploi. Le sujet, initialement porté par la branche AT-MP, figure déjà dans la COG en cours, mais il demeure complexe.

La démarche comporte un double enjeu : le repérage précoce - où l'assurance maladie a toute sa place - des personnes susceptibles de s'éloigner de l'emploi - la proposition de loi envisage à cet effet de nouveaux outils - et l'affirmation de la PDP comme clé de voûte de l'action des services de santé au travail en développant les échanges entre le médecin du travail, qui joue un rôle pivot, et le salarié.

La répartition des rôles entre les différents intervenants apparaît certes importante, mais les acteurs de la PDP doivent avant tout se trouver au plus près des entreprises, afin de bien connaître leurs difficultés. Issue du secteur du bâtiment, je puis témoigner de l'intérêt de maîtriser les enjeux et les risques de la filière. Des expérimentations en matière de PDP se déroulent actuellement.

Mme Anne Thiebeauld. - Dès le début de la mise en oeuvre de la COG, nous avons effectivement imaginé, avec l'Assurance maladie, une expérimentation pour améliorer la PDP en renforçant les liens entre sécurité sociale et médecine du travail et en maintenant l'employeur au plus près du parcours et de la prise en charge des salariés autour d'un triptyque entre les services de santé au travail, les services sociaux de l'assurance maladie et les services médicaux de l'assurance maladie. Elle n'est cependant pas exclusive de l'action menée par d'autres intervenants, notamment Pôle emploi ou les structures d'accompagnement des personnes handicapées. Il s'agit d'appliquer les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) en menant un travail de détection des cas à risque et de rapprochement précoce avec le salarié avant que n'intervienne un arrêt de travail.

Hélas, après une phase de conception, l'expérimentation n'a démarré que mi-février 2020 dans quelques territoires et a rapidement été perturbée par la crise sanitaire. Elle n'a finalement été pleinement mise en oeuvre qu'à compter du mois d'octobre avec 130 assurés. Le dispositif peut sembler modeste, mais l'enjeu n'est pas le volume de prise en charge, mais la co-construction d'un parcours où chacun apporte sa contribution le plus tôt possible pour éviter la désinsertion professionnelle, le facteur d'échec principal étant une intervention trop tardive des acteurs publics.

La première phase est évidemment celle de la prise de contact ; à ce stade, 5 % des assurés n'ont pu être joints et 10 % ont refusé d'intégrer le dispositif. Près de 10 % des personnes suivies relevaient d'une prise en charge plus lourde par les services sociaux. À date, vingt-deux parcours ont été clôturés avec vingt reprises de poste, dont quatorze avec des aménagements ou des mesures d'accompagnement, et deux décisions d'inaptitude. Pour quarante-sept parcours, le travail se poursuit.

Vous conviendrez qu'il s'agit encore de résultats prématurés sur un panel modeste - cinq territoires et huit services de médecine du travail - mais ils apparaissent positifs pour les différents acteurs concernés. Cela va ouvrir la voie, à compter du mois de juin, à une expérimentation plus large, pilotée par l'Assurance maladie, sur quatorze territoires, pour laquelle sera mise à disposition une plateforme de la PDP. Nous manquions, en effet, d'outils de communication sécurisés et d'information lors de la première expérimentation.

Mme Laëtitia Assali. - L'enjeu de la PDP consiste à repérer précocement et à proposer des mesures individualisées en volume de masse. Il faut trouver l'adaptation correspondant à chaque cas et cet ajustement fin représente un défi. Parfois, le salarié doit faire le deuil de son précédent métier. Aussi la formation ne doit-elle pas être négligée. Les efforts de repérage et l'accompagnement des entreprises se trouvent également au coeur de la démarche.

M. Christian Expert, vice-président de la commission accidents du travail et maladies professionnelles de la Caisse nationale de l'assurance maladie. - Je participe à l'expérimentation précitée dans le cadre de mon service de santé au travail, dont la mise en oeuvre a effectivement été perturbée par la crise sanitaire. En encourageant le repérage précoce par le service médical et en renforçant le dialogue entre les médecins, l'employeur, le salarié et Cap emploi, cette initiative, de même que la proposition de loi, va dans le bon sens.

La recommandation de la HAS est claire, mais la stratégie proposée parfois difficile à mettre en oeuvre. Aussi convient-il de faciliter le dialogue avec le médecin-conseil pour mener un projet d'accompagnement commun. Il faut également détecter au plus tôt le risque de désinsertion. À cet égard, la visite médicale à quarante-cinq ans s'avère insuffisante ; elle doit être complétée par des mesures de prévention secondaire, notamment en matière d'ergonomie et via des outils d'aide au maintien dont l'utilité va au-delà du seul risque d'inaptitude. Comme pour les accidents du travail de moins de trente jours, il me semble aussi important de signaler les salariés avec des arrêts de travail répétés. L'information doit être transmise au plus tôt au service de santé au travail, sans attendre la survenue d'un sinistre grave. Dans mon territoire, nous nous intéressons beaucoup aux mesures de PDP.

Mme Laëtitia Assali. - Le bilan médical est réalisé à quarante-cinq ans, car il s'agit de l'âge pivot fixé par l'Union européenne pour identifier les travailleurs seniors. Aux termes du décret prochainement publié, une visite sera également prévue avant le départ en retraite. Le parcours du salarié est ainsi jalonné de temps d'information et de prévention. Dans les secteurs les plus exposés au risque, le suivi individuel se trouve renforcé. Bien entendu, le salarié peut, à tout moment, prendre l'initiative d'une visite médicale.

Il apparaît indispensable de doter les services de santé au travail des moyens, notamment humains, d'assurer ce suivi. Dans ce cadre, la mobilisation des médecins de ville correspondants me semble essentielle ; la proposition de loi mériterait d'être complétée sur ce point.

Pour ce qui concerne le recours à la téléconsultation, j'estime qu'il revient au médecin de définir le meilleur support au regard du risque et de sa connaissance de l'entreprise. L'empathie paraît parfois primordiale, ce qui invite alors à ne pas opter pour une téléconsultation.

M. René-Paul Savary. - Dans la Marne, nous avons développé un dispositif de télémédecine du travail avec des cabines où l'infirmière assure la relation empathique. C'est une pratique à généraliser.

Mme Anne Thiebeauld. - La montée en charge du DMP a été perturbée par la crise sanitaire. Les discussions sont en cours sur l'alimentation et l'usage de ce dossier ; l'Assurance maladie pilote ainsi la création de l'espace numérique de santé (ENS). L'accès aux DMP ne serait pas nécessairement réservé au médecin du travail : des délégations pourraient être mises en place, avec un encadrement approprié. Il serait intéressant d'avoir, en miroir, un accès des services de l'Assurance maladie aux dossiers médicaux de santé au travail.

En matière de prévention, l'échange d'informations est en effet la clé. Les difficultés des salariés sont souvent multifactorielles, et réclament une prise en charge individualisée. Les informations telles que la durée des arrêts de travail, les pathologies, les expositions doivent être mises en commun entre les organismes. Cela a un impact en termes de ressources - et nous savons que la ressource en médecins du travail, comme la ressource en médecins de ville, est rare.

M. Christian Expert. - Il existe des logiciels agréés par la HAS pour la médecine de ville. Ce sont des logiciels cryptés qui permettent les échanges de documents sécurisés entre médecin et patient. Les outils d'urgence n'offrent pas les mêmes garanties.

Les obstacles à l'accès au DMP sont exclusivement d'ordre technique : l'accès peut prendre du temps. Il faut évidemment que le salarié puisse mettre son veto au partage des données. La précédente loi Santé avait prévu que les données de santé au travail figurent dans le DMP : la nouveauté est l'accès direct de la médecine du travail à ce dossier.

Mme Anne Thiebeauld. - Dans le cadre de la PDP, il est en effet indispensable de disposer d'un outil d'échange. Les informations sont partagées avec les médecins traitants : le généraliste n'est pas seul concerné. Cela participe d'une bonne gestion.

Mme Laëtitia Assali. - La crise sanitaire a entraîné une prise de conscience des enjeux de la prévention au sein des TPE : les subventions accordées à celles-ci ont été fortement consommées en 2020, et nous nous en félicitons. Il faudra accompagner cette appétence nouvelle et développer les actions de prévention.

L'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) a développé un outil d'aide à l'évaluation des risques appelé OiRA (outil interactif d'évaluation des risques en ligne). Dans le secteur très accidentogène du BTP, l'organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) a lancé le DU Prem's, qui permet aux entreprises d'identifier les cinq risques majeurs auxquels leurs salariés sont exposés. Ces outils mettent aux TPE le pied à l'étrier dans la démarche de prévention à travers le DUERP.

En revanche, la proposition de loi lie le DUERP et le plan d'action, qui concerne également, désormais, les entreprises de moins de cinquante salariés. Or il est indispensable que l'identification des risques, dans les TPE, soit menée par le chef d'entreprise lui-même. Évitons d'en faire une formalité administrative de plus qui serait confiée à l'expert-comptable. Le mieux est l'ennemi du bien : l'équilibre trouvé entre les partenaires sociaux doit être préservé.

Concernant la conservation du DUERP, la démarche d'identification préalable est la pierre angulaire de la politique de prévention.

Mme Laurence Cohen. - Les accidents au travail et maladies professionnelles restent trop nombreux. De plus les troubles psychosociaux, notamment la dépression ou le burn out, ne sont pas toujours reconnus comme maladies professionnelles ; or avec la crise sanitaire, ils sont en augmentation. La prévention reste assez pauvre en France, où l'on constate un fort décalage entre les déclarations et les actes. Le maillage de la médecine du travail est très faible. Quelle politique de prévention préconisez-vous pour faire reculer les accidents du travail et les décès ?

Mme Michelle Meunier. - Avez-vous des premiers chiffres sur les risques psychologiques liés au télétravail ?

J'insiste beaucoup sur le triptyque sur lequel doit reposer la prévention : repérage précoce, accompagnement et formation pour faciliter la reprise du travail.

La définition du harcèlement sexuel va entrer dans le code du travail, avec le harcèlement moral. Cette harmonisation permettra aux victimes d'ouvrir des droits à maladie ?

Mme Laëtitia Assali. - La baisse collective de moral liée à la crise sanitaire dépasse le cadre de la santé au travail... En matière de prise en compte des risques psychosociaux, les procédures existantes permettront d'y répondre avec notamment des voies de déclaration complémentaires.

Il est trop tôt pour présenter des données chiffrées en matière de harcèlement sexuel. Concernant le lien avec le travail, il me semble que le travail en lui-même n'est pas un facteur de harcèlement. Celui-ci relève d'errements individuels.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie pour votre participation à cette audition.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi visant à lutter contre l'indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l'algorithme dans les relations contractuelles - Examen des amendements de séance

Mme Catherine Deroche, présidente. - Aucun amendement n'a été déposé en vue de la séance publique sur la proposition de loi visant à lutter contre l'indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l'algorithme dans les relations contractuelles.

Proposition de loi visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs - Examen des amendements de séance

Mme Catherine Deroche, présidente. - Aucun amendement n'a été déposé en vue de la séance publique sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs.

Proposition de loi visant à améliorer l'accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques - Examen des amendements de séance

Mme Catherine Deroche, présidente. - Sur le texte adopté par notre commission pour la proposition de loi visant à améliorer l'accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques, notre rapporteur, Xavier Iacovelli, propose un amendement tendant à un changement d'intitulé.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR

Intitulé de la proposition de loi

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - L'amendement n°  5 vise à préciser le champ de la proposition de loi. Le texte initial visait le diabète, mais l'Assemblée nationale l'a étendu aux maladies chroniques. Nous n'avons pas retenu cette terminologie, insuffisamment opérante sur le plan juridique. Cet amendement identifie mieux l'objet du texte : les conditions de santé particulières qui peuvent être exigées pour certains emplois.

L'amendement n° 5 est adopté.

TABLEAU DES SORTS

Auteur

Objet

Avis de la commission

Intitulé de la proposition de loi

M. IACOVELLI, rapporteur

5

Modification de l'intitulé du texte

Adopté

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 1er

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - L'amendement n°  1 apporte une précision rédactionnelle bienvenue, le verbe « empêcher » pouvant être utilement remplacé.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - L'amendement n°  2 tend à distinguer les dispositifs législatifs et réglementaires. Si les recommandations du comité doivent en premier lieu porter sur des évolutions normatives, elles pourront aussi viser une communication renforcée ou des bonnes pratiques, par exemple. La précision proposée ne paraît donc pas opportune.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - L'amendement n°  3 vise à supprimer cinq alinéas relatifs à la composition du comité. Certes, la composition de ce comité ne relève pas de la loi, mais sa création même n'en relève pas non plus... Surtout, la composition définie à l'article 1er n'est pas exhaustive, et le champ des personnalités qualifiées satisfait l'intention des auteurs de l'amendement.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.

Article 4 (Supprimé)

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - L'amendement n°  4 vise à rétablir l'article 4 relatif à la campagne d'information sur le diabète. J'y suis favorable à titre personnel, mais je pense que la commission sera défavorable au rétablissement d'un article qu'elle a supprimé...

Mme Catherine Deroche, présidente. - En la matière, nous attendons surtout un engagement fort du Gouvernement.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Plus qu'un engagement, il nous faut un calendrier : des engagements ont déjà été pris il y a deux ans, sans être tenus.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.

TABLEAU DES AVIS

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 1er
Création d'un comité d'évaluation des textes restreignant l'accès à certaines professions

M. JOMIER

1

Champ de la mission du comité

Favorable

M. JOMIER

2

Champ des recommandations du comité

Défavorable

M. JOMIER

3

Composition du comité

Défavorable

Article 4 (Supprimé)
Campagne d'information sur le diabète

M. THÉOPHILE

4 rect.

Rétablissement de l'article - campagne d'information

Défavorable

Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

Mme Catherine Deroche, présidente - Je propose que notre commission se saisisse pour avis du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

Ce texte comporte une dizaine d'articles entrant dans le champ de compétences de notre commission, qui pourraient nous être délégués au fond par la commission des lois.

Je propose de désigner notre collègue Alain Milon rapporteur pour avis.

La commission désigne M. Alain Milon rapporteur pour avis sur le projet de loi n° 588 (2020-2021) relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

Questions diverses

Mme Élisabeth Doineau. - Alors que la question des données numériques dans le champ de la santé est très importante, certaines divergences apparaissent entre notre approche et celle d'autres commissions. Une réunion commune pourrait être opportune, à l'instar de celle qui s'est tenue pour le sport.

Mme Catherine Deroche, présidente. - J'entends vous proposer à la rentrée la création d'une mission d'information sur cette question. La France est parfois frileuse dans ce domaine par rapport à d'autres pays. Il est pourtant possible de trouver un équilibre entre les progrès permis par ces données en matière de recherche et d'enseignement et la protection de la vie personnelle.

M. René-Paul Savary. - Dans le cadre de la délégation sénatoriale à la prospective, je travaille sur cette question depuis plusieurs mois avec Véronique Guillotin et Christine Lavarde. Notre rapport, innovant et même quelque peu provocateur, sera présenté le 3 juin prochain : il vise à préparer une éventuelle nouvelle crise en prévoyant la conservation de données sur une plateforme sécurisée ; le système serait activé de manière graduée, en fonction de la gravité des circonstances. Peut-être Mme Guillotin et moi-même pourrions-nous présenter ce travail approfondi et novateur devant notre commission.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous entendrons votre présentation avec intérêt, mais la commission des affaires sociales doit mener ses propres travaux sur cette question d'importance.

Mme Laurence Cohen. - Ce travail me paraît indispensable. Il y a quelques jours, l'émission Cash Investigation a mis en évidence les pratiques d'Iqvia, une société privée qui exploite des données confidentielles dans un cadre non sécurisé...

Mme Catherine Deroche, présidente. - Le croisement des données de santé et des données environnementales est également une dimension importante.

La réunion est close à 11 h 55.

Jeudi 27 mai 2021

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Audition de MM. Jean-Pierre Viola, président de section, et Jean-Luc Fulachier, rapporteur général, sur les rapports de la Cour des comptes relatifs à la certification des comptes du régime général de sécurité sociale et du conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI)

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous entendons ce matin MM. Jean-Pierre Viola, président de section et Jean-Luc Fulachier, rapporteur général, sur les rapports de la Cour des comptes relatifs à la certification des comptes du régime général de sécurité sociale et du conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI). J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

La Cour des comptes procède à l'exercice de certification des comptes du régime général de sécurité sociale depuis 2006. Cette mission a été élargie en 2020 à la certification du conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI), puis, en 2021, avec la création de la nouvelle branche « autonomie ».

Cette audition a en principe lieu chaque année devant notre commission où elle marque le début des travaux sur l'application de la LFSS de l'exercice précédent.

Globalement, elle a permis de constater, année après année, des progrès continus dans le processus de certification des comptes, les différentes branches faisant progressivement l'objet d'une certification de leurs comptes puis d'une diminution du nombre de réserves les concernant.

L'exercice 2020, qui se distingue aussi bien sûr par un déficit historique du régime général et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) de 38,7 milliards d'euros, marque une interruption de cette tendance avec l'impossibilité de certifier les comptes de la branche recouvrement et du CPSTI et une augmentation du nombre des réserves portant sur les autres branches.

Cette situation est très directement liée à la crise sanitaire et à la levée d'un certain nombre des dispositifs de contrôle et d'allègements des procédures s'agissant notamment des cotisations des travailleurs indépendants.

Dans un communiqué du 18 mai dernier, les ministres de la santé et des comptes publics ont tenu à relativiser la portée de cette impossibilité de certifier les comptes en soulignant « l'efficacité des mesures prises dans l'accompagnement de nos entrepreneurs et dans la préservation de notre tissu économique tout au long de la crise ».

Dans le dilemme entre la simplification des procédures, que nous avons soutenue pendant la crise, et la lutte contre la fraude, que nous soutenons également, nous nous interrogeons sur la capacité des caisses à concilier ces objectifs.

Il est par ailleurs des réserves récurrentes qui ne sont pas forcément liées à la crise sanitaire sur lesquelles vous pourrez certainement proposer des pistes de progression.

M. Jean-Pierre Viola, président de section à la Cour des comptes. - Merci de nous accueillir pour vous présenter les résultats de notre rapport sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale et du conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI).

Il convient d'abord de distinguer les principaux enjeux liés à l'audit : l'exhaustivité et l'exactitude de la prise en compte, dans la comptabilité générale, des informations issues de la production des prélèvements sociaux et des prestations sociales ; la correcte représentation, dans la comptabilité des entités de sécurité sociale, de leurs droits et obligations à l'égard de tiers, ce qui implique d'examiner la fréquence et l'impact financier des erreurs qui affectent les opérations effectuées et comptabilisées, malgré les dispositifs de contrôle interne ; la conformité des écritures aux principes comptables généraux, la pertinence et la permanence des méthodes, l'exhaustivité du recensement des passifs et le caractère raisonnable des enregistrements comptables qui résultent d'une estimation ; l'appréciation de la qualité de l'information financière procurée par les états financiers, y compris les annexes aux comptes.

Ces enjeux sont appréciés en fonction de critères d'audit et de l'examen de l'efficacité du contrôle interne, notamment par le biais d'indicateurs de risque financier résiduel, après contrôle interne - cette démarche est indispensable, car chaque opération comptabilisée représente une part infime des états financiers.

En 2020, le déficit du régime général a atteint 36,2 milliards d'euros. En ajoutant le solde du fonds de solidarité vieillesse, le déficit s'est établi à 38,7 milliards d'euros, niveau inédit, plus élevé qu'en 2010. Le déficit de la branche maladie a atteint 30,4 milliards d'euros, contre 1,5 milliard d'euros en 2019, et celui de la branche vieillesse s'établit à 3,7 milliards d'euros. Ce dernier est atténué par le versement, par le fonds de réserve pour les retraites, de la soulte de 5 milliards d'euros en provenance du régime des industries électriques et gazières, dont il assurait jusque-là la gestion. Le déficit de la branche maladie s'explique notamment par un déficit de recettes - des cotisations sociales, de la CSG, des impôts et taxes affectés comme la TVA - et par des mesures exceptionnelles liées à la crise sanitaire.

L'exercice 2020 est marqué par les impacts de la crise sanitaire. Les organismes de sécurité sociale ont continué, il faut le souligner, à exercer leurs missions pendant la crise, malgré les confinements, la mise en place du télétravail et les bouleversements économiques et sociaux. Les organismes ont aussi eu à assurer de nouvelles missions ou la gestion de nouveaux dispositifs. Je pense ainsi, pour l'activité de recouvrement, à la faculté générale de report du paiement des prélèvements sociaux pour les employeurs de salariés, à des mesures spéciales en faveur des travailleurs indépendants, ou à la suspension de tout le processus de recouvrement amiable et forcé. Pour la branche maladie, je pourrais évoquer le maintien des droits aux prestations, la distribution d'aides exceptionnelles aux établissements de santé et médico-sociaux et aux professionnels de ville, ou les indemnités journalières dérogatoires.

La priorité a été donnée en 2020 à la production, ce qui est compréhensible vu le contexte, mais cela s'est accompagné d'allègements significatifs des dispositifs de contrôle et d'audit, et, de ce fait, d'une réduction du niveau d'assurance apporté par le contrôle interne sur la fiabilité des comptes, et nos opinons s'en ressentent. Pour l'activité de recouvrement, on peut ainsi noter un allégement des plans de contrôle, l'absence de contrôle ou des contrôles insuffisants sur un certain nombre de risques apparus lors de la crise, ainsi que la réduction de l'ampleur des audits internes. Dans la branche maladie, les contrôles existants ont aussi été allégés, tandis que l'on peut noter l'absence ou la faiblesse des contrôles au cours de l'exercice sur les nouveaux dispositifs. En ce qui concerne la branche famille, le point essentiel a été une réduction des contrôles sur place auprès des allocataires - contrôles qui ont le rendement financier unitaire le plus important -, des redéploiements des contrôles sur pièces, ainsi que la suspension de l'estimation de la fraude. La branche vieillesse a été la moins touchée par la crise.

Les positions de la Cour se sont sensiblement dégradées par rapport à l'exercice précédent, puisque nous constatons une impossibilité de certifier les comptes de l'activité de recouvrement, alors que les comptes de 2019 avaient été certifiés, certes avec quatre réserves. Nous certifions les comptes des branches de prestations, mais avec un nombre de réserves sensiblement plus élevé qu'en 2019 - 22 au lieu de 16. Cela est dû à une forte hausse des constats d'audit par rapport à l'exercice 2019.

Notre impossibilité de certifier les comptes de la branche recouvrement est liée à des incertitudes majeures et à des désaccords en raison de facteurs exceptionnels dus à la crise sanitaire ou à ses conséquences. Ces incertitudes majeures concernent d'abord le produit des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants. Il y a selon nous un risque d'insuffisance, car ces produits n'intègrent que 6 mois ou 2 trimestres de prélèvement du fait des modalités particulières d'appel de 2020 - je souligne que ces modalités particulières d'appel n'ont pas une base juridique suffisante, car elles sont fondées uniquement sur une simple circulaire ministérielle.

On a aussi des incertitudes concernant les dépréciations de créances. Les créances qui peuvent être constatées fin 2020 diffèrent sensiblement des exercices précédents : leur montant est beaucoup plus important, mais les perspectives de recouvrement sont meilleures, parce que d'habitude les créances en fin d'exercice sur les cotisants correspondent à des mauvais payeurs ou à des situations de redressement ou de liquidation judiciaire. Là, c'est différent : les entreprises ont bénéficié d'une faculté générale de report de paiement des prélèvements sociaux. Il était donc justifié que l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'Acoss, procède à une dépréciation de créances ; toutefois, la méthode ad hoc, qui a été appliquée, n'a pas concerné la totalité des créances nées en 2020, et ce sans justification suffisante, tandis que les taux de dépréciation retenus ne sont pas assez justifiés. Enfin, les employeurs de salariés frappés par les mesures administratives de fermeture ont bénéficié d'exonérations et d'aides spécifiques ; or, nous constatons que les produits comptabilisés à ce titre ne sont pas exhaustifs.

Un certain nombre de dispositifs de contrôle interne ont été suspendus, réduits ou reportés. Ces dispositifs de contrôle interne présentaient déjà, avant la crise, un certain nombre de faiblesses qui affectaient l'exhaustivité de la collecte des prélèvements sociaux ; ces faiblesses ont été sensiblement accrues en 2020 et leurs conséquences n'ont pu être mesurées. En effet, dans la mesure où l'activité de recouvrement ne dispose pas d'indicateur synthétique de mesure des risques financiers résiduels, la portée des allègements des contrôles ne peut être correctement appréciée.

Les branches maladie et accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) ont été marquées par de nombreuses mesures nouvelles, en faveur des assurés, mais aussi des acteurs du système de santé - établissements de santé ou médico-sociaux, professionnels conventionnés de villes. Là aussi, les répercussions de la crise sanitaire et des mesures nouvelles sont venues s'ajouter à des faiblesses structurelles du dispositif de contrôle interne, que nous avions déjà décrites, à plusieurs reprises, dans nos rapports de certification ou dans une communication que nous avons faite à la demande de votre commission sur la fraude aux prestations sociales, dans laquelle nous avions souligné que les possibilités de fraudes à l'assurance maladie étaient sensiblement accrues par les faiblesses du contrôle interne.

Sauf exception, la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) n'a pas évalué les impacts financiers des nouveaux risques. De manière générale, elle ne mesure pas certains risques financiers ou les évalue de manière très partielle. On peut noter un progrès, mais en demi-teinte : la CNAM, suivant une recommandation de la Cour, a corrigé sa mesure des risques financiers pouvant le plus aisément être appréhendés sur les facturations qu'elle reçoit des professionnels de santé et des établissements de santé privés à caractère lucratif. Le montant des erreurs, essentiellement au détriment de l'assurance maladie, atteint désormais 2 milliards d'euros, au lieu de 1 milliard comme en 2019, avant cette correction. Ce montant n'a pas un caractère exhaustif, car il n'intègre pas les erreurs de facturation qui concernent les séjours facturés par les établissements publics ou privés non lucratifs de santé, les assurés en surnombre, et la fraude. Ces erreurs peuvent masquer la facturation d'actes qui n'ont pas été réalisés ou qui ne correspondent pas à la facturation effectuée. Les indicateurs de risques financiers résiduels sont donc à considérer comme des valeurs seuils et non comme des valeurs centrales.

Par ailleurs, les éléments de justification des comptes produits par la CNAM ont une densité et une qualité souvent insuffisantes, notamment par comparaison avec les autres branches du régime général. Nous émettons donc deux réserves sur l'individualisation des constats relatifs aux droits des assurés et sur les impacts de l'opinion sur les comptes du recouvrement.

En ce qui concerne la branche famille, nous constatons, là aussi, un allégement du dispositif de contrôle interne et une dégradation des indicateurs qui mesurent les risques financiers résiduels. Si ces indicateurs fournissent des références globalement pertinentes pour apprécier les risques financiers finaux de cette branche, ils se dégradent année après année, sous l'effet de l'allégement du contrôle interne et en raison d'un effet de structure dans la composition des prestations que verse la branche famille : les prestations familiales proprement dites, celles qui sont enregistrées au compte de résultat de la branche, comportent relativement moins d'erreurs que les prestations qui sont versées pour le compte de l'État et des départements (RSA, prime d'activité, aide au logement, etc.) ; or la part relative de ces dernières augmente, en raison notamment de l'élargissement des possibilités de recours à la prime d'activité et de l'augmentation des dépenses liées au RSA ; cela a mécaniquement un impact direct sur l'évolution des risques financiers résiduels. Il faut noter aussi que notre constat repose sur un recul de 9 mois ; on ne pourra porter une appréciation finale sur le montant définitif des erreurs qu'à la fin de l'année prochaine, à l'issue du délai de prescription. Il est à craindre qu'il s'accroisse. Un chantier structurel est en cours, qui vise à l'utilisation des données du dispositif de ressources mutualisées, qui est mis en place pour permettre le calcul des aides au logement en fonction des revenus contemporains. La branche famille a l'ambition, avec le soutien du ministère, d'utiliser ces données pour calculer la prime d'activité ou le RSA.

J'en viens à la branche vieillesse, branche dont le fonctionnement habituel a été le moins perturbé par la crise sanitaire. Malheureusement, nous observons la poursuite, certes à un rythme plus lent que lors des exercices précédents, des erreurs qui affectent les prestations versées par la branche. Ces erreurs peuvent être en faveur ou au détriment des assurés ; elles sont essentiellement liées à des opérations internes aux caisses de retraite, à la différence des branches famille ou maladie, dans lesquelles les erreurs sont principalement liées à des erreurs affectant les données déclarées ou facturées par les bénéficiaires des prestations. Sur ce plan, la situation n'a cessé de se dégrader depuis 2016, année depuis laquelle nous disposons d'éléments d'une fiabilité suffisante pour apprécier le niveau et l'impact financier des erreurs. La plupart des prestations de retraite n'étant pas ultérieurement révisées, il en résulte que les erreurs en faveur ou au détriment des assurés auront des conséquences financières pendant toute la durée de versement de ces prestations, jusqu'au décès des assurés. Nous estimons à 1,6 milliard d'euros le montant cumulatif d'erreurs sur la durée de vie des nouveaux retraités, et ce montant, évidemment, s'accroît dans la mesure où les erreurs elles-mêmes s'accroissent. Elles peuvent porter sur la date d'entrée en jouissance des droits à retraite, mais aussi sur le montant des prestations versées.

Depuis cette année, la CNAV assure directement la gestion des droits à retraite des travailleurs indépendants. Nous avons donc étudié la question de l'adéquation des droits avec les cotisations versées par les travailleurs indépendants, puisque normalement ces droits sont fonction des cotisations. Mais nous n'avons pas pu recueillir ou établir des éléments suffisants permettant de garantir cette adéquation ; cela ne veut pas dire que toutes les prestations de retraite sont fausses, mais que nous n'avons pas été en mesure de déterminer l'importance des écarts et leurs conséquences financières. Quant aux mesures existantes de la portée financière des erreurs de liquidation, leur fiabilité et leur périmètre nous semblent incomplets. Là aussi, nous avons émis deux réserves sur les impacts de l'opinion sur les compte du recouvrement, et sur l'individualisation des constats relatifs aux erreurs définitives.

J'en viens enfin aux comptes du CPSTI. Notre appréciation est tributaire de celle que nous pouvons porter sur les comptes du recouvrement. Nous avons des réserves sur les modalités d'appel des prélèvements sociaux en 2020 et leurs impacts sur la physionomie des produits de l'exercice, sur les dépréciations de créances, ainsi que sur l'absence d'exhaustivité du recensement des réductions forfaitaires de cotisations sociales pour les travailleurs indépendants. Nous estimons que les produits du CPSTI n'ont pas un caractère exhaustif et sont sans doute assez éloignés des produits qui se rattachent en fait à l'exercice 2020. Dans ces conditions, évidemment, le déficit du CPSTI s'en trouve majoré, de notre point de vue, par rapport à ce qu'il devrait être. Par ailleurs, 2020 est une année de transition, puisque c'est la première année où l'ensemble des missions relevant du CPSTI sont gérées par les branches du régime général ; nous estimons que les dispositifs de contrôle interne ne procurent pas une assurance suffisante sur la maîtrise des principaux risques de portée financière. Enfin, en ce qui concerne les retraites complémentaires gérées par la CNAV pour le compte du CPSTI, on manque d'éléments d'assurance sur l'adéquation entre les cotisations versées et les droits à retraite liquidés.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Vos réserves nombreuses ne peuvent que nous pousser à nous interroger. Vous avez insisté sur la branche famille et les erreurs de déclarations qui peuvent entraîner des erreurs importantes concernant le RSA ou la prime d'activité.

Avez-vous les moyens d'estimer les enjeux financiers liés aux incertitudes que vous avez relevées dans votre contrôle ? En d'autres termes, les écritures que la Cour considère comme douteuses sont-elles susceptibles de modifier de manière significative les résultats de la branche - et de la sécurité sociale dans son ensemble - en 2020 ?

Pourriez-vous bien distinguer ce qui, dans vos réserves les plus importantes, présente un caractère structurel et ce qui est lié à la situation exceptionnelle de l'année 2020 ? Avez-vous d'ailleurs pu, lors de vos travaux, constater des améliorations laissant penser que l'exercice 2021 posera moins de problèmes en matière de certification ?

En complément de la question précédente, pour une année aussi exceptionnelle que 2020, la Cour ne considère-t-elle pas comme légitime que le contrôle ait pu ne pas constituer la première priorité des différents organismes, en particulier l'Acoss, qui ont dû mettre en place dans l'urgence de nombreux dispositifs de soutien à l'économie ?

Enfin, dans un tel contexte, la démarche d'unification du recouvrement des cotisations sociales vous semble-t-elle pertinente, ou risque-t-elle au contraire d'aggraver les difficultés relevées par la Cour ?

M. Jean-Pierre Viola. - La Cour n'a pas souhaité, et ce n'était pas l'objet d'un rapport de certification, se prononcer sur l'opportunité des mesures décidées par le gouvernement en réponse à la crise. En revanche, nous nous sommes attachés à leur justification sur le plan juridique et à leur traitement comptable. Or, nous constatons un risque sur la bonne répartition des résultats entre 2020 et 2021 : on déplore un manque d'exhaustivité sur les produits des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants : cela signifie que des montants significatifs sont susceptibles d'être enregistrés en 2021, au titre de 2020, et d'améliorer ainsi la physionomie des comptes de 2021, au détriment de 2020. Il en va de même des produits comptabilisés au titre des exonérations et de l'aide au paiement « covid ». Ces réserves ne sont pas uniquement le fait de la Cour. L'Insee a ainsi procédé, lorsqu'elle a communiqué à Eurostat les éléments relatifs à la situation financière des administrations publiques en 2020, à des corrections significatives des comptes des administrations de sécurité sociale, notamment en ce qui concerne les produits des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants et des exonérations et aides au paiement « covid ». Ses corrections sont d'ailleurs plus importantes que celles que nous avons chiffrées dans notre rapport.

Les chantiers conduits par l'Acoss sont très nombreux. Nous les avons décrits avant la crise dans notre rapport d'octobre 2020 sur l'application les lois de financement de la sécurité sociale : nous constations que beaucoup de chantiers étaient en cours, mais que peu étaient aboutis. L'extension du recouvrement de l'Acoss à la quasi-totalité de la sphère sociale comporte une série de sous-chantiers importants et consommateurs de ressources, pour s'adapter aux spécificités de tous les publics. Nous avions des interrogations sur le transfert du recouvrement des cotisations de retraite complémentaire Agirc-Arrco : nous soulignions la nécessité d'un maintien du calcul des droits à la retraite par salarié en fonction des cotisations déclarées par les employeurs, spécificité du régime de retraite complémentaire par points. La CNAV ne fait ainsi pas de rapprochements systématiques entre les cotisations déclarées par les employeurs et les salaires reportés au compte des salariés. C'est sans doute un motif d'insuffisance du produit des cotisations, que nous avions souligné dans notre communication à votre commission sur la fraude. Il est donc essentiel que le transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco s'accompagne du maintien d'une individualisation des droits. Les enjeux ne sont pas négligeables. Chaque année Agirc-Arrco procède ainsi à une régularisation en sa faveur d'environ 1,5 milliard d'euros. Nous proposons que le transfert soit repoussé si l'individualisation des droits ne pouvait être assurée dans de bonnes conditions. Il n'y a pas à avoir de fétichisme des délais en la matière. Chacun a en tête le précédent de l'interlocuteur social unique des travailleurs indépendants, où deux systèmes d'information existaient, celui du recouvrement et celui du RSI, entraînant des problèmes de communication et des anomalies en série, difficiles à résorber.

M. René-Paul Savary. - Nous avions indiqué que le transfert à l'Acoss de tout le recouvrement des cotisations sociales serait compliqué. Vous avez noté les différences de calcul entre le régime Agirc-Arrco et le régime général. Il ne faut pas hésiter à reporter ce chantier en raison de la crise. Les rapprochements sont toujours délicats. Il est aussi difficile de comprendre pourquoi l'Acoss sera chargée du recouvrement, tandis que l'Agirc-Arrco continuera à réaliser les contrôles. Ce n'est pas un gage d'efficacité !

J'ai été interpellé par le fait qu'une circulaire ministérielle n'a pas été suivie d'une mesure législative. Inouï : l'exécutif méprise le Parlement ! Les conséquences peuvent être importantes, notamment pour les différés de cotisations proposés par le Gouvernement, et notamment pour les indépendants et le fonds de garantie : pour un certain nombre d'entreprises, les 10 000 euros par mois étaient une aubaine ; pour d'autres, on va peut-être leur demander 47 % de cotisations ! Les régimes dont nous avons auditionné les représentants nous ont alertés sur ce point.

Vous préconisez toujours un certain nombre de mesures contre la fraude. Pouvez-vous nous rappeler lesquelles ? Il semble qu'il n'y ait pas encore de volonté vraiment significative de ces organismes de mettre fin, le plus possible, à la fraude, et j'en suis, tout comme le rapporteur général, franchement désolé. Quelle masse financière représentent les 260 000 révisions de droit intervenues en 2020, suite aux écarts entre les données de la CNAM et celles de l'Acoss en matière de décompte des droits à prestations ouverts pour les travailleurs indépendants ? Vous avez rappelé qu'une prestation sur six était mal calculée. Cela interpelle ! Quels facteurs expliquent cette importante augmentation ? La mise en oeuvre du Répertoire unique de gestion des carrières, qui devait être une avancée, a bien du mal à se faire. Permettra-t-elle d'éviter un certain nombre d'erreurs ?

Mme Frédérique Puissat. - La protection sociale des travailleurs indépendants a été créée suite à la fusion du RSI dans le régime général. La situation de crise sanitaire est inédite, et nous sommes sur un régime de transition, comme vous l'avez dit : c'est la première fois que vous certifiez ces comptes - et en l'occurrence vous ne les certifiez pas ! Le ministre de la santé a fait un communiqué de presse pour nous dire de ne pas nous inquiéter. Mais cela peut tout de même nous inquiéter, car cela concerne 2 millions de cotisants, et parce que ce régime a été intégré avec un excédent de fonctionnement d'un milliard d'euros fin 2019, et des réserves financières de 16 milliards d'euros.

Que pensez-vous de la fusion du régime des indépendants dans le régime général ? Le CPSTI dispose-t-il des outils nécessaires pour accomplir l'ensemble des attributions qui découlent de la réforme de la loi de financement de sécurité sociale de 2018 ? Dans les causes de la non-certification des comptes, quelle est la part du contexte sanitaire ? Quelle est celle de la fusion du régime des indépendants dans le régime général ? La prime Covid, contestée par le Gouvernement, a finalement été mise en place. Votre rapport indique que 27 000 micro-entrepreneurs étaient inéligibles à cette aide, mais en ont bénéficié. Ce chiffre est-il exact ? Peut-on expliquer ces erreurs ? Quelles en seront les conséquences ?

M. Jean-Pierre Viola. - Pourquoi cette dégradation continue de la liquidation des prestations de retraite ? Une part croissante des prestations est affectée par des erreurs de portée financière. En 2016, cela concernait une nouvelle prestation sur neuf. En 2019, c'était une sur six. Et l'impact financier des erreurs a doublé entre ces deux années. Certaines erreurs affectent la date d'entrée en jouissance des droits. D'autres, portant sur le montant mensuel des prestations versées, auront des effets généralement durables. La plupart des erreurs portent sur les données de carrière : trimestres manquants, ou surnuméraires, salaires en trop, ou en moins, périodes assimilées mal comptabilisées... Ce ne sont pas celles qui ont l'incidence financière la plus forte, puisque le calcul des retraites est lissé sur les 25 meilleures années. Certaines erreurs affectent les ressources, et notamment celles qui sont prises en compte pour les pensions de réversion, l'allocation de solidarité aux personnes âgées ou le minimum vieillesse. Leur impact financier est généralement important.

La première cause de cette situation est que les services ordonnateurs font beaucoup d'erreurs. Il n'est pas rare de voir que, pour un technicien de retraite, 50 % des nouvelles prestations qu'il liquide sont affectées d'erreurs. Deuxièmement, les agences comptables effectuent des contrôles sur une part prépondérante, mais non sur la totalité des retraites nouvellement liquidées, ce qui peut se comprendre au regard des effectifs qui leur sont attribués. Et, quand elles font des contrôles, elles ne détectent qu'une erreur sur deux. Enfin, lorsque les agences comptables détectent des erreurs, les services ordonnateurs ne font pas nécessairement les corrections attendues.

Résultat : le niveau d'erreurs augmente année après année. Les réponses, évidemment, sont à chercher dans l'évolution du système d'information. Un nouvel outil de régularisation des carrières sera généralisé en 2021. Il devrait mieux guider les techniciens de retraite dans les tâches qu'ils effectuent. Il y a aussi une question de formation initiale continue des techniciens de retraite : 30 à 50 % de prestations nouvellement liquidées affectées d'erreurs, à un titre ou à un autre, c'est évidemment beaucoup trop. Et le fait que le contrôle n'appréhende qu'une erreur sur deux, c'est insuffisant. Enfin, il y a un sujet managérial, de toute évidence. Le ministère de la santé a fixé, dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestion, pour ce qui concerne la branche vieillesse, mais aussi la branche famille et la branche maladie, des objectifs de réduction des erreurs. Se pose toutefois la question des moyens de toute nature à mobiliser pour les réduire.

Vous m'interrogez sur l'évaluation de la fraude. Seule la branche famille procède à cette évaluation. Suite à la communication que nous avons adressée à votre commission sur la fraude aux prestations sociales, ainsi qu'au travail réalisé par l'Assemblée nationale sur ce même sujet, le ministre des solidarités et de la santé a prescrit à l'ensemble des branches de prestations une évaluation tous les deux ans de la fraude aux prestations. Nous suivrons ce travail attentivement. L'enjeu principal est celui d'une mesure la plus exhaustive possible des erreurs affectant les prestations versées, qu'elles soient liées à des fraudes ou non. C'est pour la branche maladie qu'à l'heure actuelle nous ne disposons pas des éléments nécessaires.

En ce qui concerne le CPSTI, la situation est très frustrante. Cela nous désole d'avoir été attributaires d'une nouvelle mission de certification et, la première année, de constater une impossibilité de certifier. Cette impossibilité est surtout liée aux impacts, dans le recouvrement, sur le montant des produits et le solde du CPSTI. Mais il y a aussi des questions relatives au contrôle interne. Ce sont les branches du régime général qui effectuent l'ensemble des tâches de gestion pour le compte du CPSTI, qui est une petite structure administrative. Il est important qu'elles intègrent dans leur dispositif de contrôle interne l'ensemble des enjeux relatifs aux travailleurs indépendants. C'est en grande partie le cas, mais si nous estimons qu'il y a des progrès à faire, à la fois pour disposer d'une représentation globale de l'ensemble des risques qui affectent les processus de gestion relatifs aux prestations gérées pour le compte du CPSTI, et aussi aux prélèvements sociaux - même si l'intégration de ces derniers au sein du régime général est plus ancienne -, et pour disposer de mesures pertinentes de l'efficacité du contrôle interne. À ce point de vue, nous attendons beaucoup de 2021. Le dialogue d'audit est engagé, et les gestionnaires administratifs du CPSTI ont bien pour objectif de prendre en compte l'ensemble des remarques de la Cour, avec beaucoup de bonne volonté. Encore faut-il que les branches du régime général suivent. Nous avons préconisé que le ministère des solidarités et de la santé soit très attentif aux remarques de la Cour et aux recommandations que nous avons pu émettre tout au long de l'audit, et les relaie.

Le rapporteur général m'a demandé de distinguer ce qui relevait du structurel et du conjoncturel. Si la crise sanitaire n'était pas survenue, si un certain nombre de mesures exceptionnelles n'avaient pas été prises, si le rythme d'appel des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants était resté le même, si les créances en fin d'exercice avaient toujours correspondu aux mauvais payeurs et à un certain nombre d'entreprises en redressement, je pense que nous n'aurions pas eu cette position. Cela étant, 2020 fut une sorte d'année parenthèse... Mais il nous semble important que ce ne soit pas une année inutile, pas plus que 2021. L'Acoss, à partir du second semestre 2021, doit s'engager à nouveau dans une trajectoire d'amélioration de son dispositif de contrôle interne. Malheureusement, comparativement à d'autres entités, nous avons constaté que les sujets de contrôle interne stagnaient, et qu'un certain nombre de constats anciens ne trouvaient pas leur résolution. Il est vrai que l'Acoss mène simultanément un très grand nombre de chantiers. Dans ce contexte, la maîtrise des risques ne reçoit pas le degré de priorité qui devrait lui revenir au regard des enjeux financiers qui s'y attachent. Il ne s'agit pas de faire plaisir à la Cour des comptes, mais de bien maîtriser les deniers publics, d'assurer l'exhaustivité des prélèvements sociaux et de payer à bon droit les prestations sociales.

Sur la prime Covid, nous avons constaté que l'Acoss a procédé très rapidement pour le paiement. Il y a eu une erreur dans la définition de la requête, qui a donc attrapé un certain nombre de cotisants ou d'assurés qui ne relevaient pas du champ légal de la prime en question. L'impact n'est pas monumental, et n'a pas en tant que tel d'effet désastreux sur le résultat du CPSTI. Mais c'est une anomalie importante, tout comme le défaut de comptabilisation de charges au titre de la seconde prime Covid : ces charges ont été comptabilisées dans la limite d'une dotation à caractère budgétaire, prévue par un arrêté ministériel, et nous n'avons pas compris pourquoi l'arrêté ministériel n'avait pas été modifié de façon à permettre la comptabilisation de l'ensemble des charges. D'un point de vue pédagogique, il nous a paru important d'indiquer à nos interlocuteurs l'ensemble des points significatifs en termes de montant, mais aussi par nature.

Mme Catherine Deroche, présidente. - À l'initiative de Jean-Marie Vanlerenberghe, très attaché au sujet de la fraude sociale, nous avions intégré au PLFSS des dispositions inspirées du rapport que vous nous aviez rendu en septembre. Et une proposition de loi a été déposée à la suite du travail de notre collègue Nathalie Goulet sur la fraude.

M. René-Paul Savary. - Nous y travaillons aussi dans le cadre de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss).

Mme Catherine Deroche, présidente. - L'année 2020 a été particulière, et l'année 2021 le sera sans doute aussi...

M. Jean-Pierre Viola. - Elle ne doit pas être une année blanche. Beaucoup de chantiers se poursuivent, et les organismes de sécurité sociale n'ont pas cessé leur activité. Dans le cadre des orientations tracées par le Premier président, la Cour et les chambres régionales des comptes se rénovent, avec le projet « Juridictions financières 2025 », qui prévoit notamment un réexamen périodique des enjeux relatifs à la fraude aux prélèvements obligatoires, donc aussi aux prélèvements sociaux, et aux prestations sociales. Nous avons donc déjà programmé toute une série d'enquêtes sur des sujets ponctuels, mais importants, qui constituent autant de sous-ensembles de la communication que nous vous avions adressée.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - La Cour des comptes ne pourrait-elle proposer aux organismes concernés une méthode d'estimation et d'évaluation de la fraude ? Dans ce domaine, nous restons trop approximatifs. Que la Cour encadre ces estimations serait aussi un moyen d'inciter les différents organismes, et notamment l'assurance maladie, à y procéder.

M. Jean-Pierre Viola. - Je partage votre crainte d'un manque d'exhaustivité des mesures. Dans le cadre de la feuille de route qu'ils ont fixée aux organismes nationaux du régime général, les ministres leur ont demandé de procéder à ces travaux en liaison avec la Cour, entre autres.

Mme Élisabeth Doineau. - Ce point est important, car il donne lieu à d'innombrables fantasmes. Il faut veiller en particulier à ce que la communication soit très précise. Sinon, sur les réseaux sociaux, c'est du délire...

Mme Catherine Deroche, présidente. - Et pas que sur ce thème ! Merci à tous.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 10.