Mercredi 16 février 2022

- Présidence de M. Arnaud Bazin, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition des entreprises publiques : MM. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF, Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste et Pierre Todorov, secrétaire général d'EDF

M. Arnaud Bazin, président. - Nous terminons aujourd'hui notre cycle d'auditions commencé le 29 novembre dernier, l'examen de notre rapport étant prévu pour la mi-mars.

Nous recevons les dirigeants de trois entreprises publiques, M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF, M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste et M. Pierre Todorov, secrétaire général d'EDF.

Je vous souhaite la bienvenue au Sénat. Je vous remercie particulièrement de votre présence, dans un contexte où vos entreprises sont confrontées à des défis majeurs, ainsi que pour vos contributions écrites qui, me dit-on, étaient particulièrement claires et développées.

Après avoir auditionné les représentants de l'administration, nous avons souhaité vous entendre pour comprendre les modalités de recours aux cabinets de conseil dans le secteur paraparapublic, soumis à la concurrence, pour une grande partie de ses activités. La SNCF, La Poste et EDF font partie du quotidien des Français. Je vous remercie d'avance pour le caractère très concret de vos propos, qui parleront à tous.

Quelle est votre doctrine d'emploi pour le recours au cabinet de conseil ? Quelles sont leurs missions ? Diffèrent-elles des missions que ces cabinets exercent pour l'administration ?

Enfin, comment s'organise l'activité des consultants au sein de votre entreprise ? Les cabinets de conseil sont, par exemple, amenés à utiliser le sceau de l'administration pour laquelle ils interviennent, ce qui peut surprendre - et qui, d'ailleurs, nous a surpris précédemment. Est-ce le cas dans vos entreprises ?

Cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site internet du Sénat et, en raison du contexte sanitaire, certains de nos collègues peuvent également intervenir par visioconférence.

Comme pour toutes les personnes auditionnées, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Pierre Farandou, M. Pierre Todorov et M. Philippe Wahl prêtent serment.

Je vous laisse maintenant la parole pour une intervention liminaire d'environ huit minutes. Mme la rapporteure, puis nos collègues, interviendront ensuite pour vous poser des questions.

M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste. - Monsieur le président, merci pour vos paroles et pour cette occasion qui m'est donnée de parler de la transformation de notre entreprise, car le questionnement que vous avez sur le recours à des consultants ou à des organismes de conseil doit se vivre en fonction de cette transformation, avec deux éléments de contexte.

En premier lieu - vous l'avez dit dans votre introduction -, 100 % des activités de La Poste sont en concurrence. La raison pour laquelle, dans le secteur du courrier, notre part de marché est de 99 %, ce qui laisse assez peu de place à des concurrents, est que cette industrie est en récession profonde. Ses volumes ont été quasiment divisés par trois. Nous connaissons des pertes de chiffre d'affaires annuel de 600 millions d'euros. Depuis 2013, nous aurons perdu 5,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Dans un tel contexte, il ne faut pas s'étonner de l'absence de concurrence.

Par ailleurs, toutes nos autres activités sont très concurrencées. Ainsi, dans la banque et la bancassurance, la Banque postale, qui est la sixième plus grande banque française, a face à elle cinq des dix premières banques de la zone euro. Nous sommes la onzième. C'est un degré de concurrence extrêmement élevé.

Enfin, le colis, qui est lié à la très forte croissance du e-commerce, est extrêmement concurrentiel. Pour mesurer le degré de concurrence, je dirais que notre premier concurrent, qui est aussi notre premier client, est l'une des entreprises les plus puissantes de la planète : Amazon.

Nous sommes donc en concurrence sur l'ensemble de nos métiers, avec une rare intensité.

En deuxième lieu, nous connaissons une profonde transformation. Celle-ci se mesure à travers la baisse des volumes du courrier : 18 milliards de lettres distribuées par nos factrices et nos facteurs en 2008, un peu plus de 7 milliards l'année dernière, sans doute 6 milliards en 2023. Entre 2008 et 2023, les volumes transportés par nos facteurs auront été divisés par trois.

Cette transformation, les postières et les postiers ont décidé d'en conserver la maîtrise. Nous avons donc engagé, avec le plan stratégique 2020 « Conquérir l'avenir », une profonde transformation de notre groupe, qui a réussi : en 2021, la lettre, objet historique qui a constitué notre groupe et qui en est le coeur, ne représentait plus que 18 % de notre chiffre d'affaires, le colis, qu'il soit à l'international ou en France, approchant des 50 %.

C'est donc une transformation extrêmement profonde. Pourquoi ces deux éléments contextuels - concurrence extrêmement forte sur toutes les activités et transformation très profonde des métiers, des activités et des emplois - sont-ils si importants ? Très souvent, les cabinets de conseil sont pour les dirigeants un instrument destiné à contribuer à ces transformations. Si nous étions dans une activité en très forte croissance et que nous dominions, je pense que nous aurions moins besoin de procédures et de projets de transformation et, sans doute, de cabinets de conseil.

Dès lors, la doctrine d'emploi était assez simple : accompagner La Poste et ses filiales dans leur transformation. De ce point de vue, la différence entre la définition de la stratégie et la réalisation des tâches opérationnelles est très importante.

La définition de la stratégie, c'est le travail des dirigeants de La Poste. Un membre de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, notre premier actionnaire, siège dans votre commission d'enquête. Nous avons élaboré, au cours de l'année 2020 et au début de l'année 2021, un nouveau plan stratégique appelé « La Poste 2030 engagée pour vous ». Ce travail a été fait sans recourir à aucun consultant, car la définition de nos objectifs et de ce que doit être La Poste en 2030 est d'abord un sujet confidentiel dans sa fabrication, et la raison d'être du rôle des dirigeants rassemblés autour de nous.

En revanche, étant en concurrence dans la réalisation d'un certain nombre de missions, notamment informatiques, nous avons fondamentalement besoin de tels cabinets, car il nous semble que cela aide à la transformation de La Poste.

En termes de doctrine d'emploi, plus les choses sont stratégiques, moins nous faisons appel à des cabinets de conseil. Lorsqu'il existe un partage stratégique avec ces cabinets, nous essayons de le concentrer sur le recueil de données et l'observation de la concurrence. Étant partout en concurrence, c'est absolument nécessaire, car ces cabinets ont d'excellentes bases de données et une bonne connaissance de ces métiers.

Pour le reste, nous essayons de les utiliser soit pour les projets transitoires qui n'exigeraient pas le recrutement d'effectifs permanents, soit parce que, notamment en matière informatique, la fluctuation des travaux rend ces cabinets indispensables.

D'ailleurs, dans les données que nous vous avons transmises, les tâches informatiques sont majoritaires dans les contrats que nous avons signés avec l'extérieur. Certains de ces contrats sont confiés à notre filiale Docaposte, entreprise de conseil en transformation numérique. Nous sommes évidemment l'un de ses premiers clients.

Voilà donc les missions qui sont dévolues à ces établissements. Les cabinets de conseil, lorsqu'ils travaillent pour nous, ne prennent pas le nom de La Poste mais travaillent pour elle. Si les dépenses de 2021 apparaissent dans ce domaine en assez forte croissance, c'est parce que 2020 et 2021 correspondant aux années de fabrication de notre nouveau plan stratégique décennal. Même si ces cabinets n'ont pas conçu la stratégie, nous avons eu besoin d'un certain nombre de leurs apports. Nous les considérons comme de bons professionnels, utiles à la transformation de notre groupe.

M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF. - La SNCF a été saisie mi-décembre par votre commission et lui a adressé les éléments demandés le 17 janvier.

Nous avons mobilisé plusieurs équipes pour recomposer les dépenses des années 2016 et 2021 qui nous avaient été demandées pour l'ensemble des sociétés anonymes. Je rappelle que la SNCF a été profondément modifiée dans son organisation par la loi de 2018, cette modification intervenant au 1er janvier 2020. Il s'agit aujourd'hui d'un ensemble ferroviaire constitué, autour d'une société anonyme de tête, que j'ai l'honneur de diriger pour tout le groupe, par SNCF Réseau, SNCF Voyageurs, Gares et Connexions, filiale de SNCF Réseau, toutes trois sociétés anonymes.

La gouvernance a été transformée, ce qui n'est pas neutre. Nous sommes passés de trois établissements publics à cinq sociétés anonymes et avons dû effectuer un travail de reconstitution des données par rapport au cahier des charges que vous avez arrêté. C'est un gros travail de retraitement, que nous avons pu conduire dans un délai assez resserré pour être au rendez-vous que vous nous avez fixé.

Nous avons reclassé nos dépenses en matière de consultance selon la typologie demandée. Nous les avons qualifiées de généralistes pour tout ce qui touche à la stratégie, à l'organisation, à la conduite du changement dans les ressources humaines et le marketing, à distinguer de la communication, qu'on a elle-même différenciée des systèmes d'information, du juridique, de la comptabilité, de la gestion des finances et des audits.

Tout comme le groupe La Poste, la SNCF ne confie pas ses décisions stratégiques à des cabinets extérieurs. Nous y recourons uniquement pour une expertise pointue dont on peut avoir besoin pour éclairer tel ou tel sujet qui ne serait pas présent en interne. À l'identique du groupe La Poste, ces décisions sont instruites par le management du groupe et proposé à la gouvernance du groupe, où l'on retrouve toutes les composantes du conseil d'administration : État, administrateurs salariés, personnalités indépendantes. C'est dans ces moments-là que se détermine la stratégie du groupe, avec très peu d'apports de consultants extérieurs sur ces sujets, voire aucun.

Si jamais nous devions faire appel à une compétence pointue pour éclairer telle ou telle facette de la décision, tout cela se ferait sous le sceau de la confidentialité la plus absolue, avec signature d'engagements de confidentialité.

Je rappelle, là encore à l'instar de La Poste ou d'EDF, que nous sommes une très grande entreprise. Outre la partie ferroviaire du groupe, il existe dans le groupe deux sociétés, Geodis et Keolis, qui représentent à peu près l'équivalent, en chiffre d'affaires, du coeur ferroviaire. Le groupe SNCF représente 270 000 salariés au total, dont 200 000 en France, pour un chiffre d'affaires de 35 milliards d'euros.

Le secteur ferroviaire, que vous connaissez mieux, compte 15 000 trains par jour, 5 millions de voyageurs, et comporte trois grands métiers : le transport de passagers, le transport de marchandises, qui inclut la logistique avec Geodis, et le métier de gestionnaire d'infrastructures, qui est maintenant distingué par la loi, avec 30 000 kilomètres de réseau ferroviaire et 3 000 gares françaises.

Bien évidemment, la transformation est un sujet qui s'applique aussi au groupe SNCF. On peut même dire qu'elle se fait à grande vitesse, car les choses bougent vite. Quelques membres de la commission connaissent ces questions et les suivent de près.

La réforme de 2018 a nécessité une certaine préparation, à la fois dans sa définition et dans sa mise en oeuvre, ce qui peut expliquer une légère hausse des coûts de consulting en 2019 et 2020. Les tendances sont à nouveau baissières, j'y reviendrai dans ma présentation.

La transformation nécessite une vision et des connaissances. Elle porte sur la décarbonation des transports, sujet qui évolue très vite. Nous avons introduit ces critères dans nos décisions. Je ne dis pas qu'il s'agit de disciplines nouvelles, mais elles sont assez récentes et peuvent demander de recourir à telle ou telle expertise.

Dans les chemins de fer ou la logistique comme ailleurs, la digitalisation fait son oeuvre. Il faut donc également intégrer la projection de ses apports dans les stratégies. Même si nous avons un temps de retard par rapport à La Poste, nous y sommes : l'ouverture à la concurrence constitue un bouleversement en profondeur pour le ferroviaire dans notre pays. Cela suppose, notamment en matière d'accompagnement social, un certain nombre de travaux pour ajuster cette transition, qui représente des enjeux sociaux considérables.

L'environnement est volatil, incertain complexe et ambigu. La période n'a jamais été aussi incertaine. La crise sanitaire n'a pas amélioré les choses. Dieu sait si le monde est complexe. En prendre la bonne mesure n'est pas chose aisée.

Nous sommes en permanence en train de soupeser les risques et les opportunités, d'où la nécessité de faire appel à des cabinets de conseil, ne serait-ce que parce que la SNCF parcourt le chemin pour la première fois et a besoin d'être éclairée sur les conditions de réussite de la transformation du monopole public en société anonyme, dans un contexte de concurrence, afin d'assurer la pérennité de l'entreprise. L'objectif est bien sûr de résister le plus possible et d'être en mesure de nous adapter à ce monde nouveau et changeant.

Quant aux chiffres, nous sommes dans une maîtrise à la baisse de nos dépenses. Les courbes sont claires. C'est très net pour ce qui est du poste principal, sur lequel on a regroupé le conseil généraliste, avec une baisse de 36 % sur la période. Nous désirons - la concurrence n'y est pas étrangère - maîtriser nos dépenses, et la crise du Covid n'a fait qu'amplifier cette nécessité. Nous avons donc une volonté d'économie forte et de maîtrise de nos cash-flows. Le méta-objectif est d'avoir un cash-flow libre à zéro en 2022, premier rendez-vous économique important de la réforme du ferroviaire de 2018. Nous y travaillons. Il a fallu amplifier les efforts d'économies du fait de la baisse de recettes due à la crise du Covid, la plus spectaculaire étant celle du TGV et des Eurostar, qui ont beaucoup souffert.

La compétitivité devant aussi se retrouver dans les prix, l'ajustement des coûts est nécessaire pour conforter la SNCF dans ces secteurs en concurrence.

De la même manière, dans les dépenses en matière de conseil ou de comptabilité, nous enregistrons une baisse de 38 % qui nous ramène en deçà du niveau de 2016, après une légère envolée correspondant à la préparation de la loi et à sa mise en oeuvre.

Je rejoins ce qu'a dit Philippe Wahl à propos des systèmes d'information. Dans ce domaine, nous avons connu une remontée puis une baisse, mais pas en dessous des chiffres de 2016. Un travail important a été en effet engagé. Tout se digitalise et nous sommes amenés à transformer en profondeur nos systèmes d'information, à les adapter à ces nouvelles technologies. Nous devons réaliser un effort soutenu pour nous adapter et moderniser nos systèmes d'information.

Nous avons réduit notre communication de près de 50 %, et j'assume, à titre personnel, la volonté d'être un peu plus frugal et de moins nous exposer au plan médiatique. Les autres nous rattrapent parfois mais, en ce qui nous concerne, nous ne souhaitons pas être en permanence sous le feu des projecteurs.

L'une de vos questions portait sur les cinq grands cabinets de conseil, qui semblent sous les projecteurs de la commission. Les Anglo-Saxons ne font pas partie des grands cabinets auxquels nous recourons. Nous utilisons Capgemini, qui est à moitié français, pour les systèmes d'information.

Vous avez posé une question sur la notion de déclaration d'intérêts en amont des interventions. Nous trouvons cette piste intéressante. La transparence et la prévention des conflits d'intérêts nous semblent aller dans le bon sens.

J'en reviens à la politique d'achat, où nous avons mis de l'ordre. Cette baisse n'est pas le fruit du hasard. Elle résulte d'une volonté managériale. Encore faut-il des process. Nous essayons de faire passer un maximum de dépenses de cabinets de conseil sous forme de contrats-cadres négociés par notre direction des achats. 70 % des dépenses se font sous cette forme, et nous souhaitons poursuivre l'intégration en recourant à des contrats-cadres négociés avec les sociétés de consultants.

J'ai voulu que toute demande de prestation supérieure à 40 000 euros fasse l'objet d'un processus spécifique de validation. Ces mécanismes de bornage font leurs preuves et participent bien évidemment à la baisse que j'évoquais, qui figure dans le dossier que nous vous avons présenté.

Comme le groupe La Poste, nous avons notre propre société de consulting, SNCF Consulting, qui est en fait notre premier consultant. Pour le coup, les euros de la SNCF restent à la SNCF. Nous avons dépensé 63 millions d'euros avec ce cabinet, que nous avons monté il y a quelques années. Il fonctionne avec des personnels de la SNCF. Nous en profitons pour établir des parcours de carrière. Les personnes qui ont des profils de consultants ont beaucoup de rigueur dans l'analyse, la manipulation des données et l'information. C'est donc bien volontiers que nous les intégrons dans nos métiers. Cela sert aussi de pépinière pour des cadres de très bon niveau.

S'agissant des dépenses de services informatiques, qui sont peut-être trop élevées, j'ai décidé une réinternalisation des emplois, notamment pour les métiers de développement les plus simples. Notre politique dans ce domaine est très volontariste. Environ 800 emplois vont être réinternalisés à la SNCF. Nous avons engagé cette politique de manière très forte, avec de vraies formations en interne.

En conclusion, nous maîtrisons les dépenses, ce qui est tout à fait normal compte tenu de la trajectoire économique dans laquelle nous souhaitons nous positionner. Pour autant, et de manière ajustée, nous avons besoin, de temps en temps, de recourir à des compétences externes, indispensables à la transformation de la SNCF, qui n'est pas une mince affaire.

M. Pierre Todorov, secrétaire général d'EDF. - Je tiens tout d'abord à vous adresser un message de la part de notre président, Jean-Bernard Lévy, qui regrette sincèrement de ne pouvoir être là aujourd'hui. Vous savez sans doute que l'actualité très récente d'EDF est particulièrement chargée. Un certain nombre d'événements dans l'agenda de la gouvernance de l'entreprise fait qu'il n'a pu se rendre disponible aujourd'hui, et il vous prie de l'excuser.

J'aborderai le sujet par la question que vous avez posée à propos de la doctrine d'emploi : pourquoi estime-t-on nécessaire et utile, voire souhaitable, de recourir à des cabinets de conseil ? J'essaierai de vous fournir un éclairage assez concret sur la manière dont les choses se passent chez EDF.

Pour ce qui est de la doctrine d'emploi, certains éléments viennent d'être évoqués par mes voisins. En résumé, les missions essentielles pour lesquelles nous faisons appel à des cabinets de conseil externes tournent autour de la notion de transformation du groupe et d'efficacité opérationnelle. C'est le coeur de ce que nous recherchons lorsque nous faisons travailler des cabinets.

Pour être un peu plus précis, ces cabinets permettent d'établir un benchmark, c'est-à-dire un étalonnage, une recherche de références externes que, par définition, nous ne pouvons maîtriser en interne - en tout cas de façon extensive. Pour alimenter nos réflexions sur la performance, il est indispensable d'avoir un regard extérieur sur certains dossiers.

Il est clair que même une grande entreprise comme EDF ne dispose pas d'un certain nombre d'expertises pointues, et il est utile et parfois même nécessaire d'aller les rechercher à l'extérieur. J'ajoute que ces besoins sont d'autant plus importants que nous sommes, comme beaucoup d'autres entreprises, engagés dans des processus de transformation importants, souvent avec des projets ou des programmes où les questions de planning sont décisives. De ce point de vue, lorsque les délais sont contraints, l'ajout d'une ressource externe permet de respecter les délais.

Cette doctrine d'emploi couvre des domaines extrêmement vastes, qui vont de l'ingénierie nucléaire aux systèmes d'information qui nous permettent de gérer la relation avec nos clients. Je suis prêt à répondre à vos questions sur le type de missions auxquelles nous faisons appel.

Au point de vue quantitatif, je crois pouvoir dire que le coût de ce recours aux cabinets de conseil est maîtrisé. Appliqué au périmètre France, il représente une soixantaine de millions d'euros par an, ce qui est à rapporter à une base de coûts, pour le même périmètre, de 10 à 11 milliards d'euros, soit moins de 0,6 % de nos dépenses de fonctionnement.

Une légère réduction a pu être observée ces dernières années. De 2019 à 2021, nous avons réduit ces dépenses d'environ 10 %, ce qui s'inscrit dans une trajectoire plus générale. En effet, nous sommes en passe de tenir l'un des grands objectifs financiers que nous nous sommes fixés, celui d'une réduction des dépenses de fonctionnement du groupe de plus de 500 millions pour la période allant de 2019 à 2021.

Comme les autres entreprises publiques, nous nous inscrivons dans le code de la commande publique et procédons, pour l'essentiel, à travers des accords-cadres. Nous vous avons fourni des éléments sur l'accord-cadre qui arrive à son terme et sur l'appel d'offres en cours, que nous sommes actuellement en train de finaliser en vue d'un nouveau contrat-cadre de cinq ans destiné à constituer une sorte de panel des cabinets référencés. Une fois que nous avons établi ce panel, nous mettons les cabinets en concurrence.

Il nous semble que l'une des questions les plus importantes, dans une entreprise comme la nôtre, est finalement celle du cadrage des missions. Nous devons nous assurer que les métiers en charge de mener des projets ont vraiment besoin de la mission en question et sont capables de définir son périmètre avec précision et rigueur.

Nous attachons beaucoup d'importance au fait que cette phase de cadrage de la mission, de spécifications de ce qui est attendu de la part du cabinet, soit réalisée avec rigueur et discipline. Elle implique chez nous le métier, mais aussi la direction des achats. Nous avons créé depuis quelques années une structure transverse, appelée Comité de la gestion de la demande conseil, qui vise à s'assurer que nous faisons appel à bon escient à ces cabinets de conseil, et dans de bonnes conditions.

Nous possédons également un cabinet de conseil interne, EDF Conseil. Ce cabinet intervient à la fois dans la construction du cahier des charges et dans le pilotage, que nous voulons le plus resserré possible, de la mission en cours d'exécution. Le cabinet EDF Conseil travaille d'ailleurs parfois de concert avec un cabinet externe. Nous recherchons les références et le benchmark dans le cabinet externe, la dimension opérationnelle, en lien avec les activités de l'entreprise, étant assurée par EDF Conseil.

Enfin, nous sommes extrêmement attachés à deux notions en matière d'exécution des missions. La première concerne la confidentialité des données. La politique de gestion de la confidentialité du groupe est précise et rigoureuse. Elle se traduit dans les conditions générales d'achat qui emportent, pour les cabinets qui travaillent pour EDF, des conditions et des obligations extrêmement strictes en termes de garantie de confidentialité des données avec, pour les dossiers les plus sensibles, la suppression de ces données à l'issue de la mission.

Nous sommes également très vigilants en matière de conflits d'intérêts. Nous menons, au-delà de la question des cabinets de conseil, une politique de contrôle approfondi de l'intégrité de nos relations d'affaires et veillons à éviter toute suspicion et toute apparence de conflit d'intérêts. Nous prenons garde, dans les dispositifs contractuels, que des règles déontologiques extrêmement précises soient respectées par les cabinets, beaucoup ayant eux-mêmes des pratiques internes visant à respecter ce genre d'obligations.

Nous sommes également attentifs, s'agissant des conflits d'intérêts, à imposer parfois une forme d'exclusivité sectorielle en faisant en sorte que des cabinets qui travaillent sur des sujets confidentiels pour EDF ne travaillent pas pour d'autres clients du même secteur.

En conclusion, les cabinets de conseil sont une chose assez courante dans les grandes entreprises et nous paraissent utiles. Nous souhaitons surtout être rentables et considérons que l'essentiel est de maîtriser des dépenses utiles qui nous assurent un retour. Il est important de maîtriser financièrement les dépenses de cette nature. Le recours aux cabinets doit donc être ciblé, d'où l'importance de bien savoir ce qu'on attend de la mission.

Sur le fond, nous sommes toujours orientés vers la recherche de l'efficacité opérationnelle et de la performance.

M. Arnaud Bazin, président. - La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Notre commission d'enquête tente de comprendre pourquoi il est fait de plus en plus appel à des cabinets de conseil privés en lieu et place de notre administration, au sein de nos entreprises publiques.

Un sujet nous préoccupe beaucoup, et l'audience que rencontrent les travaux de notre commission montre que cette préoccupation est partagée : nous avons le sentiment qu'une grande opacité règne sur ces recours. Si notre commission devait se donner une mission principale, c'est bien celle de la transparence, tant en ce qui concerne les raisons du recours à ces cabinets privés que les sommes qui leur sont allouées, sans que la réussite soit toujours au rendez-vous, si j'en crois un certain nombre d'exemples.

Pourquoi le recours à des cabinets privés vous semble-t-il nécessaire pour mener à bien les projets de transformation dont vous avez fait état, en particulier La Poste ? Quelle est leur plus-value ? Je suppose en effet que vous disposez de compétences humaines au sein de vos entreprises, dont certaines pourraient peut-être assumer les missions qui sont confiées à ces cabinets de conseil.

Pourriez-vous nous fournir des éléments chiffrés concernant les prestations de conseil de vos entreprises, leur montant global et leur poids dans les dépenses de fonctionnement, le nombre de commandes qui ont été passées en 2021, le nombre de prestataires et le nombre de sous-traitants ?

M. Arnaud Bazin, président. - Monsieur Wahl, les deux autres intervenants ont expliqué qu'il existait dans leur entreprise un système de consulting interne, avec ses limites et ses missions particulières. Je n'ai pas souvenir de vous avoir entendu évoquer ce sujet. Pouvez-vous nous le préciser ?

M. Philippe Wahl. - Nous avons en effet une structure interne, La Poste Conseil, ce qui n'est guère original. Elle compte une vingtaine de personnes et une dizaine de stagiaires. Ce sont souvent des missions très intéressantes pour les jeunes qui viennent de l'extérieur. Nous utilisons cette structure soit seule, soit en coordination avec des cabinets extérieurs. C'est un moyen de gérer les carrières : on passe par là avant d'occuper d'autres fonctions.

Pourquoi un cabinet pour la transformation ? Tout dépend du moment de la transformation que l'on traverse. Lorsque vous êtes au début du processus, que vous avez été dans une logique de développement et qu'il faut changer de logique, soit parce que vous êtes dans la réorganisation, soit parce que vous êtes dans un nouveau métier ou dans un nouveau pays, vous faites face à des incertitudes sans toujours disposer de cette compétence en interne.

Dès lors, ces cabinets sont des réducteurs d'incertitudes en ce qu'ils nous apportent une expérience qui vient de l'extérieur de l'entreprise. C'est vrai quand on commence des processus de transformation. Quand ces processus sont relativement avancés, on fabrique en interne des compétences qui réduisent l'appel à ces cabinets de consultants, ce qui, dans certains cas, nous permet même de tout internaliser.

Prenons l'exemple, très fréquent dans nos entreprises, de la fonction de Project Management Officer (PMO). Le PMO est maître des calendriers, des horloges et du déroulement du projet.

Mme Éliane Assassi. - En français, un gestionnaire de projets...

M. Philippe Wahl. - C'est ainsi qu'on le nomme, mais c'est en fait un gestionnaire de projets, vous avez raison.

Lorsque vous entrez dans un nouveau champ de transformation, vous avez besoin d'une personne venue de l'extérieur. Ces personnes, qui sont détachées de toutes responsabilités opérationnelles, sont souvent très utiles. Lorsque vous avez mené plusieurs projets de transformation, vous êtes capable de générer vous-même vos gestionnaires de projets. Ce sont des réducteurs d'incertitude. Les informations qu'ils nous apportent sont de grande qualité. Elles nous sont extrêmement utiles. C'est pourquoi nous faisons appel à eux.

Quels sont les risques ? Il en existe deux. Le premier consiste à considérer l'appel aux consultants extérieurs comme un élément du statut des dirigeants - « Je suis un dirigeant important parce que j'ai beaucoup de consultants »... C'est ce qui se passe dans de très grandes organisations. C'est un très grand risque, car le dirigeant doit garder la maîtrise de l'orientation et de la réflexion stratégique.

Par ailleurs, ils sont excellents pour fournir des informations, mais leur vrai métier n'est pas d'inventer des stratégies. Leur métier consiste plutôt à apporter des éléments de réflexion.

En deuxième lieu, au-delà du risque statutaire, il est à craindre que les équipes cessent de se poser les vraies questions de stratégie.

Vous savez que l'ensemble des banques européennes valent moins que leurs fonds propres. Cela veut dire que leur modèle stratégique n'est plus reconnu par le marché. Aucun des consultants n'a été capable de proposer un nouveau modèle qui permettrait une réévaluation massive de cette industrie, ce qui définit bien leur travail, qu'ils savent très bien faire et qui appartient à la création entrepreneuriale ou stratégique.

Ils sont donc extrêmement utiles, et nous l'assumons, au fur et à mesure des processus de transformation. Une fois ceux-ci intégrés, on cherche à les internaliser.

Comme je vous le disais, l'essentiel de nos dépenses sont des dépenses informatiques. En 2020, la maison mère avait dépensé 31,5 millions d'euros contre 40 millions d'euros en 2019. En 2021, nous sommes passés à 80 millions d'euros, car cette année a été une année de très forte mobilisation et de très forte transformation. Je rappelle que nous avons à la fois mené deux très importantes réalisations logistiques à l'étranger et l'opération dite Mandarine, permise par le législateur, qui a consisté dans le rapprochement entre la Caisse des dépôts et La Poste, la CNP et la Banque Postale. Cela nous a amenés à faire appel à l'extérieur.

M. Arnaud Bazin, président. - Pour la précision du débat, les chiffres que vous venez de nous communiquer représentent-ils bien l'ensemble de la dépense de consulting sur les années évoquées ?

M. Philippe Wahl. - Pour la maison mère. Je n'y ai pas inclus GéoPoste, qui est une filiale.

M. Arnaud Bazin, président. - Cela constitue-t-il des montants importants ?

M. Philippe Wahl. - Moins importants, une dizaine de millions d'euros.

M. Jean-Pierre Farandou. - Je pense également que les besoins en consultants sont motivés par la transformation, avec tout ce que cela signifie. Très peu de cadres cheminots connaissent la concurrence. Ce n'est pas leur faute, ils ont passé leur carrière à la SNCF, mais ils doivent préparer l'entreprise à la concurrence. Se préparer à quelque chose que l'on ne connaît pas n'est pas simple.

Il n'est donc pas inutile d'aller voir des personnes qui ont déjà accompagné des entreprises dans ce domaine, qui connaissent bien les règles de la concurrence, qui savent quelles questions poser, etc. Face à un élément nouveau essentiel pour la survie de l'entreprise, il faut aller chercher l'expérience que vous n'avez pas. Vous pouvez recruter des personnes qui ont cette compétence, il en faut mais quand vous avez un besoin massif et qu'il faut aller relativement vite, il faut faire appel à des personnes qui détiennent ce savoir.

Par ailleurs, ces moments de transformation sont des moments de surcharge. L'entreprise ne fonctionne pas comme à l'habitude. Il faut donc faire appel à des ressources pour passer cette bosse.

Comme l'a dit Philippe Wahl, il faut en profiter pour capter les connaissances, accélérer l'apprentissage des personnes qui ne les possèdent pas à travers ces processus, avec des équipes mixtes. Il me paraît important dans ces cas-là de ne surtout pas isoler les équipes de consultants, mais de les mélanger avec les équipes en place dans l'entreprise, pour que la porosité permette un transfert de compétences et une acculturation plus rapides.

Je rejoins ce qui a été dit pour la partie amont : où veut-on aller et pourquoi ? La partie aval concerne la mise en oeuvre et la notion de gestion de projet, qui sont très compliquées. Quand on allotit ces projets, on se trouve face à de nombreuses dimensions techniques, opérationnelles, comptables, juridiques, sociales, commerciales, financières, etc., avec des parties prenantes très nombreuses.

Ce projet complexe, il faut l'allotir, veiller à chaque fois à avoir des équipes projets et battre la mesure de tout ceci. Il n'est donc pas inutile de recourir à des personnes qui ont cette expérience, qui possèdent les bons outils. Cela nous aide à sécuriser la bonne exécution de ces programmes.

Il faut se rendre compte du travail à réaliser pour passer de trois établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) à cinq sociétés anonymes. Les commissaires aux comptes doivent tout approuver, il faut reconstituer le patrimoine. Le travail juridique et le travail en matière de ressources humains sont tout aussi énormes. Les salariés qui se trouvaient dans les trois EPIC doivent se retrouver dans les cinq sociétés anonymes. Il ne faut en perdre aucun. C'est une tâche très minutieuse. Il s'agit d'une exécution très complexe, avec une date, celle du 1er janvier 2020.

Personne n'aurait apprécié que la SNCF « bafouille » et ne soit pas capable de mettre en oeuvre cette nouvelle SNCF créée par la loi. Lorsqu'on est pressé par les dates, il faut trouver du renfort pour y arriver.

Je voudrais revenir sur les risques évoqués par Philippe Wahl. Je partage ce qu'il a dit. Sachez que j'y fais la chasse. Le risque est humain, le tout est d'en être conscient et de faire en sorte de le réduire et de le prévenir.

Un certain nombre de dirigeants, s'ils n'ont pas un grand cabinet à leur côté, se sentent en effet misérables. Cela a pu arriver. J'ai connu des temps anciens où l'on a pu avoir tendance, pour donner du poids à sa présentation, à se faire accompagner. On sait que ces cabinets ont des honoraires assez élevés.

Si un dirigeant agissait ainsi, il perdrait des points à mes yeux, notamment en matière de stratégie. Le plus important est ce que l'on a dans la tête, non ce que le cabinet de consultants dit de dire. Ce qui m'importe, c'est la pensée du dirigeant, pas la note du cabinet. Il peut prendre des informations, se renseigner, mais il doit, à un moment donné, prendre ses responsabilités de dirigeant, en décortiquant l'information et en prenant sa décision.

Ce n'est pas le cas à la SNCF, mais il existe des sociétés où le conseil d'administration demande au manager l'avis du cabinet pour valider le projet. On peut, si on n'y prend garde, transférer la validation à la prétendue expertise des grands cabinets et être ainsi poussé à la faute par certains administrateurs. Il faut leur dire que ce qui compte, c'est ce que pense le management et non tel ou tel cabinet. Ce n'est pas quelque chose que nous rencontrons chez nous.

Il faut aussi veiller à ne pas se laisser gagner par la paresse intellectuelle. Rien ne vaut la réflexion des dirigeants, car c'est la seule manière d'être responsable. Un dirigeant est là pour diriger, et diriger, c'est décider. Les décisions sont compliquées dans nos groupes. Il n'y a jamais uniquement du plus, mais du plus et du moins. On se fait attraper pour les moins et rarement féliciter pour les plus, mais on a l'habitude ! Ce sont les grandeurs et les servitudes du service public.

M. Arnaud Bazin, président. - Rassurez-vous, les élus locaux ont une petite idée de tout cela !

M. Jean-Pierre Farandou. - On se rejoint ! La décision doit donc résulter de notre pensée. La pensée peut être collective, mais elle est parfois individuelle sur les dossiers importants. C'est le président qui se « mouille ». Je pense que cette décision n'a de valeur que si vous avez vous-même effectué ce travail. Ces risques sont identifiés, et je pense qu'ils sont en train de se réduire très fortement à la SNCF, même s'il faut rester prudent.

Quant aux questions chiffrées, nous vous complèterons notre réponse par écrit.

Je pense que la thématique de votre commission d'enquête est la bonne. Vous posez les bonnes questions. Ce sont des questions que nous nous posons nous-mêmes. Vous avez raison de les poser au nom de la collectivité à propos de la maîtrise, des raisons d'agir, des risques, de la transparence. Je pense que les entreprises publiques devraient en avoir encore plus que les autres. C'est ce que nous faisons à travers nos organes de gouvernance et nos comités d'audit. Il n'existe pas de tabou sur ces sujets, et il est important que nos conseils d'administration et nos comités d'audit soient très au clair sur la façon dont nous utilisons cette ressource.

M. Pierre Todorov. - Quelles sont les raisons fondamentales pour lesquelles nous recourons à des cabinets ?

Tout d'abord, dans les documents que nous avons transmis figurent les éléments de notre appel d'offres en cours. Nous avons structuré des lots, comme il se doit, et la simple lecture de ces lots, me semble-t-il, indique bien l'esprit dans lequel nous souhaitons travailler.

On y trouve, d'une part, le conseil en stratégie et transformation, le conseil en organisation et déploiement opérationnel, l'excellence opérationnelle et enfin le coaching d'organisation. Je pense que cela pose bien le cadre.

En second lieu, les documents que nous vous avons adressés montrent qu'une proportion non négligeable de nos dépenses de conseil a été consacrée à ce que nous appelons le plan Excell engagé en 2019, à la suite du rapport demandé à Jean-Martin Folz sur les raisons des difficultés opérationnelles que nous avons connues sur le chantier de Flamanville 3. Cela appelait sans doute une introspection forte et une interrogation sur la manière d'être plus performants dans la conduite de nos chantiers.

Nous avons décidé à ce moment-là, en 2019, de créer une petite structure nouvelle, la délégation à la qualité industrielle et aux compétences, dont l'objectif était d'impulser dans l'ensemble du métier nucléaire des méthodes, des modes de fonctionnement, inspirés des meilleurs standards que l'on trouve dans d'autres professions, notamment dans les professions qui font référence.

M. Dany Wattebled. - Je serai indulgent aujourd'hui, car il faut reprendre les choses au commencement. Vous représentez trois groupes publics à qui on a demandé de passer dans le privé. Ce n'est pas rien ! Nous étions franco-français, et les dirigeants, quels qu'ils soient, avaient une vision et tenaient le territoire, qu'il s'agisse de la SNCF, d'EDF ou de La Poste. Nous étions chez nous, et nous travaillions un peu à l'extérieur, comme bon nous semblait.

Il leur a été demandé, à cause des directives européennes, de réaliser une transformation très rapide. Il faut donc bien chercher des compétences capables de « booster » l'intérieur. Les Allemands, avec DHL, les privés, comme Amazon, n'ont pas les mêmes techniques.

Sans vision de la mondialisation, que ces groupes n'avaient pas forcément au départ, évoluant dans le secteur public, je ne vois pas comment on peut s'ouvrir au monde.

J'ai mal au coeur pour nos groupes. Ce n'est pas facile. Je ne dis pas qu'on a perdu la compétition, mais on donne aujourd'hui des réseaux autour de Nice à des transporteurs italiens ! On a encore des fonctionnaires et un système hybride, mais si on ne se met pas très vite à la page, on perd la bataille ! Les autres n'attendent pas. Amazon, aujourd'hui, est presque au dernier kilomètre. Ils en sont à envisager d'utiliser des drones. Si nous n'allons pas chercher les bonnes compétences, les bonnes expertises - bien entendu pertinentes et légales - nous risquons de perdre la bataille.

Si nous ne prenons pas le tournant, ces groupes quitteront le statut public alors que la concurrence ne les aura a pas attendus. Elle a deux trains d'avance, si je puis dire. Il faut donc aller chercher ce qu'il y a de mieux pour réaliser cette transformation, avec tout l'accompagnement social nécessaire, sans laisser personne au bord du chemin.

Cela ne me choque donc pas que l'on aille chercher la compétence dans des cabinets qui travaillent dans les règles de l'art. On n'a pas l'expertise, puisqu'on est entre soi. Je connais bien la SNCF : les personnels étaient extrêmement compétents et rigoureux...

M. Arnaud Bazin, président. - Nous entendons votre plaidoyer et personne ici ne remet en cause la nécessité de recourir à ces conseils, dans un contexte que vous avez parfaitement décrit. Notre sujet est de savoir comment les choses se passent, quelles sont les précautions prises, etc. Nous sommes tout à fait d'accord.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Nous sommes tous attachés au service public.

M. Pierre Todorov. - L'exemple que je vous ai donné me paraît bien illustrer ce que nous recherchons, c'est-à-dire s'inspirer des meilleures pratiques dans d'autres secteurs, pour renforcer la performance industrielle, la maîtrise des fabrications et des grands chantiers. C'est typique d'un projet qui a été décidé et mené en interne, mais à propos duquel nous avons eu besoin de ressources extérieures pour le déploiement opérationnel.

Quant aux chiffres, je vous ai donné quelques éléments et il ne me semble pas nécessaire d'y revenir.

M. Jérôme Bascher. - Vous êtes trois grands groupes français, mais surtout, dorénavant, internationaux. Face à la transformation qui vous touche, quelle maîtrise avez-vous, depuis Paris, sur les cabinets étrangers ? Je pense aussi à l'intelligence économique ou à l'espionnage, qui existe parfois, notamment de la part de cabinets que vous pourriez ne pas maîtriser...

Monsieur Farandou, vous essayez, dites-vous, d'internaliser une partie des compétences en informatique. Vous avez récemment refondu votre plateforme de réservation, qui connaît quelques soucis. Je ne veux pas savoir si vous avez fait appel à l'extérieur ou si vous avez internalisé ce projet, mais quel est l'avantage d'avoir un cabinet extérieur ou d'être internalisé lorsque le projet n'est pas tout à fait abouti ?

M. Philippe Wahl. - La Poste réalise 35 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 35 % à l'international. Les entités de GéoPoste à l'international ont une très grande autonomie. La présidence et la direction générale de La Poste ne contrôlent pas leurs choix de cabinets.

En matière d'expansion internationale, si le pays est nouveau, nous montons une mission interne et faisons à chaque fois appel à un cabinet de conseil. C'est un réducteur d'incertitudes. Si le sillon est creusé dans un pays, les choses seront complètement internalisées, et le travail sera fait de manière locale.

M. Pierre Todorov. - Une partie du recours aux cabinets de conseil à l'international est en réalité intégrée dans les contrats-cadres passés par EDF SA pour le compte d'un certain nombre de filiales, ainsi que pour la direction internationale d'EDF SA. Beaucoup des missions qui sont faites pour l'international le sont dans ce cadre.

S'agissant de l'intelligence économique et de l'identité des cabinets auxquels nous pourrions recourir, le contrôle d'intégrité de nos partenaires et relations d'affaires suit une politique mondiale du groupe. Toutes nos filiales, en France ou à l'étranger, doivent avant de contracter avec un prestataire, quel qu'il soit, et en particulier sur des sujets sensibles, respecter nos procédures internes d'identification des risques.

M. Jean-Pierre Farandou. - Pour le recours au conseil, nos chiffres sont très proches de ceux de La Poste : 34 milliards d'euros et 32 % à l'international.

De la même manière, le choix de recourir à des consultants dépend des filiales à l'étranger. Il s'agit seulement de missions d'application : cela répond aux préoccupations concernant l'espionnage, l'aspect stratégique étant central et très protégé.

Pourquoi a-t-on autant externalisé ? Nous avons eu de très importants besoins de compétences dont nous ne disposions pas. Le plus simple était de faire appel à des sociétés qui possédaient ces compétences en leur sein. Nous n'avions pas pris le temps de les former.

Nous sommes en train de corriger cet équilibre par une démarche volontaire de formation. Former un développeur demande un an. Nous allons le faire nous-mêmes, à partir de ressources internes à l'entreprise, en en faisant un élément de mobilité interne. Nous avons trop de salariés. La SNCF est en train d'ajuster l'emploi. Certains cheminots se retrouvent sans travail. Nous sollicitons donc des volontaires pour devenir développeurs. Nous allons les former nous-mêmes en profitant de ce besoin de mobilité. Ainsi nous proposerons de l'emploi à nos salariés et tout en renforçant notre autonomie par rapport aux prestataires externes. C'est la direction que nous commençons à prendre.

Pour le développement de l'application SNCF Connect, nous avons très peu fait appel à des consultants. Nous avons tout fait nous-mêmes.

Nous sommes en train de corriger les choses. Ce n'est pas par excès de consulting que l'on a abouti à ce résultat. Nous ne le regrettons pas. Nous avions les compétences. Notre agence de développement digital compte un millier de personnes, avec une force de frappe considérable. Nous sommes en train de corriger le tir.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Cette application SNCF Connect, qui a été lancée au mois de janvier, fait l'objet de beaucoup de critiques, qui seraient apparemment justifiées. Y a-t-il eu apport d'un cabinet extérieur pour réaliser cette application ?

M. Jean-Pierre Farandou. - Je croyais avoir répondu. La réponse est non. Nous l'avons fait nous-mêmes. C'est une filiale du groupe qui est à 100 % SNCF.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Bravo à la SNCF !

M. Jean-Pierre Farandou. - Il n'y a pas de lien avec l'objet de la commission.

M. Arnaud Bazin, président. - Dans vos documents, vous distinguez bien le conseil en informatique de la prestation de construction. Ce qui nous intéresse, c'est le conseil préalable destiné à définir les projets.

M. Patrice Joly. - Au cours de ces dernières années, la concurrence a été considérée comme étant l'alpha et l'oméga de la réponse aux besoins de la société, même si l'histoire nous montre que ce n'est pas tout à fait le cas.

La loi a imposé aux structures que vous présidez de s'adapter et de répondre aux exigences du marché afin de rester dans le jeu, d'où l'idée de recourir à des cabinets bénéficiant de transferts de savoir-faire mais, vous l'avez dit, il existe derrière cela une acculturation.

Cela ne génère-t-il pas une forme de biais cognitif dans la manière de concevoir les perspectives de vos entreprises et ses modes de fonctionnement ? Cela nécessite en effet d'introduire des cadres intellectuels, des paradigmes, des modes de pensée, qui s'inscrivent dans cette idéologie dominante en utilisant la sous-traitance plutôt qu'en recourant à des moyens termes - ce que vous faites toutefois en partie -, ou de recourir à la croissance externe, qui permet d'obtenir une compétence particulière.

M. Stéphane Sautarel. - Les trois entreprises publiques, à des degrés divers, avec des calendriers divers, sont très impactées par des transformations liées à l'ouverture à la concurrence ou à l'évolution des métiers. Pouvez-vous nous fournir un éclairage sur les accompagnements spécifiques sur ces sujets, à la fois en matière d'engagement de ces transformations et d'accompagnement des équipes lors de la mise en oeuvre ? Vous allez devoir gérer des doubles statuts pendant une période qui sera longue...

En corollaire, certains sujets peuvent mobiliser la sous-traitance de manière parfois pertinente, à la SNCF en particulier, sans que ce soit toujours possible du fait de la transformation en cours, des effectifs, des moyens et des structures qui existent. Quels accompagnements et quels arbitrages prévoyez-vous de mettre en place par rapport aux métiers à conserver et à la sous-traitance ?

M. Philippe Wahl. - La question du biais cognitif est en fait celle d'un nouveau conformisme, d'une nouvelle façon de voir le monde.

C'est évidemment un risque. Lorsque l'on va chercher des idées à l'extérieur, le risque d'imitation, le risque du biais cognitif ou de conformisme existe. Comment y répondons-nous ? Tout d'abord, nous nous efforçons, nous l'avons tous dit, de réfléchir à la stratégie et de la déterminer de manière autonome.

En matière stratégique, on est parfois dans l'imitation, parfois dans l'innovation. La Poste française est la seule au monde, avec la poste japonaise, à développer ce que nous appelons les « services de proximité humaine » : dans le cadre du vieillissement structurel des populations, les factrices et les facteurs vont fournir un service à domicile. Les consultants ont beau nous dire que les autres pays ne le font pas, nous considérons que c'est un enjeu stratégique majeur et recherchons l'appui des politiques publiques, soit l'État, soit les élus locaux, pour aller dans ce sens. Dans ce cadre-là, nous ne nous sommes pas pliés au conformisme.

En revanche, le sujet de la sous-traitance n'est pas pour nous une décision de pure imitation. Nous l'utilisons pour une raison simple : nous faisons un calcul de coût d'exploitation. Si nous utilisons beaucoup de sous-traitance dans certaines opérations, notamment logistiques, c'est que, pour la maison mère, ces activités seraient déficitaires. C'est pourquoi nous ne les utilisons pas, mais il n'y a pas de choix idéologique à La Poste qui privilégierait systématiquement la sous-traitance.

Par exemple, les colis de Colissimo sont à 85 % distribués par des factrices et des facteurs, alors que les colis de Chronopost, où la concurrence est beaucoup plus forte, sont distribués à 90 % par les salariés de nos sous-traitants.

Vous avez raison : la question du conformisme se pose. Nous essayons à chaque fois de la ramener aux grands enjeux stratégiques et de ne pas en être victimes.

S'agissant de la transformation des ressources humaines, l'ampleur de la transformation de La Poste est telle que l'essentiel est tout de même internalisé. Il faut savoir parler aux postiers, il faut savoir organiser cette transformation. Par exemple, dans les établissements courriers-colis où travaillent 75 000 facteurs, nous réorganisons les tournées tous les deux ans. Nous sommes bien obligés d'internaliser tout cela.

Pour être plus proche des solutions culturelles et de l'évolution des identités professionnelles, nous estimons que le travail doit être internalisé. Il peut nous arriver de faire appel à des cabinets de conseil, mais l'essentiel du processus de transformation des ressources humaines est conduit en interne. C'est d'ailleurs un élément qui donne confiance aux salariés.

M. Pierre Todorov. - S'agissant du biais cognitif, nous considérons que la stratégie de l'entreprise n'est pas établie par les consultants et qu'il faut tout faire pour qu'ils n'exercent pas, de ce point de vue, une influence qu'ils n'ont pas à exercer.

En revanche, dans une entreprise comme EDF, dont une des fiertés est la forte adhésion des équipes, les collaborateurs sont très fidèles à l'entreprise et y font de longues carrières. Le nombre de personnes recrutées à l'extérieur en cours de carrière est relativement faible. Bénéficier de temps en temps d'un regard externe constitue dans ces conditions une plus-value. Ce que nous pouvons apprendre, dans les métiers du nucléaire, de la part de l'automobile et de l'aéronautique est un atout.

Quant aux ressources humaines, nous considérons que le premier levier de l'accompagnement, ce sont les dirigeants, les managers de première et de deuxième ligne. C'est à eux de porter la transformation. En revanche, qu'ils s'appuient pour le déploiement opérationnel et, pour des questions de rapidité et de process, sur des conseils externes est une autre chose.

Enfin, on nous fait parfois le procès de recourir à la sous-traitance, mais ce n'est pas, me semble-t-il, tout à fait légitime. Il y a quelques jours, nous avons annoncé qu'EDF recruterait 15 000 personnes en 2022.

Par ailleurs, nous avons, en matière de métiers de l'exploitation nucléaire, engagé une réflexion sur l'internalisation de certaines fonctions, sachant que la question des compétences renvoie, dans le métier nucléaire, à une question beaucoup plus fondamentale, qui est celle de l'organisation de la filière entre EDF et ses sous-traitants, ce qui soulève d'autres questions qui ne concernent pas cette commission d'enquête.

M. Jean-Pierre Farandou. - Je partage ce qui vient d'être dit par mes deux collègues. Quel est le challenge ? Intégrer des éléments d'un nouveau monde incertain, partant du principe que, par nature, le monopole historique ne connaît pas cet élément.

La meilleure façon de s'en imprégner, c'est d'utiliser le parcours des dirigeants. J'ai eu la chance de connaître la concurrence pendant sept ans. Il n'y a rien de tel pour savoir ce que c'est. Lorsque j'étais patron de Keolis, le moindre euro ou le moindre dollar de chiffre d'affaires était le fruit de la concurrence. La meilleure garantie qu'il n'existe pas de biais cognitif, c'est que quelques dirigeants sachent de quoi ils parlent. Cela aide à faire le tri entre les vraies bonnes idées et celles que l'on peut contester.

Ensuite, il faut du sens critique en toute chose. Les gourous n'existent pas. Certains ont un avis, ils l'expriment et l'on pèse ensuite les choses. Il n'existe pas de solution toute faite. La solution toute faite, plaquée, constitue un risque. Je la réfute, par principe. Il faut l'adapter à la spécificité, au moment de l'entreprise, à son identité profonde. Le risque est réel, mais on peut le traiter.

Sur le sujet de la transformation des ressources humaines, je suis d'accord avec Philippe Wahl. J'aime beaucoup le mot qu'il a employé : c'est une question de confiance. La transformation ne peut pas être imposée au corps social, qui compte 150 000 cheminots. Je ne vois pas comment aller contre eux. Ils ont les moyens de réagir. Cela peut déboucher sur une actualité compliquée, qui serait contraire à l'intérêt général. Il faut donc agir avec eux, car c'est leur destin, leur avenir. Il faut qu'ils s'y retrouvent et qu'ils comprennent où nous allons, quel est le sens de tout cela, où est leur place, ce qu'ils vont devenir à titre personnel, comment les collectifs de travail évoluent, comment les valeurs profondes de l'entreprise sont ou non impactées. Ce sont de vraies questions.

Qui, mieux que les dirigeants eux-mêmes, peut y apporter une réponse ? Diriger une transformation, c'est prendre une lourde responsabilité. Nous amenons un collectif de 150 000 personnes vers un avenir nouveau : ce n'est pas rien !

L'engagement des dirigeants, au premier rang duquel le président, est donc nécessaire. Je ne vois pas ce que viennent faire les consultants extérieurs là-dedans. Cela peut éventuellement relever de la méthode - et encore !

On peut être fier que la SNCF ait conduit un projet d'entreprise, en partant de zéro, en plein Covid, sans aucun consultant. Nous avons bâti en un an une démarche de progrès continu pour 150 000 salariés, en agrégeant tous les salariés de la société. Je tenais à le faire sans aucun apport externe, car cela devait rester notre affaire, la méthode elle-même étant un sujet : que voulions-nous décider pour construire nous-mêmes notre avenir ? L'engagement managérial ne passe pas par une délégation quelconque à des consultants externes.

La sous-traitance est un vrai sujet. Le premier angle est bien sûr économique. Pour autant, la SNCF poursuit une réflexion sur deux sujets complémentaires. Le premier concerne la conservation des compétences stratégiques : attention à ce que les sous-traitants ne captent pas une compétence au détriment du donneur d'ordres, car la capacité à gérer la sous-traitance deviendrait alors problématique. Il faut savoir ce que l'on sous-traite et ce que l'on conserve.

Par ailleurs si, au moment, où la SNCF va ajuster l'emploi, la maquette est aggravée en sous-traitant l'activité, on se complique la tâche. La priorité est la productivité, parce que c'est la compétition. Attention à pas tendre encore davantage la balance de l'emploi en externalisant à outrance. Il faut donc réfléchir à ce que l'on pourrait internaliser, à la fois parce que c'est économique, stratégique, et que cela nous permet de mieux réguler la mobilité interne.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Monsieur Todorov, j'ai ici un document où n'apparaît que le logo du Gouvernement, qui est la synthèse de rapports réalisés en décembre 2019 par Roland Berger et en juillet 2021 par Accuracy et NucAdvisor. Ces rapports ont été commandés par Bercy et le ministère du développement durable.

On s'aperçoit à la lecture de cette synthèse qu'il y a beaucoup de critiques sur l'approche d'EDF en matière de planification des six EPR. Plusieurs zones d'ombre sont relevées dans le chiffrage d'EDF, mais sans réelle argumentation. Est-il légitime, selon vous, que des cabinets remettent en cause la production d'EDF et interviennent dans des choix politiques ? La construction de six EPR n'est pas rien et engage des sommes assez considérables, puisqu'on approche au total le milliard d'euros.

M. Pierre Todorov. - Si j'ai bien compris, vous m'interrogez sur le recours par l'État à des cabinets de conseil...

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Cela remet en cause l'approche d'EDF sur la construction des EPR !

M. Pierre Todorov. - Je ne répondrai évidemment pas pour le compte de l'État. EDF aborde cette question du nouveau nucléaire avec beaucoup d'enthousiasme, mais aussi beaucoup d'humilité. Nous n'avons pas en ce qui nous concerne de problème à être, comme on dit en bon français, « challengés » par l'État ou par ceux que l'État commandite pour réaliser ce travail.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - N'aviez-vous pas déjà réalisé ce travail de votre côté ?

M. Pierre Todorov. - Bien sûr. Je crois comprendre que vous faites allusion à ce que nous avons fait pour éclairer l'État sur les travaux principalement réalisés par EDF. L'État souhaite avoir une opinion sur leur pertinence, et cela me paraît légitime.

Nous considérons normal que l'État, qu'il soit actionnaire ou régulateur, ait une opinion sur la manière dont EDF construit son programme.

M. Arnaud Bazin, président. - Saviez-vous qu'il s'agissait de cabinets de conseil ?

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Que l'État ait un avis ne se discute pas mais, à l'évidence, ce n'est pas que l'avis de l'État.

M. Pierre Todorov. - Je ne peux répondre à cette question.

M. Arnaud Bazin, président. - Étiez-vous informé que ces cabinets de conseil travaillaient sur cette contre-expertise ?

M. Pierre Todorov. - Bien sûr, puisque pour faire leur travail, ces cabinets de conseil ont dû interroger EDF et prendre connaissance de nos travaux internes.

M. Arnaud Bazin, président. - Martin Hirsch nous a décrit sa démarche de réinternalisation des compétences. Avez-vous la même approche que lui sur le nécessaire turn-over du consulting interne ?

M. Philippe Wahl. - Oui, c'est le cas. On fait du consulting durant trois à cinq ans, on approfondit la connaissance d'un certain nombre de secteurs de l'entreprise, et on repart ensuite dans l'entreprise.

M. Arnaud Bazin, président. - Il me semble que c'est également ce qu'ont dit les deux autres intervenants.

M. Pierre Todorov. - En effet. Nous avons une équipe de 20 à 25 personnes qui présentent les mêmes caractéristiques. Ces personnes tournent et constituent une sorte de vivier pour des parcours professionnels dans l'entreprise.

M. Jean-Pierre Farandou. - Nous avons une centaine de personnes. C'est une équipe assez importante. Je répète que les métiers du consulting sont très formateurs. Il faut rassembler l'information, la synthétiser, objectiver, préparer les décisions, peser le pour et le contre, aller chercher de l'information, etc. Dans un parcours de management, avoir fait du consulting développe des qualités utiles pour les futurs dirigeants du groupe.

M. Arnaud Bazin, président. - M. Hirsch nous a décrit également des démarchages de la part de cabinets de conseil pour vendre des prestations et être mis en relation avec les entreprises. Est-ce le cas ?

M. Philippe Wahl. - Oui, ils font du commerce. Nous en faisons aussi.

M. Pierre Todorov. - Même réponse !

M. Jean-Pierre Farandou. - Même réponse. Je pense qu'il faut savoir clôturer une mission. Le risque, c'est celui de la mission qui ne finit jamais, où le consultant vous explique, alors que vous pensez avoir terminé, qu'il faut un complément.

Le risque est connu, on le gère par les processus d'achat et de clarification des contrats qui ont été évoqués par mes collègues, qui sont aussi valables à la SNCF.

M. Arnaud Bazin, président. - Les consultants travaillent-ils en équipe intégrée avec les agents de vos entreprises, et dans quelle proportion ? Utilisent-ils le logo de l'entreprise sur leurs livrables ou réalisent-ils des livrables avec leur logo ? Peuvent-ils disposer d'une adresse électronique faisant référence à votre entreprise ?

M. Philippe Wahl. - Cela dépend. Il peut très bien arriver qu'ils passent un long moment dans l'entreprise et qu'ils y aient une adresse. Pour ce qui est du logo, la réponse est négative, car un responsable doit à la fin prendre en charge leurs prestations, mais ils sont très intégrés dans l'entreprise. Il s'agit de centaines de consultants, notamment en matière informatique.

M. Pierre Todorov. - Il peut arriver qu'ils travaillent durant de longues périodes dans l'entreprise, mais ils n'y sont pas intégrés au sens managérial et ne rapportent qu'à leurs propres autorités et à leur propre management. Ils sont présents dans l'entreprise, mais je ne dirais pas qu'ils sont intégrés.

Quant à la question du logo, celle-ci renvoie à la notion de propriété sur les documents. Il existe plusieurs cas de figure et formules contractuelles. C'est nous qui choisissons le type de droits que nous souhaitons avoir sur les travaux des consultants.

Quant à l'adresse électronique, comme l'a dit Philippe Wahl, il peut arriver que des consultants qui travaillent un long moment dans l'entreprise aient une adresse électronique EDF mais, chez nous, elle est « taguée » et il y figure une mention spécifique « Externe ». On peut donc immédiatement savoir que la personne est présente dans l'entreprise mais externe.

M. Jean-Pierre Farandou. - Ma réponse sera très proche de celle de mes collègues. Il existe deux mondes dans le consulting, le consulting informatique, où l'on peut avoir des présences longues de prestataires, sous les réserves juridiques rappelées par Pierre Todorov. Elles sont très claires. Cette présence peut donner lieu à des adresses, mais c'est un cas à part.

Les autres cas de consulting plus classiques se déroulent souvent sous l'égide du cabinet, avec ou non un mélange d'équipes. J'apprécie les mélanges d'équipes, et je les recommande, afin d'installer une porosité, et que l'objectif de captation des méthodes et des connaissances débouche le plus vite possible. C'est important et cela permet de piloter le travail des consultants.

M. Arnaud Bazin, président. - Je comprends l'intérêt pratique que vous venez de défendre. Comment valide-t-on ensuite la prestation du cabinet de conseil ? Cherche-t-on à savoir si elle a été exécutée comme prévu par le cabinet de conseil, ou est-ce variable ? Les équipes prennent-elles parfois davantage les choses en charge que le cabinet de conseil ?

M. Philippe Wahl. - Cela relève de la responsabilité du management. C'est à lui de le valider. J'ai souligné l'aspect de symbolique statutaire et le risque de perte de compétences. Si le livrable n'est pas endossé et contrôlé, à un moment ou un autre, par un manager de La Poste ou de ses filiales, la perte de compétences est un risque.

M. Arnaud Bazin. - Ma question ne porte pas sur le fait qu'il l'endosse et en prenne la responsabilité, mais sur son élaboration même. A-t-on globalement payé la prestation prévue ? Votre entreprise n'en a-t-elle pas fait elle-même une part significative ?

M. Philippe Wahl. - C'est toute la question du contrôle que nous exerçons sur les sous-traitants. Si l'on s'est fait « manger » entre guillemets par le sous-traitant, on ne le contrôle plus, mais le but est de conserver la maîtrise. Nous n'atteignons pas la perfection à chaque fois, mais nous y faisons très attention, précisément parce que nous voulons payer un vrai travail, et non un travail que nous aurions réalisé nous-mêmes.

M. Jean-Pierre Farandou. - La définition de la mission est la clé de tout, à la fois dans son contenu, ses étapes intermédiaires, ses livrables, les process, les documents. Il faut être très précis au moment où l'on passe la commande. Si on est dans le flou à ce moment-là, on s'expose au risque que vous indiquez. Il est ensuite difficile de contrôler quelque chose que l'on n'a pas décrit.

L'étape d'évaluation permet d'être au clair, de contester éventuellement tel ou tel élément de facturation et d'éviter que les erreurs ne se reproduisent. On peut également négocier des contreparties, s'il y a lieu.

Comme l'a dit Philippe Wahl, il faut que nos entreprises soient très actives dans la gestion de cette ressource, vous avez raison de le souligner. Il y a là un risque à prendre en compte.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Je crois que le cabinet McKinsey est intervenu dans la définition du plan de performance de la SNCF. Pourriez-vous nous indiquer le montant de cette prestation ? La question vaut aussi pour La Poste.

M. Philippe Wahl. - Nous vous communiquerons l'information concernant le montant. Le cabinet McKinsey a travaillé avec La Poste Conseil, dans le cadre d'un travail mixte, sur la définition de la stratégie du réseau des bureaux de poste, mais ceci a été défini par la membre du Comex qui en est chargée et contrôlé par elle.

Cela nous a beaucoup aidés, précisément parce qu'ils avaient travaillé sur la poste italienne - on trouve beaucoup de bureaux de poste en Italie, alors qu'il n'y en a plus en Allemagne. En France, McKinsey avait travaillé sur la grande distribution et les franchises de distribution.

M. Jean-Pierre Farandou. - Je ne connais pas le coût exact. Nous vous le communiquerons. Je pense que la collaboration avec McKinsey a permis de caler le dialogue entre l'État et SNCF Réseau autour d'indicateurs et d'objectifs communs. On a ainsi clarifié les attentes réciproques. Je pense que le cabinet a fait oeuvre utile en la matière.

M. Arnaud Bazin, président. - Merci beaucoup. J'ai trouvé ces échanges très intéressants.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de cabinets de conseil : MM. Mathieu Dougados, directeur exécutif France, et Étienne Grass, directeur exécutif des activités « secteur public » monde, de Capgemini, Pascal Imbert, président de Wavestone, Éric Fourel, président, et Hervé de La Chapelle, associé en charge des activités pour le secteur public, de Ernst & Young (EY) et Vincent Paris, directeur général de Sopra Steria

M. Arnaud Bazin, président. - Mes chers collègues,

Nous terminons le cycle d'auditions de notre commission d'enquête avec une table ronde réunissant les représentants de quatre cabinets de conseil.

Nous recevons ainsi MM. Mathieu Dougados, directeur exécutif France, et Étienne Grass, directeur exécutif des activités « secteur public » monde de Capgemini ; Éric Fourel, président, et Hervé de la Chapelle, associé en charge des activités pour le secteur public d'Ernst & Young ; Vincent Paris, directeur général de Sopra Steria ; et Pascal Imbert, président de Wavestone.

Depuis le début de nos travaux, nous avons entendu plusieurs cabinets de conseil pour mieux appréhender leur activité.

Je vous remercie Messieurs pour votre présence à cette audition et pour vos contributions écrites, que nous avons reçues en amont de l'audition.

Cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site Internet du Sénat. En raison du contexte sanitaire, certains de nos collègues peuvent également intervenir par visioconférence.

Comme pour toutes les personnes auditionnées, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de 3 à 7 ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite, chacun l'un après l'autre, à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Levez la main droite et dites : « je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Mathieu Dougados, Étienne Grass, Éric Fourel, Hervé de la Chapelle, Vincent Paris et Pascal Imbert prêtent successivement serment.

M. Mathieu Dougados, directeur exécutif France de Capgemini. - À titre liminaire, je précise que je ne répondrai qu'à une partie du questionnaire qui nous a été transmis. Nous avons déjà répondu aux autres questions par les documents que nous vous avons transmis en amont de l'audition.

Je dirige Capgemini Invent, la filiale du groupe Capgemini en charge du conseil en transformation et en innovation digitale.

Capgemini a été fondé en 1967 à Grenoble. C'est une entreprise française dont l'impacte est aujourd'hui international. Nous sommes présents dans plus de 30 villes en France et employons 37 000 collaborateurs.

Nous sommes l'un des plus gros contributeurs au recrutement et au développement des compétences digitales, avec 7 200 recrutements en 2021. Nous avons un engagement fort sur l'alternance, avec plus de 4 % d'alternants et 5 500 collaborateurs employés dans le cadre du dispositif « un jeune - une solution ».

Capgemini Invent emploie en France 1 500 collaborateurs, répartis dans quatre villes.

Nous avons des engagements très forts en termes d'éthique : pour la neuvième année consécutive, nous avons été classés parmi les entreprises les plus éthiques par Ethisphère. Nous avons un engagement RSE fort, avec trois piliers : l'inclusion numérique, le climat et la diversité.

Je souhaite illustrer cet engagement avec notre politique de mécénat de compétences. Nous avons lancé en 2015 une initiative dont l'objectif était de mettre à disposition nos compétences auprès de start-ups, afin de les aider dans leur développement. En retour, cela permettait à nos collaborateurs de développer une culture de l'entrepreneuriat et de voir des pratiques différentes. Ce dispositif, appelé « vice-versa » en 2015, a pris de l'ampleur en 2018, autour d'un projet que nous avons appelé Invent for Good.

Nous n'avons réalisé aucun pro bono auprès de l'État durant cette période.

Capgemini Invent a un rôle actif de développement des compétences digitales. Nous aidons des start-ups dans leurs différentes étapes de maturité avec le programme Scale-up. Nous développons des écosystèmes industriels, par exemple le Campus Cyber, pour développer ces compétences.

Nous contribuons également au système de formation en développant avec des partenaires industriels et technologiques une école « by Capgemini », qui permet de former nos clients et certains étudiants.

Enfin nous travaillons avec l'écosystème académique à travers des conventions ou des chaires dans des grandes écoles de management, des grandes universités ou des grandes écoles de commerce.

Nous intervenons dans l'ensemble des secteurs d'activité, dans le secteur privé et le secteur public. Sur les 10 dernières années, ce dernier représente environ 15 % de notre activité ; il en représente 17 % en 2021.

Nous intervenons sur trois types de sujet auprès de nos clients : l'expérience client ou l'expérience usager dans le secteur public ; l'optimisation des processus pour les rendre plus agiles, plus rapides et moins coûteux ; la transformation numérique, qui s'appuie de plus en plus sur la science de la donnée.

Le traitement de ces sujets a fortement évolué ces dernières années. Nous avons besoin de profils et de compétences beaucoup plus divers. Nous avons créé de nouvelles filières métiers : transformation, design, technologie et science des données.

Nos défis sont complexes : réussir à maintenir un niveau d'excellence et d'exigence pour chacune de ces filières - nous investissons énormément en formation et en développement personnel ; réussir à orchestrer ces quatre compétences, qui ont des pratiques métiers et des cultures différentes au service d'un besoin unique et personnalisé du client.

Nos clients sont Français et ont, pour la grande majorité, une empreinte à l'international. Ils gèrent également beaucoup de complexité. Une de nos valeurs ajoutées est la gestion de cette complexité, la capacité à traduire une rupture technologique en valeur ajoutée pour nos clients.

Nos livrables sont de nouveaux processus de gestion, des logigrammes, des plans d'action, des personnels formés ou des solutions digitales, qui soutiennent un nouveau service pour nos clients.

M. Éric Fourel, président d'EY. - Je vais concentrer ce propos liminaire sur trois axes principaux : les caractéristiques d'EY, la place du secteur public au sein de nos activités et notre approche en termes d'éthique et d'indépendance.

Nous avons démarré nos activités en France au cours des années 20. Nous avons connu une progression continue, avec une forte accélération dans les années 70-80. Nous avons aujourd'hui près de 6 500 collaborateurs et 300 associés en France. Nous recrutons chaque année 1 500 collaborateurs, dont une très vaste majorité de jeunes diplômés.

La particularité d'EY est qu'une partie significative de nos activités relèvent de professions réglementées. Nous avons trois grands domaines d'intervention : le commissariat aux comptes pour environ un tiers de notre activité, les activités juridiques et fiscales pour environ 18 % de notre activité et enfin les activités de conseil au sens large - qui s'étendent de l'expertise comptable au sens traditionnel à l'expertise en stratégie - pour un peu moins de 50 %.

Nous ne faisons pas de programmation ou de codage informatique.

M. Arnaud Bazin, président. - Je précise que, ce qui intéresse la commission d'enquête, c'est bien le conseil en informatique et non les prestations informatiques.

M. Éric Fourel. - Nous réalisons du conseil en informatique. C'est même une part importante de nos activités de conseil.

Toutes nos activités sont exercées au sein d'entités dédiées, toutes de droit français, détenues et contrôlées par des associés Français exerçant en France. Nous acquittons nos impôts en France.

Sur le plan opérationnel, nos activités sont organisées par expertise technique, avec un associé responsable pour encadrer nos équipes au plus proche du terrain. Nous avons aussi, de manière transversale, une organisation par secteur qui nous permet de mobiliser des compétences qui peuvent relever de plusieurs de nos métiers. C'est dans ce cadre que s'inscrit le secteur « service public ».

Les activités « secteur public » d'EY représentent 10 % de l'ensemble de nos activités, tous acteurs publics confondus - État, agences, collectivités territoriales, entreprises sous contrôle de l'État - et toutes secteurs confondus car nous avons une large part de commissariat aux comptes, bien que cette activité ne rentre pas dans le champ d'investigation de la commission d'enquête.

Au cours des 10 dernières années, nos activités « secteur public » ont connu une croissance régulière. Nous n'avons toutefois pas constaté d'accélération au cours de la crise sanitaire.

Nos prestations pour le secteur public sont facturées à un niveau inférieur que dans le secteur privé. Nous l'expliquons par la spécificité des missions qui nous sont confiées par l'administration et du processus d'allocation des marchés publics.

Nos marges restent pour autant positives. Le secteur public est un secteur essentiel pour nous. Sans en être dépendant, il présente beaucoup d'attraits du fait de la profondeur des cas d'application en matière de digitalisation et l'amplitude des missions. Ce sont des terrains très stimulants sur le plan intellectuel ! Nos collaborateurs, et en particulier nos collaborateurs jeunes, sont en quête de sens et le secteur public est attrayant de ce point de vue.

Pour notre vision de l'éthique, de l'indépendance et de la gestion des conflits d'intérêts, la pratique d'ensemble est tributaire du fait que la moitié de l'organisation travaille sous une déontologie spéciale, au titre des activités d'expertise comptable, de commissariat aux comptes et d'avocat. De très nombreuses procédures internes sont directement inspirées par les exigences générées par les activités de commissariat aux comptes.

À titre d'exemple, l'ensemble de nos collaborateurs doit déclarer la nature de leurs investissements financiers afin que nous puissions contrôler les conflits d'intérêts. De manière équivalente, ils doivent déclarer les fonctions qu'ils peuvent exercer dans des organes de gouvernance externe et, à chaque fois qu'une opportunité de mission est détectée, nous devons remplir dans notre système d'information un outil d'acceptation des clients et des missions. Ce dernier permet de détecter de manière forte tout conflit d'intérêts, même si le risque zéro n'existe pas. Nous pouvons refuser les missions concernées.

En conclusion, je souhaite souligner que notre réputation dépend de la confiance de nos clients dans la qualité et l'objectivité de notre signature, dans la compétence et l'engagement de nos collaborateurs et dans les méthodologies que nous pouvons déployer.

Notre réputation est notre bien incorporel le plus précieux et nous mettons tout en oeuvre pour répondre aux exigences éthiques et d'indépendance qui sont la condition de la pérennité de notre activité.

M. Vincent Paris, directeur général de Sopra Steria. - Je souhaiterais présenter Sopra Steria, notre activité conseil et quelques éléments sur notre approche en matière de souveraineté.

Sopra Steria est un groupe européen des services du numérique (ESN), né de la fusion en 2015 de Sopra et de Steria. Sopra a été fondé en 1968 et Steria en 1969. Il s'agit d'une fusion entre deux sociétés françaises historiques.

Nous employons 47 000 personnes, dont à peu près 20 000 en France.

Nous intervenons sur toute la chaîne des technologies de l'information et avons une activité de conseil.

Nous développons des applications les intégrons dans les systèmes informatiques de nos clients. Nous travaillons également sur les infrastructures informatiques et avons une approche extrêmement forte en matière de cybersécurité.

Nous ne réalisons pas de conseil en stratégie. Notre mission est « d'opérationnaliser » les stratégies, d'aider nos clients à mettre en oeuvre ce qu'ils ont décidé. Nous avons pour cela 3 400 consultants au niveau du groupe en Europe. Cela représente à peu près 400 millions d'euros de chiffre d'affaires. Nous avons 1 500 consultants en France, pour un peu plus de 200 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Nos activités de conseil se déclinent en quatre grandes natures de mission.

Il y a tout d'abord le cadrage de programme. Il s'agit d'aider nos clients à structurer leur programme de transformation, autrement dit de décliner leurs décisions politiques et stratégiques en stratégies de transformation et en plans concrets de mise en oeuvre.

Il y a ensuite l'accompagnement de projets. Nous aidons nos clients à mettre en oeuvre leurs programmes avec un appui aux projets, notamment dans le secteur informatique. Nous accompagnons également les changements organisationnels et les refontes de processus.

Nous intervenons également sur la conduite du changement. Nous aidons nos clients à déployer la transformation dans leurs services et réalisons des formations.

Il y a, enfin, le conseil en informatique. Nous apportons des conseils à nos clients dans l'usage des nouvelles technologies, ainsi que dans leurs stratégies d'emploi et dans leur mise en oeuvre.

L'approche en matière de souveraineté est très importante pour nous. Nous sommes issus de la fusion de deux sociétés françaises et sommes un groupe européen. Nous ne sommes pas un groupe mondial. Les marchés des États-Unis et de la Chine ne nous sont pas accessibles. Si nous voulions entrer dans ces marchés, il faudrait le faire massivement. Un grand client exige de la proximité, sinon vous ne pouvez pas être vu comme un partenaire de premier rang.

Nous sommes donc centrés sur l'Europe. Cela peut être un point fort car nous avons une approche beaucoup plus souveraine, de proximité, dans chacun des pays d'Europe dans lesquels nous oeuvrons.

Notre activité dans le domaine public et parapublic est, par choix et par construction, beaucoup plus forte que celle de l'essentiel de nos confrères.

Nous avons ciblé notre activité au long terme autour de 100 grands clients européens et considérons que, si nous réussissons chez eux, alors nous réussirons au niveau du groupe. Cela correspond au secteur public, au secteur parapublic, aux grandes banques ou aux assurances.

Nous poussons notre avantage en nous différenciant sur le thème de la souveraineté dans chacun des grands pays dans lesquels nous sommes présents. Pour ne citer que quelques exemples, nous avons un partenariat de cloud souverain avec OVH. Nous participons également à Gaïa-X et au Campus cyber.

En termes de chiffres, nous avons trois secteurs prioritaires : les services financiers, le secteur public et le secteur aérospatial et de la défense, qui représentent plus des deux tiers de notre chiffre d'affaires.

Le cabinet Sopra Steria connaît depuis 2015 une croissance importante, de plus de 10 %, voire même certaines années plus que cela, sur tous les secteurs. Cela a duré jusqu'en 2018-2019.

Depuis le début de la crise sanitaire, beaucoup de secteurs ont continué d'avoir une croissance forte, dont le secteur public. On constate en revanche une chute très brutale dans le domaine aéronautique.

Au global, le chiffre d'affaires du cabinet est resté constant ou a légèrement augmenté depuis le début de la crise sanitaire, mais avec une hausse du secteur public et une baisse de l'industrie. Nous sommes ainsi passés, depuis deux ou trois ans, de 50 % à 60 % de notre activité sur les secteurs public et parapublic, tels qu'ils sont entendus par la commission d'enquête.

Hors pandémie, il y a un besoin important de conseil pour la transformation numérique des entreprises, qui devient de plus en plus complexe.

M. Arnaud Bazin, président. - Pourriez-vous clarifier ? L'augmentation du secteur public est restée sur sa dynamique antérieure, il n'y a pas eu d'accélération ? Tout en passant de 50 à 60 % de votre activité ?

M. Vincent Paris. - Le secteur public a continué à croître à la même vitesse ces dernières années. En revanche, comme le secteur privé a baissé, avec un chiffre d'affaires globalement constant pour notre société, la part du secteur public est passée de 50 à 60 %.

Dernière précision : nos prix de vente sont plus importants dans le secteur privé, de l'ordre de 10 à 15 %, en particulier pour les banques, les assurances et la distribution.

En termes de profitabilité d'ensemble, les secteurs public et privé se valent. Dans le secteur public, le système d'appel d'offres est un peu plus lourd à mettre en place en termes de délais mais, une fois qu'un marché vous est attribué, il est plus facile de planifier et d'optimiser. Le deuxième élément est que les salaires des consultants sont un peu plus importants dans les secteurs que j'ai cités, et en particulier pour les banques et les assurances.

M. Pascal Imbert, président de Wavestone. - Wavestone est un cabinet de conseil français que j'ai co-fondé il y a 30 ans. Il compte 3 500 collaborateurs et réalise un chiffre d'affaires de l'ordre de 460 millions d'euros.

Nous sommes une entreprise cotée mais notre capital est contrôlé aux deux tiers par les fondateurs, les dirigeants et les salariés.

Notre métier est d'éclairer les décisions de nos clients et d'aider à les mettre en oeuvre, en sachant que Wavestone se concentre plutôt sur la phase de mise en oeuvre des stratégies. Nous intervenons en aval des cabinets de conseil en stratégie comme McKinsey ou Roland Berger.

Sur le conseil en organisation et management, l'un des principaux atouts de Wavestone est notre excellence dans le secteur digital, y compris sur des sujets très technologiques et pointus comme la cybersécurité, l'architecture de systèmes d'information complexes ou l'Internet des objets. Le digital constitue un catalyseur et un facteur de transformation des grandes organisations que nous servons.

Le secteur public au sens strict, c'est-à-dire en dehors des entreprises publiques, représente de l'ordre de 14 % du chiffre d'affaires de Wavestone en France. Nous sommes donc surreprésentés sur ce secteur, puisqu'il ne pèse que 10 % de la dépense française de conseil.

Cette surreprésentation résulte d'un choix que nous avons fait en 2016 de développer très fortement notre activité dans le secteur public. À cette date, le secteur public ne représentait que 6 % de notre chiffre d'affaires. Nous avons pris cette décision en anticipant une phase de transformation beaucoup plus large du secteur public, pour moderniser l'administration et améliorer le service au citoyen.

Cette décision faisait sens pour nous et pour nos équipes car nous sommes un cabinet français. Il y avait également un sens économique à ce choix, ce qui peut étonner. Le secteur public est un peu moins rentable que les autres secteurs, même s'il ne faut pas exagérer car les différences sont en réalité assez tenues. Ce secteur présente un avantage pour un cabinet comme Wavestone, qui ne fait que du conseil : il est beaucoup plus résilient que les autres, alors que le marché du conseil est un marché très volatile et cyclique. Cette résilience a beaucoup de valeur sur le long terme.

Wavestone cherche-t-il à influencer les politiques publiques ? Je ne vous étonnerai pas en répondant par la négative.

Nous sommes sur un marché en croissance, comme vous l'avez sans doute entendu à de nombreuses reprises. En tant qu'entrepreneur, le moyen le plus efficace de développer mon entreprise est d'apporter à mes clients l'expertise et les savoir-faire dont ils ont un besoin croissant et de leur offrir une qualité de prestation irréprochable. Au coeur de cette qualité figure l'objectivité totale de nos recommandations. Jouer au billard à trois bandes serait déloyal vis-à-vis de nos clients, et nous détournerait de ces leviers très simples de croissance de l'entreprise - voire se retournerait contre nous.

Le risque lié à la confidentialité des données confiées par nos clients publics est très maîtrisé. Nous faisons attention à les protéger ; c'est même la base de notre métier de conseil, qui repose sur la confiance et la réputation. Du côté de l'administration, le sujet me paraît traité au bon niveau, avec des clauses contractuelles extrêmement explicites et très exigeantes dans les marchés publics.

Comment gérons-nous les conflits d'intérêts ? Les situations que nous détectons sont plutôt rares, mais c'est peut-être spécifique à Wavestone. De plus, le cabinet, détenu aux deux tiers par des personnes physiques, est libre de tout lien capitalistique avec une autre entreprise.

Face aux situations de conflit d'intérêts qui peuvent malgré tout se présenter, nous avons un système de prévention, une charte éthique à laquelle tous les collaborateurs sont formés et un système d'alerte anonyme permettant de remonter les soupçons ou les incidents. Enfin, pour contrôler l'ensemble, nous avons une équipe d'audit interne.

Objectivement, autant sur la confidentialité, je peux vous dire que nous sommes à un très bon niveau de maturité, autant sur les conflits d'intérêts - et je trouve que c'est un sujet sur lequel la sensibilité remonte - notre maturité est peut-être perfectible. Je ne dirais pas qu'il n'y a pas matière à progrès sur le sujet.

Du côté de l'administration, j'observe que le sujet est bien traité au moment de la passation des marchés mais qu'il est peu développé dans l'exécution des contrats. Il y aurait peut-être un intérêt à développer les cadres contractuels sur le thème de la prévention des conflits d'intérêts. D'ailleurs, en tant cabinets de conseil, je pense que nous serions preneurs de directives plus précises de l'administration en la matière.

Enfin, la question centrale : avons-nous trop d'activités dans le secteur public ? Sommes-nous bien utilisés, dans le meilleur intérêt de l'administration ?

L'administration est plus rigoureuse que le secteur privé dans la sélection des prestataires et le suivi de l'exécution. Les achats de conseil se sont rapidement professionnalisés grâce à des structures comme l'UGAP, la DAE ou la DITP.

Je me hasarderai néanmoins un commentaire qui pourrait m'attirer vos foudres : la lourdeur du code des marchés publics n'est pas adaptée à l'achat de prestations de conseil, parfois conséquentes, parfois très ciblées. Cette lourdeur pousse à massifier les achats, ce qui réduit le choix des donneurs d'ordres publics, et pousse à constituer des groupements qui entraînent des cascades de sous-traitance sans grande valeur.

Corollaire de la massification des achats, la concurrence est extrême au moment de la passation des accords-cadres, mais devient plutôt basse lors de chaque projet - en tout cas plus basse que dans le privé où, même avec un accord-cadre, la concurrence joue à nouveau au moment de la passation des contrats.

Enfin, dans les critères de sélection, la qualité des prestations passées pèse moins que dans le secteur privé, où elle est fondamentale, ce qui me semble plus vertueux.

L'augmentation du recours aux cabinets de conseil dans le secteur public s'explique avant tout par le fait que le public, comme toutes les organisations, est confronté à des besoins de transformation de plus en plus pressants.

Y a-t-il une surconsommation du conseil ? Comme toutes les organisations qui se transforment, le secteur public aura besoin de consultants en nombre croissant. Ce ne sont pas nécessairement des consultants externes : il y a là une opportunité de développer le conseil interne, comme la DITP a commencé à le faire et comme le font tous les grands consommateurs de prestations de conseil. C'est une voie à explorer.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Pour la clarté des débats, je vais poser une question générale puis une question pour chaque cabinet.

Au cours de nos auditions, il nous a été affirmé avec force que les consultants utilisent le logo de l'administration dans leurs travaux, et rédigent des notes administratives avec le sceau de l'administration. Est-ce une pratique habituelle ? Comment évaluer le travail d'un cabinet de conseil qui ne produit pas de livrables en son nom ?

Les difficultés rencontrées par le projet du Health Data Hub, dans lequel intervient, Capgemini, sont bien connues. Avez-vous participé, dans votre mission de préfiguration, au choix de retenir Microsoft en tant qu'hébergeur, alors que cela semble poser des problèmes de souveraineté des données ?

En 2021, le Gouvernement a confié trois contrats à Wavestone pour « l'accélération des délais d'instruction des demandes d'asile », auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), pour un montant total de 485 817,60 euros.

Quels sont les leviers que vous pensez actionner pour réduire ces délais ? Comment cette mission se déroule-t-elle sur le terrain ? Quels retours avez-vous des ateliers thématiques organisés avec les agents de l'Ofpra, et sur les relations de vos consultants avec eux ?

Vos équipes auraient aussi pour mission d'identifier des « irritants » - un terme qui me choque particulièrement - qui retardent l'instruction des dossiers de demande d'asile. Quels sont, concrètement, ces irritants ? Nous entendons parler de trois catégories de réunions - programmation, instruction, validation. Pouvez-vous nous détailler leur contenu ?

EY est intervenu sur la réforme de l'aide juridictionnelle, réalisée en partenariat avec le BCG en 2019 pour un montant de 592 000 euros. Confirmez-vous que le projet a dû être repris en main par la DITP et le ministère de la justice en raison des difficultés rencontrées par les cabinets de conseil, notamment sur les systèmes d'information ?

Enfin, Sopra Steria peut-il confirmer la prestation de 32,89 millions d'euros entre 2017 et 2019 réalisée pour le système d'information du contrôle automatisé - c'est-à-dire les radars routiers ? Le contrat a été prolongé jusqu'en 2025 pour des sommes analogues. Pourquoi l'État n'a-t-il pas internalisé cette prestation ? On aurait pu imaginer que votre intervention, depuis 2017, permettrait de développer les compétences nécessaires en interne...

M. Mathieu Dougados. - Toutes nos activités au service d'un client sont propriété du client. Le choix du logo figurant sur la documentation que nous fournissons relève donc de celui-ci ; mais dans la grande majorité de nos interventions auprès du service public, nous utilisons notre logo Capgemini Invent.

Nos livrables, nos engagements de service sont revus avec le client dans le cadre des revues de qualité et des réunions prévues dans les contrats.

M. Arnaud Bazin, président. - Y a-t-il des étapes lors desquelles le client valide la réalisation de la commande passée ? Beaucoup d'entre nous sont élus locaux. Si un maire est mis en cause pour un marché de construction d'égouts, les travaux réalisés peuvent être expertisés, le prix payé est connu et le juge se prononce sur cette base.

Or, notre commission d'enquête a entendu l'administration et plusieurs de vos collègues déclarer que, lorsque la prestation est un travail d'équipe, elle ne donne pas toujours lieu à des livrables portant le logo du cabinet. En cas de contentieux, comment se prononcer ?

M. Mathieu Dougados. - Nous avons un processus de service fait pour confirmer la réalisation des engagements de service.

M. Étienne Grass. - Vos questions sont légitimes. Remettre nos livrables sous notre marque est une bonne pratique. C'est au demeurant souvent une demande de nos clients. On ne peut pas conclure une mission sans le certificat de service fait, qui atteste que les livrables ont été produits.

Il peut y avoir des confusions, liées au fait que nos livrables ne prennent pas toujours la forme de notes ou de fichiers PowerPoint ; mais c'est un principe intangible.

M. Arnaud Bazin, président. - Le service fait ne constitue pas la matérialité du service. Si une tierce personne souhaite se rendre compte de ce qu'a été le livrable, elle ne peut s'en contenter.

M. Étienne Grass. - Vous avez raison ; mais pour émettre le certificat de service fait, nos clients nous demandent de vérifier nos livrables. C'est une pratique naturelle, liée aux marchés publics.

Par ailleurs, je confirme que nous accompagnons le groupement d'intérêt public Health Data Hub depuis juillet 2018. Capgemini est intervenu auprès de la direction générale du hub au stade de la préfiguration. Nous avons notamment contribué au rapport, public, qui détaille le positionnement, la stratégie, le catalogue de données de la plateforme technologique.

Je confirme également que nous avons contribué à la sélection du prestataire de maîtrise d'oeuvre, qui n'est pas Microsoft mais le groupe Open, lequel a recours à des solutions Microsoft. Nous l'avons fait dans le cadre du groupe de travail qui a défini le périmètre et les fonctionnalités de la plateforme, la couverture technique et fonctionnelle de celle-ci, ainsi que les enjeux de coût, de faisabilité, de délais, et surtout, en lien étroit avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), les enjeux de sécurité.

Nous avons eu des réunions avec une dizaine d'intégrateurs ; notre travail a été rendu public dans un rapport. Il est apparu qu'un enjeu clé des besoins était relatif au service appelé Platform as a service (PaaS), qui permet de coder directement dans le cloud. Or, Microsoft et les autres fournisseurs de cloud américains sont les seuls à rendre disponibles le service PaaS nécessaire au Health Data Hub.

Depuis, une double clarification a été apportée. Sur le plan juridique, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a, dans sa décision Schrems 2 rendue en 2021, considéré qu'utiliser ces services dans un cloud pouvant relever d'une législation extraterritoriale était incompatible avec le règlement général de protection des données (RGPD). Dès le lendemain de la décision, Capgemini s'est organisé pour en tirer toutes les conséquences.

Le conseil d'État et la CNIL ont ensuite considéré, qu'à titre transitoire, le Health Data Hub pouvait continuer à fonctionner sur la plateforme Microsoft. De son côté, l'État a clarifié sa stratégie dans le domaine du cloud.

M. Arnaud Bazin, président. - Le Health Data Hub n'aura donc pas toutes les fonctionnalités initialement envisagées...

M. Étienne Grass. - Capgemini est une entreprise française. Nous travaillons à rendre disponibles dans des environnements français des services développés dans des environnements cloud américains. C'est le sens du projet Bleu, annoncé par notre groupe.

M. Hervé de la Chapelle. - La majorité des interventions d'EY dans le secteur public relèvent de l'accompagnement de projet informatique. Dans ce cadre, nous n'avons pas la responsabilité de la conduite du projet. Nous intervenons en renfort capacitaire - rédaction de comptes rendus, animation de réunions, méthodologie -, sous l'égide du directeur de projet ou du chef de projet, qui porte la responsabilité au nom de l'administration.

Le service fait est matérialisé par des procès-verbaux qui attestent, par exemple, de notre intervention sur un nombre donné de réunions et de comités. C'est ce qui appuie la validation de nos travaux.

Les supports utilisés dans ce cadre - pour des comptes rendus, par exemple - peuvent être des supports de l'administration, car ces travaux ne relèvent pas d'une production de conseil à proprement parler, mais d'un appui à un projet informatique.

Dans d'autres cas, nos interventions de conseil nous amènent à rédiger un rapport, qui sera alors sous charte EY.

Il y a enfin le cas particulier des missions intégrées avec la DITP, où la pratique peut varier.

Concernant l'aide juridictionnelle, je vous indiquerai, après avoir pris les informations nécessaires, quels ont été les éléments déclencheurs de la mission. Quoi qu'il en soit, EY n'intervient que sur demande de l'administration.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - D'après mes informations, certains livrables co-construits dans le cadre de cette mission ont surtout été construits par la DITP...

M. Hervé de la Chapelle. - Je vérifierai ces éléments.

M. Vincent Paris. - À ma connaissance, nos livrables portent le logo de Sopra Steria pour toutes nos missions. Cela permet de vérifier que les prestations attendues ont été délivrées. Il nous arrive aussi de coproduire des documents avec nos clients, mais il n'existe aucun ambiguïté sur les livrables à produire.

Pour répondre à votre question sur les radars, nous avons remporté, en 2016 puis en 2019, un accord-cadre d'assistance à maîtrise d'ouvrage pluridisciplinaire. Ce marché est toujours en cours. Il recouvre deux grands domaines d'intervention : l'accompagnement opérationnel et l'assistance sur le système d'information.

Dans le cadre de l'accompagnement opérationnel, nous pilotons le déploiement, l'exploitation et la maintenance de quatre mille dispositifs de contrôle, en lien direct avec tous les acteurs de l'écosystème : fabricants de radars, entreprises de travaux publics, directions départementales des territoires.

Dans le cadre de l'assistance sur le système d'information, nous avons piloté la mise en place du socle technique du premier cloud du ministère de l'Intérieur, son exploitation puis son transfert en 2021 à la direction du numérique du ministère.

Nous avons construit ce système conformément aux demandes du client. Les équipes mixtes auraient-elles pu être plus nombreuses, avec des renforts de fonctionnaires ? Sans doute. Néanmoins, les évolutions sont si rapides dans le domaine de la transformation numérique que les clients ont besoin de consultants bénéficiant des avancées technologiques des autres secteurs d'activité. Ce type de missions comporte au demeurant une part de travail en commun.

Cela étant dit, rien n'interdirait une approche différente...

M. Arnaud Bazin, président. - Votre réponse porte sur la phase de déploiement des radars routiers. Qu'en est-il de l'exploitation, qui pourrait éventuellement être internalisée ?

M. Vincent Paris. - Si le marché est construit ainsi, c'est possible.

Plusieurs montages peuvent être envisagés. À ma connaissance, cette internalisation ne nous a pas été demandée. Peut-être le client n'avait-il pas une vision fine, dans la durée, de ce qu'allaient devenir ces dispositifs.

M. Arnaud Bazin, président. - Quelle était la nature du contrat prolongé ?

M. Vincent Paris. - C'est la poursuite de la prestation : nous assistons l'administration dans le pilotage du déploiement. De nouveaux radars sont sans cesse installés.

Nous avons, d'un autre côté, aidé la direction du numérique du ministère à mettre en place son cloud. Nous l'avons exploité, avant de le transférer. Des équipes du client travaillent naturellement avec nous.

M. Pascal Imbert, président de Wavestone. - Pour les prestations qui impliquent une étude ou un rapport, le livrable constitue le coeur de la valeur. En revanche, bien que les prestations de pilotage de programme, de conduite du changement ou de transfert de compétences donnent aussi lieu à des livrables, ceux-ci ne sont pas le coeur de la valeur.

Ainsi, une part importante de nos prestations est difficile à expertiser a posteriori. Ce sont alors les mécanismes de gouvernance des programmes qui garantissent la qualité de la prestation délivrée. Dans les marchés passés par l'administration, le suivi est rigoureux, avec une organisation à deux étages : un comité de suivi à fréquence rapprochée et un comité de pilotage impliquant des donneurs d'ordres de niveau plus élevé. Ces comités s'assurent à la fois de l'avancement et de la qualité de la prestation, et valident au fur et à mesure le service rendu. C'est à ce niveau qu'il faut s'assurer que le prestataire est « challengé » sur la valeur qu'il apporte.

Sur la mission de réduction des délais de demande d'asile auprès de l'Ofpra, je vous apporterai par écrit une réponse plus détaillée. Ce sujet m'est très cher mais, à mon grand embarras, je ne suis pas en mesure de vous apporter aujourd'hui toutes les précisions demandées.

Dans le cadre de cette mission, nous intervenons en sous-traitance de la DITP. L'objectif est de réduire de huit à deux mois le délai moyen d'instruction des demandes d'asile. C'est une mission de réingénierie des processus, qui fait appel aux techniques dites de lean management, adaptées à l'optimisation de flux d'activité réguliers.

Nous partons d'une analyse quantitative des activités, pour comprendre où se situent les gisements d'amélioration. Cela implique le recueil d'une quantité importante de données. L'un des leviers peut consister à différencier le traitement des dossiers en fonction de leur niveau de complexité ou du pays d'origine des demandeurs.

On peut aussi anticiper certaines tâches, afin de ne pas allonger le délai total de traitement.

Des recommandations portent enfin sur la manière de travailler, en organisant par exemple, à intervalles rapprochés, des réunions d'équipe pour définir les priorités. Ainsi, les bonnes compétences sont affectées aux bonnes tâches, et tout le monde est mobilisé.

Nous allons bientôt entrer dans la phase pilote, qui nous permettra d'évaluer l'efficacité des recommandations. D'après les échos que je reçois de cette mission, nous sommes confiants dans notre capacité à apporter la valeur attendue.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - D'après les échos que je reçois de mon côté, les relations entre vos consultants et les salariés de l'Ofpra sont difficiles... N'oublions pas que les agents sont des professionnels dans le traitement des êtres humains qui demandent l'asile en France.

M. Arnaud Bazin, président. - Nous vous invitons à compléter votre réponse par écrit.

M. Jérôme Bascher. - Pour les marchés publics, faites-vous appel à d'anciens hauts fonctionnaires qui se seraient reconvertis ? En tant qu'ancien fonctionnaire, j'ai quelques exemples en tête...

M. Patrice Joly. - Vous déclarez ne pas chercher à influencer. Mais avez-vous le sentiment d'influencer, à travers la manière dont vous répondez aux questions qui vous sont soumises ?

Avez-vous le sentiment que les administrations publiques savent bien utiliser les prestataires que vous êtes, dans la définition des missions, la présence d'interlocuteurs assez avisés pour dialoguer avec vous de manière pertinente, dans le suivi des missions et dans l'évaluation ?

S'il y a des défaillances, quelles recommandations formulez-vous ?

M. Mathieu Dougados. - Nous ne faisons pas appel à des fonctionnaires dans le cadre de nos missions. Notre style d'intervention est le « faire avec », mais nous ne sous-traitons jamais nos missions.

Il arrive simplement que nous faisions appel, ponctuellement, à des expertises spécifiques, par exemple pour une supply chain monde qui nécessiterait une expertise de la gestion des douanes au Brésil.

Nous équipes sont très fières d'intervenir sur nos missions pour le secteur public, et le niveau d'exigence et d'excellence est très élevé. Nous avons des procédures de contrôle et de vérification de notre impact, dans le cadre des projets mais aussi dans des bilans et synthèses que nous faisons pour la DITP, avec des préconisations pour améliorer le système.

M. Étienne Grass. - Nous avons formulé des recommandations lors de notre audition par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur ce sujet, dont le rapport souligne la tradition de transparence de Capgemini. Nous émettons régulièrement des suggestions à la DITP et serions très heureux de vous remettre des éléments écrits à ce sujet.

Comme mon titre l'indique, j'ai une responsabilité mondiale : je dispose donc d'éléments de comparaison internationale. Vous trouverez dans la littérature anglo-saxonne, et notamment dans l'ouvrage de Mariana Mazzucato, Mission Economy, paru l'année dernière, une bonne description du conseil au secteur public dans d'autres pays.

L'écart entre les modèles français et britannique est très important. J'ai moi-même présenté à des agents du Cabinet office les secrets du modèle français.

Dans le périmètre de la DITP, ce modèle se caractérise par un accord-cadre qui permet de stabiliser les équipes et les expertises. Les cabinets ont le temps de construire une relation de confiance, et la crédibilité est la première de leurs valeurs.

Deuxième caractéristique : les missions sont toujours conduites avec des personnes de la DITP, pour les piloter avec nous. Nous nous mettons au service de leurs activités.

Point très important, le conseil que nous délivrons est de plus en plus augmenté de solutions. Nous accompagnons des réunions, formalisons des livrables, mais notre conseil est augmenté de solutions technologiques, souvent liées aux données ou aux plateformes digitales. La DITP est l'espace de capitalisation de ces solutions.

Je le dis souvent à nos interlocuteurs : Capgemini n'a pas vocation à détenir la bibliothèque algorithmique de l'État ! Lorsque l'on travaille pour la DITP, il convient de lui présenter les algorithmes que nous voulons développer pour l'État, pour qu'elle puisse capitaliser.

C'est pourquoi je me permets de suggérer un axe d'amélioration, qui ne vous surprendra pas venant de Capgemini : le fait d'avoir deux interlocuteurs de conseil, à savoir la direction interministérielle du numérique (Dinum) et l'administration chargée de la transformation publique est à mon avis une limite, car la transformation est de plus en plus un sujet digital. Les éléments que nous vous avons transmis attestent de cette réalité de marché. Il me semble très important de gommer cette séparation entre la transformation et la transformation digitale.

M. Arnaud Bazin, président. - Qu'est-ce qui est différent au Royaume-Uni ?

M. Étienne Grass. - Notre équipe au Royaume-Uni voit évoluer significativement les conditions d'achat du conseil dans ce pays. L'ouvrage que j'ai cité retrace une accélération très importante depuis quatre ans.

Le modèle d'utilisation du conseil dans ce pays est un modèle d'augmentation d'équipe. Les conditions d'achat sont proches de l'intérim, pour pourvoir des postes qui ne sont pas permanents. Le recours au conseil favorise donc la résilience de l'État britannique.

Les principes d'engagement sont différents des nôtres, où ils reposent sur des livrables, un résultat, avec une capitalisation et un interlocuteur centralisé qui crée une relation saine, de confiance et durable.

M. Hervé de la Chapelle. - EY n'utilise pas de sous-traitants de l'administration pour effectuer des missions au profit de l'État. Nous avons nos propres consultants.

L'administration sait-elle utiliser convenablement les consultants ? Le recours au conseil s'est professionnalisé, à travers l'utilisation de centrales d'achat, qui sont des professionnels de l'achat du conseil, et des grands accords-cadres interministériels comme celui de la DITP. Les administrations savent piloter des consultants, rédiger des cahiers des charges, analyser des offres pour identifier celle qui présente le meilleur rapport coût-bénéfice. Elles sont en mesure d'évaluer la qualité des prestations réalisées et de valider, ou non, le service fait.

En revanche, dans les structures publiques plus petites, qui ont moins l'habitude de cela, notre posture est davantage dans l'accompagnement. Nous cherchons à intégrer dans nos équipes celles de l'administration pour procéder au transfert de compétences et de connaissances, réinternaliser la capacité à réaliser ce que nous faisions et mieux piloter les consultants si, à l'avenir, cette administration devait de nouveau faire appel à du conseil.

M. Arnaud Bazin, président. - Dans ses publications, le cabinet EY émet des recommandations sur la conduite des politiques publiques. Sur les douze derniers mois, nous avons trouvé une proposition d'externalisation de fonctions « support et métier » de l'administration, comme la délivrance des permis de conduire. Nous avons également trouvé un plan de transformation de la fonction publique en cinq piliers, comprenant notamment la suppression de 150 000 ETP de fonctionnaires, un plan d'action contre l'inflation normative, des leviers d'action pour la maîtrise du budget et des suppressions d'impôts.

Chaque sensibilité politique aura son idée sur ces propositions, mais ce n'est pas notre sujet...

En revanche, est-ce le rôle d'un cabinet de conseil que de formuler des propositions qui ressemblent à un programme politique et sont mises sur la place publique ? Comment garantir la neutralité de vos propositions ?

M. Éric Fourel. - Dans le cadre de ses contributions au débat sur un ensemble de problématiques, EY est amené à prendre des positions publiques, à publier des documents, études, analyses ou benchmarks. Nous en avons consacré à l'hydrogène en France, à la mixité énergétique pour demain par exemple. EY produit, en France, plus de trois cents études chaque année. C'est une contribution au débat, à l'interaction avec l'ensemble des acteurs économiques, y compris sur les problématiques relevant du secteur public.

Pour autant, ces documents ne relèvent pas d'une recherche d'influence. Ce sont des contributions publiques au débat d'idées, et non une volonté d'influer sur le décideur politique dans le cadre d'une mission. Ce sont deux sujets très distincts.

Ces publications d'intérêt général ont pour but de montrer la pertinence de nos analyses, notre capacité à mettre en oeuvre des points de vue d'experts. Il y a, c'est vrai, des prises de position dans ces études. Nous les « balançons » au mieux au regard des conditions techniques et d'opportunité.

Je pense qu'elles sont de bonne qualité : preuve en est qu'elles sont arrivées jusqu'à vous !

M. Arnaud Bazin, président. - Nous n'avons pas de doutes sur la rigueur qui préside à leur élaboration, mais comment garantissez-vous la neutralité de vos prestations ? Que faites-vous si l'on vous demande quelque chose d'orthogonal à une position que vous auriez prise publiquement ?

M. Éric Fourel. - Je ne crois pas qu'il y ait, dans ces documents, des positions orthogonales avec les missions que nous réalisons. Il faudrait les analyser au cas par cas, mais si c'était la manière dont le décideur public le perçoit, il ne nous emploierait pas dans son terrain d'exploration...

M. Vincent Paris. - Nous faisons appel à la sous-traitance de façon marginale dans nos missions, dans 4 % des cas environ et dans le respect des marchés publics.

Est-ce que l'on emploie des collaborateurs qui ont été hauts fonctionnaires, élus, ministres ou collaborateurs politiques ? Oui.

Mais je précise que nous n'avons pas de stratégie de recrutement d'anciens fonctionnaires. Nous nous inscrivons dans une stratégie d'acquisition de compétences, en recherchant des collaborateurs possédant la double compétence « métier du client » et « technologie ».

Il se trouve que nous avons 14 personnes qui répondent à ces critères au sein de l'effectif, c'est donc moins de 1 %. Nous n'excluons pas ces personnes par principe. Mais nous sommes très rigoureux et nous ne prenons aucun risque : la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est évidemment consultée ; nous disposons d'un code de conduite particulier en interne.

Quant à la compétence du secteur public, mon avis est positif. J'ai affaire à des grands clients du privé et du public, et ce dernier n'a pas à rougir de la façon dont il pilote les missions. Je ne vois pas de différence de niveau. Nous voyons même moins d'opérations échouer dans le secteur public que dans le secteur privé.

Dans notre métier, la prise de risque est importante et les technologies complexes. Cela s'améliore, mais des projets doivent toujours être arrêtés.

M. Pascal Imbert. - Nous utilisons la sous-traitance de manière très marginale, et toujours dans le cadre du code des marchés publics. Nous ne recrutons pas de consultants ayant eu des postes à responsabilités dans l'administration. Ce ne sont pas nos domaines d'intervention : nous intervenons surtout sur des sujets assez techniques comme l'optimisation des processus ou la réflexion sur des problématiques technologiques, ou ayant trait à des sujets nécessitant de la technicité et de l'objectivité.

Nous constatons une professionnalisation très rapide de l'achat de conseil dans l'administration, grâce à la concentration de cet achat dans des équipes qui ont construit de bonnes pratiques. À cela s'ajoute la rigueur naturelle d'exécution des prestations dans le code des marchés publics. Nous avons donc l'impression que nos prestations sont bien pilotées par les donneurs d'ordres publics.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Au cours des travaux de notre commission d'enquête, le Premier ministre a adressé aux membres de son Gouvernement et à leur cabinet une circulaire leur demandant de réduire de 15 % le recours aux cabinets privés. Je présume que vous avez connaissance de cette circulaire. Quel est votre avis ?

Un ancien salarié de Capgemini a été recruté en 2020 par le service des correspondances de l'Élysée. Or, il a eu recours à votre cabinet pour réorganiser ledit service. Pouvez-vous nous présenter cette prestation, nous en préciser le montant et nous indiquer si les règles de déontologie ont été appliquées ?

M. Arnaud Bazin, président. - J'ajouterai une question transversale : en quoi le mécénat de compétences est-il plus encadré que le pro bono, qui est désormais assez contesté ?

M. Mathieu Dougados. - Concernant la circulaire, nous ne commentons pas les propos des ministres, ni leurs volontés politiques. Nous prenons simplement acte de cette décision.

Nous avons été sollicités en 2020 à travers l'accord-cadre UGAP pour intervenir auprès de l'Élysée. C'était pour nous une première. Nous avons répondu à une sollicitation, nous l'avons finie, il y a eu une analyse qualité de ce que nous avons fait et nos livrables ont été validés. Nous avons fini la mission.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Ce n'était pas ma question. N'est-il pas gênant qu'un ancien salarié de Capgemini ait recours à ce même cabinet pour réorganiser le service des correspondances de l'Élysée ?

M. Mathieu Dougados. - Je vous invite à poser des questions à l'Élysée parce que, pour le coup, ce n'est pas notre responsabilité du tout.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - N'avez-vous pas d'avis ?

M. Mathieu Dougados. - Nous répondons à des sollicitations à travers l'accord-cadre de l'UGAP. Ce n'est pas à nous de nous prononcer sur l'identité de la personne qui, au sein de l'organisation cliente, déclenche la prestation.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - D'un point de vue déontologique, vous n'y voyez donc pas de problème.

M. Mathieu Dougados. - Capgemini a été classé parmi les entreprises les plus éthiques au monde pendant neuf années consécutives. C'est le résultat d'un investissement important, avec une organisation spécifique, des processus, des plans de formation.

M. Arnaud Bazin, président. - D'après vous, cela concernait donc le donneur d'ordre...

M. Étienne Grass. - Pour cette mission - qui a été une belle mission - nous avons été sollicités par l'UGAP. Nous ne sommes pas en mesure de vous dire qui est le client dans le service courrier de l'Élysée. Ce n'est pas notre responsabilité.

Il s'agissait d'élaborer les infrastructures technologiques pour l'utilisation des outils d'automatisation de la lecture du courrier de l'Élysée. Cela permet de produire des rapports beaucoup plus complets sur le courrier reçu et donne au Président accès à l'ensemble des lettres qu'il reçoit.

En l'occurrence, l'ancien salarié auquel vous faites référence n'est pas issu du conseil. Or, il existe un assez fort hermétisme entre des activités de conseil et celles qui ont été réalisées.

Il est fréquent que l'État recrute nos salariés, et la ministre de la fonction et de la transformation publiques vous a indiqué son intention de continuer à le faire.

En principe, lorsque nous réalisons une prestation auprès d'un client, nos salariés n'ont pas vocation à être ensuite embauchés par ce dernier ; mais nous n'appliquons pas ces clauses contractuelles vis-à-vis de l'État, parce que nous estimons qu'il se renforce en recrutant nos salariés. C'est encore arrivé la semaine dernière.

Par ailleurs, cela se produit lorsque, au cours d'une mission, l'État considère que ce que nous faisons est de nature pérenne. Cela nous place dans une situation complexe en termes déontologiques puisque, en cours de mission, l'un de nos anciens salariés « passe » chez notre client.

Il serait intéressant que vos travaux clarifient les choses. Nous acceptons de lever les clauses contractuelles interdisant à nos salariés de rejoindre nos clients, à la condition qu'un cadre déontologique soit fixé, pour que le salarié ne soit pas en contact avec Capgemini. 

J'espère que ma réponse a été claire ; n'hésitez pas à me demander de la préciser.

M. Mathieu Dougados. - Le mécénat de compétences correspond bien à notre engagement de mettre à disposition nos compétences au service de start-ups, et d'entrepreneurs sociaux. Ce n'est pas le mécénat pour le mécénat, mais un cadre contractuel qui « colle » à notre ambition de servir les entrepreneurs sociaux. C'était le sens de notre partenariat noué en 2018 avec Ashoka.

Le mécénat est un cadre qui nous est utile pour mettre à disposition nos compétences.

M. Éric Fourel. - Nous prenons acte, nous aussi, de la circulaire du 19 janvier du Premier ministre. Fixer un axe de réduction des honoraires est un objectif que beaucoup de nos clients se donnent. Cela relève de la saine gestion.

Je constate également que cette circulaire ouvre un grand nombre de pistes d'amélioration, notamment l'internalisation de certaines compétences et la mise en place d'un dispositif de recensement des compétences disponibles au sein des administrations. Les pouvoirs publics, comme toutes les grandes organisations, sont confrontés au risque de « silotage », à cause duquel on ne sait pas toujours qui est disponible, à quel moment.

EY est très attaché au mécénat de compétences et le pratique depuis très longtemps. Une partie de notre fondation d'entreprise est exclusivement tournée vers les associations ; elle se donne pour objectif d'apporter une contribution aux métiers de la main. Nous sommes également présents dans le secteur culturel.

Je citerai deux interventions importantes dans le secteur public : une au service de l'Opéra national de Paris, une autre auprès du Louvre. Le mécénat au service de l'Opéra est mixte - financier et de compétences - et le mécénat auprès du Louvre est exclusivement de compétences.

Nous accompagnons ainsi l'Opéra dans l'amélioration du caractère écoresponsable des décors, dans le cadre de notre pôle développement durable.

Nous avons assisté le Louvre dans la certification de ses comptes selon les normes comptables classiques. J'y suis attaché, en tant que responsable, à titre personnel, de cette intervention depuis 1999.

C'est un outil fantastique offert par le cadre réglementaire français pour aider les institutions de toutes tailles. Nous y trouvons un intérêt pour la résonance de notre marque et notre inscription sociétale. Nos collaborateurs y voient l'occasion d'oeuvrer pour l'intérêt général, sans visées lucratives - même s'il y a de modestes contreparties, comme l'accès gratuit au musée du Louvre pour l'ensemble de nos collaborateurs en France.

M. Arnaud Bazin, président. - Pouvez-vous nous rappeler votre position sur le pro bono ?

M. Éric Fourel. - Je me permettrai d'ajouter que nous nous interdisons d'effectuer des prestations payantes pour les organismes que nous gratifions de notre mécénat de compétences.

Nous avons eu quelques missions pro bono dans le cadre de la crise Covid, mais de manière très limitée.

M. Hervé de la Chapelle. - Le pro bono n'est pas du tout dans notre modèle. Il y a eu cette parenthèse de la crise sanitaire où nous avons pu intervenir ponctuellement. Nous n'en faisions pas avant et nous n'en faisons plus depuis.

M. Vincent Paris. - Je prends acte, comme mes collègues, de la réduction de 15 % du montant des prestations de conseil. C'est un chemin de crête : il faut trouver des économies, mais en même temps accélérer la transformation.

Il est assez aisé de dire cela de l'extérieur, mais il me semblerait préférable d'accentuer les efforts sur certains sujets, au lieu de procéder de manière linéaire dans tous les domaines.

Sopra Steria ne fait pas de pro bono. Notre mécénat de compétences est concentré dans le milieu associatif, à travers une plateforme appelée Vendredi. Nos collaborateurs peuvent ainsi agir pour des causes environnementales ou sociétales, sans aucun impact business. Cela entre dans le cadre de notre politique de responsabilité d'entreprise.

M. Pascal Imbert. - Je n'ai pas de commentaire à faire sur la décision de réduction de 15 %. En effet, nous sommes sur un secteur en croissance : cela ne nous pose pas de difficulté économique majeure.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - C'est déjà une réponse !

M. Pascal Imbert. - Il serait prétentieux de notre part de commenter les budgets alloués par nos clients à nos domaines d'intervention.

Nous accueillons en revanche avec beaucoup d'intérêt la volonté d'améliorer la valeur tirée de nos prestations. En effet, plus nous sommes « challengés » sur la valeur, plus nos prestations sont pérennes. Il nous est fréquemment reproché de chercher à travailler dans la durée pour générer du chiffre. À vrai dire, c'est très dangereux, parce que cela expose à un retour de manivelle.

Nos prestations sont chères ; il est préférable que client en tire autant de valeur que possible, car c'est ce qui pérennise la relation.

Nous ne pratiquons pas le pro bono, mais nous développons le mécénat de compétences. Nous sommes une société rentable et en développement. Nous avons pris l'engagement d'allouer chaque année 1 % du temps de nos consultants à du mécénat de compétences, exclusivement au profit d'associations. Il s'agit surtout d'actions sociales : enfance défavorisée, Croix-Rouge française, etc.

Je suis fier que nous ayons été en mesure de tenir cet engagement dès la première année, en 2021.

M. Arnaud Bazin, président. - Je vous remercie pour cette longue audition, la dernière de notre commission d'enquête en formation plénière.

Nous remercions très sincèrement tous ceux qui ont suivi nos auditions, en présentiel ou à distance.

Je donne rendez-vous à mes collègues mi-mars pour l'examen du rapport avec des échanges, je n'en doute pas, nourris.

La réunion est close à 19 h 45.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.