Jeudi 24 février 2022

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Table ronde sur l'application de la loi Sauvadet

Mme Annick Billon, présidente. - Madame la Ministre, chers collègues, Mesdames, Messieurs, merci de vous être rendus disponibles pour participer à cette table ronde matinale, à 8 heures. Je précise que nos travaux font l'objet d'une diffusion vidéo en direct accessible sur le site Internet du Sénat.

Notre délégation célèbre aujourd'hui, avec quelques jours d'avance, le dixième anniversaire de la loi dite « Sauvadet », une loi majeure pour la progression de la place des femmes au sein de la haute fonction publique.

Cette loi du 12 mars 2012 s'inscrit dans une continuité historique qui a, au fil du temps, enrichi notre législation pour favoriser l'accès des femmes aux responsabilités.

Ces responsabilités ont tout d'abord concerné le champ politique, dans la dynamique permise par la révision constitutionnelle de 1999, qui a posé le principe d'« égal accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives ».

Elles se sont par la suite étendues aux « responsabilités professionnelles et sociales » grâce à la révision constitutionnelle de 2008, qui a rendu possible la loi Copé-Zimmermann du 27 janvier 2011, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle et, l'année suivante, la loi Sauvadet.

Cette loi impose aux employeurs des trois versants de la fonction publique de respecter une proportion minimale de chaque sexe pour les primo-nominations dans près de 6 000 emplois d'encadrement supérieur et de direction.

Cette proportion, d'abord fixée à 20 % en 2013 et 2014, puis à 30 % en 2015 et 2016, doit s'élever à 40 % depuis 2017.

Ces obligations sont assorties de pénalités financières pour les employeurs publics ne respectant pas les objectifs fixés par la loi.

Afin de dresser aujourd'hui un bilan des dix ans d'application de la loi Sauvadet, notre délégation a désigné deux rapporteures : Martine Filleul et Dominique Vérien. Elles avaient été l'an dernier co-auteures, avec notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam, d'un rapport sur les dix ans de la loi Copé-Zimmermann et ont souhaité travailler de nouveau sur cette thématique de l'accès des femmes aux postes à responsabilités et, plus largement, de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Nous avions sollicité François Sauvadet, ancien ministre de la fonction publique, aujourd'hui président de l'Assemblée des départements de France, qui a donné son nom à cette loi. Il n'a malheureusement pas pu être présent parmi nous ce matin, en raison de contraintes d'agenda.

J'invite notre collègue Dominique Vérien, rapporteure, à présenter la première séquence de notre table ronde, qui nous permettra de dresser un bilan global de l'application de la loi Sauvadet et d'évoquer les perspectives de progression de la parité dans la haute fonction publique.

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - Le dispositif des nominations équilibrées, plus connu sous le nom de « quotas Sauvadet », a indéniablement permis de faire progresser la place des femmes dans la haute fonction publique. Si les quotas font souvent débat lors de leur instauration, ils font toujours la preuve de leur efficacité. En tout cas, nous en sommes convaincus au sein de la délégation, tout comme nous sommes persuadés du fait que les employeurs publics doivent se montrer exemplaires, en matière de parité notamment.

La proportion de femmes parmi les primo-nominations aux emplois supérieurs de la fonction publique a incontestablement progressé ces dix dernières années, passant de 33 % en 2013 à 42 % en 2019.

Cependant, ce n'est que depuis 2020 que le quota des 40 % est atteint dans les trois versants de la fonction publique. En 2019, le taux de primo-nominations féminines n'était encore que de 37 % dans la fonction publique d'État.

Nous souhaitons donc évaluer le niveau des objectifs atteints, mais aussi et surtout examiner l'impact sur l'augmentation du « stock » d'une mesure portant aujourd'hui uniquement sur le « flux ». En d'autres termes, quelle est la proportion de femmes occupant des emplois à responsabilités, et ce dans les trois fonctions publiques, dans les différents départements ministériels et dans les emplois supérieurs à plus hautes responsabilités ? Cette proportion, d'environ un tiers aujourd'hui, reste faible, et nous souhaitons comprendre s'il s'agit uniquement d'une question de temps pour combler le retard accumulé ou s'il y a des causes plus structurelles à cette faible féminisation de la haute fonction publique. Malheureusement, il nous semble que le plafond de verre existe toujours.

Il nous faut notamment nous pencher sur la question du vivier. Les politiques de ressources humaines et les recrutements au sein des écoles de formation ont-ils permis de former un vivier suffisant de candidates éligibles aux emplois supérieurs de la fonction publique ? C'est souvent le cas dans le privé, c'est en tout cas ce qui nous a été remonté à l'occasion des dix ans de la loi Copé-Zimmermann. Nous savons que la fonction publique dans son ensemble est très féminisée, avec 63 % de femmes toutes catégories confondues, mais la proportion femmes-hommes s'inverse au niveau des postes d'encadrement. Le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) relevait dans son rapport de 2021 un écart de vingt points entre la proportion de femmes au sein de la catégorie A (65 %) et celle de la catégorie A+ (42 %) - catégorie A+ qui semble constituer le vivier naturel pour les postes d'encadrement.

Nous nous intéressons également aux actions complémentaires menées par les employeurs publics et à l'efficacité des plans d'action « égalité professionnelle » pour faire progresser la place des femmes dans la haute fonction publique.

Pour éclairer nos réflexions, nous avons le plaisir de recevoir ce matin comme première intervenante Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Je précise que, tenue par d'autres obligations, elle devra nous quitter vers 8 heures 50.

Madame la Ministre, vous nous ferez part des derniers chiffres relatifs aux primo-nominations féminines, à la part de femmes occupant des emplois supérieurs ainsi que des données concernant les employeurs publics soumis à des pénalités financières pour manquement à leurs obligations. Le dernier bilan chiffré complet publié sur le site de votre ministère concerne en effet l'année 2019. Vous pourrez ainsi nous confirmer les tendances positives que nous avons pu constater dans les derniers bilans. Vous nous décrirez également les actions supplémentaires que vous avez entreprises pour faire progresser la place des femmes dans la haute fonction publique.

Nous entendrons ensuite Agnès Arcier qui nous présentera les travaux qu'elle a menés en tant que présidente de la commission parité du HCE et en tant que rapporteure, en 2021, d'un rapport sur la parité dans le secteur public, qui avait un champ plus large que celui qui nous occupe aujourd'hui, car il concernait également les quotas Copé-Zimmermann pour les entreprises publiques. Vous noterez que ce sont les mêmes rapporteures qui ont suivi ces deux dossiers au Sénat. Nous sommes particulièrement intéressés par les recommandations formulées par le HCE pour étendre les dispositifs paritaires et renforcer leur mise en oeuvre et leur suivi.

Enfin, je donnerai la parole à Alban Jacquemart, politiste et sociologue, maître de conférences en science politique à l'Université Paris-Dauphine. Spécialiste des questions de genre, il est co-auteur d'un ouvrage intitulé Le plafond de verre et l'État. La construction des inégalités de genre dans la fonction publique. Il nous exposera son analyse de la loi Sauvadet et, plus globalement, de la place des femmes dans la haute fonction publique aujourd'hui et des raisons pouvant expliquer certaines résistances observées.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. - Cette année marque un anniversaire important en termes d'égalité professionnelle dans la fonction publique. Vous l'avez rappelé, la loi dite Sauvadet fête ses dix ans. En ce jour d'ailleurs difficile pour notre continent Européen, il est important de revenir sur les progrès réels ayant été engagés grâce au ministère de la transformation et de la fonction publiques, que je porte, mais aussi grâce à un engagement politique placé par le Président de la République, dès le début de son quinquennat, comme une cause majeure de son action. Il avait pour objectif de rendre notre fonction publique particulièrement exemplaire dans ce mouvement. Nous représentons 20 % de l'emploi de notre pays. Je suis moi-même à la tête d'un ensemble de cinq millions d'hommes et de femmes qui s'engagent chaque jour au service de leurs concitoyens.

Je connais votre engagement pour que cette égalité progresse dans tous les champs de la société, et notamment dans la fonction publique. L'exemplarité de l'État en la matière concerne toute la fonction publique, mais également la haute fonction publique. En tant que femme, que responsable politique, que ministre du service public, j'avais à coeur que cette transformation de notre haute fonction publique soit une réelle opportunité d'accéder davantage aux plus hautes fonctions de notre République pour des femmes de talent et de mérite.

Je sais que les modalités de la réforme de la haute fonction publique suscitent des interrogations totalement légitimes. Mon rôle est ici de pouvoir y répondre et de vous rassurer sur les mécanismes que nous mettons en oeuvre, qui aideront, j'en suis sûre, à atteindre une plus grande égalité. Elles accompagneront et soutiendront les femmes pour qu'elles puissent réaliser la carrière correspondant à leur engagement et à leur talent.

Je reviendrai dans un premier temps sur les résultats de l'action de ce Gouvernement en faveur de l'égalité. Depuis 2017, d'importants progrès ont été accomplis. Ils sont le fruit d'une mobilisation collective. Je pense notamment à la signature unanime entre toutes les organisations syndicales et tous les employeurs publics de l'accord pour l'égalité professionnelle en 2018 et à la loi de transformation de la fonction publique d'août 2019. Celle-ci comprenait un volet entier dédié à l'égalité professionnelle. Pour la première fois, depuis au moins dix ans que nous mesurons cette réalité, l'État a été en capacité de nommer 42 % de femmes parmi ses primo-nominations à des emplois de direction. Il s'agit ici des emplois à la décision du Gouvernement, bien sûr, mais aussi des emplois de directeurs et directrices d'administrations centrales, des postes de préfètes, d'ambassadrices ou de sous-directrices, soit un ensemble de 6 000 postes. C'est un élément de flux, comme vous l'évoquiez.

En 2020, quatre départements ministériels n'ont pas atteint l'objectif légal de 40 % et ont donc été soumis au versement d'une contribution financière. Ils étaient six en 2019. Le montant global des pénalités pour la fonction publique de l'État s'est élevé à 1,170 million d'euros en 2020, soit 46 % de moins que les 2,160 millions dus en 2019. Ainsi, le nombre de ministères concernés est plus faible et dans chacun d'entre eux, il manque moins de femmes, les amendes étant proportionnées à ce critère.

Ces résultats encourageants sont le fruit d'une mobilisation à haut niveau. J'ai ainsi réuni pour la première fois au mois de juillet dernier l'ensemble des ministres sur ce sujet spécifique, pour que chacun puisse présenter ses plans d'action et partager ce qui fonctionne ou faire part des difficultés rencontrées. Nous avons ainsi pu avancer au niveau ministériel. C'était une première historique.

Il m'importe d'aller plus loin, depuis ma prise de fonction. C'est tout l'objectif de la réforme de la haute fonction publique que je conduis. Le renforcement de la place des femmes ne se fera que par la construction d'une véritable politique de ressources humaines dans notre fonction publique. Elle doit répondre aux besoins de l'État, mais surtout à nos attentes. Si celles-ci peuvent être partagées par tout le monde, tous sexes confondus, elles sont tout de même parfois spécifiques ou renforcées pour les femmes. Au cours de cette réforme, nous avons pu mener une consultation des 12 000 hauts fonctionnaires de notre pays. 7 000 répondants ont fait part de leurs attentes, aspirations et difficultés. Il en est ressorti que la plus forte préoccupation des femmes occupant ces postes de direction porte sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, ainsi que sur la qualité de vie au travail. Ces paramètres sont aujourd'hui insuffisamment pris en compte dans les postes à responsabilités. Spontanément, les femmes attendent d'alléger la charge de travail et de pouvoir télétravailler. Cette problématique arrive, pour cette population, bien avant la rémunération. C'est différent pour les hommes.

L'accord unanime que j'ai pu signer en juin dernier sur le télétravail avec les neuf organisations syndicales de la fonction publique et tous les employeurs publics, apporte de premières solutions sur ce plan. Il comporte notamment un véritable droit à la déconnexion et pose un certain nombre de principes d'articulation des temps de vie. Il est aussi très innovant et décisif, puisqu'il précise spécifiquement le besoin de s'assurer que le télétravail ne devienne pas un frein à l'égalité entre les femmes et les hommes. En clair, l'objectif n'est pas que les femmes télétravaillent pendant que les hommes assistent à des réunions importantes en présentiel. Ces sujets doivent être suivis pour constituer un réel progrès et non une régression.

Deuxième axe fort des résultats de la consultation que nous avons menée : le souhait d'un accompagnement renforcé dans les parcours de carrière, notamment dans les mobilités, changements de poste ou de ministère, et tout ce qui concourt à la capacité d'accéder à des responsabilités plus importantes. Les attentes sont relatives à un accompagnement tant professionnel qu'extra-professionnel : aide au déménagement, accompagnement du conjoint dans sa recherche d'emploi en cas de mobilité géographique, transparence des opportunités et publication des postes, outils de RH adaptés - dont les femmes sont jusqu'à présent moins bénéficiaires. Ces attentes sont largement partagées par les jeunes hommes.

Dans le cadre de cette réforme, il s'agit aussi de constituer et de renforcer un vivier de talents féminins pour notre haute fonction publique. Nous ne manquons pas de femmes mais de candidates postulant aux postes ouverts. Pour cette raison, j'ai lancé le programme Talentueuses à l'automne dernier. Nous avons pu sélectionner 50 femmes sur 374 candidates, chiffre témoignant de l'importance et du besoin d'un tel programme. Pour l'anecdote, sachez que les femmes sélectionnées pensaient qu'elles l'étaient en raison d'un faible nombre de candidates. J'ai pu les rassurer et leur confirmer que nous les avions bien choisies. Talentueuses vise à leur permettre d'être armées et soutenues pour accéder à un premier emploi fonctionnel - il s'agit de tous les emplois équivalents au poste de sous-directrice ou d'experte de haut niveau. Il ne s'agit donc pas de coacher des femmes susceptibles d'atteindre dans l'immédiat les plus hautes responsabilités, mais de les soutenir pour qu'elles accèdent aux emplois juste en dessous, où nous constatons que le plafond de verre est le plus fort. C'est bien cette catégorie d'emploi qui constitue le vivier des futures femmes qui deviendront cheffes de service puis accéderont aux emplois dirigeants et, enfin, aux emplois à la décision du gouvernement.

Je travaille aussi sur le vivier de femmes au recrutement initial pour la haute fonction publique, dans les écoles de service public, et en particulier l'Institut national du service public (INSP) qui a remplacé l'ENA depuis le 1er janvier 2022. Dans la première promotion de l'INSP, nous comptons 44 % de femmes, soit 39 des 89 élèves admis au concours. Ce chiffre est historiquement élevé. Nous travaillons également à l'égalité dans les classes préparatoires à ces concours, notamment dans les classes Talents ouvertes pour les boursiers. Dans les 74 classes Talents que j'ai pu ouvrir en dehors de Paris, dans les universités partout dans le pays, nous comptons près de 50 % de femmes, voire plus. Les classes préparatoires traditionnellement connues, notamment parisiennes, en accueillaient généralement moins de 40 %. Lorsqu'on enlève les freins de l'autocensure géographique et sociale, les femmes se présentent donc largement pour préparer ces concours.

Dans cet objectif, la Délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (DIESE), dirigée par Émilie Piette, est particulièrement mobilisée. Un adjoint y sera nommé dans les prochaines semaines pour se charger des enjeux d'égalité et de diversité. Il s'assurera notamment que la constitution du vivier de femmes soit bien effective à chaque étape de la carrière de nos hauts fonctionnaires. De nombreux éléments chiffrés seront suivis pour les différents ministères. Les objectifs seront beaucoup plus précis et raffinés que ceux de la loi Sauvadet.

La constitution de ce vivier est indispensable pour que la politique volontariste menée par le Président de la République depuis cinq ans puisse perdurer. C'est elle qui nous a permis d'atteindre pour la première fois en 2020 l'objectif légal de 42 % de femmes nommées pour la première fois à un emploi dirigeant et de direction dans la fonction publique. Nous devons évidemment poursuivre nos efforts collectivement. C'est bien pour cette raison que ce programme d'accompagnement, de coaching et de formation est indispensable pour lever les freins qui persistent encore trop souvent.

Parce que les évolutions sont satisfaisantes mais pas suffisantes, je porte l'ambition d'aller encore plus loin. Madame la Présidente, j'ai pu travailler, grâce à votre soutien, à une évolution du dispositif des nominations équilibrées pour qu'au-delà de la mesure du flux, efficace mais comportant certains biais, nous nous attachions à une mesure de stock, et donc à un suivi de la proportion des femmes en poste dans l'encadrement supérieur de l'État. Ce n'est que par cette mesure que nous parviendrons à une égalité réelle effective. Avec le soutien de beaucoup d'entre vous, nous avions tenté de l'intégrer dans la proposition de loi visant à renforcer l'égalité économique et professionnelle entre les femmes et les hommes. Cette proposition s'est malheureusement heurtée à une forme de résistance, dont nous connaissons la nature, et que je regrette. Je suis néanmoins persuadée que le sujet est maintenant mûr. Il a été arbitré en interministériel et bénéficie du soutien des employeurs publics. J'espère qu'il pourra être voté dans une prochaine mandature et avoir force de loi.

Par ailleurs, parce que cette question d'égalité professionnelle concerne bien toute la fonction publique, et pas uniquement son encadrement supérieur, le sujet de la rémunération est également partie intégrante de cet enjeu. Je publierai ainsi prochainement, comme je m'y étais engagée en juillet 2021, un baromètre de l'égalité professionnelle dans la fonction publique de l'État. J'ai souhaité l'étendre aux trois versants de la fonction publique dans la proposition de loi précédemment mentionnée, sur le modèle de l'index égalité lancé dans le privé. Il nous permettra d'objectiver et de traiter les écarts de rémunération qui persistent trop souvent entre les sexes.

Dans la loi de transformation de la fonction publique d'août 2019, nous avons bien inclus l'obligation pour tous les employeurs de suivre, mesurer et publier les indicateurs constituant l'index. Simplement, ils sont parfois bien cachés dans des rapports, et difficilement comparables en tant que tels, d'où l'intérêt de l'index. L'amendement est prêt. Il a été déposé et est connu. Il ne lui manque qu'un soutien politique et majoritaire des parlementaires. Le sujet me semble mûr. Le Gouvernement le soutient et le soutiendra si nous sommes encore en capacité de le faire dans les prochains mois.

Bien que le sujet ne concerne pas la haute fonction publique - quoi que - nous identifions également un sujet de revalorisation des salaires de la fonction publique dans les filières les plus féminisées. Je pense par exemple aux métiers du soin et du médicosocial. Après les grandes annonces du Ségur de la santé, ce sont près de dix milliards d'euros qui ont été investis dans ces salaires. Il s'agit de la plus importante revalorisation des salaires féminins ayant jamais eu lieu dans notre pays. Elle permettra de réduire statistiquement et réellement les écarts de salaires entre les hommes et les femmes.

J'ai aussi pu mener une revalorisation indemnitaire des filières sociales et administratives, très féminisées, là où la filière dite technique est plus masculine. Ces filières connaissaient des écarts de régimes indemnitaires très importants entre les ministères. En somme, deux hommes ou deux femmes qui faisaient le même métier présentaient des écarts de parfois 300 ou 400 euros par mois, simplement parce qu'ils ne dépendaient pas des mêmes ministères. Des écarts historiques s'étaient accumulés. Ainsi, 65 000 personnes ont vu leur régime indemnitaire revalorisé en 2021 pour arriver à une vraie convergence entre les ministères. Là aussi, ces filières comptent une large proportion de femmes.

L'ensemble de ces mesures contribuera, j'en suis convaincue, au renforcement de la féminisation de notre fonction publique et de son égalité. Au-delà des chiffres, indispensables pour faire bouger les choses, c'est bien un changement culturel qu'il faut impulser. Il doit infuser toute l'action publique et tout notre discours. Ce Gouvernement est pleinement mobilisé, sous l'autorité du Président de la République qui a fait de ce sujet la grande cause de son quinquennat, pour que les conditions nécessaires à ce changement culturel soient réunies. Elles passent par une fonction publique et une haute fonction publique exemplaires en la matière. C'est au coeur de la réforme de la fonction publique que je porte. Ma plus grande fierté est de me dire qu'aujourd'hui nous n'avons jamais eu autant d'ambassadrices, de préfètes, de directrices d'administration centrale dans certains ministères. Nous savons encore que l'égalité est un chemin dans lequel la seule direction possible est celle du progrès.

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - Quels sont les quatre ministères encore à l'amende ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je vous enverrai la réponse à cette question. Sachez simplement que le ministère de l'économie, des finances et de la relance y figure. Avec une très forte mobilisation, un certain nombre de ministères de cette liste prennent les mesures nécessaires pour ne plus y figurer. Je souhaite moi-même qu'il n'y ait plus d'amendes puisque cela signifierait que le problème a été résolu. Si vous observez les chiffres de 2020, 2021 et 2022 du ministère de l'économie, des finances et de la relance, vous constaterez qu'il n'y a pas de fatalité.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup pour ces premières réponses. Je connais votre engagement et les difficultés d'avancer sur le sujet. Merci de nous avoir exposé ce matin le parcours parfois semé d'embûches en la matière. Je laisse la parole à Agnès Arcier pour le HCE.

Mme Agnès Arcier, présidente de la commission Parité du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE). - Je vais vous présenter les éléments principaux d'un rapport remis en avril 2021, dont l'étude, le travail et la recherche statistique se sont principalement déroulés en 2020, sur un périmètre plus large que celui des trois fonctions publiques. Il concernait l'ensemble de la sphère publique. Je vais m'arrêter un instant sur le constat large avant de me focaliser sur la fonction publique dix ans après la loi Sauvadet.

Nous pouvons affirmer de manière générale que nous avons progressé. Les dispositifs paritaires ont globalement permis d'avancer. Nous pouvons identifier quatre catégories d'institutions.

Citons d'abord les précurseurs que sont les établissements publics. Ils ressortent généralement de l'article 52 de la loi Sauvadet, qui portait aussi sur les questions de gouvernance et de conseils d'administration. Certains d'entre eux ressortent de la loi Copé-Zimmermann. Après quelques années, l'examen montre que ces établissements publics se sont engagés dans la mise en oeuvre des dispositifs paritaires, avec difficulté. En effet, ces dispositifs sont complexes à mettre en oeuvre en fonction des catégories d'établissements. Nombreux sont ceux qui ne s'y retrouvent pas. Des progrès évidents ont néanmoins été observés dans les chiffres, bien que le secteur manque de suivi. Nous n'avons pu procéder que par sondages et études parcellaires pour obtenir des chiffres.

Ensuite, la deuxième catégorie est celle des ambitieux, qui sont selon nous les trois fonctions publiques, avec une véritable ambition politique portée dès le début, mais qui rencontre des difficultés de mise en oeuvre. Nous n'avons pas pu prendre en compte dans le rapport l'impulsion donnée par Mme la Ministre de Montchalin, puisque nos constats se sont arrêtés à peu près au moment où elle a engagé les actions qu'elle nous a présentées. Les ambitieux se caractérisent par un dialogue social affirmé, par des lois successives, par de nombreux dispositifs de labels, par des chartes et autres outils montrant la volonté d'aller de l'avant. Les résultats n'en ont pas moins été en demi-teinte pendant très longtemps.

Le troisième bloc est celui des respectueux. Il s'agit du monde de l'enseignement supérieur en général, avec des dispositifs paritaires s'appliquant sur les conseils des universités, où la parité est à peu près respectée mais sans réel effet de ruissellement.

Enfin, le dernier bloc est celui des avant-gardistes que sont les autorités administratives indépendantes. Elles nous ont semblé s'être résolument engagées dans la mise en oeuvre des dispositifs paritaires pour atteindre ce que nous pouvons véritablement qualifier de parité. Elles ont fait preuve d'une volonté d'agir sur le sujet de manière systémique et donc d'en faire découler un certain nombre d'initiatives, de politiques de ressources humaines et de traitement de sujets, avec un regard beaucoup plus mixte.

Nous avons eu un dernier regard sur les comités consultatifs, notamment durant toute la période du Covid. Nous avons eu le regret de constater que malgré les dispositifs paritaires dans l'ensemble de la fonction publique, le réflexe paritaire a pu être là - momentanément, nous l'espérons - un peu oublié. En effet, il s'avère que la constitution de la plupart des comités ne respecte pas une parité femmes-hommes.

Si l'on fait maintenant un focus sur la fonction publique, les dispositifs paritaires ont eu un impact réel. Pour autant, nous avons constaté une extrême lenteur pendant des années sur le mécanisme des primo-nominations, qui est celui qui nous intéresse le plus aujourd'hui. Au-delà de l'impulsion très forte qui a pu être donnée sur les années 2019 à 2021, nous devons nous arrêter un instant sur les difficultés structurelles que nous avons observées, qui constituent des obstacles face auxquels l'impulsion doit être permanente pour arriver à avancer sur le chemin de l'égalité.

D'abord, les secteurs techniques restent globalement à la peine. Il est très difficile d'atteindre une progression réelle des femmes dans ce type de fonctions. Il demeure en outre un plafond de verre sur les fonctions de présidence de conseil d'administration, d'autorités administratives indépendantes, d'universités, malgré une progression des chiffres des primo-nominations des grands cadres dirigeants.

Nous avons également constaté une instabilité forte des résultats d'une année sur l'autre. Des progrès sont parfois suivis ensuite d'une forme de régression avant de repartir de l'avant. Nous espérons que les impulsions qui viennent d'être données ne donneront pas lieu à des régressions ultérieures. Pour cette raison, nous pensons qu'il est essentiel de maintenir la pression. Ce n'est peut-être pas seulement une politique de ressources humaines qui peut permettre de la maintenir. Il nous a semblé que la question de la volonté politique devait éventuellement s'inscrire de manière institutionnelle. Certains ministères préfèrent encore payer plutôt qu'agir, c'est vrai. Nous observons en outre des difficultés à développer les viviers, notamment dans les ministères, alors qu'au niveau interministériel, un travail important a pu être réalisé. Il est également nécessaire de soumettre aux règles paritaires toutes les fonctions exécutives des fonctions publiques, et donc d'élargir le champ.

En termes de recommandations, sur les trois fonctions publiques, nous avons d'abord souhaité un portage politique beaucoup plus fort de la question de la parité. Il pourrait se traduire par un comité interministériel inscrit dans le marbre, plus que dans la seule capacité de la ministre à réunir ses collègues. Nous savons néanmoins que même un comité interministériel peut avoir ses insuffisances. Nous pensons également qu'il est très important d'obtenir que les ministres ancrent dans la pratique ministérielle des réunions régulières avec l'ensemble de leurs directeurs d'administrations centrales sur ce sujet, et que cela ne soit pas uniquement une question de dialogue social dans chaque ministère comme cela a été le cas jusqu'à présent. Ce sujet doit aussi être intégré dans les contrats d'objectifs et de moyens des différents établissements publics. Le portage politique inscrit de manière institutionnelle nous paraît essentiel.

Nous avons aussi souhaité une extension du champ des nominations équilibrées. Aujourd'hui, un certain nombre de fonctions n'y figurent pas : magistratures générales et financières, administrateurs des assemblées parlementaires,... Nous ne comprenons pas pourquoi. Nous avons également souhaité qu'il puisse y avoir une mesure en « stock ». Nous serions ravis que le Parlement puisse enfin donner suite aux propositions faites par la ministre.

Nous pensons également qu'il faut désagréger les statistiques telles qu'elles existent aujourd'hui. Avec une présentation grand bloc ministériel par grand bloc ministériel, elles ne permettent pas une vision assez fine. Le travail de la DIESE permettra éventuellement de les désagréger. Nous l'espérons. Nous devons travailler plus finement. Il est trop facile de compenser des secteurs entre eux pour montrer que l'on est bon élève ou qu'on respecte les obligations, mais cela peut être trompeur. Nous pensons aussi qu'il faut parvenir à publier beaucoup plus vite qu'aujourd'hui. Nous avons deux ans de décalage pour obtenir un bilan global de la situation. Nous devons vraiment pouvoir fonctionner en temps réel.

Nous avons également soutenu l'idée selon laquelle il fallait peut-être valoriser ou sanctionner un peu plus et, en tout état de cause, songer à un index de l'égalité pour les fonctions publiques. Nous souhaitons que l'initiative prise par la ministre puisse être poursuivie. C'est en tout cas la recommandation assez claire du HCE.

Enfin, il y a peut-être un enjeu dans le fait de faire toucher du doigt, à l'ensemble des échelons politiques et des différents échelons de la fonction publique, le lien qui existe entre la mixité et la parité dans les fonctions de responsabilité et la transformation publique dont nous avons besoin dans notre pays. Il me semble que ce sujet devrait être mieux compris et appréhendé. Peut-être serait-il bon d'envisager que le comité interministériel régulier que nous appelons de nos voeux, présidé par le Premier ministre, place le sujet sous cet angle. Il doit considérer que la parité n'est pas uniquement un sujet de modernité mais aussi une opportunité de transformer réellement les services publics, en premier chef la fonction publique, pour être plus au service de l'ensemble des citoyens, et donc dans la dimension de redevabilité.

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - Merci beaucoup. Je vais laisser la parole à Alban Jacquemart qui a eu à étudier ce sujet.

M. Alban Jacquemart, maître de conférences en science politique à l'Université Paris-Dauphine. - Je vais parler plus spécifiquement de la fonction publique d'État, qui est celle que je connais le mieux, à travers deux enquêtes sociologiques que j'ai menées avec plusieurs collègues : Le plafond de verre et l'État, ouvrage pour lequel nous avons mené des entretiens avec des hauts fonctionnaires de Bercy et des ministères sociaux, et une enquête plus récente qui fera l'objet d'une publication dans deux semaines, avec le soutien d'Agnès Saal, présente parmi nous ce matin, sur le ministère de la culture en administration centrale et dans les services déconcentrés.

Je vais me concentrer sur trois points.

D'abord, sur le bilan chiffré qui a déjà été évoqué. Je ne dispose que des chiffres de 2019, mais je vais insister sur trois constats que nous pouvons tirer des données chiffrées dont nous disposons depuis presque dix ans. Jusqu'en 2019, les trois années soumises à l'obligation de 40 % n'avaient jamais permis d'arriver à ce quota. Ce constat interroge sur la pertinence de l'outil de quota sur les flux qui avait été choisi. Il était perçu comme plus atteignable. Malgré la rigidité du quota, son efficacité reste corrélée à un soutien politique, à des soutiens individualisés à tel ou tel endroit de l'administration ou du champ politique. Il peine à devenir un outil structurel, permanent et efficace.

En dépit de cette critique, ce quota sur le flux a permis très modérément, non pas d'accélérer la féminisation du stock, mais en tout cas de ne pas la stopper. Les chiffres sont compliqués à analyser, puisque le périmètre Sauvadet n'existait pas en tant que catégorie statistique avant la loi du même nom ; nous ne disposons donc des chiffres pour ce périmètre que depuis 2015. Pour autant, si nous nous intéressons à d'autres indicateurs tels que la féminisation des directeurs généraux ou des chefs de service, nous constatons à peu près toujours les mêmes courbes. L'accélération date du milieu des années 2000 et le dispositif Sauvadet accompagne ce mouvement, évitant un plafonnement habituellement observé dans la féminisation des professions supérieures (à 25, 30 ou 35 %). Je ne sais pas si c'était l'objectif initial mais le dispositif a donc pour vertu principale de permettre le maintien de la hausse de la féminisation du stock. Il n'a toutefois pas produit d'accélération de sa féminisation.

Ensuite, si nous ne disposons pas toujours d'éléments très fins, le rapport annuel en comprend quelques-uns qui se rapportent à ce dispositif. Nous constatons que les postes féminisés par les administrations ne sont pas n'importe lesquels. Dans la fonction publique d'État, les chiffres les plus bas, au moins jusqu'en 2019, concernaient les postes les plus prestigieux, les plus rentables et les plus hauts placés : ceux dont la nomination relève du gouvernement, ceux de chefs de service ou de sous-directeurs ou sous-directrices. En 2019, ce sont principalement les primo-nominations à des postes de direction de projet ou d'expertes de haut niveau qui permettent à la fonction publique d'État de s'approcher des 40 %, avec 53 % de primo-nominations féminines à ces postes. Nous savons que malgré leurs vertus, ces postes sont les moins favorables aux carrières. C'est notamment le cas des postes d'expertes, qui n'offrent pas la possibilité d'encadrer une équipe, une expérience pourtant extrêmement valorisée dans les carrières des hauts fonctionnaires.

Deuxièmement, si le projet de loi Sauvadet a fait l'objet de relativement peu d'oppositions frontales et publiques, par rapport à d'autres, dont la loi Copé-Zimmermann ou les mesures de parité en politique, dix ans plus tôt, et si l'outil s'est légèrement normalisé dans l'action publique, nous voyons néanmoins des traces de résistance plus feutrées dans les institutions et dans les cercles du pouvoir politique et administratif.

D'abord, les chiffres sont publiés avec plus de deux ans d'écart. Ce décalage n'a pas toujours existé. Il n'est apparu qu'en 2017 et s'est maintenu depuis. En tant que sociologue, j'ai envie de mener une enquête sur les rouages de l'administration, pour identifier la bascule et comprendre dans quelle mesure ce constat peut témoigner d'une forme de résistance ou de frein à cette politique.

Ensuite, le 27 décembre 2018 était publié un décret réduisant d'un tiers le périmètre des emplois soumis aux quotas Sauvadet pour Bercy, mauvais élève des nominations équilibrées, bien que la courbe augmente visiblement. Cette diminution atteste probablement des formes de résistance dans les cercles du pouvoir pour réussir à contourner une obligation votée par la représentation nationale.

Enfin, j'aborde souvent dans mes enseignements la règle de l'arrondi inférieur. Il s'agit d'un des points négatifs de la loi de 2019, malgré les avancées ayant été rappelées aujourd'hui. Cette règle permet de considérer que l'objectif de 40 % est atteint à l'unité inférieure. Il est donc inscrit dans la loi que la nomination de trois femmes sur neuf nominations totales respecte l'obligation de 40 % au moins de personnes du sexe sous-représenté. 40 % de neuf personnes équivaudraient en réalité à 3,6 femmes. Le texte demande pourtant au moins 40 % de femmes. Pourquoi, dans ce contexte, autoriser un dispositif permettant la nomination de moins de 40 % ? Cette loi témoigne à mon sens de résistances puissantes, bien que discrètes.

J'en viens à mon troisième point : que produisent ces quotas sur les hauts et hautes fonctionnaires ? Le dispositif reçoit de plus en plus de soutien de la population en général, et de la haute fonction publique en particulier. Pour autant, un tiers des concernés évoquent encore une réticence à l'idée de ces quotas dans les enquêtes qualitatives que nous menons. Les femmes sont plus susceptibles de les soutenir. C'est d'autant plus vrai lorsqu'elles évoluent dans des administrations peu féminisées, où elles perçoivent une possibilité d'impact rapide. Les femmes des ministères sociaux expriment par exemple beaucoup plus de réticences vis-à-vis des quotas qu'à Bercy, où elles y voient un moyen d'accélérer un processus de féminisation très ralenti. À l'inverse, des réticences ou vives oppositions s'expriment parfois du côté des hommes, d'autant plus qu'ils se sentent directement menacés. Dans les administrations peu féminisées, ils y sont les plus opposés. Ces réticences se retrouvent également dans les corps ou postes un peu inférieurs aux plus prestigieux. Les hommes y expriment la crainte de voir leurs perspectives de carrière bloquées par ces dispositifs.

Les jeunes hommes ont été évoqués plus tôt. Il est assez compliqué de savoir si nous observons un effet d'âge ou un effet de génération. Nous allons effectivement retrouver des préoccupations de jeunes hommes parfois assez proches de celles des jeunes femmes, notamment en termes de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Dans les entretiens, les trentenaires ou jeunes quadragénaires peuvent exprimer plus d'intérêt pour cette question, y compris à titre personnel. Il y a probablement un effet durable de génération. Ces hommes sont plus souvent en couple avec des femmes ayant suivi des études et carrières proches des leurs. Le couple hétérosexuel homogame est peut-être le meilleur moteur d'égalité professionnelle. Les femmes sont de moins en moins peu diplômées et à l'écart du marché du travail dès la mise en couple. Néanmoins, il s'agit peut-être aussi d'un effet d'âge. À 30 ou 35 ans, les hommes font part d'aspiration à la vie familiale et à l'égalité des carrières entre les femmes et les hommes. Lorsque nous les revoyons à 40 ou 45 ans, nous sommes surpris de voir que dans ces couples, c'est encore la carrière professionnelle du conjoint homme qui passe en priorité. Quand ils nous expliquaient qu'un passage en cabinet ministériel était perçu comme une bonne opportunité, mais que c'était compliqué en termes de conciliation et de vie de famille, ils se dirigent tout de même vers ces carrières. Ils sont pris dans un conflit de loyauté entre des normes égalitaires auxquelles ils ont pu être socialisés et auxquelles ils ont pu adhérer sincèrement, et des normes professionnelles pour faire carrière, auxquelles ils ont également été socialisés, et auxquelles ils croient sincèrement. Si on leur propose d'aller en cabinet ministériel, il y a un conflit, qui est encore tranché en faveur de la carrière.

Le dispositif Sauvadet a eu deux effets positifs importants. Parce que c'est un quota qui fait parler, il rend visible le fait que l'égalité professionnelle est un enjeu dans la fonction publique en général, celle de l'État en particulier. Il permet aussi de ne pas écraser la courbe de féminisation de la haute fonction publique.

Je terminerai par une interrogation, voire une crainte. Sur la question des « talents », nous devons être attentifs. Les effets de corps peuvent avoir des effets négatifs pour les femmes, mais aussi des effets protecteurs lorsque celles-ci sont dans le corps. L'approche par talents peut avoir un effet pervers, qui n'est absolument pas propre à la fonction publique. Les parcours marginaux ou atypiques des hommes seront beaucoup plus facilement valorisés que ceux des femmes, qui doivent cocher les cases attendues des modèles de carrière dans leur secteur professionnel. Le talent, le génie, le charisme sont historiquement des notions favorables aux hommes. La plus grande attention doit être portée à ces sujets, notamment lorsqu'il s'agit de réformer les manières de faire carrière.

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - Merci beaucoup. Au revoir, Madame la Ministre. Merci d'être venue ce matin.

Je donne immédiatement la parole à Martine Filleul, co-rapporteure, pour animer la deuxième séquence de cette réunion qui s'intéresse aux différences entre fonctions publiques et entre ministères, afin d'identifier les points de blocages, mais aussi de mettre en valeur des bonnes pratiques et d'imaginer de nouvelles solutions pour faire progresser la parité.

Mme Martine Filleul, co-rapporteure. - Je voudrais dans mon intervention aller dans le même sens que Mme Arcier, qui disait que la place des femmes en responsabilités n'est indéniablement pas la même dans l'ensemble de la fonction publique. Elle souhaitait qu'une attention plus fine soit portée aux différents départements ministériels ainsi qu'aux trois versants de la fonction publique.

La fonction publique hospitalière fait, depuis plusieurs années déjà, figure de bonne élève, avec 50 % de femmes au sein des catégories A+. Pour autant, les femmes sont davantage à la tête d'établissements sanitaires et de directions de soins infirmiers, tandis qu'elles ne dirigent que moins d'un tiers des hôpitaux et CHU.

De son côté, la fonction publique territoriale, longtemps à la traîne, semble peu à peu rattraper son retard. Pour autant, le nombre de femmes à la tête des directions des services techniques reste faible et elles occupent bien plus souvent des postes d'adjointes.

S'agissant de la fonction publique d'État, les situations sont contrastées selon les ministères. La proportion de femmes occupant un emploi supérieur était de 33 % en 2020 au niveau global, variant de 46 % pour le ministère des affaires sociales à 32 % pour le ministère de l'intérieur, 31 % pour celui de la culture et 27 % pour celui de l'économie et des finances.

S'il s'agit d'identifier les difficultés pesant sur une pleine appropriation et mise en oeuvre de la parité, notre objectif est aussi de mettre en valeur les succès et les initiatives menées par divers employeurs publics, mais aussi associations et syndicats.

À cette fin, nous avons réuni cinq intervenantes : Nathalie Pilhes, présidente de l'association Administration moderne ; Corinne Desforges, vice-présidente de Femmes de l'Intérieur, inspectrice générale de l'administration ; Agnès Saal, haute fonctionnaire à la responsabilité sociale des organisations du ministère de la culture, engagée au sein des associations Cultur'elles et Administration moderne ; Françoise Belet, déléguée nationale de l'Association des administrateurs territoriaux de France (AATF) en charge de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; et Caroline Chassin, chargée des thématiques « égalité professionnelle » au sein du Syndicat des managers publics de santé (SMPS), directrice générale du Centre hospitalier de Draguignan.

Mesdames, vous nous direz quel regard vous portez sur la loi Sauvadet et sur les quotas, plans d'égalité et autres mesures mises en oeuvre pour faire progresser la place des femmes dans la haute fonction publique.

Vous nous exposerez également les actions menées par les associations et syndicats que vous représentez, les retours que vous avez de vos collègues, ainsi que les éventuels difficultés et blocages auxquels vous êtes confrontées.

Vous nous direz également, pour celles d'entre vous qui sont concernées, votre perception des actions menées par la Mission cadres dirigeants de l'État.

Nous serons très attentifs aux recommandations que vous pourrez formuler. Que manque-t-il, selon vous, pour augmenter la proportion de femmes au sein des postes à responsabilités, notamment les plus prestigieux et ceux à plus hautes responsabilités ? Le périmètre des quotas doit-il être étendu à davantage de types d'emplois et de collectivités ? Au-delà d'éventuelles mesures législatives ou réglementaires, quels changements aimeriez-vous voir insuffler dans les politiques RH et la culture publique du management ?

Un collectif de 61 réseaux professionnels féminins et mixtes, le 2GAP, a exprimé le souhait, au moment de l'examen de la loi visant à accélérer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, de doter le secteur public des mêmes outils que le secteur privé, en lui étendant l'application de l'Index Pénicaud de l'égalité professionnelle et en élargissant le champ des dispositions de la loi Sauvadet à tous les postes existants de dirigeants des administrations. Pourriez-vous développer ces propositions pour nous ?

Mme Nathalie Pilhes, présidente de l'association Administration moderne. - Merci de nous accueillir pour donner notre point de vue sur la loi Sauvadet et sur la situation des femmes à des postes de responsabilités dans la fonction publique. Je voudrais commencer par replacer cette loi Sauvadet dans une perspective globale, avec les réformes constitutionnelles et législatives concernant la place des femmes dans les fonctions de direction, dans le secteur public comme privé. Il est extrêmement important de faire ce lien car la question des hommes et des femmes dans ces postes dépasse celle de l'égalité professionnelle. Nous parlons ici véritablement de la construction de la décision publique. S'il est si important de faire ce lien lorsqu'il s'agit de prendre des décisions dans le monde législatif, il en va de même du point de vue de l'exécutif. Nous traitons ici de la redevabilité de celles et ceux qui prennent une décision par rapport aux citoyens.

Pour remettre en perspective toutes les dispositions de la loi Sauvadet, le sujet est donc bien le partage de la décision. Si on partage cette décision, on répond mieux aux attentes du corps social. C'est le même sujet pour l'exécutif, raison pour laquelle les résistances sont si nombreuses. Partager la décision, c'est partager le pouvoir. Il est évidemment très important de disposer d'une série de mécanismes tels que la loi Sauvadet. C'est indispensable pour mettre la machine en mouvement. Au-delà de ce sujet, gardons en tête qu'il s'agit du partage du pouvoir. C'est là où se situent les réticences et les différents obstacles.

Notre association interministérielle Administration moderne a le plaisir de coordonner l'action interministérielle des réseaux professionnels féminins du secteur public. Nous faisons des propositions très en phase avec les recommandations du Haut conseil à l'égalité. Nous observons que la loi Sauvadet a été essentielle pour développer une dynamique, mais que, pour autant, il ne s'agit que d'une première étape. Elle doit être complétée par l'élargissement du champ de la loi Sauvadet. Il est aujourd'hui assez restreint, et un peu amputé dans son efficacité dans la mesure où il prévoit un système de pénalités, qui est aussi un système de contournement pour éviter d'appliquer la règle.

Quels sont les obstacles ? Sont-ils systémiques ? Nous le pensons. En 2017, nous observions, parmi les nominations au ministère de la justice, que si le corps des magistrats était féminisé aux deux tiers, les postes de direction étaient masculins aux deux tiers. Derrière la question du vivier, nous constatons donc des sujets de résistance systémique. De la même façon, nous avons aussi observé cette résistance lors de la loi de 2019 sur la transformation de la fonction publique. Son contenu était le résultat d'un accord avec les partenaires sociaux. Dans le volet d'égalité femmes-hommes n'était pas traitée l'égalité dans les postes de direction. Nous nous sommes aperçus, dans le même temps, que dans le secteur privé, l'égalité professionnelle avançait, mais que, de la même façon, nous n'avancions pas sur l'égalité dans les postes de décision. Du côté du secteur public, les blocages étaient dus à une résistance des employeurs publics eux-mêmes. Avancer sur ces sujets constituait pourtant une opportunité extraordinaire au moment de la loi de 2019.

Face aux obstacles systémiques auxquels nous sommes confrontés, comment réagissent les employeurs publics ? Aujourd'hui, ils perçoivent la loi Sauvadet comme une contrainte plutôt que comme une opportunité. C'est là aussi un sujet sur lequel il est nécessaire de se concentrer et de communiquer pour bien convaincre les employeurs publics qu'il s'agit d'une opportunité. Un certain nombre de secrétaires généraux de ministères ne sont aujourd'hui pas du tout convaincus de l'impact positif de la mixité dans leurs organisations et dans le partage de la décision. Il nous semble très important d'essayer de convaincre ces employeurs publics en développant des études comme cela a été le cas dans le secteur privé. Il est assez facile de prendre comme sujet d'étude une entreprise privée, puisque ses critères de performance sont assez facilement identifiables. Ils sont plus complexes dans une administration. C'est pour cette raison qu'il vaudrait la peine de lancer des études sur le sujet. Elles sont aujourd'hui très rares. Il est majeur de pouvoir les développer si nous souhaitons amener l'ensemble de l'encadrement supérieur de l'État vers l'égalité dans la prise de décision.

Enfin, parmi les obstacles auxquels nous sommes confrontés figure un manque très important de transparence, tant dans les résultats de nos organisations publiques que dans les différentes étapes franchies dans les parcours de carrière des femmes. Les parcours des hauts fonctionnaires vers des postes de direction et des postes de dirigeants ont été conçus par des hommes et pour des hommes. Il est primordial de remettre sur le métier l'étude de ces parcours professionnels. Plus que la question d'un certain nombre de passages obligés, tels que le passage en cabinet, la question de la mobilité pour l'ensemble des fonctionnaires pour pouvoir être nommés à des postes plus élevés reste un sujet majeur. Nous observons en outre un manque de transparence sur les nominations. Certaines ont encore lieu sans jury de recrutement, sans qu'on en connaisse vraiment les critères et objectifs. Il est très important de pouvoir favoriser cette transparence. Marlène Schiappa, à l'époque secrétaire d'État chargée de l'égalité femmes-hommes, avait tenté de répondre à ce problème. Elle avait, en mai2019, pris une décision pour tenter de lutter contre ce marché caché qui continue à exister. Cette décision, qui prévoyait notamment une diffusion aux réseaux féminins de l'administration des postes à pourvoir n'a malheureusement pas été appliquée.

Vous avez tout à l'heure mentionné le réseau 2GAP, Gender & Governance Action Platform, collectif auquel la plupart de nos réseaux ici présents prennent part. J'en suis moi-même présidente. Ce méta-réseau alimente la réflexion sur les propositions à faire pour franchir une nouvelle étape après la loi Sauvadet.

Dans ce cadre, notre association, Administration moderne, a émis quelques recommandations pour le secteur public. D'abord, que l'État soit exemplaire et s'applique à lui-même les quotas et index rendus obligatoires dans le secteur privé. Ces outils extrêmement simples à mettre en oeuvre sont fondés sur la transparence. L'Index Pénicaud est utile, car il comporte un levier réputationnel sur l'organisation concernée par la publication de ces chiffres. Il est très important de pouvoir appliquer le même dispositif sur l'administration publique et de se servir du même levier réputationnel. Nos directeurs et secrétaires généraux, comme les chefs d'entreprises, sont très attentifs à la réputation de leurs services et à la façon dont ils sont pilotés. De la même façon qu'il est rendu obligatoire pour le secteur privé de publier des chiffres le 1er mars - date autour de laquelle cette question est visible - il ne serait pas anecdotique que les chiffres de la fonction publique soient publiés à la même période. Nous disposons quasiment en temps réel des chiffres et pénalités de la loi Sauvadet. Il n'y a aucune raison qu'ils ne soient pas publiés le 1er mars de chaque année. Ils ne sont pas classifiés. Cette mesure peut être prise très simplement.

Le levier réputationnel pourrait également avoir pour effet d'inciter à d'autres pratiques managériales en mesure d'attirer les jeunes dans nos métiers. Nous avons bien un souci en la matière, alors même que nos métiers sont passionnants. Les DRH des différentes administrations ont d'ailleurs bien compris qu'une réflexion devait être menée sur les questions d'égalité femmes-hommes et d'articulation des temps de vie en termes d'attractivité.

Enfin, s'il faut bien entendu mettre en oeuvre des dispositifs qui concernent les femmes, nous devons également en développer à destination des managers hommes dans les services de l'État pour qu'ils soient convaincus de l'opportunité que constituerait une mixité dans la prise de décision. C'est l'un des points sur lesquels nos associations ont émis des recommandations. Nous avons proposé de mettre au coeur des politiques de relance cette politique d'égalité femmes-hommes, dans la mesure où elle a un impact en termes d'efficacité des organisations, qu'elles soient publiques ou privées.

Mme Martine Filleul, co-rapporteure. - Merci beaucoup. Je laisse la parole à Mme Desforges pour Femmes de l'Intérieur.

Mme Corinne Desforges, vice-présidente de Femmes de l'Intérieur, inspectrice générale de l'administration. - Pour notre association, la loi Sauvadet fut une bonne surprise. Lorsque j'ai vu le sujet avancer, très peu de temps avant l'élection présidentielle de 2012, j'ai cru qu'il n'aboutirait pas. Cette bonne surprise a ensuite été tempérée par les décrets d'application intervenus le 30 avril. Durant six semaines, vous pouvez imaginer les discussions qui ont eu cours dans les ministères lorsqu'ils ont commencé à comptabiliser ce qui allait se passer. Le ministère de l'intérieur s'en est bien tiré puisqu'il comptabilise de la même façon une préfète de région et une sous-préfète débutante : il s'agit toujours d'un effectif. Ce n'est pas le cas dans tous les ministères.

Au printemps 2013, nous avons fêté l'inévitable 8 mars. Nous avions fait venir, avec le secrétaire général du ministère de l'époque, Femmes et Diplomatie, association sur laquelle nous avons voulu prendre exemple. C'était une sorte de #MeToo avant l'heure. J'ai créé une association pour les femmes hautes fonctionnaires. Je voulais l'appeler Femmes d'Intérieur, nom qui me semblait très drôle. Il m'a été refusé par les commissaires de police, qui m'ont assuré qu'il leur vaudrait des moqueries dans les commissariats. Je continue toutefois d'appeler l'association ainsi puisque cet intitulé me semble infiniment plus porteur.

L'association a été créée. Contrairement aux autres associations du ministère (association du corps préfectoral, association des commissaires de police..), nous sommes une « trans-direction ». Le ministère de l'intérieur compte des policiers, des gendarmes, des sous-préfets, des pompiers, ainsi que l'administration centrale. Personne ne se parle, chacun étant dans son bloc. Pourtant, nous nous sommes regroupées entre femmes et avons une vision transversale. Nous organisons des réunions avec des commissaires de police, des gendarmes ou d'autres personnes qui ne se rencontrent jamais sur le terrain. C'est très intéressant et très utile. Un jour, nous avons organisé un dîner débat à l'Assemblée nationale avec Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur. Nous étions une centaine de femmes en responsabilités au ministère de l'intérieur. En arrivant, le ministre a eu un mouvement de recul. Il était seul avec son directeur de cabinet face à cent femmes. Cela ne lui était jamais arrivé. C'était très troublant pour lui. Nous nous connaissions toutes et discutions entre nous. Cet aspect de la loi Sauvadet nous aide beaucoup.

Nous sommes aujourd'hui une centaine de membres de catégorie A+, soit des hautes fonctionnaires de niveau supérieur. Nous venons de nous ouvrir aux hommes, après de longues discussions. Beaucoup de femmes, notamment policières, voulaient rester entre elles. Pour autant, les hommes ne viennent pas. Nous n'en comptons que deux.

Depuis neuf ans, nous organisons des conférences et des débats en régions. Nous y rencontrons des femmes issues des différents corps représentés sur le terrain. Nous aidons les femmes à préparer les oraux de concours nationaux. Nous les avons par exemple poussées à tenter le programme Talentueuses, après qu'elles nous ont dit qu'elles n'osaient pas le faire. Tant qu'elles n'ont pas posé leur candidature, elles ne sauront pourtant jamais si elles pourraient être prises ou non. Nous avons également tissé des liens avec les autres associations de femmes présentes aujourd'hui, avec les femmes du ministère de la culture ou de la commission femmes de l'Association des anciens élèves de l'ENA. Tout un réseau s'est constitué grâce à la loi Sauvadet. Nous nous sommes en effet créés pour exister et pour surveiller nos ministères. L'association Femmes de l'Intérieur a même reçu François Sauvadet au cours d'une réunion en 2018. Sa loi nous a mises en visibilité. Elle nous a permis d'exister. Je crois que d'une certaine manière, M. Sauvadet était féministe sans le savoir. Il nous aide beaucoup.

Nous aidons beaucoup de femmes. Nous sommes également sollicitées, comme par notre intervenant sociologue, pour des rapports de doctorat ou de maîtrise. Les écrits sur le sujet sont de plus en plus nombreux. Nous sommes solidaires les unes des autres.

Nous avons participé à la course La Parisienne l'an dernier. Nous portions toutes notre tee-shirt bleu Femmes de l'Intérieur. Nous étions très visibles. C'était très beau. Nous en avons fait notre carte de voeux.

Nous organisons un débat le 10 mars sur l'égalité professionnelle, Jamais sans elles, jamais sans eux. Vous pourrez y prendre part si vous le souhaitez. Il vise à montrer que nous devons avancer avec les hommes, pas contre eux. Ce n'est pas si simple au ministère de l'intérieur, très masculin, du moins dans l'idée que l'on en a. Quand je demande aux gens d'imaginer un sous-préfet, un préfet, un commissaire de police ou un gendarme, ils se figurent un homme. Ce n'est pourtant pas tout à fait la réalité statistique.

Permettez-moi de vous présenter une évolution en chiffres. Je dispose de ceux de 2021, que je pourrai transmettre à M. Jacquemart s'il le souhaite. Le ministère de l'intérieur a globalement respecté les quotas Sauvadet chaque année, sauf une année où la police n'a pas joué le jeu. C'est bien elle qui a payé ses retards, pas le ministère dans son ensemble.

En termes de primo-nominations, nous avons toujours été dans les normes, en dépassant les 40 % entre 2019 et 2021. En 2020, 117 femmes ont été primo-nominées sur 268 personnes, soit 43,7 %. Le stock de niveau 1, soit les préfètes et directrices d'administration centrale, s'élève aujourd'hui à 30 % au ministère. Sachez qu'en 2005, il n'y avait que cinq femmes préfets. Elles sont aujourd'hui 39, dont trois femmes préfètes de région. Nous comptons également sept femmes directrices en administration centrale, sur vingt postes, soit 30 %. L'augmentation est très nette. Douze des quarante-huit sous-directeurs sont en outre des femmes. Ce sont les postes les plus difficiles à prendre, car les horaires sont impossibles. Certains chefs de bureau ne veulent pas y être promus car ils souhaitent avoir une vie personnelle. Les sous-directeurs rentrent chez eux à 21h30. La vie au ministère de l'intérieur est organisée ainsi, ce n'est pas acceptable pour tout le monde.

Nous sommes ensuite passés de 73 à 170 sous-préfètes entre 2005 et 2021. Elles représentent aujourd'hui 36 % du corps. Depuis la loi de transformation de la fonction publique, nous comptons également les directeurs départementaux des territoires. À la différence de Bercy, nous avons augmenté notre périmètre de postes, ce qui a également permis l'amélioration de notre quota.

Les résultats de la Police sont un peu moins bons que les nôtres, parce qu'il y a peu de postes et que le secteur a longtemps été masculin. Pour autant, il y a plus de femmes reçues au concours de commissaire de police que d'hommes. Il faudra un certain temps pour qu'elles atteignent les postes d'inspectrice générale ou de contrôleuse générale qui figurent dans la loi Sauvadet.

Je vous signale tout de même que Carine Vialatte, Cécile Berthon et Brigitte Julien sont respectivement à la tête de l'Union de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), de la Direction centrale de la sécurité centrale et de l'IGPN. Nous avons beaucoup travaillé pour obtenir ces progrès.

À la sécurité civile, les femmes sont très peu nombreuses. Le monde pompier est lui aussi majoritairement masculin. Nous ne parvenons pas à faire bouger les choses.

Nous avons parlé de chiffres. Abordons maintenant les évolutions dans nos mentalités. Je vous le disais, le ministère de l'intérieur est un univers masculin. On l'associe à la force, la virilité, l'urgence. Une fois que la loi Sauvadet a été votée, on a cherché des femmes. On en a trouvé et on leur a fait confiance. Notre association a pris part à beaucoup de réflexions. On nous a demandé notre avis concernant le Livre blanc de la sécurité intérieure. Il est aujourd'hui beaucoup moins surprenant de voir une sous-préfète sur le terrain. Pour autant, le préfet est encore souvent un homme. Comme je l'indiquais plus tôt, les postes de préfet ou de sous-préfet sont équivalents pour la loi Sauvadet.

J'ai moi-même essayé de faire bouger les choses. Dans les couloirs du ministère de l'intérieur n'étaient affichées que des photos d'hommes. J'ai estimé que ce n'était pas normal. A contrario, aujourd'hui, il n'y a presque plus que des photos de femmes. J'ai également dit à Bernard Cazeneuve, à l'époque ministre de l'intérieur, qu'il y avait plus d'hommes que de femmes dans le journal Civique. Je lui ai présenté un numéro portant sur le Gers, en indiquant qu'il comptait plus de canards gras que de femmes. Cette réflexion, si elle l'a fait rire, n'en était pas moins vraie. Je crois beaucoup à l'exemplarité et à l'identification. Si vous ne voyez pas de femmes dans les couloirs, vous ne pensez pas pouvoir accéder à un poste de responsabilités. Nous nous sommes battues pour que cette situation évolue. L'an dernier, Marlène Schiappa nous a donné une lettre de mission pour bâtir le plan d'égalité du ministère de l'intérieur. Nous y avons beaucoup travaillé. Elle ne nous a pas encore demandé de le remettre. J'espère qu'elle le fera avant la fin de son mandat.

L'évolution de carrière des hommes au sein du ministère de l'intérieur soulève parfois des difficultés. En effet, ils ont occupé tous les postes qu'il fallait occuper mais il leur est maintenant indiqué que ce n'est plus leur tour, ce qui crée un sentiment d'amertume. Les femmes sont mal vues, puisque les hommes considèrent qu'elles prennent leur place. Il est difficile pour la DRH du ministère d'expliquer à des hommes qu'ils ne seront pas préfets. Nous aurions dû anticiper cette situation en trouvant des organisations leur permettant d'accéder à des postes leur donnant satisfaction.

Si les mentalités ont évolué, je connais encore des femmes opposées aux quotas. Certaines ont bâti leur carrière à la force du poignet et estiment que les autres devraient en faire de même. Elles refusent d'adhérer à notre association. Une génération de femmes a dû se frayer un chemin dans une certaine adversité et juge anormal que les suivantes puissent bénéficier de facilités.

Beaucoup d'éléments doivent être améliorés. Les établissements publics devraient être ajoutés dans la loi Sauvadet. Le ministère de l'intérieur compte huit établissements. Seul l'un d'eux est dirigé par une femme, et ce depuis peu. Puisqu'ils n'entrent pas dans le champ de la loi Sauvadet, on continue d'y nommer des hommes. Surtout, la Gendarmerie nationale devrait être intégrée au périmètre de la loi Sauvadet. Elle ne compte aucune femme à un poste de directeur. Bien sûr, ce sont des militaires. Pour autant, vous ne me ferez pas croire que le DRH ou le directeur des finances ne peut pas être une femme. Un gendarme est l'équivalent d'un policier, d'une certaine manière. Il n'y a aucune raison que les mêmes contraintes ne s'appliquent pas dans le même type de métier.

Il faudrait en outre ne plus comptabiliser, dans les statistiques de la loi Sauvadet, la sous-préfète d'Aubusson comme la préfète de Bretagne ou d'Aquitaine. Les postes de préfet et de sous-préfet doivent être distingués.

Ensuite, en termes de gestion, il est fréquent que des femmes soient nommées en fin d'année, lorsque l'on n'atteint pas le quota. De nombreuses sous-préfètes arrivent souvent en décembre. Les préfètes sont surtout nommées dans les petits départements. C'est anormal.

Il serait en outre pertinent de compter en stock. Lorsqu'une femme prend un poste, elle compte pour une. Si elle part et est remplacée par une autre femme, celle-ci compte aussi pour une. Les stocks augmentent lentement mais il est compliqué de mesurer combien de temps les femmes restent en poste. Elles occupent généralement un ou deux postes, puis s'en vont après avoir constaté les contraintes de disponibilité, de visibilité, de mobilité. Elles sont remplacées par d'autres femmes, ce qui répond aux quotas de flux de la loi Sauvadet. Dans le même temps, le stock disparaît.

Nous rencontrons le même problème de stock dans le vivier que nous devons constituer. À la sortie de l'ENA, il y a cinq ou six postes au ministère de l'intérieur. Certaines années, il n'y a pas de femmes. Dans ce cadre, comment pouvons-nous arriver à une moitié d'effectifs féminins des années plus tard ? On fait venir beaucoup de femmes de l'extérieur à l'heure actuelle. Si vous souhaitez vous présenter en tant que sous-préfète, vous serez certainement prise. On nomme des directrices d'hôpital ou de lycée, des architectes... Le métier est attractif, je le comprends. Vous bénéficiez d'une résidence, d'un uniforme, d'une voiture... Il est toutefois souvent très solitaire et les femmes partent. Nous ne disposons pas d'un vivier solidifié, parce que trop peu de femmes font carrière dans ce corps. Le fait que l'on contractualise ce corps fera venir, je le crains, plus d'hommes en contrat que de femmes. Ce sujet doit être approfondi, Femmes de l'Intérieur l'étudiera.

Au ministère de l'intérieur, nous avons signé la charte Jamais sans elles. Elle n'est pas respectée.

La mission sur les cadres dirigeants n'a pas changé grand-chose. Certaines femmes sont venues plusieurs fois pour rien à des entretiens de recrutement, juste pour qu'il y ait une femme proposée sur les trois candidats retenus. Nous le savons, bien que la mission ne le reconnaisse pas. On nous a demandé de venir, mais le poste était déjà attribué. C'est mieux que rien, mais c'est tout de même assez artificiel. Puisqu'il faut des femmes, on en trouve, mais elles peuvent revenir plusieurs fois, pour rien, ce qui peut finir par devenir vexant.

Le plus gros problème relève selon moi de l'organisation du temps de travail. Je suis évidemment favorable à la loi Sauvadet, qui constitue une excellente avancée, mais nous aurions dû réfléchir à certains sujets en amont. Les femmes veulent bien prendre des postes de responsabilités, jusqu'à ce qu'elles se rendent compte qu'elles les occupent au détriment de leur vie personnelle. Nous aurions dû anticiper l'organisation du travail et ne pas organiser de réunions jusque 21 heures, par exemple. J'avais moi-même demandé à une directrice au ministère si elle ne pourrait pas tenter, avec son équipe, de partir chaque jour à 19 heures pendant une semaine, comme tout le monde le fait dans les pays étrangers. Elle m'a dit que c'était impossible. Ainsi, accepter le poste qui leur est proposé représente pour certaines femmes un réel cas de conscience au regard des lourdes contraintes qui y sont associées. Vous parliez de ce cas chez les hommes de 40 ans, qui doivent choisir entre leur carrière ou leur vie. Pour les femmes, c'est la même chose, mais tout le temps. En raison de la charge mentale, elles hésitent à passer le cap de rentrer à 21 heures en n'ayant plus aucune vie personnelle. Nous aurions dû, et nous pouvons encore le faire, réorganiser les méthodes de travail dans la haute fonction publique à Paris, qui est quand même très spécifique à la France.

Enfin, parmi les très nombreuses nominations de femmes ayant eu lieu au ministère de l'intérieur, je pense que nous devons bien choisir les candidates. Certaines peuvent parfois porter préjudice à l'image de la femme. La moindre erreur ne leur est pas pardonnée. Elles ne sont d'ailleurs pas toutes pardonnables, certaines de ces femmes se comportant mal - peut-être pas plus ni moins que les hommes d'ailleurs. Parce qu'elles sont présentes en raison d'un quota, nous devons être très attentifs au choix de ces collaboratrices qu'on place à des postes à responsabilités.

Mme Martine Filleul, co-rapporteure. - Merci beaucoup. Je laisse la parole à Agnès Saal, haute fonctionnaire à la responsabilité sociale des organisations du ministère de la culture.

Mme Agnès Saal, haute fonctionnaire à la responsabilité sociale des organisations du ministère de la culture. - Je ferai peut-être un pas de côté en commençant par brosser un tableau de la politique d'égalité au sein du ministère de la culture. J'ai la conviction, depuis plus de quatre ans que je suis en charge des sujets de prévention des discriminations, d'égalité professionnelle et de diversité au sein du ministère de la culture et dans les politiques culturelles, qu'il s'agit de combattre une systémie des inégalités. L'inégalité d'accès aux postes à responsabilité n'en représente finalement qu'un versant.

J'ai également la conviction, ancrée sur une pratique, que nous avons, pour progresser dans une réelle politique égalité, besoin d'une volonté politique, d'une solidité et d'une constance absolues, mais aussi d'outils tels que des statistiques fiables et répétées dans le temps, des feuilles de route égalité - dont le ministère s'est doté depuis 2018 et qu'il actualise chaque année - et des études telles que celle que nous avons menée avec Catherine Marry et Alban Jacquemart. Elles permettent de documenter et d'enrichir la réflexion sur le sujet de l'égalité professionnelle.

J'ai travaillé avec des ministres très engagés dans le domaine depuis 2018 : Françoise Nyssen, Franck Riester puis Roselyne Bachelot-Narquin, qui en fait aujourd'hui un élément très fort de sa politique culturelle. J'ai l'intime conviction que nous ne pouvons pas traiter du sujet de l'égalité au sein des services et établissements du ministère sans regarder de manière beaucoup plus ample le traitement de l'égalité dans les politiques culturelles. Il s'agit à la fois des nominations à la tête des institutions culturelles nationales et territoriales, de l'égalité d'accès aux moyens de production et de création, et d'une politique acharnée de prévention et de lutte contre les violences et le harcèlement sexuel et sexiste. Celui-ci se traduit en effet par la commission de délits empoisonnant considérablement la situation des femmes dans des environnements professionnels jusqu'à présent assez peu accueillants et sûrs de ce point de vue. Il est donc absolument nécessaire de batailler efficacement, avec des outils efficaces et généralisés, contre ces violences et harcèlements sexuels et sexistes.

Venons-en à la question plus précise liée à la mise en oeuvre de la loi Sauvadet et à ses effets. Depuis 2017 ou 2018, nous avons enregistré un certain nombre de progrès liés au fait de disposer enfin d'outils de mesure performants et actualisés. La volonté de progresser qui y a été associée a permis de passer en quatre ans à des pourcentages moins lamentables qu'ils ne l'étaient au départ dans les différentes strates du ministère. La vision d'ensemble consiste à traiter des primo-nominations, sur lesquelles nous avons connu un parcours en dents de scie, avec quelques très bonnes années, d'autres très mauvaises, ou nous atteignions à peine 30 %. Nous avons en 2021 atteint 40 % de femmes primo-nommées. Pour autant, la régularité des résultats n'est pas acquise. Comme mes collègues et amis, je suis convaincue que traiter la question du flux est insuffisant, et que nous devons nous intéresser très précisément aux « stocks ». J'ai oublié de préciser que les femmes représentent plus de 54 % des effectifs totaux de notre ministère. Qu'on ne vienne donc pas nous dire que le vivier n'existe pas. Les femmes sont là. Elles sont compétentes et pleinement en mesure d'assumer des fonctions de haute responsabilité. Sur cette base, il me semble donc intéressant d'examiner les chiffres au-delà des seules primo-nominations. À cet égard, nous avons enregistré quelques évolutions significatives depuis 2017. J'en donnerai trois exemples.

En 2017, seuls 24 % des postes de DRAC et de DAC étaient occupés par des femmes. En 2021, leur part s'élève à 42 %. Ce n'est pas encore la parité absolue, mais ce progrès, lié à une volonté politique évidente, annoncée et affichée, est réel.

C'est également le cas à la tête des établissements publics. Le ministère de la culture compte aujourd'hui 80 opérateurs. Leur présidence et leurs postes de direction générale sont très prisés. En 2017, seuls 30 % d'entre eux étaient présidés ou dirigés par des femmes. Comparé au vivier de femmes du ministère, ce pourcentage reflétait une vraie volonté de les écarter, pour des raisons déconnectées de leurs compétences professionnelles, de ces postes de responsabilités.

En 2017, Françoise Nyssen a inscrit dans notre feuille de route une volonté de parvenir à la parité à la tête des établissements publics. Elle a été reprise par ses successeurs et répétée par Roselyne Bachelot-Narquin, qui a présenté la semaine dernière la feuille de route du ministère devant le comité ministériel égalité. Elle reprend cet impératif de nomination de femmes. Aujourd'hui, nous atteignons 41 à 42 % de femmes à la tête des établissements publics, avec quelques nominations emblématiques. Je sais que l'arbre ne doit pas cacher la forêt, mais nommer une femme, Laurence des Cars, à la tête du Musée du Louvre, n'est pas insignifiant. Son talent, ses compétences et ses qualités sont éminents. On ne l'a pas nommée parce qu'elle est une femme, mais parce qu'elle est excellente. Alexia Fabre a quant à elle été nommée à la tête de l'École des Beaux-Arts de Paris, première femme à occuper ces fonctions. Elle est absolument remarquable. Indépendamment de la dimension statistique, ces nominations montrent que nos institutions culturelles les plus prestigieuses peuvent être dirigées par des femmes, dont les parcours les conduisent naturellement à occuper ces fonctions de responsabilités.

Malgré ce progrès dans les chiffres, nous craignons encore en permanence un retour en arrière. Rien n'est définitivement acquis. Nous avons bien vu dans la fluctuation des pourcentages, ne serait-ce que dans l'atteinte des quotas Sauvadet, avec toutes ses imperfections, que ce qui peut être très bon une année peut être très mauvais l'année suivante. Nous devons donc nous intéresser aux stocks, pas uniquement aux flux, mais aussi traiter de manière extrêmement volontariste la question de l'égalité salariale. Résorber les inégalités salariales qui perdurent dans nos ministères et dans les établissements publics représente également un enjeu d'avenir. La transposition de l'index de l'égalité professionnelle au secteur public nous semble une priorité, une urgence. Nous devons aussi inscrire dans les faits une volonté constante de donner des opportunités aux femmes talentueuses du ministère de la culture, de façon transversale et en intégrant la problématique des temps de vie professionnels et personnels. Nous devons l'inscrire à la fois dans les textes législatifs et réglementaires, mais aussi, me semble-t-il, au niveau de chaque ministère par la prise en compte au plus haut niveau de cette exigence à la fois de justice, de démocratie et d'efficacité. En effet, l'efficacité dans la gouvernance passe certainement par la mixité et le partage du pouvoir entre les femmes et les hommes.

Mme Martine Filleul, co-rapporteure. - Merci pour votre intervention. Je laisse à présent la parole à Françoise Belet.

Mme Françoise Belet, déléguée nationale de l'Association des administrateurs territoriaux de France (AATF), en charge de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. - Je représente l'AATF, Association des administrateurs territoriaux de France. Association des hauts fonctionnaires territoriaux de France, puisque nous regroupons les hauts fonctionnaires de la fonction publique territoriale. Je suis très heureuse de retrouver mes collègues des différents versants de la fonction publique, et notamment les réseaux féminins de l'administration avec qui nous oeuvrons au quotidien. Nous avons beaucoup parlé de la fonction publique d'État. J'ai entendu que la fonction publique territoriale avait été à la traîne. Nous essaierons d'en discuter un peu plus avant, notamment du point de vue des résultats de la loi Sauvadet. Je vous expliquerai aussi ce que nous faisons dans notre association et nos réseaux en matière d'égalité professionnelle, avant d'émettre quelques propositions.

L'an dernier ont été célébrés les dix ans de la loi Copé-Zimmermann, qui s'applique au secteur privé. Dix ans après l'adoption de la loi Sauvadet, il est certain que les quotas fonctionnent également dans le public, y compris dans la fonction publique territoriale. Le dernier rapport annuel de la DGAFP portant sur l'année 2019 en atteste. L'objectif de féminiser les emplois supérieurs de la fonction publique est en très bonne voie.

Nous le savons, les employeurs doivent respecter une proportion minimale de personnes de chaque sexe pour les primo-nominations, à hauteur de 40 % depuis 2017. Le dernier rapport montre des progrès considérables en termes d'accès des femmes aux responsabilités en primo-nomination. Ces quotas fonctionnent notamment parce qu'ils sont obligatoires et assortis de pénalités. En cas de non-atteinte des objectifs, elles doivent être versées par les employeurs en fonction du nombre d'unités manquantes. Elles sont très importantes, puisqu'elles visent à faire respecter l'application de la loi. En 2019, la fonction publique territoriale a été condamnée à verser 1,350 million d'euros de pénalités. La fonction publique d'État a quant à elle versé plus de deux millions d'euros. Ce n'est pas négligeable.

La loi Sauvadet a aussi parfois des effets pervers en visant l'équilibre de chaque sexe. Parce qu'elle avait nommé trop de femmes, l'agglomération de Bourg-en-Bresse a d'abord été condamnée à verser une pénalité pour une unité manquante, s'élevant à 90 000 euros. La ville de Paris s'est également vu imposer une pénalité, encore plus importante, pour la même raison. C'était paradoxal puisque la loi avait pour objectif de favoriser l'accès des femmes aux postes à responsabilité. Notre ministre de la fonction publique a fait preuve de bon sens, puisque les poursuites contre ces collectivités ont finalement été abandonnées.

Malgré ces épiphénomènes, de grandes avancées ont pu être observées. Dans la fonction publique territoriale, nous atteignons près de 47 % de femmes en 2019, en hausse de 14 points par rapport à 2018. Les collectivités de plus de 80 000 habitants, au nombre de 353, étaient à l'époque concernées par le rapport. Depuis la loi d'août 2019, nous sommes passés à un seuil de 40 000 habitants.

Aujourd'hui, 34 % des emplois supérieurs de la fonction publique territoriale sont occupés par les femmes, contre 26 % seulement en 2014. Les chiffres sont assez éloquents. Sont ici concernés les postes de directeurs généraux adjoints (DGA), de directeurs généraux des services (DGS) et de directeurs généraux des services techniques. Ce sont les postes de plus haut niveau dans la fonction publique territoriale. En 2019, 51 % de primo-nominations de directeurs généraux adjoints concernaient des femmes. Ces emplois sont désormais occupés à 40 % par des femmes.

Mes collègues ont évoqué l'accès aux postes à plus hautes responsabilités, où se prennent les décisions. Effectivement, il reste des progrès à faire à ce niveau. Les postes au plus haut niveau de la hiérarchie, à savoir les postes de DGS, ne comptent que 29 % de femmes. Nous devons tout de même noter une progression de quatre points par rapport à 2018. Des collègues DGS sont plutôt optimistes quant au fait que des femmes vont continuer à être nommées à ces postes.

S'agissant de la direction générale des services techniques, métier traditionnellement occupé par des hommes, nous sommes arrivés à 44 % de femmes, en augmentation de 27 points entre 2018 et 2019. J'ai beaucoup travaillé sur la question de l'élargissement des choix professionnels, vers les métiers techniques et scientifiques. Ce chiffre semble attester d'un mouvement vers les métiers techniques. C'est une bonne nouvelle assez significative sur l'ouverture des métiers du technique aux femmes.

Le processus est compliqué à apprécier dans les collectivités, puisqu'il suit un cycle de cinq nominations sur plusieurs années. Toujours est-il que les bons chiffres de 2019 ont vraiment changé la donne sur la fonction publique territoriale.

Les résultats sont bons sur les territoires, pourtant ce n'était pas gagné d'avance. Nous avons dû affronter des résistances plus ou moins explicites. J'ai organisé bon nombre de débats « pour ou contre les quotas » dans des formations ou réunions. Les participants y sont rarement favorables. Les femmes auraient peur d'être nommées au seul motif qu'elles sont des femmes. Ce n'est à mon sens pas un argument. C'est plutôt de l'ordre de l'imaginaire surtout dans la fonction publique. En effet, qu'il s'agisse des concours d'administrateurs territoriaux ou civils, les femmes se présentent aux mêmes concours et formations que les hommes. Le procès en incompétence n'a pas lieu d'être puisque la compétence entre les femmes et les hommes est la même. Ensuite, que se passe-t-il lors des recrutements ? L'égalité est-elle toujours de mise ? C'est une autre question.

Je partage ce qui a été dit plus tôt, nous aimerions disposer de chiffres plus récents. Pour autant, les derniers rapports de la DGAFP me semblent très lisibles et détaillés. Ils nous demandent un peu moins un travail d'archéologie que par le passé. Ils sont très intéressants.

Évidemment, les chiffres restent des chiffres. Pourtant, ils doivent avoir une visée transformatrice. Il est important de disposer de statistiques lorsqu'on compte les femmes pour qu'elles comptent vraiment. Nous n'en disposons pas depuis très longtemps. Dans les collectivités, il était souvent très compliqué d'avoir des chiffres significatifs dans les bilans sociaux, en entrant dans les détails d'accès à la formation, de prise en compte d'autres critères tels que les questions d'âge... Enfin, nous commençons à disposer de ces données. C'est une bonne nouvelle.

Un appel à projets « égalité professionnelle », issu de l'accord interprofessionnel de 2018, est financé en partie avec les fameuses pénalités. Malgré les montants importants versés par les collectivités, les collectivités territoriales n'étaient pas éligibles à ce fonds, J'y voyais un évident problème d'équité ou plutôt d'iniquité. Lors du dernier congrès de l'AATF, j'avais interpellé Amélie de Montchalin à ce sujet. Enfin, la circulaire du 16 décembre dernier permet aux collectivités d'accéder à cet appel à projets. J'espère que de nombreux projets en émaneront. L'information a été donnée en décembre 2021 et le délai de réponse a été établi à un peu plus d'un mois, soit début février 2022. Il se trouve que beaucoup de collègues du terrain sont actuellement mobilisés par la crise sanitaire et ont indiqué qu'ils ne seraient pas en mesure d'y répondre pour cette première année.

La loi porte ses fruits malgré un démarrage assez lent. Nous observons également une poursuite de la volonté politique autour de ces sujets.

Dans la continuité de la loi Sauvadet, la loi de 2019 n'est pas, elle non plus, sans importance. Elle comporte un chapitre entier dédié aux questions d'égalité professionnelle, portant notamment sur l'instauration des plans d'action. Sur les territoires, l'obligation pour les collectivités de publier un plan d'action lorsqu'elles comptent plus de 20 000 habitants est très importante, puisqu'elle permet à ces dernières d'entrer dans le concret des mesures. Nous pouvons mener des actions d'analyse sur les questions de rémunération, de sexisme ou de conciliation des temps de vie. Les plans d'action permettent d'aller au-delà des seuls quotas, qui peuvent entraîner des résistances ou être un peu rébarbatifs. Cette loi de 2019 est extrêmement importante en ce sens. Ici même, nous avons animé l'an dernier, avec la sénatrice Marta de Cidrac, un séminaire sur la mise en place des plans d'action dans les territoires.

Je l'ai rappelé, ce sujet constituait la grande cause du quinquennat. Il représentait un cadre général stimulant.

Sur les territoires, les labels Égalité jouent également un rôle important. Un certain nombre de collectivités de différentes tailles ont candidaté au label Égalité de l'Afnor. Au-delà de chiffres froids, les témoignages que nous avons reçus attestent qu'ils permettent d'objectiver les situations et de sensibiliser, y compris auprès des managers. Je suis convaincue que l'égalité professionnelle est aussi très profondément une question managériale.

À l'AATF, comme dans d'autres associations, nous faisons des propositions aux candidats à l'élection présidentielle. Nous demandons, nous aussi, une transposition de l'Index de l'égalité professionnelle, (dit Pénicaud) au secteur public, y compris aux collectivités territoriales. Nous avons bien compris qu'un souci, lors de l'adoption de la loi Rixain, avait empêché ce point de passer cette fois-ci mais c'est le premier élément que nous mettons en avant dans nos demandes aux candidats. Nous recommandons également un élargissement de la loi Sauvadet à l'ensemble des postes de direction, au-delà des directions générales. Nous souhaitons également que son seuil d'application soit relevé aux collectivités de plus de 20 000 habitants, seuil actuel pour les plans d'action.

Nous comptons en notre sein un réseau de correspondants Égalité. Nous travaillons en partenariat avec d'autres associations, dont le Laboratoire de l'égalité ou le collectif 2GAP, qui tiendra d'ailleurs ses premières assises le 7 mars prochain. J'en profite pour insister sur l'importance de la solidarité, entre les réseaux féminins du public notamment. L'AATF travaille depuis longtemps avec Administration moderne. Cette solidarité est très importante. Nous travaillons en continu et organisons des concertations régulières qui nous donnent une force pour agir, une dynamique importante, qui prend de l'ampleur. Je participe également à 2GAP. Notre association figure parmi sa trentaine de membres fondateurs issus des secteurs public et privé.

L'AATF organise également chaque année, depuis l'année dernière, un « mois de l'Égalité », que nous nous efforçons de dédier à des sujets très concrets et pratiques, sur des formats d'ateliers. L'an dernier, par exemple, nous avons ainsi mis en place un atelier sur le budget sensible au genre. J'ai aussi organisé une rencontre sur les femmes hautes fonctionnaires, avec Elsa Favier, qui a écrit sa thèse sur les femmes énarques, ainsi qu'un certain nombre d'autres séminaires. Cette année, notre premier séminaire portera sur la « parentalité parité », sur demande de certains administrateurs. Nous y évoquerons entre autres la qualité de vie au travail ou la question de la garde des enfants. Si nous parlons souvent d'hétérosexualité normée, il existe aussi des couples de parents du même sexe. Comment s'organisent-ils ? Notre société évolue. Nous avons vraiment envie d'échanger sur ces sujets, sur la gestion des temps, sur le télétravail. Nous organiserons en outre une rencontre avec des femmes DGS, qui ne sont pas uniquement des quotas, mais aussi de vraies personnes. Quelles sont leurs relations avec les élus ? Quelles difficultés rencontrent-elles ? Nous reviendrons aussi sur la question des plans d'action. Des élèves de l'Institut national des études territoriales (Inet) ont mené une enquête et nous rendrons compte de ses résultats.

Monsieur Jacquemart, vous êtes sociologue, j'aimerais vous faire part d'un problème : dans la fonction publique territoriale, nous n'avons pas de connaissances, pas d'enquête approfondie. J'apprécie personnellement beaucoup l'ouvrage auquel vous avez participé Le plafond de verre et l'État, qui a été pour moi une révélation, ainsi que la thèse d'Elsa Favier que je trouve d'une richesse extraordinaire. Pour autant, nous ne disposons pas de données qualitatives d'ampleur dans la fonction publique territoriale, bien que nous commencions à disposer de chiffres précis. Nous avons besoin d'une enquête sur nos spécificités : la relation aux élus, le mode de recrutement... D'où viennent les femmes dirigeantes ? Quels sont leurs profils, leur histoire, leurs influences ? Lors de la première réunion que j'ai organisée, au Conseil économique et social, Laure Bereni et Catherine Marry, chercheuses au CNRS, ont présenté leurs travaux relatifs à la haute fonction publique d'État. Depuis trois ans, l'association et moi-même pensons qu'un travail similaire devrait être mené sur la fonction publique territoriale.

Parmi les autres propositions, nous avons aussi parlé de viviers. Une amie de 41 ans n'a pas pu s'inscrire au dispositif Talentu'elles car il n'est ouvert qu'aux femmes de moins de 40 ans. Je prône l'intergénérationnel. Les carrières des femmes sont souvent plus lentes, pour des raisons qui nous sont connues. Elles doivent elles aussi pouvoir être intégrées aux viviers. C'est bien de penser à l'accompagnement des jeunes générations mais il faut à mon sens prendre en compte les carrières des femmes sur toute la durée.

Enfin, il me semblerait intéressant que nous disposions aussi de hautes fonctionnaires à l'égalité dans les grandes collectivités. Elles permettent selon moi de construire un réseau, de faire un relais. Elles sont une force.

Mme Martine Filleul, co-rapporteure. - Je passe la parole à notre dernière intervenante, Caroline Chassin, du Syndicat des managers publics de santé (SMPS). La fonction publique hospitalière n'a pas encore été beaucoup évoquée. Je vous remercie de le faire.

Mme Caroline Chassin, chargée des thématiques « égalité professionnelle » au sein du Syndicat des managers publics de santé (SMPS), directrice générale du Centre hospitalier de Draguignan. - Merci de nous donner l'occasion de parler de la place des femmes dans la fonction publique hospitalière. Si vous le permettez, je laisserai ensuite la parole à mon collègue Clément Triballeau, puisque le travail sur l'ascension des femmes et sur la conciliation de vie au travail est une cause commune entre les sexes.

Je commencerai mon intervention par un macro-diagnostic de la place de la femme dans la fonction publique hospitalière. Elle est la plus féminisée des trois fonctions publiques, de très loin. Nous représentons 1 200 000 professionnels, dont 78 % de femmes en 2017. Ce chiffre est assez constant depuis plusieurs années. Nous avons par ailleurs toujours respecté les quotas de 20, 30, puis 40 % de femmes primo-nommées sur les postes à responsabilité. Alors, hourra ! On peut nous qualifier de bons élèves. Et pourtant, c'est un peu l'arbre qui cache la forêt. Nous sommes tout autant concernés que les autres fonctions publiques par les problématiques d'égalité professionnelle.

Nous connaissons d'abord des disparités salariales en fonction du sexe. Nous sommes la fonction publique la moins bien rémunérée, à responsabilités égales. Au SMPS, nous ne pouvons pas nous empêcher de faire le lien entre le très fort taux de féminisation de la fonction publique hospitalière et ces rémunérations moindres, malgré les derniers efforts conséquents consentis avec le Ségur de la santé.

Au sein de la fonction publique hospitalière, le salaire net moyen des femmes est inférieur de 21 % à celui des hommes. À responsabilités équivalentes, elles sont souvent moins bien rémunérées que ces derniers. Les cadres supérieurs de santé, bras droits des directeurs des soins, colonne vertébrale du fonctionnement des hôpitaux, sont beaucoup moins bien rémunérées que les ingénieurs, bras droits des directeurs techniques. Ces explications reflètent également la répartition des femmes entre les différents métiers de la fonction publique hospitalière. Elles sont surreprésentées dans les filières administratives et soignantes, les moins bien payées. La filière médicale, mieux rémunérée, compte davantage d'hommes, même si nous y sommes à parité. Ce constat explique les disparités salariales, à salaire moyen, entre les hommes et les femmes dans la fonction publique hospitalière.

Je vous indiquais plus tôt que nous avions toujours respecté le quota des primo-nominations, mais où sont les femmes dans la catégorie A+ ? Elles occupent les postes de direction de soins et des emplois fonctionnels de direction d'établissements sanitaires, sociaux et médicosociaux. Lorsqu'on s'intéresse aux postes considérés comme les plus prestigieux, à savoir les directions d'hôpital ou de CHU, on tombe respectivement à 25 % et 33 % de femmes. Chez les directeurs d'hôpitaux, nous sommes à parité dans le corps. Pour autant, plus nous montons dans le grade, plus l'érosion de la présence des femmes est importante. Le phénomène est similaire chez les directeurs des établissements sociaux et médicosociaux, qui sont pourtant largement féminisés, avec 64 % de femmes. Dans les emplois fonctionnels de cette catégorie, elles ne sont plus que 46 %.

Nous pensons que le processus de nomination aux plus hautes fonctions, largement maîtrisé par des hommes, est aussi responsable de cette érosion progressive des femmes à mesure que nous montons dans la hiérarchie. Les présidents des Commissions médicales d'établissements (CME), les doyens de faculté de médecine dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) et les directeurs d'agences régionales de santé (ARS) nomment les chefs d'établissement. Ces trois catégories comptent une majorité d'hommes. Participent également à la nomination des chefs d'établissements les maires des communes sièges des hôpitaux, qui sont pour une écrasante majorité des hommes.

Le même phénomène est observé chez les médecins. 70 % des étudiants en médecine sont des étudiantes. Si elles représentent ensuite 53 % des praticiens hospitaliers dans nos hôpitaux, elles ne comptent que pour 15 % des professeurs d'université - praticiens hospitaliers, postes les plus prestigieux chez les médecins. Elles représentent 49 % des chefs de service, mais seulement 30 % des présidents de CME et 13 % des doyens de faculté de médecine. Là aussi, ce sont ces deux dernières catégories, aux côtés des directeurs d'hôpitaux, qui participent au processus de nomination des responsables médicaux au sein de nos hôpitaux.

Comment expliquer ce constat ? Les facteurs sont multiples. On a beaucoup parlé d'articulation de la vie personnelle et professionnelle, mais aussi de mobilité géographique. Chez les directeurs et directrices d'hôpital, ce critère est étudié. Or les hommes sont plus mobiles que les femmes, pour toutes les raisons que nous pouvons imaginer, concernant notamment l'articulation entre la vie professionnelle et personnelle. Nous savons que les femmes sont globalement plus en charge de la logistique familiale. La mobilité géographique peut alors constituer un vrai frein. Pire, pour devenir professeur des universités, un parcours à l'international est obligatoire. Il va souvent être ralenti, voire freiné, au moment de fonder un foyer. Les jeunes femmes vont alors renoncer à leur carrière hospitalo-universitaire.

Enfin, la fonction publique hospitalière et le milieu hospitalier en général traitent insuffisamment les questions de violences sexistes et sexuelles. Des études récentes d'associations et de syndicats de médecins rapportent que 49 % des étudiants en médecine générale ont subi des discriminations en fonction de leur genre pendant leur cursus. 39 % des répondants aux enquêtes ont signalé avoir déjà été victimes d'agissements sexistes à l'hôpital.

En tant que Syndicat des managers publics de santé, nous avons souhaité mener cette enquête auprès de nos adhérents et des populations que nous représentons, à savoir les managers de la fonction publique hospitalière. Les chiffres ont été assez édifiants. Entre 40 et 60 % des répondants ont déclaré avoir déjà été victimes d'agissements sexistes. 10 % ont déjà subi des agressions sexuelles. Ce sont en grande majorité des femmes.

Quelle est notre vision face à ces constats ? D'abord, nous prônons depuis des années un salaire égal à responsabilités égales. Nous n'exerçons pas les mêmes métiers au sein des différentes fonctions publiques mais nous avons les mêmes niveaux de responsabilités, quel que soit le champ dans lequel nous opérons. Dans ce contexte, il n'est pas normal que les grilles de rémunération soient différentes entre les différentes fonctions publiques. Il en va de même au sein de la fonction publique hospitalière. Il n'est pas normal qu'à responsabilités égales, on ne soit pas rémunéré de la même façon. Au sein de ma propre équipe de direction, j'ai parmi mes adjoints une directrice des soins bien moins rémunérée que ses collègues directeurs adjoints sur les finances ou les RH. Ce n'est pas acceptable.

Sur l'accès des femmes aux plus hautes responsabilités, ensuite, nous défendons nous aussi l'extension des dispositions sur les nominations équilibrées à tous les emplois qui ne sont pas encore concernés. Il nous faut aller au-delà des apparences, et considérer les différents métiers dans le détail pour garantir l'égalité des primo-nominations. Nous souhaitons a minima que lors de la nomination d'un chef d'établissement, une short-list paritaire soit obligatoirement établie. Ensuite, passons enfin, dès 2023, à 50 % de primo-nominations en faveur du sexe sous représenté. C'est d'autant plus pertinent que nous nous basons sur une logique de flux. Pourquoi nous arrêter à 40 %, et ainsi accepter intrinsèquement dans les chiffres que les femmes doivent être minoritaires ? Il est temps de passer à une égalité entre les hommes et les femmes dans les nominations aux plus hautes responsabilités.

Sur l'articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, il nous semble très important de traiter le sujet de l'égalité hommes-femmes en tenant compte du fait que les hommes n'ont pas les mêmes droits que les femmes dans leur vie personnelle. Nous défendons l'extension du congé paternité. Malgré l'effort récemment consenti à ce sujet, il reste des inégalités sur l'accueil de l'enfant, qui est dévolu à la mère par la loi. Le père ne bénéficie pas des mêmes droits. Le couple de parents n'a d'ailleurs pas le droit de répartir les jours de congé d'accueil de l'enfant comme il l'entend.

Nous souhaitons également moderniser les critères d'accession aux emplois supérieurs afin de lever les freins qui affectent l'articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Nous pouvons citer la mobilité géographique, mais il en existe d'autres.

Sur les violences sexistes et sexuelles, enfin, nous devons impérativement objectiver la situation sur le terrain pour permettre la prise de conscience nécessaire. Le phénomène est beaucoup plus étendu qu'il n'y paraît. Nous devons en outre mettre en place un dispositif efficace de signalement et de traitement de ces violences au sein des établissements et auprès du centre national de gestion. La formation des acteurs hospitaliers est également primordiale pour faire évoluer les mentalités sur ce type de sujet.

Encourager les responsables revient peut-être aussi à affiner et renforcer le dispositif de sanctions en cas de non-respect du principe de nominations équilibrées par les employeurs publics. Cet encouragement pourrait également passer par un vrai coup de pouce, sous forme de bonus, pour les employeurs publics très engagés sur l'égalité professionnelle et la parité.

Nous devons sensibiliser, former et mettre en situation les équipes, les décideurs, les élus, mais aussi les patients, qui peuvent eux aussi faire preuve de comportements sexistes dans nos hôpitaux.

Le SMPS identifie trois conditions de réussite pour une meilleure égalité des chances entre les femmes et les hommes : objectiver, inciter et mobiliser. Il n'y a pas d'objectifs sans mesure précise. Les bilans sur l'état de la situation égalitaire entre les femmes et les hommes doivent être plus détaillés et précis, sans quoi nous ne dépasserons pas les apparences. J'entends trop souvent que nous n'avons pas de problème de place des femmes dans la fonction publique hospitalière, puisque nous y sommes majoritaires.

Il n'y a en outre pas de progression sans incitation. L'État doit se porter garant du système de quotas, et ce n'est pas faire un procès en compétences à l'encontre des femmes. En effet, aujourd'hui, si les femmes ne sont pas nommées à des postes à responsabilités, ce n'est pas parce qu'elles sont incompétentes, c'est parce qu'elles sont des femmes. Les bonus et malus devraient pouvoir garantir l'application des quotas.

Enfin, il n'y a pas d'égalité sans mobilisation. Il s'agit d'une cause commune entre les hommes et les femmes. La progression doit se faire par le biais d'un rééquilibrage entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Plus les hommes auront la possibilité de se libérer des contraintes d'un milieu professionnel fait par des hommes pour des hommes pour s'investir davantage dans la sphère privée, plus les femmes pourront accéder à des postes à responsabilités, et réciproquement. Il nous faut donc mener ce combat ensemble. Je pense que beaucoup de nouvelles générations y aspirent. Nous parviendrons à mener ce combat de l'égalité ensemble.

M. Clément Triballeau, référent SMPS sur les sujets d'égalité femme-homme. - Nous avons cité beaucoup de chiffres très éclairants. Passons à quelques illustrations. Le plafond de verre et le sexisme insidieux au quotidien nous sont rapportés par beaucoup de collègues dans des témoignages que je souhaite aujourd'hui vous livrer. Ce sont notamment les phases de recrutement qui sont déterminantes dans une carrière professionnelle. Une première collègue nous dit : « Trente ans passés, pas d'enfant. On me demande si j'ai envie de faire un enfant. Si j'en ai envie, on me demande d'attendre au moins un an après ma prise de poste, sinon ça risque d'être compliqué. »

Autre illustration, lors d'un entretien de recrutement face à deux maires - puisque nous rencontrons les élus locaux lorsque nous candidatons sur des postes de chef d'établissement. L'un est plutôt connu pour des comportements un peu déplacés vis-à-vis des femmes. Sa première question est la suivante : « Vous avez déjà traité des travaux ? Parce que ce n'est pas vraiment un truc de femme. » Elle est suivie de « Comment vont faire vos enfants quand vous allez rentrer tard ? Il faut que le congélateur soit bien rempli, sinon ils vont avoir faim. »

Le dernier exemple s'est déroulé lors d'un entretien de recrutement avec un directeur d'ARS et trois de ses adjoints, tous des hommes. Le directeur général raccompagne notre collègue, et dit « Ça va, ça s'est bien passé ? Ça ne vous a pas gênée, qu'on ne soit que des hommes ? »

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - En termes de propos sexistes, nous sommes nous aussi, sénatrices, témoins de quelques perles.

Merci à tous pour vos témoignages sur l'ensemble du panel de la fonction publique. Nous avons bien noté ce qu'il nous reste à faire en tant que législateur.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci à tous pour votre présence et vos témoignages précieux. Après avoir fêté l'anniversaire de la loi Copé-Zimmermann il y a quelques mois, nous ne pouvions pas ne pas en faire de même pour la loi Sauvadet.

Vos témoignages ont mis en avant des avancées importantes. Il y a dix ans, la situation n'était pas celle qu'elle est aujourd'hui. Nous imaginons difficilement les combats qu'il a fallu mener pour arriver à ces lois. La ministre le disait, sans volonté politique, on n'avance pas. Pour autant, cette volonté politique ne fait pas tout. La loi visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle aurait pu embrasser un champ plus large. Ça n'a pas été possible, en raison de divers blocages.

Je suis très heureuse de voir que les directions de services techniques des collectivités territoriales se féminisent. En tant qu'élus dans des communes et départements, nous avons pu constater à quel point les femmes y étaient rares il y a une vingtaine d'années. Moi-même, je n'en ai rencontré qu'un très faible nombre. Dominique Vérien, ancienne directrice de chefs de travaux, est fortement mobilisée sur ces questions. Elle s'est d'ailleurs engagée dans un réseau associatif pour promouvoir les femmes dans les métiers du BTP.

Vous avez mis en exergue la nécessité de suivre les résultats et les performances en temps réel. Il est également nécessaire de mesurer et contrôler, mais aussi de sanctionner à un niveau suffisant pour que cette sanction ne soit pas détournée. Il en va de même en politique, je vous rassure. Pour certains partis, il est parfois préférable de payer une sanction que d'appliquer la règle.

Certains intervenants ont également souligné la nécessité de communiquer sur ces chiffres. La société de 2022 est davantage attentive à la présence de femmes au sein des branches et filières de la fonction publique.

Nous avons identifié des freins à la montée en puissance des femmes en responsabilités. Je pense que notre société a évolué. Les préoccupations qu'avaient auparavant les femmes sont aujourd'hui partagées par les hommes. Les avancées pour les femmes en termes d'organisation du temps personnel et professionnel servent l'ensemble de la population.

Vous nous avez fait part d'un certain nombre de propositions, concernant notamment l'ajout des établissements publics au sein du périmètre des quotas ou la distinction des postes. Il est parfois facile d'établir des statistiques qui cachent la réalité de la situation des femmes.

Il est en outre possible d'imaginer des ajustements sur le flux et le stock.

En termes d'inégalité salariale, le témoignage de Caroline Chassin, relatif à la fonction publique hospitalière, était éloquent.

Vous avez tous insisté sur la visibilité essentielle des femmes.

J'ai retenu que vous indiquiez que les parcours de carrière étaient jusqu'alors conçus par et pour les hommes. Il est urgent d'inverser la tendance. Les hommes ont eux aussi des aspirations différentes aujourd'hui.

Nous parlons également d'étendre les quotas de primo-nominations à tous les emplois à responsabilité.

Ensuite, vous avez raison, nous ne pouvons pas imposer un index au secteur privé sans imaginer sa duplication et son extension dans le secteur public. Nous n'avons d'ailleurs pas suffisamment de recul aujourd'hui sur cet index de l'égalité professionnelle, qui va pourtant devoir évoluer. Il pourrait par exemple prendre en compte l'application du congé paternité.

Enfin, je suis favorable à une extension des obligations aux collectivités dès 20 000 habitants.

Notre délégation est mobilisée pour faire avancer le sujet. Nous allons étudier toutes vos propositions. N'hésitez pas à nous transmettre vos notes si elles peuvent s'avérer utiles.

Les quotas sont nécessaires. Ils feront avancer la situation pour les femmes, mais aussi pour les hommes. Qu'ils n'en aient pas peur et qu'ils se rassurent.

Nous allons poursuivre ce travail, qui n'est pas terminé. Vos témoignages nous l'ont bien montré. Merci à tous pour votre participation.