Mercredi 16 février 2022

- Présidence de Madame Françoise Gatel, présidente -

La réunion est ouverte à 16 heures 40.

Examen du rapport d'étape « Services déconcentrés et préfectoraux »

Mme Françoise Gatel, présidente. - Bonjour à tous. Ce rapport, porté par Agnès Canayer et Eric Kerrouche, traite un sujet qui est au coeur de nos préoccupations et de l'efficacité de l'action publique : les services déconcentrés et préfectoraux du point de vue des collectivités territoriales. C'est une préoccupation constante de la délégation qui, en 2016, s'était déjà arrêtée sur cet enjeu ayant fait l'objet d'un rapport très précis de nos deux collègues, Eric Doligé et Marie-Françoise Pérol-Dumont. Si ce thème est revenu abondamment dans le cadre de la loi 3DS, notre assemblée n'a cessé de regretter, pendant les débats sur les précédentes lois territoriales qui se bornaient à répartir les charges entre les collectivités, que ne soit pas posée la question de la fonction de l'État et des services que celui-ci est supposé rendre.

L'État ne cesse d'être réformé, sans étude d'impact préalable ni évaluation, d'où l'intérêt de ce rapport qui intervient après la RGPP, la RéATE, la modernisation de l'action publique (2012-2017) et la transformation de l'action publique en 2022. Le rapport précédemment évoqué s'intitulait « Où va l'État territorial ? ». Il posait ainsi la question de savoir s'il existait un cadre pour l'action de l'État. Les réformes ont souvent été conduites pour satisfaire des objectifs de modération budgétaire. Elles ont souvent été verticales et peu concertées. Nous assistons ainsi dans nos territoires à une certaine fragilisation des services de l'État. Se pose la question du rôle du préfet et de l'atomisation de l'action de l'État sous l'effet de la création d'agences. Indépendamment du contexte présidentiel, bien qu'il s'agisse de bonnes questions à adresser aux candidats, nous devons nous interroger sur l'État que nous voulons. Agnès Canayer et Eric Kerrouche se sont penchés sur ces questions d'une façon que je sais approfondie et sérieuse. Je les remercie d'avance pour leur rapport d'étape.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Merci, Madame la Présidente, chers collègues. La délégation aux collectivités territoriales nous a en effet confié la mission d'une réflexion sur les services préfectoraux et déconcentrés, dans la continuité des travaux antérieurement menés sous l'égide de nos collègues Doligé et Pérol-Dumont. Nous avons mené, depuis le mois de novembre, un certain nombre d'auditions et avons abouti à un rapport d'étape qui vous présentera les constats qui ont été dressés à la fois par les élus et les services déconcentrés. Nous avons intitulé notre travail « A la recherche de la place de l'État dans les territoires », dans la continuité des travaux menés sur la réorganisation perpétuelle des services déconcentrés, qui rend difficilement assimilable l'ensemble des réformes menées depuis 2007.

Quatre auditions se sont déroulées en séance plénière. Nous avons entendu les préfets Bernadette Malgorn et Christophe Mirmand, ainsi que Thierry Lambert, délégué interministériel à la transformation publique, et enfin la 4ème chambre de la Cour des comptes, qui a mené une enquête sur cette question centrale, qui fait encore l'objet de vifs débats, dans nos discussions législatives ou au sein de nos territoires respectifs. Nous avons mené douze auditions complémentaires et réalisé une enquête, sous la forme d'un questionnaire, auprès des élus locaux et une autre auprès des préfets et sous-préfets.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - En termes quantitatifs, 1 400 élus environ nous ont répondu, dont seuls les élus communaux ont été retenus, pour des raisons de représentativité : 60 % de maires, 18 % d'adjoints et environ 20 % de conseillers.

Nous sommes également parvenus à diffuser un questionnaire auprès des préfets et sous-préfets. Il apparaissait initialement difficile d'avoir accès directement à la population du corps préfectoral, mais une intervention active de la Présidente de la délégation auprès du Ministre de l'Intérieur a permis de lever ces difficultés. Sur une plateforme de consultation, les préfets ont ainsi pu répondre à un questionnaire qui était en partie le miroir de celui des élus. Nous pouvons nous satisfaire du taux de réponse : sur les 375 noms de préfets et sous-préfets qui nous ont été communiqués par la direction de la modernisation de l'action territoriale (DMAT), 108 personnes ont répondu, 26 % de préfets et 71 % de sous-préfets, soit la répartition au sein du corps préfectoral.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les premières conclusions que nous pouvons tirer de ce diagnostic peuvent utilement être mises en miroir afin de constater, sur un certain nombre de sujets, une convergence entre les réponses des élus locaux et celles des représentants de l'État.

Sur la question de la nécessité de réformer, d'abord, il faut rappeler que l'État territorial a subi plusieurs réformes successives (RGPP, RéATE, Modernisation de l'action publique à partir de 2012, Action publique2022) qui ont nettement participé à complexifier le schéma d'organisation de l'État déconcentré, d'où cette interrogation initiale sur la nécessité d'une réforme de l'organisation territoriale. Celle-ci a donné lieu à une réponse positive, à hauteur de 60 % environ, de la part des préfets comme des élus locaux. 41 % des élus locaux pensent qu'il est nécessaire et pertinent de réintroduire des réformes, et 50 % des préfets.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Pour autant, cette réforme ne se conduit pas dans de bonnes conditions. On regrette ainsi l'absence d'information et de concertation, tandis que se fait jour un désaccord sur les attentes. 82 % des élus ont considéré qu'ils n'avaient pas été associés aux réformes des services déconcentrés de l'État. 43 % des membres du corps préfectoral considèrent qu'il en va de même les concernant, ce qui paraît être un enseignement très important puisqu'ils sont supposés être en première ligne de cette transformation. Seuls 20 % des préfets et sous-préfets estiment y avoir été associés. 21 % répondent par ailleurs « cela dépend » et 16 % ne se prononcent pas.

Par ailleurs, la réforme de l'organisation territoriale de l'État ne correspond aux attentes ni des préfets, ni des élus. Plus de 30 % des élus font état d'une difficulté à se prononcer sur les attendus réels vis-à-vis de la réforme. Plus d'un tiers des préfets estiment que les transformations ne répondent pas à leurs attentes. La réforme s'opère donc, mais pas nécessairement en phase avec les attentes des acteurs, et surtout sans leur avis initial.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les préfets et élus ont donc le sentiment de ne pas avoir été bien associés à cette réforme, mais ils ont surtout le sentiment de ne pas comprendre ni connaître les conséquences de ces réformes qui ont eu principalement pour objet de renforcer le rôle des préfets, notamment par de nouveaux outils de pilotage et une réorganisation des compétences. Plus de 60 % des élus ne connaissent pas réellement ces réformes et n'en ont pas perçu les effets. Toutefois, ils sentent qu'elles ont des conséquences sur les collectivités locales et qu'elles ont introduit un transfert de charges sur celles-ci. Près de 50 % des élus ressentent cette conséquence sur leurs compétences et le fonctionnement des collectivités territoriales.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Sur un certain nombre des questions posées, le bilan est mitigé. Environ 60 % des répondants élus estiment que les moyens dont disposent les services déconcentrés de l'État pour répondre à leurs demandes sont insuffisants. 61 % estiment qu'à l'issue de l'ensemble des plans cités par Agnès Canayer, il est de plus en plus difficile de trouver le bon interlocuteur administratif. 70 % considèrent que la ou les personnes concernées ne restent pas suffisamment longtemps en poste pour être de bons interlocuteurs qui connaissent leur territoire.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Ce bilan en demi-teinte se précise avec un regard encore plus critique des élus et représentants de l'État sur cette organisation, à commencer par le constat de la dégradation des services de l'État dans les territoires. Près de 75 % des élus considèrent que les services rendus par l'État territorial sont moins performants dorénavant, et qu'ils répondent moins bien aux attentes des élus locaux, notamment dans l'accompagnement des politiques publiques qu'ils portent. Or, nous savons qu'il n'y a pas de décentralisation effective sans une déconcentration à la hauteur. Les représentants de l'État, préfets et sous-préfets, considèrent eux-mêmes à hauteur de 44 % que le service qu'ils offrent est source d'insatisfaction.

Si cette organisation territoriale doit faire l'objet de réformes, les représentants de l'État considèrent à 85 % que l'organisation territoriale a été trop réformée et que cette succession de réformes a déstabilisé leur efficacité. Cet avis est corroboré par celui des élus locaux.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Sur certains items, les avis des élus et des représentants de l'État convergent, notamment sur l'idée de doublons trop nombreux entre les services de l'État et ceux des collectivités locales. De même, le processus d'agencification de l'État, sur lequel nous sommes revenus de nombreuses fois à l'occasion des auditions, est dénoncé à la fois par les élus et les préfets, sans doute car les agences participent du démembrement des pouvoirs effectifs des représentants de l'État. Cette sectorisation de l'État par agence est donc contestée de l'extérieur comme de l'intérieur.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les élus et les représentants de l'État demandent une plus grande souplesse de l'organisation de l'État dans les territoires, à la fois par une clarification du rôle de chacun, qui doit concourir à l'abandon par l'État d'un certain nombre de compétences qu'il a décentralisées, pour lesquelles il intervient en doublon. Il s'agit d'une demande de plus de 50 % des élus locaux et de près de 50 % des préfets et sous-préfets. Il se fait ainsi jour la demande d'une répartition plus claire des compétences entre État déconcentré et État décentralisé, dans une complémentarité et non une concurrence. Cette demande de souplesse débouche en outre sur une demande d'adaptation des normes législatives et réglementaires aux spécificités des territoires. Les élus locaux sont en forte attente de cette différenciation, alors que les acteurs de l'État sont plus réticents et défendent une vision plus uniforme de l'organisation territoriale et de l'impact législatif et réglementaire. Ils expriment ainsi leur désaccord à 66 %.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Se pose ensuite la question de la proximité, que nous avons interrogée via la place du sous-préfet. En ce qui concerne les élus locaux, près des deux tiers considèrent que le sous-préfet est un interlocuteur privilégié. Le premier échelon de l'accessibilité locale est ainsi plébiscité. Sur la question de savoir si la fonction de sous-préfet est importante, les réponses « plus tout à fait nécessaire » et « encore nécessaire » des préfets obtiennent les mêmes proportions que pour les élus locaux. La notion de proximité de l'action locale est donc reconnue à l'intérieur comme à l'extérieur.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. -73,2 % des élus estiment que la dilution des compétences de l'État s'est faite au détriment des collectivités territoriales, qui l'ont compensée. Ils ont très largement considéré que ce phénomène induit systématiquement un report de charges sur les collectivités locales.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Il restait à savoir dans quels domaines l'État doit intervenir. Nous avons pour cela proposé une série de compétences aux élus locaux afin qu'ils les notent de 1 (non souhaitable) à 10 (très souhaitable). Comparativement au questionnaire diffusé en 2017, nous observons une évolution, car nous sommes dans un contexte particulier, aussi bien en matière d'urgence terroriste que sanitaire. Nous observons ainsi un plébiscite des jambes droite et gauche de l'État, à travers une volonté de mise en avant de la sécurité, de lutte contre l'immigration, mais aussi un rôle important reconnu pour l'emploi local en matière de santé, d'emploi, de travail, d'équilibre territorial, d'environnement et de cohésion sociale. Pour autant, certains secteurs n'apparaissent pas : la fonction publique territoriale, le logement, l'urbanisme, la commande publique et le sport. Ces domaines sont donc revendiqués comme une volonté d'action locale, l'État se concentrant sur son coeur régalien et l'équilibre local.

Mme Françoise Gatel, présidente. - En lien avec le projte de loi 3DS et le volet logement, nous voyons un souhait de territorialisation de la politique du logement, à une échelle qui est souvent celle de l'intercommunalité.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Nous nous sommes concentrés dans notre étude sur deux axes forts de l'action de l'État : l'ingénierie territoriale et le contrôle de légalité. Sur l'ingénierie territoriale, d'abord, les élus ne trouvent pas de réponse satisfaisante dans les services tels qu'ils sont aujourd'hui offerts. 34 % seulement sont satisfaits et davantage ont une réponse neutre ou ne se prononcent pas.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Nous avons réalisé une comparaison entre le recours à l'ingénierie territoriale en 2017 et désormais. Nous constatons deux évolutions majeures. En matière d'ingénierie, la part du département a progressé entre 2017 et 2021, passant de 28 % à 33 %. La part des prestataires privés a diminué, celle de l'intercommunalité a crû (de 20 % à 25 %) et les autres structures (commune, région, structures parapubliques) ont régressé. L'évolution se fait donc au profit d'un duo : le département et l'intercommunalité.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Ceci démontre une dilution de la compétence d'ingénierie territoriale entre l'ensemble des acteurs publics, parapublics voire privés. Cette dilution n'est pas contrebalancée par la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui n'émerge pas dans les territoires. A peine un élu sur deux la connaît, et seuls 10 % font appel à ses services.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - S'agissant du contrôle de légalité, on constate une affirmation de la transmission dématérialisée des actes soumis au contrôle de légalité. Pour 76 % des élus, leur commune l'utilise. Celle-ci est considérée comme utile (90 %), rapide (90 %), au coût limité (14 %) et efficace (77 %). Ce fonctionnement dématérialisé est donc rentré dans la norme.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - S'agissant de l'appréciation du contrôle de légalité mis en oeuvre, les représentants de l'État considèrent que celui-ci est protecteur pour les collectivités territoriales à 93 %. Les élus se sentent à 70 % protégés par la mise en place de ce contrôle qui légitime les décisions qu'ils prennent. En revanche, les élus locaux pensent à 40 % que ce contrôle de légalité est contraignant et les représentants de l'État sont 53 % à le penser également. Cependant, 33 % des fonctionnaires ayant répondu ne sont pas d'accord sur le fait que le contrôle de légalité est un axe de contrainte : ils estiment qu'il est plutôt un axe de protection des élus locaux.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Nous avons toutefois identifié quelques limites. D'abord, on constate un contraste dans l'appréciation de l'efficacité du contrôle de légalité. Celui-ci serait efficace pour 60 % des préfets et sous-préfets, mais seulement 40 % des élus. Parmi ces derniers, plus de 60 % ne connaissent pas la technique du rescrit et seulement 7 % l'ont utilisée. Enfin, bien que les préfets et sous-préfets reconnaissent l'intérêt du contrôle de légalité, 74 % disent n'avoir pas suffisamment de moyens pour contrôler les actes des collectivités. Cette proportion fait apparaître une véritable dichotomie entre la perception de l'utilité et l'absence de moyens.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Nous observons, sur ce contrôle de légalité, de réelles différences d'appréciation entre les élus et les représentants de l'État. Nous leur avons posé la question de savoir s'il fallait réduire le nombre d'actes soumis au contrôle de légalité. Du côté de l'État, la réponse est claire : les représentants sont opposés à cette réduction et considèrent que le contrôle de légalité est nécessaire car il permet de garantir l'unité de l'État sur les territoires. Pour les élus locaux, en revanche, l'approche est plus partagée. Certains estiment qu'il est nécessaire de réduire ces contrôles de légalité, et d'autres, presque aussi nombreux, qu'ils doivent être maintenus tels quels. Nous avons également demandé si cette réduction pouvait être compensée par des démarches d'autocontrôle de la légalité des actes. Les réponses sont plus homogènes entre les élus et les représentants de l'État. Environ 40 % y sont favorables. Pour les représentants de l'État, la moitié est tout à fait d'accord et l'autre ne souhaite pas cette innovation.

À la lumière de ces différentes analyses, l'objectif est de construire un certain nombre de préconisations pour tenir compte de cette approche et formuler des propositions sur cette demande de simplification et d'un meilleur accompagnement.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci à tous deux pour ce travail d'une grande richesse, qui nous conforte dans les doutes que nous pouvions avoir sur un certain nombre de sujets. Ce regard croisé des élus et des préfets est très intéressant.

Je souhaiterais mentionner quelques points qui m'ont particulièrement frappée, notamment cette idée de doublons entre les services de l'État et les collectivités, ainsi que l'articulation entre une mission telle que la santé, répartie entre l'État au niveau régalien et les territoires. Vous avez en outre évoqué le démembrement des fonctions de l'État par le biais d'agences autonomes, ainsi que la difficulté pour un élu local de trouver le bon interlocuteur. Rémy Pointereau, dans son rapport sur la simplification en matière d'urbanisme, avait évoqué l'idée que, quand un dossier fait appel à plusieurs services de l'État, le préfet ou le sous-préfet puisse désigner un interlocuteur ayant pour fonction de coordonner et simplifier l'avis de l'État.

S'agissant du recours à la dématérialisation, il est frappant de constater que 24 % des collectivités n'y ont pas recours. Cela s'explique-t-il par des difficultés de connexion ou parce que certaines collectivités ont recours à un secrétaire de mairie ?

Sur le sujet de la richesse du sous-préfet, nous avons, dans mon département d'Ille-et-Vilaine, un préfet de département qui est également préfet de région, avec un secrétaire général de préfecture qui est également sous-préfet d'arrondissement. J'observe une claire différence entre les élus des arrondissements qui bénéficient d'un sous-préfet qui peut s'y consacrer et les autres, qui n'ont pas d'interlocuteur propre.

En ce qui concerne le pouvoir réglementaire, dont nous avons beaucoup parlé dans le cadre de 3DS, il se pose un sujet sur la souplesse en matière de pouvoir réglementaire local, avec les principes de précaution, de responsabilisation voire d'égalité.

Des collègues ont manifesté leur souhait de prendre la parole.

M. Charles Guéné. - Merci Madame la Présidente, et merci à nos rapporteurs pour leurs conclusions très intéressantes à deux niveaux : d'une part, la relative convergence entre l'État de proximité et les élus et, d'autre part, une modestie dont nous devons faire preuve à propos des effets des réformes que nous avons menées. De plus, contrairement à ce que beaucoup disent, il apparaît que d'autres réformes seraient nécessaires, à condition qu'elles soient bien menées.

Concernant le contrôle de légalité, le fait que les élus le trouvent contraignant n'est-il pas le résultat de l'application des textes et règlements ? Ce dispositif est très protecteur. Un certain nombre de nouveaux élus doivent trouver ce contrôle contraignant, souvent parce qu'ils ne connaissent pas les textes.

Sur l'ingénierie territoriale, je souhaiterais rappeler que l'ANCT est relativement jeune. Une proposition de loi de Philippe Bas vise à redonner plus de pouvoir aux collectivités via une nouvelle ANCT. Nous devons également nous interroger sur le fait que si l'ANCT vise à apporter de l'ingénierie, elle a aussi vocation à inciter les collectivités à appliquer les politiques d'Etat. Par ailleurs, l'ANCT ne coûte pas cher aux collectivités. En revanche, selon l'adage « qui commande paie », si nous changeons le mode de fonctionnement de cette agence, nous devrons apporter nous-mêmes des moyens. Il est en outre intéressant de constater qu'un mouvement se dessine d'une ingénierie passant aux mains des départements et des intercommunalités.

M. Bernard Delcros. - Merci à nos collègues pour ce travail très intéressant. J'aurai donc deux questions : d'une part, avez-vous pu identifier des écarts entre les réponses apportées par les élus des petites communes et ceux des plus grandes ? D'autre part, avez-vous trouvé des exemples concrets de compétences que l'État devrait abandonner ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Sur la question de la dématérialisation, soulevée par Madame la Présidente, beaucoup de collectivités locales qui n'y recourent pas car elles ne sont pas dotées du logiciel Acte, notamment les plus petites communes. Un enjeu important porte donc sur le financement de ces communes pour qu'elles puissent acquérir ce logiciel.

S'agissant du contrôle de légalité, les élus locaux le jugent trop contraignant parce qu'ils n'y trouvent pas ce qu'ils recherchent, à savoir l'accompagnement dans leurs projets. Nous l'avons largement entendu dans nos différentes auditions. Cet accompagnement intervient en effet a posteriori, lorsque les décisions sont prises, dans une vision contraignante. Les élus locaux sont en demande d'un accompagnement en anticipation sur les prises de décision. Ils n'ont effectivement pas connaissance de toutes les lois auxquelles ils pourraient recourir pour les aider à porter leurs projets.

Enfin, en ce qui concerne l'ingénierie territoriale, il ressort très clairement de l'étude une dilution et des doublons de compétences. Les réponses sont variables d'une taille de collectivité à l'autre, mais tout le monde fait de l'ingénierie territoriale. Ce phénomène pose une autre question : quel type d'ingénierie pour quel type de projet ?

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Sur la question des données, réaliser un questionnaire suppose de gérer la frustration. Une question ouverte était posée en fin de questionnaire. Nous pourrons reprendre quelques verbatim, qui illustrent l'état d'esprit de certains élus locaux.

Les plus petites communes ont davantage répondu que les plus grandes. Nous ne nous inscrivons pas dans une logique d'échantillon représentatif, mais d'enquête. Pour répondre à votre question, les différences entre strates permettent d'établir trois catégories : moins de 1 000 habitants, 1 000 à 5 000 habitants et 5 000 habitants. Il s'agit cependant de la seule variable significative pour trier les réponses. Ainsi, l'âge, le sexe ou le rôle ne jouent que très peu. Nous devrons par la suite affiner l'analyse, car il est possible de mettre à jour de réelles différences d'appréciation et de besoin, qui permettront d'approfondir le rapport.

S'agissant du contrôle de légalité, je rechercherai une éventuelle variation en fonction de l'âge et de l'ancienneté dans le mandat.

Mme Patricia Schillinger. - Merci pour ce rapport très intéressant, qui s'inscrit dans la réalité du terrain. Les préfets ont également en charge la question du transfrontalier. Ils sont parfois donneurs d'ordre, comme nous l'avons vu ces trois dernières années. Les petites communes sont sous tension et reçoivent des messages très tardifs, quand les mairies sont fermées. Le surplus d'information est également néfaste. Concernant les logiciels, un maire m'a fait part du désarroi de sa secrétaire de mairie. Les charges ont considérablement augmenté ces trois dernières années, et l'intercommunalité n'est pas toujours une aide. Par ailleurs, le préfet pourrait se décharger d'une partie des informations à travers l'association des maires, ce qui ne se fait pas systématiquement.

M. Charles Guéné. - Nous nous apercevons qu'au niveau de l'ANCT, les préfets n'ont pas fait leur travail. Ils sont en effet supposés étudier l'ingénierie sur leur territoire et s'organiser avec les élus. Dans mon département, nous avons considéré que l'ingénierie juridique et financière était assurée par l'association des maires de France (AMF). Nous sentons ici que l'ANCT ne remplit pas son rôle, ou que les préfets sont réticents pour en être les organisateurs.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Sur la question de l'ANCT, nous voyons qu'il serait nécessaire de coordonner la réponse de l'ingénierie. Nous n'avons pas trouvé de territoire exemplaire, où nous serions à la fois en capacité d'assurer un recensement complet de l'offre et de spécifier la forme d'ingénierie, pour en informer ensuite les élus locaux. Tout est aujourd'hui opaque. Cette observation vaut à la fois pour les petites communes et celles de taille intermédiaire. Ceci pose une question de fond : celle de la place du préfet dans le département et de sa maîtrise sur l'ensemble des services dévolus dans son département.

En réponse à Patricia Schillinger, je n'ai pas beaucoup d'éléments sur le transfrontalier. Les acteurs que nous avons auditionnés n'ont pas soulevé ce sujet. Celui-ci va de pair avec la demande d'adaptation de l'organisation de l'État territorial aux spécificités des territoires.

S'agissant des petites communes submergées par les tâches, ce constat est effectivement récurrent. Les communes doivent à la fois s'adapter aux outils numériques et suivre l'évolution constante des normes.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Il se pose également une question de montée en qualification, que ne peuvent pas toujours suivre les secrétaires de mairie, qui sont déjà surchargés.

En ce qui concerne l'ingénierie territoriale, si celle-ci manque, il est difficile de savoir où précisément. Le directeur du Cerema nous indiquait que de grandes collectivités peuvent avoir besoin de ses services sur des points d'investigation extrêmement ponctuels et précis, en fonction de l'expertise manquant à ces collectivités.

Par ailleurs, la question de la géographie a été indirectement abordée. Des données démontrent que la distribution des agents de l'État n'est pas liée à la démographie des départements et que certaines inégalités persistent, nous ne parvenons pas à les corriger. Certains départements ruraux sont suradministrés, alors que des départements urbains manquent de renforts. Il n'est donc pas possible de raisonner de manière uniforme en la matière. De surcroît, lors d'une ou deux auditions, il nous a été indiqué que certains départements pouvaient certes être considérés comme peu peuplés, mais pour autant, l'histoire administrative des services de l'État a conduit à leur faire bénéficier d'une bonne expertise.

Mme Michelle Gréaume- Je souhaitais revenir sur la dématérialisation et ses limites. La première est liée à un problème de connectivité. Je souhaiterais également mentionner l'isolement des secrétaires de mairie, qui manquent parfois de formation. Il existe d'ailleurs une crise pour recruter des secrétaires de mairie compétentes. Ces personnels souffrent d'une forme de déshumanisation, qui devient insupportable. Si une proximité avec la population est nécessaire pour un certain nombre de sujets, pour tous les points plus complexes, comme la comptabilité, des plateformes de travail pourraient-elles permettre aux secrétaires de mairie d'échanger sur leurs pratiques et de s'entraider ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - C'est une très bonne idée. Nous faisons en effet ce constat dans de nombreuses mairies. Les secrétaires de mairie sont seules et entretiennent un binôme très fort avec le maire.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Il existe des possibilités, cependant très peu exploitées : dans le cadre intercommunal, il est possible d'organiser des services communs. Ceci suppose cependant de révéler l'activité de la commune, donc ses difficultés. La coopération se met dès lors difficilement en place. Des rapprochements peuvent se faire jour, par le biais de secrétaires de mairie partagées entre plusieurs communes. Les pools posent un risque juridique, financier, voire pénal pour les maires. Cet enjeu est essentiel.

Mme Françoise Gatel, présidente. - La solitude du ou de la secrétaire de mairie, qui doit être polyvalente, est un véritable sujet. De plus, l'appétence pour ces emplois ne cesse de diminuer. Les personnes préfèrent les structures intercommunales ou les grandes collectivités, qui présentent des possibilités d'évolution et des conditions financières et de protection plus favorables. L'intercommunalité pourrait être l'employeur, tout en s'assurant que le temps de travail de la personne est dédié à la mairie, en garantissant le secret et l'autonomie de la commune.

M. Bernard Delcros. - Je souhaitais revenir sur la question de la réalité de certains territoires ruraux suradministrés. Pour mesurer le phénomène, il n'est pas pertinent de ne retenir pour seul critère que le nombre d'habitants. Il est nécessaire de prendre l'habitude d'intégrer d'autres critères, de densité et de spatialité par exemple.

M. Lucien Stanzione. - S'agissant des secrétaires de mairie, au-delà des intercommunalités, il se pose la question du rôle des centres de gestion des communes, du point de vue du partage des secrétaires et de la formation qu'ils doivent assumer. Ces centres de gestion peuvent être des outils très intéressants.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Nous vous présentons aujourd'hui un constat. Vous disposerez des solutions dans quelques mois. Nous souhaitions vous proposer un retour factuel, sur la base d'enquêtes, qui représentent une matière précieuse, eu égard au taux de réponse, tant chez les élus locaux et les représentants de l'État.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - À chaque fois que nous pourrons le faire, nous mettrons en lumière les variations par type, par strate, par ancienneté voire par fonction (préfet et sous-préfet).

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci pour le travail de fond que vous avez effectué et pour l'argumentation objective que vous apportez à ce qui pourrait, sinon, relever du seul ressenti. Nous auditionnons demain matin François Sauvadet au titre de sa présidence de l'Association des Départements de France (ADF), puis, dans le cadre du suivi de l'agression sur les élus, Madame Adeline Hazan, qui a été maire de Reims et contrôleur des lieux de privation de liberté. Elle était magistrat et elle est l'auteure d'un rapport sur les relations entre le parquet et les élus locaux. Nous auditionnerons en outre le Garde des Sceaux mercredi prochain, à la suite des questions d'actualité au gouvernement.

Merci à tous.

L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée à 18 heures.

Jeudi 17 février 2022

- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Audition de M. François Sauvadet, président de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Mme Françoise Gatel, présidente. - Monsieur Sauvadet, vous êtes le nouveau président de l'Assemblée des départements de France depuis les dernières élections départementales de juin de 2021, et une référence en matière de collectivités territoriales, dont vous avez exercé toutes les fonctions. Vous avez cette particularité d'avoir incarné cette République sur ses deux piliers qui est chère au Sénat, puisque vous avez été ministre de la fonction publique, et avez porté sur les fonts baptismaux la loi qui porte votre nom, relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique. Député, maire, vos points de référence et de comparaison sont nombreux.

Notre délégation entretient une relation étroite avec toutes les associations d'élus, tout particulièrement avec l'Assemblée des départements de France. Nous avons fait un travail important récemment au sujet de la loi 3 DS, et depuis les dernières élections territoriales, avons souhaité rencontrer les présidents des associations. Le président de l'AdCF et le président de l'Association des maires vous ont précédé, et la présidente de l'association Régions de France vous succèdera.

Nous vous proposons de faire un tour d'horizon de la situation des départements, dans ses aspects financiers bien sûr, mais également s'agissant de l'évolution de leur rôle, dans le contexte de la montée en puissance de leurs compétences sociales. Le Sénat a beaucoup travaillé sur la loi 3 DS, notamment sur la base de ses « 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales», mais nous sommes un peu restés sur notre faim s'agissant de certaines questions importantes.

La médecine scolaire en est une. En effet, il ne peut y avoir de politique volontariste en matière de protection de l'enfance si la médecine scolaire ne retrouve pas un bon niveau de performance et d'efficience, parce qu'elle seule permet de capter ces enfants susceptibles de passer sous les radars de la médecine de ville. Il ne s'agit pas de mettre en cause les personnels, mais ils sont démunis en matière de solutions alors que nous savons que les départements ont à la fois les réponses, un savoir-faire et la proximité. Le transfert de la médecine scolaire au département suppose que les transferts financiers soient bien étudiés, puisqu'on ne peut pas transférer à une collectivité un service un peu indigent, faute de moyens, et lui demander d'atteindre un niveau de performance, sans compenser financièrement. Cette attente est-elle partagée par vos départements ?

Deuxième point, nous entendons beaucoup d'interrogations qui viennent du terrain sur une politique volontariste en matière d'école inclusive, mais qui pose de vraies difficultés de réalisation concrète, puisque les prescriptions pour des enfants atteints de handicaps sont souvent faites par les MDPH, puis dépendent en termes de moyens des budgets que l'ARS donne à l'Education nationale. Dans mon département, l'ARS prend sur le budget des EHPAD pour accompagner l'école inclusive.

Nous avons également un vrai sujet avec le temps périscolaire, c'est-à-dire le temps du midi, le temps de la garderie qui sont des nécessités, parce qu'aucun enfant ne peut être scolarisé s'il n'est pas à la cantine. Ce temps périscolaire appartient à la collectivité et il appartient donc aux communes de trouver des personnels accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et de les financer. Financer n'est peut-être pas le sujet sur la durée du service du déjeuner, mais comment trouver des personnes qui accepteront de travailler une heure et demie par jour pour une durée d'un an ou deux ? Y-a-t-il, au niveau des départements, des réflexions autour de l'école inclusive, notamment sur la professionnalisation de personnels qui pourraient offrir un service aux communes ?

Nous avons aussi travaillé sur les gestionnaires de collège, à partir d'un principe sacré si je puis dire, « celui qui décide paie ». Nous savons les responsabilités des présidents de régions et de départements en matière d'alimentation dans les collèges et les lycées et nous pouvons difficilement comprendre que vous soyez en difficulté pour exercer ces obligations faites par la loi, ou, en tout cas, que vous dépendiez du bon vouloir de personnels d'État.

Derniers points marquants, la défense incendie, qui a beaucoup occupé notre délégation, et la question de l'efficacité de la relation entre les collectivités et l'administration territoriale de l'État. Éprouvez-vous, comme nous l'avons défendu au Sénat, l'urgence et la nécessité d'une déconcentration à l'échelon départemental pour les services de l'État ?

M. François Sauvadet, président de l'Assemblée des Départements de France (ADF). - Le Sénat est à l'origine de nombreuses avancées dans la loi 3DS, auxquelles nous avons préféré participer en travaillant avec vous, plutôt que de récuser l'ensemble du texte, bien qu'il ne soit pas le grand texte de simplification et d'efficacité de l'action publique que nous attendions. Les améliorations ont concerné plusieurs thèmes : les gestionnaires de collèges, les routes, l'habitat inclusif, un sujet qui va prendre de l'importance avec le vieillissement de la population. Rendez-vous compte qu'avec la loi NOTRe, alors que nous gérons les laboratoires départementaux qui garantissent la sécurité sanitaire de nos élevages, nous ne pouvions plus intervenir dans les groupements de défense sanitaire (GDS) ! Il y avait une incompréhension aussi avec les régions qui revendiquaient la présidence de l'ARS, et nous, qui sommes responsables du médico-social, n'avions même pas un strapontin dans la nouvelle organisation de la gestion des ARS. Heureusement, le gouvernement a compris qu'il nous fallait au minimum une vice-présidence. Cela dit, en raison de ses avancées, je me réjouis que cette loi insatisfaisante ait tout de même été votée.

Quel que soit le futur président de la République, un sujet essentiel va se poser : comment s'organiser pour mieux agir pour les Français et mettre fin à l'incompréhension sur notre capacité à agir ? Ma conviction profonde est que le nombre de nos maires est une chance pour la France. Dans ma circonscription, qui compte pratiquement 350 communes et qui fait la moitié d'un département, lui-même 4ème département français par la superficie, j'ai pu mesurer la chance d'avoir ces relais locaux pendant la crise des gilets jaunes, puis la crise sanitaire. A cet égard, on n'échappera pas à la nécessité de revoir le socle de compétences. Les citoyens ont le sentiment que leur vote, même local, n'a aucun impact sur leur vie. Ce problème démocratique français pose directement la question de l'efficacité de l'action publique

Quand j'ai été élu président des départements de France, nous avons mobilisé l'ensemble des conseillers et conseillères départementaux en organisant des Assises, pour mettre en valeur cette force territoriale qui a été redécouverte à l'aune des crises successives. Plus on éloigne le pouvoir de décision de nos compatriotes, puis on fragilise la démocratie. Le maire et le président des départements de France sont « à portée de baffe », et ce contact avec le peuple nous permet de savoir ce qu'il attend de nous. Aujourd'hui, nous avons besoin d'une clarification des chefs de file. Il en faut un et un seul, avec, autour, une périphérie à 360° qui intègre toutes les problématiques, avec tous les intervenants. L'idée qu'on va dédier une compétence avec un financement et que ce problème sera réglé pour la France est révolue. Il faut revoir les lois NOTRe et MAPTAM.

Regardez les transports scolaires. Sur le papier, tout est beau : à la région, la mobilité ; aux communautés de communes, quelques compétences ; aux départements, la carte scolaire. Concrètement, j'essaye, dans mon département, de maintenir les collèges territoriaux. J'organise une carte scolaire avec les maires, et puis j'appelle le président de région : « Allô, monsieur, madame la présidente de région, comment fait-on pour le transport scolaires ? « On ne finance pas ! », répond la région. Que peuvent y comprendre nos compatriotes ? « Mettez-vous d'accord ! », nous demandent-ils avec raison. Mais que pouvons-nous faire ? Autre sujet, les EHPAD. Un livre vient de paraître et on vient nous voir pour nous demander ce que nous faisons. Mais nous n'avons pas la main sur les EHPAD ! Qui sait que les contrôles sont diligentés par l'agence régionale de santé (ARS) ? Et où était l'ARS pendant la crise du covid ? A maintes reprises, je les ai sollicités pour aller faire des contrôles sur la situation dans les EHPAD : il n'y avait personne ! La protection des enfants est du ressort du juge. Comment fait-on lorsque nous lui signalons une victime de faits de prostitution et qu'il déclare les faits non constitués ? J'ai connu dans mon CHU de Dijon des faits de violence en pédopsychiatrie, le personnel s'est mis en déport et le service a été fermé. Que fait-on des jeunes ? La réponse aux problèmes psychiatriques n'est pas rendez-vous, donc l'État vient nous dire « il faudrait recentraliser », comme si les recettes d'antan étaient la réponse aux problématiques territoriales. On se refuse à mettre à plat les problèmes qui se posent à la société française, voilà ma conviction profonde. Il faudra bien, pourtant, répondre aux attentes des Français. Nous avons besoin de chefs de file clairement identifiés. Je veux des chefs de file de l'action médico-sociale, je veux rendre des comptes et que l'État vienne contrôler, parce qu'à force de diluer les responsabilités et de chercher des boucs émissaires partout, on finit par donner le sentiment d'une impuissance publique. C'est mortifère pour la démocratie, parce que les gens ont le sentiment que nous ne sommes pas capables de nous mettre d'accord, alors que la question est celle d'avoir des chefs de file, qui soient en situation de prendre leurs responsabilités. Ce débat-là, mesdames et messieurs les sénateurs, est devant nous. Il faudra l'aborder, non pas simplement sous l'angle des compétences qu'on doit partager. Sur les grands cantons, l'idée de faire grand pour faire plus efficace est une idée mortifère et folle qui n'est plus actuelle. Au contraire, il faut réinventer la proximité, et, au-delà des questions de compétences, s'interroger sur l'exercice des responsabilités. Nous avons un travail de fond à faire. J'en ai parlé avec la présidente des régions, Carole Delga. « L'économie, c'est nous », clame-telle. Qu'est-ce à dire pour le maire de Marigny-le-Cahouët quand il est confronté à des problèmes d'immobilier local ? Les communautés de communes en milieu rural étant exsangues financièrement, on dit qu'on va créer un lien avec la région. Mais ce qui vaut pour Aix-Marseille ne vaut pas pour la communauté de communes de Semur-en-Auxois !

J'entends également dire qu'en ce moment les départements se portent bien financièrement. Permettez que je pèse mes mots : la situation est explosive ! Les droits de mutation qui sont une de leur ressource très importante ont certes augmenté avec l'exode urbain, chez moi de 30 %, mais ce trend ne durera pas, il suffit de regarder les cycles. Dans mon département, les droits de mutation, qui représentent aujourd'hui 100 millions d'euros, sont descendus à 35 millions pendant la crise de 2008. Pour faire face à mon budget de 680 millions, j'ai besoin de 45 à 50 millions d'euros sur ces droits, ou alors, je dois diminuer l'aide aux communes. Or, les départements sont le premier financeurs des communes et des territoires -patrimoine, routes...-. Nos dépenses sont exponentielles, le gouvernement nous met sous tutelle. Chaque fois qu'il y a un problème, il nous dit : « Je suis là, je vous dis ce qu'il faut faire, je vous donne 3 francs 6 sous, et puis c'est vous qui allez payer durablement les additions ». On nous dit que la France va mieux, c'est vrai pour le taux de croissance mais c'est un taux de rattrapage, c'est faux en termes de déficit public, sans compter que le « quoi qu'il en coûte » coûtera, surtout si les taux d'intérêt remontent. Or, nous n'avons plus de marge de manoeuvre. En 2008, quand les droits de mutation sont tombés à 35 millions, nous avions quand même le levier fiscal. Sans ce levier, comment ferons-nous demain si nous devons faire face à une déprime ? Quand j'entends dire qu'il y a de l'argent dans les départements, dont le train de dépenses va en augmentant, je crains le pire. L'actualité fait que nous sommes à la veille de la conférence des métiers du social. Le Ségur de la santé a fait beaucoup d'oubliés et généré de l'incompréhension dans les métiers du social. Dans mon département, j'ai 400 postes vacants dans le métier du social, et je ne les trouve pas ! Il n'y a plus personne pour les services publics de l'enfance, le maintien à domicile, les EHPAD. Nous n'avons pas du tout été associés au Ségur de la santé, qui, d'ailleurs, n'a fait qu'aggraver la situation. Je suis extrêmement critique à l'égard du ministre de la Santé et de cette structuration des ARS avec des sortes de préfets de santé qui se prennent pour des pro-consuls sanitaires.

Nous avons un objectif commun, qui était d'ailleurs le thème de nos assises : « Comment mieux agir pour les Français ? » Quel est le bon périmètre d'action ? Vous avez parlé de la déconcentration. L'État a tendance à considérer les départements comme des services extérieurs de l'État. Il a bien compris une chose, c'est que l'échelon départemental est le bon échelon pour agir. L'échelon territorial sera donc renforcé, vous avez vu qu'aujourd'hui les préfets sont mis à toutes les sauces : dans le domaine de l'eau, ils vont émettre un avis au sein des comités de bassin, qui sont très critiqués, ce qui est d'ailleurs, j'attire votre attention là- dessus, un vrai problème. J'ai présidé un comité de bassin en Normandie pendant quelques années, je peux vous dire qu'ils sont très utiles et que le jour où les élus locaux, les professionnels agriculteurs, etc. ne seront plus impliqués dans les politiques de l'eau, je n'ose pas imaginer ce qui se passera avec un ministère de l'Écologie et quelques hauts fonctionnaires formatés, avec tout le respect que je leur dois, dont le rythme n'est pas tout à fait celui souhaité par les élus locaux, c'est-à-dire un rythme compatible avec la réalité du terrain.

Cette déconcentration était nécessaire, je l'ai souhaitée quand j'étais ministre de la fonction publique, mais en même temps, il ne faudra pas qu'on considère que les départements sont devenus des services extérieurs de l'État, parce que l'idée, c'est ça. Je pense profondément qu'un certain nombre de hauts fonctionnaires français n'ont pas renoncé à l'idée de la suppression des départements, et cela serait un véritable drame. Non pas que je sois départementaliste : j'ai été à la région, et j'ai assez de recul maintenant. Prenons seulement garde à bien conserver nos départements comme structures d'action. Je ne dis pas cela pour préserver des boutiques, mais je pense qu'il y a une identité, une agilité de l'action publique dans les départements grâce à nos services qui sont partout présents - nos services routiers dans tous les cantons, nos assistantes sociales, nos collèges, etc.-. D'ailleurs, quand les régions ont commandé des masques à tout va, d'un seul coup on s'est demandé : comment va-t-on distribuer ces masques ? On était bien content, alors, de trouver les maires et les départements, car c'est nous, qui, avec nos camions, les ont apportés dans les mairies. Nous sommes une chance pour la France !

Il faudra qu'on soit très vigilants ensemble, pour défendre l'idée que nos compatriotes attendent de nous qu'on agisse pour répondre à leurs questions et aux problèmes qu'ils vivent au quotidien. C'est cela la question de fond : « Comment mieux agir pour les Français ? » Quel est le bon échelon pour agir ? Je ne souhaite pas prendre les compétences des régions, simplement qu'on nous permette d'agir dans l'autonomie et la liberté. Aujourd'hui, j'ai le sentiment d'être entravé. Rendez-vous compte, je suis propriétaire d'une ressource « eau » dans mon département. J'ai le droit de produire de l'eau brute mais, tenez-vous bien, je n'ai pas le droit de produire de l'eau potable. Cette ressource représente 30 % de la ressource en eau de la métropole dijonnaise et le département manque d'eau ! Il faudra se saisir de ces sujets essentiels. La loi climat est mortifère pour les problématiques de développement territorial : aujourd'hui, on va chercher de l'eau à la campagne, on la ramène en ville, elle va coûter moins cher en ville, et le prix de l'eau va exploser dans les campagnes où elle sert aux élevages ! La conférence des métiers du social a lieu demain, j'ai dit au premier ministre que je ne souhaitais pas que l'on refasse les erreurs du Ségur de la Santé, qui n'a même pas accordé la prime santé aux médecins coordonnateurs des EHPAD. Depuis, j'ai demandé à ce que la prime soit étendue à tout le monde, nous travaillons avec le gouvernement pour avancer sur ce sujet. Sur tous ces sujets, je vous dis ma disponibilité totale pour travailler ensemble.

M. Laurent Burgoa. - Je me réjouis de cette défense enthousiaste des départements. La protection de l'enfance est un sujet sensible pour les départements, notamment du point de vue financier puisqu'ils supportent notamment la partie évaluation et mise à l'abri, qui devrait redevenir une compétence de l'État. Quelle est votre position à ce sujet ? Que pensez-vous également de l'interdiction pour les mineurs accompagnés d'être logés à l'hôtel au-delà de deux mois ? M. Charles Guéné. - Je partage totalement votre vision sur la stratégie de remise en cause de la dépense publique ainsi que la dimension de proximité idéale du département. On ne peut pas couper les compétences à la hache pour résoudre les problèmes, et il va falloir travailler sur la notion de chefs de file. En réalité, on sent bien que ce qui est cause dans la dépense publique, ce n'est pas tant le partage des compétences que les doublons de services, quand ce ne sont pas des triplons, avec des services avec l'État, et que c'est ce sujet-là qui est cause de dépenses publiques, plus que les élus eux-mêmes. Quelle serait une bonne méthode pour, disons, ciseler ces chefs de file, leur donner de la souplesse notamment ? Comment règlera-t-on, demain, ces histoires de compétences ? Nous pensons qu'il faudra bien que les régions et les départements se mettent autour d'une table et nous fassent des propositions. Bien sûr, le Parlement arbitrera, mais pour nous, la solution se trouve chez vous.

S'agissant des ressources, on nous a expliqué que les DMTO étaient très aléatoires. Quant au retour de l'autonomie fiscale, nous n'y croyons guère. Qu'avez-vous décidé sur ces aspects ?

Mme Céline Brulin. - S'agissant la défense incendie, il apparaît que dans certains départements, les dépenses des communes pour la mise en conformité sont absolument insoutenables, jusqu'à la totalité du budget d'investissement du mandat. Il apparaît également qu'un équipement plus important des SDIS pourrait répondre aux exigences de défense incendie. Il ne s'agit pas de se renvoyer la « patate chaude », mais pour vous, est-ce une hypothèse de travail ?

Quelle est, en outre, votre vision d'une éventuelle réforme de la fiscalité locale dans le contexte financier des départements que vous avez évoqué et que nous sommes nombreux à partager ?

M. François Sauvadet. - Nous avons un vrai problème d'accueil d'urgence, et un débat interne sur la question de savoir s'il revient à l'État de déterminer si une personne est mineure ou majeure. J'ai beaucoup travaillé avec le parquet, notamment au sujet des tests osseux pour savoir s'il s'agit de vrais mineurs ou pas, mais il y a des différences d'appréciation sur les tests selon les parquets et les procureurs. S'agissant de la question de l'hôtel, je comprends le principe, mais que fait-on en cas d'afflux massif quand on n'a pas de places pour héberger tout le monde ? Nous avons d'abord protégé les jeunes femmes, donc évité de les mettre à l'hôtel, on a mobilisé toutes les places disponibles, mais quand vous avez des afflux massifs comme on a connu il y a 2/3 ans, évidemment que la protection passe par le recours à l'hôtel. C'est bien de fixer les principes, mais après comment fait-on ? Nous nous sommes organisés et en général, le temps de séjour à l'hôtel a été extrêmement court, mais il y a des départements qui étaient confrontés à des flux de migration de mineurs non isolés (MNA) insoutenables. Depuis, la situation s'est améliorée pour eux, mais d'autres sujets surviennent : certains jeunes se sont intégrés, ils ont un travail, mais l'obtention de papiers est si difficile qu'il arrive que le contrat de travail soit rompu, alors que le jeune est motivé, et qu'il occupe un emploi dans un secteur en tension !

Avec Carole Delga, nous sommes unis pour dire que nous voulons une République des territoires qui soit respectée, et qu'on ne bâtira rien de solide si on ne travaille pas avec les élus locaux. Bien sûr, il y a des divergences d'approche avec les régions qui cherchent une légitimité politique par l'action territoriale. Quand la région est dans une démarche politique et qu'il n'y a pas de bienveillance vis-à-vis du département, cela peut vite devenir conflictuel. C'est pourquoi il faut toujours partir du citoyen, de son incompréhension face à certaines situations, et être extrêmement pragmatique. La bienveillance au service des citoyens est nécessaire mais il faut aussi des chefs de file, et moi je souhaite travailler avec vous, Mme la présidente, avec Mesdames et Messieurs les sénateurs, avec les régions également. Tout ne dépend pas de nous, on le voit bien avec l'intrusion des politiques d'État dans tous les domaines qui sont des compétences départementales, avec un président de la République qui nous explique qu'il ne peut y avoir 102 politiques sociales. Comment peut-on traiter de la même façon les problèmes sociaux de la Seine-Saint-Denis et de la Creuse ? Il faut donner à chaque département les moyens de faire face aux responsabilités qu'on leur confie. L'idée de recentralisation du RSA est un non-sens : comment séparer la prestation de solidarité des droits et devoirs y afférents, c'est-à-dire du chemin pour sortir de cette situation ? C'est invraisemblable ! Si la Seine-Saint-Denis demande la recentralisation du RSA, c'est qu'elle ne sait plus faire face. L'État ne peut pas s'exonérer de la solidarité nationale s'agissant de prestations. Il faut donner à chaque département, quel que soit son potentiel, les moyens de faire face à la solidarité décidée au plan national, et qu'ensuite on nous laisse agir au plan territorial, en proximité, pour apporter la bonne réponse à la personne.

Nous avons aussi besoin des parlementaires et de leur regard. Dans un premier temps, nous demandons un peu de liberté sur les droits de mutation, c'est logique car nous n'avons plus de levier : sur quoi jouer en cas de difficultés ? Cela ne passe pas. Il faudra donc réfléchir à une rénovation des ressources, car pour l'instant toutes les dotations de la TVA sont pro-dynamiques, c'est-à-dire que dans une situation de repli, vous avez le double effet « kiss cool » : des dotations qui sont récessives en période de crise, aucun levier pour agir, et des droits de mutation qui ne sont pas au rendez-vous !

Avec le changement climatique, il y a également un vrai sujet « incendie ». Au-delà du matériel, il va falloir mettre en place des processus d'intervention et de mutualisation. Quand vous avez un problème grave, par exemple une inondation, tout le monde appelle en même temps et les services sont vite saturés. Nous travaillons activement avec la sécurité civile sur des stratégies d'appel et la structuration de dimensions d'appel. Les pompiers coûtent cher, mais il faut se battre pour préserver le modèle français, avec des sapeurs-pompiers volontaires et des professionnels.

M. Didier Rambaud. - Le département est un bel outil de solidarité sociale, territoriale et de proximité, mais son avenir dépendra de la façon dont seront posées les questions de l'évolution de sa gouvernance et de son mode de représentation. J'ai été élu départemental à quatre reprises, une fois conseiller départemental et trois fois conseiller général, et, dans le passage de l'un à l'autre, j'ai pu observer la dilution de la fonction. Les intercommunalités montent en puissance et sont maintenant bien inscrites dans le paysage administratif, malgré, ici ou là, quelques questions de périmètre. Le département ne devrait-il pas finalement devenir une fédération des intercommunalités ? Lorsque j'étais conseiller départemental dans un canton de 15 000 habitants pour 13 communes, nous avions un vrai rôle d'animateur de développement local. Lorsque le canton est passé à 45 000 habitants pour plus de 32 communes, la fonction, à cheval sur quatre intercommunalités, a été complètement diluée. De ce point de vue, le binôme ne me paraît pas une franche réussite, même s'il a eu l'avantage d'avoir introduit la parité dans les assemblées départementales.

M. Hervé Gillé. - Je partage votre point de vue sur l'affirmation des chefs de file, mais il faut voir comment on les décline et comment on les rend effectivement lisibles. C'est tout un travail, qui doit inclure une notion très intéressante, qui est celle de la subsidiarité. Seriez-vous favorable à des contrats de coopération territoriale, par exemple entre la région et les départements ? Il me semble qu'ils permettraient de gagner en lisibilité dans les différents niveaux de coopération territoriale, y compris au niveau des départements et des communautés de communes. Un exemple typique, le domaine médico-social et l'action sociale. Quelle offre de service minimal peut-on attendre une commune ? Comment s'inscrit-elle avec les services du département ? Comment organise-t-on la subsidiarité ?

M. Thierry Cozic. - Les députés Raphaël Schellenberger et Pacôme Rupin viennent de rendre un rapport relatif aux modalités d'organisation de la vie démocratique, dans lequel ils proposent de fusionner les départements et les régions, dans des périmètres régionaux proches de ceux qui existaient avant la réforme de la carte régionale de 2016. Il est vrai que les deux dernières années ont été très révélatrices de la dévitalisation rampante et lancinante que la majorité s'est employée à mettre en oeuvre. Le dernier projet de loi 3DS en est l'exemple même : il acte des transferts de compétences anciennement dévolues aux départements en direction soit la région, soit des intercommunalités, soit de l'État. Les diverses expérimentations donnent aussi un éclairage sur la volonté de dépossession du département, qu'il s'agisse de renationalisation du RSA ou encore de la proposition de loi de notre collègue sénateur Iacovelli qui prône la centralisation de l'ASE. J'ai le sentiment qu'on assiste peu à peu à la volonté d'attrition du champ d'action du département. La prochaine mandature ne risque-telle pas de sonner le glas du département ?

Mme Michelle Gréaume. - Le département est censé être la collectivité chef de file de l'action sociale. Dans les 102 propositions de l'ADF, il y a la volonté d'aller vers plus de différenciation territoriale, notamment en adaptant les normes nationales ou locales. Cela ouvre la voie à des règlements locaux et des prestations sociales différentes d'un département à l'autre. N'est-ce pas une grave menace sur l'égalité des citoyens devant la loi ? En ce qui concerne les ressources du département et la réforme de la fiscalité locale, avez-vous réfléchi à une nouvelle répartition des ressources ? Que faudrait-il aux départements pour sortir de cet épais ciseau, avec des dépenses sociales qui grimpent pendant les crises et des recettes qui diminuent ?

M. François Sauvadet. - Il y a beaucoup de débats sur le fonctionnement des intercommunalités, sur la place des maires et la reconnaissance de leur rôle dans l'intercommunalité, notamment s'agissant d'Aix-Marseille. Je ne suis pas favorable à ces histoires de fédérations d'intercommunalité. Nous avons une chance en France, ce sont nos maires et nos équipes municipales, présents sur tout le territoire, et ce lien de la République entre maire et département est véritablement fondateur. Allons-nous revenir à des situations antérieures ? On rêvait d'une France avec des grandes régions et des intercommunalités fortes, mais je ne suis pas favorable à ce schéma qui va éloigner les centres de décision et qui va désespérer aussi un certain nombre de maires.

Il faut qu'on renforce la coopération avec les intercommunalités parce que c'est un lieu d'action, mais celles qui n'ont pas de ressources propres vont se trouver confrontées à des problèmes financiers de même nature que ceux des départements. On leur promet des compétences qu'elles n'ont pas les moyens d'assumer et cela les effraie. A côté, les grandes intercommunalités des communautés d'agglomérations puissantes ont évidemment une autre vision.

S'agissant des contrats de coopération, nous travaillons avec Carole Delga à l'élaboration d'un cadre de coopération régionale-départementale. « Il faut rendre cela possible », me dit-elle. C'est une première étape, certes, mais je crains qu'en pratique, on ne se dirige vers des difficultés. Il faut vraiment que l'on ait des chefs de file et sur ce sujet, j'aimerais travailler avec vous, pour définir des socles de compétence.

Concernant les conseillers territoriaux, je vois bien ce qui est en train de se produire : on va nous faire une grande réforme en revenant au conseiller territorial, sur les régions, etc, et je n'y suis absolument pas favorable. La question centrale est celle de la proximité entre l'élu et le peuple. Dans le climat actuel, il faut se garder de tout bouleversement, et s'appuyer sur le socle de la République des territoires des maires, avec le département. A qui s'adresse un maire sinon à son sénateur et son conseiller départemental ? On ne sait même pas qui est conseil régional ! Le sujet central n'est pas une grande réforme territoriale, c'est celle du chef de file.

Concernant l'action sociale, une prestation est un droit qui doit être assurée partout sur le territoire départemental. L'État doit cesser de nous renvoyer à nos propres responsabilités sur des prestations qui relèvent de la solidarité nationale. Nous sommes le seul niveau de collectivité à avoir accepté une péréquation horizontale, c'est-à-dire que les départements qui avaient le plus de ressources participent à aider ceux qui en avaient le moins, nous l'avons fait de manière volontariste, mais cette situation a ses limites, et maintenant il faut que l'État assume sa responsabilité sur des prestations qui sont celles de solidarité nationale, qui s'agisse de l'APA ou du RSA.

Deuxième sujet, il ne faut pas confondre la prestation avec les conditions afférentes au droit. Quand vous êtes en Seine-Saint-Denis, les problèmes ne sont pas les mêmes qu'à Guéret, 45 000 habitants, dans la Creuse. Il faut une adaptation des politiques, et c'est pourquoi que je suis en désaccord profond avec ce que dit le président de la République sur la différenciation. Bien sûr qu'il y a de la différenciation : quand vous êtes au RSA dans le village de Marigny-le-Cahouët, ce n'est pas la même chose que lorsque vous êtes au RSA en Seine-Saint-Denis. Il faut une différentiation avec une harmonisation. C'est-à-dire que le droit doit être garanti, en même temps que les devoirs doivent être assurés, tout en prenant en compte la dimension territoriale, voilà ce qu'il faut qu'on arrive à faire, mais cela n'est pas encore ancré dans la tête de certains. Oui à l'égalité des citoyens, mais une réponse différenciée, adaptée à chaque personne, et c'est pour cela notamment que la recentralisation d'un certain nombre de politiques n'est pas la bonne réponse, car à notre échelon de proximité, nous connaissons les publics et sommes en mesure d'accompagner chaque personne. Le vrai danger est la tentation d'une grande réforme institutionnelle avec le retour d'un conseiller territorial. Et le deuxième danger est que l'État continue de considérer que les départements sont des services extérieurs de l'Etat déconcentré. Pour mieux agir pour les Français, il faut agir en proximité. Les départements sont disponibles auprès du Sénat pour travailler sur ce thème.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci, monsieur le président, pour cet échange très riche. Quand Madame Gourault a apporté au Sénat ce texte dit 4 DS, nous lui avons suggéré d'aller directement à la lettre E pour « efficacité de l'action publique ». Voilà un point sur lequel nous nous rejoignons !

Examen du rapport sur la démocratie locale

Mme Françoise Gatel, présidente. - La démocratie locale est un sujet lancinant et préoccupant. Il est nécessaire de la revivifier.

Au cours de plusieurs séances plénières, nous avons recueilli les points de vue de politologues, de directeurs de rédaction... Le directeur de rédaction du journal Ouest France a d'ailleurs décidé de ne plus publier de sondages. En revanche, il publie des témoignages de Français, qui s'adressent aux candidats ou plus généralement à la France. Les personnes interviewées sont issues de différents milieux et expriment leurs attentes.

Nous avons aussi rencontré et auditionné des think tanks, des responsables associatifs et naturellement des élus locaux. Nous avons besoin de tout le pays et de tous ses citoyens pour entretenir et revivifier la démocratie.

Avec Jean-Michel Houllegatte, nous avons réalisé des auditions complémentaires. En particulier, nous avons auditionné des membres de conseils citoyens, conseils créés dans le cadre de la politique de la ville. Ces membres nous ont fait part de leur expérience, de leurs suggestions et parfois de leurs insatisfactions sur la question de la démocratie.

Au Sénat, une mission d'information sur la redynamisation de la culture citoyenne a été lancée à l'initiative du groupe RDSE. Nous avons rencontré les rapporteurs de cette mission. À l'Assemblée nationale, une mission a été réalisée sur l'engagement local et la parité, par deux députés. Cette mission a déjà fait l'objet d'une proposition de loi.

Compte tenu des travaux déjà menés sur la démocratie locale, nous pourrions nous demander quel est l'intérêt des travaux de la notre délégation. Avec Jean-Michel Houllegatte, nous avons souhaité apporter un éclairage particulier. Nous avons notamment travaillé sur les bonnes pratiques et leur diffusion.

Conformément au rapport de la vice-présidente Pascale Gruny sur les lignes directrices des travaux de contrôle, nos propositions ont été mises à votre disposition, mardi dernier, sur Demeter.

Durant nos travaux, nous avons toujours gardé à l'esprit les questions suivantes : comment remédier au désintérêt croissant chez certains de nos concitoyens pour la chose publique ? Par quels moyens retisser le lien entre les Français et leurs représentants élus au niveau local ? Le Président de l'Assemblée des départements de France (ADF), François Sauvadet, a regretté devant notre délégation que les Français eussent le sentiment qu'aucune élection n'influe sur leur vie. De ce fait, il est difficile de les intéresser à la chose publique. Comment redonner du sens au débat public et le replacer au plus proche des habitants, afin que la vie de la cité transcende les seuls intérêts particuliers, sans contester la légitimité de la démocratie représentative ?

Pour répondre à ces interrogations, il nous est apparu nécessaire de passer en revue les trois formes de démocratie.

La démocratie représentative est la garante d'une société de droit et de l'intérêt général.

Pour ce qui est de la démocratie participative, son émergence est récente à l'échelle de notre histoire politique, mais les injonctions à son égard envahissent quelque peu l'espace public. Dans le cadre de cette démocratie, les élus, issus de la démocratie représentative, écoutent les citoyens. Cette démocratie génère parfois de la frustration chez les citoyens, qui estiment qu'ils devraient prendre eux-mêmes les décisions.

Il existe enfin une troisième forme de démocratie. Avec Jean-Michel Houllegatte, nous l'avons appelée « démocratie implicative ». Cette démocratie nous paraît riche d'avenir. En effet, elle amène le citoyen, par de petits engagements locaux, à participer concrètement à l'action publique, à l'échelle de la commune, du quartier ou du voisinage. Elle donne au citoyen un intérêt à s'investir.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. - Les dispositifs de démocratie participative foisonnent. En effet, il existe les conseils de quartier, les comités consultatifs, les conseils de jeunes, les conseils de sages, les conseils de femmes... Ces instances permettent de favoriser la citoyenneté et la participation des habitants à la vie de la cité. Elles constituent aussi une véritable ressource d'informations sur le fonctionnement de la commune. Le conseil citoyen illustre cet apport dans les quartiers de la politique de la ville. Nous avons entendu des témoignages sur le fonctionnement de cette instance à Sarcelles, Elbeuf ou encore Corbeil-Essonnes. Au regard de ces témoignages, il nous semble qu'il serait utile de dispenser des formations communes aux élus locaux et aux conseillers citoyens autour des enjeux et des outils de la démocratie participative.

Le développement de cette forme de démocratie se trouve simplifié et amplifié par l'introduction du numérique dans les processus de consultation, ainsi que l'a souligné Katarina Zuegel, représentante d'un think tank travaillant sur les technologies citoyennes. Toutefois, la fracture numérique, l'illectronisme et le caractère très impersonnel de ce type de consultations représentent autant d'écueils difficilement surmontables. La sécurité de ces dispositifs est également sujette à caution. Pour cette raison, il serait nécessaire d'évaluer la fiabilité et la sécurité des technologies disponibles pour le vote électronique et la concertation citoyenne.

Notre conception de la participation s'étend au rôle que jouent les sondages dans le champ démocratique. Les sondages relatifs à des personnalités politiques occupent en effet une place croissante dans le processus électoral, comme l'ont montré les dernières élections locales. Ils encouragent et amplifient les comportements stratèges de certains électeurs. Or, les conditions de réalisation de ces études ne satisfont pas pleinement à un critère de rigueur, tandis que certains professionnels du journalisme tendent à estimer que le rôle des sondages est disproportionné, au point de ne plus les commenter, comme l'a d'ailleurs annoncé le journal Ouest France. Nous sommes donc favorables à un encadrement plus rigoureux de la méthodologie des instituts de sondage.

Les discours autour de la démocratie participative tendent parfois à véhiculer la représentation d'un système dans lequel le « citoyen participant » s'érigerait par opposition aux élus. D'ailleurs, la démocratie participative est parfois mal perçue par les élus eux-mêmes, qui peuvent avoir le sentiment que leur légitimité, acquise par l'élection, est remise en question dans et par les démarches participatives.

Tel n'est pas le cas de la démocratie implicative. Dans cette version, chacun reste à sa place et aucune remise en question n'est à l'ordre du jour. La démocratie implicative vise un effet d'entraînement. L'objectif est de rechercher l'implication des citoyens sur des projets très locaux, afin de susciter leur intérêt, voire leur adhésion, pour aboutir à des implications plus fortes par la suite : de la participation au scrutin électoral à l'acte de candidature sur une liste, en passant par l'engagement sur d'autres projets. Les ressorts de cet engagement local, voire micro-local, résident dans l'adhésion à des valeurs partagées, la proximité et l'existence d'enjeux réels lors de la prise de décision. Pour renforcer l'implication, de nouveaux outils et de nouvelles pratiques se sont mis en place dans les communes ces dernières années. En voici quelques exemples :

- organiser régulièrement dans les communes un temps informatif et convivial, dédié à l'accueil des nouveaux habitants ;

- tenir occasionnellement des conseils municipaux « hors les murs » de la mairie ;

- rendre compte annuellement, en réunion publique et localisée dans les quartiers, du mandat de la municipalité et de l'avancée des projets.

Dans ce cadre, nous estimons importante la reconnaissance que la collectivité peut alors témoigner aux citoyens qui s'impliquent dans une action ou un projet aux côtés de l'équipe municipale, par exemple. Loin d'être anecdotique, il s'agit d'un geste fort qui contribue à conforter le pacte social qui est le nôtre. À cet égard, nous jugerions pertinent d'étendre le Compte Engagement Citoyen (CEC) - qui ouvre droit à formation pour les bénévoles associatifs - aux acteurs qui s'impliquent dans la vie de leur cité.

Afin de favoriser la mise en place de ces logiques implicatives et de leur cercle vertueux, certains outils peuvent venir enrichir l'arsenal de l'élu local. Il en est ainsi de la technique dite du jugement majoritaire, qui permet de renouveler la pratique du choix démocratique. Il ne s'agit plus de procéder à un choix alternatif et binaire, mais d'exprimer des préférences. Une telle technique permet de dégager des consensus, ce qui peut être précieux dans le cadre d'un choix d'aménagement controversé ou d'un projet urbanistique sensible pour une collectivité territoriale.

Pour ancrer cette version de la démocratie locale, lui offrir la visibilité qu'elle mérite et diffuser les bonnes pratiques, nous considérons qu'il serait bienvenu d'instaurer des trophées annuels des bonnes pratiques de la démocratie implicative. Ces trophées valoriseraient les initiatives prises par les collectivités territoriales dans ce domaine.

En conclusion, si la démocratie locale a longtemps été cantonnée à la reproduction d'un modèle unique, elle s'ouvre désormais à de nouvelles formes d'expression et de manifestation de la volonté générale. Certes, la démocratie représentative demeure la pierre angulaire de notre système, mais elle subit les contrecoups de la défiance à l'encontre des politiques. Aussi a-t-on assisté à l'irruption à ses côtés, ces dernières années, de la démocratie participative, qui propose un autre mode d'organisation du débat public et invite à revisiter les conditions de la prise de décision par les pouvoirs publics en général, notamment les collectivités territoriales.

Cette orientation participative présentant cependant certaines limites, les collectivités et leurs élus tendent à imaginer des modalités encore différentes pour intéresser et associer le citoyen au débat démocratique. L'objectif consiste alors à sortir de la caricature d'un face-à-face stérile entre l'élu et l'administré, pour entrer dans une relation exigeante, plus mature et équilibrée, nouant un partenariat « gagnant-gagnant » entre ces deux figures indépassables de la démocratie locale que sont l'élu local et le « citoyen-habitant ». Il s'agit de la voie de la démocratie implicative.

Avec Françoise Gatel, nous sommes fermement convaincus que cette forme de démocratie est porteuse de sens et qu'elle doit être encouragée en ce qu'elle ouvre une approche différente, pragmatique et directement opérationnelle pour ramener certains de nos compatriotes, aujourd'hui éloignés des grands choix politiques, dans le jeu de la démocratie, à commencer par le niveau local.

Mme Françoise Gatel, présidente. - En ce qui concerne la démocratie représentative, il est important de faciliter l'adhésion de nos concitoyens à la chose publique. Des outils devraient être mis en place et la culture devrait évoluer.

En particulier, les démarches de déménagement et les démarches administratives devraient être mieux articulées avec l'inscription sur les listes électorales. Dans le projet de loi 3DS, Madame Amélie de Montchalin souhaitait renforcer le principe « dites-le-moi une fois ». Dès lors qu'un citoyen donne une information à une administration, l'information devrait être reprise par toutes les administrations utiles à la vie du citoyen.

Hier, en Commission des lois, nous avons rediscuté de la double procuration, dans le cadre de la proposition de notre collègue Philippe Bonnecarrère et de collègues centristes. J'entends les réserves à ce sujet : la double procuration pourrait inviter des personnes à détourner le vote de sa neutralité. Nous devons toutefois nous intéresser à cette question.

Nous pourrions aussi expertiser le vote par correspondance. Il avait été pratiqué dans notre pays, puis abandonné en raison de problématiques de confidentialité et de respect de la liberté des électeurs.

Lors des dernières élections intermédiaires, la propagande électorale a été livrée tardivement. Nous devons absolument garantir la réception de la propagande électorale une semaine avant le premier tour du scrutin. Pour les élections régionales, un problème s'était aussi posé entre les deux.

Enfin, une partie des assesseurs des bureaux de vote pourrait être tirée au sort parmi les inscrits sur la liste électorale, ce qui aurait pour vertu d'associer étroitement le citoyen à la fabrique du suffrage universel et de lui faire prendre la mesure de la symbolique du bureau de vote. Des citoyens pourraient certes se montrer réticents à ce sujet. Ceci étant, nombreux sont les citoyens qui ne pensent pas à proposer leur participation. Il serait ainsi opportun de les solliciter, sachant que de nombreux maires éprouvent des difficultés à constituer les bureaux de vote.

Par ailleurs, la parité a progressé (les femmes représentent actuellement un peu moins de 20 % des maires, contre 16 % en 2014). Toutefois, elle reste insuffisante. La volonté d'améliorer la parité est désormais, je pense, partagée par les associations d'élus. La question de l'abaissement du nombre d'habitants pour les scrutins de liste est désormais évoquée de manière plus apaisée. Un tel abaissement permettrait d'atteindre la parité et permettrait aussi d'éviter le « bashing » des représentants des communes non concernées par les scrutins de liste.

La question de la parité dans les intercommunalités a été évoquée, dans le cadre de la proposition de loi sur l'engagement et la proximité examinée par le Sénat. Le gouvernement lui-même a indiqué qu'il était très difficile d'atteindre la parité dans les intercommunalités. La représentation de chaque commune est déterminée en fonction du poids de sa population. Les communes ne comptent souvent qu'un représentant. Selon la loi, le représentant doit être le maire, sauf si celui-ci souhaite déléguer sa représentation à un de ses adjoints. Exiger la parité dans les exécutifs pourrait déséquilibrer la composition des intercommunalités : la représentation des plus grandes communes pourrait être renforcée, tandis que celle des plus faibles communes pourrait être affaiblie (celles-ci ne comptent qu'un représentant et le maire est encore très souvent un homme).

L'enjeu est d'encourager les femmes à devenir maires.

Les lignes directrices pour les travaux de contrôles issues des propositions de notre collègue Pascale Gruny nous amènent à soumettre ses propositions à la sagacité de nos collègues.

Mme Catherine Di Folco. - Merci Madame la Présidente pour le travail réalisé. J'ai pris connaissance du tableau qui reprend vos 23 préconisations.

Il me semble que la démocratie implicative s'exerce déjà, notamment à travers la vie associative. Dans les territoires ruraux, c'est d'abord au sein des associations que les citoyens s'engagent. Souvent les citoyens s'impliquent ensuite au sein du conseil municipal. En effet, nous nous adressons fréquemment à ces citoyens quand nous constituons une liste pour les prochaines élections municipales. Le milieu associatif constitue un vivier de personnes impliquées.

Je ne sais pas si ce point pourrait apparaître dans vos travaux.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. - Merci pour cette réflexion. Le sujet n'est toujours pas épuisé. Plusieurs institutions s'y intéressent. Nos collègues députés ont réalisé un rapport d'information intitulé « Renforcer la participation électorale et la confiance dans la démocratie représentative ».

Nos collègues du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sont, eux, en train de mener une mission sur l'engagement de la vie associative. Ils estiment que cet engagement est peut-être le premier pas de l'engagement citoyen.

À travers l'usage du concept de démocratie implicative, nous souhaitons mettre en avant l'appropriation par les citoyens de leur cadre de vie. Dans le cadre de la politique de la ville, des « diagnostics en marchant » sont réalisés. Ils permettent aux habitants et aux élus de découvrir ensemble leur cadre de vie. Nous souhaiterions aussi que les citoyens s'approprient un espace relationnel de proximité. Dans les quartiers, toutes les personnes ne se connaissent pas. Nous souhaitons favoriser les relations de voisinage. In fine, l'objectif est que les citoyens adhèrent à un système de valeurs communes et partagent les valeurs de la République.

Nous souhaitons favoriser les engagements complémentaires aux engagements associatifs.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Il existe un écosystème actif dans les territoires. La chose publique est fabriquée par les élus bénévoles et par les personnes engagées dans la vie associative. Les activités sportives et culturelles proposées aux enfants par les associations permettent de renforcer la vie sociale.

Toutefois, nous proposons un dispositif complémentaire. Des personnes n'ont pas le temps de s'engager ou n'y pensent pas. Ceci étant, certaines d'entre elles pourraient se tourner vers la chose publique en raison de leurs propres centres d'intérêt. Par exemple, dans le cadre de l'établissement d'un plan vélo, un diagnostic pourrait être partagé par la commune, l'association de cyclistes et les personnes qui se déplacent en vélo. La participation des personnes à un projet spécifique pourrait éveiller leur esprit citoyen.

Les citoyens pourraient aussi participer à la rénovation de l'espace public. Dans ma commune, alors que nous rénovions une rue, trois habitants ont fait part de leur souhait de participer au choix des plantations et à leur entretien. Nous avons alors créé le « Jardinons citoyen ». Dans la rue concernée, qui compte 40 habitations, 30 personnes participent une fois par mois à la matinée « Jardinons citoyen ». Elles enlèvent les mauvaises herbes, puis déjeunent ensemble. Par ailleurs, les nouveaux habitants participent bien volontiers à cette initiative mise en place il y a plusieurs années. En outre, certains des habitants concernés se sont engagés dans la vie associative, puis dans le conseil municipal.

Nous souhaitons ainsi donner aux citoyens des occasions de « faire » et de « fabriquer ». Les « diseurs » et les « faiseurs » sont distingués, car s'il est important que chacun puisse « faire entendre sa voix », la possibilité de « faire » offerte aux citoyens représente une grande valeur citoyenne.

En tout cas, l'engagement associatif et celui des élus comptent parmi les fondements de la vie citoyenne.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. - Le titre du rapport du CESE est précisément « L'engagement bénévole, indispensable facteur de cohésion sociale et de citoyenneté ». Notons que les associations rencontrent actuellement des difficultés à mobiliser des bénévoles.

Mme Agnès Canayer. - Je vous félicite pour les travaux réalisés sur l'implication de nos concitoyens. Je pense aussi que c'est l'engagement par le « faire » qui permettra d'impliquer au mieux les citoyens. D'ailleurs, nous sommes nombreux dans cette assemblée à nous engager dans la vie associative.

Ceci étant, je suis dubitative quant aux questions du tirage au sort. Nous avons tenté la mise en place du tirage au sort pour les conseils citoyens, dans le cadre de la politique de la Ville. Les résultats des tests n'ont jamais été très probants. Je serais davantage favorable à l'engagement volontaire et à la reconnaissance de la place des bénévoles, sachant que nos associations rencontrent en effet des difficultés.

Pour favoriser l'éducation à la citoyenneté, des passerelles devraient être créées entre les écoles et les institutions. Les élus locaux devraient se rendre dans les écoles pour expliquer leur travail. De même, les écoles devraient visiter les mairies.

Mme Françoise Gatel, présidente. - L'intéressement à la démocratie est lié à notre éducation. Chacun devrait être intéressé par l'action publique, qui concerne des moments essentielles de notre vie (la petite enfance, l'éducation, la mobilité...). Le gène de l'appartenance à une communauté devrait être introduit à l'école et dans la famille. Quand la famille est engagée sur le plan associatif ou citoyen, l'engagement fait partie de la culture des enfants.

Si la famille ne s'engage pas dans la communauté, elle doit toutefois porter un regard respectueux sur la chose publique et ne pas prendre l'attitude d'un consommateur. La mairie ne doit pas être critiquée dans le cercle familial.

Par ailleurs, l'éducation civique est obligatoire à l'école.

De nombreuses communes comptent des conseils des jeunes. Ces conseils permettent de créer des liens entre les élus adultes et les enfants. Ils fonctionnent sur la base du volontariat et de l'engagement des élus et des écoles. Ils sont particulièrement riches quand ils sont portés par des enseignants qui travaillent en étroite collaboration avec la mairie. Nous devons encourager les initiatives de ce type à l'école, afin de développer le sentiment d'appartenance à une communauté. Des enseignants proposent à des classes de visiter l'Assemblée nationale ou le Sénat ou invitent des élus jeunes.

Pour construire une démocratie active, le virus de la démocratie doit être inoculé chez les jeunes.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. - Nos collègues de l'Assemblée nationale ont émis plusieurs propositions, notamment la proposition 22 - renforcer l'éducation à la citoyenneté dans le parcours scolaire.

Depuis quasiment vingt ans, aucune loi sur la démocratie locale ou sur la manière de la vivifier n'a été publiée. La loi dite « Vaillant », qui a mis en place les conseils de quartier, date de 2002. Compte tenu des travaux en cours à l'Assemblée nationale et au Sénat, des évolutions pourraient être apportées dans les prochaines années.

M. Guy Benarroche. - Merci pour vos travaux. La question de la démocratie sera de plus en plus préoccupante. La recherche de solutions est toujours la bienvenue. Nous devons être ouverts à toutes les propositions, sachant que nous avons déjà reçu des maires qui proposaient des solutions originales.

Les dispositifs mis en place pour favoriser la démocratie citoyenne ne fonctionnent pas toujours. Dans ma commune, la mise en place des conseils des jeunes, il y a quinze ans, n'a pas permis d'augmenter la participation électorale.

Les « faiseurs » et les « diseurs » sont distingués. Toutefois, certaines personnes réalisent des actions, dans le cadre de leur vie personnelle, mais pas dans le cadre de la vie politique. Lors de mon parcours écologiste, j'ai constaté que de nombreuses personnes ont changé leur vie personnelle et leur rapport à leur société. Elles mènent des actions, mais pas au niveau du pays, de la commune ou du département, parce qu'elles ne font plus confiance à l'action publique pour changer leur vie. La politique et la commune sont considérées comme des biens de consommation. Dans notre société, tous les sujets (la santé, la sexualité, la politique...) sont considérés comme des biens de consommation. Tant que cette conception perdurera, il sera difficile de lutter uniquement dans le domaine politique.

Mme Françoise Gatel, présidente. - La démocratie ne sera pas revivifiée par la loi.

Si le vote devient obligatoire, le taux de participation aux élections sera bien sûr élevé. Toutefois, le sentiment d'appartenance à la communauté ne sera pas forcément accru. La démocratie doit être portée, sur le territoire, par les familles, les élus, les écoles et les associations.

Notre rapport à la société est en effet un rapport de consommation. Le remède est dans l'amélioration de l'efficacité de l'action publique. Les personnes auront confiance en elle une fois que les élus réaliseront des actions qui servent les citoyens.

La gratuité des services ne permet pas de responsabiliser les citoyens. Chacun doit contribuer à la vie de la commune, sans remettre en cause le principe de la solidarité.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. - Nous devons distinguer les lieux et les liens.

La commune est notre lieu d'habitation. À partir de notre lieu d'habitation, des liens doivent être créés et partagés autour des valeurs républicaines.

Actuellement, nous privilégions les liens, notamment des liens virtuels, qui créent d'autres lieux, externes à la commune.

Nous souhaitons réhabiliter le terme « habitat ». L'habitat n'est pas seulement le lieu où nous habitons, il est aussi l'endroit où nous exerçons notre citoyenneté.

Nous avons insisté, dans nos travaux, sur la nécessité de reconnaître les personnes qui s'impliquent quotidiennement dans des actions et qui créent des liens.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous propose d'adopter nos propositions. Êtes-vous favorables à ce que nous votions sur l'ensemble des propositions, plutôt que sur chaque proposition ? Puis-je considérer que ces propositions font consensus ?

Les membres de la délégation se prononcent en faveur d'un vote global.

Les propositions sont adoptées à l'unanimité.

Audition de Mme Adeline Hazan, magistrate honoraire, ancienne contrôleure générale des lieux de privation des libertés, auteure d'un rapport sur les relations entre le Parquet et les élus locaux

Mme Françoise Gatel, présidente. - Les relations entre le parquet et les élus locaux sont un sujet qui nous est particulièrement cher. Depuis la loi « Engagement et proximité » en 2019, sur laquelle nous avons travaillé quelques mois, nous avons constaté une augmentation des agressions envers des personnes détentrices d'autorité - élus, policiers, pompiers...- qui a sûrement eu un impact sur l'engagement citoyen. Nous avons donc été très attentifs aux circulaires visant à faciliter la relation entre les procureurs et les élus locaux - bien souvent, les maires - : la première a été adressée au procureur par Madame Belloubet lorsqu'elle était en fonction, la seconde, par Monsieur Dupont-Moretti. Nous avons auditionné avec intérêt le procureur de la République près du tribunal judiciaire de Valenciennes, Monsieur Vicentini, qui nous a présenté la démarche extrêmement intéressante qu'il avait mise en place dans son ressort. Nous exerçons sur ce sujet notre mission de suivi ou de contrôle de la loi avec implication, parce que si la loi « Engagement et proximité » a permis des avancées, notamment en matière de protection fonctionnelle, ce qui nous importe, c'est de voir comment la loi est appliquée. C'est pourquoi nous avons demandé au garde des Sceaux de nous faire un bilan de ses suites judiciaires. Nous nous réjouissons de sa venue la semaine prochaine, mais nous sommes tout autant heureux que vous puissiez venir nous présenter ce rapport qui, à ma connaissance, n'a pas été largement diffusé et qui devrait être d'un apport assez fabuleux pour nous.

Mme Adeline Hazan, magistrate honoraire. - Ce rapport m'a été confié par le responsable de l'inspection générale de la justice, compte tenu des différents postes que j'ai occupé pendant ma carrière : des postes de magistrats, évidemment, mais également des postes d'élue, puisque j'ai été maire de Reims, présidente de l'agglomération rémoise, députée européenne, conseillère régionale. Je puis donc m'exprimer, si je puis dire, depuis les deux bouts de la chaîne. « Comment mieux articuler la justice avec les territoires ? » est le thème du rapport j'ai remis en mai 2021, après avoir auditionné des élus, des magistrats, des sociologues. Pour des raisons qui me sont un peu étrangères, qui d'ailleurs ne sont pas restreintes à ce rapport malheureusement, le cabinet du garde des Sceaux n'a pas encore donné l'autorisation de publication, alors que je suis intervenue publiquement à son sujet à plusieurs reprises. C'est dommage, mais peut-être pourrez-vous lui poser la question.

Le constat à partir duquel j'ai élaboré mes propositions, c'est, malheureusement, que la justice et les collectivités territoriales sont toujours deux mondes qui s'ignorent, ou, en tout cas, qui s'ignorent encore beaucoup trop. Pourtant, on ne compte plus les rapports proposant d'améliorer l'adaptation des juridictions au territoire, dont l'important travail des parlementaires Raimbourg et Houillon sur l'adaptation du réseau des juridictions, réalisé dans le cadre des chantiers de la justice, en 2018. Au début du processus de d'élaboration de mon rapport, j'ai organisé une table ronde, sous l'égide de l'Association des maires de France, et j'ai posé aux élus la question suivante : « Comment imaginez-vous une meilleure coopération avec les acteurs judiciaires de de votre territoire ? ». Il y avait beaucoup de maires, de présidents d'agglomération et quelques élus nationaux. Tous, sans exception, ont fait part de leur souhait d'une justice plus consciente des spécificités locales et d'une meilleure implication des magistrats dans la réalité territoriale de leur ressort. Quant aux chefs de juridiction, ils regrettent que les élus ne connaissent pas mieux le fonctionnement de l'institution judiciaire. Chacun se renvoie la balle sur une méconnaissance de l'institution qui est en face. Le fossé reste important mais, et cela permet de rester optimiste, la nécessité d'une meilleure collaboration entre l'institution judiciaire et les territoires est aujourd'hui non seulement acceptée par tous, mais également revendiquée. Cela n'a pas toujours été une évidence : dans les années 80 ou même 90, poser la question de l'articulation de l'institution judicaire avec les élus, c'était presque attenter à l'indépendance de la justice. Depuis, les choses ont avancé, et aussi bien les élus que les magistrats souhaitent une évolution.

Il y a eu un certain nombre de tentatives pour améliorer l'ancrage territorial de la justice. La décentralisation, en particulier, a rendu nécessaire et obligatoire l'instauration de coopérations entre l'État et les collectivités territoriales. Dans le domaine judiciaire, cette coopération a démarré dans le secteur de la prévention de la délinquance et de la sécurité, par les conseils de prévention de la délinquance et les conseils intercommunaux de sécurité et de prévention. Le succès de ces politiques partenariales s'est cependant heurté, à la fois à une méconnaissance par les élus de l'institution judiciaire et également, à une formation insuffisante des magistrats sur les dispositifs partenariaux. Les conseils de sécurité et de prévention de la délinquance (CSPD) ont été créés et généralisés en 2002, et si personne ne nie leur intérêt, leur bilan reste mitigé. Grand-messe, manque de pilotage sont les principaux reproches des élus et des magistrats. En outre, ils ne couvrent pas tout le territoire : en 2018, sur 1186 communes qui ont l'obligation d'en créer, seuls 805 CSPD étaient recensés, dont 624 déclarés actifs et 181 en sommeil. Dans mon rapport, je propose de former davantage les procureurs à la participation et à l'animation de ces instances pour qu'elles concourent effectivement à la mise en place de politiques partenariales.

Finalement, ce sont les conseils départementaux de l'accès aux droits (CDAD) qui fonctionnent le mieux dans un esprit de travail en commun. Créés en 1992, leur atout principal est de réunir à l'échelle du département, autour du président du tribunal judiciaire du chef-lieu du département, des membres représentatifs : préfet, président du conseil départemental, association départementale des maires, barreaux et associations. Les échanges y sont nourris, autour de compétences très vastes : éducation, santé, logement, formation, lutte contre la discrimination, droit de la famille. Il faudrait s'inspirer de leur méthodologie pour une diffusion à l'ensemble des territoires.

Au-delà des instances partenariales, le dialogue entre l'institution judiciaire et les élus a fait l'objet d'évolutions positives, notamment avec la loi « Engagement et proximité » du 27 décembre 2019, mais elle est insuffisante. Par exemple, son article 42 prévoit qu'après le renouvellement général des conseils municipaux, le représentant de l'État dans le département, et/ou le procureur de la République territorialement compétent, reçoivent les maires du département afin de leur présenter les attributions que ces derniers exercent au nom de l'Etat comme officier de police judiciaire de l'état civil (OPJ). Or, les maires n'ont pas pour seule activité celle d'officiers de police judiciaire de l'état civil, et puis c'est l'État, d'une certaine façon, qui explique au maire quel est son rôle, dans une approche qui n'a rien de bilatéral et qui en dit long sur un certain état d'esprit. Pour véritablement améliorer les liens entre la justice et les collectivités territoriales, il me paraît indispensable que l'action globale de l'institution judiciaire soit explicitée à l'ensemble des élus locaux.

L'institution judiciaire n'est plus dans sa tour d'ivoire, mais sa volonté d'expliquer ce qu'elle fait aux élus, et particulièrement l'action publique, reste limitée. C'est pourquoi il faudrait lui imposer de présenter son action devant les assemblées nouvellement élues au niveau communal, départemental et régional. Je propose de rendre obligatoire, par voie législative, à chaque renouvellement d'assemblée communale, intercommunale, départementale et régionale, la présentation par les chefs de cour de la juridiction de leur action, suivie éventuellement d'une discussion, ainsi qu'à chaque nouvelle nomination de président, même si le mandat est en cours pour les élus.

Il est aussi indispensable d'améliorer la transmission d'informations procureur-maire, dont tout le monde se plaint. Dans son article 59, la loi « Engagement et proximité » précise que le maire est informé, à sa demande, par le procureur de la République, des jugements définitifs, lorsque des infractions ont été signalées par lui, en application de l'article 40. Or, il n'est pas rare que cette obligation ne soit pas respectée. Certains magistrats, celui de Valenciennes ou de Dijon notamment, ont voulu avancer et ont mis en place des dispositifs innovants, comme une matinée de formation sur le fonctionnement du parquet, la possibilité d'assister à des audiences de comparution immédiate, et surtout, l'installation d'une boîte courriel dédiée, directement gérée par le procureur, leur permettant d'être informés des difficultés auxquelles sont confrontés les maires avec une totale réactivité. J'ai proposé à l'inspection générale de la justice que ces initiatives de rapprochement entre les élus et les magistrats soient répertoriées et diffusées à des fins de généralisation, voire deviennent obligatoires. Une autre amélioration a vu le jour, sans être encore arrivée à un rythme suffisant, ce sont les conseils de juridiction, qui sont devenus obligatoires après l'expérimentation de 2015. Ces conseils de juridiction ont vocation à être un « un lieu d'échange et de communication entre la juridiction et la cité », ce qui les situe au coeur de notre problématique. Ils comprennent des représentants de l'État, avec la protection judiciaire de la jeunesse, et des élus. Leur objectif n'est toujours pas atteint à ce jour, notamment car la présence d'élus nationaux n'est pas obligatoire, ce qui constitue un frein à leur efficacité. La présence d'élus locaux est évidemment essentielle, mais celle des élus nationaux, députés ou sénateurs, peut-être encore plus sénateurs, l'est tout autant, puisque ce sont eux qui font l'interface entre le territoire et le niveau gouvernemental. Je propose que la création de ces conseils de juridiction reprenne un rythme soutenu, et surtout qu'il y ait une modification législative qui rendra obligatoire la présence des élus nationaux dans ces instances, le Conseil d'État ayant estimé qu'on ne pouvait prévoir une telle obligation par décret.

L'inadéquation du maillage judiciaire et du maillage administratif constitue également un frein à certaines tentatives d'amélioration des relations entre les élus et la justice. La réforme de la carte judiciaire de 2008 a permis un certain nombre d'adaptations entre la justice et les territoires, mais les cours d'appel sont restées en dehors de la réforme, et cela s'est avéré nuisible au dialogue entre les chefs de cour et les décideurs des services déconcentrés de l'État dans certaines juridictions. En PACA, pour établir les conventions relatives à la prévention de la délinquance, le préfet de région a trois procureurs généraux comme interlocuteurs, dans les cours d'appel d'Aix-en-Provence, Nîmes et Grenoble. On comprend pourquoi ça ne se passe pas bien évidemment. A l'inverse, certains tribunaux judiciaires relèvent d'une cour d'appel qui n'est pas dans la même région que le tribunal : le tribunal judiciaire de Chaumont, dans le département de la Haute-Marne et dans la région Grand-Est, relève ainsi de la cour d'appel de Dijon, située dans la région Bourgogne Franche-Comté. Comment dialoguer dans cette configuration kafkaïenne ?

Une réflexion intéressante avait été menée au début de ce quinquennat par Madame Belloubet, qui avait proposé un regroupement des cours d'appel par région, tenant compte de l'impératif de proximité pour les justiciables. Dans chaque région, une cour régionale se voyait attribuer les fonctions supports (gestion budgétaire, ressources humaines, informatique, formation) qui étaient retirées aux cours territoriales, celles-ci conservant la compétence juridictionnelle, pour les impératifs de proximité. Cette réforme, qui permettait de regrouper les 36 cours d'appel en 17 cours régionales, avait été présentée et acceptée à la quasi-unanimité de la conférence nationale des présidents des cours d'appel. Suite à des désaccords violents entre certains membres du barreau, et aussi certains élus, elle a été abandonnée, mais tous les acteurs que j'ai interrogés, qu'ils appartiennent au monde judiciaire ou occupent des fonctions électives, ont déploré cette situation. Je propose de reprendre la réflexion sur le regroupement des cours d'appel lors du prochain quinquennat, car il est indispensable à une meilleure articulation entre les élus et la justice.

J'ai également proposé, de façon plus iconoclaste, que les magistrats puissent participer à la procédure d'élaboration du SCOT, afin d'étoffer cette culture du terrain qui leur fait souvent défaut.

En conclusion, il est absolument indispensable pour le citoyen et le justiciable que l'on arrive à rapprocher ces deux mondes qui s'ignorent encore beaucoup trop de la justice et des territoires.

Mme Françoise Gatel, présidente. - J'irais plus loin que vous en parlant de défiance entre ces deux mondes, l'élu ayant parfois une image un peu sulfureuse de la justice. Présidente de l'association des maires de mon département, je me souviens avoir organisé une réunion entre les maires et le procureur et je dois admettre que les maires avaient tous un peu peur. Cette incompréhension est liée, de part et d'autre, à la méconnaissance, ce regard que chacun doit avoir l'impression que l'autre porte sur lui. Comme aurait dit le petit prince, il faut s'apprivoiser. Concernant la loi « Engagement et proximité », je retiens qu'il y a eu des avancées, mais qu'elles sont insuffisantes, notamment sur cette rencontre lors des renouvellements d'assemblée de maires. En réalité, la loi a prévu une trousse de premiers secours pour les maires, notamment au vu des difficultés qu'ils ont rencontrées lorsque toutes ces agressions se sont multipliées. On a cherché à leur expliquer ce que signifiait être OPJ, mais on s'est arrêté là. Il faut aller plus loin.

Concernant la transmission d'informations, on nous a maintes fois alertés sur l'engorgement de la justice, et le risque pour elle d'être noyée par des demandes d'informations. J'apprécie d'autant vos propositions à ce sujet.

Je suis très sensible à votre proposition concernant l'urbanisme. Lorsque j'étais maire, nous avons lancé un programme de démolition-reconstruction de logements sociaux, en respectant toutes les procédures. Un nouvel habitant, qui adore les logements sociaux éloignés de chez lui, a fait un recours. Et alors, formidable ! Ma commune a perdu au tribunal administratif parce que le juge a considéré que le commissaire qui avait mené l'enquête publique avait rendu un avis insuffisamment motivé. « Monsieur le président, pouvez-vous m'expliquer comment ma ville peut être condamnée par le tribunal suite un rapport rendu par quelqu'un qui appartient à votre structure, que je n'ai pas choisi et que vous m'avez imposé ? », ai-je écrit au président du tribunal administratif. Nos échanges, très courtois, n'ont pas changé la donne. Cet habitant, un vrai procédurier, a fait recours sur recours. Cet exemple montre bien comment l'interprétation de la loi peut nuire à l'intérêt général, à l'insu, dirais-je, de la conscience du magistrat.

M. Charles Guené. - Jusque dans les années 90, les élus étaient considérés comme des auxiliaires de la justice et aussi bien la relation à la gendarmerie qu'à la police et aux tribunaux était assez proche. Depuis, on a assisté à une sorte de mouvement inverse, les procureurs et même la gendarmerie manifestant une sorte de condescendance à l'égard des élus, quand ils ne voyaient pas en eux le prévenu qui dormait. Je serais favorable à ce qu'il y ait un module obligatoire de formation pour les maires. Pour l'instant, soit ils ne veulent pas utiliser leurs pouvoirs d'OPJ, soit, quand ils le font, leurs procès-verbaux sont systématiquement rejetés par la gendarmerie ou la police, qui leur trouvent toujours un défaut.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Même si dans chaque élu sommeille un justiciable, les choses se sont quand même améliorées. Je constate deux progrès : d'abord, l'invitation systématique des élus aux audiences solennelles de rentrée, une très bonne chose parce qu'elle permet de faire le bilan de l'année judiciaire dans l'ensemble des juridictions, conseil des prud'hommes, tribunaux de commerce ou tribunaux judiciaires, et, deuxièmement, l'organisation de journées portes ouvertes. Les améliorations les plus concrètes concernent le traitement des violences faites aux femmes. Dans la Manche, le Tribunal de Coutances a eu la chance d'avoir un procureur très proactif grâce auquel une sorte de partenariat s'est mis en place pour constituer une chaîne de réponse globale. Dans ce cadre, des liens se sont tissés et je dirais même, des procédures de travail.

En revanche, je suis plus inquiet par la judiciarisation de la vie publique. Comment l'autorité judiciaire, au sens large du terme, pourrait-elle s'impliquer dans un rôle de conseil aux élus, notamment en termes de respect des procédures ?

Mme Adeline Hazan. - Je suis parfaitement d'accord sur la nécessité de rendre obligatoires des modules pour les élus. Comment les élus peuvent-ils effectuer mieux leur fonction d'OPJ ? Il y a là une véritable nécessité de formation, parce que certains maires sont assez désarmés devant cette compétence

Je ne suis guère enthousiaste au sujet des audiences solennelles de rentrée, ces « super grand- messes » où la justice délivre sa bonne parole, en l'occurrence, essentiellement des statistiques. Même s'il arrive que soient abordés des sujets de fonds, cela reste très « descendant ». C'est pourquoi je propose que lors de ces audiences, les conseils de juridiction communiquent sur un bilan annuel, pas nécessairement établi par le président du conseil de juridiction, qui est un magistrat, mais qui puisse être réalisé par d'autres partenaires du conseil de juridiction. Cela donnerait de la chair à ces réunions un peu désuètes et les rendraient beaucoup plus vivantes. Et ce qui constituerait alors une véritable révolution culturelle, ce serait que les conseils de juridiction soient saisis pour avis conforme de toute question relative à la refonte de la carte judicaire. Cette réforme aurait l'avantage d'obliger les uns et les autres à travailler en étroite collaboration pour éviter le blocage, dans lequel le ministère de la justice aurait le dernier mot. C'est une piste que je lance, mais, après tout, on m'a demandé des idées novatrices.

Sur les CSPD, il y a en effet eu beaucoup de progrès, notamment sur les violences faites aux femmes. J'ai dit que ces instances étaient vécues comme des grand-messes par la plupart des participants, mais quand elles se déclinent en groupe de travail, elles ont de bons résultats. Lorsque j'étais maire de Reims, le procureur de la République avait mis en place un groupe local de prévention de la délinquance, sur un sujet ou un quartier. Réunis à quelques-uns, nous n'étions plus du tout dans la grand-messe mais dans l'opérationnel.

À mon sens, la judiciarisation constitue plutôt une avancée. Dans mes dernières fonctions, j'étais contrôleur général des lieux de privation de liberté et j'ai assisté à des choses terribles, des personnes placées arbitrairement, attachées pendant des semaines et des semaines sans jamais voir un juge. Qu'il s'agisse de placement sans consentement ou de placement en isolement contraint, l'intervention du juge est vraiment en faveur des libertés du citoyen.

M. Laurent Somon. - Il y a un vrai problème de méconnaissance des élus locaux de l'organisation et des procédures de la justice, encore plus en milieu rural. Lorsque qu'un maire est appelé par un concitoyen pour des violences intrafamiliales, l'enfance en danger, des troupes de voisinage, des plaintes relatives à l'urbanisme, il se trouve démuni s'il n'est pas familier du fonctionnement en « tuyaux d'orgue » entre les forces de gendarmerie ou de police et la justice. Quant à la défiance envers la justice, elle est liée à l'absence de suivi des plaintes, et au classement sans suite qui ne fait l'objet d'aucune explication, alors que l'élu a eu le sentiment de défendre l'intérêt général.

Mme Adeline Hazan. - Il me paraît inadmissible et même scandaleux qu'un maire signale un fait délictueux à un procureur et qu'il n'obtienne aucune réponse, que l'affaire soit classée ou pas. Qu'un citoyen n'ait pas de réponse est scandaleux au même titre, mais l'élu parle au nom de ses administrés, donc c'est encore plus choquant.

Mme Françoise Gatel, présidente. - On sait bien comment les maires sont interpellés par leurs citoyens sur les suites d'une affaire qui a fait du bruit dans la commune. « Comment, vous ne savez pas ? », s'interrogent-ils légitimement. On ne retrouvera pas confiance en la justice sans cette information. La gendarmerie a su créer avec les élus locaux une relation assez remarquable et efficace et aujourd'hui, quand il se passe quelque chose, la gendarmerie prévient systématiquement le maire. Il faut que nous arrivions à construire ce lien avec la justice, tout en respectant son indépendance. Je suis convaincue que le dialogue entre les élus et la justice ne peut que servir l'image de chacun.

Mme Adeline Hazan. - J'en suis d'accord à 200 %, mais il faut que chaque institution et chaque partenaire reste à sa place. La pire des choses serait que le maire se transforme en juge. Personnellement, en tant que maire, je n'ai jamais effectué de rappel à l'ordre à la suite d'une infraction, car j'estime que cela n'est pas le rôle d'un maire, mais celui du magistrat. Il y a de plus en plus de fluidité dans les relations et de transmission des informations, et plus on ira dans ce sens, mieux cela se passera. C'est vrai qu'il arrive qu'un magistrat ne réponde pas, mais ce n'est pas de la mauvaise volonté de sa part, c'est simplement parce qu'il est débordé. Si vous avez lu « Le Monde » d'hier, vous savez que les magistrats ont évalué leur manque d'effectifs à 35 %, et je leur fais totalement confiance sur le logiciel qui a déduit ce chiffre effrayant. La défiance vient aussi des délais pour le justiciable, et elle revient sur l'élu incapable de fournir des informations au citoyen. Personne n'est gagnant. Dans une société qui marche sur ses deux pieds, les citoyens ont confiance dans leurs élus et dans leur justice.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Votre vision nous séduit tous beaucoup. Est-elle partagée dans l'univers de la justice ?

Mme Adeline Hazan. - Il y a une grande évolution dans l'état d'esprit des magistrats qui se rendent de plus en plus compte qu'on peut pas être dans sa tour d'ivoire. J'ai parlé avec quelques chefs de juridiction de ma proposition d'avis conforme des conseils de juridiction s'agissant de la carte judiciaire. Ils étaient d'accord avec moi, mais dans l'ensemble, je crois qu'une telle réforme créerait beaucoup de mouvement. Ma proposition de participation aux SCOT me semble très importante, les magistrats eux-mêmes se rendent compte qu'ils ne peuvent plus être déconnectés des territoires, mais là encore, ce ne serait pas facile.

Mme Françoise Gatel, présidente. - En notre nom à tous, madame, je vous remercie très chaleureusement. Nous nous saisirons de vos propositions la semaine prochaine pour interroger le garde des Sceaux.

La réunion est close à 12 h 00.