Jeudi 20 janvier 2022

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Énergie, climat, transports - Paquet « ajustement à l'objectif 55 » - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous sommes réunis pour entendre la communication de nos collègues Marta de Cidrac et Jean-Yves Leconte sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », ensemble de textes présentés par la Commission européenne, le 14 juillet dernier, pour mettre en oeuvre la « loi européenne sur le climat ». Ce paquet sera l'un des axes importants de la présidence française du Conseil de l'Union européenne.

Cette séquence ouvre un cycle qui doit nous permettre, en lien étroit avec la commission des affaires économiques et celle de l'aménagement du territoire et du développement durable, toutes deux compétentes sur ce dossier, d'aboutir rapidement à une résolution européenne qui convienne aux trois commissions.

Pour pouvoir peser sur les négociations de ce paquet, il apparaît en effet essentiel que le Sénat adopte rapidement une résolution européenne d'ensemble : cette unité s'impose compte tenu, d'une part, de l'architecture du paquet et des interactions entre les textes le composant, et, d'autre part, du refus du Conseil de scinder la négociation prévue sur l'ensemble du paquet.

Je m'en suis entretenu avec le président Longeot et la présidente Primas et leur ai proposé une méthode de travail, qui nous conduira à tenir deux réunions conjointes, la semaine prochaine, sur ce sujet : mardi après-midi avec la commission des affaires économiques et mercredi matin avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Jean-Yves Leconte et Marta de Cidrac pourront y présenter alors leur analyse en intégrant les échanges que nous aurons ce matin.

L'objectif est d'aboutir le 24 février à une proposition de résolution européenne, adoptée par la commission des affaires européennes, lors d'une réunion tenue conjointement avec les deux autres commissions, qui ont toutes désigné deux rapporteurs :

- Guillaume Chevrollier et Denise Saint-Pé pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ;

- Daniel Gremillet et Dominique Estrosi-Sassone pour la commission des affaires économiques.

Pour préparer et coordonner la préparation de cette proposition de résolution, j'ai souhaité réunir, outre Marta de Cidrac et Jean-Yves Leconte, les trois rapporteurs en charge de l'énergie (Daniel Gremillet, Claude Kern et Pierre Laurent) et les trois rapporteurs en charge des transports (Pascale Gruny, Dominique de Legge et Jean-Michel Houllegatte), ainsi que Didier Marie, compte tenu notamment de ses attributions sur le programme de travail de la Commission européenne et le commerce.

Cette démarche concertée devrait nous permettre de faire valoir une position sénatoriale unique dans des délais appropriés. Je sais que cette mission est compliquée : il faut s'accorder sur un document unique, acceptable par les trois commissions, pour aboutir à une résolution commune du Sénat. Je cède sans attendre la parole à Marta de Cidrac et Jean-Yves Leconte.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - La Commission européenne a présenté, le 14 juillet dernier, le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », qui vise à mettre en oeuvre la « loi européenne sur le climat », qui est en réalité un règlement européen du 30 juin 2021.

La loi européenne sur le climat, élément phare du pacte vert, s'inscrit en cohérence avec les objectifs de l'Accord de Paris de 2015. Pour la première fois, un règlement européen fixe un objectif climatique contraignant et ambitieux à l'échelle de l'Union : atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050. Dans ce but, il rehausse de 40 % à 55 % l'objectif de réduction nette des émissions domestiques de gaz à effet de serre d'ici 2030 par rapport à 1990, ce qui a donné lieu à de nombreux débats avec certains États membres, notamment la Pologne. Le règlement affirme également la volonté de l'Union d'augmenter les absorptions de gaz à effet de serre par les puits de carbone. Même si la prise en compte des puits pour l'atteinte des objectifs climatiques est plafonnée à 225 millions de tonnes d'équivalent CO2, le règlement invite à aller au-delà, ce qui conduit de fait à majorer l'ambition de l'Union.

Le graphique que vous voyez à l'écran, issu de l'étude d'impact de la Commission, témoigne de l'ampleur de l'inflexion qui résulte de la loi européenne sur le climat : la ligne orangée marquait la trajectoire précédemment visée, la ligne jaune représente l'effort à réaliser pour atteindre le nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030.

L'impact budgétaire, économique et social de cette inflexion est majeur. Pour reprendre les termes utilisés par la Commission européenne dans sa communication sur le paquet, le pacte vert conduit bien à une « transformation radicale » dont on mesure ici les effets concrets.

Lors de la réunion de la petite Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), vendredi dernier au Sénat, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a relevé l'importance du plan de relance européen pour financer la transition écologique mais a aussi pointé l'ampleur des besoins complémentaires, en estimant que « la transition écologique demandera[it] des investissements supplémentaires de 520 milliards d'euros par an d'ici à 2030 par ailleurs ».

Sur un autre plan et à un échelon national, l'Institut de l'économie pour le climat met en avant, dans l'autre graphique que vous voyez à l'écran, l'écart entre les dépenses de l'État en faveur du climat au cours des dernières années et celles qui devraient être déployées pour atteindre les nouveaux objectifs : la marche est considérable.

La marche est d'autant plus considérable que la mise en oeuvre concrète du pacte vert et de la loi européenne sur le climat implique de trouver de nouveaux équilibres et de prendre garde à accompagner la transition économique, sociale et territoriale. C'est un point que nous avions souligné dès notre avis motivé sur la loi européenne sur le climat, adopté en mai 2020. C'est une problématique qui traverse le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ». Aussi, avant d'entrer dans le détail du paquet, je voudrais relever quelques problématiques transversales ou critères d'analyse ayant une importance politique.

Le paquet tel qu'il est conçu devrait conduire à renchérir les prix de l'énergie, dans un contexte où ce prix flambe déjà. Se pose clairement une question d'acceptabilité sociale de la transition écologique et de choix des outils, à la fois pour atteindre les objectifs et accompagner les mutations nécessaires. Pascal Canfin, président de la commission de l'environnement du Parlement européen, lui-même agite le spectre de l'apparition de gilets jaunes à l'échelle de l'Union, dans une interview accordée au Monde.

Deuxième sujet : comment donner les bons signaux à l'industrie tout en tenant compte de ses capacités d'innovation et en préservant la compétitivité des entreprises de l'Union vis-à-vis des entreprises étrangères ? C'est notamment l'enjeu du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

Troisième sujet : au regard du besoin massif d'investissements évoqué précédemment, comment les finance-t-on ? Quelle doit être la part des investissements publics et celle en mesure d'être prise en charge par les investisseurs privés ? Cette question est en suspens et renvoie aussi à des éléments qui ne figurent pas en tant que tels dans ce paquet, comme le débat sur l'éventuelle adaptation du pacte de stabilité et de croissance pour donner aux États membres des marges de manoeuvre budgétaires supplémentaires, comme la taxonomie ou comme la réglementation financière. Nous avons eu à cet égard un échange très intéressant avec le fonds Amundi concernant la finance verte et l'intégration par les investisseurs et les entreprises des enjeux climatiques.

Ces différents questionnements nous amènent à poser la question du mix pertinent d'outils : comment combiner de manière efficace objectifs, réglementation, mécanismes de marché, dépenses budgétaires ou fiscales ? Et cela nous conduit également à nous interroger sur les curseurs pertinents en termes de niveau de solidarité entre les États membres, mais aussi d'articulation entre l'action qui doit être menée par les Etats membres et celle qui doit relever de l'Union européenne.

Ces enjeux apparaissent importants à la fois du point de vue des principes et de la capacité opérationnelle à mener à bien les négociations de ce paquet qui implique des transitions particulièrement importantes dans l'Est de l'Europe. Or, les tensions en cours relatives au lien entre État de droit et fonds européens pourraient amener un raidissement de certains États membres, voire percuter directement ces négociations.

Ces éléments généraux posés, nous allons désormais préciser l'architecture de ce paquet qui est très complexe, en lui-même mais aussi par ses implications sur d'autres dispositifs de l'Union. Je cède ainsi la parole à Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Ce paquet comprend, en effet, treize révisions législatives et nouvelles initiatives interdépendantes ainsi qu'une stratégie sur la forêt.

Le paquet comprend trois pièces maîtresses qui donnent le cadre général. Il s'agit de :

- la révision du système d'échange de quotas d'émission (SEQE) de l'UE, y compris son extension au transport maritime, la révision des règles relatives aux émissions de l'aviation et la mise en place d'un système distinct d'échange de quotas d'émission pour le transport routier et les bâtiments ;

- la révision du règlement sur la répartition de l'effort en ce qui concerne les objectifs de réduction des émissions des États membres dans les secteurs ne relevant pas du SEQE de l'UE, même si le paquet introduit des zones de recouvrement pour le transport et les bâtiments ;

- la révision du règlement relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultant de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie (UTCATF).

Ces trois règlements ont déjà été révisés en 2018 : il y a donc des antécédents de négociations.

Deux textes totalement nouveaux apparaissent comme des « boucliers » destinés à protéger les ménages et les acteurs économiques européens du choc induit par ce paquet. Ils concernent le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et le fonds social pour le climat.

Les autres textes sont plus ciblés et apparaissent comme des déclinaisons sectorielles destinées à permettre l'atteinte des objectifs assignés par les trois règlements posant le cadre. Il s'agit de : la révision de la directive sur les énergies renouvelables ; la refonte de la directive sur l'efficacité énergétique ; la révision de la directive sur la taxation de l'énergie ; la révision de la directive sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs ; la modification du règlement établissant des normes d'émission de CO2 pour les voitures et les camionnettes ; l'initiative ReFuelEU Aviation pour l'utilisation de carburants durables dans l'aviation ; l'initiative FuelEU Maritime, pour un espace maritime européen vert.

La difficulté de ce paquet réside dans l'interconnexion des textes : si l'on modifie un curseur dans un texte, il faut procéder à des ajustements dans d'autres textes pour s'assurer qu'in fine, l'objectif global de réduction des émissions de gaz à effet de serre sera atteint.

Cette interdépendance interne au paquet se double de ramifications externes. Un seul exemple : les ressources liées à l'extension du champ du système d'échange de quotas d'émissions et au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières font partie des nouvelles ressources propres proposées par la Commission. Si l'on remet en cause ces éléments, il faudra également en tenir compte sur le volet ressources propres et en tirer les conséquences sur le remboursement de la dette liée au plan de relance européen Next Generation EU.

Cette interdépendance des textes et le caractère transversal du paquet rendent particulièrement complexe la conduite des négociations, qui ont pris un peu de retard au départ. Le paquet a été présenté sous présidence slovène du Conseil et de premières discussions techniques ont pu s'engager mais sans aboutir à des orientations. Les textes sont examinés dans des formations différentes du Conseil suivant les sujets (environnement, transport, finance...) mais le Conseil a refusé de scinder le paquet, compte tenu de l'interdépendance des textes.

L'objectif de la présidence française est de poursuivre les négociations en vue d'aboutir à des orientations du Conseil en fin de semestre.

On sent également la volonté d'avancer rapidement sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Suivant l'état d'avancement des négociations, peut-être le paquet pourra-t-il être évoqué par le Conseil européen à mi-semestre.

Le Parlement européen a tâtonné dans son organisation interne et a également pour objectif d'adopter ses positions d'ici l'été. Les négociations ne s'achèveront donc pas sous présidence française du Conseil mais risquent d'avancer durant la suspension de nos travaux parlementaires. Si les objectifs sont tenus, la phase de trilogues devrait débuter sous présidence tchèque du Conseil.

Je voudrais maintenant évoquer plus particulièrement quelques enjeux spécifiques à certains textes, en commençant par l'extension proposée du marché carbone.

La Commission européenne s'appuie notamment sur les bons résultats enregistrés par le système d'échanges de quotas d'émission de l'Union, qui aurait par le passé permis d'atteindre des résultats plus élevés que ceux prévus, sans toutefois être en capacité de répondre en l'état à la nouvelle ambition climatique de l'Union. À législation inchangée, les secteurs couverts par le marché carbone permettraient des réduire leurs émissions de 51 % d'ici 2030 par rapport à 2005, au lieu de l'objectif initial de 43 %.

La proposition de la Commission comprend plusieurs aspects.

Le transport maritime serait inclus dans le champ du marché à compter de 2023, avec une restitution progressive des quotas gratuits d'ici 2026.

Surtout, le marché serait étendu aux secteurs du transport routier et du bâtiment à compter de 2026, avec une période de test de démarrage en 2025.

Ces deux secteurs, qui représentent un volume important d'émissions, relevaient jusqu'à présent exclusivement du règlement sur la répartition de l'effort. Compte tenu du grand nombre d'émetteurs, c'est la mise à disposition de combustibles destinés aux secteurs du bâtiment et du transport routier qui serait réglementée par le nouveau cadre.

Parallèlement, la Commission propose de procéder à un aménagement de la réserve de stabilité du marché et, pour accompagner les transitions, de deux fonds existants : le fonds pour l'innovation et le fonds pour la modernisation. Surtout, elle propose d'utiliser une partie des recettes générées par l'extension du mécanisme de marché de quotas au secteur du bâtiment et du transport routier pour alimenter un nouveau fonds social pour le climat qui serait doté de 72,2 milliards d'euros sur la période 2025-2032. En proposant cela, la Commission enjambe donc l'actuel cadre financier pluriannuel : 23,7 milliards d'euros abonderaient le fonds de 2025 à 2027, date limite de l'actuel cadre financier, puis 48,5 milliards de 2028 à 2032...

Cette proposition de réforme est loin d'être consensuelle. La France, par la voix du ministère de la transition écologique, a très clairement exprimé des réserves sur la pertinence de ce dispositif, tout comme le président de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie du Parlement européen, que nous avons auditionné. Pascal Canfin, qui considère que la Commission a commis une « erreur majeure », va dans le même sens en proposant cette semaine que « le nouveau marché carbone ne concerne que les entreprises, à travers leurs bâtiments commerciaux, et les poids lourds ».

Il précise, je le cite, qu'il faudra alors « diminuer le fonds social en conséquence. A un moment où l'on se bat contre la hausse du prix de l'énergie, étendre le marché carbone au chauffage serait difficilement explicable. Le coût politique de l'extension du marché du carbone, comme le conçoit la Commission, serait majeur, mais l'impact climatique serait très faible parce que l'immense majorité des déplacements de particuliers sont contraints, notamment dans les territoires où il n'existe pas d'alternatives à la voiture individuelle ».

C'est donc un sujet important de débat, qui repose la question de l'accompagnement de la transition, notamment pour les États de l'Est : une réduction du fonds social est-elle acceptable et jusqu'à quel point ? Une refonte du dispositif remet par ailleurs en cause le schéma proposé sur les ressources propres.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Deuxième volet important que je souhaite évoquer : celui du règlement sur la répartition de l'effort. Jusqu'à présent, le marché carbone et ce règlement étaient étanches : on se trouvait soit dans un cadre, soit dans l'autre.

Ce ne serait plus le cas. La Commission souhaite en effet maintenir le champ du règlement sur la répartition de l'effort aux secteurs du transport routier et du bâtiment, qui représentent près de la moitié des émissions de ce périmètre, même si elle propose de les inclure aussi dans le marché carbone.

Des modalités complexes de prise en compte des puits de carbone, qui relèvent d'un autre règlement, sont également prévues.

L'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau de l'Union dans le champ de ce règlement passerait de 29 % à 40 % par rapport à 2005.

Les auditions que nous avons menées ont fait apparaître que la clé de répartition de l'effort entre les États membres aurait pu être différente.

La méthode de calcul utilisée pour la détermination des objectifs nationaux reste fondée sur le PIB par habitant, un nombre limité de corrections ciblées étant appliqué afin de répondre aux préoccupations en matière d'efficacité au regard des coûts. Les ministères français auraient souhaité que l'on prenne davantage en compte le rapport coût-efficacité et un peu moins la solidarité intra-européenne.

D'autres États membres seraient sur la même ligne mais, à ce stade, il n'y aurait pas de volonté de rouvrir cette question dans la mesure où il s'agit d'un jeu à somme nulle entre États membres. L'effort de négociations porterait davantage sur les flexibilités envisageables.

Le dernier grand cadre du paquet est celui relatif à la prise en compte de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie.

Le dispositif vient d'entrer en vigueur en 2021 mais des failles ont d'ores et déjà été identifiées et devront notamment être prises en compte lors de la révision des plans nationaux énergie-climat qui devra être conduite d'ici 2024.

Le dispositif proposé par la Commission européenne fixe un objectif de neutralité climatique des terres à l'horizon 2035. Il s'agit d'un objectif ambitieux puisque que la trajectoire européenne est négative ces dernières années.

Les absorptions de CO2 ont en effet diminué dans le secteur des terres, ce que la Commission explique par l'augmentation des taux de récolte imputable à la demande en bois et au vieillissement des forêts, par la persistance des émissions provenant des sols organiques, par les catastrophes naturelles et par l'absence d'incitations politiques et financières.

La trajectoire proposée par la Commission comprendrait trois étapes : en 2030, un niveau d'absorption de carbone à hauteur de 310 millions de tonnes d'équivalent CO2, réparti entre les États membres en tant qu'objectifs contraignants ; la neutralité en 2035 ; une hausse supplémentaire des absorptions à compter de 2036.

À cela s'ajoute le fait qu'à compter de 2031, seraient prises en compte les émissions hors CO2 du secteur agricole. Cela doit nous conduire à bien évaluer les conséquences potentielles du dispositif sur le secteur agricole. Le directeur général de l'énergie et du climat du ministère de la transition écologique considère lui-même que le niveau d'ambition pour les puits de carbone est particulièrement élevé. C'est un point qui mérite d'être davantage approfondi en vue de la proposition de résolution européenne du Sénat qui sera présentée fin février.

Je veux maintenant évoquer brièvement les secteurs du bâtiment et des transports, qui sont au coeur du paquet.

S'agissant des bâtiments, l'objectif de la Commission est clair : elle veut renforcer l'efficacité énergétique des bâtiments et intensifier le recours aux énergies renouvelables. Vous pouvez voir sur la diapositive un certain nombre d'objectifs ciblés, certains étant contraignants, d'autres plus indicatifs. Lors du Conseil « énergie » de décembre dernier, les ministres de l'énergie ont notamment discuté de l'équilibre entre la nécessité de soutenir le potentiel des énergies renouvelables en tant que source d'énergie rentable et la nécessité de tenir compte des situations nationales et des situations de départ différentes. C'est évidemment un point politique important.

Le président de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie du Parlement européen appelle à ne pas faire de surenchère sur les objectifs. Il considère, en particulier, que l'objectif de relèvement de 32 % à 40 % d'énergie renouvelable dans la consommation finale brute d'énergie de l'Union en 2030 paraît « réalisable mais très difficile à atteindre ».

J'ajoute que pour atteindre les objectifs, la Commission assortit sa démarche de contraintes spécifiques pour les bâtiments publics. Le secteur public serait ainsi tenu de rénover 3 % de la surface de ses bâtiments chaque année.

Le schéma d'ensemble pose un défi important d'adaptation des logements privés et d'évolution du parc social et amène des questions de fond, tant sur l'accompagnement financier que sur les garanties d'efficacité des travaux et, plus largement, sur la conception même de l'urbanisme et le lien bâtiment/mobilité. Nous avons eu, à cet égard, un échange passionnant avec le président de la plus grande agence d'architecture française, l'AREP, qui est une filiale de la SNCF.

S'agissant des transports, je me contenterai d'évoquer deux points.

Concernant l'aérien, le paquet prévoit un plafonnement plus strict du nombre de quotas pour les vols intra-UE et la suppression progressive totale des quotas gratuits d'ici 2026. C'est un sujet qui mérite une expertise spécifique compte tenu des impacts territoriaux potentiels.

S'agissant de l'industrie automobile, l'impact de ce paquet sera très fort et il y a un vrai enjeu de stratégie industrielle et de visibilité pour les constructeurs.

En lien avec les objectifs plus ambitieux du règlement sur la répartition de l'effort, la Commission propose de majorer les objectifs de réduction des émissions de CO2 pour les voitures et les camionnettes à l'échelle de l'Union européenne d'ici 2030 et, surtout, fixe un nouvel objectif de 100 % de réduction d'ici 2035. Dans la pratique, cela signifie qu'à partir de 2035, il ne serait plus possible de mettre sur le marché de l'Union européenne des voitures ou camionnettes équipées d'un moteur à combustion interne, y compris des modèles hybrides.

Des débats existent entre États membres, certains étant plus maximalistes que d'autres. Comme l'a souligné l'une des personnes auditionnées, et cela vaut pour les transports comme pour le bâtiment, la démarche générale de la Commission ne prend pas en compte l'usage et interroge quant à la prise en compte de l'ensemble du cycle de vie, de la production jusqu'au recyclage.

Dans le cadre de ces débats, sur lesquels travaillent également nos collègues en charge de l'énergie et des transports, se posent plusieurs sujets connexes, comme celui de la définition de l'hydrogène renouvelable et bas carbone et l'enjeu de déploiement des infrastructures de recharge.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Nous terminons la présentation de ce paquet en évoquant les deux boucliers prévus, à savoir le fonds social pour le climat et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

Le nouveau fonds social pour le climat, dont la création est directement corrélée au projet d'extension du marché carbone aux secteurs du bâtiment et des transports, a pour objectif, selon la Commission, « d'atténuer les incidences sociales et distributives sur les plus vulnérables » de l'extension du marché carbone aux secteurs du bâtiment et des transports routiers.

Alimenté par 25 % des recettes résultant de cette extension, il devrait représenter un volume de dépenses de 23,7 milliards d'euros de 2025 à 2027 puis de 48,5 milliards de 2028 à 2032.

Le Fonds fournirait des mesures de soutien au profit des ménages vulnérables, des microentreprises vulnérables et des usagers vulnérables des transports. Il viserait également à améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments, la décarbonation des systèmes de chauffage et de refroidissement dans les bâtiments, l'intégration d'énergies produites à partir de sources renouvelables, l'accès à la mobilité et aux transports à émission nulle et à faibles émissions. Le fonds pourrait aussi couvrir des aides directes temporaires au revenu.

Pour cela, en reprenant une formule éprouvée dans le cadre de la Facilité pour la reprise et la résilience, les Etats membres devraient présenter des plans sociaux pour le climat assortis de mécanismes de reporting, mais aussi contribuer à hauteur de 50 % au financement du coût total estimé de leurs plans nationaux.

Ainsi que nous l'avons évoqué tout à l'heure, toute remise en cause du marché carbone aura mécaniquement un impact sur la conception de ce fonds.

Au-delà de cet élément, la création de ce fonds, qui n'était pas prévu par le cadre financier pluriannuel et qui s'ajoute notamment au fonds de transition juste, soulève des questions de principe sur l'articulation entre l'action des États membres et celle de l'Union, sur le mécanisme de reporting prévu qui apparaît très lourd pour les États membres, mais aussi sur la clé de répartition des droits entre États membres, qui implique un nouvel effort de solidarité intra-européenne.

Enfin, je dirai quelques mots du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, que le Sénat avait appelé de ses voeux et qui devrait être pleinement opérationnel en 2026, après une phase transitoire expérimentale d'ici 2025. Le Parlement européen pourrait vouloir aller plus vite. Directement lié au système d'échanges de quotas d'émissions mais aussi à la proposition de décision sur les ressources propres, il apparaît comme un outil indispensable pour prévenir le risque de fuite carbone et faire en sorte que les nouvelles ambitions climatiques de l'Union ne pénalisent pas les entreprises européennes.

À ce stade, cinq secteurs particulièrement émetteurs et exposés - fer et acier, ciment, plastiques, aluminium et production d'électricité -, seraient couverts par ce mécanisme qui doit être conçu pour être conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce. On sait que les appétences des États membres vis-à-vis de ce dispositif sont diverses, l'Allemagne étant particulièrement attentive aux mesures de rétorsion commerciale potentielles pour ses exportateurs.

La mise en place de ce dispositif doit s'accompagner d'une suppression progressive des allocations de quotas gratuits d'émission. C'est intellectuellement parfaitement cohérent mais il faut veiller à ce que cette suppression progressive s'effectue à un rythme compatible avec la situation des entreprises européennes.

Des interrogations peuvent également exister sur le champ d'application du mécanisme : nous avons eu un échange très direct sur ce point avec l'AFEP, l'association française des entreprises privées qui représente les grandes entreprises, et j'observe que le Parlement européen envisage d'inclure le secteur de la chimie dans le dispositif.

Mais le point qui me paraît à ce stade le plus important politiquement est celui des failles qui ont pu d'ores et déjà être identifiées.

Lors de nos auditions, a clairement été abordé le risque que le mécanisme, conçu pour assurer une neutralité au sein de l'Union, pénalise les entreprises européennes exportatrices, dès lors qu'elles ne bénéficieraient plus de l'allocation de quotas gratuits. Nous avons interrogé le cabinet de Frans Timmermans, vice-président de la Commission, qui est resté de marbre et qui fait valoir les difficultés liées aux règles de l'OMC. Nous savons que la direction générale du Trésor y réfléchit. C'est un point majeur car il serait évidemment absurde que le système aboutisse à pénaliser nos exportations ou conduise à créer des filiales extérieures à l'Union pour contourner ces difficultés.

Le président de la commission de l'industrie du Parlement européen a également appelé notre attention sur les risques de contournement du système par des entreprises extra-européennes. C'est un sujet qui doit effectivement être traité, tout comme celui évoqué par Pascal Canfin dans sa récente interview au Monde : il relève, je le cite, que « en l'état actuel de la proposition, une voiture produite par Renault à Tanger (Maroc), qui utilise de l'acier turc, ne serait pas soumise au MACF, contrairement à la même voiture, produite en France, avec le même acier turc. Il faudra corriger cette faille ».

Voici résumés quelques points saillants de ce paquet particulièrement complexe du fait de son caractère transversal et de l'interdépendance des textes, mais aussi particulièrement lourd en termes d'impact sur la vie quotidienne des citoyens européens et des entreprises.

Au-delà des enjeux techniques, il nous paraît essentiel d'avoir une approche politique de ce paquet et de bien mesurer ce qui est politiquement acceptable et ce qui ne l'est pas. Les prises de parole fortes de membres éminents du Parlement européen montrent bien une divergence parfois majeure d'appréciation par rapport à la Commission, qui utilise indéniablement ce paquet comme un outil d'accroissement de ses capacités d'action. C'est également un paquet qui s'inscrit dans des réflexions budgétaires plus larges, tant concernant les marges de manoeuvre des États pour faire face au coût de la transition écologique que concernant la dimension de l'action de l'Union.

Je termine enfin par un point qui nous apparaît être un impensé du paquet, à savoir celui des effets induits sur nos partenaires ou alliés, sur les candidats à l'adhésion, mais aussi par exemple sur la Turquie qui est en union douanière avec l'Union. Nous avons interrogé plusieurs interlocuteurs sans avoir de réponse. C'est pourtant, nous semble-t-il, un sujet important.

Je vais désormais livrer une réflexion plus personnelle. C'est une transformation majeure de la société européenne, voire inédite, qui se profile. Pour la réussir, il faudra à la fois ne pas limiter nos capacités d'innovation et, certainement, songer à changer nos référentiels de valeurs.

Nous avons, à ce stade, de nombreux débats qui portent tout à la fois sur la croissance, la croissance vertueuse, la décroissance, le capital financier ou encore le capital écologique. Des spécialistes commencent même à parler de comptabilité multicapitaux ou multidirectionnels afin de prendre en compte, dans leurs calculs, le capital écologique et la manière dont l'économie influe sur celui-ci. Les considérations fiscales occupent également une place de choix dans nos discussions.

Je tiens à vous alerter sur un point : nous sommes face à un défi qui n'est pas seulement financier. Il est aussi technique. L'innovation sera centrale !

La réduction des émissions de gaz à effet de serre sera imposée via le marché carbone, organisé au niveau européen ainsi que par des normes elles-aussi européennes. En revanche, les compensations se feront principalement par le biais du Fonds social qui, lui, sera géré au niveau national. On aboutit ainsi à une situation où les normes sont fixées au niveau européen et les compensations liées à ces dernières sont prévues au niveau national. Est-ce tenable vis-à-vis non seulement du marché unique mais aussi du principe d'égalité entre les citoyens ? À l'évidence, notre capacité d'action est à ce stade limitée compte tenu de la répartition des compétences entre la Commission européenne et les États membres.

Le sujet du bâtiment est lui aussi central. La question des rénovations pose un certain nombre d'enjeux. Il ne faut pas oublier qu'à chaque fois qu'un bâtiment est rénové ou construit, des émissions de CO2 sont produites. Il faut adopter une vision globale sur ce sujet. Ces nouvelles mesures présentées par la Commission auront également des conséquences sur la gestion du logement social.

Compte tenu des défis techniques, il n'est pas raisonnable de se « fermer des portes ». Tant que nous n'avons pas trouvé la solution absolue, il faut préserver la diversité des axes de recherche pour trouver des réponses à ces défis.

Certes, depuis les années 1990, nous avons réduit nos émissions de gaz à effet de serre avec la mise en place du marché carbone. Toutefois, il convient de préciser que nos importations représentent l'équivalent de 49 % de nos émissions internes. Dans ce contexte, l'Allemagne se trouve confrontée à une difficulté particulière que nous ne rencontrons pas en France : sa balance commerciale est excédentaire. Elle sera donc particulièrement sensible aux effets du mécanisme d'ajustement carbone pour ses exportations. Sur l'ensemble de ces sujets, la question des accords commerciaux est majeure : tout dépend de la manière dont on fait évoluer ces derniers.

In fine, deux réflexions doivent être menées. Premièrement, nous devons atteindre en Europe la neutralité carbone d'ici 2050. La Chine l'atteindra en 2060, l'Inde en 2070 et ainsi de suite... Aussi, si l'Europe doit être exemplaire, il est essentiel que l'exemple serve. Comment traiter les pays avec lesquels nous prévoyons des élargissements ? Comment traiter les pays avec lesquels nous formons une union douanière ? Comment traiter avec nos principaux partenaires commerciaux ? Cette exemplarité que nous voulons ne représente pas seulement un risque dans la gestion de nos relations avec nos partenaires extérieurs mais peut aussi constituer un outil d'influence. Il faut en être conscient ! Deuxièmement, au-delà de l'objectif de réduction de l'empreinte carbone, il faut également investir dans la recherche et réfléchir à la mise à disposition de moyens pour l'adaptation de ces nouvelles politiques.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Je souscris bien évidement à tout ce qui vient d'être dit. Je souhaiterais aussi apporter quelques précisions à mon propos.

Le sujet de l'acceptabilité de ce paquet est aussi, pour moi, central. En effet, comme l'a rappelé Jean-Yves Leconte, les actions européennes donneront lieu au niveau national à un certain nombre de compensations. C'est un équilibre à trouver. La question de l'acceptabilité des différents États membres ainsi que des citoyens eux-mêmes - et des Français avant tout - devra être prise en considération. Nous sommes très vigilants sur ce point.

Comme vous l'avez certainement remarqué, cette restitution est une première étape. Nous allons continuer à auditionner un certain nombre d'acteurs économiques et institutionnels. Ainsi, nous souhaitons recueillir, ce matin, vos remarques et vos observations sur cet ensemble de textes que constitue le paquet « ajustement à l'objectif 55 ».

M. Jean-François Rapin, président. - Merci à tous les deux pour votre travail. Je souhaiterais à mon tour évoquer plusieurs points. Lors de la récente réunion au Sénat de la COSAC des Présidents, Mme Christine Lagarde nous a livré un exposé tout à fait complet sur l'euro et a profité de cette occasion pour rappeler les besoins colossaux d'investissements dans la transition écologique. Ces travaux relatifs à l'évaluation des besoins d'investissements, qui seront aussi menés au Sénat par la commission des finances, sont déterminants. Il est essentiel d'évaluer au sein de cette transition, ce qui relève d'investissements privés et ce qui relève d'investissements publics. Les niveaux d'investissements annuels sont tels que le plan de relance ne suffira pas à couvrir l'ensemble du financement de cette économie verte. Nous devons donc continuer nos réflexions sur ce sujet. Cette question n'est pas à négliger.

Jean-Yves Leconte nous a également rappelé qu'au-delà des défis financiers, il existait des défis techniques, auxquels je suis très sensible en ce moment. J'ai récemment été interpellé par un article de Carlos Tavares, directeur général de Stellantis, sur la conception des batteries de véhicules électriques. Je suis personnellement un grand adepte de ces derniers. Cependant, j'émets un soupçon d'inquiétude concernant la conception des batteries et l'avenir de leur recyclage. Il ne faudrait pas que dans trente ou quarante ans, nous nous retrouvions confrontés à un scandale environnemental lié à leur recyclage. Il faut être très précautionneux sur l'avenir de ces choix techniques et ne pas sombrer dans des dogmatismes qui nous conduiraient à commettre des erreurs. Ainsi, l'aspect technique de cette transition me semble aussi important que son volet financier.

Mme Christine Lavarde. - . À l'écoute du rapport de mes deux collègues, j'ai l'impression que la politique des États membres, en tout cas de l'Union européenne, connaît une évolution significative en matière de transition climatique. En effet, quand la France a inscrit, dans la loi d'orientation des mobilités (LOM), l'interdiction des véhicules thermiques à horizon 2040, elle était le seul État de l'Union à se doter de cette injonction. Si j'ai bien compris les propos de nos deux rapporteurs, dans ce nouveau paquet, on s'interdirait à l'échelle de l'Union européenne de vendre ce type de véhicules à un horizon de temps similaire.

Je souscris totalement aux propos qui ont été tenus en ce début de matinée, particulièrement concernant l'énorme défi technique qui s'ouvre devant nous. J'avais soutenu exactement la même position lorsque j'étais rapporteur de la loi climat et résilience, sur le volet transports devant la commission des finances.

Je n'aurais donc qu'une question : comment voyez-vous l'articulation de ce nouveau paquet avec la future norme Euro 7 ? Ne craignez-vous pas l'adjonction de ces multiples normes ? Le nouveau paquet de l'Union traite en effet de la question des émissions de carbone, la norme Euro 7 renvoie quant à elles à tous les polluants. Ainsi, nous allons nous retrouver dans une situation particulière où les véhicules auront un coût exorbitant en raison de ces dispositifs très onéreux de dépollution. Est-ce que la Commission européenne prévoit un volet social pour l'ensemble de ces dispositifs ? Si tel n'est pas le cas, on aboutit nécessairement à une mobilité accessible à un très petit nombre de personnes.

La France a de son côté mis en place un certain nombre d'outils qui sont à ce jour perfectibles, tels que des primes à la conversion, des bonus, des micro-crédits etc. Cependant, on constate que le taux de recours à ces nouveaux dispositifs est assez réduit, surtout concernant ceux qui sont accessibles aux plus modestes. En effet, ces outils ne permettent pas de couvrir le surcoût d'achat d'un véhicule qui serait conforme à toutes les normes présentées supra, par rapport à un véhicule d'occasion qui remplirait sa fonction première, à savoir permettre de se rendre sur son lieu de travail.

M. Jean-François Rapin, président. - Au-delà d'Euro 7 et de l'émission de particules liée à l'utilisation de carburant, je rappelle également - avec une certaine ironie - que l'utilisation des routes est elle aussi émettrice de particules et que cette question pourrait donc faire demain l'objet d'une directive.

M. Pierre Laurent. - Le premier enjeu de ce nouveau paquet est de voir clair dans toutes ces politiques présentées par la Commission européenne. Sur ce point, je tiens à remercier mes collègues pour leur synthèse très éclairante.

Sur le volet énergie dont je m'occupe particulièrement, je souhaiterais souligner qu'en toile de fond de tout ce débat, le choc actuel que connaissent les prix de l'énergie soulève de nombreux problèmes. L'ensemble des auditions auxquelles nous avons assisté pour le moment semblent le confirmer : nous ne sommes pas face à un choc conjoncturel mais structurel. Certains comparent cette situation au choc pétrolier des années 70, dont les effets de grande ampleur se sont inscrits dans la durée.

Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord avec le fait que ce nouveau paquet traduise un changement de société pour l'Union européenne. Je souscris également aux propos de Jean-Yves Leconte concernant la dimension financière de cette transition qui ne constitue pas à elle seule la solution au problème posé. Cependant, s'agissant du volet financier, j'ai entendu l'intervention de Mme Christine Lagarde au Sénat qui a indiqué qu'un montant de 520 milliards d'euros par an serait nécessaire au financement de cette transition. Si ces ordres de grandeur sont vérifiés, plusieurs questions doivent être reconsidérées : celle des ressources propres, celle relative au Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ou encore celles relatives à la Banque centrale européenne. On n'atteindra pas ces niveaux d'investissement toutes choses égales par ailleurs. Il va falloir ouvrir des débats ! Concernant les discussions sur le budget européen, nous avons déjà pu constater un certain nombre de blocages sur ces questions-là.

La question des systèmes productifs doit aussi être abordée. Oui, il faut investir énormément dans la transition climatique, mais pour quoi faire ? Vers quoi et comment seront dirigés les financements qui seront dégagés ? Si on les distribue à un système économique qui ne change pas de finalité, nous ne réussirons pas la transition que nous souhaitons.

Sur la question de l'extension du marché carbone aux domaines de l'habitat et du transport routier, une interrogation persiste. Nous ne connaissons pas encore les conséquences de ces ajustements et pourtant, nous prévoyons déjà l'enveloppe du fonds social censée compenser les effets de ces nouvelles mesures. Ainsi, sur la proposition de résolution européenne que nous allons adopter, comment allons-nous traiter ces questions ? Au cours de nos auditions, lorsque nous demandons si ce principe de compensation est acquis, les réponses divergent. C'est très problématique dans la mesure où, au moment où nous adopterons notre proposition, le débat ne fera que démarrer et nous n'aurons pas le périmètre final visé par ce fonds social.

Ensuite, les poids lourds ne semblent pas concernés par les nouvelles mesures contenues dans ce paquet, ce qui est étonnant compte tenu de la trajectoire de l'Union européenne en matière de réduction des gaz à effet de serre.

Enfin, la question de la flexibilité dans la réponse apportée à cette transition climatique au niveau européen est très importante, mais elle pose également de lourds problèmes. La mise en place de normes européennes, au détriment d'objectifs plus globaux, suscite des réticences au niveau national car cela suppose d'harmoniser des situations différentes. Ceci met en exergue les limites d'un système qui veut tout régler dans le détail par des normes européennes. A contrario, trop de flexibilité conduirait à l'absence de mise en oeuvre de nouvelles mesures destinées à réduire drastiquement les émissions de carbone. Un équilibre doit être trouvé. À cette fin, la mise en place d'objectifs au niveau européen et de moyens pour y parvenir au niveau national pourrait être étudiée. Si la méthode ne change, les difficultés persisteront.

Ainsi nous sommes face à un dilemme. Soit on adopte le texte dans sa globalité, soit on le rejette, sans pouvoir discuter des moyens afférents pour atteindre les objectifs proposés. C'est problématique.

M. Jean-François Rapin, président. - Concernant le choix de traiter le paquet dans son intégralité, nous n'avons pas la responsabilité de la Commission, ni celle du Conseil. On ne peut pas faire autrement que de traiter globalement ces sujets. Quant au fait de formuler des propositions complémentaires, nous pouvons le faire, mais je tiens à préciser que cet exercice est déjà assez compliqué ; peut-être serait-il opportun de ne pas le rendre encore plus difficile. J'entends toutefois la proposition. Le travail des rapporteurs sera en ce sens essentiel.

M. Dominique de Legge. - Merci pour la présentation de ce décor complexe, à la fois sur les objectifs et les moyens visés, ainsi que sur la place ténue laissée aux amendements des Etats membres.

Pour ma part, je me charge plus particulièrement des sujets afférents au secteur des transports, qui renvoient de facto à la question de l'énergie dans le contexte politique que l'on connaît. À ce titre, je souhaiterais approfondir la question de la dimension sociale de ces nouvelles mesures.

Vous avez évoqué dans votre présentation que nous devrions prendre des dispositions pour une meilleure acceptation sociale. Or, derrière ce genre de dispositions, que se profile-t-il ? C'est une nouvelle forme de société ou du moins un nouveau rapport à la consommation où l'on paiera individuellement notre énergie et ses conséquences en termes d'émission de gaz à effet de serre en fonction de notre revenu. Autrement dit, le prix que je paierai en tant que consommateur sera-t-il fonction de mes revenus ? Si oui, le changement de société est à l'oeuvre et il faut en être conscients.

Sur le plan de l'énergie, un autre sujet doit, selon moi, être évoqué : il s'agit du nucléaire et de la taxonomie. Nous connaissons la position de l'Allemagne en la matière et l'enjeu est fort. N'y a-t-il pas un risque à fragiliser nos économies en favorisant une certaine forme d'importation et en limitant nos capacités d'exportation ? C'est toute la question de la compétitivité.

Enfin, j'aimerais revenir quelques instants sur le financement de ces nouvelles mesures, et plus particulièrement sur la répartition de ce financement entre les fonds privés et les fonds publics. Derrière ces considérations, l'enjeu de souveraineté est important.

En matière d'énergie, s'il n'existe pas de moyen étatique pour réguler le système, la situation devient rapidement confuse et embrouillée. Ma crainte est donc la suivante : à vouloir trop en faire et de manière aussi rapide, la question de « l'acceptation de l'Europe » se pose ! A titre personnel, je ne souhaite pas donner d'arguments aux pays qui souhaitent quitter l'Europe. En clair, mon interrogation est la suivante : les objectifs que nous nous fixons sont-ils compatibles avec le maintien de l'unité européenne ?

M. Jacques Fernique. - Je souhaiterais à mon tour remercier nos deux rapporteurs pour ces présentations. Elles nous permettent de mieux cerner les enjeux, les problématiques et les choix politiques que nous devons faire en tant que parlementaires. Grâce à elles, nous pouvons « passer aux choses sérieuses » et ne pas en rester à l'étape des objectifs.

J'en viens désormais au contenu de la proposition de résolution commune aux trois commissions que nous envisageons d'élaborer. Notre position vis-à-vis de l'extension du système d'échange de quotas d'émission aux secteurs de la route et du logement doit être ferme. Ces mesures pourraient en effet avoir de lourdes conséquences sur le pouvoir d'achat des ménages, sans par ailleurs constituer un véritable levier de transition. De ce point de vue-là, ce durcissement des normes doit nécessairement être couplé à un accompagnement aux changements, adapté aux besoins de chacun.

S'agissant du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, des difficultés risquent d'apparaître. En effet, le maintien des allocations de quotas gratuits à nos entreprises les plus polluantes pourrait se trouver en totale contradiction avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Ainsi, un temps d'adaptation à ces secteurs d'activité sera nécessaire. Nous devons nous attendre à ce qu'un lobbying féroce soit pratiqué pour conserver ces acquis.

Par ailleurs, je souhaiterais revenir sur la question du fonds social pour le climat. La gestion de ce dernier sera, me semble-t-il, entre les mains des États et ce, pour éviter l'éclatement d'une crise semblable à celle des gilets jaunes. Dans notre résolution, il faut faire apparaître, d'une part, que la dimension sociale doit être prise en compte : nous tâcherons d'éviter qu'une telle crise sociale n'éclate. D'autre part, nous devons aussi informer nos concitoyens que ce durcissement des normes risque d'entraîner des bouleversements au sein de certains secteurs d'activité, notamment le secteur automobile. Des plans de reconversion ainsi que des dispositifs de formation professionnelle devront alors être déployés.

Ces nouvelles mesures risquent in fine d'être essentiellement gérées au niveau des collectivités territoriales qui demeurent un niveau d'action privilégié en matière climatique pour les secteurs du transport ou de l'urbanisme. Le fonds social pour le climat devra donc aussi abonder les ressources de ces collectivités.

Je tiens enfin à ajouter que le système d'échange de quotas d'émission ainsi que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières doivent abonder en partie le budget de l'Union européenne et donc modifier la décision « ressources propres ». Tout ce travail va devoir être repris : il faudra trouver une unanimité de ce côté-là.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je remercie à mon tour mes deux collègues pour leur travail ainsi que pour leur exposé à la fois synthétique et didactique. À l'heure actuelle, ces textes ne sont malheureusement pas « stabilisés ». Pour autant, quel est votre sentiment par rapport au rôle du Parlement européen concernant ce paquet « climat » ? On voit déjà des initiatives qui sont prises par ce dernier, portant par exemple sur l'extension à d'autres secteurs du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Dans le transport aérien, le Parlement envisage aussi d'anticiper ou d'avancer un certain nombre de dates.

Par ailleurs, nous avons rencontré avec plusieurs autres collègues, M. Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l'énergie, pour l'interroger sur le sujet des prix de l'énergie. Ce dernier semblait se prononcer en faveur d'une déliaison entre le prix du gaz et celui de l'électricité, contrairement à ce qu'avançait M. Clément Beaune lors de sa récente audition devant notre commission.

Comme l'a rappelé Jean-Yves Leconte, il est aussi important, me semble-t-il, que nous nous interrogions sur cette problématique de l'exemplarité de l'Union européenne. Quelle serait la répercussion des mesures prises par l'Europe sur ses accords commerciaux avec des pays tiers ? Ces accords commerciaux sont-ils amenés à « tomber » ou devront-ils être renégociés ? Enfin, quel rôle va jouer l'Organisation mondiale du commerce dans tout cela ? En effet, concernant le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, l'Organisation mondiale du commerce observe scrupuleusement les travaux de l'Union européenne, afin qu'ils ne génèrent pas de distorsions de concurrence. Enfin, est-ce que l'une des solutions à moyen terme ne serait-elle pas de généraliser ce que l'on appelle « l'analyse du cycle de vie du produit » qui permet de définir le bilan carbone de tous les produits importés ?

M. Didier Marie. - Mes chers collègues, je vous remercie pour cette présentation très complète. C'est un sujet à la fois majeur et complexe. Il n'est pas aisé d'avoir une position claire et précise dans un délai aussi court, même si je comprends qu'il est utile que nous puissions formuler notre proposition de résolution européenne rapidement au regard des contraintes de calendrier auxquelles nous sommes soumis.

Les rapporteurs l'ont dit : nous sommes face à une transformation majeure de l'Union européenne, qui s'étend au-delà de la seule considération écologique. Les premières victimes du dérèglement climatique sont les populations les plus modestes ; ce sont elles qui subissent de plein fouet les évolutions industrielles et les augmentations des prix de l'énergie. On ne peut donc pas, à mon sens, traiter la question climatique de ce paquet sans traiter celle des inégalités sociales.

Ensuite, j'aimerais aborder la question du fonds social pour le climat. Ce dernier pose de vraies interrogations : quid de ses finalités, de ses modalités pratiques de mise en oeuvre ainsi que de son ampleur ? Les transformations économiques qui résulteront de ce paquet vont être telles qu'elles bouleverseront l'organisation du travail et affecteront durablement l'organisation territoriale de nos sociétés. Des conséquences majeures pour la vie quotidienne de nos concitoyens sont à attendre. Nous devons réfléchir à l'accompagnement de ces populations !

Nous devons aussi aborder les places respectives qu'occuperont le secteur public et le secteur privé dans cette transformation. Sans faire de « politique politicienne », le tournant libéral des années 1980 a considérablement exacerbé les inégalités et contribué à la déréglementation climatique. Dans le même temps, l'appauvrissement de la sphère publique au profit de la sphère privée s'est accru. Il est donc légitime que nous jaugions la capacité de la sphère publique à mettre en oeuvre la transformation qui se présente. Une attention particulière sur les moyens alloués à l'ensemble de la sphère publique devra être portée. Cette attention devra également concerner les collectivités territoriales, qui constituent des leviers nécessaires pour traduire ces transformations à l'échelle locale.

Ce paquet « climat » doit aboutir à l'élaboration d'un programme de transformation sociale qui n'oppose plus les questions environnementales et sociales mais qui, bien au contraire, règle en partie la question des inégalités. Il ne faut pas se laisser piéger par une approche trop technique du sujet : nous devons changer de modèle de société pour que ceux qui souffrent le plus du changement climatique ne soient pas ceux qui souffriront demain des politiques mises en place.

M. Jean-François Rapin, président. - Didier Marie semble indiquer un certain nombre d'inquiétudes sur le fonds social pour le climat et évoque à ce sujet les investissements publics. Or, je ne suis pas certain que ce fonds intègre des investissements publics. Ces derniers semblent en effet déjà incorporés au Plan de relance européen.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Effectivement.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous connaissons les chiffres des investissements publics dédiés à la transition climatique : il suffit de se référer au Plan de relance européen ainsi qu'au cadre pluriannuel financier (CFP). Au regard du niveau de ressources propres et des difficultés à les capter, je ne sais pas si l'on serait capable d'élaborer un nouveau Plan de relance. Nous devons mener un travail sur ces points et plus particulièrement évaluer la part des investissements publics liés aux fonds de transition - à la fois dans le cadre pluriannuel de croissance et le Fonds de relance - pour estimer le montant dont dispose l'Europe pour assurer ces investissements.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Merci mes chers collègues pour les questions et les réflexions que vous avez souhaité partager avec nous et sur lesquelles nous continuons de travailler. Nous prenons bien note des réserves que vous avez pu formuler sur un certain nombre de points.

Je vais désormais tenter de répondre à vos observations. Cependant, je ne peux garantir pour chacune d'entre elles une réponse très précise dans la mesure où nous sommes encore en phase de préparation de notre proposition de résolution.

Tout d'abord, vous avez en creux abordé la question du portage politique de ces sujets, qui ne doivent pas s'arrêter à des considérations techniques ou financières. La problématique de l'acceptation - ou de l'acceptabilité sociale suivant le terme que vous avez choisi - est à ce titre éminemment importante. Ainsi, nos travaux continuent d'étudier avec sérieux la mise en place d'un fonds social pour le climat, bien que cet outil ne fasse pas, pour le moment, consensus au sein de notre commission. Ses objectifs, ses moyens et ses modalités pratiques de mise en oeuvre méritent d'être encore précisés.

Notre collègue Jean-Michel Houllegatte s'interrogeait sur la position du Parlement européen sur ce nouveau paquet. Nous n'avons pas suffisamment eu le retour des eurodéputés sur ce sujet. Nous avons cependant auditionné le Président de l'une des commissions concernées et il nous a semblé que les réflexions menées au sein de cette dernière rejoignent celles que nous partageons aujourd'hui.

Concernant l'Organisation mondiale du commerce, nous n'avons pas encore eu l'occasion d'échanger avec elle sur ces nouveaux dispositifs. Il pourrait être intéressant de l'inclure dans nos travaux.

Je souhaiterais aussi répondre à l'intervention de Christine Lavarde sur la voiture électrique. Ce sujet est en effet central et touche directement de nombreuses autres problématiques relatives à l'énergie, au déploiement des bornes de recharge, au nucléaire etc. Ce sont des sujets sur lesquels nous devons être vigilants et vérifier si notre trajectoire en la matière est la bonne.

Le président de l'AREP nous avait alertés sur le fait qu'au-delà du volet éminemment technique de ce paquet, il fallait aussi se montrer vigilants sur ce que pourrait être la « démarche d'usage » autour de ces thématiques. Par exemple, avons-nous intérêt à ce que tout le monde s'équipe individuellement d'une voiture électrique ou devons-nous privilégier l'usage d'une voiture à moteur thermique transportant quatre personnes ? C'est une véritable question sur laquelle nous devons nous pencher.

Enfin, le fonds social pour le climat a été mis en place pour atténuer l'impact de ces nouvelles mesures sur les ménages vulnérables. Aussi, sur la question des transports, le levier que pourraient constituer les collectivités territoriales sur ce sujet - comme l'a rappelé Jacques Fernique - n'est pas encore bien identifié. En tant que sénateurs, nous pourrions faire des propositions autour d'une articulation qui inclurait nos collectivités territoriales dans cette démarche.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Je constate, mes chers collègues, que vous avez, en effet, des interrogations concernant ce nouveau paquet de textes, mais que vous souhaitez surtout nous accompagner dans la rédaction de la proposition de résolution européenne.

Tout d'abord, je souscris aux propos de Christine Lavarde : certaines problématiques ne sont pas abordées dans le paquet et, pourtant, les dispositions qu'il contient ont un impact direct sur ces dernières. Sur la question des véhicules électriques, je souhaiterais ajouter que toutes les fois où l'on change de vecteur en matière d'énergie, on perd du rendement. En cela, le véhicule électrique pose un certain nombre de questions, car l'électricité n'est qu'un vecteur. Au niveau mondial, la production d'électricité reste le premier secteur émetteur de carbone. Il faut ainsi se garder de « se fermer des portes ».

Ensuite, je tenais à rappeler que le fonds social pour le climat n'a pas été pensé en fonction d'une évaluation des besoins de nos concitoyens, mais en fonction d'une part des recettes de l'extension du marché carbone à de nouveaux secteurs. Il existe donc un décalage entre les besoins que nous pourrions constater consécutivement à l'adoption des mesures du paquet, et ce fonds. La solution serait-elle de coupler ces deux variables ? C'est une question légitime. Nous sommes contraints par les cadres financiers pluriannuels : il faut crédibiliser la manière dont on doit accompagner la transition.

Une question demeure : qui peut financer cette transition ? In fine, tout le monde ! Il faut être capable de mesurer l'utilité écologique de chaque investissement, y compris privé. Des normes sont nécessaires. Aujourd'hui, ces normes sont privées. La discussion avec un représentant d'Amundi a été sur ce point très éclairante. L'offre américaine de normes RSE (responsabilité sociétale des entreprises) domine l'offre européenne. Là aussi, c'est un combat que nous devons mener.

Enfin, il ne faut pas oublier que certaines problématiques présentent une utilité non seulement écologique mais aussi sociale. Je pense notamment en l'espèce aux logements sociaux. Ne les oublions pas ! Selon moi, il n'est plus envisageable de mesurer le progrès sur l'unique base de la croissance économique. Il faut changer de référentiel. Je ne plaide pas en faveur de la décroissance mais pour une mesure différente de cette croissance. Dans le cas contraire, on aboutit à des situations absurdes comme l'a rappelé Didier Marie : on financerait l'Union européenne par le biais d'instruments qu'on souhaiterait voir disparaître.

Bien sûr qu'il faut aborder la question de l'acceptation et plus largement de l'acceptation de l'Europe. Cependant, ne perdons pas notre objectif de vue. Pourquoi l'Union européenne élabore-t-elle une telle politique ? C'est en raison de l'urgence climatique : il faut répondre à celle-ci et il faut faire attention à la manière dont on le fait. In fine, l'utilité de l'Europe est de répondre à cette question que je qualifierais « d'existentielle ».

Jean-Michel Houllegatte évoquait les positions du Parlement européen : sur ce point, je tiens à souligner que les eurodéputés ont exactement la même attitude que nous. Nos réflexions convergent.

Par ailleurs, on ne peut pas faire comme si l'Organisation mondiale du commerce ne pouvait pas évoluer. Nous devons renégocier nos accords commerciaux : c'est un levier indispensable que nous devons actionner. Il faut également changer les principes de l'Organisation mondiale du commerce. Il faut enfin élaborer des bilans carbones des produits et des projets immobiliers, et les intégrer dans les appels d'offre. Cette transition écologique appelle de vrais changements.

Au-delà de la technicité de ce paquet « climat », deux éléments doivent être gardés à l'esprit. D'une part, nous devons nous adapter au changement climatique mais l'acceptation de cette adaptation doit être sous contrôle. Nous avons besoin de moyens pour entreprendre cela. Il faut crédibiliser le paquet au-delà du seul cadre financier. D'autre part, il ne faut pas oublier dans notre réflexion les pays avec lesquels nous discutons d'élargissement. Cela serait un non-sens de ne pas les inclure dans notre politique, notamment la Turquie. Nous rencontrons des problèmes concernant le financement de ce pacte vert, dans le temps et l'espace. Soyons efficaces par rapport au reste du monde. C'est un enjeu pour la prochaine COP27 qui se déroulera en Egypte, sur le continent africain qui reste pour le moment un « trou noir » dans cette réflexion sur le climat.

Des risques existent. Cependant, ce paquet représente une vraie chance pour l'Europe de se positionner à l'avant-garde de cette transition climatique et de retrouver un leadership utile et vertueux.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Le volet « bâtiment » du paquet est très novateur, notamment sur la question du cycle de vie qui rejoint les sujets liés aux collectivités territoriales que vous venez d'évoquer. Nous devrions être amenés à faire des propositions sur ces dispositions sectorielles dans le cadre du travail que nous réalisons.

Je tenais enfin à rappeler, et vous l'aurez bien compris, que dès que l'on modifie un pan de cette politique, un effet domino s'enclenche. Il faut y être vigilant.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie. Le cycle de travail dans lequel nous nous engageons risque d'être ardu.

La réunion est close à 10h45.