Jeudi 17 novembre 2022

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Audition de M. Gilles Lazimi et Mme Catherine Vidal, membres du HCE

Mme Annick Billon, présidente. - Madame, Monsieur, mes chers collègues, la santé des femmes est un enjeu majeur, qui intéresse de nombreux sénatrices et sénateurs au sein de la délégation. Pour cette raison, nous avons nommé début octobre quatre rapporteures afin d'explorer cette thématique de travail : Laurence Cohen, Annick Jacquemet, Marie-Pierre Richer et Laurence Rossignol.

Un travail important a déjà été mené par le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), qui a publié en décembre 2020 un rapport intitulé Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique. Nous ne pouvions donc pas entamer nos travaux sans entendre certains de ses représentants. Nous sommes de ce fait très heureux d'accueillir ce matin Gilles Lazimi, co-président de la Commission « Santé, droits sexuels et reproductifs » du HCE, et Catherine Vidal, membre de cette même commission et auteure du rapport que j'évoquais à l'instant. Je vous souhaite à tous deux la bienvenue.

Nous vous laisserons nous présenter les grands enseignements de votre rapport ainsi que les suites qui ont pu être données à vos recommandations, deux ans après sa publication.

Vous pointiez notamment dans votre rapport un sous-diagnostic, chez les femmes, des maladies cardiovasculaires, des troubles du spectre autistique ou encore de l'endométriose. Avez-vous constaté des progrès en la matière ?

Vous indiquiez a contrario que certaines pathologies sont malheureusement davantage associées aux femmes : celles-ci souffrent ainsi deux fois plus de dépression que les hommes, les facteurs de risque de dépression liés au contexte socioéconomique (précarité, charge mentale, violences) les affectant davantage. La prise en charge des dépressions, des tentatives de suicide, des troubles de l'alimentation, des addictions, et de la santé mentale de façon plus générale, nous semble un sujet à ne pas négliger. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet, aujourd'hui ? Cette prise en charge vous semble-t-elle satisfaisante ?

S'agissant des politiques de prévention, quels devraient être, selon vous, les principaux programmes à destination des femmes ? Vous avez salué une amélioration de la prévention et de la prise en charge des cancers du sein et du col de l'utérus. Cependant, nous savons notamment que la couverture vaccinale contre le papillomavirus reste, à ce jour, insuffisante.

Nous nous intéressons également à la place des femmes dans les recherches cliniques et biomédicales. Nous nous réjouissons avec vous qu'il n'y ait plus désormais de sous-représentation des femmes au sein des essais cliniques. Pour autant, il nous semble que ce n'est pas le seul sujet. Tous les grands scandales sanitaires depuis soixante ans ont concerné des médicaments et traitements destinés principalement aux femmes (Dépakine, Mediator, Distilbène, Levothyrox...). Avez-vous pu explorer la question du financement et de la production de médicaments à destination des femmes ? Où en est-on de la recherche sur l'impact des perturbateurs endocriniens, en particulier sur la fertilité des femmes, et sur les traitements hormonaux qui leur sont destinés ?

Enfin, vous nous direz quels sont les sujets que vous n'avez pas pu ou pas souhaité développer au sein de votre rapport. Estimez-vous qu'il existe des angles morts qui mériteraient aujourd'hui d'être approfondis ?

Je vous laisse sans plus tarder la parole. Je proposerai, après votre propos introductif, à mes collègues d'intervenir.

M. Gilles Lazimi, co-président de la commission « Santé, droits sexuels et reproductifs » du HCE. - Merci de nous recevoir. C'est un vrai plaisir d'être présent avec vous ce matin. Je suis médecin généraliste, militant associatif au Collectif féministe contre le viol (CFCV) et à SOS Femmes 93, et enseignant à Sorbonne université. J'ai également été membre du HCE de 2013 à 2019, et le suis à nouveau depuis 2022.

Le HCE est constitué de membres bénévoles et dispose de faibles moyens. Malgré ceux-ci, il a rédigé des rapports dont près de 50 % des recommandations ont été reprises dans des projets de loi et des lois promulguées. Ils portaient sur les thèmes suivants : l'interruption volontaire de grossesse (IVG) en 2013, la procréation médicalement assistée (PMA) en 2015, l'éducation à la sexualité et à l'égalité, qui font partie des points à développer, la santé des femmes en situation de précarité en 2017, les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical en 2018, et la prise en compte du sexe et du genre en 2020 - c'est le rapport que nous évoquons aujourd'hui. Nous avons également mené des travaux sur le préservatif féminin, c'est important d'en parler, et sur la nécessité de constitutionnaliser le droit à l'IVG.

Pendant un certain temps, le HCE a également été en attente de la nomination de nouveaux membres. Le travail a donc tardé, raison pour laquelle nous ne pourrons pas répondre à toutes vos questions.

Merci à vous. Je laisse la parole à la maître d'oeuvre de ce rapport, Catherine Vidal, qui vous donnera un éclairage sur ces travaux.

Mme Catherine Vidal, membre de la Commission « Santé, droits sexuels et reproductifs » du HCE. - Bonjour à toutes et à tous et merci de votre invitation. Entrons immédiatement dans le vif du sujet. J'ai eu l'honneur d'être sollicitée par le HCE pour rédiger ce rapport, intitulé Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique. Il part d'un constat, celui de la persistance des inégalités sociales de santé entre les femmes et les hommes, avec pour conséquence des discriminations dans l'accès aux soins et la prise en charge médicale. L'importance de ces questions a conduit un certain nombre de pays, surtout en Europe du Nord, aux États-Unis et au Canada, à intégrer la thématique « genre et santé » dans les plans stratégiques des institutions de recherche et de médecine et dans les politiques de santé publique. Dans ce domaine, la France est en retard.

Ce rapport a pour objectif de montrer que la prise en compte du genre, alliée à celle du sexe, est source d'innovations dans la médecine, la recherche et les politiques de santé. Il a pour spécificité de reposer sur une approche scientifique au niveau international basée sur des sources robustes issues d'articles de recherche publiés dans des revues internationales. Les enquêtes épidémiologiques que nous citons sont elles aussi validées quant à la taille des échantillons et aux tests statistiques. Les publications en question datent de moins de dix ans. Ces points sont primordiaux pour comprendre l'évolution des connaissances dans ce domaine.

D'abord, une distinction doit être opérée entre les notions de différences et d'inégalités dans la santé. Les premières sont liées au sexe biologique, aux caractéristiques spécifiques des hommes et des femmes au niveau des gènes, des cellules, des organes ou des hormones. Les secondes relèvent en revanche de facteurs sociaux, culturels et économiques dans lesquels le genre joue un rôle prépondérant. Nous pouvons notamment citer 1) les représentations sociales liées aux genres féminins et masculins, qui influencent à la fois les attitudes des patients et celles des soignants, 2) la précarité économique qui touche plus particulièrement les femmes, et 3) les violences et agressions sexuelles dont elles sont les premières victimes.

C'est l'interaction complexe de tous ces facteurs biologiques, environnementaux, sociaux liés au genre qui est source d'inégalités de santé entre les femmes et les hommes, et aussi, hélas, de discriminations dans l'accès aux soins et à la prise en charge médicale.

Abordons à présent quelques exemples, en commençant par la durée de vie. Les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes. Leur espérance de vie à la naissance est de 85,4 ans, contre 79,3 ans pour les garçons, ce qui correspond à un écart de six ans. Il est important aussi de considérer l'espérance de vie en bonne santé, sans aucune limitation ou incapacité majeure. L'écart se réduit à un an et demi : 64,4 ans pour les hommes et 65,9 ans pour les femmes. Ainsi, ces dernières vivent plus longtemps que leurs homologues masculins, mais elles passent plus de temps en mauvaise santé. Les raisons sont multiples : y participent le diagnostic tardif de certaines pathologies et la précarité économique avec renoncement aux soins et mauvaise hygiène de vie.

Autre exemple emblématique des différences et inégalités de santé, les maladies cardiovasculaires. Elles sont la première cause de mortalité chez les femmes, le cancer du sein n'est qu'à la dixième place. Or les femmes les développent environ dix ans plus tard que les hommes. Pour l'expliquer, on a longtemps privilégié l'hypothèse hormonale. Les oestrogènes jouent un rôle vasoprotecteur face au dépôt de plaque d'athérome dans les artères. La baisse des oestrogènes à la ménopause rendrait les femmes plus vulnérables. Le problème est que le recours au traitement hormonal substitutif s'accompagne de risques d'AVC. Depuis quinze ans, l'incidence d'infarctus a augmenté de 25 % chez les femmes de moins de 50 ans. Cela signifie que le rôle attribué aux oestrogènes n'est pas suffisant face à d'autres facteurs de risques liés, notamment, au mode de vie. Ce constat nous ouvre de nouvelles pistes de recherche. Parmi celles-ci figurent tous les travaux qui montrent qu'il existe, dans les pratiques, des biais dans les diagnostics et l'accès au soin.

L'infarctus du myocarde, en particulier, est sous-diagnostiqué chez les femmes, parce qu'il est considéré - à tort - comme une maladie uniquement masculine, caractéristique des hommes quinquagénaires stressés au travail. Dans la pratique, et cela a été constaté dans plusieurs pays, pour les mêmes symptômes de fatigue et d'oppression dans la poitrine, ceux des femmes ont trois fois plus de chances d'être attribués à des raisons émotionnelles plutôt qu'à des troubles cardiaques. On observe aussi un retard de prise en charge des femmes par rapport aux hommes à l'arrivée aux urgences en cas de suspicion d'infarctus. Notons également que les femmes minimisent leurs symptômes et appellent plus tardivement les urgences. Cela illustre à quel point les normes sociales et les stéréotypes liés au genre influent sur les attitudes des médecins comme sur celles des malades.

Autre pathologie, l'autisme qui touche trois hommes pour une femme. L'origine de la différence de prévalence entre les sexes n'est pas connue mais nous savons qu'il existe un retard au diagnostic chez les filles. Des enquêtes portant sur des milliers d'enfants aux États-Unis ont montré que 37 % des garçons étaient détectés en bas âge, contre seulement 18 % des filles. Or plus on intervient tôt, mieux la maladie est encadrée. Les normes sociales liées au genre jouent un rôle important dans le sous-diagnostic des filles. Si une petite fille présente des comportements de retrait sur elle-même avec un défaut d'interaction sociale, son attitude sera qualifiée de timidité ou de réserve. Chez un garçon, on s'inquiètera en évoquant un trouble de la communication. Les symptômes sont plus discrets chez les filles et donc plus difficiles à détecter par l'entourage, le corps médical et les enseignants.

Le sujet de la dépression est aussi très illustratif des inégalités de santé. Partout dans le monde, les troubles dépressifs touchent deux fois plus de femmes que d'hommes. On a longtemps mis en avant l'hypothèse hormonale : en cause, les changements d'humeurs liés aux menstruations, à la grossesse, à la ménopause, etc. Pourtant, dans l'état actuel de nos connaissances, il n'existe aucune démonstration scientifique d'un rôle unique des hormones dans la dépression par rapport à d'autres facteurs de risques. Le rôle très important de l'environnement culturel, social et économique a été démontré. Des études internationales réalisées dans deux-cents pays montrent que plus le niveau socioéconomique est élevé, plus l'écart entre les hommes et les femmes dans la prévalence de la dépression se réduit. Une étude a comparé les pays d'Europe du Nord et ceux du Sud. Dans ces derniers, les traditions familiales, la dépendance économique, le travail domestique et les violences sont plus présents. Tous ces facteurs sont fortement corrélés avec une forte prévalence des troubles dépressifs. Ainsi, le contexte socioéconomique expose davantage les femmes que les hommes aux risques de dépression.

La maladie d'Alzheimer touche trois femmes pour un homme. L'origine de la différence de prévalence fait l'objet de recherches importantes. La plus grande longévité des femmes n'est pas seule en cause. De nombreux travaux ont montré le rôle de facteurs socioculturels tels que la précarité économique, un niveau d'instruction faible et le manque d'exercice physique. Ces facteurs de risques de la maladie d'Alzheimer touchent davantage les femmes.

En ce qui concerne l'endométriose, c'est dans les années 1990 que cette pathologie a été reconnue par le corps médical comme une atteinte organique. Ce n'est qu'en 2019 que le premier plan national sur l'endométriose a été lancé. Le second plan la reconnaissant comme une maladie de longue durée date de 2022. On notera aussi que ce n'est qu'en 2020 que l'endométriose été intégrée au programme de deuxième cycle des études médicales. Le temps de latence pour sa reconnaissance est frappant. Cela tient à l'histoire de la médecine : au XVIIIe siècle, les femmes étaient considérées comme le sexe faible, avec leur nature souffreteuse et leurs problèmes gynécologiques. Avec le tabou des règles, la plainte des femmes a été trop longtemps occultée. À noter que l'endométriose est une des premières causes d'arrêt de travail en France. Parmi les recommandations du HCE figurent le soutien à la recherche sur cette maladie très mal connue, et aussi l'organisation de formations auprès des médecins du travail et des infirmières scolaires qui ont affaire aux jeunes filles. Ces secteurs de la médecine sont très déficients. Un effort en la matière est nécessaire.

L'ostéoporose est également un sujet dont on ne parle que trop peu. Elle touche une femme sur trois et un homme sur cinq, avec pour conséquences des handicaps et des coûts importants. Un tiers des fractures ostéoporotiques de la hanche concernent des hommes. Or l'ostéoporose est trop souvent considérée comme une maladie de femmes ménopausées, elle est sous-diagnostiquée chez les hommes. Il est à noter que les femmes sont, elles aussi, insuffisamment suivies et traitées pour cette pathologie.

Abordons un sujet qui a longtemps fait débat, à savoir la participation des hommes et des femmes dans les essais cliniques. Aux États-Unis, les années 1950-1960 ont vu l'essor de l'industrie pharmaceutique. Les essais cliniques s'y sont largement développés, mais ils ont hélas été émaillés de deux énormes scandales, ceux de la thalidomide et du Distilbène, ayant occasionné des malformations foetales et des cancers chez les enfants. En conséquence, en 1977, l'agence du médicament américaine a décidé d'exclure les femmes en âge de procréer des essais cliniques de phase 1 et 2. Ce n'est qu'en 1993 que le Congrès américain a voté une loi imposant l'inclusion de femmes dans ces essais, de même que les personnes de minorités ethniques. Cette démarche politique importante a fait suite à la dénonciation de la sous-représentation des femmes dans les essais cliniques par les milieux féministes américains, dans le domaine de la santé notamment. Cette situation s'expliquait en partie par le fait que le risque d'infarctus avant 70 ans était très faible. De plus, on évite d'inclure des personnes âgées dans les essais cliniques à cause des problèmes de comorbidité. Depuis une quinzaine d'années, une évolution très favorable du pourcentage de femmes est constatée. Pour le cancer du poumon, dont les femmes étaient quasiment indemnes auparavant, leur inclusion dans les essais cliniques est passée de 33 % en 1990 à 48 % en 2012. D'après le registre international des essais cliniques (clinicaltrials.gov), tenu par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et le NIH (Institut national de la santé américain), entre 2008 et 2018, toutes pathologies confondues, l'inclusion des femmes est en moyenne supérieure ou égale à 50 %. Ces chiffres peuvent varier selon les années, en fonction du type de pathologie majoritairement étudié à un moment donné. Par exemple, s'il y a des pistes concernant un nouveau médicament pour le cancer de la prostate, la proportion d'hommes dans l'ensemble des essais cliniques sera plus élevée.

Un facteur majeur d'inégalité dans l'accès aux soins et à la prise en charge médicale est la précarité économique : 70 % des travailleurs pauvres sont des femmes. Un tiers des familles monoparentales - des femmes en majorité  - vivent sous le seuil de pauvreté. La précarité économique a pour conséquence un renoncement aux soins et une mauvaise hygiène de vie : alimentation déséquilibrée, consommation d'alcool, de tabac, sédentarité. Ces facteurs conduisent à une dégradation de la santé physique et mentale, avec en particulier des problèmes d'obésité, diabète, maladies cardiovasculaires, dépression, etc.

Il faut souligner que les risques professionnels et la pénibilité au travail ne sont pas suffisamment pris en compte chez les femmes. Les cancers d'origine professionnelle sont souvent sous-évalués, notamment le cancer du poumon, qui fait l'objet de très peu d'études. Les facteurs de risques liés aux agents cancérogènes dans le secteur du nettoyage ne sont pas suffisamment documentés. Une étude de l'Inserm a montré une augmentation de 26 % des risques de cancer du sein en cas de travail de nuit. Il est fondamental de sensibiliser les entreprises à ces questions.

Quant aux troubles musculo-squelettiques, ils sont plus présents chez les femmes qui sont majoritaires dans des emplois peu rémunérés avec des postures répétitives et inconfortables. Les risques psychosociaux sont également plus fréquents : postes peu qualifiés, horaires atypiques, manque d'autonomie, parcours professionnels en rupture, etc. Une étude récente a montré que le risque de basculement d'un mal-être d'ordre psychosocial vers un trouble avéré de la santé mentale concernait 26 % des femmes et 19 % des hommes.

Il est important de noter que la notion de pénibilité au travail est difficile à faire reconnaître pour les femmes car les critères de qualification des maladies professionnelles sont majoritairement fondés sur le travail masculin. Enfin, il faut prendre en compte les charges domestiques et familiales des femmes, avec la double journée de travail, qui se répercutent sur la santé physique et mentale. Les violences et agressions sexuelles ont aussi des conséquences graves, à court et à long terme, sur la santé des femmes. Cet aspect doit être systématiquement pris en compte au même titre que les mesures d'aide matérielle et de prévention.

En conclusion, ce rapport démontre que la prise en compte de la dimension du genre, alliée à celle du sexe, a des retombées majeures en termes de connaissance scientifique, de prise en charge médicale et de traitement, et aussi de prévention et d'optimisation des coûts de santé. Autant de conditions nécessaires pour construire des politiques de recherche et de santé plus égalitaires au bénéfice de la santé des femmes et les hommes.

De ce rapport émanent quarante recommandations, dont quatre recommandations phares :

- intégrer la thématique « genre et santé » dans la formation aux professions médicales et paramédicales, à savoir dans la formation initiale des étudiant(e)s encore très peu développée, et dans la formation continue des professionnels de la santé, en incluant une formation au dépistage des violences ;

- créer une nouvelle institution publique de recherche et de médecine sur la thématique « genre et santé », avec une approche pluridisciplinaire associant les recherches cliniques et biomédicales avec les recherches en sciences sociales et en santé publique ;

- garantir l'accès au soin pour les femmes précaires ;

- favoriser la parité dans les postes de responsabilité dans les professions de la santé et de la recherche.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci à tous les deux pour cette présentation très complète, enrichie de données chiffrées et de statistiques. Vos propos étaient très étayés et très approfondis.

Je me tourne vers nos quatre rapporteures, avant de passer la parole aux autres membres de la délégation qui le souhaiteraient.

Mme Marie-Pierre Richer, co-rapporteure. - Merci pour vos propos, sur lesquels je vais revenir. On a évoqué les essais cliniques. Vous mentionniez, et cela apparaît dans le rapport, une évolution de la prise en compte du genre et une réduction des inégalités, en vous appuyant sur des travaux d'Amérique du Nord. Vous disiez que la France avait du retard en la matière. Jusqu'à quel point est-ce toujours le cas ? Comment le pays s'inscrit-il par rapport à ses voisins européens ?

Ensuite, dans vos recommandations, figure une prise en compte de bout en bout de certaines maladies des femmes. J'ai récemment lu dans la presse que l'Institut Curie d'oncologie espérait être retenu dans le cadre du programme d'investissement d'avenir afin d'inventer la médecine de demain pour de nouvelles structures entièrement dédiées aux cancers des femmes. Avez-vous connaissance de la mise en place d'autres projets similaires ?

Enfin, votre rapport s'inscrit dans la lignée de ceux de 2017 et 2018. Vous y parlez d'une clause de revoyure au bout de deux ans. Cette échéance est arrivée. Qu'en est-il ? Avez-vous d'autres travaux en perspective ?

Mme Catherine Vidal. - Lorsque j'évoquais un retard de la France, je ne parlais pas du tout des essais cliniques. Ceux-ci doivent répondre aux critères des institutions internationales définis par l'OMS et le NIH. La France en fait partie, au même titre que les autres pays. Nous n'affichons pas de retard particulier dans les pratiques. Nous sommes en revanche en retard par rapport à d'autres pays européens et nord-américains en ce qui concerne les institutions publiques de recherche clinique et biomédicales dédiées à la thématique « genre et santé » pour construire des stratégies et des politiques de santé plus égalitaires.

S'agissant des recherches menées sur les cancers, nous ne pouvons que nous réjouir des travaux lancés par l'Institut Curie sur les thématiques davantage dédiées aux cancers féminins.

Enfin, concernant le suivi de nos recommandations et leur prise en compte, avec deux ans de décalage, nous avons besoin de financements si nous souhaitons en mesurer des retombées. Il faut mener des enquêtes sur le terrain, lancer des études épidémiologiques et enquêter auprès des institutions de recherche, des praticiens, des associations. Cette démarche doit être menée avec une volonté délibérée de dresser un état des lieux des avancées ou reculs sur ces questions.

Mme Annick Jacquemet, co-rapporteure. - Merci pour le travail que vous avez réalisé, qui devrait bien nous éclairer dans un premier temps.

Vous parlez très peu du sport, si ce n'est lorsque vous évoquez la maladie d'Alzheimer. Nous avons vu que l'écart d'espérance de vie en bonne santé n'était que d'un an entre les hommes et les femmes, et que d'autres pathologies étaient liées au sport. Vous êtes-vous intéressés à l'activité physique et à son impact, notamment sur les écarts évoqués ?

Vous évoquiez par ailleurs une hausse de 26 % du risque de cancer du sein en cas de travail de nuit. À quoi l'attribuez-vous ? À la fatigue ? Au décalage du cycle circadien ?

Mme Catherine Vidal. - Évidemment, les activités sportives sont extrêmement importantes pour rester en bonne santé. Nous ne l'avons pas évoqué précisément dans le rapport. Sur ce sujet, comme sur d'autres, le recueil de données est extrêmement difficile. Pour travailler sur des échantillons représentatifs d'une certaine partie de la population, les unes faisant du sport, et pas les autres, il est ardu de constituer des groupes homogènes. Quel type d'activité sportive choisir ? Où, quand et comment ? Les personnes ont-elles des comorbidités faisant varier le bénéfice du sport ? Quelle tranche d'âge étudier ? Ce genre d'étude est très difficile à réaliser et nécessite, encore une fois, des financements. Nous manquons de données dans ce domaine. Nous pouvons espérer que des campagnes d'information permettront de mieux mobiliser les gens sur ce sujet, mais leur réel impact est difficile à évaluer vu l'hétérogénéité des populations.

S'agissant de l'augmentation des cas de cancer du sein en cas de travail de nuit, mieux vaut vous adresser à l'Institut Curie ou aux auteurs de l'étude de l'Inserm, qui ont mené les recherches avec des méthodes rigoureuses. Les raisons de cette hausse sont certainement multifactorielles. Parvenir à démêler les différents facteurs n'est pas simple.

M. Gilles Lazimi. - Concernant l'activité des jeunes filles et des femmes dans le sport, nous ne disposons pas d'études scientifiques. Pour autant, des études sociologiques montrent que les stéréotypes de genre jouent un rôle majeur. L'analyse de l'occupation des cours d'écoles et les différents sports réalisés par les petites filles et les petits garçons, par exemple, mettent en exergue des résultats différents. La valorisation du sport chez les femmes est tout de même récente. Les trois cadres que sont les stéréotypes, la violence et la précarité illustrent la nécessité d'un travail visant à améliorer la santé des femmes. Le sport en est un.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Merci pour ce rapport extrêmement riche. De manière anecdotique, laissez-moi vous parler de l'une de mes petites filles, qui est en 5e et qui va avoir 12 ans. Elle me racontait ce week-end qu'elle avait voulu jouer au foot à l'école, et que les garçons l'ont exclue du terrain. Elle a beaucoup de caractère, et ne s'est pas laissé faire. Après la partie, ses camarades lui ont dit qu'elle avait eu raison de ne pas jouer - ce qu'elle n'avait pas choisi - parce que le jeu avait fini en match de rugby !

Comme toujours, s'agissant des travaux du HCE, ce rapport est très riche et approfondi. C'est une source d'inspiration pour les législateurs que nous sommes et pour tous ceux qui sont attachés aux droits des femmes.

Avez-vous pu étudier, dans le cadre de ce rapport, les territoires ultramarins, ou n'avez-vous pas pu pousser votre recherche à ce niveau ? Nous savons que des différences existent au niveau social, mais aussi économique. Notre collègue Victoire Jasmin le sait mieux que nous. Nous sommes toujours attachés au fait que les travaux soient menés sur l'ensemble du territoire, métropolitain et ultramarin.

Ensuite, nous voyons bien, au travers de vos recommandations, que pour aller plus loin, une prise en compte gouvernementale est nécessaire. Ainsi, avez-vous pu présenter ce rapport à la ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, Isabelle Lonvis-Rome ? Quel a été son accueil ? Quels engagements a-t-elle pu ou voulu prendre auprès de vous ?

Enfin, pourrait-il y avoir un angle mort dans votre rapport, un sujet que vous n'avez pas pu approfondir ?

Mme Catherine Vidal. - Concernant les territoires ultramarins, nous ne pouvons que constater un manque de recherches et d'études menées sur place. Nous savons, hélas, que les moyens n'y sont pas alloués comme sur le reste du territoire pour essayer de démêler ces questions liées à l'environnement social, culturel, économique, et pour les mettre en perspective par rapport à la santé. Un effort doit vraiment être fait. Les études internationales, très présentes dans mon rapport, sont importantes à titre de comparaison. Elles montrent à quel point il n'y a pas nécessairement de spécificités franco-françaises ou hexagonales. Les problèmes de dépression sont observés dans les pays développés, mais également dans les pays du Sud. Il est important que les sources de connaissances soient très élargies, sans quoi nous ne pourrons nous rendre compte des points majeurs à aborder dans des mesures d'information et de prévention. Il est primordial de toujours s'intéresser à l'international pour établir des comparaisons, et ainsi nous guider.

Ensuite, en 2020, nous avons remis ce rapport à Olivier Véran et Élisabeth Moreno, alors respectivement en charge de la santé et de l'égalité entre les femmes et les hommes, mais nous n'avons pas eu, pour l'heure, d'entretien avec les équipes de Mme Borne.

Ce rapport comprend nécessairement des angles morts. Par exemple, nous n'avons pas accordé beaucoup de place à la santé sexuelle et reproductive, sujet très important, auquel de nombreux rapports précédents ont été dédiés. De même, nous n'avons que peu abordé l'éducation à la santé sexuelle à l'école. Elle est fondamentale, mais elle n'est que trop peu mise en avant, du moins en France.

M. Gilles Lazimi. - Nous avons présenté nos rapports aux différents ministres à chaque fois. Quelques recommandations ont été reprises dans des lois, mais pas toutes.

Reprenons les quatre recommandations phares de ce présent document. En termes de formation initiale des étudiants en genre et santé, les études sont rares. Dans la faculté dans laquelle je travaille, nous observons une petite amélioration, grâce à des enseignements sur la prise en charge des femmes en matière de maladies cardiovasculaires, ou à quelques diplômes universitaires (DU). Les étudiants qui se spécialisent en cardiologie commencent à y être formés, mais je ne vois pas, pour l'heure, de grande évolution. Nous devons les accompagner et nous assurer que ces thèmes, comme celui des violences faites aux femmes, sont bien abordés dans les facultés. S'il n'y a pas de question d'internat ou d'évaluation réelle de ce qui se fait dans ces établissements, une éventuelle amélioration de la situation demandera un temps fou. Malgré les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS), nous constatons en effet que bon nombre d'étudiants ne reçoivent pas de formation sur les violences.

Pour suivre les recommandations, nous avons besoin de moyens. Je vous indiquais plus tôt que le HCE ne comptait que des bénévoles, et trois chargés de mission. Ce n'est pas suffisant. Mes collègues, lorsque je les interroge, me font part d'un manque de budgets pour traiter les problématiques cardiovasculaires dans les études liées aux femmes.

Il en va de même de la formation médicale continue. Là aussi, pour tous les sujets importants tels que le genre et la santé, les violences ou les inégalités sociales, les formations à destination des professionnels médicaux libéraux ne durent que trois jours par an. Elles ne sont en outre pas obligatoires, bien qu'elles devraient l'être.

Si nous voulons améliorer l'accompagnement et la prise en charge des violences, lutter contre les inégalités sociales de santé, montrer aux médecins à quel point nous sommes pétris de stéréotypes, nous avons besoin de nous déconstruire. Pour ce faire, nous aurons besoin de créer une chaire, de nommer des enseignants sur ces sujets, de participer à des études. En effet, si nous commençons à voir quelques thèses de médecine générale sur les violences gynécologiques - ce qui reste tout de même insuffisant -, il n'y a rien en matière de genre et santé, si ce n'est des études sur la transidentité. Sans indication claire et ferme du ministère, des universités, de la recherche et de la santé, le sujet ne se mettra pas en place.

Dans les années 1990, lors de la mise en place des traitements de substitution pour les patients toxicomanes, rien n'était fait. À un moment donné, le ministre de la santé a annoncé que seraient organisées des formations prises en charge avec la Direction générale de la santé (DGS). Ainsi, les médecins pouvaient se former. Des professionnels ont été nommés dans toutes les provinces pour former leurs collègues. Ces démarches actives ne demandent pas seulement d'agir mais également de s'assurer de leurs mises en place, et d'y associer les moyens nécessaires. Nous attendons toujours la chaire en « genre et santé ».

Concernant les femmes précaires, là aussi, lorsque nous constatons le non-recours aux prises en charge et le fait qu'elles sont les premières touchées par la précarité, nous devons travailler, notamment sur la médecine du travail. Nous l'avons déjà dit en 2017, les critères de pénibilité ne sont pas adaptés aux femmes. Les temps de transport ne sont pas pris en charge dans la journée. C'est incroyable. Les risques psychosociaux ne sont, en outre, pas reconnus comme des maladies professionnelles. Là aussi, les critères doivent être revus. Nous le demandons depuis 2017. Quant à parler de la parité et de la rémunération, nous n'y sommes, là aussi, pas encore. Sans position volontariste et sans pénalités financières vers toutes les institutions, associations ou entreprises, nous n'y parviendrons pas.

S'agissant de la lutte contre les stéréotypes, notre rapport sur l'éducation à la sexualité montre que près de 60 % des établissements ne mettent toujours pas en oeuvre les actions prévues.

Mme Catherine Vidal. - J'ajouterai que nous pouvons saluer l'initiative de Nathalie Bajos, éminente chercheuse en sociologie et en santé. Elle a récemment créé un vaste groupe de recherche associant des médecins, des chercheurs, des sociologues, des spécialistes en épidémiologie et en santé publique afin d'étudier comment se forgent les inégalités de santé, de la naissance à la sénescence. Ce projet, intitulé Gendhi (Gender and Health Inequalities), a été sélectionné parmi plusieurs centaines, et est financé par l'Europe à hauteur, je crois, de 10 millions d'euros pour six ans. Ce budget rend possible de financer des thèses de doctorants, d'inviter des post-doctorants dans des laboratoires, d'organiser des collaborations internationales et des colloques. Ce programme de recherche est superbement mené par l'équipe de Nathalie Bajos grâce à un financement européen. On ne peut que souhaiter que se manifeste en France une volonté réelle de soutenir ces thématiques de recherche. Nous l'avons vu, c'est la pluridisciplinarité qui importe pour aborder les recherches en santé. La santé n'est pas qu'une affaire de biologie, loin de là. Elle est d'abord et avant tout une affaire de société. Un effort de soutien financier est attendu des instances dirigeantes.

M. Gilles Lazimi. - S'agissant du combat contre les stéréotypes et de la violence médicale, il a été annoncé que des cellules seraient mises en place dans les universités pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Nous ne disposons pas, aujourd'hui, d'études quant à leur réelle mise en place. Il serait pourtant de bon ton que nous ayons des informations.

La lutte contre les inégalités est nécessaire en médecine. Deux étudiantes, Sara Eudeline et Amélie Jouault, ont réalisé une étude auprès de 2 000 internes en médecine générale, les interrogeant sur ce qu'ils pouvaient vivre. 40 % des répondants déclarent du harcèlement moral, 18 % du harcèlement sexuel - soit un cinquième de la promotion -, et 62 % déclarent des discriminations, majoritairement liées à leur genre ou à leur apparence. Nous avons ainsi un travail important à réaliser auprès des enseignants et des étudiants. Cela interviendra dans la prise en charge des femmes, et des femmes victimes de violences. J'ai dirigé une étude de Valérie Auslender, ayant mené à la parution du livre Omerta. Elle montrait que les étudiants vivaient des discriminations et des violences, qu'ils voyaient des femmes victimes de violences, et que la prise en charge n'était absolument pas adéquate. Nous devons travailler sur tous ces champs. Ces cellules doivent être mises en place pour changer les choses.

On parle de féminisation du corps médical, et tant mieux. Pour autant, le nombre de postes de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) et de chefs de service reste majoritairement masculin. Cela doit évoluer.

Enfin, tant que les cellules de violences sexistes et sexuelles ne se mettront pas en place, les ambiances sexistes et les agressions ne cesseront pas dans ces services. Lorsqu'elles prendront fin, la prise en charge de ces femmes s'améliorera elle aussi.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Nous avons bien conscience que le sujet sur lequel nous avons décidé de travailler - la santé des femmes - n'est pas vierge. Avant nous, d'autres ont travaillé et travaillent encore parallèlement. La délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale vous a peut-être déjà auditionnés, ou va le faire. Elle travaille aussi sur ce sujet.

Au Sénat, depuis le rapport sur la pornographie, nous avons pris goût au fait de porter des sujets jusqu'alors ignorés, qui peuvent faire l'objet d'un fort retentissement médiatique. Qu'est-ce qui, aujourd'hui, vous semble n'avoir pas été suffisamment exploité, et vous paraît étudiable de notre part ? Je rappelle que nous ne sommes pas un centre de recherche. Nous n'avons pas d'échantillons sur lesquels travailler.

Je pense notamment à la dimension intersectionnelle des questions de santé. Je pourrais citer les sujets « femmes et migrantes », « femmes et handicap », ou autres. Ce ne sont pas des niches, à mes yeux, mais bien des dimensions du sujet.

Par ailleurs, qu'est-ce qui a été fait et étudié sur le genre et la santé mentale ? Comment les questions de genre, sexe et santé se percutent-elles ? Le sexe et le genre sont aujourd'hui étudiés selon des approches dissociées. Où classons-nous, en matière de santé, une personne transgenre ? Est-elle classée dans son genre ou dans son sexe ? Comment étudions-nous la médicalisation de la transidentité ? Je ne suis pas sûre que nous nous orientions sur ce sujet, mais il reste dans le débat. Votre point de vue m'intéresse. Dans les questions de santé sexuelle et reproductive, comment identifions-nous les dissonances de sexe biologique, de naissance, et de genre ?

Mme Catherine Vidal. - Quand on parle d'aspects intersectionnels, il s'agit d'essayer d'élargir la compréhension des questions de santé dans le cadre médical et biologique, mais aussi social, culturel, économique, avec des données permettant aussi de mesurer plus précisément les aspects liés à l'appartenance ethnique ou au handicap. Nous devons pouvoir mener des études épidémiologiques et des enquêtes sur le terrain intégrant tous ces paramètres pour enrichir nos connaissances. C'est l'objectif du groupe de Nathalie Bajos, en attribuant un rôle extrêmement important aux enquêtes démographiques, économiques et sociologiques, alliées aux recherches cliniques et biomédicales. C'est une approche pluridisciplinaire, qui demande des moyens pour sa réalisation.

Concernant la santé mentale, nous savons à quel point la situation de la psychiatrie est alarmante dans la clinique et la recherche. En tant que neurobiologiste, j'ai l'expérience de la rigueur nécessaire pour mener des études qui s'appuient sur des données suffisamment robustes avec des échantillons homogènes d'individus et des groupes témoins permettant les comparaisons. Un suivi des personnes est également nécessaire car les états mentaux évoluent dans le temps. Mettre en oeuvre des études de cet ordre nécessite des moyens importants qui font cruellement défaut dans tous les domaines de la psychiatrie.

J'ai évoqué dans le rapport le sujet des troubles dépressifs, également très hétérogènes. C'est grâce à des coopérations et des études internationales que nous pourrons mieux les comprendre. J'insistais tout à l'heure sur les facteurs de risques liés à la situation économique. Le fait de disposer de données portant sur des échantillons de milliers de personnes, avec des traitements statistiques très performants, est nouveau. Des études remarquables ont montré des corrélations fortes entre les modes de vie et les troubles dépressifs.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Considère-t-on que le suicide est une question de santé ?

Mme Catherine Vidal. - Oui.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Des analyses genrées ont-elles été menées sur le sujet ?

Mme Catherine Vidal. - Oui, notamment aux États-Unis et au Canada. Ces études sont souvent très contradictoires. On aurait parfois tendance à associer la dépression majeure - sans citer les cas de schizophrénie ou de troubles bipolaires - à des comportements suicidaires. Pour autant, le suicide n'est pas uniquement lié à une pathologie mentale. Il faut faire très attention à ne pas assimiler les deux. Des spécialistes débattent de ces questions depuis longtemps, les recherches progressent. Lorsque l'on a peu de données, on a tendance à adopter des raisonnements un peu simples et réducteurs. Si nos connaissances s'enrichissent, des nuances sont possibles et nous permettent de progresser dans nos connaissances. Ces sujets sont extrêmement complexes.

Concernant les personnes transgenres, nous ne disposons que de très peu de données sur les conditions d'accès aux soins et de prise en charge médicale, y compris au niveau international. Ces populations sont extrêmement diverses selon les contextes de vie et leur prises en charge médicale, Recueillir des données solides prendra du temps. Des recherches sont en cours.

Je fais partie d'un groupe international, NeuroGenderings, qui s'intéresse aux recherches en neuroscience, y compris en santé mentale, en lien avec le sexe et le genre. Les questions de transidentité font partie de nos réflexions. Des étudiants en doctorat y travaillent. Ces thématiques sont encore peu abordées.

M. Gilles Lazimi. - Nous avons mené des études montrant très clairement que les femmes migrantes subissaient plus de violences au pays, sur le trajet, mais aussi en France, notamment de la part de l'hébergeur. Nous disposons également de multiples études sur la santé, montrant que leur santé est beaucoup moins bonne et que les programmes de prévention bénéficient davantage aux personnes qui en ont le moins besoin. Elles ne s'adressent pas à ces femmes avec les bons outils et les bons moyens. On s'appuie sur une fameuse égalité, alors que nous avons besoin d'équité. Nous devons en faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin. En l'occurrence, lorsqu'on s'intéresse au suivi des femmes en termes de prévention du cancer du col de l'utérus, de vaccination ou de mammographies, on s'aperçoit que les femmes migrantes, mais aussi leurs filles, accèdent à un plus faible nombre de dépistages que des personnes françaises depuis plus longtemps.

Sur la santé mentale, l'étude mentionnée par Catherine Vidal illustre la multitude de déterminants de santé. L'action des médecins est une chose, mais celle de la société occupe une place encore plus importante. Avoir un travail, un logement, de l'électricité, améliore considérablement la santé des individus. Si nous nous référons aux travaux réalisés par le HCE sur les femmes et les métiers du soin, ou ceux qui ont persisté pendant le confinement dû au Covid, nous constatons que leur état de santé s'est aggravé. Là aussi, nous avons beaucoup à faire.

Mme Marie-Pierre Monier. - Merci pour cet exposé très intéressant.

Vous avez parlé de diagnostic tardif, en mettant surtout l'accent sur l'autisme, les maladies cardiovasculaires et la dépression. Existe-t-il d'autres maladies pour lesquelles ce diagnostic est tardif ? Comment l'expliquez-vous ?

Dans vos recommandations, vous préconisiez aussi de favoriser la parité dans l'accès aux postes à responsabilités. Monsieur, vous avez évoqué une grande féminisation du métier. Disposez-vous des chiffres sur le nombre de femmes médecins ?

M. Gilles Lazimi. - Je pourrai vous transmettre le rapport du HCE dans lequel nous avons listé le nombre de chefs de cliniques, de praticiens hospitaliers et de chefs de service.

Mme Marie-Pierre Monier. - Vous parlez de plafond de verre et d'accès aux postes à responsabilités. Il me semble que les médecins généralistes se féminisent et que nous devrions donc pallier les inégalités en matière d'accès aux soins.

M. Gilles Lazimi. - La féminisation ne suffit pas. Nous avons également besoin d'une formation, puisqu'on ne sait faire que ce qu'on nous a appris.

Mme Marie-Pierre Monier. - D'accord. Nous sommes en plein projet de loi de finances. Des recommandations importantes de votre rapport, dans le domaine législatif, n'ont-elles pas encore été reprises ?

Mme Catherine Vidal. - Les diagnostics tardifs s'expliquent, entre autre, par les stéréotypes et les représentations sociales sur les maladies qualifiées de masculines ou féminines. Ainsi les maladies cardiovasculaires sont sous-diagnostiquées chez les femmes, et l'ostéoporose l'est chez les hommes. Ce sont des pathologies handicapantes et très coûteuses en termes de prise en charge. Des actions de prévention et de sensibilisation sont primordiales. Cela demande une volonté politique.

Mme Victoire Jasmin. - Merci pour vos réponses. Nous avons, la Présidente et moi-même, rencontré récemment des femmes d'une association de la Police nationale. Elles nous ont parlé des difficultés qu'elles rencontrent. Elles sont liées à la non-prise en compte de leurs compétences, mais aussi aux risques professionnels liés à leur équipement non adapté, ainsi qu'à la durée de certaines de leurs tâches. Faire une planque est facile pour un homme. Cela l'est moins pour une femme ayant ses règles, pouvant souffrir d'endométriose, devant se changer... Elles nous ont également fait part de problèmes en matière de promotion.

Je remercie Laurence Cohen d'avoir abordé les outre-mer. Vos budgets ne vous permettent pas de vous y déplacer. C'est dommage.

Concernant l'activité physique, nous avons réalisé en 2018 un rapport sur la pratique du football par les femmes. Nous avons constaté de très grandes disparités dans leur prise en compte. Par exemple, les équipements ne sont pas faits pour les femmes elles-mêmes. Celles qui veulent pratiquer ce sport sont complètement exclues. Lorsqu'elles parviennent à s'imposer, elles n'ont pas d'espace pour leurs entraînements, ne disposent pas de vestiaires adaptés. La société a construit un monde pour les hommes plus que pour les femmes. Certaines arrivent à s'y faire, mais c'est très compliqué. Parmi les recommandations de notre rapport, un certain nombre d'éléments peuvent étayer ces arguments.

Enfin, s'agissant des femmes en situation de précarité, l'alimentation pourrait avoir un rôle à jouer. J'ai eu l'occasion de lire que les femmes ayant un appauvrissement de la qualité de leur alimentation étaient parfois obligées de compenser avec des probiotiques pour que leurs pathologies mentales soient prises en compte et traitées. Ainsi, existe-t-il un lien entre santé mentale et alimentation ?

Mme Catherine Vidal. - Vous évoquez la pénibilité au travail des femmes dans la police et l'absence de prise en compte de leurs maladies professionnelles. Un gros effort doit être réalisé dans ce domaine. Il en va de même en matière d'activités sportives. Dans nos discussions sur la santé des femmes, on en revient toujours à des questions de société, donc à des questions économiques et politiques.

Enfin, j'aurai beaucoup de réserves sur votre dernière question sur l'alimentation. Pour faire des liens avec la santé mentale, il faut des sources solides et fiables. Tant que nous ne disposons pas de ces sources, nous ne pouvons pas nous prononcer.

M. Gilles Lazimi. - Des études très précises portent sur le lien entre les vitamines et certaines pathologies particulières et troubles cognitifs. Je ne m'avancerai pas sur les probiotiques, puisque je ne dispose pas d'études à ce sujet.

Ensuite, la Commission « Santé » du HCE travaille sur l'évaluation des centres régionaux de prise en charge des psycho-traumatismes. Nous attendons toujours d'un département ultramarin qu'il prenne contact avec nous pour nous indiquer ce qu'il met en place, par exemple. Là aussi, l'absence de réponse nous peine.

Nous allons par ailleurs essayer de dresser un état des lieux sur la contraception masculine. Rien n'avance à ce sujet. Il en va de même avec la prise en charge des douleurs menstruelles. Je ne sais plus qui disait que si les hommes avaient leurs règles, le problème serait réglé depuis longtemps. Je pense que c'est vrai.

Des lois sont essentielles. C'est par exemple le cas du remboursement intégral des contraceptifs pour les jeunes femmes jusqu'à l'âge de 25 ans. Nous devons nous intéresser à la réalité de la prescription gratuite.

Enfin, nous demandons toujours le remboursement des préservatifs féminins, alors que les préservatifs masculins sont pris en charge. Les premiers sont importants, car ils permettent aux femmes d'imposer le préservatif.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - L'un est considéré comme un dispositif de protection contre les infections sexuellement transmissibles (IST), et l'autre comme un contraceptif.

M. Gilles Lazimi. - Les deux types de préservatifs protègent des IST. Le dispositif féminin constitue un outil pour la femme, qui peut le mettre une heure avant le rapport. C'est très important, mais il n'est toujours pas remboursé.

Ensuite, le danger que nous voyons poindre dans de nombreux États du monde sur l'IVG nous pousse à penser que la constitutionnalisation de ce droit est indispensable, cela fait partie des recommandations du HCE. Nous pensons qu'il s'agit d'une sécurité incontournable.

Enfin, concernant l'interruption médicale de grossesse (IMG), les associations et nous-mêmes incitons à la vigilance. Ces interventions peuvent être réalisées pour cause foetale ou maternelle. Pour les premières, le jury est constitué d'un médecin du centre de diagnostic prénatal qui jugera, avec d'autres professionnels, de la réalisation de l'IMG. Pour les secondes, qui peuvent être psychosociales, le jury peut être constitué d'un médecin désigné par la patiente, d'un gynécologue, mais aussi d'un médecin du centre de diagnostic prénatal. Cela pose problème, puisque ce ne sont pas des raisons médicales qui sont ici en cause, mais bien la détresse psychosociale de la patiente. Ainsi, il pourrait être pertinent de revoir les membres du jury.

Mme Victoire Jasmin. - Je n'ai pas très bien compris votre appel aux territoires ultramarins.

M. Gilles Lazimi. - Un financement a été accordé à un centre régional de prise en charge des psycho-traumatismes dans un département ultramarin. Nous avons convoqué ses responsables pour savoir ce qui y a été fait. Nous attendons toujours leur retour.

Mme Victoire Jasmin. - Je ne sais pas de quel territoire il s'agit. Dans le rapport de la délégation aux outre-mer concernant les risques naturels majeurs, en 2018, nous avons demandé une réelle prise en compte des psycho-traumatismes. Un premier point d'étape a été dressé le 7 juillet 2022 avec la Direction générale des outre-mer (DGOM). Il y a un mois environ, un autre bilan d'étape a fait suite à la tempête Fiona, qui a essentiellement touché la Guadeloupe. Dans le communiqué de presse de la délégation, nous avons explicitement réitéré notre demande de prise en charge des psycho-traumatismes dans un centre régional.

Je ne sais pas quel département vous évoquiez. J'essaierai de me renseigner.

M. Gilles Lazimi. - Nous essaierons d'obtenir des informations. Nous pourrons en discuter ensemble.

Enfin, pour la première fois au congrès de médecine générale en France, une séance plénière se tiendra sur le genre et la santé au mois de mars.

Mme Catherine Vidal. - Je terminerai cette audition en vous parlant des activités du groupe de travail « genre et recherche en santé », que je co-anime au sein du comité d'éthique de l'Inserm. Nous avons créé ce groupe en 2013, et depuis nos réflexions sur la prise en compte du genre dans les recherches ont un écho grandissant. Nous avons publié des rapports et guides de recommandations pratiques qui concernent la recherche clinique et biomédicale, mais aussi les sciences humaines et sociales et la santé publique. L'Inserm a organisé en 2017 le premier grand colloque international sur ces questions. La position de la France dans ce domaine est en progrès. Au comité d'éthique, nous avons également réalisé une série de clips vidéo intitulée « Genre et Santé : attention aux clichés ! » disponibles sur YouTube. Ils s'avèrent particulièrement utiles pour sensibiliser le grand public, et aussi les professionnels de santé et les étudiants.

Notre dernier rapport concerne les problèmes éthiques posés par les applications numériques de suivi menstruel à but de contraception et de conception. Il en existe des milliers, accessibles sur smartphones. Ces applications sont utilisées par des centaines de millions de femmes dans le monde. Elles sont éditées par des sociétés privées, qui en majorité utilisent la méthode Ogino en version numérique pour prédire les dates d'ovulation et les périodes de fertilité. Or cette méthode de prédiction est unanimement reconnue par le corps médical comme non fiable. De plus, la protection des données personnelles renseignées dans ces applications n'est pas garantie. Ces questions d'ordre éthique se doivent d'être mises à jour et débattues au plus haut niveau.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour ces interventions au titre du HCE. Elles vont éclairer nos quatre co-rapporteures qui vous ont interrogés ce matin. Nous n'avons pas identifié totalement d'angle mort ou de niche, mais certains sujets méritent peut-être qu'on s'y attelle. J'ai notamment repéré ceux de la santé des femmes et du travail, mais aussi la santé des femmes et les familles monoparentales. Dans le travail, nous voyons émerger l'organisation du temps personnel, professionnel et de trajet.

Nous avons également abordé le sujet de l'accès aux soins lorsque nous avons travaillé sur le thème « femmes et ruralités », avec le déficit de gynécologie médicale dans les territoires ruraux, qui s'accompagne d'une absence de prévention, de traitements et d'information.

Les inégalités socioéconomiques sont souvent revenues dans vos propos liminaires, avec l'impact qu'elles peuvent avoir.

Vous avez mentionné à plusieurs reprises la santé mentale et la dépression, qui touche deux fois plus de femmes que d'hommes. Il reviendra à nos quatre co-rapporteures de s'imprégner de cette audition pour cibler leurs sujets d'étude : santé, travail, familles monoparentales et organisation dans la société actuelle. Nous le savons, les femmes occupent plus souvent des postes à temps partiel, avec des temps hachés rendant difficile leur quotidien.

Nous allons avancer grâce à votre présentation.