Mercredi 15 décembre 2021

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président, Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, M. Claude Raynal, président de la commission des finances, et M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Sécurité d'acheminement des communications d'urgence - Examen du rapport d'information

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous sommes réunis pour examiner le rapport d'une mission de contrôle réunissant plusieurs commissions, dont je salue les présidents. Nous entendrons leurs rapporteurs : Jean-Michel Houllegatte pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Patrick Kanner pour la commission des lois, Patrick Chaize pour la commission des affaires économiques, Marie-Pierre Richer pour la commission des affaires sociales et Jean Pierre Vogel pour la commission des finances.

Comme vous le savez, une panne sur le réseau d'Orange, le 2 juin dernier, a fortement perturbé les communications d'urgence, causant la mort de quatre personnes. Cette mission a procédé à l'audition de Didier Vidal, administrateur interministériel des communications électroniques de défense, de Stéphane Richard, alors PDG d'Orange, et de Guillaume Poupard, directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi).

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure au nom de la commission des affaires sociales. - Le 2 juin dernier, une panne massive sur le réseau de l'opérateur Orange a fait obstacle à l'acheminement de 10 000 communications d'urgence ayant, vraisemblablement, causé la mort d'au moins quatre personnes.

Devant les risques vitaux que font courir de telles pannes, le Sénat a souhaité prendre toute la mesure du dysfonctionnement survenu en instituant la présente mission d'information composée de MM. Jean-Pierre Vogel et Patrick Chaize, de M. Jean-Michel Houllegatte et moi-même, respectivement nommés par les commissions des finances, des affaires économiques, du développement durable et des affaires sociales. La commission des lois a nommé Mme Françoise Dumont et MM. Loïc Hervé et Patrick Kanner, tous trois rapporteurs de la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi « Matras », dont l'article 17 modifie les obligations à la charge des opérateurs en matière d'acheminement des communications d'urgence.

Afin d'établir la lumière sur les faits survenus, la mission a procédé aux auditions de Didier Vidal, administrateur interministériel des communications électroniques de défense, de Stéphane Richard, alors PDG d'Orange, et de Guillaume Poupard, directeur général de l'Anssi. Par ailleurs, l'Anssi a publié, le 19 juillet dernier, un rapport sur la panne du 2 juin, en lien avec l'inspection générale de l'administration, l'inspection générale des affaires sociales, le commissariat aux communications électroniques de défense et le conseil général de l'économie.

Ces auditions et la lecture de ce rapport ont été particulièrement instructives : les communications d'urgence sont certes soumises à un régime juridique spécial, mais sont transmises via une technologie relativement classique qui n'est pas distincte de celle qui est utilisée pour les appels ordinaires.

Le code des postes et des communications électroniques (CPCE) les définit comme des communications entre un utilisateur final et le centre de réception des communications d'urgence, dont le but est de demander et de recevoir des secours d'urgence de la part des services d'urgence qui sont chargés de la sauvegarde des vies humaines, des interventions de police, de la lutte contre l'incendie et de l'urgence sociale, comme le précise le même code.

En France, les numéros d'urgence sont relativement nombreux : on n'en compte pas moins de 13. Certains sont connus de tous, tels que le 17, le 15 ou le 18, mais d'autres le sont moins, comme le 114 permettant l'accès des services d'urgence aux personnes à déficience auditive ou le 191 pour les urgences aéronautiques.

Les obligations des opérateurs en matière de communications d'urgence sont prévues à l'article 33-1 du CPCE, qui a connu de nombreuses modifications en un temps relativement limité. Il prévoyait initialement des obligations en lien avec « les conditions de permanence, de qualité, de disponibilité, de sécurité et d'intégrité du réseau et du service qui incluent des obligations de notification à l'autorité compétente des incidents de sécurité ayant eu un impact significatif sur leur fonctionnement » ainsi que « l'acheminement gratuit des communications d'urgence ».

Toutefois, cet article a été réécrit par l'ordonnance du 26 mai 2021 transposant la directive du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen. Dans la rédaction issue de cette transposition par ordonnance, seul un critère de gratuité de l'acheminement des communications d'urgence a été retenu et il n'est plus fait mention des conditions de permanence, de qualité, de disponibilité et d'intégrité du réseau. Cet article a ensuite été modifié par la loi « Matras » à la suite de la panne.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - D'un point de vue technique, ces treize numéros d'urgence formulés sous forme courte, tels que le 17, le 18 ou le 15 sont, en réalité, convertis en un numéro long, à dix chiffres, attribué au centre de traitement de l'appel d'urgence correspondant le plus proche géographiquement du lieu d'émission de l'appel.

Ainsi, une victime souhaitant joindre les pompiers à la suite d'un accident se produisant à Bordeaux verra son appel au 18 transmis, en réalité, au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Gironde via un numéro à dix chiffres à plusieurs égards semblable au numéro attribué à un particulier par un opérateur.

La transmission des appels passés par le biais des numéros d'urgence est assurée grâce à différentes technologies, et 85 % d'entre eux sont utilisés par des centres qui ont un raccordement en RTC, c'est-à-dire via le réseau téléphonique commuté qui assure historiquement le service de téléphonie par un réseau « cuivre ».

L'acheminement de la grande majorité des communications d'urgence par le réseau « cuivre », dont l'opérateur historique est Orange, présente des fragilités. La première est inhérente à la phase de transition de ce réseau, qui permet le raccordement de la téléphonie fixe, vers les réseaux en VoIP, qui assurent notamment l'accès à une offre internet à haut débit.

L'année 2021 constitue une année historique de croisement des courbes : le nombre d'abonnés utilisant les réseaux de fibre optique a dépassé le nombre d'abonnés utilisant le réseau « cuivre ». Dans une perspective de mutation technologique et d'amélioration de la connectivité sur notre territoire, un plan stratégique d'extinction progressive du réseau cuivre à l'horizon de 2030 a été mis en place par l'opérateur. Des tests sont réalisés actuellement dans certaines zones.

Dans son rapport d'information relatif à l'examen des crédits dédiés au numérique et aux télécommunications du projet de loi de finances (PLF) pour 2022, la commission des affaires économiques insistait sur le fait que l'extinction progressive du réseau cuivre et les investissements réalisés dans le déploiement des réseaux de fibre optique ne devaient pas se traduire par un désengagement de l'opérateur en matière de qualité de service et d'entretien des réseaux pour les très nombreux abonnés dont la connexion dépend encore du réseau « cuivre ».

Rapporteur pour avis de ces crédits, j'ai également insisté sur l'importance de l'entretien du réseau « cuivre » ; des injonctions pourraient être adressées à Orange pour rappeler que le réseau « cuivre » a toute son utilité et qu'il est important de continuer à s'y intéresser.

Au regard de l'importance des enjeux, le Gouvernement a annoncé un « plan Cuivre » en mai dernier, qui précise les engagements supplémentaires qui doivent être pris par Orange, notamment le maintien d'un investissement annuel à hauteur de 500 millions d'euros pour l'entretien du réseau sur l'ensemble du territoire.

Toutefois, ce « plan Cuivre », tout comme le plan stratégique d'extinction du réseau « cuivre » d'Orange, ne semble pas contenir de dispositions spécifiques relatives aux centres de traitement des appels d'urgence et à la transition de leur raccordement du réseau cuivre vers les réseaux en VoIP.

Des engagements spécifiques et supplémentaires doivent être pris afin que les interventions sur le réseau « cuivre » ne conduisent pas de nouveau à des dysfonctionnements significatifs dans l'acheminement des appels d'urgence. Ces préoccupations sont accentuées dans les territoires ruraux dans lesquels on constate des difficultés d'accès géographique aux soins - du fait d'un éloignement de l'offre médicale - et un temps d'intervention des services de secours en moyenne plus élevé qu'en zone urbaine. Il faut absolument leur éviter la double peine en y ajoutant des difficultés à contacter les services d'urgence.

La seconde fragilité est liée à la période suivant l'extinction du réseau cuivre puisque la multiplication des opérateurs qui vont émerger sur le réseau risque de diluer leur responsabilité en cas de panne. Dans cette perspective, nous appelons à une clarification du régime de responsabilité.

M. Patrick Kanner, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. - Je parlerai également au nom de mes collègues rapporteurs Françoise Dumont et Loïc Hervé, qui n'ont pu être présents aujourd'hui.

Le rapport de l'Anssi du 19 juillet 2021 a pu établir une chronologie très précise des évènements qui corrobore les explications fournies par le PDG d'Orange quant à la source de la panne. La panne a été initiée à 16 heures par une opération de maintenance sur les équipements de VoIP d'Orange, à Lille, à laquelle a fait suite une modification de configuration de l'ensemble des call servers d'Orange permettant l'interconnexion entre les réseaux IP et le RTC.

Selon ce même rapport, cette modification de configuration a très rapidement entraîné « une hausse des échecs de communications vers les numéros des services d'urgence » sur le réseau Bouygues Télécom, une « chute soudaine » des appels entrants auprès du SAMU du Nord ainsi que des difficultés rencontrées par le SAMU de Paris et par la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Seize minutes après les modifications de configuration ayant engendré la panne, les services techniques d'Orange ont identifié le problème et mobilisé des experts en interne. Toutefois, le rapport souligne une « insuffisante réactivité ».

En effet, à partir de l'identification du problème intervenue à 17 heures, il aura, par exemple, fallu à Orange : plus d'une heure pour effectuer un signalement interne faisant état du fait que les services d'urgence d'Île-de-France, du Grand Est et du département du Nord étaient injoignables ; près de deux heures pour signaler cet incident majeur au Centre opérationnel interministériel des crises ; près de trois heures pour organiser la première réunion de la cellule de crise interne à Orange ; près de quatre heures pour établir un premier contact avec un autre opérateur pour signaler un dysfonctionnement sans préciser l'impact particulier sur les numéros d'urgence et dix-sept heures trente pour organiser la première réunion avec les opérateurs tiers.

De leur côté, les différents services d'urgence concernés ont fait part d'une grande réactivité que nous tenons à saluer en diffusant, notamment, des numéros de contournement à dix chiffres permettant de les contacter.

Particulièrement touchés par la panne, plusieurs SAMU ont fait preuve d'efficacité et d'initiative. C'est notamment le cas des SAMU du Nord et d'Île-de-France, qui ont été parmi les premiers services d'urgence concernés et qui ont rapidement relayé l'information à l'association nationale des SAMU-Urgences de France, afin de mettre en place une cellule de crise informelle. Cette association a joué un rôle clé dans la remontée d'informations.

En outre, le SAMU du Nord a très rapidement contribué à diffuser un numéro à dix chiffres, y consacrant jusqu'à dix postes dans le cadre de sa cellule de crise, qui sera, par la suite, mise à profit pour réceptionner les appels à destination du SDIS du Nord et à destination du 17. Les numéros à dix chiffres des SAMU de chaque département seront finalement diffusés à la population par le ministère de la santé via son site internet et les agences régionales de santé (ARS). Ils ont aussi été relayés par les médias en continu.

Malgré les efforts fournis, à leur niveau, par les services d'urgence concernés, la panne a conduit à ce que 10 000 appels d'urgence n'aient pu aboutir, selon l'estimation fournie par Stéphane Richard.

Les conséquences ont été lourdes puisque quatre décès ont été attribués à cette panne par le ministère de l'intérieur. Au-delà de ce chiffre, il semble particulièrement difficile, à l'heure actuelle, d'établir avec certitude les conséquences réelles de cette panne tant elles peuvent être multiples, notamment en matière de perte de chance pour les victimes n'ayant pas réussi à joindre un service d'urgence ou l'ayant joint après plusieurs tentatives rendues infructueuses par la panne.

M. Patrick Chaize, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques. - La panne du 2 juin 2021 a fait l'objet de plusieurs mesures d'enquête et d'évaluation visant à en analyser les causes et les conséquences afin d'en prévenir les apparitions futures. Ainsi, l'opérateur Orange a, de lui-même, mis en place un audit interne « sans délai », comme nous l'indiquait son PDG, Stéphane Richard.

Le rapport d'évaluation le plus complet sur la panne est le rapport de l'Anssi du 19 juillet dernier. Nous saluons la qualité de ce document qui aboutit à une série de recommandations opérationnelles.

Sa recommandation « Clarifier et renforcer les obligations de service public qui s'imposent à l'acheminement des services d'urgence » s'est déjà partiellement traduite par la modification des dispositions législatives applicables aux opérateurs en matière d'appels d'urgence. En effet, l'article 17 de la loi « Matras » réintroduit une obligation de continuité de l'acheminement des communications d'urgence, obligation qui avait été récemment supprimée.

Cette évolution législative est à mettre en perspective avec les évolutions réglementaires récentes prises dans le cadre de la transposition de la directive européenne du 11 décembre 2018. Ces deux étapes marquent donc un premier pas dans la mise en oeuvre de la recommandation du rapport précité.

Toutefois, ces avancées concernent les dispositions générales applicables aux opérateurs de télécommunications, mais pas leurs obligations de service public. En effet, cette directive européenne ne considère pas que l'acheminement des communications d'urgence fasse partie des obligations du service universel des communications électroniques.

La portée d'une obligation générale applicable aux opérateurs est moindre que celle d'une obligation de service public.

L'état actuel du droit, ainsi que la panne massive intervenue sur les réseaux d'Orange, nous conduit à nous interroger sur l'avenir du service universel des communications électroniques. Depuis la fin de l'année 2020, le Gouvernement n'a toujours pas désigné de nouveau prestataire pour assurer ce service universel. Nous appelons donc à la mise en oeuvre rapide d'une nouvelle procédure de désignation du prestataire de service universel avec des obligations renforcées en matière d'acheminement des communications d'urgence renvoyant a minima aux dispositions de l'article L. 33-1 du CPCE, qui consacre une obligation générale de continuité de l'acheminement des communications d'urgence.

Comme de coutume, le Sénat veillera à ce que le décret d'application prévu par l'article 17 de la loi « Matras » soit publié dans des délais raisonnables et qu'il respecte tant la lettre de la loi que la volonté du législateur.

Nous veillerons également à utiliser nos prérogatives en matière de contrôle pour nous assurer que le Gouvernement favorise l'émergence de solutions technologiques permettant d'améliorer la fiabilité des transmissions des appels d'urgence, comme le recommande le rapport du 19 juillet.

En tant que parlementaires, nous veillerons à contribuer à une réflexion d'ensemble sur l'avenir du secteur des télécommunications. Cette panne souligne l'ampleur des défis à relever dans ce secteur. Ces défis sont nombreux, liés et interconnectés : ils ne devraient pas être examinés séparément. Pour les années à venir, c'est d'une stratégie globale dont nous avons besoin.

S'interroger sur les raisons de la panne du 2 juin dernier, c'est poser la question des obligations de service public des opérateurs et de l'avenir du service universel des communications électroniques.

S'interroger sur ce service universel, c'est poser la question de la transition technologique du réseau « cuivre » vers les réseaux fibre pour garantir un accès internet haut débit sur l'ensemble du territoire.

Cette transition ne doit laisser personne de côté, la qualité de service doit être assurée jusqu'au dernier mètre et jusqu'au dernier abonné.

Nous voulons que le plan Cuivre du Gouvernement et que les engagements pris sur ce sujet par Orange intègrent des dispositions spécifiques relatives à la transmission des appels d'urgence et au raccordement des centres de traitement de ces appels.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur au nom de la commission des finances. - Il convient de développer de nouvelles possibilités d'informer les populations en cas de panne des numéros d'urgence. Les développements de mon rapport de 2017 sur le volet mobile du système d'alerte et d'information des populations (SAIP) et l'intérêt pour la technologie de Cell Broadcast sont de nouveau d'actualité.

Il convient de prédéfinir les moyens alternatifs par le biais desquels les services de secours pourraient être contactés en cas de panne des numéros d'appel d'urgence. À ce titre, la mission d'information appelle à une réflexion profonde ouverte à l'ensemble des technologies disponibles.

Enfin, nous tenons à formuler une mise en garde des plus solennelles : alors que la panne du 2 juin a permis de prendre conscience des enjeux vitaux de la transmission des appels d'urgence, nous attirons l'attention sur un autre risque majeur qui concerne le traitement de ces appels d'urgence par les services d'incendie et de secours.

Ces appels sont traités par des SDIS via des systèmes, les systèmes de gestion des alertes et de gestion opérationnelle (SGA-SGO), qui leur permettent, en temps réel, d'identifier, de localiser et de mobiliser les moyens humains et matériels dont ils disposent pour répondre à une alerte donnée. Ces systèmes sont véritablement la moelle épinière des services d'incendie et de secours et de leur capacité opérationnelle.

Or, certains SGA-SGO, devenus particulièrement obsolètes, ne sont plus mis à jour par leurs éditeurs et certains systèmes anciens ne proposent pas les fonctionnalités récentes telles que la géolocalisation des appels d'urgence.

C'est la raison pour laquelle le projet NexSIS 18-112 a été initié en 2016. Il est porté par l'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC), dont notre collègue Françoise Dumont a été présidente, afin d'offrir aux SDIS qui le souhaitent une solution permettant le remplacement de leurs SGA-SGO.

Sept services d'information et de secours devaient initialement voir leurs SGA-SGO actuels remplacés par le système NexSIS en 2021, puis quatorze services d'incendie et de secours supplémentaires ainsi que la brigade des sapeurs-pompiers de Paris en 2022. Cependant, le conseil d'administration de l'ANSC du 7 juillet 2021 a révélé que le calendrier initial ne pourrait être tenu.

Ce retard fait craindre des pannes lourdes des SGA-SGO obsolètes ne pouvant être remplacés dans les temps. De telles pannes auraient des conséquences dramatiques dans les départements concernés, sans aucune commune mesure avec la panne des numéros d'appels d'urgence connue le 2 juin dernier.

Ce retard n'est pas imputable aux équipes de l'ANSC dont nous tenons à souligner l'excellence du travail et l'exemplarité de l'engagement. Mais elles ne suffisent pas à compenser le manque de moyens affectés par l'État à cette agence que le Sénat n'a cessé de souligner : d'abord dans mon rapport d'information « NexSIS 18-112 : un projet de mutualisation des systèmes d'information des SDIS, dont l'intérêt sur les plans économique et opérationnel doit être garanti », puis dans les rapports que Françoise Dumont et moi-même avons commis sur les crédits affectés à la sécurité civile lors du dernier PLF.

J'ai souligné que le plafond d'emplois de l'ANSC a été maintenu à 12 équivalents temps plein travaillé (ETPT) dans le PLF pour 2022, malgré les demandes de moyens humains supplémentaires formulées par l'agence. Françoise Dumont a, elle, dénoncé la faiblesse de la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS qui finance exclusivement l'ANSC à hauteur de 2 millions d'euros au sein du PLF pour 2022.

Alors que cette dotation avait été créée en 2016 pour redéployer les économies permises par la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR) à destination des sapeurs-pompiers volontaires, l'écart cumulé entre les économies réalisées au titre de la nouvelle PFR et les montants redistribués via la dotation aux investissements structurants n'a cessé de croître et était évalué, en 2020, à plus de 62 millions d'euros. Un redéploiement complet des économies déjà réalisées au travers du passage à la nouvelle PFR permettrait donc de couvrir largement les besoins de l'ANSC pour la mise en place du programme NexSIS.

Au regard des conséquences de la panne du 2 juin dernier, du caractère vital du programme NexSIS, du retard déjà enregistré pour son déploiement, des engagements financiers significatifs portés par les SIS et de la baisse récurrente de la dotation aux investissements structurants des SDIS qui assure le financement de ce programme, nous réitérons le souhait d'un effort financier conséquent de l'État pour le financement de l'ANSC.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Je remercie l'ensemble des rapporteurs pour ce travail.

Les commissions autorisent la publication du rapport d'information.

La réunion est close à 9 h 30.

Mercredi 15 décembre 2021

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Audition de M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, je suis très heureux d'accueillir M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF.

Il y a tout juste un an, nous vous confirmions dans vos fonctions. L'audition d'aujourd'hui permettra donc de faire un bilan de vos deux premières années à la tête du groupe SNCF. L'an dernier, vous nous affirmiez que « si 2020 a été une année de révélation, 2021 sera une année d'accélération ». Nous arrivons au terme de cette année 2021 et je souhaitais, avant toute chose, vous demander si l'accélération que vous évoquiez s'est effectivement produite. D'après vous, quels sont les grandes perspectives et les principaux objectifs qui attendent le groupe pour 2022 ?

Je vous pose cette question, car le groupe SNCF, c'est-à-dire chacune des entités qui le composent - je pense à SNCF Voyageurs et Keolis, à SNCF Réseau et à sa filiale Gares & Connexions - est confronté à d'importantes mutations et à des défis sans précédent.

En ce qui concerne le transport de voyageurs d'abord, une double mutation d'ampleur est à l'oeuvre avec, d'une part, une diminution importante des trafics sous l'effet de la crise sanitaire et des changements des comportements des usagers - télétravail, usage de la voiture, etc. - et, d'autre part, l'ouverture à la concurrence qui devient une réalité puisque Trenitalia fera circuler des trains à grande vitesse sur le Paris-Lyon à compter du 18 décembre prochain et que plusieurs régions se sont engagées dans une telle démarche pour ce qui est des services conventionnés.

Pourriez-vous revenir sur ces deux évolutions marquantes, en particulier sur l'impact, à date, de la crise sanitaire sur le groupe et sur l'éventuelle remise en question de son modèle économique et financier, alors que le projet de loi de finances pour 2022 prévoit la suppression de la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires (TREF) et de la contribution de solidarité territoriale (CST) ?

Enfin, pourriez-vous nous exposer les évolutions de la politique commerciale et tarifaire que vous envisagez dans ce contexte, et les grands axes de votre stratégie en matière de qualité de service ? La dernière comparaison établie par l'Autorité de la qualité de service dans les transports fait état d'une situation qui peut encore être améliorée malgré les progrès réalisés.

Je souhaiterais également vous interroger sur le climat social au sein du groupe, puisque nous avons très récemment appris que plusieurs syndicats ont déposé un préavis de grève à la SNCF pour ce week-end de départ en vacances pour les fêtes de fin d'année, dans le contexte de négociations relatives aux accords de branche. Où en sont les discussions ? Les Français pourront-ils profiter pleinement des fêtes en ayant les moyens de circuler dans de bonnes conditions ?

Le gestionnaire d'infrastructure, SNCF Réseau, joue un rôle absolument stratégique et ses moyens ont été considérablement augmentés dans le cadre du plan de relance puisque 4,7 milliards d'euros ont été alloués au financement d'investissements en matière d'infrastructures ferroviaires. Pour autant, la commission, suivant l'avis du rapporteur Philippe Tabarot, a estimé que cette enveloppe, étalée sur trois ans, demeurait malgré tout insuffisante pour rattraper le retard de la France dans l'entretien de son réseau et sa modernisation et pour véritablement donner au ferroviaire les moyens de nos ambitions en matière de report modal et de réduction des émissions liées au secteur des transports. Partagez-vous ce constat ? Par ailleurs, pourriez-vous détailler les grands projets d'infrastructures envisagés dans les prochaines années pour atteindre ces objectifs et les moyens déployés en faveur des petites lignes ferroviaires, sujet qui intéresse notre commission au premier plan d'une part - je rappelle d'ailleurs que la ligne Saint-Dié-Épinal a été très récemment rouverte -, et pour la désaturation des grands noeuds ferroviaires, d'autre part ?

Par ailleurs, l'actualisation du contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État devrait nous être transmise sous peu, à l'issue des différentes consultations prévues par la loi, avec environ deux ans de retard. Nous aurons sans doute l'occasion d'entendre le président-directeur général de SNCF Réseau sur ce document. Pourriez-vous également nous dire où en sont les négociations du contrat entre l'État et Gares & Connexions ?

Enfin, pourriez-vous évoquer la situation de Fret SNCF et les perspectives de développement du fret ferroviaire ? Notre commission est particulièrement attentive à ce sujet, ainsi qu'en témoignent les travaux de la mission d'information sur le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux, dont les conclusions rendues en mai dernier soulignent la nécessité de la montée en puissance du fret ferroviaire, mais aussi les nombreux obstacles à lever pour concrétiser nos objectifs.

M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF. - Vous avez cité tous les grands enjeux du ferroviaire, et ils sont nombreux ! Je n'aborderai sans doute pas l'ensemble des sujets dans mon introduction, afin de garder du temps pour développer certains points en réponse aux questions qui me seront posées.

Je suis honoré d'être invité parmi vous. Ces auditions sont l'occasion de faire le point et d'échanger.

Depuis mon arrivée il y a environ deux ans, j'ai été confronté à une succession de crises : la crise sociale déclenchée par la réforme des retraites, puis la crise sanitaire liée à la covid. Pour la première fois depuis 40 ans, le trafic des lignes à grande vitesse (LGV) a ralenti, avec des conséquences financières et sociales importantes. Nous n'en sommes d'ailleurs pas tout à fait sortis, car il est encore très compliqué de déployer nos services, notamment à l'international, du fait de mesures sanitaires différentes entre les pays voisins. Les mesures prises ont été efficaces, puisque nous n'avons quasiment pas eu de cluster.

Durant la crise sanitaire, à chaque confinement et à chaque déconfinement, lors de la mise en place des TGV sanitaires, puis quand le Gouvernement nous a demandé d'introduire le passe sanitaire en plein été, le groupe SNCF et les cheminots ont été au rendez-vous. L'entreprise publique a démontré qu'on pouvait compter sur elle.

Le Gouvernement et le Parlement nous ont soutenus, en supprimant notamment la TREF et la CST qui n'avaient plus lieu d'être et n'étaient plus compatibles avec l'ouverture à la concurrence, car elles pénalisaient le TGV.

La réforme de 2018 a créé la nouvelle SNCF, qui est désormais composée de sociétés anonymes assorties d'impératifs financiers beaucoup plus forts : la rigueur financière est accrue, le contrôle de la dette est renforcé. Je rappelle les macro-objectifs d'équilibre : l'équilibre global du groupe SNCF, qui était à moins 2 milliards d'euros au début de la réforme, sera à zéro l'année prochaine. Si nous ne sommes pas confrontés à de nouvelles catastrophes nous poussant à ralentir notre trafic grande distance, nous serons en mesure de tenir nos objectifs.

Depuis deux ans, je me suis efforcé de mettre l'accent sur les territoires. La SNCF avait un peu coupé les ponts avec les forces vives des territoires, les collectivités, les régions, les métropoles et les territoires plus ruraux.

En tant qu'ancien cheminot, j'ai également une conscience claire de l'importance de la qualité de service, car je sais que tout part de là. Les statistiques sont de notre côté dans la mesure où les moyennes sont bonnes et s'améliorent un peu, mais la vision locale est plus contrastée : en gros tout va bien dans le Sud et la Bretagne, mais les lignes du Nord, de Normandie et du Grand Est sont davantage en difficulté. Je reconnais qu'il est normal que les usagers ne soient pas satisfaits. Nous nous employons à retrouver un niveau de qualité de service suffisant.

Nous focalisons notre action autour de quatre axes : l'humain, car la transformation pour nous adapter à la concurrence doit être accompagnée ; les territoires ; l'innovation dans nos métiers, dans nos services, que ce soit au travers du numérique, de la conception de trains légers dans les territoires peu denses, ou encore de l'amélioration de la maintenance prédictive ; et l'environnement, car le ferroviaire est l'une des solutions de mobilité massive pour les voyageurs comme pour les marchandises. Le report modal des modes de transports polluants vers les modes peu ou non polluants tels que le train électrique est la clé de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

La régénération du réseau est fondamentale, car si les rails ne sont pas fiables, il n'y a pas de qualité de service ferroviaire. L'âge moyen du réseau français est de 33 ans, celui du réseau allemand de 17 ans et celui du réseau suisse de 15 ans, sachant que certains de nos rails ont 60 ans ou plus. On peut considérer que le contrat de performance nous met en situation de pouvoir financer la régénération du rail français.

En revanche, quasiment rien n'est prévu pour la modernisation de notre réseau, si bien qu'il est en train de perdre son rang au niveau européen. Si nous voulons voir progresser les volumes qui circulent sur le réseau, il est impératif de le moderniser.

La question du financement relève du courage politique. Dans le cadre du Grand Paris, l'exécutif a alloué une enveloppe de 35 milliards d'euros pour créer 100 kilomètres de métro automatique en région parisienne. On pourrait en faire autant pour le rail français. Les poids lourds de marchandises qui sillonnent l'Europe ne sont pas soumis à la taxe carbone. Si on avait le courage politique de les y soumettre, cela pourrait rapporter 100 milliards par an au niveau européen, soit environ 10 milliards d'euros pour la France.

La France est un des derniers pays à avoir ouvert la concurrence ; quasiment tous les autres pays européens l'ont déjà fait. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) a mis en concurrence deux lots, dont l'un a été remporté par la SNCF. En tant que patron du système ferroviaire français, il me revient de veiller à ce que les concurrents aient accès au réseau et aux gares dans la plus grande équité. Trenitalia lancera prochainement ses lignes à grande vitesse entre Milan, Turin, Lyon et Paris. L'angle mort de la réforme est toutefois que la péréquation entre les lignes rentables et celles qui ne le sont pas est rompue par la concurrence.

Le ferroviaire est une filière industrielle d'excellence. La SNCF est un opérateur industriel de rang mondial, au titre notamment de la maintenance du matériel ou de la pose de voies ferrées, mais le ferroviaire emploie aussi de nombreux sous-traitants, en particulier les entreprises de BTP pour la création de lignes. Les entreprises françaises sont d'ailleurs les premières bénéficiaires de ces emplois qui ruissellent. C'est un domaine dans lequel nous sommes parmi les tout premiers, mais nous ne devons pas nous endormir sur nos lauriers si nous voulons garder notre place.

M. Philippe Tabarot. - J'interrogerai le Gouvernement tout à l'heure sur le climat social au sein de la SNCF. Sachez que nous compatissons avec les usagers et avec vous qui menez un dialogue social permanent.

Vous avez évoqué la suppression de la CST et de la TREF. Quelle est votre position sur la TVA à 5,5 %, que nous avons votée dans cette assemblée ? Le rapporteur général Jean-François Husson nous indique que la SNCF ne souhaite pas que le ferroviaire redevienne un service de première nécessité. La position de notre commission est que ce mode de transport peut nous permettre d'atteindre nos objectifs de décarbonation et que la TVA peut y contribuer.

Pensez-vous que le maintien du gestionnaire d'infrastructure dans le même groupe que l'opérateur historique soit compatible avec l'ouverture à la concurrence ?

Je souhaiterais également vous interroger sur la concurrence entre les modes de transport. Lors des débats sur la loi « Climat et résilience », nous avons déposé un amendement visant à instaurer des prix plancher pour les billets d'avion sur certaines lignes, considérant que certaines compagnies aériennes n'étaient pas à la hauteur de l'enjeu environnemental, afin de favoriser le ferroviaire, souvent plus cher. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Le volume de transport de voyageurs et de marchandises que vous vous êtes fixé va dans le même sens que les objectifs que nous avons tenu à inscrire dans le marbre de la loi. Mais le Gouvernement ne semble pas avoir de ligne claire. Jean Castex a annoncé qu'il souhaitait sauver toutes les petites lignes de toutes nos régions. Le rapport Philizot estime le coût de leur maintien à 700 millions d'euros par an. Or quand notre commission a proposé de doubler le budget alloué aux petites lignes, cela a été refusé par le Gouvernement. Trouvez-vous une cohérence à cette politique ?

M. Olivier Jacquin. - Ma première question porte sur le contexte social. Les cheminots ont été particulièrement malmenés par le Gouvernement. Leur grogne est donc compréhensible. Vous proposez 600 euros de prime aux cheminots de SNCF Voyageurs, et rien pour les cheminots d'autres filiales. Dans ces conditions, comment maintenir la cohésion sociale d'un groupe public unifié, si cette expression a encore un sens ?

En bon politique, vous n'avez pas évoqué les réformes incroyables que le groupe a subies, du fait du nouveau pacte ferroviaire. Avec le retour des trains de nuit, et notamment la filiale Oslo, nous touchons à la fin du tout TGV. Vous annoncez un doublement du nombre de voyageurs et du volume de fret d'ici à l'horizon 2030. Je tiens à saluer un objectif aussi ambitieux. Mais Bercy gère toujours la SNCF sur la base du nouveau pacte ferroviaire, comme s'il n'y avait pas eu la crise sanitaire. Combien faudrait-il investir dans l'infrastructure et dans le matériel roulant pour atteindre les objectifs que vous vous êtes fixés ?

Le fret fait l'objet d'incantations politiques, mais dans la mesure où un sillon de fret rapporte dix fois moins qu'un sillon de voyageurs, SNCF Réseau n'a aucun intérêt à développer le fret. Comment sortir des incantations politiques en matière de fret ?

Le groupe socialiste républicain et citoyen est le seul à avoir porté la suppression de la TREF et de la CST dans l'avant-dernier budget. Le Gouvernement et la majorité sénatoriale ont d'abord rejeté cette proposition, reprise ensuite par le président Macron. Cette suppression marque aussi la fin du compte d'affectation spéciale des trains d'équilibre du territoire (TET). Or un excellent rapport sur les TET démontre que perdurent des besoins non satisfaits sur cinq grands sillons transversaux. Que me conseillez-vous de préconiser au Gouvernement pour mettre en oeuvre ces nouvelles lignes TET, dont la liaison Sud de Nancy, du sillon lorrain vers Grenoble, supprimée en 2018 ?

Quel est avenir du conventionné dans votre vison du ferroviaire ?

Quelle est votre vision du service ferroviaire en 2030 ? J'observe que vous avez répondu au maire de Nancy, qui s'indignait de la suppression des Ouigo desservant Nancy, deuxième ville étudiante de France, qu'on n'était pas dans le service public, alors que le même maire a été contraint de financer la ligne à grande vitesse qui supporte des InOui et des Ouigo.

M. Jean-Pierre Farandou. - S'agissant du dialogue social, quand je suis arrivé fin 2019, le climat social était très dégradé du fait de réformes successives que les syndicats avaient ressenties comme autant de passages en force, voire d'humiliations. Au travers de la covid, nous avons retrouvé l'occasion de dialoguer, notamment en travaillant sur l'introduction des gestes barrières dans chaque métier. Les syndicats ont répondu présents et ont été associés à l'adaptation de l'entreprise à cette crise.

Le contexte actuel est marqué par la sortie de la covid, qui est une période difficile pour tout le monde, ainsi que par l'ouverture à la concurrence, qui entraîne des transferts de personnels chez d'autres opérateurs, notamment en région PACA, mais aussi une exigence accrue de compétitivité, et donc d'ajustement des coûts.

Par ailleurs, les cheminots comme les Français sont confrontés à des difficultés de pouvoir d'achat et demandent une amélioration de leurs conditions salariales.

En tant que dirigeant, je dois articuler les enjeux de court terme et les enjeux de long terme, d'autant que l'entreprise enregistrera en 2021 1,5 à 2 milliards d'euros de pertes. L'économique doit tenir compte du social, mais le social doit également tenir compte de l'économique.

Les difficultés sont essentiellement salariales et elles me surprennent, car nous avons eu des discussions salariales assez nourries. Entre 2021 et 2022, la valeur du point ne sera certes pas revue, mais nous allons augmenter la rémunération mensuelle des personnels présents (RMPP) de 2,7 %. Par ailleurs, les personnels dont le salaire est inférieur ou égal à 1,5 SMIC bénéficieront d'une prime de pouvoir d'achat de 600 euros. Nous avons également déplafonné la grille statutaire pour les trois collèges - exécution, maîtrise et cadre - en ajoutant au moins une position de rémunération. De même, nous avons introduit un échelon d'ancienneté supplémentaire. Compte tenu des marges de manoeuvre qui étaient les nôtres, j'estime que nous avons fait beaucoup. L'UNSA et la CFDT ont d'ailleurs signé cet accord salarial.

Enfin, la SA Voyageurs a souhaité récompenser les cheminots pour les bons résultats enregistrés depuis le mois de septembre par une sorte d'avance sur intéressement d'un montant de 600 euros.

Dans ce contexte, et à l'approche des vacances scolaires, une tension supplémentaire est apparue au plan local, les conducteurs de TGV Sud-Est demandant encore des compléments. Nous négocions toujours à cette heure pour une levée du préavis, mais nous approchons de la limite au-delà de laquelle nous devrons annoncer les plans de transport sur lesquels nous nous engageons.

Je suis évidemment favorable à une TVA à 5,5 %, car cela permettrait de réduire le prix des billets de train. Or on sait que l'accès par le prix est très important. Tout ce qui pourra concourir à réduire le prix du train est le bienvenu.

Je suis très attentif à respecter scrupuleusement l'indépendance de SNCF Réseau. Trenitalia a réussi à lancer ses trains, Transdev a gagné un contrat : cela montre que cette étanchéité est bien réelle. Les nouveaux entrants qui se plaignent ne maîtrisent pas suffisamment la technique ferroviaire : on ne peut pas demander un sillon Bordeaux-Lyon au dernier moment, c'est une réalité technique. Ils doivent apprendre.

Au sujet des modes de transport, je rappelle que le routier représente 85 % des déplacements, pour les marchandises comme pour les voyageurs, contre 10 % pour le train ; ce que je voudrais, c'est prendre dix points de parts de marché à la route. Ce secteur ne serait pas dévasté pour autant ; c'est possible, même si ce n'est pas facile.

Au fond, l'aérien est complémentaire du ferroviaire. On n'ira pas à New York en train. En revanche, pour aller à Marseille, le train devrait être privilégié, pour des raisons écologiques. Reste la niche des trains de nuit, qui ont leur sens. Quoi qu'il en soit, la confrontation entre ces deux modes de transport n'est pas un grand enjeu de volume. Le véritable sujet, c'est la route.

La SNCF a constaté un retour de la slow life : certaines personnes sont prêtes à effectuer un trajet plus long si le prix est plus bas. En outre, elle disposait d'un matériel roulant amorti et non utilisé : elle a rénové les Corail et peut proposer des voyages à 15 ou 20 euros en train de jour pour aller à Nantes ou à Lyon. Nous testons ce dispositif, qui a vocation à concurrencer les bus de longue distance et la voiture particulière. Il s'agit là aussi d'une niche.

Pour ce qui concerne les TET, la nouvelle convention est en discussion avec l'État, autorité organisatrice. Nous aimerions la signer début 2022, avec le Gouvernement actuel. Dans ce cadre, l'État pourrait mettre en concurrence certaines lignes pour les six années du nouveau contrat.

Le ministre des transports affiche l'envie de développer les TET, de jour comme de nuit : reste à savoir s'ils figureront dans le contrat. C'est aussi un enjeu économique. Il faut assurer l'acquisition de la flotte, car nos trains Corail sont à bout de souffle - les locomotives ont quarante ans. Il faut acheter vingt-huit nouvelles rames qui, avec les locomotives, représentent 800 millions d'euros. L'État pense également à un système de location de trains, mis à disposition de l'opérateur par une société qui assumerait l'investissement.

Si nous voulons réellement relever le défi de la transition écologique, nous devons traiter des transports. En effet, 30 % des gaz à effets de serre viennent du secteur de la mobilité au sens large.

Il y a deux moyens de s'y attaquer, qui peuvent être complémentaires, mais qu'il faut bien distinguer.

Le premier, et le plus rapide, c'est le report modal de la route vers le train. Par des mesures fiscales et des mesures d'accompagnement, on peut faire une grande partie du travail en une dizaine d'années.

Le second, c'est la recherche-développement, car, bien sûr, le train ne va pas remplacer la route : il faut verdir les autres moyens de transport et notamment fournir de l'électricité à un parc de millions de voitures. Cela demandera plus de temps, car les solutions industrielles ne sont pas prêtes. Or les trains existent et ils proposent des places. L'urgence, c'est donc le report modal.

Aujourd'hui, nous sommes face à un paradoxe. Le rail est le moyen de transport le moins polluant et le plus taxé : cherchez l'erreur. De plus, il faut internaliser les coûts externes. L'Europe s'y attelle, dans le cadre du green deal ; c'est un débat fiscal sensible, mais il faut progresser vers l'égalité fiscale entre les modes de transport et encourager les moyens de transport les moins polluants.

Le secteur conventionné, c'est l'affaire des autorités organisatrices de mobilité (AOM). Lors de l'inauguration du Saint-Dié-Épinal, j'ai constaté une nouvelle fois à quel point les élus et les habitants des territoires sont attachés à leurs lignes. Vous le savez mieux que personne. Loin de faiblir, cet attachement se renforce avec la sensibilité écologique.

Je suis convaincu que les AOM vont poursuivre leur politique d'augmentation de l'offre ferroviaire ; c'est aussi le sens de la concurrence. Le véritable service public ferroviaire, dirigé par les AOM, a de l'avenir. Cela étant, il doit devenir encore plus intermodal. Il s'agit là d'un gigantesque chantier.

Je suis optimiste de nature : il y a des solutions, notamment dans les zones rurales dans lesquelles les habitants rêveraient de se passer de leur voiture. Je suis prêt à engager la SNCF dans des groupes de travail consacrés à ce sujet clé.

Enfin, au sujet des missions de service public de la SNCF, je rappelle que le TGV ne bénéficie d'aucune compensation : c'est la SNCF qui assume le déficit d'exploitation. Dans ces conditions, comment assurer des dessertes non rentables ? J'ajoute que je suis désormais le mandataire social d'une société anonyme : cette rigueur économique a été voulue par le législateur et elle entraîne des responsabilités quasiment pénales. On ne peut pas nous la reprocher : nous ne faisons qu'appliquer la loi. C'est un changement - j'en conviens - qui met un terme à certaines zones grises, mais le législateur a tenu à dissocier clairement ce qui relève ou non du service public stricto sensu. C'est à nous de l'expliquer aux élus pour éviter les malentendus.

Mme Nicole Bonnefoy. - Le train est aujourd'hui le moyen de transport préféré des Français. À ce titre, il représente un atout majeur en matière environnementale. Mais, trop souvent, la SNCF ne parvient pas à répondre aux demandes des usagers.

L'axe Atlantique est révélateur du désengagement progressif de la SNCF. En dépit d'une reprise manifeste du trafic vers le Sud-Ouest, à l'été 2021, vous avez supprimé 20 % des sièges offerts quotidiennement sur ces lignes par rapport à 2019.

Aussi, un grand nombre de trains affichent complet, quelle que soit l'heure, quinze jours avant le départ, que ce soit vers ou depuis Bordeaux. Cette situation nuit à la clientèle business comme à la clientèle loisirs, y compris dans les Ouigo, alors qu'en début d'année vous déclariez vouloir frapper très fort pour défendre l'accessibilité tarifaire.

Les collectivités territoriales ont contribué à financer cette ligne et escomptaient donc de justes retombées économiques. Or la SNCF entend poursuivre cette réduction tendancielle de l'offre dans le Sud-Ouest en 2022 : c'est un non-sens, notamment écologique, d'autant plus avec la suppression de la liaison aérienne Bordeaux-Orly.

La SNCF prévoit-elle enfin d'assumer sa mission de service public en renforçant son offre sur l'ensemble des lignes concernées par ce phénomène ? Elle n'a pas attendu la covid-19 pour réduire le nombre de trains, notamment sur l'axe Atlantique. En parallèle, de nombreuses rames ont été envoyées en Espagne pour assurer la liaison Paris-Barcelone.

M. Rémy Pointereau. - Qu'en est-il du Paris-Orléans-Clermont-Lyon (POCL), qui permettrait de désaturer la ligne Paris-Lyon et de mener un vaste programme d'aménagement du territoire ?

Les conventions conclues par la SNCF avec les régions sont les victimes collatérales de la covid, qui a fait chuter la fréquentation des trains et creusé le déficit de certaines lignes. Pour la région Centre-Val-de-Loire, ce déficit atteint 90 millions d'euros. Au terme des négociations menées, la région ne paierait que 30 millions d'euros à ce titre. Comment allez-vous financer les 60 millions d'euros restants sans pénaliser la desserte ?

M. Bruno Belin. - Vous voulez essayer de convaincre les ruraux de se passer de leur voiture. Or c'est souvent le seul moyen d'aller à un rendez-vous médical ou d'emmener les enfants ici ou là. Comment comptez-vous faire ?

M. Stéphane Demilly. - Je suis sénateur des Hauts-de-France et cette seule phrase vous laisse deviner mon exaspération.

Je suis un usager régulier de la ligne Amiens-Paris ou plus exactement j'essaie de l'être. Notre région est en dernière place des classements de régularité. Depuis septembre dernier, c'est l'horreur à tel point que, fin octobre, la SNCF a déployé un plan d'urgence. Or, depuis, la situation a encore empiré.

Les usagers sont massés dans des trains pleins à craquer sans réseau, souvent sans chauffage et parfois sans lumière. La région dépense près d'un demi-milliard d'euros par an, sans compter les investissements, pour transporter 200 000 voyageurs par jour. C'est cher payé pour un triste service : je comprends l'irritation du président Bertrand.

La suspension du paiement de décembre pour le fonctionnement des trains express régionaux (TER) est critiquable, mais elle a au moins un mérite : jeter un pavé dans la mare. Nous pouvons comprendre les difficultés liées à la crise sanitaire ou les problèmes ponctuels liés aux intempéries. Mais comment accepter que ces problèmes soient systématiques, au motif que les feuilles tombent en automne et qu'il y a parfois de la neige en hiver ? À quand une réelle amélioration du réseau, à quand un plan Marshall pour les trains dans les Hauts-de-France ?

M. Pascal Martin. - Vous auriez pu ajouter la Normandie !

Mme Évelyne Perrot. - Et le Grand Est !

M. Bruno Belin. - Et le Poitou !

M. Jean Bacci. - Au nom de notre collègue Étienne Blanc, j'appelle l'attention sur le projet du Lyon-Turin. La clé de voûte du tunnel franco-italien est en cours de percement, pour une livraison à l'horizon 2030.

Un tel ouvrage n'a de sens que s'il est correctement connecté de part et d'autre. La section italienne sera livrée en même temps que le tunnel international, avec une capacité de fret de 25 000 tonnes par an, soit 162 trains de marchandises par jour. Mais, sur la section française, il n'y a encore aucun engagement, alors que la déclaration d'utilité publique (DUP) date d'il y a près de dix ans. À ce jour, la priorité du Gouvernement reste de moderniser une ligne existante pour porter ses capacités de fret à 10 millions de tonnes par an, soit environ 95 trains par jour.

Ainsi, quand le tunnel entrera en service, les capacités de la section italienne seront 2,5 fois supérieures aux nôtres. L'Union européenne et l'Italie manifestent de plus en plus leur agacement. Pourquoi ce manque de cohérence ?

M. Éric Gold. - Le Premier ministre a promis la remise en état de 9 200 kilomètres de petites lignes, voire leur réouverture, ainsi que la signature de six protocoles avec les régions. Dans le Puy-de-Dôme, les journalistes de France 3 ont tenté d'obtenir des informations sur ce point, sans succès. Disposez-vous d'un calendrier plus précis et d'objectifs quant à la signature des protocoles avec les régions ?

Certaines lignes TET ont besoin de travaux et de renouvellement de rames. Malgré la régénération des lignes, d'importantes perturbations perdurent, par exemple sur la ligne Paris-Clermont. Les retards d'une heure sont fréquents. Le 21 octobre, deux trains sont arrivés avec plus de trois heures de retard. Le 1er novembre, le Clermont-Paris a même franchi les portes de la capitale sept heures après l'horaire prévu.

Je peux comprendre qu'il y ait des difficultés, mais la gestion des crises doit être améliorée. Les usagers souffrent d'un défaut d'information ; certains motifs exposés sont incompréhensibles, voire inconcevables pour le grand public. Quelles sont vos pistes d'amélioration à cet égard ?

M. Jean-Pierre Farandou. - À ma connaissance, sur l'axe Atlantique, l'offre est revenue au niveau nominal pendant les week-ends et aux heures de pointe. Toutefois, je vais le vérifier. Nous avons différents problèmes techniques, notamment des problèmes de soudure, traités avec Alstom, si bien qu'il nous manque huit rames. Nous allons nous pencher sur ce problème de parc. Notre intention est bien sûr de proposer une offre maximale dès lors que la demande est au rendez-vous. Elle est même peut-être plus forte qu'avant la crise sanitaire.

La ligne Sud-Est est effectivement très chargée. À court terme, la solution retenue consiste à accroître ses capacités de 25 % via le système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS). Nous allons aussi renforcer l'infrastructure et le matériel roulant de la ligne de Clermont-Ferrand.

Je ne promets pas de miracles, car les équipements sont très anciens et nous subissons les conséquences de mesures trop longtemps reportées. Désormais, les décisions sont prises pour l'avenir. L'arrivée des nouvelles rames est prévue pour 2025, ce qui est encore loin. Je vais voir avec mes équipes comment améliorer l'information à destination des voyageurs. Quant au POCL, il relève du très long terme. Ce chantier est une perspective, mais il passe après le Bordeaux-Toulouse.

Avec la région Centre-Val-de-Loire, les négociations sont en cours ; j'espère que nous arriverons rapidement à un accord.

Au sujet des zones rurales, je me suis peut-être mal exprimé. La solution n'est pas simple, mais la SNCF est prête à participer à des réflexions très concrètes dans les territoires. Il ne faut pas lâcher l'affaire.

M. Bruno Belin. - Mais la SNCF se retire des territoires ruraux.

M. Jean-Pierre Farandou. - Pas la SNCF, les régions.

M. Bruno Belin. - Je parle des points de vente : notre rapport consacré au commerce contiendra des propositions à cet égard.

M. Jean-Pierre Farandou. - Quand un agent vend trois billets dans la journée, ce n'est pas durable : ne jetons l'anathème sur personne, avançons ensemble.

Dans les Hauts-de-France, le plan d'action déployé produit ses effets. Nous en dresserons le bilan en janvier 2022 : c'est l'échéance que nous avons indiquée pour ce qui concerne nos engagements.

Je comprends la colère des usagers, mais admettons que les facteurs objectifs de production ne sont pas faciles. Matériel vieux de quarante ans, arrivée à la gare du Nord : n'importe quel autre concurrent subirait les mêmes difficultés. De plus, les moyens de production qui nous sont confiés sont accordés par la région et, parfois, la SNCF a bon dos. Quoi qu'il en soit, nous multiplions les renforts de matériel et de personnel. Nous sommes à la manoeuvre et nous ne sommes pas si loin d'un plan Marshall.

Bien sûr, je soutiens le projet du Lyon-Turin, mais le choix des itinéraires d'accès relève du Gouvernement. En vertu de la clarification des rôles que j'évoquais, ce n'est pas la SNCF qui décide la construction des lignes. Elle construit les lignes qui lui sont demandées, avec les financements qu'on lui accorde.

Au sujet de la remise en état des petites lignes, je n'ai pas d'informations particulières. Depuis un an, le Gouvernement a signé des conventions avec presque toutes les régions, qui assurent des cofinancements ad hoc permettant d'envisager la régénération de certaines petites lignes. Nous y sommes bien sûr très favorables. Ensuite, les régions verront quel plan de service elles veulent y déployer.

En matière de recherche-développement, nous travaillons de notre propre initiative à un train léger moins coûteux, qu'il s'agisse de l'infrastructure ou du matériel roulant. Cet équipement pourrait être adapté aux zones les moins denses du territoire et les économies atteindraient 30 % à 50 %. Nous travaillons avec les industriels dans le cadre du quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA 4). Ces trains seraient tout aussi confortables pour les passagers et beaucoup moins coûteux pour la collectivité.

Mme Angèle Préville. - Je tiens à vous faire part du ressenti d'un territoire très rural : mon département du Lot. Les associations d'usagers relèvent que certains trains de nuit pourraient s'arrêter plus souvent à Gourdon, à Souillac et à Cahors, puisque leur but n'est pas la vitesse, mais la desserte du territoire. Pour faire revenir les usagers ou les garder, il faut veiller à ne pas délaisser les territoires ruraux. C'est aussi un enjeu de la transition écologique.

Dans mon département, une société coopérative d'intérêt collectif a vu le jour : il s'agit de Railcoop, qui souhaite agir en complément de la SNCF, en ouvrant des services là où elle n'opère plus. Comment percevez-vous cette initiative ? Envisagez-vous des synergies ?

L'ouverture à la concurrence, votée en 2018, peine à se mettre en oeuvre. Les nouveaux entrants font part publiquement de leurs difficultés d'accès au réseau français. L'accès aux sillons est-il le seul sujet ? Pourquoi SNCF Réseau peine-t-il à en attribuer davantage, notamment au fret et aux trains de nuit ?

Lors de l'inauguration de la ligne de fret Capdenac-Toulouse-Saint-Jory, j'ai constaté le très fort enthousiasme que Railcoop inspire aux élus comme aux citoyens. C'est une voix que vous devez entendre.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je félicite la SNCF du grand travail d'amélioration des gares, à ceci près que l'on y cherche toujours les toilettes. (Sourires.)

Vous avez parlé des projets de trains légers : il serait bon de fixer une date butoir. En outre, en matière d'innovations, qu'en est-il de l'hydrogène ?

Enfin, où en est la restructuration de la ligne Alençon-Le Mans-Tours, reprise par la SNCF ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je ne vous parlerai pas des trains normands : je vous renvoie à l'entretien qu'Hervé Morin, président de la région Normandie, a accordé à la presse locale. Il se demande tout simplement s'il y a un pilote dans le train SNCF.

Quelle est la dette prévisible de la SNCF à la fin de l'exercice 2021 ?

Pour retrouver des liquidités, la SNCF a cédé certains actifs dont, en octobre dernier, la filiale Ermewa, chargée de la location de wagons de fret : y a-t-il d'autres projets de cessions ?

La SNCF possède aussi de nombreuses emprises foncières - anciennes gares de triage ou de marchandises, voies surnuméraires désormais envahies de hautes herbes, etc. Avec le « zéro artificialisation nette », les élus recherchent de plus en plus de terrains pour construire. Or, pour les relations foncières, il est extrêmement difficile d'obtenir un interlocuteur au sein de la SNCF. Ce sujet est déterminant pour les élus, notamment en vue de la production de logements.

M. Jacques Fernique. - Au sujet du volet « transports » de l'accord de coalition gouvernemental allemand, une eurodéputée a déclaré qu'il fallait livrer des résultats sectoriels. Cette réflexion est transposable de notre côté du Rhin.

Pour ce qui concerne l'état du réseau, la comparaison avec la Suisse ou l'Allemagne est cruelle. Pour le fret, au mieux, nous constatons en France une relance en demi-teinte. Or - vous venez de le dire - on ne peut pas faire les choses à moitié.

De même, malgré un certain renouveau des trains de nuit, nous restons bien loin du modèle autrichien. Pour vous, il s'agit plutôt d'une niche. Mais les trains de nuit peuvent favoriser la bascule de l'aérien vers le rail, pour les trajets européens de moins de 1 500 kilomètres. Le juste coût de l'aérien, que vous avez aussi évoqué, serait un autre outil.

Enfin, il faut faire de Strasbourg une gare pivot ancrée dans le réseau allemand, bien connectée à terme à Francfort et à Karlsruhe. Mais, à cet égard, les échanges des élus locaux avec la SNCF sont plutôt décevants. Ces derniers n'ont pas l'impression de voir se construire une véritable stratégie. Quelle est la détermination de la SNCF à mener cette mutation ? Il s'agit d'un enjeu essentiel pour notre capitale parlementaire européenne.

M. Guillaume Chevrollier. - On vient d'apprendre le maintien du niveau de desserte la gare de Laval, à savoir huit TGV allers et retours chaque jour. Cette stabilité est essentielle ; mais pourquoi refuser le maintien de la convention de desserte, qui prendra fin en 2022 ?

Vous évoquez la nécessité d'inventer des solutions dans les territoires. En ce sens, il faut valoriser le projet « Voutré double fret », qui permettrait de relier une importante carrière de mon département à l'Île-de-France. D'une part, on pourrait ainsi acheminer des pierres vers la capitale ; de l'autre, on pourrait évacuer les remblais issus, notamment, des travaux du Grand Paris.

Enfin, pouvez-vous dresser un bilan de votre engagement, au sein du groupe SNCF, pour la réduction de l'empreinte environnementale du numérique ?

M. Hervé Gillé. - Lors de l'état des lieux dressé devant nous l'année dernière, vous remettiez en perspective les objectifs louables de la loi d'orientation des mobilités (LOM). Aujourd'hui, un nouveau paradigme semble retenu : on relance les LGV, ce qui ne peut qu'interpeller dans un contexte de crise énergétique.

Ainsi, on a relancé les LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax, lesquelles sont intimement liées : pour obtenir des financements européens, il faut construire la seconde ligne mais, à ce jour, nous ne disposons d'aucune solution pour aller jusqu'en Espagne. On lance ces deux grands projets, pour un coût total de 14,3 milliards d'euros, qui engagent une grande partie des collectivités territoriales et qui, de toute évidence, vont obérer au moins en partie les financements destinés aux transports du quotidien.

SNCF Réseau va devoir participer à ces chantiers, ce qui n'était pas prévu jusqu'à présent. De plus, 4,1 milliards d'euros sont destinés à la seule ligne Bordeaux-Toulouse : où sont-ils inscrits ? Avez-vous des informations à cet égard ? La situation est nébuleuse, nonobstant l'engagement du Premier ministre lui-même. On veut tout faire à la fois, mais est-ce bien réaliste ?

M. Jean-Pierre Farandou. - Les trains de nuit que vous évoquez, Madame Préville, font partie des TET : pour ce qui les concerne, l'AOM, c'est l'État. Nous nous arrêtons où il nous dit de le faire.

Nous veillons à la capillarité de notre réseau. Au total, 70 % des Français habitent à moins de cinq kilomètres d'une gare et 90 % à moins de dix kilomètres.

Je ne veux aucun mal à Railcoop - j'ai même une certaine sympathie pour ses fondateurs -, mais les chemins de fer, c'est un métier. Je le fais depuis quarante et un ans ; eux le découvrent. Pour la maîtrise technique de leurs opérations, et donc la pérennité de leur coopérative, je souhaite qu'ils fassent vite leur apprentissage.

Pour ce qui concerne les trains de fret, nous sommes face à un problème de capacités. Ces trains circulent surtout la nuit, et c'est la nuit que sont menés les travaux. Le contrat de performance, que votre commission va bientôt examiner, prend pour base les hypothèses de volume de 2018. Si les ambitions sont supérieures, ce document n'est pas tout à fait à la hauteur.

L'hydrogène peut effectivement être une solution très intéressante pour s'épargner l'électrification des lignes. En 2050, la SNCF et les régions doivent mettre un terme aux engins roulant au diesel. Plus largement, les régions devront faire des choix, car, entre 2030 et 2035, elles devront commander de nouveaux parcs. Le matériel roulant à l'hydrogène sera prêt ; mais comment produire beaucoup d'hydrogène vert à des prix raisonnables ? C'est là l'enjeu industriel majeur.

Nous déployons une action vigoureuse en faveur des gares, même les plus petites, avec les élus et notamment les maires. Il faut également assurer un financement régional pour remettre de la vie dans les gares et y assurer la vente de billet ; la SNCF entend accompagner cet effort.

Nous sommes en train de bâtir notre projet industriel pour les trains légers et, qu'il s'agisse de l'issue de la recherche ou du début de la mise en production industrielle, nous vous donnerons des dates.

La ligne Alençon-Le Mans-Tours concerne plusieurs régions, ce qui explique en partie les difficultés rencontrées. La solution de cible, c'est l'hydrogène. La région des Pays-de-la-Loire veut d'ailleurs déployer des rames à hydrogène sur cette ligne.

M. Didier Mandelli. - Par le biais de l'entreprise Lhyfe, implantée à Bouin, la région vient de signer avec la Deutsche Bahn pour fournir de l'hydrogène vert - la compagnie allemande travaille sur ce sujet depuis plus de quatre ans.

M. Jean-Pierre Farandou. - Je vous remercie de cette information.

C'est à cause de la crise sanitaire que nous avons vendu Ermewa : la covid a fait beaucoup de mal à nos finances. Concernant d'autres ventes, rien n'est décidé.

Nous disposons d'une nouvelle directrice de l'immobilier, qui vient d'ailleurs de l'administration territoriale. Objectivement, ce n'est pas simple de déclasser une emprise ferroviaire : les procédures de mutabilité sont complexes. Comme vous, je souhaite que ces opérations soient aussi fluides et transparentes que possible, même si le temps de la SNCF n'est pas celui des élus locaux. Nous nous efforçons de progresser sur ce sujet.

Pour ce qui concerne les trains de nuit, c'est l'État qui doit prendre la main : la SNCF n'a plus le matériel roulant pour les développer. Nous avons même dû rénover de très vieux matériels pour les lignes que l'on nous a demandé d'ouvrir, et que nous avons bien volontiers rouvertes. L'État a joué le jeu : via le plan de relance, il nous a donné les crédits nécessaires.

La rentabilité de telles lignes n'est pas assurée et tout opérateur, même privé, aura du mal à justifier l'investissement en capital roulant, qu'il s'agisse des locomotives ou des rames.

Dès cette année, nous allons ouvrir un train de nuit Vienne-Paris ; Berlin-Paris suivra à la fin de 2023. Nous formons une alliance avec les Autrichiens, les Allemands et les Suisses afin d'irriguer l'Europe.

La covid nous l'a appris à nos dépens, nous devons faire preuve de prudence quant aux engagements de long terme, car nous devons conserver des marges de manoeuvre. Cela étant, je suis preneur d'idées venant des territoires pour créer des dessertes de fret.

Au sujet de l'empreinte numérique, je ne suis pas en mesure de répondre à votre question. Nous vous adresserons une réponse écrite après avoir collationné les éléments sollicités.

À moyens constants, nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs : il faut des recettes nouvelles. Depuis des décennies, la Suisse dispose d'un fonds de financement des travaux ferroviaires. De même, pour la société du Grand Paris (SGP), une loi a créé les instruments fiscaux permettant de dégager 35 milliards d'euros. Je rêve de l'équivalent pour la SNCF. Serait-il si choquant de dédier la même somme à la rénovation du système ferroviaire français ? C'est un enjeu d'intérêt général au moins équivalent.

Bien sûr, les régions participeraient à la gouvernance du fonds, mais il faut avant tout dégager ces ressources - pour l'heure, on en est réduit à un jeu de bonneteau. C'est précisément l'enjeu pour les lignes Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax.

Mme Évelyne Perrot. - Vous le savez, la situation des liaisons vers le Grand Est est catastrophique - et je ne parle pas de la ligne 4, de Paris à Mulhouse. Les informations sur les retards et les annulations devraient être plus complètes. Quand une suppression de TER est annoncée au départ de la gare de l'Est, tout le monde se précipite dans le premier train et le suivant, même s'il part dix minutes après, est pour ainsi dire vide.

M. François Calvet. - Qu'en est-il du projet de nouvelle ligne Montpellier-Perpignan ? En 1995, je défendais devant l'Assemblée nationale le tronçon binational Figueras-Perpignan, portion manquante de la ligne Madrid-Barcelone-Paris. Cette situation nous ridiculise aux yeux de l'Espagne : nous étions la porte de France et notre région est devenue une enclave. Des travaux ont été commandés pour la portion Montpellier-Béziers ; mais tous les gouvernements ont jugé ces travaux prioritaires à la veille des élections.

Vous semble-t-il envisageable d'accélérer le processus ? Si tout se passe bien, nous aurons mis 50 ans à construire 140 kilomètres de ligne...

Par ailleurs, quelles sont les perspectives en termes de fret, notamment pour la ligne Perpignan-Rungis qui fonctionne à nouveau depuis peu ?

Mme Marie-Claude Varaillas. - Je note avec satisfaction votre volonté d'être au plus près des territoires et du personnel dans le cadre de cette transition.

Je souhaite vous interroger sur les conditions de travail, qui sont tout aussi importantes que les salaires. Au technicentre de Périgueux, les travaux d'aménagement des voitures couchettes avancent avec beaucoup de difficulté par manque de personnel formé et de pièces. La précarité se renforce aussi, avec le recrutement de plus de 80 intérimaires non formés.

L'atelier de production d'appareils de voie et d'aiguillage situé à Chamiers, qui comptait plus de 200 cheminots en 2000, n'en compte que 76 et ne dispose d'aucune visibilité en termes de charge au-delà de septembre 2022. Cela semble d'autant plus inquiétant que les besoins sont par ailleurs importants.

Vous avez évoqué la priorité donnée à l'amélioration des services en gare : les agents d'escale et de gare dénoncent le manque de personnel. Les postes ne sont pas tenus, sinon par des CDD, parfois seniors.

De même, en matière de circulation et d'aiguillage, le manque de personnel a des conséquences directes sur la circulation des trains. Sur une voie simple, un agent aiguilleur qui n'est pas là, c'est une gare fermée ou un croisement qui ne se fait pas.

Telles sont les difficultés que nous rencontrons sur le terrain.

M. Ronan Dantec. - L'offre sur les lignes de la Bretagne Sud entre Nantes et Brest et entre Nantes et Rennes ne correspond plus à la demande.

Par ailleurs, si vous avez été très précis sur les nouvelles offres voyageurs, je n'ai pas entendu votre stratégie sur le fret. Quelles sont, selon vous, les trois grandes mesures qu'il faudrait prendre pour développer le fret ?

Mme Marta de Cidrac. - Le rapport de la Cour des comptes du 20 avril dernier était très sévère sur la SNCF, notamment sur la filiale Gares & Connexions. Les disparités de services entre les gares, le système des redevances ou les transferts de propriété sur les gares locales étaient notamment pointées par la juridiction de façon aiguë. Quelles sont aujourd'hui les préconisations de la cour que vous avez déjà mises en oeuvre ? Par ailleurs, quelle est votre position sur la réforme des redevances ?

M. Daniel Gueret. - Le temps politique n'est effectivement pas le temps ferroviaire. La réouverture des 27 kilomètres de voies du segment Chartres-Tours a pris 28 ans. De même, dans le cadre du projet intermodal de Chartres, nous avons mis 13 ans à négocier les 15 hectares de surface foncière à aménager. La plupart des collectivités ne disposent pas du temps politique nécessaire pour mener de tels projets.

M. Jean-Pierre Farandou. - Il y a effectivement des difficultés sur la ligne 4. Des réunions sont prévues avec les grands élus de la ligne. Soyez assurés de notre grande implication pour trouver des solutions sur cette ligne. Il nous faut également remédier aux défaillances dans l'information des usagers.

S'agissant de la ligne Montpellier-Perpignan, le Premier ministre souhaite vivement que les choses avancent. L'enquête d'utilité publique sera lancée d'ici à la fin de l'année.

La ligne Perpignan-Rungis fonctionne bien, car le Gouvernement a créé les conditions financières pour relancer ce train qui n'est pas rentable. Nous travaillons sur la deuxième partie de ce projet, à savoir la création d'une autoroute ferroviaire entre le Roussillon et l'Île-de-France.

Madame Varaillas, je vais me renseigner sur la situation de Périgueux, mais je n'ai rien contre l'embauche d'intérimaires.

Le fret comporte trois segments : le wagon isolé, le combiné et les trains massifs. Le combiné correspond aux containers. Pour le développer, nous devons travailler sur la cartographie des terminaux et sur la transition avec le routier, et penser non pas franco-français, mais européen.

Si nous voulons développer les trains massifs, il nous faut maintenir un réseau suffisant de lignes capillaires et de dessertes terminales.

Enfin, le wagon isolé ne se développera pas sans intervention de la sphère publique.

M. Ronan Dantec. - Peut-être faut-il placer l'effort ailleurs ?

M. Jean-Pierre Farandou. - Non, je ne le crois pas, car cela reviendrait à nous couper d'une grande partie des industries et donc, à réduire le champ de pertinence du ferroviaire. Le Gouvernement a d'ailleurs alloué une enveloppe de 70 millions d'euros à l'aide aux wagons isolés.

Je ne fais pas une lecture si négative du rapport de la Cour des comptes. La juridiction fait le constat d'un manque de financement et renvoie la décision au Gouvernement : laisser les gares se paupériser et voir leur nombre se réduire, ou leur allouer des financements supplémentaires.

Par ailleurs, la Cour des comptes soulève la question de la régulation : les 3 000 gares françaises sont un bien commun. La rémunération des investissements est insuffisante, si bien que les capitaux nécessaires à la rénovation des gares ne sont pas attirés. Par ailleurs, lorsque Gares & Connexions fait 2 euros d'économie, elle doit en reverser 1 aux transporteurs. Les règles de régulation doivent être remises sur la table, car elles ne sont pas porteuses de ressorts économiques solides. La SNCF et Gares & Connexions souhaitent s'occuper de toutes les gares, y compris des plus petites afin de proposer des services homogènes sur tout le territoire.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie vivement pour la qualité de vos réponses et pour ce bilan de vos deux premières années à la tête du groupe SNCF.

M. Jean-Pierre Farandou. - Je vous remercie à mon tour. Je pense que vous avez senti ma passion et mon souci d'améliorer la qualité. En 2022, je vais remettre ma casquette de cheminot et sillonner les territoires où nous avons des difficultés afin d'accélérer les opérations de remise à niveau.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 35.