Mercredi 26 octobre 2022

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30

Projet de loi autorisant l'approbation de la déclaration relative à la phase d'exploitation des lanceurs Ariane, Vega et Soyouz au Centre spatial guyanais - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons maintenant le projet de loi autorisant l'approbation de la déclaration relative à la phase d'exploitation des lanceurs Ariane, Vega et Soyouz au Centre spatial guyanais, sur le rapport de notre collègue Jean-Marc Todeschini.

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. - Bien que dénommée « déclaration », il s'agit d'un accord intergouvernemental, fixant le cadre juridique de l'exploitation des lanceurs au Centre spatial guyanais.

Ce texte a été signé à Paris, le 4 décembre 2017. Il constitue une mise à jour de la déclaration précédente, adoptée à Paris le 30 mars 2007 et ratifiée par la France par le décret du 16 décembre 2016, alors que la loi autorisant la ratification date du 21 avril 2009. On peut accessoirement s'interroger sur de tels délais...

Les parties signataires sont au nombre de 18, toutes membres de l'Agence spatiale européenne.

Bien que conclues en dehors du cadre juridique de l'Agence, son élaboration et sa négociation se sont déroulées en son sein.

L'Agence spatiale européenne, qui n'est pas une agence de l'Union européenne, a été créée par une convention de 1975. Elle est notamment en charge de la mise en oeuvre des programmes de développement des lanceurs européens et est, à ce titre, maître d'ouvrage des lanceurs Ariane et Vega.

Le Centre spatial guyanais, dont la création en 1964 avait été souhaitée par le Général de Gaulle pour renforcer la souveraineté nationale, est aujourd'hui le port spatial de l'Europe, lui garantissant un accès autonome à l'Espace.

Il regroupe des acteurs privés et publics.

Le Centre national d'études spatiales (CNES) est chargé de la coordination générale de la base de lancement.

L'Agence spatiale européenne finance une grande partie des installations du Centre spatial guyanais et les met à disposition. Elle est notamment propriétaire des infrastructures de lancements.

Arianespace est l'opérateur de lancement. Elle commercialise et fournit les services de lancement.

Enfin, ArianeGroup et Vega sont les maîtres d'oeuvre industriels des lanceurs Ariane et Vega.

Quant à l'exploitation des lanceurs russes Soyouz au Centre spatial, elle a été rendue possible grâce à un accord entre la France et la Fédération de Russie en novembre 2003. Les premiers lancements ont eu lieu en 2011.

Suite au départ précipité des équipes russes de Guyane en février 2022, en réaction aux sanctions économiques européennes, les dispositions de l'accord relatives au lanceur Soyouz sont sans objet à ce jour.

Le recours aux lanceurs Soyouz a permis au CSG de diversifier son offre, en proposant les services d'un lanceur intermédiaire, tandis que l'arrivée du lanceur italien Véga (premiers lancements en 2012) répond à la demande croissante de lanceurs légers.

La nouvelle version de la déclaration a pour objectif principal de définir le rôle des maîtres d'oeuvre ArianeGroup et Avio dans le cadre de l'exploitation à venir d'Ariane 6 et Vega-C.

Ariane 6 se déclinera en deux versions : Ariane 64, héritière d'Ariane 5 et Ariane 62, plus légère et moins couteuse, à l'instar du lanceur Soyouz. Avec la futur Vega-C, qui aura une capacité d'emport 1,5 fois supérieure à celle de Vega, le CSG proposera une gamme complète de lanceurs.

L'exploitation des lanceurs comprend leur fabrication, leur intégration, les opérations de lancement et les activités de commercialisation.

- Pour Ariane 5, le lanceur Vega actuel et Souyouz (le cas échéant) : c'est toujours Arianespace qui est chargé de leur exploitation.

- Pour Ariane 6 et Vega-C, l'exploitation est confiée non seulement à Arianespace, mais aussi à leurs maîtres d'oeuvre respectifs, à savoir l'industriel français ArianeGroup et l'industriel italien Avio. Ces deux derniers deviennent responsables de la production des lanceurs et devront supporter les risques liés à l'exploitation commerciale de leur lanceur respectif.

Les autres dispositions de la déclaration sont, à quelques détails près, semblables à la version de 2007 :

- L'Agence spatiale européenne est toujours chargée de veiller à la bonne application de la présente déclaration. A cette fin, elle dispose de droits d'audit.

- Le régime de responsabilité juridique est maintenu. Il engage fortement la France, en sa qualité d' « État de lancement ».

Ainsi, en cas de dommage à des tiers, la France supporte l'intégralité de la charge financière pour les lancements Ariane. Dans le cas des lancements Vega, la France supporte un tiers de la charge financière, les deux tiers restants étant à la charge de l'Agence spatiale. Enfin, s'agissant des lanceurs Soyouz, la France supporte l'intégralité de la charge, sous réserve de l'accord conclu avec la Russie qui prévoit le partage de cette charge financière.

Il faut noter que la responsabilité financière de la France n'a, à ce jour, jamais été engagée.

- Enfin, et on peut le regretter, le principe de préférence européenne, s'il est maintenu, reste peu contraignant. L'accord prévoit que les parties « tiennent comptent » des lanceurs exploités au CSG, « sauf si l'utilisation de ces lanceurs présente, par rapport à d'autres lanceurs (...) un désavantage déraisonnable sur le plan du coût, de la fiabilité ou de l'adéquation à la mission ».

Comme il est indiqué dans l'étude d'impact, « cet accord constitue un texte de consensus entre les trois États concernés par les programmes de lanceurs, à savoir la France, l'Allemagne et l'Italie».

En effet, si la France soutient depuis de nombreuses années la mise en place d'un réel principe de préférence européenne, certains États, dont l'Allemagne, s'y opposent.

L'attitude de l'Allemagne, qui développe seule des projets comme celui du port spatial dédié aux micro-lanceurs en mer du Nord à l'horizon 2023, interroge.

L'émergence d'une « véritable concurrence entre les États membres » pour reprendre les paroles de notre collègue Sophie Primas lors de l'audition de président du CNES en février dernier par la commission des affaires économiques, est inquiétante.

D'autant plus que l'irruption de nouveaux acteurs, tel SpaceX, largement soutenu par la puissance publique américaine, relance la course à l'Espace. La diminution radicale des coûts d'accès à l'espace, par l'entremise de sociétés privées, change radicalement les enjeux du spatial.

Or, il est inutile de vous rappeler que l'accès autonome à l'espace est un enjeu stratégique majeur : enjeu de sécurité globale, de connectivité, de communication, de lutte contre le changement climatique...

Le projet de constellation européen soutenu par Thierry Breton est un premier pas afin d'assurer la souveraineté européenne en matière de protection des communications, mais elle n'est pas suffisante. Je vous rappelle que les bandes de fréquence des satellites sont attribuées aux premiers arrivés, au premier rang desquels figurent les États-Unis.

Avec SpaceX, les États-Unis ont bâti une organisation industrielle 100 % intégrée, alors que la production des lanceurs Ariane obéit toujours à la règle du retour géographique, dont la conséquence est un ralentissement de la chaîne de production, qui compte plus de 600 entreprises, réparties dans 13 pays !

C'est la raison pour laquelle certains appellent à une refonte en profondeur de la gouvernance des lanceurs européens.

La présente déclaration n'a bien évidemment pas l'ambition de provoquer un tel Big Bang. Elle apporte néanmoins un cadre juridique renouvelé pour l'exploitation des nouveaux lanceurs européens, qu'il convient de soutenir.

La déclaration prévoit qu'elle entrera en vigueur lorsque deux tiers des parties l'auront ratifiée. Or, à ce jour, seuls six États (sur 18) l'ont ratifiée.

En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en deuxième. Son examen en séance publique au Sénat n'est pas encore prévu à ce jour, mais je souscris personnellement à son examen selon la procédure simplifiée.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord relatif à la restructuration de la plate-forme douanière de Saint-Louis - Bâle sur l'autoroute A35, en France entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons maintenant le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord relatif à la restructuration de la plate-forme douanière de Saint-Louis - Bâle sur l'autoroute A35, en France entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse, sur le rapport de notre collègue Ludovic Haye.

M. Ludovic Haye, rapporteur. - Une fois n'est pas coutume, nous examinons un accord bilatéral qui présente un enjeu local puisque les infrastructures dont il est question sont situées dans mon département du Haut-Rhin.

En effet, l'autoroute A35, autrement appelée « l'autoroute des cigognes », traverse l'Alsace de part en part : elle commence son itinéraire à la frontière allemande au Nord, pour l'achever à la frontière suisse au Sud - c'est-à-dire aux portes de la ville de Bâle. Cette ville constitue, pour la Suisse, l'un des principaux points d'entrée du trafic de marchandises en provenance des ports de la Manche et de la mer du Nord, à savoir Le Havre, Rotterdam et Anvers. Ainsi, quelque 1 200 poids lourds franchissent chaque jour la frontière, dans les deux sens, via la plateforme douanière de Saint-Louis - Bâle.

Or, cette plateforme est fermée le soir et le week-end, créant ainsi de longues files de camions sur l'autoroute, qui se résorbent à l'ouverture du bureau de douane, mais de plus en plus difficilement compte tenu de l'accroissement du flux. Cette situation présente un risque élevé pour la sécurité des usagers puisque certains automobilistes remontent les files de camions, parfois à contresens ; une personne a ainsi perdu la vie, en 2019, dans une collision avec un poids lourd. En outre, l'infrastructure actuelle était prévue pour un passage de 400 poids lourds par jour ; elle n'est donc plus adaptée au trafic qui a substantiellement augmenté. Enfin, ces files d'attente ne sont pas sans conséquence sur la qualité de l'air en raison des gaz d'échappement émanant des véhicules à l'arrêt.

Pour répondre à cette situation, la France et la Suisse se sont accordées pour réaliser, sur notre territoire, des travaux de restructuration de la plateforme douanière. Ces travaux visent à optimiser la surface existante tant il est difficile - voire impossible - de l'étendre eu égard à la forte urbanisation du secteur et à la proximité de l'autoroute.

Les travaux ont démarré en 2019 ; la maîtrise d'ouvrage a été confiée à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) de la région Grand Est, avant d'être transférée, en 2021, à la collectivité européenne d'Alsace.

La première étape, désormais terminée, a consisté en l'élargissement de la bretelle de sortie des camions. Deux voies ont ainsi été créées : la première est destinée aux camions vides ou en transit pour leur permettre d'atteindre la frontière plus rapidement, et la seconde est destinée aux camions devant réaliser des formalités douanières en Suisse - je rappelle à cet égard que le pays n'est pas membre de l'union douanière de l'Union européenne.

La deuxième étape, qui devrait s'achever à la fin de l'année, concerne le réaménagement de la plateforme. Elle prévoit la création d'un parking pour le stationnement des camions qui doivent procéder aux opérations de dédouanement. Au total, en incluant les possibilités de stationnement sur la bretelle d'accès depuis l'autoroute, le projet permettra un stockage de 209 équivalents poids lourd, soit une augmentation de moitié par rapport à la situation antérieure.

La troisième et dernière étape, prévue l'an prochain, sera consacrée à la réfection du pont qui enjambe l'autoroute A35.

Le coût total des travaux s'élève à 10 millions d'euros. Aux termes de l'accord, la Suisse s'engage à participer aux travaux à hauteur de 3,5 millions d'euros, soit la moitié du coût de réaménagement de la plateforme douanière. En France, les travaux sont financés dans le cadre de l'opération « Aménagement des plates-formes douanières Sud Alsace », inscrite au contrat de plan État-région 2015-2020.

La Suisse réalisera un premier versement un mois après l'entrée en vigueur de l'accord ; il est donc important de le ratifier au plus vite. À cet effet, notre commission s'est saisie du texte deux semaines seulement après son adoption à l'Assemblée nationale, ce qui mérite d'être souligné. On peut d'ailleurs regretter qu'il n'y ait pas de seuil pour l'application de l'article 53 de la Constitution tant notre procédure de ratification est longue ; en effet, alors que la partie suisse a ratifié cet accord dans le mois suivant sa signature, il nous aura fallu près de 20 mois pour finaliser nos procédures internes !

Pour conclure, cet accord bilatéral répond à une difficulté rencontrée par les Haut-Rhinois et nos voisins suisses depuis plusieurs années. Ces travaux permettront de sécuriser et de fluidifier le trafic routier près de la frontière franco-suisse et, par conséquent, d'améliorer la vie des Français qui traversent quotidiennement la frontière pour se rendre au travail.

Je préconise donc l'adoption de ce projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale le 13 octobre dernier. Son examen en séance publique au Sénat est prévu le 17 novembre prochain, selon la procédure d'examen simplifié, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

Projet de loi de finances pour 2023 - Audition de Mme Anne-Marie Descôtes, secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

M. Christian Cambon, président. - Madame la Secrétaire générale, nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui pour une audition budgétaire sur les moyens du ministère de l'Europe et des affaires européennes pour 2023. Vous avez pris ces fonctions exigeantes le 30 août dernier, et je vous adresse donc au nom de notre commission tous nos voeux de succès, à un moment où notre outil diplomatique doit être conforté et renforcé.

Votre nomination intervient dans un contexte budgétaire favorable - enfin ! Les autorisations d'engagement du ministère progressent de 16 %. Les crédits de paiement augmentent de 9 %. Ce taux global masque des différences avec une augmentation importante de 13 % des moyens de l'aide publique au développement, et la hausse de 5 % de l'action extérieure de l'État. Vous nous direz si cette progression est suffisante au regard du niveau atteint par l'inflation ? Mais aussi au regard d'un des sujets majeurs de préoccupation de notre commission : la sécurité de nos concitoyens et de nos implantations à l'étranger. Nous avons encore en tête les images de l'attaque de notre ambassade à Ouagadougou il y a quelques semaines. Vous nous direz si vos moyens sont à la hauteur des enjeux dans un monde où l'affrontement n'est plus un risque, mais trop souvent une réalité, qui rend plus que jamais nécessaire nos diplomates professionnels.

Pour les moyens du réseau diplomatique, nous nous réjouissons vivement de l'augmentation des effectifs de 106 ETP en 2023 : j'ai encore eu l'occasion de le dire hier à la Ministre, en présence de plusieurs de nos collègues. Notre commission souligne depuis des années que nous avons été imprudents de fragiliser par tant d'attritions répétées notre réseau. Il était temps de redonner des moyens humains au Quai d'Orsay dans ces temps de compétition internationale exacerbée. Où seront déployés ces effectifs supplémentaires ? Nous souhaitons aussi des précisions sur l'application de la réforme de l'encadrement de la haute fonction publique au Quai d'Orsay. Les États généraux de la diplomatie doivent être l'occasion de revenir sur les conséquences de cette réforme. La Ministre nous a annoncé hier que les Etats généraux seraient lancés demain et nous en a présenté l'articulation, mais vous pourrez peut-être rentrer un peu dans le détail de ce dossier qui nous tient à coeur. Je rappelle que notre commission a adopté des recommandations dans ce domaine, à l'issue d'un gros travail de nos rapporteurs Jean-Pierre Grand et André Vallini. Ils ont formulé des propositions, que notre commission a fait siennes dans un large consensus. Ces recommandations seront-elles suivies ? Nous sommes très attentifs et attachés à la qualité de notre personnel diplomatique, qui est reconnue dans le monde entier : il faut préserver cet outil si précieux.

Pour l'aide publique au développement, les crédits augmentent à nouveau significativement, de 13 % en crédits de paiement par rapport à 2022, et de 9 % en ce qui concerne le coeur de l'APD : les dons-projets. Mais l'on note surtout une hausse de 146% des crédits de « Gestion et sortie de crise », qui passent à 730 millions d'euros. Quelle sera l'affectation de ces crédits de gestion de crise ? Cette hausse ne reflète-t-elle pas, malheureusement et sans que cela ne soit de notre fait, une sorte de retour en arrière, de l'aide au développement à l'aide humanitaire, qui correspond à une forte dégradation de l'état de nombreux pays, notamment au Sahel ?

Enfin, nous n'oublions pas que vous avez été notre ambassadrice à Berlin. Peut-être nous donnerez-vous votre grille de lecture pour comprendre cet épisode de tensions au sein de la relation franco-allemande.

Mme Anne-Marie Descôtes, secrétaire générale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. - Je vous remercie pour votre accueil et pour cette occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous sur les axes forts du budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Vous aviez auditionné il y a deux semaines la ministre, que vous avez revue hier soir, et qui a pu déjà vous présenter ses objectifs prioritaires. Je reviendrai sur quelques points particuliers.

Pour répondre le mieux possible à vos questions, je suis accompagnée d'une équipe représentant les programmes du ministère : Claire Bodonyi, directrice des affaires financières, Laurence Haguenauer, directrice des Français à l'étranger et de l'administration consulaire, Jonathan Lacôte, directeur général adjoint des affaires politiques et Olivier Richard, directeur général adjoint de la mondialisation.

Avant d'aborder le projet de budget, je voudrais vous donner des éléments sur l'organisation des Etats généraux de la diplomatie. Par ce processus, il s'agit de répondre à la contestation sociale qui a traversé le ministère et aux interrogations qui existent encore. L'objectif est de permettre une réflexion commune et approfondie afin de trouver des pistes pour enrichir la réforme. Une équipe a été constituée autour de l'ambassadeur Jérôme Bonnafont, qui est le rapporteur général des Etats généraux. Son secrétariat général a été confié à Florian Escudié. Les travaux se répartiront en trois groupes de travail thématiques. Martin Briens présidera les travaux sur les défis de la diplomatie et sur la définition du métier de diplomate au XXIème siècle. Cyril Pierre présidera les travaux sur les conditions d'exercice du métier, le déroulement des carrières et les méthodes de travail. Eva Nguyen Binh présidera les travaux sur le rôle du ministère comme chef de file interministériel de l'action extérieure de l'Etat et des interactions avec les partenaires non étatiques.

Ces Etats généraux s'organiseront en deux phases. La ministre ouvrira la première phase le 28 octobre par une séance de travail hybride, avec une partie des agents en présentiel et des diplomates du réseau en visioconférence. Cette phase de consultation ne se limitera pas aux agents du ministère mais associera les autres parties prenantes de notre diplomatie pour qu'elle soit la plus large que possible. A partir de fin décembre/début janvier débutera la phase d'exploitation, qui visera à formuler une vision partagée des enjeux d'adaptation de notre métier, de notre action, de nos conditions de travail. Il s'agira de faire émerger des recommandations concrètes et opérationnelles au plus tard fin février ou début mars.

J'en viens au projet de loi de finances. Je connais l'acuité de votre maîtrise des grands enjeux de nos programmes. Je ne serai pas exhaustive mais je souhaiterais mettre en lumière quelques éléments me paraissant caractéristiques du budget 2023. Ce budget conforte la montée en puissance du « sac à dos du diplomate », qui recouvre tous les instruments dont a besoin le diplomate pour travailler convenablement en termes de sécurité, de fonctionnement, de matériel numérique ou encore de cadre immobilier. Sur tous ces volets, les moyens se consolident, dans le cadre d'une démarche méthodique et cohérente conduite grâce à votre soutien.

S'agissant des coûts immobiliers, inhérents à notre présence dans le monde, il était crucial que la dynamique de rebasage des crédits budgétaires de l'entretien lourd de nos emprises se poursuive. Cette enveloppe passe de 41,7 millions d'euros en 2022 à 56,7 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 50,2 millions en crédits de paiement (CP) pour 2023. Pour assurer la continuité des opérations engagées et pour accélérer la mise en oeuvre d'un plan de rattrapage, une dotation complémentaire exceptionnelle et non remboursable sur le compte d'affectation spéciale (CAS) 723 est nécessaire. Son montant a été fixé à 36 millions d'euros que le ministère espère pouvoir intégrer dans sa gestion 2023.

Je voudrais insister sur le caractère maitrisé de notre stratégie immobilière. Le ministère a présenté il y a un an en conseil de l'immobilier de l'Etat (CIME) son schéma directeur immobilier pluriannuel pour l'étranger. Ce schéma dresse l'inventaire des 224 opérations à réaliser jusqu'en 2025. Plus de 150 projets structurants ont été lancés et doivent se poursuivre pour assurer la sécurité des personnes, préserver le patrimoine bâti, fournir un cadre de travail de qualité - c'est-à-dire à la fois moderne et attractif pour contribuer au rayonnement de notre pays - tout en tenant compte des impératifs de performance énergétique et environnementale.

Le projet de budget 2023 s'attache aussi aux moyens numériques de la diplomatie. Les efforts de financement se montent à 4,4 millions d'euros supplémentaires, qui nourriront notre stratégie pluriannuelle d'investissement numérique. L'objectif est de concilier le haut niveau de cyber sécurité avec un outillage numérique de nos agents dans le monde entier. Très concrètement, une partie de ces moyens supplémentaires permettront l'année prochaine la migration du parc de téléphones mobiles professionnels d'ancienne génération (smarteo) vers la solution Dphone, sécurisée et chiffrée.

Toujours au sein du programme 105, la sécurité reste une préoccupation prioritaire. Le niveau de sécurisation des ambassades, consulats, et instituts français est programmé depuis 2019 en fonction d'une doctrine définissant des standards adaptés au niveau de menaces auxquels il sont exposés, en tenant compte de l'évolution, parfois extrêmement rapide, des situations sur le terrain. S'agissant des opérations structurelles de sécurisation des emprises, le ministère a mis en place un plan d'investissement, soutenu en 2019 et 2020 par une mise à disposition exceptionnelle de crédits sur le CAS 723. À nouveau exclusivement porté par le programme 105, la sécurité de notre réseau bénéficie dans le PLF 2023 de moyens complémentaires, pour s'établir au total à 61 millions d'euros en AE.

Concernant le fonctionnement des ambassades, nous savons qu'en 2023 l'inflation continuera de peser. La hausse des coûts dans des secteurs clés (énergie, transports, prestations) conjuguée dans certains cas à une dépréciation de l'euro, exerce d'ores et déjà une pression sensible. Pour faire face à ce contexte, une ressource complémentaire de 3,9 millions d'euros est inscrite au PLF 2023. La ministre a par ailleurs souhaité engager le ministère dans une forte accentuation de la démarche éco responsable de notre réseau, en quintuplant le fonds interne d'appels à projets « ambassade verte », porté à 1 million d'euros. Ce fonds accompagnera les projets conçus localement par nos ambassades.

Je voudrais attirer votre attention sur la dynamique des ressources humaines, à laquelle le PLF essaie d'apporter un nouveau souffle. 106 nouveaux équivalents temps plein (ETP) sont créés, en comptant les 6 emplois dédiés à l'accompagnement de l'encadrement supérieur. C'est une augmentation substantielle à l'échelle du ministère. Ces créations de postes seront évidemment dédiées aux priorités fixées par la ministre. Leur programmation fine est encore en cours car elle s'inscrit dans un exercice très collégial. Nous partons de l'existant, nous veillons à ne pas empiler des postes supplémentaires mais bien à déterminer au préalable les redéploiements ou les suppressions de postes possibles. Nous pouvons ensuite déployer ces nouveaux postes, selon une répartition fixée à 65 % pour le réseau et 35 % pour la centrale. Nous cherchons à nous adapter de la façon la plus pragmatique possible. L'année dernière, un volant de 200 postes (197 précisément) avait fait l'objet de transferts et réallocations. Il existe donc bien une réflexion sur la meilleure allocation possible de nos moyens.

Il était également crucial que le ministère poursuive le plan de modernisation des ressources humaines démarré en 2022. Ce plan bénéficie dans le PLF 2023 de 15,6 millions d'euros supplémentaires. Grâce à ces moyens accrus, le plan de convergence des rémunérations entre les titulaires et les contractuels pourra se poursuivre. Une dotation sera consacrée à la revalorisation des volontaires internationaux, qui font un travail remarquable dans nos ambassades. Enfin, l'harmonisation des rémunérations des agents de droit local permettra de lisser les écarts entre nos contractuels, écarts existant parfois au sein d'une même ville.

Parmi les autres mesures phares du plan de modernisation figure la création de l'école pratique des métiers de la diplomatie (EDI), service à compétence nationale, dont les moyens - augmentés cette année - seront reconduits en 2023. L'école met en place un pilotage global de l'offre de formation du ministère, y compris le collège des hautes études de l'institut diplomatique (le CHEID) au sein duquel nous serions honorés de continuer à recevoir des membres du Sénat. J'ai constaté, à l'occasion d'une visite récente de nos services nantais, avec quelle efficacité et ingéniosité l'EDI développe des modules conçus sur-mesure, en fonction des métiers et des besoins, en s'appuyant sur l'expertise-métier d'agents reconnus pour leur compétence.

Le troisième marqueur de ce budget 2023 concerne l'action accrue d'influence et de lutte contre la désinformation. La direction de la communication et de la presse se dote d'une nouvelle sous-direction consacrée à la veille et à la stratégie. Une enveloppe de communication de 2,5 millions d'euros supplémentaires permettra de renforcer notre présence sur les réseaux sociaux, grâce notamment à une chaine vidéo, destinée plus particulièrement à la jeunesse africaine. Un fonds communication devrait également être ouvert pour nourrir les actions des services de presse de nos ambassades, dans un souci de réactivité à la situation locale. Je rappelle également la nomination fin août d'une ambassadrice pour la diplomatie publique en Afrique, Anne-Sophie Avé. Une sous-direction de la cybersécurité a en outre été créée au sein de la direction des affaires stratégiques, de la sécurité et du désarmement.

Les priorités portées par le programme 185 bénéficient de moyens accrus pour poursuivre la mise en oeuvre de la feuille de route de l'influence. Cela passe notamment par le rehaussement des moyens de l'agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) à hauteur de 30 millions d'euros : 10 millions d'euros seront consacrés au soutien indispensable des établissements scolaires du réseau libanais et 20 millions d'euros au financement des évolutions réglementaires qui impactent la rémunération des personnels de l'ensemble de réseau.

La quatrième ligne de force du budget 2023 concerne l'action consulaire. Les chiffres globaux du programme 151 ne sont pas toujours aisés à lire. Ils sont marqués pour 2023 par la sortie du budget dédié à l'organisation des élections nationales en 2022. Trois mouvements à la hausse peuvent cependant être notés. Tout d'abord, l'enveloppe des bourses scolaires croît d'un peu plus de 10 millions d'euros, pour retrouver le niveau de 2021. Il s'agissait d'un engagement après la ponction de la soulte de l'AEFE. En outre, le PLF 2023 dote le programme d'un budget de fonctionnement accru en France, pour soutenir le déploiement du service France Consulaire. Enfin, les crédits consacrés à l'aide sociale sont renforcés d'1 million d'euros, la vigilance du ministère restant entière à l'égard des besoins pouvant émerger de nos compatriotes fragilisés par les tensions économiques mondiales.

Je conclurai sur la forte hausse des moyens alloués à l'aide publique au développement. Le programme 209 voit ses crédits croître de 13 % par rapport à 2022. Les modalités d'action s'adaptent pleinement à l'imprévisibilité des événements puisque nous dotons le programme d'une provision pour crises majeures de plus de 200 millions d'euros. Le constat pour cette année comme pour l'année précédente est qu'il faut provisionner pour pouvoir réagir aux crises. En 2021, il s'agissait de l'Afghanistan ainsi que de financer l'initiative ACT-A face à la pandémie. En 2022, nous avons dû faire face à la guerre en Ukraine. Il y aura probablement d'autres crises et cette provision pour crises majeures est suffisamment financée pour nous permettre d'être réactifs.

Je souligne enfin que le PLF 2023 introduit pour la première fois, dans un esprit de sincérité, le principe d'une budgétisation en AE différente des CP sur les grands fonds multilatéraux du programme 209. Cette distinction, déjà utilisée sur le programme 110, conduit à fixer le plus fidèlement possible lors du PLF le niveau des engagements sur le canal multilatéral.

Je tiens à vous remercier pour votre soutien et votre bienveillance dans l'examen de ce projet de budget.

M. Jean-Pierre Grand. - Je souhaite tout d'abord rendre un hommage appuyé à tous les personnels du ministère, ils incarnent un service public aux Français révélé au grand public par la crise sanitaire. Leur dévouement est exemplaire. Les ressources humaines sont la richesse de votre ministère, et je me réjouis que les nouveaux recrutements puissent venir soulager les postes où la charge de travail était devenue trop pesante, particulièrement pour les secrétaires généraux d'ambassade.

L'arrêt des déflations l'année dernière était indispensable après la perte de 3 000 postes depuis 2007 et je vous félicite de la création cette année de 106 postes pour répondre aux besoins prioritaires de notre diplomatie. Combien seront affectés au renforcement de notre présence dans l'indopacifique et de notre capacité d'analyse politique dans certains pays ? Où seront basés ces nouveaux personnels ? D'autres personnels sont annoncés pour améliorer notre cybersécurité et la sécurisation de nos emprises, où seront-ils affectés ?

Le PLF prévoit-il bien les mesures nécessaires pour faire face à l'inflation et accompagner l'évolution nécessaire des contrats de droits locaux ? Le renforcement du centre de crise est-il prévu ?

Ma deuxième question porte sur la politique immobilière : dès 2015 notre commission recommandait deux axes essentiels pour votre ministère. Premièrement l'établissement d'un schéma pluriannuel de stratégie immobilière pour l'ensemble du patrimoine immobilier du ministère, il a été présenté en novembre 2021 et s'appuie sur les recommandations de notre commission, et deuxièmement l'inscription des crédits nécessaires à l'entretien de ce patrimoine en loi de finances initiale.

Sur le premier point pouvez-vous nous présenter les grandes priorités du schéma pluriannuel pour 2023 ?

Sur le deuxième point, c'est tout d'abord un satisfecit puisque l'inscription sur le programme 105 des crédits immobiliers nécessaires à l'entretien du patrimoine immobilier du Ministère semble désormais actée. Sommes-nous au bout du chemin : les crédits budgétés pour 2023 sont-ils bien suffisants pour faire face aux besoins ? L'inflation a-t-elle là encore bien été prise en compte ?

M. André Gattolin. - Madame la secrétaire générale, je souhaite vous interroger sur la sécurisation de nos emprises à l'étranger. Tout d'abord je veux assurer les personnels qui ont subi les attaques de notre ambassade au Burkina Faso de notre soutien sans faille. L'enjeu de sécurité ne peut pas être ignoré. Les travaux de sécurisation nécessaires doivent être réalisés et financés.

Quelles sont les grandes priorités dans ce domaine en 2023 ? Nos actions de sécurisation vont-elles se réorienter en raison de la guerre en Ukraine ou de l'influence grandissante de la Chine et de la Russie en Afrique, notamment ?

Il était prévu que la sécurisation de nos emprises à l'étranger soit financée par 29 ventes permettant de rembourser l'avance du compte d'affectation spécial (CAS) de 100 millions d'euros. Est-ce bien raisonnable ? Pouvez-vous nous assurer que nous ne nous retrouverons pas avec des personnels qui ne se logent plus ou qui louent, dilapidant en 10 ans le produit d'une cession ? Quand ils arrivent à louer car les difficultés dans ce domaine sont bien réelles !

Enfin, je souhaite vous féliciter pour l'effort réalisé, cette année encore, en matière de contributions volontaires. Nous sommes passés de 20,2 millions d'euros en 2021 à près de 30 millions d'euros en 2022. En 2023, la France prévoit de verser 58 millions d'euros de contributions volontaires sur le programme 105. Pourriez-vous nous en donner le détail ? Le décrochage de la parité euro dollar et l'envolée de l'inflation ont-ils bien été pris en compte dans la fixation de ce montant ? Êtes-vous en mesure de nous présenter des retombées de cette politique volontariste menée en matière de contributions volontaires ? La France est-elle parvenue à peser sur les orientations et les décisions de certains fonds qu'elles abondent ainsi de façon volontaire ?

M. Ronan Le Gleut. - Lors de son audition, la ministre n'a pas répondu à ma question concernant la hausse de la cotisation retraite des fonctionnaires détachés à l'étranger prévue par un décret du 26 avril 2022 et abrogée par décret dès le 2 juin. Pourriez-vous nous indiquer si cette mesure est toujours d'actualité ? Dans cette hypothèse, pourriez-vous nous indiquer à quelle échéance celle-ci devrait être mise en oeuvre et si vous avez pu en évaluer l'impact moyen sur les rémunérations des personnels de l'AEFE notamment ?

Devant notre commission, la ministre a indiqué que la moitié du surcoût lié à la mise en place d'un nouveau statut de personnel détaché serait financé par un reliquat de crédits versé à l'AEFE dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 au titre de l'aide à la scolarité, l'autre moitié ayant vocation à être prise en charge par une augmentation de la subvention versée à l'agence en 2023. Or il semblerait que les crédits issus de la LFR 3 de 2020 auront été intégralement consommés en 2022. Devons-nous donc comprendre que les 7 millions d'euros concernés seront financés sur les crédits consacrés à l'AEFE ou sur sa trésorerie ?

Ma dernière question porte sur une problématique qui dépasse le champ du programme 185 mais qui a trait à la fiscalité. En effet, il semblerait que certains retraités français vivant en Italie fassent l'objet d'une double imposition en dépit d'une convention fiscale bilatérale signée en octobre 1989. L'administration fiscale italienne a ainsi adressé des redressements fiscaux à plusieurs dizaines de résidents italiens percevant des pensions françaises. Il semblerait en outre que certains de nos concitoyens résidant en Belgique et en Grèce rencontrent les mêmes difficultés. Le ministère a-t-il été alerté de ce problème et, dans l'affirmative, une réflexion a-t-elle été engagée avec Bercy pour y répondre ?

M. André Vallini. - Une augmentation des droits de scolarité dus par les familles des élèves scolarisés au sein du réseau de l'AEFE est-elle envisagée en 2023 du fait de l'inflation ? Dans l'affirmative, quelles mesures sont envisagées par le ministère pour en limiter l'impact ?

Le contrat d'objectifs et de moyens de l'AEFE pour les années 2021-2023 prévoit la fin de la possibilité pour l'agence d'avoir recours aux avances de l'Agence France Trésor pour le financement d'investissements immobiliers à compter de 2023. Dans la mesure où l'emprunt lui est interdit, il est prévu qu'un mécanisme alternatif soit mis en place. Pourriez-vous nous préciser les dispositifs envisagés à ce stade ? Une solution pourrait être d'inscrire des crédits au titre d'une subvention pour charges d'investissement. Cette possibilité est-elle étudiée par le ministère ?

M. Bruno Sido. - Madame la secrétaire générale, l'année 2021 a été marquée pour l'administration consulaire par le déploiement de la phase pilote du service France Consulaire.

Cette plateforme joignable par courriel et par téléphone doit permettre à l'issue de son déploiement à l'ensemble de nos compatriotes résidant à l'étranger de bénéficier d'informations générales et d'initier leurs démarches administratives de manière dématérialisée.

Alors que le service a initialement bénéficié à cinq postes pilotes, il est aujourd'hui accessible dans treize pays européens. Pourriez-vous nous donner votre premier retour d'expérience sur le déploiement du service et nous indiquer dans quelle mesure il a permis à nos agents des postes consulaires d'améliorer la qualité du service rendu aux Français de l'étranger ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous en dire plus sur le calendrier de déploiement de ce nouveau service pour les ambassades et consulats situés en dehors du continent européen ?

M. Guillaume Gontard. - Madame la secrétaire générale, le projet de loi de finances que vous présentez cette année prévoit de rétablir l'enveloppe de financement des bourses scolaires des élèves français de l'étranger à son niveau de 2021.

La hausse de l'inflation qui ne concerne pas seulement l'Europe risque toutefois de renforcer le besoin de soutien des familles expatriées pour financer la scolarisation de leurs enfants. Au Liban, où les facteurs de crises excèdent largement l'inflation et la pandémie, les frais de scolarité moyens par élève sont passés de 4 200 € à 8 300 € en un an !

Alors que la crise économique provoquée par la pandémie de covid-19 continue de ralentir voire de paralyser certaines régions du monde, estimez-vous que le maintien de l'enveloppe de dotation à son niveau actuel sera suffisant ? En particulier, pourriez-vous nous indiquez comment l'évolution de l'inflation dans chaque pays sera prise en compte ? Il est de notre devoir de nous assurer que nos compatriotes souhaitant scolariser leurs enfants dans les établissements du réseau puissent bénéficier de l'aide nécessaire lorsque leur niveau de ressources le justifie.

M. Hugues Saury. - Si notre commission se félicite de l'augmentation constante des moyens consacrés à l'aide publique au développement et à l'AFD, elle rappelle qu'elle a plusieurs fois proposé de renforcer la fonction de tutelle de l'AFD au sein de la direction générale de la mondialisation (DGM). Des actions ont-elles été entreprises dans ce sens ? Plus généralement, il semble important d'améliorer la formation des agents du ministère dans ce domaine de l'APD, notamment dans le cadre des conseils de développement locaux dont la création est l'une des avancées de la loi du 4 août 2021. Des mesures ont-elles été mises en place pour y parvenir ?

M. Rachid Temal. - J'aurai deux questions. Pouvez-vous tout d'abord nous indiquer la date de la prochaine réunion du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) ? Nous avions posé la question à la ministre mais sans avoir de réponse précise. La dernière réunion remonte à 2018.

On observe au sein des crédits de la mission « aide publique au développement » du PLF 2023 une progression très forte de l'ensemble des crédits liés aux missions humanitaires et de traitement des crises. En particulier, le Centre de crise et de soutien (CDCS), et, au sein de celui-ci, le Centre des opérations humanitaires et de stabilisation (COHS), se voient confier des enveloppes financières en augmentation constante et des missions sans cesses plus étendues, du Mali à l'Afghanistan en passant par l'Ukraine. Dans de nombreux cas, le centre de crise et de soutien fait appel à des ONG pour mener à bien les actions humanitaires au plus près du terrain, mais encore faut-il pouvoir piloter ces ONG, les contrôler et évaluer les résultats de leur action. Le CDCS dispose-t-il des ressources humaines, de l'organisation et des instruments nécessaires à cette montée en puissance rapide des missions et des budgets ? Dans ce domaine de l'aide humanitaire nous étions plutôt en retard par rapport à des pays comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne, avons-nous progressé dans ce domaine ?

M. Ludovic Haye. - Depuis quelques années, les crédits d'aide au développement à la disposition des services de coopération et d'action culturelle (SCAC) dirigés dans les ambassades par le COCAC (Conseiller de coopération et d'action culturel) ont recommencé à augmenter via les FSPI (Fonds de Solidarité pour les projets innovants). Est-ce que les SCAC ont été, ou vont être renforcés en conséquence ? N'y a-t-il pas, du fait de cette remontée en puissance des SCAC, des chevauchements de compétences encore plus fréquents que par le passé avec les agences AFD locales ?

Mme Anne-Marie Descôtes. - Je vous remercie pour vos félicitations, que je transmettrai aux agents du ministère.

S'agissant de l'affectation des 106 ETP en 2023, la décision sera prise par la ministre. Je ne saurai donc anticiper sur le travail qui sera fait, la répartition étant encore à définir. L'Indopacifique sera concerné par ces nouvelles affectations.

Sur la répartition des crédits immobiliers, nous devons tenir compte des crises et des situations nouvelles, comme l'attaque inacceptable contre notre emprise à Ouagadougou. Nous mettrons en oeuvre les moyens nécessaires pour remédier à cette détérioration. Des travaux étaient déjà en cours au moment où cette attaque est intervenue. La sécurisation du bâtiment suite à l'attaque (renforcement du nombre de gendarmes, travaux urgents de réparation et de remise à niveau) se poursuivra.

Sur la cybersécurité, je rappelle la mise en place en cours d'une nouvelle sous-direction. Le ministère des affaires étrangères fait l'objet quotidiennement de dizaines d'interventions hostiles. Nous sommes donc extrêmement vigilants et des moyens supplémentaires doivent être dégagés, à la fois en central et dans le réseau. La direction du numérique sera équipée en conséquence.

Sur l'enjeu des retraites, je voudrais préciser que les travaux sont toujours en cours. Nous prenons évidemment très au sérieux cette question. Sur les surcoûts liés aux changements de statuts de résidents, une augmentation de crédits est prévue pour prendre en charge la moitié du surcoût, soit 7 millions d'euros sur les 14 que cela coutera en 2023.

En ce qui concerne les investissements à l'AEFE, les modalités d'une subvention pour charge d'investissement n'ont pas encore été fixées. L'échéance de 2023 sera peut-être trop courte. Mais il s'agit d'une idée sur laquelle nous allons continuer à travailler.

Sur le problème de la double imposition, la question a été posée s'agissant de l'Italie mais elle concerne aussi la Belgique. Ce ne sont pas des sujets nouveaux. Nous allons continuer à travailler pour arriver à une interprétation convergente des textes. S'agissant de l'Italie, l'entrée en vigueur prochaine du traité du Quirinal avec la mise en place de concertations régulières permettra un dialogue plus fluide et favorisera l'émergence de solutions.

L'inflation, bien que plus ou moins forte selon les pays, est présente partout. C'est pourquoi nous devons garder une relative agilité dans nos réponses. Cette inflation touche évidemment le réseau des établissements français et l'AEFE, raison pour laquelle l'enveloppe des bourses a été abondée.

Le service France Consulaire, ouvert au public le 13 octobre 2021, couvre aujourd'hui 13 pays. Il répond de manière rapide et précise aux besoins des Français de l'étranger souhaitant obtenir une information ou une assistance pour initier leur démarche administrative, sans délai et au prix d'un appel local. Ce service permet de rétablir une chaine d'accueil du public plus vertueuse. Il permet aussi aux consulats de concentrer leurs moyens sur des actions qui nécessitent un accueil physique. Je crois donc que France Consulaire a largement atteint son objectif. Les commentaires que j'ai pu recueillir à Berlin étaient très positifs. Nous sommes attentifs à tout ce qui pourra remonter du réseau pour améliorer encore le service.

Nous sommes tout à faits conscients de la situation dramatique et toute particulière du Liban. Une enveloppe spécifique pour soutenir les établissements dans ce pays est prévue pour faire face aux frais de fonctionnement en hausse, et éviter une répercussion trop forte sur les familles. Le contexte est extrêmement inquiétant. La ministre s'est rendue sur place récemment et a tenu à réaffirmer la nécessité de mettre en place une gouvernance permettant une stabilisation du pays.

S'agissant des nécessités de formation dans les actions d'aide publique au développement, la question de l'exercice de la tutelle de l'AFD est en effet essentielle. Nous aurons l'occasion de travailler sur ce sujet avec la nouvelle équipe à la tête de la DGM. Cela rejoint la question plus générale des conditions de l'exercice de la tutelle sur les établissements publics. Il est très important que nos services soient représentés non seulement à bon niveau mais surtout par des collègues en mesure d'intervenir utilement sur les sujets. Rémy Rioux ayant été confirmé dans ses fonctions à la tête de l'AFD, nous pourrons examiner avec lui les moyens de mieux coordonner nos actions. La question de la coordination entre l'intervention des équipes de l'AFD et celle de nos ambassades, et en particulier de nos services de coopération, est centrale.

L'enjeu est notamment de s'assurer qu'outre l'action dédiée aux populations locales et à celles concernées par ces projets, nous menons un travail d'influence et participons au rayonnement de notre pays et de nos entreprises. Il y a sur ce sujet un travail plus approfondi à conduire. Le cycle de préparation du CICID étant assez lourd, je ne suis pas en mesure de vous donner de date précise. Il est certain néanmoins qu'il se tiendra l'année prochaine, probablement au début du printemps. Les groupes de travail ont bien été mis en place.

La différence a été soulignée entre notre capacité d'action et celle de nos partenaires allemands et britanniques. Je tiens à souligner que nous sommes revenus à 0,55 % en termes d'aide publique au développement, ce qui n'est pas négligeable. Nous devons poursuivre cet effort et faire en sorte qu'il soit maintenu l'année prochaine. Si nous ne sommes pas encore en mesure d'arriver aux 0,7 %, affiché comme objectif idéal, nous devons néanmoins veiller à ce que notre action porte effectivement ses fruits en matière d'influence et de visibilité de l'action de la France.

M. Jacques Le Nay. - Nous nous félicitons que les crédits de la sécurité des postes et emprises diplomatiques soit en augmentation de plus de 4 millions. Après les crises internationales, et notamment après le retour des Talibans à Kaboul, les demandes de visas pour la France auprès des consulats en Iran et au Pakistan, se multiplient. Est-il envisageable de renforcer temporairement les équipes consulaires pour faire face à l'afflux de ces demandes ? Comment évoluent les contributions de chaque Etat européen à la politique européenne de développement et de coopération internationale ? Plus largement, comment évoluent les contributions à la solidarité internationale des principaux Etats bailleurs en cette période de crise économique ?

M. François Bonneau. - La lutte contre la désinformation est un enjeu politique d'influence de la France, comme on a pu le voir au Burkina Faso récemment. A cet égard, le PLF 2023 prévoit un plan de communication de 2,5 millions d'euros visant notamment à lutter contre la désinformation par la création d'une chaine vidéo pour la jeunesse. Ceci viserait en outre à instaurer un climat de confiance entre ces populations et les représentants français. Ces moyens sont-ils suffisants face à la contestation de la présence française alimentée notamment par les narratifs russes ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Nous nous lamentons depuis des années sur la baisse des crédits de ce ministère. Nous avons une double peine dans cette commission puisque ce fut aussi le cas pour le ministère de la défense, qui a aussi joué un rôle pesant dans l'ajustement budgétaire. Nous avons tenté par le biais d'amendements de rectifier ces baisses, sans grand succès.

Je voudrais avoir deux précisions. S'agissant de la communication, nous avons pris conscience du besoin de lutter contre la propagande anti-française, avec notamment la création d'une chaine. Ce budget de 2,5 millions d'euros reste néanmoins assez modeste au vu des besoins. Est-il prévu de recruter des locuteurs des langues de ces pays ainsi que de spécialistes des réseaux sociaux, au-delà de la création de cette chaine ?

Sur l'immobilier, contrairement à ce qui était prévu dans le précédent budget, la hausse des moyens n'a pas eu lieu en 2022. En effet, une dotation à hauteur de 36 millions d'euros était prévue mais le ministère n'a pas bénéficié de ces crédits promis, ce qui pose un problème de sincérité budgétaire. Quels sont donc les travaux auxquels nous avons dû renoncer ? Quelles sont les priorités pour les crédits annoncés ?

Je terminerai par un plaidoyer pour que les nouveaux ETP soient déployés dans les postes consulaires, tout en sachant que l'augmentation ne vient que rectifier les suppressions intervenues entre 2017 et 2019, dans le cadre d'Action publique 2022. Nous ne faisons que revenir au niveau de 2017.

M. Olivier Cadic. - Votre prédécesseur avait fixé comme objectif pour 2022 d'ouvrir France Consulaire à l'Europe entière. Cet objectif n'a pas été atteint. Il est par ailleurs prévu d'ouvrir ce service au monde entier d'ici fin 2023. Quand cet objectif pourra-t-il être atteint ?

Pour ne pas rester les simples spectateurs de l'action du Gouvernement et assumer notre mission de contrôle de son action, nous aurions besoin d'un plan de programmation consulaire, qui nous permette d'appréhender l'évolution du réseau dans le temps. Avez-vous un plan pour les trois prochaines années, pour savoir s'il y aura des créations de consulat ou des fermetures prévues ? Nous espérons par exemple l'anticipation de la création d'un consulat général à Melbourne. Que pouvez-vous nous en dire ?

Enfin, le nouvel élan prévu par le Président de la République pour l'enseignement français à l'étranger a permis de passer de 495 à 560 écoles françaises à l'étranger en 4 ans. Mais nous restons sur une croissance annuelle de 3 % du nombre d'élèves. Ces augmentations restent donc insuffisantes pour atteindre l'objectif présidentiel d'ici à 2030. Il avait été promis aux parlementaires des États généraux de l'enseignement français à l'étranger à la rentrée. Qu'en est-il ?

Mme Anne-Marie Descôtes. - Le développement d'une approche souple en matière de ressources humaines, notamment s'agissant du réseau consulaire, est encouragé par la ministre. Nous travaillons activement sur ce sujet. Lors de mon déplacement à Nantes, j'ai pu constater la grande disponibilité mais aussi la demande des agents à travailler en ce sens. Il peut être plus utile et plus efficace de constituer des équipes de renfort ponctuellement, de manière saisonnale, pour couvrir des besoins particuliers.

La mise à disposition des 36 millions d'euros sans contrepartie sur le CAS immobilier décidée en lettre plafond en 2022 n'a pas été mise en oeuvre, les fonds n'étant pas encore disponibles. Elle est remise à la lettre plafond 2023. Ces fonds ne sont pas dépendants de nos ventes.

Dans le schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI), les grandes priorités avaient déjà été déterminées et nous devons nous y tenir. Avait notamment été identifié pour l'administration centrale le très important projet ERA, qui concerne l'aile des archives et dont les travaux sont très lourds et très longs. À l'étranger, nous cherchons à rationaliser les emprises, à la fois pour des raisons budgétaires et fonctionnelles mais aussi pour des raisons de sécurité. Une réflexion est également en cours sur les doctrines concernant le logement (prise à bail ou logements construits en campus). On ne peut pas avoir de solution générale, il faut examiner au cas par cas, en fonction des exigences locales. Les crédits budgétaires doivent être portés à plus de 80 millions d'euros lorsqu'il n'y aura plus de crédits de cession.

S'agissant de la désinformation et de la lutte contre les narratifs russes notamment, un important travail sera conduit grâce à la nouvelle sous-direction de la veille et de la stratégie. Des experts des langues étrangères mais également des spécialistes des réseaux sociaux se trouvent à sa tête et dans ses équipes. Nous ne sommes pas seulement présents sur Twitter mais également sur TikTok. Nous travaillons de plus en plus avec des influenceurs via la mise en ligne de vidéos et de podcasts. Nous faisons également de la communication en chinois, par le biais d'un compte Twitter et de pages dédiées sur le site de France diplomatie. Nous voulons non seulement être plus présents mais également plus efficaces en renforçant la technicité des équipes en charge de ces sujets très sensibles.

S'agissant des contributions aux Nations unies, la France se situe au 7ème rang des pays contributeurs (6ème contributeur obligatoire et 7ème contributeur volontaire). Nous avons regagné des places par apport à 2019, où nous étions au 10ème rang. Mais nous ne sommes pas revenus au niveau de 2015.

Selon nous, l'affectation des ETP supplémentaires ne doit pas se concentrer seulement sur le réseau consulaire. Nous ne raisonnons pas de cette façon mais plutôt en termes d'efficacité, en examinant les besoins actuels et les économies et les réallocations que nous permettent la mise en place des moyens numériques. Ainsi, le déploiement du service France Consulaire dans un nombre croissant de pays permettra de libérer les équipes pour d'autres tâches et donc d'assurer une meilleure allocation des moyens.

L'adaptation du réseau consulaire se fait bien évidemment en fonction de l'évolution des besoins et de la situation des pays. En 2021, le Bureau de France à Monterey a été transformé en consulat général. Nous avons également créé un consulat général à Mossoul et un autre à Florence. Nous n'avons pas pris de décision définitive sur Melbourne.

Le doublement des effectifs de l'enseignement français à l'étranger d'ici à 2030 est un défi majeur. Ayant dirigé cette institution, je sais que l'AEFE a cependant l'habitude d'en relever ! Une réflexion sera mise en place au printemps 2023 et je suis certaine que la représentation nationale souhaitera y participer.

M. Christian Cambon. - J'aurai quelques observations avant de conclure cette audition. Concernant la réforme du corps diplomatique, j'ai accepté la proposition de la ministre - qui doit nous être notifiée par l'ambassadeur Jérôme Bonnafont - de participer aux États généraux de la diplomatie, avec mon collègue Jean-Louis Bourlanges. Mais j'invite le ministère à s'appuyer beaucoup plus largement sur les parlementaires. Il y a dans cette commission beaucoup de compétences et je ne saurai porter à moi seul tout ce que les uns et les autres connaissent de notre diplomatie. N'hésitez pas à solliciter le concours des sénateurs et sénatrices. Nous avons dit hier au ministre des armées que le Sénat doit servir de think tank au Gouvernement.

Hélène Conway-Mouret vient de souligner un autre point sur lequel nous avons appelé régulièrement l'attention du Gouvernement : l'immobilier de nos équipes diplomatiques. Cet immobilier n'est pas un lieu de confort pour nos diplomates mais un moyen d'influence et de rayonnement. Nous le voyons à travers tous les déplacements que nous effectuons. Nous sommes heureux qu'un coup d'arrêt ait été mis à la vente des « bijoux de famille ». Les réinstallations, après ces ventes, sont soit très couteuses, soit mal adaptées (voire les deux). Je prendrai pour exemple l'installation de notre représentation permanente à New York dans un pavillon de Greenwich, qui ne convient assurément pas pour organiser des réceptions et recevoir des délégations. Toutes les réunions importantes se déroulent donc désormais dans des halls d'hôtels. La France a perdu ce supplément de prestige, qui faisait de la visite à la résidence de l'ambassadeur un privilège.

Je voudrais aussi attirer votre attention sur les modalités de recrutement des agents de droit local (ADL), notamment dans les consulats, qui pourraitent représenter un danger à terme. Même si les procédures sont sérieuses, nous ne sommes pas à l'abri d'infiltrations dans des fonctions très sensibles dans le but de renseigner des puissances étrangères. Je comprends les nécessités budgétaires qui conduisent à privilégier les ADL mais il convient de n'utiliser cette facilité qu'avec raison. Dans certains postes diplomatiques constitués de 15/20 personnes, il n'y a qu'un ou deux diplomates venant de Paris. On pourrait parfois penser que ce n'est plus une ambassade mais un service local !

Vous avez évoqué la possibilité d'équipes volantes pour les consulats. J'ai eu l'occasion de transiter dans plusieurs consulats de France dans des pays de l'Orient. J'ai constaté l'importante charge de travail que ces consulats ont à traiter. Les dossiers s'accumulent, des milliers de demandes en matière d'immigration y affluent. Ces agents mettent en oeuvre beaucoup de compétences pour assurer ce travail d'instruction vigilante. Je plaide donc pour que ces consulats bénéficient de ces ressources nouvelles.

La loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement doit être appliquée dans tous ses articles, notamment son article sur le comité d'évaluation. Ce comité, où doivent siéger des parlementaires, n'est toujours pas en place. Or il s'agit d'une pièce essentielle de cette loi pour que le Parlement puisse assumer sa mission de contrôle. Rien que pour l'AFD, nous parlons de 12 milliards d'euros !

Je vous prie une nouvelle fois de transmettre à l'ensemble de vos agents toutes nos félicitations, notre soutien et toute notre confiance. Nous avons constaté, en nous rendant sur place, la qualité de nos agents, à quelque niveau que ce soit.

Madame la secrétaire générale, utilisez le Sénat ! Un sénateur ne s'use que quand on ne s'en sert pas.

Projet de loi de finances pour 2023 - Audition de l'amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine

M. Christian Cambon, président. - Amiral, mes chers collègues, merci d'avoir accepté notre invitation à venir vous exprimer sur ce projet de loi de finances pour 2023. C'est toujours avec intérêt ! - que nous entendons vos observations empreintes de pragmatisme et de lucidité sur l'évolution géostratégique et la compétition croissante dont le milieu maritime est l'objet.

Vos analyses sont, du reste, confirmées par les faits, si l'on pense au sabotage qui a eu lieu le 26 septembre dernier en mer Baltique, où les deux gazoducs Nordstream ont été détruits. La présence récente d'un sous-marin russe dans le Golfe de Gascogne a également attiré notre attention.

L'espace maritime, non seulement en surface mais aussi dans les domaines aérien et sous-marin, est de plus en plus contesté, dans tous les océans, de la Méditerranée à l'Indopacifique. Cet espace est particulièrement propice au développement de stratégies hybrides. Mais la destruction du croiseur Moskva ou le minage des accès à Odessa sont venus nous rappeler que des affrontements plus classiques y sont aussi possibles. Il faut s'y préparer.

La France dispose de multiples atouts, pour ce faire, à commencer par sa marine nationale. Cette audition est aussi pour nous l'occasion de saluer par votre intermédiaire, Amiral, l'ensemble des femmes et des hommes qui composent cette marine nationale. Leur mission exceptionnelle s'exerce dans des conditions parfois difficiles. Ils méritent toute notre attention et notre reconnaissance.

Le Salon Euronaval nous a permis, par ailleurs, de mesurer une nouvelle fois l'excellence de notre base industrielle et technologique, qui est le deuxième pilier de notre souveraineté dans le domaine maritime. Le porte-avions de nouvelle génération en est le symbole. Il incarne le niveau de nos ambitions à l'horizon 2040, mais ne doit pas devenir "l'arbre qui cache la forêt".

Amiral, le renouvellement de plusieurs de nos flottes est en cours. Nous nous en réjouissons. Mais le format est-il suffisant, compte tenu des évolutions que je viens d'évoquer? Quelle est votre analyse sur le PLF 2023, qui sera en quelque sorte la rampe de lancement de la prochaine LPM ?

Les moyens sont-ils toujours adaptés, étant donné le basculement souhaité vers une « économie de guerre », qui pour l'instant est plus une incantation qu'une réalité concrète ? Ne faut-il pas monter en puissance dans le cadre de la prochaine LPM ? Avons-nous des pistes pour faire mieux avec les moyens impartis ? Le Salon Euronaval a été l'occasion d'annonces positives avec certains de nos alliés, comme dans la guerre des mines ou le projet de corvette européenne.

Je vous laisse la parole, avant de prendre les questions des rapporteurs défense, puis celles de mes autres collègues.

Amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine. - Merci monsieur le Président.

Je tenais d'abord à vous remercier pour votre rapport d'information sur la France face au jeu des puissances en Méditerranée, rapport très intéressant auquel nous avions participé. Cette zone fait l'objet de toute notre attention.

En réponse à votre propos introductif, monsieur le président, et avant d'aborder les questions, je profite de la parole qui m'est donnée pour vous dresser un bref état des lieux. Je voudrais d'abord insister sur le fait que la Marine que je commande est une marine d'emploi. Elle est structurée par des contrats opérationnels fixés par le chef d'état-major des armées (CEMA). Il y a une complète bijection entre missions et capacités. La plupart de nos missions sont des missions permanentes.

Le Président a rappelé lors de la conférence des ambassadeurs en septembre que jamais nos problèmes n'ont été aussi essentiellement mondiaux. Notre sécurité est mondiale ce qui impose à la Marine de composer avec des missions dont l'intérêt et l'importance varient peu avec la distance, que ce soit du fait de nos territoires d'outre-mer ou de nos partenariats stratégiques.

Le coeur de notre mission est la dissuasion nucléaire, dont l'importance est soulignée par le contexte actuel. La Marine a été la deuxième force après l'Armée de l'air et de l'espace à tenir, à partir de 1972, une posture permanente jamais rompue depuis plus de 500 patrouilles. Cette mission impose un engagement fort de toute la Marine, en termes de moyens comme d'activité. Pour garantir la permanence d'au moins un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) à la mer, la quasi-totalité des moyens de la Marine est sollicitée.

La Marine est également engagée dans la protection des intérêts des citoyens et des territoires. Ce fut le cas lors de l'évènement climatique extrême qui a frappé la Corse le 18 août 2022. Ce nuage, arrivant par l'ouest, a généré pendant plusieurs heures des vents de près de 200 km/h. De nombreux bateaux ont été mis à la côte. Des missions de sauvetage ont été organisées par la Marine, en particulier des treuillages de naufragés. Un hélicoptère Dauphin a été envoyé pour assurer une mission de « search and rescue ».

Notre troisième mission structurante est la protection de l'environnement, de l'économie et des flux. La maîtrise des fonds marins est une mission dans laquelle nous sommes pleinement investis. La démonstration « Eledone » a permis de descendre un officier de marine par 2152 mètres de fond, pour aller repérer un câble sous-marin en Méditerranée. L'objectif était de démontrer notre capacité à investiguer un câble sous-marin. Le sabotage du gazoduc Nord Stream en mer Baltique nous conforte dans notre choix d'investir ces nouveaux champs.

Nous menons également des opérations en coalition sur différents théâtres. Depuis deux ans, nous avons considérablement renforcé notre présence dans les missions de l'OTAN. De façon proactive, nous proposons nos bateaux au commandement maritime allié de l'OTAN, qui peut ainsi les intégrer dans sa planification. Ainsi, cet été, sous faible préavis, nous avons fait appareiller le Latouche Tréville, alors en escale en Pologne, pour renforcer la posture de l'OTAN en Baltique.

Je voudrais enfin souligner que tous nos déploiements participent au renseignement et au signalement stratégique.

Je voulais également rappeler que la Marine est dans un moment de renouvellement capacitaire très important, lancé par la loi de programmation militaire 2019-2025. Tous les segments capacitaires sont concernés. Les premiers effets de cette LPM de reconstruction se font sentir.

Ainsi, s'agissant des patrouilleurs outre-mer (POM), trois bateaux sont en cours de finalisation, à des stades différents. L'Auguste Bénébig est en essai et rejoindra Brest dans les jours à venir, pour ensuite être déployé à Nouméa début février. Le Teriieroo a Teriierooiterai sera déployé à Papeete et l'Auguste Techer sera destiné à La Réunion.

De même, s'agissant des bâtiments ravitailleurs de force (BRF), le premier, le Jacques Chevallier, construit aux chantiers de l'Atlantique, a été mis à l'eau en avril 2022. Sa construction a été très rapide : le bateau a été mis sur cale en décembre 2021. Il est en fin de chantier, et devrait bientôt débuter ses essais à la mer, tandis que les essais de qualification à quai ont démarré en mai 2022.

Un troisième exemple illustre ce renouvellement capacitaire : l'hélicoptère H160. Le centre d'expérimentations pratiques et de réception de l'aéronautique navale (CEPA) a reçu le premier H160 de la flotte intérimaire. Les premiers vols sont en cours. Cela permettra de remplacer les Alouette 3 pour les missions de sauvetage sur nos côtes et de soulager les hélicoptères NH90, dont la mission prioritaire est la lutte anti-sous-marine. Cet H160 arrivera à Lanvéoc en janvier 2023.

Les crédits de la LPM doivent également servir à renforcer les capacités existantes. Un certain nombre de travaux ont été lancés, comme le SMDM (système de mini-drones pour la marine), qui peut venir en soutien à des bateaux récemment armés comme à des bateaux ayant plus de 40 ans d'âge et qui n'ont pas de plateforme pour hélicoptère. Ce drone peut voler 3 heures et évoluer jusqu'à une trentaine de nautiques du bateau, ce qui lui donne une large capacité d'investigation.

La première frégate de défense et d'intervention (FDI) sera quant à elle un bateau numérique. Un data hub (serveur) sera embarqué et collectera les données du bateau pour permettre des incréments logiciels de façon quasiment continue.

Ce moment capacitaire est donc décisif pour la marine. La décennie à venir est une décennie charnière. C'est pour nous une transition extrêmement importante puisque nous allons désarmer d'ici à 2030 toutes nos « vieilles coques ». Nous avons désarmé en juillet 2022 le Latouche-Tréville, qui avait atteint 32 ans. Nous désarmerons en fin d'année 2022 l'Alouette 3, qui aura accompli 61 années de service. Nous désarmerons le Rubis en décembre 2022, qui aura atteint 39 ans d'âge.

Je voudrais aussi signaler notre engagement dans la bataille des talents. La Marine est une armée technique, qui fait face aux défis du recrutement, de la formation et de la fidélisation.

S'agissant de l'engagement pour le lien armée-nation, le Président de la République déclarait à Brienne le 13 juillet 2002 que la « force morale des armées et de la nation se nourrissent mutuellement ». Nous sommes pleinement engagés sur les objectifs qui seront fixés par le Président de la République et le ministre pour ce qui concerne le service national universel (SNU) et sur les réserves.

En conclusion, je veux réaffirmer l'engagement total de la Marine à « faire autrement », c'est-à-dire pour nous adapter à l'évolution de la géopolitique en transformant nos cas d'usage, nos manières de travailler et nos missions, afin de répondre à ce qui parait improbable aujourd'hui. « Faire autrement » signifie également rechercher la meilleure rentabilité pour l'argent public et donc utiliser chaque euro à la hauteur des attentes de la nation. Notre Marine doit se mobiliser et être mobile sur ses concepts, sur ses ressources humaines et sur ses missions. Je terminerai par la phrase du général de Gaulle, que j'avais inscrite comme devise du Charles de Gaulle quand je le commandais : « Être inerte, c'est être battu ».

M. Christian Cambon, président. - Vous semblez donc satisfait du budget 2023. Ai-je bien compris ?

Amiral Pierre Vandier. - En un mot, le PLF 2023 est un bon PLF. Il nous permet de poursuivre les efforts. De grands projets tels que les patrouilleurs hauturiers pourront être lancés cette année.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteur pour avis. - Amiral, j'excuse mon collègue co-rapporteur Joël Guerriau, qui ne pouvait être présent. Je poserai donc sa question.

Au même titre que l'ensemble des forces armées, la marine est aujourd'hui concernée par l'évolution des modes de conflictualité et par la priorité donnée à la montée en puissance de nos compétences « cyber » sur le champ de bataille. Que cela soit pour sécuriser les réseaux informatiques des bâtiments ou au sein du centre support cyberdéfense de la marine à Brest, la marine recrute un nombre croissant de spécialistes en informatique et de cybercombattants.

Je souhaite à ce titre vous interroger sur le rythme de croissance de vos besoins de ressources humaines dans le domaine cyber et sur votre capacité à attirer des profils hautement qualifiés. Au-delà des contraintes en termes de disponibilité associées à un engagement dans la Marine, les armées doivent aujourd'hui faire face à la concurrence du secteur privé qui recrute également massivement dans ces spécialités.

Par conséquent, pouvez-vous nous dire si la marine dispose à l'heure actuelle des ressources suffisantes pour recruter et fidéliser les cybercombattants dont elle a besoin pour suivre sa trajectoire de montée en compétence dans ce domaine ?

Je pose maintenant la deuxième question, au nom de mon collègue Joël Guerriau. Dans son discours aux armées du 13 juillet dernier, le Président de la République a annoncé un objectif ambitieux de doublement de la réserve opérationnelle de premier niveau dans les armées.

Actuellement, la marine accueille déjà en son sein près de 6 000 réservistes opérationnels sous contrat d'engagement à servir dans la réserve. Le doublement de la réserve d'emploi dans les armées soulève une série de défis sur les plans logistique et opérationnel. J'aimerais à ce titre vous poser deux questions en ce qui concerne la marine.

Premièrement : est-ce que ce doublement de la réserve opérationnelle doit selon vous s'accompagner d'une réflexion sur la doctrine d'emploi des réservistes et quelles sont les pistes d'évolution de cette doctrine dans la marine nationale ?

Deuxièmement : à quelle échéance le doublement des réservistes dans la marine vous semble réalisable au regard des contraintes que vous connaissez en terme de recrutement et de fidélisation des réservistes opérationnels de premier niveau ?

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis. - Je souhaite vous interroger sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique. Nous connaissons les performances moyennes du parc des hélicoptères Caïman, et la vétusté des Alouette, des Lynx et les difficultés rencontrées dans le soutien industriel du Panther ! D'une manière générale, la disponibilité de la chasse et des hélicoptères est annoncée en baisse en 2023. Quel sera l'impact sur la préparation opérationnelle de vos pilotes ? Constatez-vous des améliorations depuis la mise en place de la Direction de la maintenance aéronautique ? Vos besoins sont-ils entendus ?

Le MCO naval pose également de réelles questions. Tout d'abord, combien aura finalement coûté la réparation de l'incendie du Perle, prouesse technique qui a failli être remise en cause par un nouveau départ de feu ? Cet incendie a-t-il remis en question les modalités du MCO naval ?

Pourquoi la disponibilité des frégates stagne-t-elle à 59 % ? Est-ce dû au recalage des dates de retrait de service de frégates, alors que les frégates multi-missions de défense aérienne (FREMM DA) ne seront pas encore en service ? Le MCO est-il à la hauteur des besoins ? Comment la prochaine LPM peut-elle remédier aux difficultés rencontrées ?

Au nom de ma collègue Michelle Gréaume, je souhaite vous interroger sur la préparation opérationnelle des équipages : elle a diminué pour les bâtiments hauturiers. La cible de 95 jours en mer en 2022 sera-telle atteinte, ou plafonnera-t-elle à 90 jours ? Pour 2023, la cible n'augmenterait pas. Les standards de la LPM étaient de 100 jours en mer par navire et 110 jours pour les bâtiments hauturiers. Comment les atteindre ? Que doit prévoir la prochaine LPM pour remplir cet objectif qui ne paraît pas devoir être révisé à la baisse au regard de la multiplication des tensions internationales ?

De même, la composante PATSIMAR (pour patrouille, surveillance et intervention maritime) voit sa cible d'activité chuter en raison du retrait du service actif de l'ATL2 standard 5. Est-il possible dans le contexte actuel de trouver une solution de substitution ? Dans le cas contraire, la prochaine LPM permettra-t-elle de remonter cette composante à des niveaux d'activité compatibles avec l'hypothèse d'engagement majeur, voire de haute intensité ?

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis. - Pendant de nombreuses années, les dividendes de la paix ont fait cruellement baisser les moyens de la marine nationale, qui pourtant doit relever aujourd'hui de nombreux défis. « Les larmes de nos souverains ont souvent le goût salée de la mer qu'ils ont ignorée ». Vous connaissez bien cette citation qu'on prête à Richelieu. Elle nous enjoint à donner davantage de moyens à la marine pour nourrir nos ambitions mais aussi nos devoirs. Il y a un an, à votre initiative et sous votre commandement, se déroulait le très bel exercice Polaris où deux task force se sont affrontés durant six jours de guerre simulée dans une logique multi milieux et multi champs, en adéquation avec les menaces actuelles, sollicitant tous les niveaux de compétences de la marine. Avec un réalisme inédit, l'engagement de ces deux task force a marqué une attrition crédible des moyens capacitaires, mis en oeuvre dans des conditions dégradées telles que des coupures de communication satellitaire ou des brouillages de leur environnement électro-magnétique. La complexité et l'exigence de l'exercice renforcent la pugnacité des équipages et nourrissent les réflexions tactiques sur la guerre de demain.

La Président de la République parle désormais régulièrement d'économie de guerre. Mais selon moi une économie de guerre nécessite des décisions lourdes, exceptionnelles, permettant d'accélérer les productions mais aussi les processus d'innovation et de qualification. Dès lors, comment souhaitez-vous imprimer dans la marine l'esprit Polaris aux autres segments que l'opérationnel, en particulier pour inciter à accompagner les industriels de défense à répondre aux besoins de la marine ?

Au salon Euronaval, pas un stand n'ignorait la montée en puissance de drones maritimes. Nous avons pu être témoin de la capacité française en la matière. S'agissant des drones sous-marins à grande profondeur, la DGA a récemment notifié un marché à l'entreprise norvégienne Kongsberg maritime pour la mise en oeuvre d'un drone pouvant opérer jusqu'à 6000 mètres de profondeur. Il s'agit théoriquement d'une capacité exploratoire. En se procurant ainsi des solutions sur étagère, ne risque-t-on pas de passer à côté du développement d'une solution industrielle souveraine ? La France dispose de toutes les compétences nécessaires.

Par ailleurs, et plus généralement, compte tenu de la menace désormais avérée sur nos infrastructures énergétiques et informationnelles sous-marines, ne faut-il pas renforcer la stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins présentée en février dernier ? La capacité « grands fonds » mise en place servira à sécuriser nos approches métropolitaines, mais les besoins sont multiples : protection de nos infrastructures portuaires, de notre dissuasion nucléaire, câbles sous-marins, gazoducs etc... Par ailleurs, ne faut-il pas envisager d'équiper également nos outre-mer dans la mesure où leurs ressources biologiques et minérales sous-marines sont convoitées par des puissances étrangères, voire par des entités privées ? Il s'agit de couvrir une ZEE qui est la deuxième au niveau mondial, ce qui nécessite davantage qu'une capacité échantillonnaire.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteur pour avis. - Le format de la marine nationale date du Livre blanc de 2013. C'est un format à l'étiage. Depuis 1945, la marine n'a jamais été aussi resserrée qu'aujourd'hui. Nous sommes nombreux à penser que le contexte actuel milite pour un rehaussement. Je sais bien que la réponse à cette question est d'abord politique, et qu'il vous est difficile de vous prononcer. Mais, compte tenu des dépassements de contrat opérationnel, et de l'adaptation nécessaire à la haute intensité, si un rehaussement du format devait intervenir, quelles seraient vos priorités ?

Une étude de l'IFRI préconise d'accélérer la dronisation de la marine, considérée comme un multiplicateur de forces, tant dans les domaines aérien, que pour des véhicules de surface ou de profondeur. Des programmes sont en cours, mais leur cycle, trop long, risque d'affecter la pertinence de systèmes qui pourraient être déjà obsolètes à leur arrivée dans nos forces. Qu'en est-il, à cet égard, du système de drone aérien pour la marine (SDAM) ou encore du système de lutte anti-mines du futur (SLAMF) qui vont entrer en service une vingtaine d'années après leur lancement ? Ne faut-il pas aller plus loin, et plus vite, en matière de dronisation ?

M. Pascal Allizard. - Face à l'affirmation de nouvelles puissances navales, en Méditerranée et dans l'Indopacifique, vous avez rappelé combien notre marine va connaître un « point bas » dans les prochaines années. Cela ne rend que plus nécessaire le maintien du plan de charge de notre BITD navale et le travail en coopération des marines européennes et « otaniennes ». Quelques coopérations semblent encore solides avec le Royaume-Uni dans le domaine des futurs missiles anti navire et de croisière, ainsi qu'avec la Belgique et les Pays-Bas pour la lutte anti-mines.

Mais pour le reste, sur quels partenaires fiables pourrons-nous nous appuyer pour lancer le renouvellement de nos avions de surveillance maritime Atlantique 2, pour assurer la suite du programme des frégates de défense et d'intervention, ou pour développer le domaine des drones aériens et sous-marins ?

Enfin, voyez-vous dans le Fonds européen de défense des opportunités de soutien à des projets utiles pour la marine nationale ?

M. Yannick Vaugrenard. - Il y a presqu'un an jour pour jour, le 27 octobre 2021, vous nous rappeliez combien l'enjeu de l'innovation allait s'avérer crucial pour la survie de notre marine dans un environnement de plus en plus contesté. Vous nous décriviez la perspective de livraison en 2027 du premier drone hélicoptère. Vous nous avez décrit les potentialités des lasers tant pour la lutte anti-drone que pour la guerre spatiale. Déjà, vous évoquiez la nécessaire surveillance des fonds sous-marins aux points stratégiques. On peut dire que depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, presque toutes les menaces que vous évoquiez se sont réalisées et justifient la mise en oeuvre la plus rapide possible de tous ces projets.

J'ai trois questions. Quelles sont vos priorités, les plus immédiates et celles à inscrire dans la future loi de programmation militaire ? Dans combien de temps estimez-vous que les innovations les plus urgentes entreront en service effectif, qu'il s'agisse des drones ou des lasers de puissance ? Enfin, le montant des crédits d'études amont prévu par le projet de loi de finances pour 2023 pour le domaine naval, hors dissuasion (40 millions d'euros, soit 4% du montant global de 1 milliard d'euros affectés aux études amont) est-il suffisant ?

M. André Guiol. - Je reviens sur un sujet qui a déjà été largement évoqué. Le 26 septembre 2022, les gazoducs Nordstream 1 et Nordstream 2 reliant la Russie à l'Allemagne à travers la mer Baltique ont été touchés par une explosion sous-marine. Cet événement, qui a entrainé un spectaculaire bouillonnement à la surface de l'eau, est probablement lié au conflit déclenché par la Russie en Ukraine. Quoi qu'il en soit, il envoie un message clair qui nous invite à intégrer largement le sabotage sous-marin dans notre spectre des menaces. Face à cela, au début du mois d'octobre, le chef de l'État a demandé le renforcement de la protection des câbles sous-marins. La dernière revue stratégique vous semble-t-elle avoir pris suffisamment la mesure de cette menace, à la lumière de ces explosions suspectes ? De quels moyens disposent la défense pour assurer la sécurité des infrastructures sous-marines ? Sont-ils rehaussés dans le PLF 2023 ?

M. Philippe Folliot. - Dans son récent ouvrage Géopolitique des mers et des océans, Pierre Royer rappelait : « qui tient la mer tient le monde ». Pensez-vous que nos moyens prépositionnés dans l'Indopacifique sont suffisants ? Concernant les fonds marins, notre capacité d'intervention dans les fonds très profonds est assez limitée. Nous avons en France l'outil du Nautile mais qui dépend de l'IFREMER. Or il semble que l'objectif soit de désarmer ce sous-marin à partir de 2029. N'est-il pas nécessaire de conserver cet outil dual civilo-militaire, pour nous permettre de rester dans les 5 pays au monde capables de descendre à 6000 mètres sous la mer ? Il nous faut conserver cette agilité que les robots n'ont pas. Au regard des nombreux enjeux de sécurité, notamment sur les câbles, ce défi vous semble-t-il une perspective pour l'avenir ?

M. Jacques Le Nay. - Amiral, fin septembre, un sous-marin russe évoluant à la surface a été repéré au large de la Bretagne. La frégate multi-missions Normandie et un hélicoptère Caïman marine l'ont ensuite escorté dans le golfe de Gascogne. Pouvez-vous nous livrer votre analyse de ce choix manifeste de faire évoluer ce sous-marin en surface ? Pouvez-vous nous décrire les procédures suivies dans de telles situations, notamment en ce qui concerne la coordination avec nos alliés ?

Il y a quelques mois, M. Bruno Sainjon, président-directeur-général de l'Onera, annonçait que la marine nationale allait être équipée d'ici à 2026/2027 de systèmes utilisant la technologie Girafe, basée sur une solution quantique permettant aux navires de se localiser de manière extrêmement précise. Quelle est la plus-value opérationnelle d'un tel système et combien cela coûtera-t-il ?

Mme Vivette Lopez. - Amiral, vous avez évoqué les enjeux de recrutement dans la marine. Connaissez-vous la proportion de jeunes ultramarins parmi vos nouvelles recrues ? Quel est leur intérêt pour la marine ? Qu'en est-il également s'agissant des réservistes ? Quelle est la proportion de femmes parmi les nouvelles recrues de la marine ?

M. Olivier Cadic. - Amiral, le petit récif corallien de 10 km2 en forme de boomerang baptisé Julian Felipe par les Philippines est aussi revendiqué par la Chine. Cette portion de la mer de Chine est un bouillon de tensions, surtout depuis que Pékin la revendique comme son bastion et y a construit des bases militaires sur des îlots artificiels. Une délégation du Sénat philippin est actuellement en France ; elle était hier à Cherbourg. Un membre de la commission défense m'a confié que leurs besoins sous-marins étaient incontournables pour répondre aux intimidations chinoises, qui menacent aujourd'hui leurs pêcheurs.

Avez-vous évalué le nombre de sous-marins nécessaires à acquérir pour les pays indépendants de la zone confrontés à ces problèmes (Malaisie, Indonésie, Philippines, Vietnam) pour contribuer à rééquilibrer les forces face à la Chine ? J'étais à Taïwan le mois dernier : pensez-vous que le développement de la marine chinoise lui permette de bloquer la circulation maritime dans le détroit de Taïwan à court terme ?

M. Pierre Laurent. - Comme vous l'avez dit, des moyens importants seront nécessaires dans tous les segments de la marine, d'autant plus que notre stratégie ne doit pas être « métropocentrée » et nécessite bien une présence dans toutes les mers. Dans ces conditions, continuez-vous à penser que le renouvellement du porte-avions reste, en matière d'agilité stratégique et en matière de ratio coût/efficacité, pertinent compte tenu de sa très grande vulnérabilité potentielle dans un conflit de haute intensité ? Les évolutions que nous connaissons ne devraient-elles pas conduire à se reposer la question de l'opportunité d'un nouveau porte-avions ?

Amiral Pierre Vandier. - Concernant le domaine du cyber, la question des ressources humaines est véritablement centrale. Nous observons un décalage entre les soldes que nous versons aux cyber-combattants et ce qui peut être offert sur le marché du travail par le secteur privé. De surcroît, ces compétences sont également très recherchées dans le civil. Je suis néanmoins convaincu que nous avons les moyens d'attirer et de fidéliser de jeunes cyber combattants. C'est un travail que nous menons entre chefs d'état-major et avec le ministre des armées.

S'agissant des réserves, le ministre a annoncé sa volonté de les doubler. Pour la Marine, dans le cadre du SNU, nous devrions passer d'une centaine de jeunes dans le service militaire volontaire à 2 000 jeunes en phase 2 à l'horizon 2030, tandis que pour les engagements à servir dans la marine (ESR), nous devrions passer à 12 000 sur la même période.

Pour nous, le coeur du moteur est constitué par nos préparations militaires marines (PMM), avec des réservistes se situant dans les territoires, bien au-delà des seuls ports. Elles permettent d'apporter du sel marin dans les territoires. Nous profitons de l'attrait des jeunes pour nos sujets et nous les faisons encadrer par des réservistes. L'objectif est de construire à terme une réserve opérationnelle qui devra permettre d'embarquer des jeunes ou moins jeunes sur nos bâtiments.

S'agissant du MCO aéronautique et naval, je note que les progrès sont énormes sur la verticalisation des contrats. Partout où cette verticalisation a été appliquée, elle a donné de bons résultats. La flotte des hélicoptères reste celle pour laquelle les difficultés sont les plus importantes, en particulier pour le NH90. J'ai rencontré le dirigeant d'Airbus Hélicopters, qui m'a assuré de son investissement total sur ce sujet. Une assistance technique renforcée va être mise en place sur les bases aéronavales de Lanvéoc et Hyères. Ces hélicoptères ont plus de 8 ans de service, avec un univers logistique qui manque de performance et qu'il faut faire évoluer.

Pour les Atlantique 2, les choix capacitaires ont conduit à un parc de 18 avions, dont la disponibilité est temporairement affectée par les chantiers de mise au standard 6. Nous travaillons actuellement sur le MCO des moteurs de l'avion pour les faire durer jusqu'à l'horizon 2030/2035, en attendant leur remplacement. Au bilan, les avions aujourd'hui disponibles sont extrêmement performants et nous permettent de compter parmi les meilleurs dans ce domaine, notamment dans les missions en Atlantique nord.

Pour les bâtiments de surface, les chiffres de MCO sont bons. Globalement, la disponibilité de la flotte est bonne. Je note que le travail de fond réalisé depuis 15 ans de mise en concurrence du MCO aboutit à une bonne performance technique et financière du MCO. Cela est d'autant plus notable que certains bateaux sont anciens et d'autres à double équipage, faisant plus de jours de mer que prévu à la conception.

La DMAé (Direction de la maintenance aéronautique) est une direction qui fonctionne bien et dont nous sommes pleinement satisfaits. L'ingénieure générale Monique Legrand-Larroche a véritablement réalisé un travail remarquable à la tête de cette direction.

S'agissant du futur des avions de patrouille maritime, l'avenir devait notamment passer par le développement de coopérations avec les Allemands, via le programme MAWS (Maritime Aiborne Warfare System). Ce programme est en difficulté compte tenu des choix effectués par la marine allemande d'acheter finalement des avions américains.

Pour assurer le remplacement des avions de patrouille maritime, des offres sont en train d'être remises par les industriels dans le cadre des études demandées par la DGA. Je ne peux donc pas pour l'instant en parler. En termes de coopération, d'autres pays européens pourraient être intéressés, compte tenu du niveau de savoir-faire qui est un des meilleurs du monde en termes de lutte anti-sous-marine.

S'agissant de l'incendie du SNA Perle, survenu en 2020, le surcoût est estimé à 61 millions d'euros, ce qui est conforme aux prévisions. Au moment de cet événement, la Perle était dans son dernier arrêt technique, le bateau étant alors aux mains de l'industriel. Un incendie extrêmement violent s'est déclaré sur la partie avant du navire. L'opération de réparation a consisté à la remplacer par la partie avant de l'ancien Saphir, récemment désarmé. Le bateau est aujourd'hui en fin d'entretien à Toulon et devrait reprendre la mer pour ses essais en début d'année 2023, conformément aux délais prévus.

L'incendie de la Perle a amené à des réflexions sur la manière dont les industriels concevaient la sécurité incendie de nos bateaux. Nous sommes plus exigeants, notamment par une vérification accrue de la qualité des travaux effectués par les sous-traitants. Par ailleurs, nous avons durci l'intervention de l'Etat via les marins pompiers des ports et le bataillon des marins pompiers de Marseille. Nous avons pu constater à quel point nous avons progressé dans ce domaine.

S'agissant de la préparation opérationnelle des équipages en jours de mer, j'ai souhaité depuis ma prise de fonctions changer profondément la façon dont nos équipages s'entrainent. Compte tenu de l'intensité du réarmement naval et du comportement de nos compétiteurs, il faut se projeter pour avoir un coup d'avance. C'est ce qui a été fait avec l'exercice Polaris, réalisé en novembre 2021, qui constitue un bouleversement par rapport aux entrainements scénarisés, où les équipes font leurs gammes. Je veux que nos marins s'entraînent dans les conditions les plus proches du réel. Il nous faut plus d'agilité et développer une approche du combat qui est une adaptation permanente, en boucle courte, à l'ennemi, aux avaries, et au brouillard de la guerre. Si nous n'avons plus de telle ou telle arme, nous devons recourir aux brouilleurs, aux forces spéciales, aux avions... Nos exercices visent à nous mettre en difficulté, pour les forcer à s'adapter.

S'agissant des fonds marins, deux ans de travail avec l'état-major des armées et le cabinet du ministre ont conduit à la mise au point d'une stratégie dont les trois axes sont « connaître, surveiller et intervenir ». Connaître d'abord car nous ne connaissons que 2% des océans avec une précision métrique. De nombreux endroits sont encore très mal cartographiés.

Il faut également surveiller car le nombre d'infrastructures sous-marines à protéger est extrêmement important. J'y reviendrai.

Il nous faut enfin être capable d'intervenir. Les fonds de plus de 6 000 mètres représentent 97 % des fonds marins, ce qui impose d'être en mesure d'intervenir à cette profondeur.

Il nous faut déterminer dans quel secteur des moyens militaires sont nécessaires. L'objectif est de développer nos cas d'usage avec une bonne compréhension des interfaces entre l'industrie et la marine. Nous devons travailler avec les sociétés spécialistes des câbles sous-marins, comme Orange Marine, leader mondial en la matière, qui dispose de nombreuses compétences s'agissant de la pose, de la réparation et de l'entretien de ces câbles. Nous devons disposer de moyens spécifiques pour observer et interdire les éventuelles actions malveillantes.

Lors de la mission Calliope, entre le 6 et le 14 octobre, un drone sous-marin a été mis en oeuvre depuis le Beautemps-Beaupré pour surveiller des câbles sous-marins et à évaluer nos cas d'usage. La question de l'industrie et du marché est évidemment centrale. Il nous faut viser la cohérence entre les capacités de nos industries et les besoins militaires des armées.

Concernant votre question sur les systèmes quantiques embarqués, vous faites référence à l'expérimentation GIRAFE (gravimètre interférométrique de recherche à atomes froids embarquable), qui est un capteur de pointe permettant de réaliser de la gravimétrie. Cette technologie permet de déceler dans les fonds marins des anomalies gravimétriques, c'est-à-dire des zones où la force d'attraction terrestre est plus forte et d'autres où elle est plus faible. Si l'on sait localiser ces points singuliers, nos systèmes inertiels peuvent être réajustés de façon discrète, sans avoir besoin d'utiliser de systèmes externes. C'est donc une innovation qui présente un intérêt pour la Marine

S'agissant du recrutement des femmes dans la Marine, nous développons depuis 20 ans une politique de mixité. En juin 2022, on comptait 15,7 % de femmes dans les armées françaises. Cette proportion est encore relativement faible et nous travaillons à ouvrir toutes les filières, comme ça a été le cas pour les sous-marins. Ainsi, six femmes seront prochainement embarquées dans des sous-marins de type Barracuda.

Concernant les marins originaires d'outre-mer, ils représentent 3,2 % de nos effectifs. Ils viennent principalement de la Réunion, de la Polynésie Française, et des Antilles. S'engager dans nos forces représente pour ces jeunes un moyen d'avoir une expérience au-delà de leur horizon immédiat.

S'agissant de la dronisation de la marine, le développement est en cours. Nous en voyons aujourd'hui les effets. Un drone Schiebel a ainsi été embarqué sur des porte-hélicoptères amphibie (PHA). Ce drone a été pour la première fois utilisé, en relai d'un hélicoptère, dans le cadre d'une opération de lutte anti-drogue réalisée au large du Sénégal. A plus long terme, nous sommes très intéressés par les perspectives de drones de combat embarqués sur porte-avions, qui permettraient de disposer d'un groupe aérien mixte.

Il nous faut également réfléchir aux drones de surface, sujet sur lequel nous sommes en discussion avec la DGA. Les Etats-Unis sont très avancés sur ce sujet. Une piste est de développer des drones d'escorte de nos bateaux. Ceux-ci seraient des « loyal wingman », c'est à dire des ailiers fidèles utiles.

Pour avancer dans le domaine de l'innovation, nous avons pour ambition d'aligner les intuitions tactiques avec les intuitions techniques. Cela ne se substitue pas aux études amont, mais vise à les faire aboutir. En travaillant avec les grandes industries, l'idée est de profiter des grands exercices pour conduire des expérimentations et aboutir au développement incrémental des plateformes. Concrètement, pourrait ainsi être testé dans un grand exercice un nouveau type de brouilleur ou une arme à énergie dirigée sur une frégate.

Plus d'un milliard d'euros doit être consacré à l'innovation. La marine en dispose en propre de 5 %, soit un montant de l'ordre de 55 millions d'euros. Ce chiffre est modeste, mais nous tirons bénéfice d'études amont dans d'autres secteurs (aéronautique, armes, systèmes de communication). Il faudrait faire un agrégat des retombées des études amont concernant la marine, qui dépasse ces 5 %.

S'agissant du projet de nouveau porte-avions, nous en discutons régulièrement avec nos camarades britanniques, italiens et américains. Des mots même de l'amiral Gilday, mon homologue américain, « the carriers are the most survivable plateforms ever built ». Un groupe aéronaval est un summum de protection. Par ailleurs, si le concept de porte-avions était dépassé, les Américains n'en construiraient pas 11, les Britanniques, les Italiens et les Turcs deux. Sans oublier les Chinois qui débutent la construction de leur 4ème porte-avions, qui sera potentiellement à propulsion nucléaire. Ce discours peut s'appliquer à toutes les capacités dont nous disposons.

M. Gilbert Roger. - Pourquoi de ne pas conserver le Charles de Gaulle pour le baser sur la Méditerranée ? Nous avions fait cette recommandation avec Olivier Cigolotti dans notre rapport sur le porte-avions de nouvelle génération.

Amiral Pierre Vandier. - Il a été décidé de travailler au successeur du Charles de Gaulle car la cuve du réacteur nucléaire de ce bateau devrait atteindre sa fin de vie aux environs de 2040, sans certitude à quelques années près. Puisque les travaux de construction prennent 15 ans, le travail a d'ores-et-déjà été lancé. Nous saurons en 2030/2031 la date définitive de la fin d'exploitation du Charles de Gaulle. Lorsque les études du porte-avions ont été lancées, nous sommes bien partis de la feuille blanche, sans a priori. Nous avons été rigoureux sur le plan intellectuel. Nous sommes arrivés à la conclusion qu'un porte-avions avec des avions conventionnels est un outil de puissance dont nous avons besoin. Je fais confiance à mes camarades aviateurs qui m'ont toujours dit qu'on ne gagnait pas de guerre sans supériorité aérienne. Cela vaut pour les guerres navales, comme nous le savons depuis la bataille de Midway.

Un réarmement massif s'opère en mer de Chine méridionale. La liberté d'action des pays non directement alignés dans un camp ou l'autre est mise à mal. C'est la raison pour laquelle notre diplomatie déploie beaucoup d'efforts pour rencontrer et aider ces pays qui hésitent. Ainsi, des contrats pour la vente de Rafale avec l'Indonésie et pour la vente de sous-marins avec la Malaisie ont été passés. Les Philippins s'interrogent également sur l'opportunité de se doter d'une force sous-marine.

M. Christian Cambon, président. - Amiral, je vous remercie pour toutes ces précisions. Face au réarmement massif des grandes puissances dans le domaine naval, nous sommes à un moment charnière. Il nous faut à la fois faire face aux contraintes immédiates tout en anticipant jusqu'à l'horizon 2030. Tous les renseignements que vous nous livrez pour mieux saisir cette réalité nous sont très utiles.

La réunion est close à 12 h 30.