Mercredi 23 février 2022

- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -

Audition de M. Eric Dupond-Moretti, ministre de la justice, garde des sceaux

Mme Françoise Gatel, présidente. - La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, à laquelle se joignent aujourd'hui des collègues de la commission des lois, cultive le harcèlement positif en matière de suivi des lois, parce que notre rôle, au-delà de faire la loi, est aussi d'en suivre son application. Vous savez que le sujet de la relation entre la justice et les élus, et notamment du suivi judiciaire des agressions d'élus, nous préoccupe au plus haut point, parce qu'elle concerne les gardiens et les vigies qui constituent une sorte de digue de la République. Nous souhaitons faire le point avec vous sur deux sujets liés, les agressions d'élus, d'une part, et les relations entre les élus et la justice pour y faire face, d'autre part. Selon le ministère de l'Intérieur, 1 186 élus ont été pris pour cible dans les onze premiers mois de 2021, dont 162 parlementaires et 605 maires ou adjoints victimes d'agressions physiques, soit une hausse de 47% par rapport à 2020. 419 outrages ont aussi été recensés (+ 30%). Une peur s'installe, susceptible de remettre en cause la volonté d'engagement des élus : en 2014, 84 communes de France n'avaient pas de candidats aux élections municipales, en 2020, elles étaient plus de 100.

Dans la loi « Engagement et proximité », nous avons inséré un certain nombre de dispositions intéressantes relatives aux suites judiciaires, et aux relations entre les élus et la justice. De votre côté, la Chancellerie a diffusé deux circulaires sur le sujet, les 6 novembre 2019 et 7 septembre 2020, invitant notamment les Parquets à mettre en oeuvre une politique pénale ferme et diligente en répression des actes commis à l'encontre des élus locaux et des parlementaires, ainsi qu'un suivi judiciaire renforcé des procédures pénales les concernant.

Au-delà des textes, tout est affaire d'application. Le procureur de Valenciennes que nous avons auditionné nous a expliqué la qualité du dispositif de relation qui a été mis en place avec les élus. Cette excellente pratique a-t-elle été diffusée dans tous les départements ? Je rappelle qu'avant d'être agressé, le maire doit apprendre qu'il est aussi officier de police judiciaire. Quand vous ne venez du monde de la justice, ce qui est le cas de beaucoup de maires, vous ignorez tout du sujet : de quoi s'agit-il, comment le pratiquer et quel est votre lien avec la justice.

Je salue la présence de nos collègues Rémy Pointereau et Corinne Féret qui ont réalisé un rapport sur l'ancrage territorial de la sécurité et précise que nous avons auditionné la semaine dernière Madame Adeline Hazan, ancien maire de Reims et magistrate honoraire, qui nous a présenté son rapport sur les relations entre la justice et les élus locaux. D'après ce rapport, qu'ils s'ignorent ou qu'ils s'indiffèrent, ces deux mondes restent séparés. C'est sans doute moins vrai, mais il fut un temps où les élus inspiraient même une forme de méfiance, et les traces de cette époque ne sont pas encore complètement effacées.

Madame Hazan propose notamment d'instaurer par voie législative l'obligation, à chaque renouvellement d'assemblée locale, d'une présentation par les chefs de cour et de juridiction de leur action ainsi que l'intégration des parlementaires dans les conseils de juridiction. Elle suggère également d'identifier les pratiques locales qui rapprochent efficacement les élus des magistrats et de les généraliser : matinée de formation, assistance à des audiences de comparution immédiate, installation d'une boîte courriel dédiée directement gérée par le procureur. Enfin, nous avons été séduits par son idée de rénovation des audiences solennelles de rentrée, dont le format confine excessivement à la « grande messe ».

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Exact !

Mme Françoise Gatel, présidente. - De ce fait, elle propose d'y inclure un temps de dialogue avec les élus, ainsi qu'une présentation du rapport d'activité des conseils de juridiction. M. le garde des sceaux, vous avez la parole.

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - En effet, madame la présidente, l'autorité judiciaire et les élus locaux sont parfois deux mondes qui ne se parlent pas, au détriment de l'efficacité de l'action publique et politique. Dès mon arrivée, j'ai souhaité remédier à cette situation, convaincu qu'une coopération étroite entre les chefs de juridiction, notamment les procureurs, et les élus locaux, est indispensable pour assurer une réponse pénale effective et maintenir l'ordre républicain sur l'ensemble du territoire.

En 2020, lorsque nous avons prôné une justice de proximité, nous avons recruté, en matière pénale, 1 000 contractuels, qui ont été envoyés en juridiction à disposition des parquets. 1 000 contractuels supplémentaires ont également été mis à disposition des juges du siège, dans le but de résorber le stock civil. En matière pénale, il s'agissait tant d'améliorer le traitement de la petite délinquance que de renforcer le lien entre les élus locaux et les parquets. Depuis, 60 % des tribunaux judiciaires ont mis en place une boîte courriel ou un autre outil dédié pour faciliter la fluidité de l'information entre le procureur et les élus locaux du ressort, et 75 % d'entre eux ont désigné un ou des magistrats pour être l'interlocuteur spécifique des élus. Parfois, et selon les cas, un délégué du procureur a été désigné, ou un juriste assistant, ou un assistant de justice. Je suis particulièrement attentif à cette communication régulière et j'en veux pour preuve deux exemples.

J'ai rencontré en Bourgogne un tout jeune maire qui n'avait aucune formation juridique et qui, naturellement, était un peu perdu face à ses prérogatives d'officier de police judiciaire (OPJ). Dans cette relation que j'appelle de mes voeux entre les parquets et les élus, il y a évidemment cette possibilité pour l'élu de faire part immédiatement au procureur de ses difficultés.

Il y a aussi des formations qui sont assurées. Hier, je rencontrais plus d'une centaine de maires de la Marne où, sous l'impulsion du procureur général de Reims, les choses fonctionnent très bien. Les parquets assurent une formation aux maires sur des sujets comme la suppression du rappel à la loi, qui va devenir l'avertissement pénal probatoire, alternative aux poursuites que nous avons d'ailleurs exclue s'agissant d'un élu car insuffisamment sévère. De nombreux parquets ont adopté des protocoles pour faciliter la dénonciation des faits et renforcer les connaissances mutuelles entre les institutions. Cependant, j'admets que certains parquets n'ont pas appliqué comme je l'aurais souhaité les directives que j'avais données aux procureurs généraux. J'ai fait réaliser une cartographie, et tout à fait récemment, mon directeur des services judiciaires leur a écrit pour les interroger sur ce retard. Vous n'êtes d'ailleurs pas étrangers à cette initiative, puisqu'aussi bien lors des questions d'actualités au gouvernement que dans les commissions, au Sénat ou à l'Assemblée nationale, certains d'entre vous m'ont signalé que tel maire n'avait jamais rencontré le procureur. Dans une toute petite commune où je me suis rendue, le maire a fait un beau geste républicain en acceptant la construction d'un établissement pénitentiaire - je suis bien placé pour vous dire qu'une prison, c'est toujours mieux dans la commune d'à côté-. « Monsieur le maire, vous avez donc rencontré le procureur de la République ? », lui ai-je demandé. « Pas du tout. », a-t-il répondu. « Un substitut alors ? Un délégué du procureur ? ». « Personne » ! Heureusement, j'ai pu régler cela avec le procureur général lors de l'inauguration de l'établissement. A contrario, le parquet général de la cour d'appel d'Agen a mis en place un dispositif de collaboration entre les trois parquets de son ressort et les associations de maires, qui permet notamment aux maires de saisir directement les procureurs par la formalisation d'un article 40 sur une boîte courriel dédiée. Il y a des procureurs qui font des choses magnifiques, mais ces initiatives sont solitaires et limitées à leur ressort. C'est pourquoi, à mon arrivée à la chancellerie, j'ai mis en place un moteur de recherche recensant ces bonnes pratiques pour information aux autres parquets. J'ai préféré cette méthode à la voie d'une circulaire interminable ayant peu de chances d'être lue. En l'occurrence, les maires peuvent saisir concomitamment les parquets et les enquêteurs des infractions, et les aider à les matérialiser afin de leur apporter une réponse rapide, notamment alternative, par la saisine des délégués du procureur.

La justice de proximité s'est également attachée à renforcer le dialogue institutionnel et, depuis le décret du 21 décembre 2020, le procureur de la République peut se faire représenter par les délégués du procureur dans le cadre des instances partenariales. Le nombre de ces délégués a cru de 10 % : ils sont aujourd'hui 1 022 contre 901 au 1er décembre 2020. Le budget afférent a été multiplié par deux et ces moyens ont permis de démultiplier les capacités des parquets à investir les instances partenariales essentielles telles que le conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD) et le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), ces réunions régulières indispensables entre les forces de sécurité intérieure, la préfecture et les élus. Les parquets ont également conclu des conventions avec les élus locaux afin de favoriser la mise en oeuvre par les maires de leurs prérogatives propres, notamment s'agissant des rappels à l'ordre. 60 % des tribunaux judiciaires ont signé des  conventions de rappel à l'ordre avec des communes afin de faciliter le traitement des petites incivilités. Ce dispositif leur permet de convoquer à un entretien officiel l'auteur des faits susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté ou à la sécurité publique. Le rappel à l'ordre, que l'on ne doit pas confondre avec le rappel à la loi, est important. Un exemple : voici un monsieur très tranquille dont le frigidaire, un beau jour, ne fonctionne plus. La décharge se trouve à 30 kilomètres, aussi hésite-t-il. Cédant à la tentation, il finit par jeter son appareil sur le bord de la route. Dans ce cas, le rappel à l'ordre s'avère judicieux. Dans la mesure du possible, je souhaiterais que le délégué du procureur, son substitut ou même le procureur vienne aider le maire à le prononcer, car la solennité me paraît extrêmement importante.

Nous avons beaucoup avancé sur ces questions, mais le travail n'est évidemment pas terminé et je suis convaincu que nous pouvons aller beaucoup plus loin dans le renforcement des partenariats entre parquets et élus locaux. Comme je m'y étais engagé, j'ai installé, à l'occasion du congrès des maires de France du 17 novembre dernier, un groupe de travail sur les relations entre le parquet et les élus, présidé par le procureur général près la cour d'appel de Reims. Y participe notamment le très proactif procureur de Valenciennes, dont un certain nombre d'idées nous ont inspiré, notamment s'agissant de la création de notre moteur de recherche. Des élus de l'AMF et des élus de l'AMRF sont également présents. L'objectif de ce groupe de travail consiste à dessiner des voies d'approfondissement de la relation entre les parquets et les maires. Il rendra son rapport dans quelques semaines, et vous en aurez évidemment connaissance. Je n'ai pas de doute que nous franchirons là une étape supplémentaire dans le renforcement du lien que j'appelle de mes voeux.

Je signalerai également, parmi les problématiques qui me sont remontées notamment via les élus, des comportements difficiles à réprimer : incivilités, pressions, menaces. J'ai évidemment une pensée particulière pour Monsieur Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, mort dans des circonstances épouvantables alors qu'il intervenait pour mettre fin à un dépôt sauvage de gravats sur le bord de la route. Face à cette situation, nous avons significativement renforcé les moyens de contrôle ainsi que les sanctions : désormais, les déchets illégaux sont punissables d'amendes administratives, et, sur le plan pénal, de peines de 2 ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

La loi de juillet 2019 qui renforce la police de l'environnement, et celle du 10 février 2020, ont par ailleurs renforcé les pouvoirs de police administrative du maire : d'une part, celui-ci peut désormais imposer une amende administrative allant jusqu'à 15 000 euros sans mise en demeure préalable, et, d'autre part, il peut habiliter de nouvelles catégories d'agents municipaux à dresser un procès-verbal. L'utilisation de caméras de vidéo-protection pour identifier les auteurs d'actes délictueux est par ailleurs autorisée. Ces trois mesures extrêmement importantes portent leurs fruits.

Par la circulaire du 11 mai 2021 visant à consolider le rôle de la justice en matière environnementale, j'ai également encouragé le renforcement des échanges et de coordination entre les parquets. Désormais, ces derniers sont dotés d'un référent en matière d'atteintes à l'environnement, afin de définir sur chaque ressort une politique pénale au plus près des situations rencontrées sur le terrain.

La multiplication des violences faites aux élus constitue un véritable fléau compte tenu de leur statut d'incarnations vivantes de la République et de la démocratie. Après la circulaire de novembre 2019 de ma prédécesseure Mme Belloubet, qui rappelait au parquet la nécessité d'une politique pénale ferme, j'ai pris une première circulaire en septembre 2020, dans laquelle j'ai demandé que les faits soient justement qualifiés, ce qui n'était pas toujours le cas auparavant, la circonstance que la victime soit un élu étant une circonstance aggravante. J'ai également demandé à ce qu'il soit mis fin au rappel à la loi, avant même son abrogation, celui-ci ne suscitant qu'un « lol » chez les gamins qui en écopaient. Nous l'avons remplacé par un avertissement pénal probatoire.

J'ai par ailleurs souhaité que les déferrements soient systématiques. S'agissant de violences physiques et de menaces commises à l'encontre des élus, 50 % ont fait l'objet de poursuites devant le tribunal entre janvier 2021 et juin 2021 - il n'est pas toujours possible de déférer, notamment quand l'auteur reste inconnu. L'emprisonnement pour les menaces est passé de 52 % à 62 %, et il atteint 80 % d'emprisonnement ferme s'agissant des violences.

Aucune tolérance ne peut être accordée à de tels actes et nous avons fait évoluer l'arsenal législatif avec des textes qui ont été soumis à votre vote. La loi pour la confiance dans l'institution judiciaire a mis fin au rappel à la loi. Lors des débats relatifs à la loi d'août 2021 renforçant les principes de la République, nous avons créé une nouvelle infraction, le « délit de mise en danger de la vie d'autrui par la diffusion d'informations personnelles », puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amendes, la peine étant aggravée à 5 ans et 75 000 euros quand le délit est commis à l'encontre d'un élu. Au-delà de la sanction, une attention toute particulière est désormais apportée à l'information des élus victimes. Je la veux rapide, voire en temps réel, par une attache téléphonique ou un courrier signé du procureur de la République.

J'en viens au deuxième exemple que je vous ai promis. Hier, dans une réunion en visioconférence avec les maires, l'un d'entre eux me dit : « Monsieur le garde des sceaux, je suis allé constater une infraction au code de l'urbanisme, et je n'ai aucune nouvelle du parquet ». « Cela tombe bien, madame la procureure est avec nous, elle va vous répondre », lui réponds-je. Et la procureure explique alors à ce maire qu'entre sa constatation et la décision du parquet - qui peut être une décision de classement, ou une décision de poursuivre -, il y a l'enquête de la DDE. Le maire l'ignorait ! Voici une illustration très pratique de ce qu'un échange simple et bon enfant peut apporter.

Bien que nous ayons fait un certain nombre de choses, j'entends souvent « oui, mais la violence est en augmentation ». C'est presque une question d'ordre philosophique. S'agissant des violences intrafamiliales, on s'interroge : s'agit-il d'une augmentation des violences ou des dépôts de plainte ? Les violences physiques sont en augmentation, certaines infractions sont en régression, notamment les vols avec violence, les vols à main armée, etc.

Ce que je crois, au fond, c'est qu'on ne reproche jamais au médecin la maladie, mais on reproche au ministre de la justice la délinquance ! Mon boulot, c'est d'abord que les gens soient jugés et que les coupables châtiés. Ce n'est pas le laxisme supposé de la justice qui génère la violence : les chiffres démontrent le contraire et les prisons sont archipleines.

Il y a aussi des causes dont on ne veut pas parler, parce qu'on préfère mettre en cause la responsabilité d'untel ou untel, souvent il y a un peu de politique derrière. Or, la haine qui est aujourd'hui totalement décomplexée dans son expression génère aussi de la violence. Après les mots de haine, il y a les coups ! Un certain nombre de gens feraient bien de regarder le bout de leurs chaussures s'agissant de leur expression et notamment dans le débat politique actuel. Quand il n'y a plus aucune limite, il est tout à fait clair que les gens se sentent autorisés à tout. Les élus font l'objet de menaces, les ministres également, il y en a même un qui a eu la funeste idée de vouloir m'égorger ! Pour ne rien vous cacher, j'ai trouvé cela un peu prématuré, alors nous avons déposé une plainte. Je ne sais pas où elle se trouve, parce qu'on a un certain nombre de problèmes : sur le terrain européen, lorsque les propos sont tenus sur une plateforme étrangère, on ne peut rien faire. Une des priorités de la présidence française, dans le périmètre de la justice, est de mettre en place la fameuse preuve électronique, e-evidence. Si le Parlement européen adopte ce texte, les plateformes, que j'ai d'ailleurs invitées à Lille récemment, seront contraintes à une représentation en France. Il y aurait alors un responsable pour que l'on puisse très vite retirer les contenus. Si nous avions pu faire cela, peut-être aurions-nous évité l'assassinat de Samuel Paty.

Cette haine virale existe et il faut la traiter. Sur le plan national, le texte vous a été soumis, nous avons fait en sorte que les haineux en ligne soit immédiatement jugés par le truchement de la comparution immédiate, ce qui n'était pas possible auparavant. Mais il faut que l'on régule davantage, parce que cette expression injurieuse tous azimuts à l'encontre des élus devient absolument insupportable.

Mme Françoise Gatel, présidente. - S'agissant de ce poison quotidien pour les maires que constituent les dépôts de déchets ou les décharges sauvages, nous avons récemment organisé une table ronde à la délégation sur ce sujet.. Je demanderai tout à l'heure à notre assistance d'autoriser la publication de ce rapport et je vous transmettrai bien sûr les neuf préconisations issues de cette table-ronde.

M. Rémy Pointereau. - Je vous ai adressé le 2 avril 2021 une question écrite en lien avec l'objet de cette audition et qui fait suite au rapport portant sur l'ancrage territorial des forces de sécurité intérieure que j'ai réalisé avec ma collègue Corinne Féret. N'ayant pas obtenu de réponse, je profite de cette audition pour la réitérer.

Le gouvernement a pris le 7 septembre dernier une circulaire relative au « traitement judiciaire des infractions commises à l'encontre des personnes investies d'un mandat électif et au renforcement du suivi judiciaire des affaires pénales les concernant ». D'après cette circulaire, il convient de retenir des qualifications pénales prenant en compte la qualité des victimes lorsqu'elles sont investis d'un mandat électif et, ce que vous me confirmerez, dans le cas d'un élu insulté ou agressé verbalement, la qualification d'outrage sur personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public doit être retenue plutôt que celle de l'injure. Cette circulaire a-t-elle produit les effets escomptés ?

S'agissant de l'amélioration de la communication des services d'enquête avec les procureurs, nous avons effectivement auditionné le procureur de Valenciennes, dont la méthode doit être diffusée. Aujourd'hui encore, les plaignants continuent à mettre en cause l'inertie des procureurs de la République. Bien souvent, on assiste à un petit jeu de renvoi entre d'un côté, les procureurs qui disent « on ne poursuit pas parce qu'on n'a pas assez d'éléments via la gendarmerie et la police » et de l'autre, la gendarmerie et la police, qui répliquent « nous, on a fait notre travail, c'est le procureur qui ne fait pas le sien » ! Dans mon secteur, un élu a été agressé. J'ai appelé le procureur pour avoir des informations sur les poursuites et je n'ai toujours pas de réponse.

M. Antoine Lefèvre. - Du côté des élus, il y a un manque de connaissance du fonctionnement de l'institution judiciaire, avec des incompréhensions quant aux refus de communication qui sont justifiés par le secret de l'instruction, mais réciproquement, la faible connaissance des magistrats du fonctionnement des collectivités territoriales et des enjeux inhérents à leur juridiction, ne leur permet pas de s'enraciner pleinement au sein du territoire. Vous avez proposé, monsieur le ministre, un marché public de conseil et d'accompagnement en communication de crise auprès des magistrats, ouvert le 6 février dernier, pour un montant de 500 000 euros hors taxes - en tant que rapporteur spécial de la mission Justice, je surveille les deniers qui vous sont octroyés -. Une commission d'enquête sénatoriale s'est inquiétée à ce sujet de possibles dérives financières. Si cela n'est pas notre sujet aujourd'hui, il me semble que se pose la question du transfert de compétences et de données sensibles à des acteurs tiers. N'aurait-il pas été préférable d'internaliser cette compétence de communication, par exemple en créant un poste de porte-parole de juridiction qui aurait pu, dans un premier temps, renforcer le lien avec les élus du territoire pour les informer sur les avancées des procédures, parce que c'est une information qui n'est jamais communiquée facilement, puis, dans un second temps, décharger le parquet de la responsabilité de communication auprès de la presse et des élus ?

M. François Bonhomme. - Je souhaiterais attirer votre attention sur la vulnérabilité particulière des femmes élues. Dans mon département, j'ai eu deux cas de figure d'élues agressées, dont les plaintes ont été imparfaitement traitées par les services du parquet. Une jeune maire d'une commune de 3 000 habitants, âgée de 35 ans, a reçu des menaces de mort. La plainte a été déposée - je vous le concède, avant votre circulaire. Elle s'est sentie tellement désemparée dans l'accompagnement de sa plainte que cela a sans doute participé à sa décision ne pas se représenter en 2020.

Plus récemment, suite à votre circulaire de septembre 2020, une maire femme a été l'objet dans sa résidence de tags infamants, sans doute liés à quelques remarques qu'elle avait faites au sujet d'incivilités. Cette nouvelle élue a été foncièrement déstabilisée par cette situation à laquelle elle n'était pas préparée. Comme vous le préconisez dans votre circulaire, les forces de l'ordre se sont montrées diligentes et sa plainte a été enregistrée dans de bonnes conditions. Malheureusement, le suivi judiciaire n'était pas au rendez-vous. Elle n'a eu aucune information sur sa plainte pendant de longs mois, au bout desquels elle a fini par apprendre que sa plainte avait été classée sans suite. De façon intuitive, je m'interroge sur le nombre d'élus qui renoncent à porter plainte devant la difficulté à obtenir un traitement judiciaire approprié. Auriez-vous des éléments statistiques sur cet angle mort ?

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je voudrais d'abord souligner que dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI), il a été décidé que la commune pourra désormais se constituer partie civile - de même que l'Assemblée nationale ou le Sénat. En outre, nous avons envisagé, au-delà de l'élu, sa famille, à laquelle on s'en prend parfois en raison de son lien avec l'élu. Ces évolutions sont extrêmement importantes.

Pour que les élus et les procureurs se parlent, la première chose à faire est d'ouvrir les portes de l'École nationale de la magistrature aux élus. Il y a également deux choses sur lesquelles j'aimerais revenir avec vous.

Je ne cesse de m'interroger sur les raisons de l'augmentation de la violence. Le terrorisme a généré une ambiance particulière et la Covid en a généré une autre. Dans une enquête récente dans Le Point, un expert nous explique que le fait de dévaloriser systématiquement le travail des élus génère aussi la violence. Si nous ne sommes tous que des bons à rien, et que nous sommes stigmatisés en permanence, il est difficile de faire valoir ce que nous faisons. Le traitement de ces phénomènes sur les réseaux sociaux est très particulier, mais le mal n'y est pas limité et il en résulte un affaissement de l'autorité et des barrières. Il faut prendre en compte ces phénomènes sociétaux.

Je tiens aussi à rappeler à ceux qui jugent une peine trop laxiste ou trop sévère que le garde des sceaux n'intervient pas dans la détermination des sanctions. Les magistrats sont indépendants et le corollaire de l'indépendance, ce sont, de façon infinitésimale, ces décisions que l'opinion publique a du mal à comprendre. On peut dire tout ce que l'on veut, au quotidien, les juges sont indépendants et dans notre belle démocratie, c'est bien comme cela.

Monsieur Rémy Pointereau, il est arrivé qu'on parle d' «injure » aux élus, sans doute par rapidité, et il m'a semblé utile que l'on qualifie mieux tout ce qui est un outrage à un élu parce qu'il faut prendre en considération cette circonstance particulière de la qualité de l'élu, qui entraîne une peine plus sévère. Je n'ai pas de chiffres précis sur cette qualification mais la circulaire a été lue et elle est appliquée.

Chez vous, au tribunal judiciaire de Bourges, il y a quatre contractuels « justice de proximité pénale», sans compter la justice de proximité civile, une boîte courriel dédiée, et des référents élus locaux. En revanche, il n'y a pas de convention de rappel à l'ordre signée avec les maires. Vous êtes les élus des territoires : informez les maires de l'utilité de ce rappel à l'ordre ! Certains maires ne le mettent pas en oeuvre parce qu'ils ne savent pas comment il fonctionne, d'autres parce qu'ils n'en ont pas envie. L'un d'entre eux m'a dit « Cela ne sert à rien, le rappel à l'ordre, vous avez supprimé le rappel à la loi ». Dans l'exemple du frigo, quelqu'un de correct qui n'a jamais posé problème dans sa commune, cette sanction peut être parfaitement adéquate, mais encore faut-il que les maires veillent à l'utilisation de ce rappel à l'ordre, et à la signature des conventions. Je prends date avec vous, car nous ne pouvons nous satisfaire d'une cartographie disparate où d'un côté, tout va merveilleusement bien, et où de l'autre, tout reste à faire : le traitement national doit être le même pour tous les élus.

Monsieur le sénateur Lefèvre, votre vigilance budgétaire vous honore, mais je précise que ce sont les référents qui ont en charge la communication. Vous avez trois tribunaux judiciaires, à Laon, Saint-Quentin et Soissons. Il y a deux contractuels proximité justice pénale à Laon, deux à Saint-Quentin, deux à Soissons. Vous avez des contractuels justice de proximité violences intrafamiliales, une boîte courriel dédiée, un référent élus locaux à Laon et à Soissons et des conventions de rappel à l'ordre ont été signées avec les trois tribunaux judiciaires.

Les situations sont variables et en même temps, j'ai voulu laisser de la souplesse dans l'application de la circulaire afin de laisser aux magistrats la faculté de prendre en compte leurs spécificités territoriales. Parfois un juriste assistant suffit dans une juridiction, parfois il en faut deux, et il faut laisser aussi aux magistrats le soin de gérer ce personnel supplémentaire qu'on a appelé les « sucres rapides » et qui sont tellement indispensables que les représentants des magistrats m'ont demandé de les pérenniser, ce que j'ai fait.

Monsieur le sénateur François Bonhomme, au Tribunal judiciaire de Montauban, il y a trois contractuels justice de proximité, ce qui correspond à une augmentation en effectifs hors magistrats de 9,5 %. Une boîte courriel dédiée et des référents élus locaux ont été mis en place, les conventions de rappel à l'ordre ont été signées avec les maires : le triptyque est complet.

Mme Françoise Gatel, présidente. - La fiche de Monsieur Bonhomme est positive, si je puis dire. Sans doute faudrait-il que nous ayons un contact avec l'association des maires pour savoir si elle a sollicité le procureur.

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Les initiatives doivent être prises dans les deux sens. Moi, j'ai demandé aux procureurs d'être à l'écoute. Certains sont très investis et inspirent les autres, comme à Valenciennes, mais les élus doivent aussi libérer leur parole. Si possible, je referai des réunions en visioconférence comme celle d'hier, qui favorisent un contact convivial.

Mme Françoise Gatel, présidente. - On me demande d'ailleurs avec les maires de quel département vous avez fait cette réunion ?

M. Laurent Burgoa. - À Nîmes, les infractions à l'urbanisme sont si nombreuses qu'un groupe territorial spécifique  « urbanisme », présidé par le procureur de la République, a été mis en place dans le cadre du contrat local de sécurité. 10 dossiers ont été jugés par le tribunal correctionnel de Nîmes, certains avec des condamnations. Le problème est qu'il n'y a pas de lien entre la décision de la juridiction de jugement et l'exécution, c'est à dire le concours de la force publique, demandé par le préfet à ses services et à la police. Les sénateurs sont là pour mettre un peu d'huile dans les rouages, aussi suis-je allé voir Madame la préfète. Ne pensez-vous pas, monsieur le garde des sceaux, qu'une circulaire à l'ensemble des préfets, cosignée de votre part et de votre collègue en charge du logement, sensibiliserait l'ensemble des préfets de France à cette problématique ?

M. Cédric Vial. - Il y a deux formes de retour d'information : quand l'élu est concerné directement, on reçoit effectivement l'information d'un classement sans suite, et j'espère que les directives que vous avez données ces derniers mois vont permettre d'améliorer ce point. Il y a aussi une deuxième catégorie d'informations relatives aux faits qui se sont déroulés sur la commune et que j'ai eu à connaître, notamment une fusillade où la mairie a collaboré à l'enquête grâce à ses caméras de vidéosurveillance. Les faits sont signalés mais la commune n'a aucun retour de l'institution judiciaire sur la suite des événements : les personnes impliquées sont-elles poursuivies ou pas ? Reviennent-elles sur la commune ou sont-elles emprisonnées ? Etc. Ces informations sont importantes pour la bonne conduite de la mairie, c'est le cas aussi quand le matériel de la commune a été dégradé par voies de fait. J'ai l'expérience des conventions qu'on appelait « école, police, justice » qui affichaient cette même volonté que les procureurs informent les directeurs d'établissement en cas de signalements, or jamais cela n'a été fait. Nous avions beau avoir signé une convention et disposer potentiellement du bon outil, concrètement, il ne produisait aucun résultat et quand on interrogeait les personnels du ministère de la justice, ils nous répondaient : « Nous avons à peine une secrétaire pour quatre, pensez-vous que nous n'avons que cela à faire, prendre le temps d'informer le maire, le chef d'établissement ?». Les circulaires manifestent de bonnes intentions, mais sur le terrain, il y a souvent des difficultés d'application.

Mme Agnès Canayer. - Je me réjouis de l'évolution dans la communication entre les professionnels de la justice et les élus locaux, néanmoins cette communication aujourd'hui reste parfois difficile et on me dit qu'une des difficultés réside dans la non-adéquation des ressorts des juridictions, notamment des cours d'appel, avec les intercommunalités et l'organisation administrative. Une telle réforme serait-elle susceptible d'améliorer cette relation entre les élus et la justice  et avez-vous engagé une réflexion à son sujet ? D'autre part, l'agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle (ATIGIP) que vous avez créée intervient-elle auprès des maires pour favoriser le travail d'intérêt général (TIG) au sein des communes ?

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - M. Burgoa, il n'est pas en mon pouvoir d'adresser une circulaire aux préfets, mais je tiens à vous donner les chiffres de votre circonscription parce que je viens d'entendre de la part d'un sénateur avare en compliments que ces circulaires étaient tout au plus de bonnes intentions, et ce « peut mieux faire » me semble un peu dur. Je viens à peine d'informer les trois précédents sénateurs des personnels qui avaient été affectés à cette relation élu parquet, dont votre serviteur ici-même est à l'origine. J'ajoute qu'à Valenciennes, le procureur lui-même a déclaré que ces « sucres rapides » avaient permis de débloquer des projets vieux de quinze ans !

Les chiffres, donc. Au Tribunal d'Alès, il y a quatre contractuels justice de proximité - je ne donne que les chiffres au pénal -, ce qui correspond à une augmentation en effectifs hors magistrats de 22,5 %. À Nîmes, il y a six contractuels justice de proximité, ce qui correspond à une augmentation en effectifs hors magistrats de 11 %. Une boîte courriel dédiée a été mise en place dans les deux tribunaux, ainsi que des référents élus locaux, tandis qu'une convention de rappel à l'ordre a été signée avec le tribunal d'Alès. Rien de tout cela n'existait auparavant : vous voyez bien que si tout n'a pas encore abouti, nous avançons.

Monsieur le sénateur Cédric Vial, vous posez une question complexe dont la réponse est assez simple. Si la commune est partie civile par exemple, en cas de dégradation par exemple, elle a accès au dossier : si une information ou une enquête préliminaire est en cours, elle sera avertie de la date de l'audience, si audience il y a. Maintenant, à quel titre informer le maire si l'infraction n'a comme seul lien de rattachement avec la commune, le fait qu'elle a été réalisée dans la commune ? Il y a quand même un secret de l'instruction, et dans ce cas, c'est du cas par cas. Si vous êtes partie civile parce que la commune a un préjudice, vous aurez accès aux éléments du dossier de façon contradictoire parce que vous êtes partie à la procédure. Mais si un crime s'est déroulé sur le territoire de la commune, il n'y a pas de raison que le maire soit informé des éléments d'information judiciaire.

M. Cédric Vial. - Lorsque l'affaire est classée, les gendarmes n'ont pas cette information.

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Cette information n'est pas couverte pas le secret de l'enquête, aussi vous pouvez parfaitement l'obtenir.

M. Cédric Vial. - Lorsque les gendarmes posent la question, on leur répond : « C'est classé depuis six mois ».

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Ils n'ont qu'à demander plus tôt ! Moi, je ne souhaite pas emboliser les magistrats du parquet : je ne vais pas leur demander de faire de la statistique ! Voyez, il y a des choses sur lesquelles je suis plutôt intransigeant parce qu'elles vont dans le sens du renforcement des relations élus / parquet, mais si j'en demande trop, je ne serai pas bien reçu, parce que sur une ville moyenne, cela peut faire beaucoup de travail. Évidemment, sur une petite commune où il y a peu d'infractions, les choses sont plus simples, mais dans une grande ville, il faudrait des gens à plein temps pour informer tout le monde.

En décembre, j'ai pris un décret pour que les femmes victimes de violences sachent où se trouve l'auteur des faits, quand il a été condamné, et quand il sort de prison. On peut aussi modifier au fond la surveillance imposée à l'auteur des faits. Dans ce cas précis, l'information est indispensable, car il y va de la sécurité de ces femmes.

Cela dit, je veux bien travailler sur le sujet, faites-moi remonter un dossier à la chancellerie, je demanderai son avis au parquet. Il y a aussi un groupe de travail comprenant des représentants des maires et des parquets. Pourquoi n'y feriez-vous pas une petite incursion ? On vous répondra peut-être que c'est injouable, mais qui sait ? Faites vite cependant, car ce groupe de travail rendra ses conclusions le 8 mars.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Monsieur le garde des sceaux, en complément de ce que disait notre collègue Vial, une réponse du ministère de l'Intérieur a été publiée en février 2020 sur l'obligation d'information par la gendarmerie ou la police des suites judiciaires. Comment la gendarmerie peut-elle assurer un suivi et informer du classement sans suite d'une affaire ?

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Soyons précis, la réponse que vous invoquez a trait aux infractions commises contre les élus, et non à l'hypothèse d'une infraction qui serait commise dans la commune. C'est la mission des référents d'informer les élus des suites de la procédure, mais uniquement quand elle concerne un élu.

Monsieur Vial, je ne vous ai pas donné les chiffres de votre ressort, et vous allez voir qu'il ne s'agit pas que de bonnes intentions. À Chambéry, il y a quatre contractuels justice de proximité pénal, à Albertville, il y en a trois. Une boîte courriel dédiée entre les parquets et les élus été mise en place, de même que, dans chaque tribunal, un référent pour les élus parquet. Une seule convention de rappel à l'ordre a été signée, avec le tribunal d'Albertville.

Madame la sénatrice Canayer, vous m'interrogez un redécoupage de la carte judiciaire. Ce n'est pas sacrée soirée, mais sacré chantier ! Il me semble que cela sera pour « après ».

Les TIG sont un bel outil qui fonctionne très bien. La loi « justice de proximité » que vous avez votée permet d'aller beaucoup plus vite pour l'exécution des TIG et du travail non rémunéré (TNR) que peut prononcer, contrairement aux TIG, le délégué du procureur. Celui-ci peut désormais saisir le scooter, et je vous signale qu'il y a 1 400 % d'augmentation des condamnations pour rodéos non autorisés : c'est énorme. Évidemment, certaines chaînes d'information préfèrent diffuser en boucle les rodéos sauvages de la place Bellecour, que la police n'interpelle pas pour d'évidentes raisons de sécurité. Mais les chiffres sont là, et la saisie du scooter constitue pour le jeune une très belle sanction, une sanction qui lui fiche la honte, « la te-hon », diront-ils. En outre, grâce au moteur de recherche sur les bonnes pratiques, le scooter peut être donné à des associations caritatives. A Épernay, dans une école de mécanique, des gamins apprennent le métier de mécanicien sur ces deux-roues. Voilà une belle boucle vertueuse !

Nous avons maintenant 21 000 postes de TIG disponibles contre 18 000 dans les dernières statistiques, et les disponibilités sont recensées par un nouveau outil informatique, « TIG 360 ». C'est une avancée majeure, car j'ai connu l'époque, lorsque j'étais avocat, où le juge prononçait un TIG sans savoir s'il y avait des disponibilités. Les avocats ont également accès à cet outil numérique, et peuvent le proposer pour leurs clients. Encore mieux : nous avons fait en sorte que celui qui a un travail ne le perde pas à cause du TIG, en l'autorisant à l'effectuer le week-end. Et nous allons bientôt développer « IPRO 360 » à l'échelle départementale.

Dans cette relation entre les élus et les maires, il y a à la fois « j'ai été menacé, agressé, il se passe quelque chose dans ma commune, donnez-moi un coup de main », mais il y a aussi « informez-moi ». Je n'adresse pas de circulaire aux maires mais j'en adresse aux procureurs généraux, d'où l'intérêt de ces échanges et des formations.

Mme Agnès Canayer. - L'idée est de favoriser le recours aux TIG par les maires. Il faut les y sensibiliser.

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'ai personnellement rencontré des élus pour leur demander de nous proposer des places de TIG.

Quelques chiffres sur les TIG, qui prennent en considération la crise sanitaire. Nous avons 21 635 places de TIG, dont 1 456 ouverts aux mineurs. Il y en avait moins de 18 000 en 2019, l'évolution est donc considérable. Il y a également 4 472 travaux non rémunérés qui ont été prononcés entre décembre 2020 et décembre 2021. Cet outil-là fonctionne plutôt bien, parce que je rappelle que la loi « justice de proximité » établit le principe : « tu casses, tu répares et indemnises ». Hors du volet élu, dans le cadre de la loi « justice de proximité », 11 5000 décisions ont été rendues hors les murs des tribunaux. J'ai fait quelques visites, notamment à Villeneuve-sur-Lot, je me suis rendu dans l'Eure, à Bernay, où l'on juge en un mois la délinquance de basse intensité. Le délégué du procureur se rend au tribunal qui a été réouvert et le contentieux est réglé sur le champ. Évidemment, la victime peut aussi bénéficier de cette décision de justice quand elle se constitue partie civile.

M. Thierry Cozic. - Monsieur le garde des sceaux, je salue votre volonté d'améliorer la communication entre les élus et le parquet. La principale difficulté vient d'un déficit de connaissance de la part des élus des dispositifs et des structures partenariales existantes. J'ai moi-même découvert en préparant cette audition l'existence du conseil de juridiction, co-présidé par le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République, qui a été mis en place à titre expérimental en 2015, puis créé par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Cette instance, auquel des maires et des représentants d'associations participent, est censée être un « lieu d'échange et de communication entre la juridiction et la cité ». J'ai appelé quatre associations de maires dans la région, et il s'est avéré que cette instance leur était également inconnue. Ne serait-il pas opportun de la développer, comme Adeline Hazan le suggérait dans un article récent de La Gazette ?

Mme Catherine Belrhiti. - Comment informez-vous les maires des formations disponibles ?

Mme Corinne Féret. - Il y a deux types d'agressions. Par exemple, ce maire d'une petite commune de mon département qui a été agressé physiquement lorsqu'il a voulu mettre fin à un rodéo sauvage - nous avons aussi des rodéos en zone rurale. Son agresseur a été identifié. Et puis, il y a les agressions qui relèvent plus de la menace mais qui sont tout aussi graves, me semble-t-il. Très récemment, le maire de Sainte-Marie du Mont a été victime de menaces anonymes taguées sur son domicile parce qu'il avait fait le choix de soutenir un candidat, en l'occurrence le président de la République. C'est sa liberté la plus grande et elle doit être respectée. Ces deux agressions sont différentes mais elles provoquent le même ressenti chez les élus. Comment les accompagner, y compris dans les suites pénales ?

Enfin, la première phrase du rapport sur l'ancrage territorial de la sécurité intérieure rappelait que le maire doit rester le pivot de la sécurité dans sa commune. Cette assertion a motivé tout notre travail de réflexion et je tenais à le rappeler.

M. Bernard Delcros. - Il y a une différence entre les maires des villes les plus importantes, qui ont des services et la facilité d'accès aux instances, et les maires des petites communes qui sont complètement démunis. Il est important de penser à elles et d'aller vers ces élus pour les informer et les sensibiliser. N'oublions pas qu'il y a différentes strates de collectivités et que tous les maires n'ont pas les mêmes capacités à accéder aux services. Comme l'a suggéré la présidente, rapprochons-nous des associations des maires pour savoir si elles prennent des initiatives visant à rapprocher les élus de la justice.

M. Fabien Genet. - Monsieur le garde des sceaux, nous vous donnons acte des mesures que vous avez mises en place et que notre délégation aura à coeur d'évaluer : comment les outils vont-ils être utilisés, répondront-ils aux problématiques ? C'est aussi le rôle du Sénat de contrôler tout cela. Je partage votre analyse de la situation sur l'affaissement d'un certain nombre d'autorités dans notre pays et sur le manque de respect entre les uns et les autres. Il est vrai que lorsque les plus hautes autorités de l'État élaborent des politiques afin d'« emmerder » leurs concitoyens, il est à craindre, monsieur le garde des sceaux, que certains d'entre eux soient tentés par la réciproque. Quel que soit le vote à venir des Français, espérons que nous pourrons dans notre pays regagner un peu de sérénité.

Je suis ancien maire de Digoin, élu du Charolais. Lorsque quelqu'un, comme c'est arrivé dans ma commune, se promène avec un sabre et veut couper la tête de tout le monde, et qu'il ressort, quelques jours plus tard, on n'est pas forcément informé. Il y a entre le procureur, la gendarmerie et les services psychiatriques, des enjeux de partage de l'information, avec, au-delà du secret de l'instruction ou de l'enquête, le secret médical. Cela devient très complexe.

Deuxième observation, pour avoir été élu président du Grand Charolais, on voit la différence dans une collectivité comme la nôtre, où vous avez des petites villes de 5 000 à 10 000 habitants qui ont une police municipale et où en première ligne, vous avez l'agent de police municipale, avec les communes plus rurales où c'est le maire, premier magistrat de sa commune, qui est en direct, le premier et seul « flic » de sa commune. Ne faudrait-il pas envisager des mutualisations de police municipale ou de gardes champêtres, comme cela a existé ?  

Mme Françoise Gatel, présidente. - La mutualisation de gardes champêtres a été prévue dans la loi « engagement et proximité ». Nous suivrons la façon dont les petites communes s'emparent de ce service très intéressant qui leur est offert.

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le fonctionnement du Conseil de juridiction ne me semble pas propice à des échanges étroits entre les élus et les parquets parce qu'on y évoque plein d'autres choses, la politique pénale par exemple. Il y a beaucoup de monde et le format n'est pas assez opérationnel, je préfère une relation directe entre les parquets et les élus.

Monsieur le sénateur Thierry Cozic, il y a quatre contractuels justice de proximité au tribunal judiciaire du Mans, soit une augmentation de 11 % des effectifs hors magistrats, une boîte courriel dédiée, un référent élus locaux. Il n'y a pas de convention de rappel à l'ordre signée avec les maires. Est-ce que ce sont les maires qui ne se sont pas rapprochés des magistrats ou l'inverse, est-ce qu'elle n'a pas été jugé utile au Mans, je n'ai pas la réponse mais voilà les chiffres.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Mais il y a une sollicitation cet après-midi du président des maires ruraux de la Sarthe qui est, si je puis dire, dans les starting-blocks pour cette convention.

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - D'accord. Madame Belrhiti, les associations peuvent parfaitement demander au procureur de la République un petit stage de formation, l'initiative peut aussi venir de l'élu : c'est plus compliqué pour le procureur d'aller voir les maires un à un. Faites un mot au procureur général du ressort, dites-lui que dans le cadre du rapprochement que vous souhaitez et que souhaite également le garde des sceaux, vous souhaiteriez qu'il vous fasse une formation. Cela sera apprécié, les procureurs sont gourmands de ce type de relation qui sont dans l'intérêt de tout le monde.

Il y a trois tribunaux judicaires chez vous, à Metz, Sarreguemines et Thionville : à Metz, 10 contractuels, Sarreguemines, trois et Thionville, quatre. Metz et Thionville ont chacune une boîte courriel dédiée, des référents élus locaux sont en place à Metz et Thionville. Les conventions de rappel à l'ordre n'ont pas été signées avec les maires.

Mme Catherine Belrhiti. - Nous avons 725 communes en Moselle ! La relation ne se fait pas avec les tribunaux.

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Si vous-même ou quelques élus locaux écrivez au procureur général pour lui demander une formation, par exemple sur le rôle de l'OPJ, le rappel à l'ordre ou autre, je vous garantis que les procureurs généraux ne diront pas non.

Madame Féret, les infractions doivent être graduées, les menaces et les violences ne sont pas de même intensité. Je vous ai donné les chiffres sur l'emprisonnement s'agissant des menaces et les chiffres s'agissant des violences, et, naturellement, ce ne sont pas les mêmes : il y a plus de sévérité pour les violences et c'est bien légitime.

Il y a deux tribunaux judiciaires chez vous, à Caen et à Lisieux, 5 « sucres rapides » à Caen, 2 à Lisieux. Il y a un référent élus locaux seulement à Lisieux. Pas de boîte courriel dédiée non plus : pourquoi ne feriez-vous pas un petit coucou au procureur général ? Il ne s'agit pas de donner des injonctions, je suis pour ma part très respectueux de la liberté des magistrats et de leur indépendance. Comprenez que la justice de proximité fête à peine son premier anniversaire. Les parquets ont affecté en priorité les « sucres rapides » aux urgences. Peut-être y-a-t-il une spécificité chez vous, mais rien ne vous interdit de prendre contact avec le procureur général pour discuter, demander pour quelle raison telle ou telle chose ne s'est pas faite. Je vois par ailleurs qu'une convention de rappel à l'ordre a été signée à Caen.

Monsieur le sénateur Bernard Delcros, les différences entre les maires des grandes communes et des petites communes sont une raison supplémentaire pour encourager le partage de la connaissance et le rapprochement des uns et des autres. Ne me demandez pas de faire du pain, et ne demandons pas au boulanger de faire du droit. L'éclectisme des élus locaux reflète la beauté de la démocratie, c'est pourquoi il me semble important de les aider.

Chez vous, à Aurillac, les effectifs hors magistrats ont augmenté de 16 %. Il n'y a pas de boîte courriel dédiée, mais des référents élus locaux. Pas de convention de rappel à l'ordre. Là encore, Monsieur le Sénateur, rien ne vous interdit de prendre attache avec le procureur général près la cour d'appel. Je le redis, la justice de proximité pénale n'a qu'un an.

Enfin, Monsieur le Sénateur Fabien Genet, qui a fait un petit peu de politique avec un mot utilisé par le président de la République, on ne peut pas à la fois lui reprocher d'être jupitérien et de s'exprimer comme nous nous exprimons les uns et les autres. D'autant qu'il s'agissait, selon moi, d'un combat vital. Vous avez déjà dû dire des gros mots, d'ailleurs, j'ai noté, Monsieur le sénateur, que vous aviez dit « flic ». Voyez, j'entends défendre le président de la République : c'est normal, j'appartiens à son gouvernement. Il a utilisé un mot que tout le monde a compris. Il y a dans ces anti-pass sanitaire et antivax des gens très fragiles qu'il convient de respecter, mais il y a aussi de nombreux complotistes et personnes d'extrême-droite. Je rappelle enfin que le mot a été emprunté au président Pompidou.

Chez vous, il y a deux tribunaux judiciaires, à Chalon-sur-Saône et Mâcon. 4 « sucres rapides » ont été affectés à Chalon-sur-Saône et 2 à Mâcon. Il y a une boîte courriel dédiée, des référents élus locaux et des conventions de rappel à l'ordre signées par les maires pour les deux tribunaux.

M. Fabien Genet. - La question étant : peut-on vivre uniquement de « sucres rapides » ?

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est un peu facile. Je rappelle que 698 magistrats ont été embauchés sous ce quinquennat, contre 27 lors du précédent quinquennat et moins 142 lors de celui d'avant. Le budget de la justice a cru de 33 %, 850 greffiers ont été recrutés, ainsi que 2 000 « sucres rapides ». Une promotion historique est en cours à l'ENM, de 480 magistrats, ce qui ne s'était jamais vu depuis les débuts de l'école. Les états généraux de la justice, un exercice démocratique inédit, seront en outre l'occasion pour le prochain président de la République de se saisir des enjeux actuels.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci, monsieur le garde des sceaux pour cette audition. Je veux vraiment remercier de vous être prêté de bonne grâce à nos questions dont vous avez pu constater la qualité et la densité ainsi que la courtoisie très exigeante des sénateurs. Nous sommes un certain nombre à ne pas avoir eu les chiffres de notre ressort, pourriez-vous nous les faire parvenir pour chacun de nos collègues présents ?

M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Oui, madame la présidente.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous félicite de la qualité de ces précisions qui vont nous permettre d'enclencher le continuum de contrôle et de suivi.

Examen du rapport de synthèse sur la table ronde relative aux élus locaux face aux décharges sauvages

Mme Françoise Gatel, présidente. - Mes chers collègues, acceptez-vous que nous publiions le rapport de synthèse sur notre table ronde relative aux déchets sauvages ?

La délégation aux collectivités territoriales autorise la publication du rapport.