Jeudi 8 décembre 2022

- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Présentation des travaux des élèves de l'INET : « Les collectivités territoriales face à la transition environnementale : 36 territoires visités, débat avec de grands témoins sur les bonnes pratiques »

Mme Françoise Gatel, présidente. - Bonjour à tous. Je salue tous mes collègues présents. Je tiens à vous dire le réel plaisir de cette séquence particulière, qui illustre et concrétise le partenariat entre l'INET et le Sénat. Je crois beaucoup à la porosité des frontières, dans la mesure où l'action publique nécessite beaucoup d'intelligence, de volonté, de travail collaboratif et de compréhension entre la fonction d'État, ceux qui fabriquent la loi, comme nous, et vous. Plus on se connaît, mieux on s'apprécie et mieux on comprend le spectre de ceux avec qui nous sommes amenés à dialoguer.

C'est donc une grande joie que ce partenariat avec l'INET, car vous serez, aujourd'hui ou demain, les cadres supérieurs des collectivités territoriales. Vous aurez peut-être à subir nos oeuvres, tandis que nous avons à prendre conscience de l'univers qui est le vôtre. Sur ce point, j'ouvrirai rapidement une parenthèse. Hier, au titre de la commission des lois, nous rendions un rapport sur la métropole de Marseille. Nous avons bien constaté, dans cette mission, la nécessité de permettre aux élus locaux de construire leur projet et d'avancer. Parfois, il convient que l'État encourage, facilite et accompagne cette marche territoriale, au milieu de laquelle, vous, les fonctionnaires, êtes placés.

Le sujet qui vous a été proposé porte sur l'un des projets collectifs associés à votre formation. Vous êtes allés à la rencontre de nombreux territoires, différents et variés, dont je salue quelques éminents représentants, dont notre ancien collègue de Sète.

Cette idée, adossée à un sujet attractif, à savoir l'intégration de la préoccupation environnementale dans la conception des politiques des collectivités, a suscité votre intérêt. Je pense que la transition écologique reposera sans aucun doute sur une volonté nationale affirmée, mais elle ne pourra se faire très concrètement que par une action forte, déterminée et persévérante de nos territoires. Vous permettez ainsi d'irriguer nos travaux de ce souci d'opérationnalité. Entre la pensée et l'action, il est nécessaire de croiser les regards.

Vous avez donc passé trois mois au sein de la délégation, et je remercie Marc Le Dorh et toute son équipe pour leur accueil chaleureux et attentif. Surtout, vous avez arpenté la France. C'est une richesse pour cette chambre, la chambre des territoires, car vous portiez un regard neuf et d'étonnement, qui nous est parfois utilement disruptif. Vous allez nous exposer vos travaux.

Il est important que cette séquence soit la plus interactive possible. Je suis donc à la fois heureuse que les collègues puissent saluer votre travail, mais aussi échanger avec vous. Nous parlerons sans doute d'approches budgétaires, de la participation des citoyens - enjeu majeur, bien au-delà de la transition écologique, et de l'évaluation. Pour nous, ici à la délégation et ailleurs au Sénat, l'évaluation est une obsession. Tout cela sera accompagné du témoignage d'un acteur de terrain, qui peut être un élu ou un fonctionnaire. Cette forme privilégiera donc le débat. Dès lors, je ne vais guère m'attarder. C'est en tous cas un temps de préparation original, car c'est la première fois que nous le faisons. Il promet aussi d'être extrêmement utile pour les travaux que nos collègues Guy Benarroche, Laurent Burgoa et Pascal Martin entameront à partir du printemps prochain. Merci beaucoup.

Alban-Barry Benamran va commencer par une courte introduction.

M. Alban-Barry Benamran, élève-fonctionnaire de l'Institut national des études territoriales. - Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames, Messieurs, vous êtes donc en présence ce matin des quatre membres accueillis par le Sénat du projet collectif de l'Institut national des études territoriales (l'INET), qui est, comme vous l'avez dit, l'organisme de formation des futurs cadres supérieurs des collectivités locales.

Débutée le 10 octobre dernier, notre mission s'achève aujourd'hui par ce temps de restitution finale de nos travaux. L'objet de notre mission était d'explorer l'intégration de la préoccupation environnementale dans la conception des politiques publiques des collectivités territoriales. Nous nous sommes intéressés aux bonnes pratiques mises en oeuvre localement pour nourrir notre propre réflexion et nous tenons à adresser nos sincères remerciements, d'abord à vous, Madame la Présidente, ainsi qu'aux services du Sénat, pour la qualité de votre accueil, ainsi que pour votre accompagnement, tout au long de cette mission.

Avant d'entrer plus avant dans l'exposé liminaire de cette restitution, nous allons très brièvement nous présenter. À cette fin, j'invite mes collègues à engager ce tour de présentation.

Mme Audrey Scoffoni, élève-fonctionnaire de l'Institut national des études territoriales. - Je suis élève ingénieure en chef. J'ai travaillé précédemment 18 ans en collectivités territoriales, dans différentes strates, avec un détachement à l'État, et avec comme fil conducteur la transition écologique, dans laquelle j'ai toujours travaillé.

M. Steve Decamme, élève-fonctionnaire de l'Institut national des études territoriales. - Je suis élève conservateur territorial de bibliothèque. Dernièrement Directeur de bibliothèque, mes points d'entrée pratiques dans la transition écologique sont l'accompagnement du patrimoine bâti dans les enjeux de transition et, bien sûr, la médiation de la transition écologique pour rendre appétents les citoyens dans la pratique de la citoyenneté.

M. Benjamin Maccioni, élève-fonctionnaire de l'Institut national des études territoriales. - J'ai eu une première partie de carrière dédiée à l'international, sur de l'événementiel avant un retour en France en tant que coordinateur du secrétariat français de l'UNESCO. Depuis une petite dizaine d'années, je suis au service des territoires (communes, communautés de communes et aujourd'hui communautés d'agglomérations) sur les thématiques marketing, développement local et attractivité.

M. Alban-Barry Benamran. - Pour ma part, je suis élève administrateur. J'ai reçu une formation académique à Sciences Po Paris, à la Sorbonne et au King's College de Londres. J'ai suivi également une préparation à l'ENA avant d'intégrer l'INET. J'ai connu plusieurs expériences professionnelles au sein d'administrations centrales de l'État, au travers de différents stages, avec une expérience de chargé de mission au sein du cabinet du maire de Lyon avant d'intégrer l'INET.

Nous allons à présent vous présenter les différents objectifs qui ont été poursuivis par notre mission. D'une part, nous avons souhaité proposer une réflexion ancrée dans des enjeux concrets pour les collectivités locales. D'autre part, nous avons tenu à élaborer une cartographie des initiatives notables en matière de transition environnementale, ainsi qu'un guide pratique susceptible d'intéresser tant l'élu local que le cadre d'administration territoriale. Un autre objectif que nous avons poursuivi a consisté à porter à votre attention toute la diversité des approches politiques et géographiques des territoires en France sur ces sujets. Nos travaux se sont nourris de différents rapports antérieurs. Nous ne partions pas d'une page blanche. Nous nous sommes notamment appuyés sur les travaux de France Stratégie, en particulier sur son rapport publié en mai 2022, sur les travaux de votre délégation, notamment les rapports d'information portant sur la démocratie implicative et l'État territorial, qui ont pu être des sources d'inspiration pour nous. Enfin, les travaux de l'ANCT et de l'ADEME ont aussi pu enrichir notre réflexion collective.

Nous avons rencontré 36 collectivités locales, pour un total de près de cinquante entretiens dans les deux mois et demi de cette mission. Nous avons mis un point d'honneur à restituer le plus fidèlement possible la complexité de l'action publique locale de transition, élus locaux et cadres administratifs, collectivités urbaines comme rurales, de strate communale, intercommunale, départementale ou régionale, de sensibilité politique multiple. Notre panel répond à une exigence de représentation des différentes traductions de la transition écologique au niveau local. Nous tenons à cet égard à remercier Messieurs les Sénateurs Burgoa, Benarroche et Martin, qui ont accepté de jouer le jeu de la discussion avec nous, dans le cadre de notre mission.

Notre rapport retracera le grand nombre de thèmes associés à la transition environnementale, eu égard aux territoires que nous avons abordés lors de nos déplacements et entretiens. Ce matin, nous avons fait le choix de concentrer les débats sur trois thèmes, lors de trois séquences de trente minutes chacune, premièrement la vision budgétaire et financière de la transition, deuxièmement la relation entre démocratie implicative (concept issu des travaux de votre délégation, Madame la Présidente) et transition environnementale, troisièmement le rôle de l'évaluation territoriale des actions de transition.

Sans plus attendre, je cède à présent la parole à Benjamin, qui va vous présenter notre premier champ d'exploration de la matinée, sur la thématique « budget et finance ».

M. Benjamin Maccioni. - Nous avons souhaité introduire ces trois tables rondes par une citation de Jean Monnet : « Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ne voient la nécessité que dans la crise. ». Cette phrase n'est pas totalement vraie, puisque nous avons pu voir et constater toute l'intelligence d'action qui était développée dans les territoires. C'est justement tout l'intérêt de ces trois tables rondes, de pouvoir illustrer l'audace qui a pu être mise en avant par ce tour du territoire.

Tout d'abord, cette première table ronde tournera autour d'une question : est-ce que l'approche budgétaire traditionnelle est devenue obsolète ? À l'image des 36 collectivités que nous avons rencontrées, les territoires jouent un rôle majeur dans la mise en oeuvre de la transition environnementale. Or, elles n'ont pas toujours les moyens pour agir. La conviction que nous avons pu développer dans ces échanges, c'est que l'approche budgétaire traditionnelle touche à ses limites face à l'ampleur, aujourd'hui nouvelle, des enjeux. Elus et DGS, interrogés, posent la question de l'obsolescence de l'approche actuelle et du besoin d'une vision nouvelle.

Tout d'abord, quelques constats : premièrement, les budgets des collectivités sont morcelés par direction et service, sans budget transverse autour de la transition environnementale identifiée. Les financements sont en silos. Cette captation induit en miroir une gestion budgétaire sectorielle compartimentée. La budgétisation environnementale est rare, sauf là où l'ingénierie le permet, dans les grandes strates (métropole, département ou région). Aujourd'hui, force est de constater sur l'ensemble des territoires qu'il n'existe pas à l'heure actuelle de process financier valorisant pour permettre de bonifier les collectivités investissant dans la transition environnementale. Il y a aussi une absence d'anticipation, de manière globale, face au verdissement des portefeuilles bancaires permettant, à court terme, des prêts et emprunts à taux bonifiés. Enfin, de manière générale, il est clair que la soutenabilité est vécue comme punitive, au lieu d'être vertueuse et bonifiée, pour l'ensemble des administrations et des collectivités.

Quelles sont les bonnes pratiques budgétaires de terrain issues de ce tour de France des territoires ? Vous retrouverez dans notre rapport écrit plusieurs situations dans lesquelles les collectivités ont fait preuve d'audace et d'ambition au quotidien, pour financer leurs projets de transition. Ce matin, nous avons décidé de n'en mettre que quatre en lumière, justement liées d'amont en aval au process budgétaire.

Premier constat sur ces bonnes pratiques, il existe justement une refonte des budgets au profit de la création de budgets verts, pour penser les investissements dès leur création, avec le prisme de leur impact sur l'environnement.

La deuxième bonne pratique constatée est la définition de critères environnementaux forts dans le processus de commande et d'achat public, pour favoriser et accompagner les entreprises ayant elles aussi fait le choix de cette dynamique.

Troisième bonne pratique, il existe désormais une véritable sensibilisation et une formation des agents, notamment des agents des directions finance, qui étaient jusqu'à présent considérés simplement comme des personnes ressources.

Enfin, quatrième bonne pratique, la présence dans les collectivités et les administrations de nouvelles compétences, comme celle d'économes de flux, justement pour permettre de générer de nouvelles recettes par les économies d'énergie ou grâce à de nouvelles formes de ressources financières issues de la production d'énergie.

Pourquoi vouloir déployer ces bonnes pratiques à plus large échelle ? L'objectif est justement de pouvoir développer des boucles vertueuses, autour de la transition environnementale et de leur territoire. La crise énergétique renforce encore plus aujourd'hui ce besoin, comme nous l'a mentionné un Directeur général des services rencontrés : « aujourd'hui, dans les collectivités, nous sommes condamnés à être intelligents ».

Cette intelligence d'action, nous avons justement pu la voir à l'oeuvre sur le territoire de Sète. C'est pourquoi je passe la parole à Monsieur le Maire de Sète, Président de Sète Agglopôle Méditerranée et ancien Sénateur de l'Hérault, Monsieur François Commeinhes, qui va pouvoir illustrer ses propos autour de la question budgétaire environnementale concernant la formation, les agents ou les critères de performance environnementale de la commande publique, les nouvelles compétences mobilisées, son expérience de terrain et les innovations mises en oeuvre dans sa collectivité, pendant cinq minutes, avant d'ouvrir une parole libre pendant une vingtaine de minutes.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Cher François, cher collègue, c'est un plaisir de te retrouver. Je ne doute pas qu'à Sète l'intelligence territoriale est cultivée avec beaucoup d'ardeur et de volonté. Merci, cher François.

M. François Commeinhes, Maire de Sète et Président de Sète Agglopôle Méditerranée. - Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Madame et Messieurs les élèves de l'INET, c'est un plaisir de participer à cette réunion. Effectivement, je ne sais pas si nous sommes très intelligents dans le Midi, mais nous avons bien écouté les orientations que Jean Monnet souhaitait impulser. Nous anticipons effectivement depuis 2013 et 2014 les problématiques appelées à se présenter à nous tôt ou tard, étant donné l'évolution des conditions climatiques sur notre territoire.

En 2013 et 2014, nous avons lancé un contrat de performance énergétique par un partenariat public-privé. Ce partenariat public-privé nous a permis d'atteindre une diminution des consommations d'électricité de plus de 57 %, qui est particulièrement bienvenue. Sans cette économie, nous aurions connu en cette année 2022 une augmentation des charges d'électricité de plus de 1,4 million d'euros pour la seule ville de Sète, ville de 45 000 habitants. Nous avons aussi retenu tous les moyens à notre disposition, souvent innovants comme la thalassothermie, notre ville étant située au bord de l'eau. Nous puisons dans la Méditerranée les calories ou les frigories, en fonction de la période de l'année, pour chauffer tout un quartier qui est en cours de construction ou pour chauffer la piscine. Grâce à cela, nous avons pu maintenir la piscine ouverte. Elle est en effet chauffée grâce à la thalassothermie.

De la même façon, nous bénéficions de l'énergie produite par l'unité de valorisation énergétique, qui permet de traiter les ordures ménagères de l'ensemble du territoire de l'agglomération, soit plus de 125 000 habitants. La vapeur qui est produite nous permet de produire de l'électricité. Or, nous nous trouvons confrontés à des difficultés qui sont parfois incompréhensibles, en tant que petit élu local de province. Ainsi, dans notre projet de renouvellement de la station de valorisation énergétique, le prix de revente de l'électricité de l'ordre de 105 euros a été limité du jour au lendemain par l'État à 60 euros. Ce genre de situation pose des difficultés pour être innovants et visionnaires sur l'avenir, en essayant d'utiliser les moyens qui s'offrent nous pour économiser l'énergie. Je pourrais parler de la géothermie que nous développons actuellement ou de la taxe sur les transports que nous avons augmentée, uniquement pour pouvoir réaliser davantage de travaux sur la mobilité et la mobilité douce, en favorisant les pistes cyclables ou l'achat de vélos électriques. Nous avons aussi développé des navettes maritimes, qui permettent de se déplacer dans un environnement particulièrement privilégié. Je ne pense pas qu'il existe une solution miracle. Il faut conserver en permanence à l'esprit, dans tous nos marchés et tous nos projets, cette nécessité de protéger notre environnement. Pour cela, il faut compter des hommes particulièrement motivés. Nous avons donc créé un poste dédié à la transition écologique. Un agent s'y consacre pleinement. Il est tout particulièrement dédié à la recherche de formes de contractualisations européennes. Nous avons recruté un conseiller en économie partagée - sans faire mention de l'économie circulaire qui est notre leitmotiv au quotidien, à partir des budgets et de la pratique. Nous avons donc introduit des causes environnementales dans les budgets publics, ce qui a d'abord connu des difficultés de mise en oeuvre mais, avec volonté, nous y sommes finalement arrivés.

M. Benjamin Maccioni. - Merci. Je propose d'ouvrir une séquence de questions libres.

M. Pascal Martin. - Je tiens d'abord à remercier cette initiative originale. C'est effectivement une première d'associer des élèves de l'INET à une réflexion particulièrement d'actualité. Laurent Burgoa s'est excusé. Il ne pouvait pas être présent ce matin. Avec lui, Guy Benarroche et moi-même, nous commencerons nos travaux en début d'année prochaine. Nous avons tenu un échange avec vous, il y a quelques semaines. En étudiant la carte de la Métropole, nous avons bien noté que vous aviez pris en compte nos demandes d'aller à la recherche d'expériences, sur l'ensemble du territoire, en milieu urbain ou rural, à la montagne ou à la mer, ce qui est très satisfaisant.

J'ai une question à poser à François Commeinhes. Quel est le profil du poste dédié à la transition écologique et quelles sont ses missions, qui sont sans doute transversales ?

En outre, vous avez évoqué l'économie circulaire. Quelle est votre politique en matière de circuits courts ? Une telle orientation a-t-elle été mise en place à l'échelle de votre commune et de Sète Agglopôle ?

M. François Commeinhes. - Ce poste de transition écologique que nous avons créé est particulièrement transversal. La principale difficulté dans nos collectivités est de compter des services qui n'ont pas toujours la même vision. Ce poste agit donc comme un stimulateur de l'ensemble des services, pour mettre en permanence en avant la nécessité d'appuyer sur la transition écologique. Bien évidemment, ce poste est indispensable et est particulièrement apprécié. Grâce à lui, beaucoup de chefs de service découvrent les opportunités qui s'offrent à eux.

Mme Nadine Bellurot. - Quel est son profil ?

M. François Commeinhes. - Ce n'est pas un ingénieur. Il travaille dans l'écologie et l'aménagement du territoire, dans une vision globale, avec un état d'esprit orienté vers la transition écologique. Il est rattaché directement au DGS.

S'agissant des circuits courts, ils sont en cours de développement et d'accélération. Nous privilégions toujours les marchés de notre territoire Sète Agglopôle Méditerranée. Parfois, des difficultés réglementaires rendent compliquée l'acceptation de certaines dispositions. Je citerai le cas d'une entreprise qui a gagné un marché, mais qui était située à 80 kilomètres de la ville de Sète. Elle offrait un prix inférieur de 450 euros. En considérant son bilan carbone, ses dépenses d'énergie ou les risques liés à la mobilité, j'aurais préféré recourir à un intervenant coûtant 4 000 euros plus cher, mais situé sur le territoire. Les services des marchés n'ont pas apprécié cette position.

L'exemple le plus typique de l'économie circulaire porte sur la station de valorisation énergétique. Elle produit de la vapeur que nous vendons à une usine installée sur le port, qui transforme des oléagineux en tourteaux ou produits qui se mélangent à l'essence, pour faire du biocarburant. A partir des ordures ménagères, on produit du biocarburant. Ensuite, la station d'épuration produit des boues séchées par la vapeur provenant de l'usine de valorisation énergétique. Une fois séchées, ces boues sont placées dans un méthaniseur. C'est une économie circulaire d'envergure.

Le recyclage, le tri sélectif des ordures ménagères ou la sensibilisation dans les écoles existent aussi. Nous installons par exemple des bacs de tri et des composteurs dans les écoles, pour former les jeunes au tri sélectif et pour qu'ils entretiennent leurs petits potagers.

M. Guy Benarroche, vice-président. - Bonjour, Monsieur le Maire. Je passe mes vacances à Balaruc-les-Bains, près de Sète, où j'ai de la famille. Je sais parfaitement ce qui se passe autour de l'étang de Thau. Outre cette digression familiale, je me permettrai trois questions. La première est directement liée à la présentation assurée par l'INET, dont je les remercie. Cette question renvoie à la création, au sein de vos services, d'un poste dédié. Comme le budget et l'organisation de l'organigramme d'une commune ou d'une collectivité sont liés aux structurations des politiques menées, des postes ou des services peuvent y être créés, en fonction de votre propre organisation politique. Existe-t-il aussi un poste d'adjoint transversal parmi vos adjoints ou dans votre équipe municipale, chargé d'assurer auprès de tous les services un lien transversal dans l'organisation des services ?

M. François Commeinhes. - Il faut des hommes ou des femmes pour avancer. Deux vice-présidents sont impliqués dans l'économie circulaire, au niveau de l'aménagement du territoire ou du traitement des ordures ménagères de l'ensemble de notre territoire. Vous pourrez le constater, ces démarches permettent de maintenir des activités particulièrement dynamiques sur notre territoire, qui est à protéger. Nous vivons dans un lieu fragile, que vous connaissez bien. Vous connaissez les produits de l'étang de Thau, les huîtres de Bouzigues, les moules ou le thermalisme de Balaruc-les-Bains. Tous ont été menacés par des problématiques de pollution, dues aux bassins versants de l'ensemble de notre territoire, qui viennent se jeter dans l'étang de Thau. C'est pour cette raison que nous avons mis en place, grâce à la GEMAPI, des travaux importants qui permettent de protéger la qualité du milieu lagunaire. Ainsi, nous parvenons à lever plus de 3,6 millions d'euros de financement chaque année, qui servent à construire des bassins de rétention ou à améliorer la qualité du milieu lagunaire ou du thermalisme. Balaruc-les-Bains est ainsi la première station thermale de France, avec plus de 56 000 curistes par an.

M. Guy Benarroche, vice-président. - Ma seconde question porte sur le sujet comptable et budgétaire. Vous avez expliqué que votre marché public vous faisait perdre 4 000 euros pour en économiser 400. J'ai entendu dans la présentation que les économies n'étaient plus des économies mais des recettes, ce dont je vous remercie. C'est un point important.

Voici ma question : existe-t-il des freins qui vous empêchent d'avancer et qui sont liés à la non-prise en compte d'externalisations de budgets, qui pourraient considérer des économies comme des recettes ?

Enfin, comment arriver à une implication de vos fonctionnaires et des citoyens de votre territoire sur les politiques menées ?

M. François Commeinhes. - Les freins sont nombreux. La limitation du prix de vente de l'électricité à 60 euros est un frein majeur. Nous avions fait reposer le financement de l'usine de valorisation sur un prix de 104 ou 105 euros. La grande majorité des usines de valorisation revend à 130 euros. À 60 euros, les recettes sont divisées par deux.

Le problème est en revanche tout autre quand il est question des volontés de l'État de nous encourager à utiliser des friches industrielles ou des sites étatiques. Ainsi, la SNCF est assise sur des surfaces foncières particulièrement importantes, qui sont de véritables friches. Or, nous avons du mal à obtenir la maîtrise de ce foncier. À Sète, nous sommes coincés entre la mer, l'étang de Thau, le Lido et le massif de la Gardiole. Le foncier est rare. Nous tâchons donc de récupérer la moindre petite friche, que nous dépolluons et que nous réactivons, mais les freins sont permanents. Sans m'appesantir sur nos difficultés quotidiennes, retenez que les contraintes administratives ou réglementaires sont nombreuses pour avancer.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Pour conclure cette séquence trop courte mais extrêmement intéressante, je cède la parole à Benjamin Maccioni.

M. Benjamin Maccioni. - Pour compléter l'intervention de Monsieur Commeinhes sur la question du portage, nous avons réalisé que la transition environnementale était la plus poussée là où elle était incarnée, politiquement et administrativement. Comme l'a dit Monsieur Commeinhes, il y a un véritable apport d'une ingénierie de projet sur de la transition, mais le portage incombe avant tout au binôme élu-DGS, puisqu'il faut diffuser et percoler dans l'ensemble de l'administration et du territoire.

J'apporterai ensuite deux éléments additionnels au sujet des freins. Malgré la mise en place de critères forts dans la commande publique, il existe un besoin d'accompagnement des entreprises. En effet, comme l'a dit Monsieur Commeinhes, vous pouvez travailler sur de la valorisation locale, mais si les entreprises ne sont pas prêtes à mettre en avant un bilan carbone, alors c'est très compliqué de favoriser le tissu local. C'est alors une entreprise éloignée en termes de prix qui gagne le marché. C'est un sujet important.

Se pose aussi la question de la bonification de ces collectivités. Quid d'une DGF et d'une éco-conditionnalité, peut-être pour rendre ce cycle vertueux ? Pour l'heure, nous restons sur du volontarisme et une vision d'un élu, qui prend à bras-le-corps tous ces sujets.

M. François Commeinhes. - Benjamin Maccioni a bien souligné la nécessité d'accompagner les entreprises, pour qu'elles répondent au verdissement de la campagne publique. Elles ne sont pas nécessairement prêtes. La loi devrait donc leur laisser le temps de s'adapter à la nouvelle vision et au verdissement de l'ensemble des budgets. Les cotations des différentes dépenses devraient pouvoir évoluer.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci, cher François, pour ton accueil à nos excellents stagiaires. Tu es la preuve de l'exemplarité de la capacité des territoires et des collectivités à innover et avancer.

Je formulerai deux remarques, en matière notamment d'alimentation et d'approvisionnement dans les cantines. L'approvisionnement en circuits courts est parfois compliqué avec des petits producteurs. Or, des expériences très intéressantes de travail existent entre les associations de maires départementales et les chambres d'agriculture pour préparer des cahiers des charges qui facilitent les appels d'offres. C'est utile à la fois aux collectivités mais aussi aux producteurs, en sécurisant l'approvisionnement.

En outre, j'ai eu vent récemment d'un think tank de Jean-Yves Le Drian, le Breizh Lab. Une entreprise intéressante y a été présentée. Elle accompagne les territoires sur un budget qui n'est pas strictement comptable mais thématisé, dans une dimension de responsabilité sociétale mais aussi dans une dimension environnementale. Avec ce budget, il est possible d'exprimer factuellement l'engagement de la collectivité dans ce domaine, après avoir infusé et diffusé, car ce qui compte est bien le sujet du portage politique et de l'accompagnement qui peut être prodigué par un technicien.

Nous poursuivrons cette discussion passionnante avec nos collègues autour des mesures et de la façon de les faire connaître.

Passons à la seconde table ronde.

Mme Audrey Scoffoni. - Merci, Madame la Présidente. Je vous propose d'introduire la deuxième table ronde, qui porte sur la participation citoyenne dans la transition environnementale. Le rapport Bernard Koln de février 2022 met en évidence une récession démocratique à partir de trois constats : le progrès de l'abstention, la volatilité accrue de l'électorat et la chute du nombre d'adhérents aux partis politiques. De son côté, la transition écologique, parce qu'elle bouleverse les modes de vie, est mobilisatrice, parfois fédératrice, comme le montre le développement de projets d'énergie citoyenne, où des habitants se rassemblent pour produire ensemble de l'énergie à base de sources renouvelables, parfois suscite l'opposition telle que nous l'avons vécu avec les gilets jaunes.

Les collectivités cherchent de nouveaux modes d'expression, se voulant représentatifs et constructifs. Lors de nos auditions, ce questionnement est apparu régulièrement. Il en ressort que l'association du citoyen est conditionnée à deux points. Premier point, une incarnation politique, un élu qui porte (« sans incarnation, pas de transition ») et, deuxième point, un territoire qui y répond. L'élu ne peut pas tout. Il a besoin d'avoir des relais sur le territoire. L'enjeu des collectivités est donc d'impliquer le citoyen au coeur des politiques publiques de la transition environnementale. Cette implication citoyenne doit dépasser la simple consultation. La démocratie implicative, telle que définie dans le rapport Gatel-Houllegatte de votre délégation, pose l'ambition d'ancrer le citoyen dans la vie locale, de susciter son intérêt et son avis, de s'engager. La démocratie implicative apparaît comme condition de réussite des mutations territoriales, en embarquant les populations. Les démarches que nous avons observées sont multiples. Parfois, elles se limitent à la simple consultation obligatoire, telle qu'attendue par exemple dans les plans climat-air-énergie territoriaux. Parfois, aussi, les collectivités s'interrogent sur le comment faire. Comment faire pour éviter le greenwashing ? Comment faire pour éviter les confiscations de la parole, pour que la démocratie participative ne soit pas la dictature de ceux qui ont du temps ? Parmi les démarches innovantes que nous avons pu identifier lors de nos déplacements, nous en avons retenu cinq. A Rouen, 9 700 personnes ont été accompagnées dans le cadre d'ateliers de la COP 21 entre 2018 et 2019.A Kingersheim, les comités citoyens sont composés d'élus, de techniciens et d'habitants majoritaires en nombre. Chaque projet de consultation présenté à ce comité est précédé par une réunion publique, avec l'intervention d'un conférencier expert extérieur qui porte sur la thématique qui sera traitée. A Angers, il y a eu des consultations citoyennes numériques durant les périodes de confinement. A Mérignac, nous avons retenu la création d'un nouveau métier « ambassadeur de la transition écologique, à la rencontre des citoyens », sur la base des ambassadeurs tri qui avaient été initiés dans les années 2000, pour aller « chercher ceux que l'on ne voit jamais ».

Enfin, la démarche de La Rochelle que nous vous proposons aujourd'hui s'est illustrée lors de nos rencontres comme un modèle à la fois structuré et laissant la place à l'expérimentation. L'initiative citoyenne marche avec la responsabilité, avec notamment un comité citoyen qui construit et évalue la démarche La Rochelle Territoire Zéro Carbone (LRTZC), un citoyen siégeant au comité de pilotage et un référent démocratie participative dans l'organisation des services, autant d'actions qui concourent à réinventer notre culture professionnelle.

Monsieur Gérard Blanchard, conseiller municipal à La Rochelle et universitaire, accompagné de Madame Emilie Bout, Directrice générale des services de l'agglomération et de la ville (service mutualisé) vont vous exposer les dispositifs de démocratie participative pour la transition environnementale mise en place à La Rochelle.

M. Gérard Blanchard, conseiller municipal à La Rochelle et universitaire. - Bonjour. Merci pour l'invitation. Nous avons répondu à un appel à projets des investissements d'avenir (« territoires d'innovation »), pour mettre en place un projet mobilisant tout l'écosystème territorial. 130 acteurs se sont investis, du monde de l'entreprise, du monde associatif, du monde universitaire et des services publics, pour mettre en place 70 actions visant à inscrire notre territoire sur une trajectoire bas carbone, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2040.

Pour organiser et faire fonctionner ces acteurs, un comité de pilotage a été constitué, avec cinq acteurs majeurs. L'agglomération de La Rochelle est porteuse du marché. Les autres acteurs sont l'Université de La Rochelle, le port de commerce et l'association Atlantech, qui gère un parc technologique bas carbone. L'ensemble du pilotage est mené de façon pluri-acteurs, en nous appuyant sur le regard des scientifiques, via un Conseil scientifique très diversifié, depuis les sciences dures jusqu'aux sciences humaines et sociales. Nous avons aussi mis en place un comité citoyen. En effet, dès le départ, nous avons souhaité que les citoyens soient également présents. Nous avons constitué ce comité il y a un peu plus d'un an. Il inclut trente citoyens, à parité hommes-femmes. Il est également représentatif de notre territoire. Nous avons étudié la sociologie de notre territoire et tenu compte des classes d'âge, car le sujet est abordé différemment à 60 ans ou à 30 ans. Il affiche de surcroît une bonne représentativité des catégories socioprofessionnelles, sachant que notre territoire affiche une forte dichotomie entre les espaces ruraux et urbains, avec un littoral très urbanisé. Nous avons donc tenu compte des zones d'habitation sur le territoire.

Nous avons lancé un appel à candidatures à destination du grand public, en utilisant tous les supports de communication. Nous avons reçu 260 candidatures, avec suffisamment de candidats dans les différentes catégories identifiées. Il a donc fallu procéder à un tirage au sort. Nous n'intervenons évidemment pas directement avec l'agglomération pour accompagner le comité citoyen. Il était prévu dans l'organisation du programme qu'une association appelée l'Ifrée (Institut de formation et de recherche en éducation à l'environnement, qui est aussi spécialisé sur les questions de participation citoyenne et d'accompagnement des citoyens) accompagne ce comité, en relation avec nous.

Ce comité a pour mission de faire de l'autosaisine, sur les questions qu'il juge importantes et sur lesquelles il a envie de s'exprimer. Nous pouvons nous aussi saisir le comité citoyen sur un certain nombre de sujets. Nous l'avons fait récemment, avec deux axes que nous avons ajoutés à notre projet La Rochelle Territoire Zéro Carbone, sur l'agroécologie et sur le tourisme durable.

Surtout, nous leur avons proposé, pour assurer une implication réelle des citoyens, de désigner l'une ou l'un d'entre eux pour rejoindre le comité de pilotage. Ainsi, les citoyens participent directement aux discussions et aux prises de décision, ce qui nécessite un apprentissage réciproque, entre les représentants des institutions et les citoyens. Nous avons bénéficié d'un premier retour d'expérience et nous commençons à mesurer les attentes des citoyens sur ces questions. Les citoyens s'estiment satisfaits de participer, mais ils découvrent aussi que le temps public est assez long. Ils s'attendent à une prise de décision plus rapide. Cette découverte réciproque est un point très important, qui nous conduit à modifier dans certains cas notre façon de faire et à leur relayer des messages, pour expliquer la temporalité de la décision publique, qu'il faut respecter.

Le comité citoyen est en place depuis 18 mois. Y participer prend du temps, avec six à sept samedis dans l'année qui lui sont consacrés, bénévolement (avec remboursement des frais).

Voici ce que je pouvais dire en premier témoignage sur la question de l'action concrète du comité citoyen dans le pilotage du projet.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci pour cette présentation extrêmement intéressante, qui montre l'enjeu de l'implication. Cette implication, vous l'avez dit, Audrey, vient bousculer le mode de travail des collaborateurs des collectivités. Parfois, on peut avoir l'impression d'une ingérence du citoyen, qui vient compliquer et ralentir les démarches. Vous l'avez souligné. Ce n'est pas non plus de la démocratie participative artificielle, mais une co-construction, chacun à sa place.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Merci, Madame la Présidente. Merci d'abord aux élèves de l'INET pour leur contribution sur ces thématiques, qui sont des thématiques fondamentales. Merci à vous, Monsieur Blanchard, pour cette initiative. Ma question sera très simple. A travers ce comité citoyen, vous avez franchi deux étapes. La première a bien évidemment consisté à les associer à la réflexion. Désormais, vous allez beaucoup plus loin dans la prise de décision. Est-ce que vous envisagez, sous une forme ou une autre, d'aller encore plus loin dans la mobilisation citoyenne ? Envisagez-vous de vous orienter vers la mise en oeuvre d'actions où les citoyens s'approprieraient leur espace et leur environnement, en agissant sur la transformation ? C'est déjà arrivé par le passé, via des régies de quartier ou des initiatives de nettoyage des plages. Ainsi, les citoyens sont acteurs de la transformation. Est-ce quelque chose que vous envisagez ?

M. Gérard Blanchard. - Vous évoquez les acteurs. Je pense qu'ils sont déjà acteurs. Ils ont la possibilité de soumettre des suggestions. Nous nous plaçons ici à l'échelle du pilotage du projet. Quand il s'est agi de passer à l'action, nous avons créé une coopérative carbone. Les collectifs de citoyens y soumettent des propositions, comme des projets de plantation d'arbres, pour lesquelles des financements sont trouvés. Le pilotage est ensuite directement assuré par les citoyens.

M. Jean-Michel Houllegatte. - C'est intéressant qu'une coopérative citoyenne permette aux personnes de s'impliquer directement et concrètement. Incitez-vous à la création de ces coopératives citoyennes ?

M. Gérard Blanchard. - Oui, nous les incitons. Nous avons mis en place un certain nombre de dispositifs. Il y a par exemple la coopérative carbone. Nous participons nous-mêmes à des sociétés coopératives, qui ont pour objectif de mobiliser les citoyens autour de projets de production d'énergie renouvelable. Toute une politique qui mobilise les citoyens se met en place, en articulation avec ce que nous faisons avec La Rochelle Territoire Zéro Carbone.

Je voudrais préciser deux points supplémentaires, que je n'ai pas eu le temps de développer dans la courte présentation. En premier lieu, nous avons également mis en place avec l'Université de La Rochelle une chaire « démocratie participative ». Nous avons convoqué nos collègues universitaires pour observer ce qui se passe dans le projet et nous formuler des pistes d'amélioration et d'évolution. Il s'agit notamment de bien observer la relation qui est en train de se nouer entre les citoyens qui participent à la décision, les élus et les acteurs du territoire, qui sont porteurs de ces différentes actions.

Par ailleurs, au-delà du projet La Rochelle Territoire Zéro Carbone, une collègue qui est aussi Vice-Présidente de l'Agglomération de La Rochelle et qui est en charge de la démocratie participative, a transformé notre conseil de développement en une assemblée citoyenne. Cette assemblée compte 82 citoyens à côté du Conseil communautaire. Cette instance a vocation à avoir une action beaucoup plus générale, pas simplement centrée sur la transition énergétique. Ces expérimentations sont en cours. Pour ne rien vous cacher, nous avons aujourd'hui besoin de réarticuler tout cela, notamment bien réarticuler le rôle du comité citoyen, qui est centré sur le projet de transition énergétique écologique avec le conseil de développement. C'est d'ailleurs une question qui nous a été posée par les membres du comité citoyen, qui nous ont interpellés directement, parce qu'ils sont bien accompagnés et aussi parce qu'ils développent leur propre réflexion. Ils voient qu'il manque certaines articulations dans la gouvernance générale. Cette interpellation nous a conduits, Emilie Bout et moi-même, à déterminer comment mieux articuler ces différents dispositifs et ces différentes échelles d'intervention. Non seulement ils sont acteurs, mais en outre leur questionnement nous amène à retravailler notre propre système de gouvernance.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je salue Madame la directrice générale des services, qui nous a rejoints.

M. Pascal Martin. - J'ai une question pour Audrey. Vous avez cité des expériences de villes importantes (Angers ou Rouen) et de villes moyennes (Mérignac ou La Rochelle). La politique de participation citoyenne serait-elle plus difficile à mettre en place en milieu rural ?

J'ai ensuite une question pour Monsieur Gérard Blanchard. Dans certaines communes, les conseillers municipaux démissionnent parfois rapidement. Y a-t-il eu des défections parmi ces trente citoyens ? C'est une façon de mesurer leur motivation.

M. Guy Benarroche, vice-président. - Je souhaite revenir sur les projets mixtes d'énergie citoyenne, auxquels vous participez. Dans ce cas très particulier, vous pouvez bien entendu être à l'origine de l'initiative, mais des initiatives émergent aussi assez souvent de collectifs citoyens. Etes-vous souvent sollicités ? Avez-vous rencontré des difficultés pour mettre en place des projets de coopération avec les citoyens sur des projets de production énergétique, pour des raisons réglementaires, politiques ou financières ?

M. Gérard Blanchard. - Ma réponse à la première question sera courte. Nous avons enregistré quatre ou cinq démissions de citoyens qui, au bout d'un certain temps, réalisent l'implication nécessaire ou n'ont pas bien compris l'exercice. Nous n'avons par ailleurs retenu que 30 citoyens sur les 260 candidatures reçues, ce qui a généré beaucoup de frustration parmi ceux qui n'ont pas été pris. Nous disposons en tous cas d'une réserve de citoyens qui sont prêts à s'investir. L'association qui nous accompagne avait par ailleurs pris soin de contacter les trente personnes pour s'assurer qu'elles avaient bien compris l'exercice. Au bout d'un an et demi, nous avons compté quatre à cinq démissions.

Pour répondre à votre question sur les énergies renouvelables dans une démarche collective, le sujet constitue une difficulté sérieuse, notamment sur les projets éoliens, qui suscitent une résistance forte. Au-delà de la question de l'éolien, ce sont souvent des projets apportés par des industriels, qui s'implantent sur le territoire selon une méthodologie qui n'est pas nécessairement la plus appropriée. Récemment, nous avons pris une motion au sein de notre conseil communautaire, qui vise à décider de prendre systématiquement la maîtrise d'ouvrage sur les projets d'énergie renouvelables, notamment éoliens mais aussi photovoltaïques. Nous élaborons alors un cahier des charges en concertation avec les élus et les citoyens, en amont, en tâchant ensuite que ces projets s'inscrivent de manière préférentielle dans des logiques de boucles d'énergie partagée. Ainsi, la création de richesse à partir de la production d'énergie renouvelable peut être partagée, y compris par les citoyens. En l'occurrence, dans le contexte actuel, l'idée est de leur fournir une énergie produite localement et consommée localement, à un niveau nettement moins cher. Avant la crise, nous atteignions pratiquement une réduction de 20 % ou 25 % du tarif. Désormais, l'écart ne peut que s'accroître, puisque nous sommes en capacité de produire une énergie beaucoup moins chère localement.

Mme Emilie Bout, directrice générale des services de l'agglomération de La Rochelle. - Une question a été posée sur l'intégration des citoyens et l'encouragement à leurs actions individuelles. Dans le cadre du projet LRTZC, nous animons des rencontres écosystème qui rassemblent plus de 200 personnes, pour rendre autonomes les associations et créer des rencontres, afin que les initiatives citoyennes se déploient sur le territoire, en dehors de l'agglomération et en dehors de la ville, sans qu'il y ait nécessairement un soutien des collectivités. Nous encourageons les rencontres et la création de projets, même si nous lançons aussi des appels à projets, avec le soutien potentiel de la coopérative carbone, dans le cadre d'une réduction des émissions liées à l'action.

En tous cas, les initiatives citoyennes du territoire sont encouragées à se lancer en dehors du projet. Pour ce qui est de la production d'énergie, les contraintes actuelles génèrent des opportunités significatives. En effet, ce que nous essayions de lancer depuis quelques années devient évident et l'aspect financier termine de convaincre certains élus et territoires qui freinaient le développement des ENR coopératives.

Mme Audrey Scoffoni. - Nous avons rencontré plusieurs tailles de collectivités, de la commune de Liouc, 300 habitants, aux régions, à plusieurs millions d'habitants.

Ce n'est pas la taille qui fait la démocratie participative. Si nous vous avons présenté ces exemples, c'est parce qu'ils faisaient système et entraient aussi en collision avec les services.

Dans les plus petites communes, la démocratie se fait davantage au pas de porte. Ainsi, les représentants de la commune de Tramayes nous ont expliqué qu'ils réalisaient leurs visites avec leurs véhicules personnels. L'idée centrale de ces exemples était donc leur capacité à faire système, parfois en interaction avec les services.

M. Olivier Paccaud. - Je suis Sénateur de l'Oise. Je vois mon ami Laurent Somon, qui rencontre les mêmes problématiques que moi dans la Somme, autour de l'acceptabilité des éoliennes, avec certains territoires qui sont entourés d'éoliennes à 360 degrés. Pour rebondir sur ce qu'a dit Guy Benarroche et sur la réponse de Gérard Blanchard, il faut souligner que le citoyen veut participer quand il est écouté. De plus, il sait se mobiliser et créer des collectifs citoyens, souvent en opposition à des projets qui lui ont été imposés. Ces collectifs s'organisent alors, puis se tournent vers la justice administrative et suivent de véritables parcours du combattant. À ce titre, ce qui est proposé à La Rochelle est formidable et bien organisé, mais quand les citoyens s'organisent eux-mêmes, ils sont très souvent rejetés par la puissance publique, notamment étatique et préfectorale, malgré le soutien des collectivités concernées territorialement. Il s'agit d'un problème sérieux. Ma question sera davantage un constat qu'une question. On ne peut pas d'un côté déplorer la récession démocratique, comme l'a très bien exposée Audrey puis, lorsqu'elle s'exprime via des collectifs citoyens, lui demander de circuler.

J'apprécie vraiment ce qui est proposé à La Rochelle. Il faut trouver le moyen de le décliner à plus petite échelle et permettre au citoyen qui veut s'exprimer de le faire plus facilement que via une sorte de gymkhana judiciaire ahurissant qui aboutit politiquement à une frustration et peut dégénérer de façon inquiétante. Laurent sait très bien de quoi je veux parler.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci pour cette expression. Je crois qu'elle parle à chacun de nous. Nous avons axé le débat sur l'implication des collectivités territoriales. Or Jean-Michel Houllegatte a aussi mis en avant dans le rapport sur la démocratie implicative que la consultation ne peut pas être un simple prétexte, car elle génère alors beaucoup de frustration et de colère. Notre Dame-des-Landes en est un exemple célèbre. Nous avons fait un référendum, puis nous avons fait le contraire de ce que les gens ont demandé. Les complications ont alors été nombreuses et elles se poursuivent encore aujourd'hui, alors que l'opération avait fait l'objet de procédures très officielles, de consultations et de concertations.

Monsieur Blanchard, je vois derrière vous des affiches du Golfe du Morbihan, mon département de naissance. Je suis donc doublement intéressée par votre propos.

M. Gérard Blanchard. - Nous nous trouvons au Musée Maritime de La Rochelle. Il n'est pas surprenant de voir ces affiches derrière nous. Évidemment, je partage complètement les propos qui viennent d'être tenus. Une vraie réflexion doit effectivement être menée sur l'action publique territoriale pour travailler avec l'ensemble des élus et avec les citoyens. De notre côté, nous tâchons de reconstruire une démarche localement, notamment par rapport aux énergies renouvelables. Le rôle des citoyens est fondamental et nous essayons de l'appuyer sur plusieurs points, d'abord autour de la notion de planification de l'action publique. S'agissant de la transition énergétique, nous essayons de planifier le déploiement de dispositifs d'énergie renouvelable en discutant avec les citoyens. C'est le second point que je souhaitais évoquer, celui de la participation, de la concertation et de la discussion, qui permettent d'élaborer des cahiers des charges. Enfin, le troisième point renvoie à la notion de partage. Au-delà du constat de la crise énergétique, il faut s'interroger sur la création de valeur. Ce n'est pas une simple question de participation citoyenne à la gouvernance ou même au financement. La richesse créée localement est simplement partagée en permettant aux citoyens de bénéficier d'une électricité moins chère. Nous disposons des modèles technologiques, juridiques et économiques qui permettent de le faire. C'est dans cette logique que nous nous engageons. Nous créons là les conditions d'une construction de l'aménagement du territoire avec les citoyens.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci pour l'accueil que vous avez réservé à ces brillants élèves de l'INET qui nous apportent beaucoup. Merci aussi pour votre témoignage. Nos collègues Guy Benarroche, Laurent Burgoa et Pascal Martin vont se mettre au travail et bénéficieront de cette matière assez exceptionnelle.

Passons à la troisième table ronde, dédiée à l'évaluation, qui est une carence française assez générale. Nous avons de bonnes idées. Nous pensons même être géniaux, mais nous réalisons parfois que les idées ne fonctionnent pas forcément et que la garantie de l'efficacité de l'action publique, si elle nécessite des études d'impact en amont, doit aussi faire l'objet d'expérimentations et, surtout, d'évaluations et de corrections. La confiance de nos concitoyens, que nous recherchons parfois, peut justement être retonifiée par l'évaluation, qui montrera l'efficacité de l'action publique. Cher Steve, c'est vous qui allez nous parler de l'évaluation.

M. Steve Decamme. - Merci, Madame la Présidente.

L'atteinte des objectifs nationaux nécessite la participation active des collectivités territoriales de toutes natures, y compris rurales. L'évaluation des politiques locales par des indicateurs est le seul moyen d'objectiver et d'évaluer l'état d'avancée des politiques locales vis-à-vis de ces objectifs nationaux.

Lors de nos travaux, nous avons constaté que certaines modalités d'évaluation peuvent être un frein à la fabrique de la transition :

La multitude et la complexité des indicateurs exigés en amont des subventionnements sont dissuasives, notamment pour les territoires les plus ruraux. Un maire nous témoignait l'impossibilité de déposer des petits dossiers auprès des services de l'État, parce que « 14 pages pour 1 500 euros, les petites communes n'y vont pas. »

L'évaluation en amont est souvent subite et contrainte par les demandes de financement.

Ensuite, l'évaluation se fait seulement par des indicateurs quantitatifs. Or, l'accès à la donnée et son traitement sont difficiles, coûteux et chronophages pour les collectivités. Les prestations externalisées sont chères, par exemple, pour l'alimentation des critères renseignés dans les Plans Climat Air-Énergie Territoriaux (PCAET).

Dans les PCAET, et dans les demandes de financement, la nature des indicateurs est imposée, mais l'évaluation est auto-réalisée par les collectivités, ce qui pose tout de même question : comment ne pas être juge et partie sans alourdir davantage l'évaluation ?

Enfin, les collectivités qui se sont approprié le principe d'évaluation en font une politique transversale de formation des agents, de sens de l'action, voire de démocratie implicative et de médiation culturelle.

Vis-à-vis de ces constats, des besoins s'expriment, comme celui de définir des indicateurs d'évaluation normés nationalement et faciles à suivre.

En somme, nous constatons que les collectivités qui ont le plus avancé dans la transition écologique sont celles dont les sujets de transition s'intègrent dans des politiques sectorielles : économiques, sociales, sanitaires ou de démocratie implicative, évoquée précédemment. Autrement dit, c'est une politique sectorielle inspirée par les enjeux de transition environnementale qui permet de progresser vis-à-vis des grands objectifs nationaux. Par exemple, Vire Normandie fait de la politique de développement économique local, avec l'implantation d'industries locale, l'occasion de la réduction significative du bilan carbone des produits manufacturés. Ou Grigny et Échirolles, de manière différenciée, qui font d'un projet de géothermie l'occasion de la maîtrise d'une tarification sociale de l'énergie.

Nous faisons le choix de présenter aujourd'hui deux leviers qui encouragent les collectivités à s'engager dans la transition.

Les indicateurs économiques ont vocation à évaluer dans quelle mesure les projets de transition évitent de la dépense. Par exemple, la ville de Malaunay de 6 500 habitants au nord de Rouen, dont le DGS intervient dans un instant, a développé des indicateurs économiques et le principe des « népenses » sur le modèle des « négawatts ». Il s'agit d'évaluer le coût de l'inaction et les bénéfices de l'action. Il vous présentera un graphique très parlant.

Aujourd'hui, la majorité des indicateurs sont quantitatifs. Les chiffres sont indispensables pour apprécier l'objectivité du diagnostic. Cependant, la création d'indicateurs qualitatifs aurait vocation à apprécier la dimension socioéconomique de la transition et à produire de la transversalité dans les politiques publiques. Monsieur Laurent Fussien va vous expliquer son approche en ingénierie systémique.

M. Laurent Fussien, vous êtes DGS de la ville de Malaunay depuis seize ans. Je vous laisse la parole pour cinq minutes.

M. Laurent Fussien, directeur général des services de la ville de Malaunay. - Merci. Bonjour, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs. Je vais tout de suite entrer dans le vif du sujet. Les indicateurs et l'évaluation doivent - c'est une banalité de le dire - refléter les objectifs de la politique publique poursuivie, en mesurer les impacts, les écarts, et valider ou corriger l'action publique. C'est une évidence, mais elle est au coeur de notre approche du sujet à Malaunay.

Je proposerai ensuite un rapide rappel historique, pour expliquer notre démarche. En 2007, l'Agence internationale de l'Énergie met en évidence les risques de déplétion pétrolière et son impact sur le renchérissement des coûts de l'énergie. Elle annonce un pic de toutes les énergies pour les années 2020. L'entrée par les coûts de l'énergie tient à Malaunay à la prise de conscience, dès 2006, des annonces et scénarios prospectifs de l'Agence internationale de l'Énergie. Nous avons identifié une forte vulnérabilité de la commune, pour son patrimoine mais aussi pour ses habitants, à cette inexorable montée des coûts de l'énergie. Les bâtiments méritent de lourdes rénovations, faute d'un entretien suffisant ou en raison d'une conception trop peu regardante de la performance thermique.

Depuis 2012, la commune de Malaunay a lancé un plan pluriannuel de rénovation énergétique des 17 500 mètres carrés de son patrimoine. Ce plan très ambitieux repose sur un investissement financier très important. Nous avons effectué des calculs. En 2006, la facture énergétique atteignait 275 000 euros, comprenant les coûts en matière de carburant, de chaleur et d'électricité. Nous avons réalisé près de 300 actions de sobriété et d'efficacité par ces investissements, pas seulement sur les enjeux énergétiques et climatiques. Ils nous autorisent aujourd'hui à affirmer que nous portons une transition à visée systémique.

Entre l'année 2006 et l'année 2021, la facture réelle en euros de la Ville est passée de 275 000 euros à 253 000 euros. Nous avons réalisé sur cette même période une courbe que nous avons appelée la courbe sans action, c'est-à-dire une courbe tenant compte des variations des coûts des énergies, appliquée de manière plus ou moins linéaire (carburant, gaz et électricité), et nous sommes arrivés à une courbe qui passe de 275 000 euros à un montant de plus de 565 000 euros en 2021. Ce montant est celui que nous aurions dû acquitter auprès des fournisseurs d'énergie ou des prestataires de fourniture de chaleur. Ce delta de plus de 312 000 euros est ce que nous appelons le coût de l'inaction. C'est ce que nous avons finalement économisé en 2021. Cet écart ne fait qu'augmenter, puisque l'énergie continue à augmenter. Si la commune n'échappe pas, comme beaucoup d'autres, aux tensions actuelles sur les marchés de l'énergie, car elle a vu sa facture augmenter considérablement, nous sommes beaucoup moins touchés, puisque nous avons réalisé 45 % d'économies d'énergie, que nos toitures solaires en autoconsommation couvrent plus de 30 % de nos besoins en électricité, que nos trois chaufferies biomasse installées fournissent 65 % de nos besoins de chaleur et que 90 % des kilomètres parcourus par notre flotte de quinze véhicules sont au GNV ou à l'électricité.

Il n'y a pas si longtemps, pour beaucoup de territoires, la transition écologique était vue sous l'angle de la contrainte en temps et en argent à y consacrer. Nombreux étaient les territoires qui considéraient que ces sujets étaient seulement l'affaire des grosses collectivités, des intercommunalités, des experts, des régions, des grandes entreprises et de l'État.

Sur les enjeux de transition énergétique et écologique, nous avons cherché à Malaunay et dans d'autres territoires à transformer ces contraintes et nos vulnérabilités en opportunités, les charges en bénéfices multiples et les investissements en économies futures. Nous pensons avoir fait la démonstration que ce qui coûte cher, c'est surtout de ne rien faire. Nous avons alors joué avec le terme de « népenses », entendu comme ces dépenses futures que l'on évite, en faisant un petit clin d'oeil au terme de négawatts. Cette approche nous permet de faire apparaître une nouvelle comptabilité, celle du long terme.

Au-delà de la valeur économique, nous mettons en avant les autres bénéfices de l'action. C'est le pendant de cette approche. Ces bénéfices immatériels comportent aussi une dimension financière. Nous les appelons des effets systémiques, au sens des vertus de l'action. Nombre de ces effets des politiques publiques ne se prêtent pas aisément, il faut le reconnaître, à l'évaluation quantitative, ce qui nous fait dire au sein de la fabrique des transitions que nous avons contribué à cofonder, il y a quelques années, que ce qui compte vraiment ne se compte pas aisément mais peut se raconter.

Je citerai quelques exemples, d'abord la rénovation du patrimoine communal. Elle redonne du temps de vie à des bâtiments et espaces publics dégradés ou en mauvais état et permet donc la mise en oeuvre de politiques publiques et d'objectifs essentiels, par exemple savoir nager pour la piscine, développer la créativité et le lien social avec une école de musique et des arts, développer la pratique sportive, un déterminant majeur de la santé psychologique et physiologique, développer le lien social, l'apprentissage du vivre ensemble et de la coopération. Cela permet de créer de la valeur à l'échelle locale, et donc des emplois, de développer des compétences et de favoriser l'autonomie face aux aléas et aux tensions géopolitiques sur les coûts d'approvisionnement en énergie, sujet particulièrement brûlant aujourd'hui. Cela favorise aussi le maintien du tissu associatif local, facteur de lien social, de solidarité, de résilience face aux chocs, d'engagement sociétal et peut-être de lutte contre le recul de l'esprit public.

En creux, sommes-nous capables de mesurer les coûts liés à l'absence de ces services et de ces équipements ? Quel poids carbone si les habitants sont obligés de se déplacer dans une autre commune pour y accéder ? Combien coûte finalement l'absence de tels équipements dans une commune, en termes de services sociaux, environnementaux éducatifs, etc. ?

Je citerai un autre exemple, qui peut paraître anecdotique. C'est une petite action qui nous semble intéressante pour montrer les boucles vertueuses que nous avons réussi à mettre en place. Il s'agit de la lutte contre le gaspillage alimentaire dans la restauration collective. Concrètement, les enfants trient et vident leurs restes alimentaires et déchets de plateau eux-mêmes, dans plusieurs poubelles, et déposent la vaisselle dans des conteneurs spécifiques. Cette action permet de sensibiliser les enfants à l'enjeu du gaspillage et de le réduire, en optimisant les quantités servies aux enfants, de réaliser des économies réinjectées dans la politique d'achat de la commune, en visant une meilleure qualité des denrées locales, ce qui permet en même temps de réduire l'empreinte écologique du service et d'augmenter les bénéfices en matière de santé, de qualité nutritionnelle et de santé publique. Elle permet de surcroît d'améliorer l'ergonomie du travail des agents de la ville, qui étaient chargés antérieurement du tri, en réduisant les risques musculo-squelettiques. Elle satisfait les parents, qui observent une contribution plus importante de leurs enfants pour débarrasser et trier à la maison. Cette initiative est également valorisée par les agents du service de restauration, lors des nombreuses visites organisées à Malaunay dans le cadre du « Développement Durable Tour », laquelle reconnaissance stimule en retour leur créativité et leur engagement.

D'autres exemples comme la végétalisation des cours d'école montrent ces boucles vertueuses. Au-delà de la lutte contre les îlots de chaleur, elle favorise une meilleure santé des enfants, préserve leur ressource attentionnelle et réduit l'agressivité des enfants. La réverbération du minéral n'est en effet pas celle du végétal. Elle préserve donc leurs facultés cognitives et réduit les coûts d'aménagement et d'entretien, l'écart entre le bitume et le végétal étant très clair. Avec un bilan carbone incomparable, elle développe la sensibilité et la connaissance ou la curiosité par rapport à la nature et au vivant. Les enfants sont impliqués dès leur plus jeune âge. Leur association à la conception de ces oasis favorise la montée en capacité et en maturité coopérative des parties prenantes engagées dans la conception et elle modifie le rôle des personnes chargées de la surveillance et de l'encadrement des enfants.

Ces boucles vertueuses nous semblent pertinentes. S'il fallait terminer par des bénéfices plus globaux, stratégiques, je peux vous assurer que Malaunay est devenue attractive et accueillante pour des investissements et des projets exemplaires, de toute nature, sur le logement d'abord. C'est souvent ici que les bailleurs publics et privés viennent réaliser des opérations exemplaires sur le plan environnemental, énergétique, mais aussi sociétal, par exemple la création d'un quartier nourricier, une première en Normandie. Cet exemple témoigne de cette capacité d'innovation et de coopération qui est très ancrée dans le territoire. Malaunay est devenue aussi un terrain fertile aux initiatives citoyennes. Une association pour le maintien d'une agriculture paysanne s'est créée en quelques semaines, il y a maintenant cinq ans. Nous comptons aussi un système d'échange local, des projets coopératifs et solidaires, des jardins partagés. Nous pouvons également citer la création d'une future communauté énergétique citoyenne, pour partager l'énergie en circuit court.

De plus, comme nous mettons en récit cette dynamique, la visibilité que donne cette trajectoire, au travers des retours médias locaux et nationaux, apporte un sentiment de fierté aux habitants. Cette fierté est une vraie ressource pour les mobiliser. Elle permet de faire connaître auprès du territoire et de l'ensemble des habitants les initiatives que les citoyens et les parties prenantes portent. Je vous remercie de votre attention et j'aurais plaisir à répondre à vos questions

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci pour votre présence et la présentation de votre démarche, qui montre une autre taille de collectivité et la capacité de décliner l'engagement, quelle que soit la taille de la collectivité.

M. Guy Benarroche, vice-président. - Je souhaite formuler une réflexion et poser une question. Je tiens d'abord à vous féliciter. Vous avez démontré et expliqué ce qu'est l'écologie pratique, appliquée sur le terrain, qu'ont réalisé un certain nombre de villes et de villages français, depuis plusieurs années. Les exemples sont nombreux. Beaucoup de livres sont sortis pour récapituler les actions de villes et de villages. Vous êtes peu nombreux à l'avoir fait depuis longtemps. Là où des actions ont été menées, on an montré que ça fonctionnait. Cela a permis, aujourd'hui en période de crise, de montrer à quel point les citoyens pouvaient en retirer un profit, y compris financièrement.

Par ailleurs, vous avez mis en place des indicateurs qualitatifs. Là aussi, vous avez valeur d'exemple. Dans notre pays, nous demandons depuis longtemps la mise en place d'indicateurs qualitatifs, qui nous permettraient de remplacer le sacro-saint PIB par de nouveaux indicateurs. Cela a même fait l'objet de projets de loi et de propositions de loi. Est-ce que vous pensez que ces indicateurs qualitatifs ont fait leurs preuves dans l'application des politiques que vous menez ?

M. Laurent Fussien. - Nos approches sont très transversales. Nos indicateurs cherchent à mesurer la création de valeur ou les effets positifs de l'action publique, mais aussi l'implication des différents acteurs sur un territoire, la transformation de nos pratiques et de nos modes de vie. Ces effets sont difficilement mesurables mais restent essentiels. J'entends souvent parler de la rentabilité. Sommes-nous en capacité d'affirmer que sont rentables toutes les politiques publiques engagées sur les questions éducatives ou le développement de la pratique sportive, qui ont des impacts que nous savons extrêmement stratégiques sur les questions de santé publique ou de lien social ? Est-ce qu'un gymnase ou une piscine sont rentables ? Ils apportent des services et contribuent à faire société.

Il faudrait envisager une approche qui permettrait d'apprécier la contribution des parties prenantes, la qualité de la coopération, la qualité du bien-vivre ou la qualité démocratique dans un territoire, voire bien au-delà d'un territoire.

Au fond, nous attendons de pouvoir être évalués, appuyés et soutenus, sur la base d'un certain nombre d'indicateurs qui ne sont pas seulement des indicateurs mécaniques et quantitatifs, même s'ils sont utiles pour mesurer la pertinence d'une trajectoire d'économies d'énergie. Nous avons en effet besoin de savoir combien de kilowattheures sont économisés. Comme nous tâchons de gérer le mieux possible les deniers publics, nous avons besoin de savoir quelles économies sont réalisées. Cela se traduit de manière très précise et concrète, mais les effets en termes de santé publique, sociétaux ou socioéconomiques restent difficiles à mesurer. Pour autant, ils sont essentiels. Nous sommes donc en attente de dispositifs qui nous permettent de valoriser les effets et les impacts qualitatifs des politiques publiques.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Votre intervention rejoint les propos de Benjamin, le fait qu'un budget n'est pas qu'une affaire comptable. Il y a de la valeur ajoutée en matière sociale et économique.

Pour ma part, j'aime le mot rentable dans son acception initiale. La rentabilité renvoie à la valeur ajoutée, qui n'est pas qu'économique ou lucrative. Il existe une rentabilité sociale. Ce mot a un caractère horriblement capitaliste. Il faut lui rendre sa pureté, pour qu'il ait une autre nature.

Je suis désolée de devoir mettre un terme à cette partie de notre réunion, car le Président des Départements de France est arrivé.

Merci à nouveau. Je suis sûre, comme je l'ai dit à nos prédécesseurs, que nos collègues Guy Benarroche, Laurent Burgoa et Pascal Martin, qui porteront nos travaux, seront amenés à travailler avec vous et utiliser ce que nos remarquables stagiaires ont découvert.

Souhaitez-vous conclure ?

M. Alban-Barry Benamran. - Nous vous renouvelons nos remerciements pour cette mission, en espérant que nos travaux enrichiront le rapport sénatorial du premier semestre 2023.

Vous avez là un panel de collectivités locales, un terreau de réflexion qui, nous l'espérons, permettra des prolongements de réflexion les plus fructueux possible pour la suite.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Au nom de la délégation, je tiens à saluer l'excellence de votre travail et de l'éclairage que vous apportez, par une exhaustivité dans les thématiques et dans le panel de collectivités.

Je crois vraiment que cette expérience d'accueil de stagiaires, dont je remercie Marc Le Dorh et toute l'équipe, est d'une grande richesse. Cette expérience est fort heureuse sur la porosité qualitative du Sénat. Merci à vous.

Applaudissements.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci aussi à mes collègues pour leur présence, les emplois du temps étant très croisés dans cette Maison.

Audition de M. François Sauvadet, président de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Mme Françoise Gatel, présidente. - C'est un bonheur de vous accueillir, sachant que nous ne nous quittons guère, avec Mathieu Darnaud, co-rapporteur de la mission lancée par le Président Larcher. Nous avons longuement discuté avec les départements, en présence de notre collègue et ancien Sénateur, Jean-Léonce Dupont.

Président Sauvadet, je suis heureuse de vous accueillir. J'ai écouté avec intérêt vos déclarations lors du congrès des départements de France. Nous avons déjà eu le bonheur de vous recevoir. Il s'agira aujourd'hui de prendre le pouls des départements, car la délégation aux collectivités se doit de nourrir un dialogue régulier avec vous.

J'ai senti lors de ce congrès que l'association des départements de France était très mobilisée, exigeante et constructive. C'est une bonne définition de ce que doit être la relation entre l'État et les collectivités. En septembre, le Président de la République est allé prendre l'air en Mayenne, à Château-Gontier, ce qui a été extrêmement important, en tous cas du point de vue d'une sénatrice. Il a beaucoup parlé de décentralisation et de liberté. J'ai trouvé son propos plutôt positif, car il allait dans le sens du travail que nous avons mené avec vous, membres de l'Association Territoires Unis, l'AMF et l'ARF, en faveur des libertés locales, sur la base de la confiance.

Nous nous sommes attelés à la tâche, avec ce groupe de travail oecuménique, qui réunit tous les groupes du Sénat et qui évoquera aussi le sujet des finances. Je sais que ce travail sera mené avec vous. Le Président Larcher l'a dit.

Nous allons aujourd'hui parler de vos attentes en matière de réorganisation des compétences, sachant qu'il n'est nullement question pour nous de tout chambouler. La stabilité est nécessaire. Surtout, mettons-nous d'accord sur l'objectif d'efficacité de l'action publique, jusqu'au dernier kilomètre, à partir d'un principe simple, celui de la subsidiarité, en laissant agir la collectivité la mieux placée.

Nous avons de surcroît engagé un travail très important avec le Conseil d'État, preuve de la gravité du sujet, et le Conseil national d'évaluation des normes, sur ce que nous appelons la simplification. C'est toujours à la fois un cauchemar et la quête du Graal, ce qui renvoie à la fabrique de la loi. Nous en avons débattu hier avec le Président Larcher. La norme finit par nuire et empêcher l'action publique. Je pense que l'éternité ne suffira pas à régler le problème.

M. François Sauvadet, président de l'Assemblée des départements de France (ADF). - Je suis surtout venu pour répondre à vos questions. Je commencerai par un mot de contexte. Comme vous le savez, le contexte est très lourd, après deux années de pandémie. Nous voyons aujourd'hui la montée des précarités et des prix de l'énergie et une forte inflation. On ne dit pas assez que la crise énergétique, anxiogène pour nos compatriotes, frappe avant tout le monde rural, car il n'y a pas d'alternative à la voiture dans le monde rural. Nous le constatons tous les jours. Nous sommes donc en première ligne, aux départements de France, avec l'État, et nous avons dû prendre des initiatives, à travers différents plans de solidarité, pour accompagner les personnes qui n'avaient plus les moyens de mettre de l'essence ou du gazole dans leur voiture pour aller travailler tout simplement. J'ai été extrêmement surpris de découvrir qu'il y avait 1 600 foyers qui, après analyse de leur situation personnelle, se trouvaient en graves difficultés. Nous avons même fait former certains de nos agents, en lien avec la Banque de France, qui a évidemment un rôle particulier en matière de surendettement. Il est clair que les situations se tendent.

Le choc est fort pour nos compatriotes, mais aussi pour nos collectivités. Une série d'annonces est tombée. Nous avions d'ailleurs été appelés à discuter certaines d'entre elles, comme la 143, concernant la revalorisation des aides à domicile. Un euro supplémentaire nous a été ajouté sans même nous avoir associés à la prise de décision. Nous passerons à 23 euros, dès que le décret sera paru sur l'aide à domicile. Nous n'en avons pas été informés et nous nous en sommes émus, car ce n'était pas de la coconstruction. Nous avons finalement obtenu la compensation de cet euro supplémentaire. La revalorisation du RSA ou celle du point d'indice sont en discussion elles aussi.

Nous avons par ailleurs été associés à l'extension du Ségur, sujet extrêmement compliqué. En effet, ce Ségur, qui a été décidé seul par le gouvernement, a immédiatement suscité un sentiment d'incompréhension et d'injustice de la part de tous ceux qui participaient en première ligne, dans le médico-social par exemple, et qui n'étaient pas reconnus avec un accompagnement particulier pour avoir été en première ligne sur les problématiques de pandémie. Cela a naturellement suscité de la colère et nous avons consacré beaucoup de temps à suivre les oubliés du Ségur. Nous avons alors mené des discussions avec Monsieur Castex, pour aboutir à un partage des enjeux financiers.

S'y ajoutent les problèmes d'inflation et de coût de l'énergie. Dans mon seul département, le coût de l'énergie est passé de 4,5 à 11 millions d'euros. Dès lors je m'étonne quand j'entends parfois dire, aujourd'hui encore, et je l'ai indiqué au Président de la Cour des comptes, que les départements se portent bien, au motif que les droits de mutation sont élevés. C'est vrai qu'ils ont été élevés, mais je ne sais pas ce qui se serait passé si les droits de mutation n'avaient pas été à cette hauteur, et encore, ils ont été répartis inégalement. Certains départements sont aujourd'hui en très grande difficulté. Certains départements ne peuvent plus faire face et ne pourront pas équilibrer leur budget.

Je reviens des Ardennes, qui étaient les héritiers de gros investissements, notamment autoroutiers, pour lesquels ils avaient été appelés à participer par l'État. Aujourd'hui, cette charge subsiste. Ils perçoivent aujourd'hui des droits de mutation qui restent limités en volume même s'ils ont crû, et ils se retrouvent en grande difficulté.

Je voudrais insister aussi auprès de vous pour souligner que nous avons fait des efforts considérables. On nous parle de la différence qu'il y a avec la perception des droits de mutation. Certains commencent même à les revendiquer, en affirmant qu'il n'y a pas de légitimité à ce qu'il y ait des droits de mutation pour les départements. Je vous invite à y réfléchir sérieusement, parce que les droits de mutation sont un transfert de propriété qui est au coeur de l'action liée au logement. Qui fait des routes gratuites dans notre pays pour les usagers ? Qui les finance ? Ce sont bien les départements. Qui fait l'environnement du logement ? Qui aide les communes à refaire les places ? Pour tous ceux qui se posent la question de la légitimité, je vous le dis, il y aura vraiment une ligne rouge à l'égard du gouvernement au niveau de la remise en cause des droits de mutation dans nos départements.

J'ajouterai que nous sommes le seul niveau de collectivité à avoir fait un niveau de péréquation. Il faut d'ailleurs le protéger. Je reprendrai l'exemple des Ardennes : pour leurs 20 millions, ils ont touché une péréquation de plusieurs millions d'euros voire dizaines de millions d'euros.

Quand l'État nous annonce que nous ne remplissons peut-être pas tous nos politiques différenciées, il faut rappeler que la première des inégalités n'est pas celle dont nous abordons les compétences dont nous avons la charge. La première des inégalités, c'est que l'État ne nous donne pas les moyens, par un accompagnement vertical, de faire face aux missions qu'il nous confie. Nous finançons désormais à plus de 50 % les allocations individuelles de solidarité, à 54 % pour être précis, que ce soit l'allocation pour personnes handicapées ou le RSA. Certains affirment que le RSA nous coûte moins cher, car nous comptons moins de bénéficiaires. Or la hausse qui nous a été imposée nous coûte 2,5 millions d'euros supplémentaires par an, en année pleine. On nous annonce une hausse, en prétendant que la hausse est en réalité une baisse. Ce n'est pas sérieux. Ce n'est pas une bonne façon d'aborder la situation. Nous faisons face à des défis considérables (vieillissement de la population, maintien à domicile, question de la violence chez les jeunes, question de la psychiatrie chez les jeunes, etc.). On se sent parfois un peu seul. Quand vous n'avez pas de réponse psychiatrique dans un département, que peut-on faire des jeunes violents dans la rue ? On rencontre déjà bien des difficultés à les canaliser, ce qui relève de la justice, de la police ou de la gendarmerie, et de l'accompagnement sociétal et familial, mais il y a aussi tous les jeunes qui nous sont confiés et qui sont en situation de grave fracture. Parmi ces derniers, j'estime que 20 % à 30 % relèvent de soins psychiques et psychiatriques. Quand nous en parlons au gouvernement, il confirme qu'il faut former des psychologues et des psychiatres, et on se sent bien seul face à des cas de violence incroyable dans nos établissements. Comment faut-il réagir ? Les conduire au CHU pour une situation d'urgence ? Ils ne sont gardés que trois ou quatre heures, puis ils ressortent, soi-disant stabilisés. Et s'ils reprennent une crise, on les ramène encore à l'hôpital, où on les a déjà vus, mais il y a peu de lits dans les hôpitaux spécialisés. Le problème est aussi un problème de personnes et d'agents d'association, qui se mettent en déport, parce qu'ils estiment être eux-mêmes en danger et ne plus être en situation de garantir la sécurité dans les établissements accueillant les enfants dont ils ont la charge. Telle est la situation. L'État doit donner les moyens des objectifs qu'il fixe, sans se défausser de ses responsabilités vis-à-vis du soin médical, notamment psychique et psychiatrique.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Permettez juste une petite interruption, en lien avec ce que vous venez de dire sur la situation extrêmement difficile de certains départements - ce dont je ne doute pas. A combien estimez-vous ces départements ?

M. François Sauvadet. - Je pense qu'une quinzaine de départements sont dans une situation vraiment très compliquée. J'ai d'ailleurs demandé au gouvernement que leur situation soit étudiée et qu'un accompagnement soit envisagé. Au-delà de la question conjoncturelle, il ne faut pas négliger la question structurelle. Certains subissent un endettement après avoir été sollicités par l'État. J'attends des précisions sur la méthode. Il m'a été annoncé que la situation singulière de ces départements serait prise en compte, mais je n'ai pas reçu de réponse concrète. Alors que la période de préparation des budgets va s'ouvrir, certains départements, dont celui des Ardennes, sont en marge brute et en marge nette négatives. Ils n'ont pas les moyens de faire face.

Telle est la situation que nous connaissons tous. Dans ce contexte, dès lors que les charges augmentent dans un département, c'est problématique. Je prendrai l'exemple de on département, dont le budget atteint 560 millions d'euros. Du fait des augmentations diverses, des revalorisations salariales, du choc de la précarité, des allocations individuelles, de l'énergie et de l'inflation, la dépense progresse de 30 millions d'euros. Je tiens les budgets à votre disposition. Alors que la marge brute puis nette atteignait environ 40 millions d'euros, je ne peux que m'inquiéter. D'autant que le gouvernement a annoncé une baisse de mutation, un véritable choc de l'ordre de 2 %, 3 % ou 4 %. Je n'y crois pas. Le choc sera beaucoup plus lent mais violent. Ce ne sera pas le choc des années 2008-2009, quand les droits de mutation se sont effondrés de 50 %, mais la baisse sera tout de même tendanciellement assez forte, du fait de la hausse des taux d'intérêt, des difficultés d'accès au crédit, de la question du taux d'usure, etc. Ce dernier point est lié à la volonté étatique de mettre un frein à l'inflation, ce sur quoi le gouverneur de la Banque de France ne reviendra pas. Il ne faut pas non plus oublier les tensions dans les budgets des ménages ou le caractère anxiogène de la situation actuelle, qui n'encourage pas nécessairement à réaliser des acquisitions, sans oublier que les investisseurs dans des logements étiquetés E, F et G ne pourront plus mettre leurs biens en location dans les deux ans qui viennent. Nous sommes confrontés à toute une série d'indicateurs pessimistes, qui se ressentent dès maintenant avec un fléchissement des droits de mutation. Nous nous trouvons donc dans une période de forte tension sur la dépense, face à une baisse des droits de mutation qui se profile. Je l'estime dans mon département à 20 %. Dans le même temps, toute marge de manoeuvre financière a disparu, car les départements n'ont plus d'autonomie. Non seulement la situation n'est pas bonne, mais je crains une dégradation très forte.

Pour ma part, j'ai été parlementaire et membre d'un gouvernement. Je ne cherche pas à faire du lobbying. Face à une crise d'une telle ampleur, chacun doit se mettre en situation de responsabilité. Je vous le dis, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, cette situation est une situation clinique. Je tiens mon budget et les budgets des départements à votre disposition.

En plus de tout cela, nous faisons face à de nouveaux défis, notamment celui du changement climatique pour lequel, paradoxalement, nous nous retrouvons là aussi en première ligne. Nous sommes les premiers financeurs des services départementaux d'incendie de secours. Imaginez-vous le choc que nous subissons ? Auparavant, les feux de forêt suivaient une ligne Nord-Sud. Aujourd'hui, il y a des feux de forêt dans le Morbihan, dans le Sud-Est, en Gironde - et même des mégafeux -, ou dans l'Est de la France. Evidemment, la dimension zonale de l'organisation reprend tout son sens. Il va falloir réaliser des investissements pour permettre des prépositionnements. J'ai lancé une mission flamme sur ces sujets. Nous avons bien travaillé avec Jean-Luc Gleyze, ce dont Pascal Martin a bien conscience. Cette mission a rendu ses conclusions. Là aussi, ce sera un choc. Comme la situation est paradoxale, il faut bien mettre les choses à plat. Quand j'entends le Ministre de l'Intérieur déplorer que les départements ne reversent pas la taxe des assurances qu'ils perçoivent sur les SDIS, je ne peux pas y croire. Est-ce que quelqu'un peut rappeler l'Histoire de la constitution du versement de la taxe. Ce genre de requête est récurrente, d'abord avec le remplacement de la vignette, puis avec une partie des dotations. Une partie de la taxe nous est effectivement dédiée. Il demande que je reverse l'intégralité de la taxe ? La part dédiée aux SDIS dans mon département représente actuellement 8 millions d'euros. L'an prochain, ce total passera à 21 millions d'euros. Si la taxe n'était pas versée, comment faire contribuer les communes ? Comment l'État se montrera-t-il solidaire ? Le chef de l'État a annoncé 150 millions d'euros d'investissements à réaliser. Il faut que nous soyons aidés à ce niveau, mais aussi sur le financement. Nous avons demandé un fonds d'investissement, à hauteur de 150 millions d'euros à l'échelle du pays. C'est intéressant, mais est-ce à la hauteur du défi du changement climatique et des feux de forêt, qui nécessitent des moyens ? Assurément, non. Donc nous sommes en première ligne sur ce sujet. De surcroît, de façon paradoxale, nous sommes aussi devenus les premiers financeurs. Nous payons plus de la moitié de la charge des SDIS, l'autre moitié se partageant avec les communes. Or les communes importantes et les métropoles bénéficient d'un mécanisme de plafonnement à l'inflation. Tout effort différentiel est donc supporté par le département.

Sur la question du numérique, j'ai pris connaissance du débat sur l'IFER. J'ai été choqué que des compétitions se mettent en place entre niveaux de collectivités. Est-ce que l'IFER a vocation à être supprimée pour les départements ? Or qui a déployé la fibre dans beaucoup de départements français ? On le sait bien. La part de réduction de l'IFER est donc scandaleuse. C'est un mauvais signal. Le Sénat s'est bien tenu à ce sujet. Je salue d'ailleurs la qualité des relations de travail que nous avons avec le Sénat. Si vous n'étiez pas là, je crois que les départements ne seraient pas là non plus et que la France se porterait très mal ou encore plus mal. Voilà ma conviction profonde.

Revenons au défi de la transition numérique. Là aussi, nous sommes en première ligne. 30 % de notre temps d'agents est consacré à aider les familles en précarité ou en difficulté par rapport au numérique.

A l'heure actuelle, la vraie problématique qui se déroule devant nous alors qu'il est question de décentralisation est la suivante : qu'est-ce qu'on veut pour la France, qui fait face à une formidable mutation et qui subit un choc financier, énergétique et alimentaire ? Quel est le bon niveau pour agir efficacement pour les Français ? J'ai formulé 103 propositions qui émanaient du terrain. J'ai demandé à tous les départements de m'indiquer comment agir mieux. Nous débattons régulièrement au sein de l'ADF. Certains restent positionnés sur le schéma des compétences et des ressources y afférentes. Personnellement, je n'y crois plus, car nous engageons désormais une vision à 360 degrés. Quand vous parlez de l'enfance, vous parlez évidemment de la compétence responsabilité pénale du Président de département, mais aussi de la justice, du devenir de ces enfants qui commettent des actes violents. Est-on armé pour avoir de véritables chefs de file ? Avez-vous vu la difficulté que nous avons rencontrée, simplement dans la gestion des collèges, pour faire passer dans la 3DS la possibilité d'avoir un pouvoir d'injonction sur les gestionnaires de collèges ? Au final, vous l'avez voté en tant que législateur. Tout cela s'est terminé par un guide de bonnes pratiques qui suscite d'importantes difficultés de mise en place sur le terrain. Ce guide ne vise pourtant qu'à indiquer aux gestionnaires que nous voulons compter plus de 50 % de produits de proximité pour les achats alimentaires des cantines.

On nous reproche parfois de ne pas contrôler les EHPAD, mais comment réagir vis-à-vis d'un Directeur sur lequel vous n'avez aucun pouvoir d'injonction pas plus que de pouvoir pour le nommer. Souvenez-vous, pendant la pandémie, le Président département n'arrivait même pas à recevoir l'information du nombre de décès enregistrés à l'intérieur d'un établissement. Est-ce acceptable de fonctionner comme ça dans le pays, alors que nous sommes en charge de l'accompagnement et du prix de journée ? Il faut être très concret dans cette affaire. Il faudra en outre se mettre bien au clair sur les revendications. Le tourisme est une compétence partagée. A-t-on vraiment besoin de schémas touristiques régionaux visant à fixer les actions en matière touristique dans le département de la Côte d'Or ? Je viens de créer une marque, comme l'ont fait beaucoup de départements. Va-t-on recevoir à l'échelon régional une nouvelle tutelle, chargée de nous dire ce que nous devons faire ? C'est une question de fond.

De même, le sport est une compétence partagée. Nous qui sommes en première ligne pour Le Sport pour tous, Sport Handicap, etc. Or nous ne sommes même pas membres du bureau de l'Agence nationale du Sport. J'ai bien indiqué à son Président que le système allait devoir évoluer, sinon nous cesserons de payer. En outre, les schémas du sport sont désormais territorialisés à l'échelle de la région. L'État s'adresse à la région, puis c'est la région qui fixe le périmètre et nous demande d'obéir.

Il en va de même avec les espaces naturels sensibles. Il a récemment été question des problèmes de bassines. Croyez-vous que l'on va régler la question depuis Paris ou localement ? C'est en proximité qu'il faut agir, dans un dialogue constant avec la population. Les départements sont le bon échelon pour agir.

Je terminerai par un dernier exemple. Je suis propriétaire au titre du département de la Côte d'Or d'une ressource en eau, qui représente 30 % de la consommation d'eau de la métropole dijonnaise. Songez que j'ai le droit de produire de l'eau brute, mais pas de produire de l'eau potable. Comment pouvez-vous l'expliquer ? Comme aucun syndicat n'a la taille suffisante pour reprendre l'exploitation et la distribution en proximité, nous nous retrouvons avec une ressource d'eau que nous ne pouvons pas mobiliser. J'ai entendu le Président du Sénat et je suis content que la situation évolue. Il a indiqué qu'il faudrait que ce soit une compétence optionnelle. Si un département veut s'engager pour accompagner la profession agricole pour constituer des réserves stratégiques et s'engager pour accompagner la coordination de la production d'eau à l'échelle d'un département, pourquoi nous empêcher de le faire ? D'autant que nous sommes l'un des principaux financeurs de l'eau, aux côtés de l'Agence de l'Eau. On nous sollicite pour le financement, sans nous donner les moyens de déterminer une politique départementale, en lien avec l'État et avec nos partenaires, régions et maires. On entre dans un univers d'incompréhension totale.

Nous sommes donc confrontés d'abord à des injonctions nationales, et même si une amélioration du dialogue avec le gouvernement est à noter, la technostructure reste stable.

Ensuite, nous sommes confrontés avec un échelon régional qui n'a pas la capacité à faire sur le terrain, mais qui décide du cadre général sur lequel nous intervenons. Il va falloir faire évoluer ce cadre, sinon nous subirons un double effet. Le premier effet portera sur les conséquences de l'absence d'autonomie financière, avec un étranglement des départements. L'investissement sera alors la première victime. Or l'investissement est territorialisé, c'est-à-dire qu'il est essentiellement mené en direction du monde rural.

Deuxième conséquence de cette situation, on tombera dans l'inertie. Quand le gouvernement nous dira d'agir, nous n'agirons pas. Quand il lancera des appels à projets, nous ne répondrons plus. Je l'ai expliqué au gouvernement. Il faut se saisir point par point des empêchements d'agir, sans quoi nous entrerons dans une période de grandes turbulences territoriales.

Nous avons vu passer la crise des gilets jaunes. Si la situation se poursuivait, sans que des réponses concrètes soient apportées aux départements pour agir aux côtés des Côte-d'Oriens comme aux côtés de tous les départements français, je puis vous affirmer qu'on ira vers des mouvements incontrôlés, des violences infrafamiliales ou des violences périphériques. Je crains fort une montée de ces violences.

Je vous remercie vraiment d'organiser régulièrement des rencontres avec les acteurs de terrain que nous sommes. Je sais que vous vous connaissez bien ces situations, en tant que Sénateurs et Sénatrice. En tous cas, ça vaut le coup de croiser notre appréciation de la situation, pour agir mieux au service de nos compatriotes. Dans toute réforme, il faut se demander si le système qui est mis en place est efficace. Pour ma part, j'accepte que nos capacités à faire soient testées et évaluées, mais il faut nous laisser agir.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci, Monsieur le Président, pour ce propos qui rejoint la philosophie du Sénat. Avant de passer la parole à mes collègues, en écho à vos propos, je salue l'effort unique de péréquation des départements, à partir des DMTO. Si l'on applique le principe « aide-toi, le ciel t'aidera », je pense que l'État doit prendre en considération votre action.

J'aurai une question assez générale sur le transfert de compétences et l'évaluation du coût du transfert. Il peut y avoir transfert dans le dialogue à condition d'avoir le juste prix. Or, le juste prix évolue. Dans les cinquante propositions en faveur des libertés locales, que le gouvernement n'a pas souhaité retenir, nous avions intégré une clause de revoyure pour évaluer le coût de la compétence transférée, alors que des imputations de décisions nationales sont intervenues entre le transfert et le moment de l'évaluation, imputations que vous alimentez avec votre budget.

Je souhaite ensuite évoquer les SDIS, sujet important dont vous portez la responsabilité. Alors que leurs dépenses progressent, les communes annoncent se retrouver à financer à hauteur de plus de 40 %. J'entends bien que les départements envisagent d'augmenter la contribution des communes. Je ne cherche pas à opposer les uns aux autres, mais il reste que la SDIS, la sécurité incendie, est une compétence régalienne. Même si l'État transfère l'opérationnalité, ne faudrait-il pas que l'État garantisse la sécurité incendie, comme aujourd'hui l'État assure l'essentiel de la sécurité intérieure, la police municipale ayant ensuite un rôle complémentaire ? Dès lors, quand il est question du financement des SDIS et de l'augmentation des dépenses, je pense qu'il faut commencer par rappeler à l'État que c'est d'abord une compétence régalienne.

En outre, dans nos cinquante propositions en faveur des libertés locales, nous avons souhaité reconnaître la capacité des départements à agir dans le médico-social. Vous avez justement évoqué les gestionnaires de collège et de lycée. En 2022, la possibilité d'une convention a été « inventée », alors que cette possibilité existe depuis 1984, date du transfert des personnels. J'ai demandé à la Ministre Jacqueline Gourault de me présenter un état du nombre de conventions signées entre un département et un gestionnaire de lycée. Personne n'a pu me répondre. Au fond, on réinvente un système qui existe depuis quarante ans et qui est une très mauvaise invention.

S'agissant enfin de la médecine scolaire, elle est aujourd'hui extrêmement indigente. Elle est même inopérante, ce que je dis en toute amitié. Elle souffre d'un déficit de reconnaissance du personnel. Aujourd'hui, les médecins scolaires et les infirmières scolaires sont plutôt des autoentrepreneurs, car ils doivent intervenir en urgence un peu partout. Ils diagnostiquent, mais ils n'ont pas de solutions opérantes. Ces solutions, c'est vous qui les avez. Sous réserve que les départements l'apprécieraient et sous réserve d'une évaluation du coût du service exigé et du transfert de moyens, sachant que le personnel manque, que pensez-vous de cette idée, que nous avons beaucoup défendue au Sénat, de confier au département le service de médecine scolaire ? Vous avez la PMI. Nous proposons que le service de médecine scolaire, qui permet qu'aucun enfant ne passe sous les radars, enjeu particulièrement sérieux, aille jusqu'au lycée.

Enfin, mon dernier commentaire concernera le handicap et les AESH. L'État développe actuellement une politique d'école inclusive, qui est parfois un peu illusoire dans la capacité à faire, mais là n'est pas le sujet. Une fois que les départements ont établi des prescriptions via les MDPH, l'Éducation nationale est censée les mettre en oeuvre mais manque de budget. Ainsi, une commune de 200 habitants qui accueille occasionnellement un enfant handicapé devra trouver une personne, une heure et demie par jour, pour pouvoir l'accueillir à la cantine sur le temps méridien. C'est infaisable. Une idée me vient à l'esprit. Comme cette fonction extrêmement importante d'AESH est liée au handicap, les départements pourraient conforter cette fonction et proposer des carrières à des personnels, quitte ensuite à les mettre à disposition à titre payant à l'Éducation nationale ou aux collectivités.

M. Thierry Cozic. - Madame la Présidente, Monsieur le Président, merci pour vos propos. Je souhaitais évoquer deux sujets avec vous. Le premier est la décentralisation, en repartant des propos du Président de la République lors de sa réception des maires à l'Élysée, le 23 novembre dernier. Il a réaffirmé sa volonté de faire une vraie décentralisation. Il s'est dit favorable, sur beaucoup de sujets, à transférer la responsabilité des financements et le pouvoir normatif, mais il a indiqué en outre qu'il fallait engager un vrai débat en profondeur sur la répartition des compétences entre l'État et les collectivités. Il a promis d'engager ce chantier au premier semestre 2023. Déjà, en 2020, l'AMF Régions de France et vous-mêmes, l'ADF, réunis sous la bannière Territoire unis, plaidaient pour une grande loi de décentralisation. Vous demandiez une véritable loi de décentralisation, une très grande loi de liberté, pour plus de liberté locale et pour plus d'efficacité. La loi 3DS adoptée en février 2022 n'avait-elle pas cet objectif ? Qu'est-ce qu'il faudrait de plus pour que la future loi sur la décentralisation devienne une très grande loi de décentralisation ?

Second point, vous avez évoqué la question des finances des départements, qui sont en difficulté. Je voudrais revenir sur vos propos, dans l'interview que vous avez donnée à La Gazette des communes le 13 octobre dernier. Vous avez déclaré faire votre ligne rouge des droits de mutation. Il était question des contrats de Cahors. Vous avez déclaré dans le même temps être prêt pour une participation de tous les départements à la trajectoire en volume, et non en valeur, avec une réduction des dépenses de 0,5 % par rapport au niveau d'inflation.

Au regard des difficultés que vous avez soulignées et des exemples que vous avez donnés, j'ai le sentiment que cette approche semble peu aux prises avec les réalités territoriales que nous remontent les élus dans leurs territoires respectifs. Votre déclaration singulière vous place comme le seul Président d'association d'élus acceptant ce dispositif. Pensez-vous que cette position principielle soit en adéquation avec l'autonomie financière que vous appelez pourtant de vos voeux dans cette même interview ?

M. Didier Rambaud. - Merci, Madame la Présidente. Je souhaitais poser une question sur le devenir des départements et sur leurs finances, demain. Il y a quelques semaines, nous avons reçu en commission des finances du Sénat une communication de la Cour des comptes sur le financement des collectivités territoriales, avec des scénarios d'évolution. J'en ai retenu deux idées fortes, qui me séduisent. Je voudrais connaître votre avis les concernant.

La première met en avant l'importance de simplifier l'impôt local, avec un pouvoir de taux à un seul niveau de collectivité, en supprimant les multiples affectations. En clair, cela signifie que l'impôt local résidentiel doit revenir à la commune.

La deuxième idée forte vise à simplifier le partage de la fiscalité nationale, avec une fraction unique par impôt et par niveau de collectivité, c'est-à-dire l'impôt économique pour les régions et une part de TVA et d'impôt sur le revenu pour les départements. Quelle est votre réflexion sur ces propositions de la Cour des comptes ?

Enfin, je voudrais revenir sur les DMTO. Cette recette présente comme inconvénient d'être très volatile. Ce serait dangereux pour les départements de considérer que cette recette est intouchable. Peut-être faudrait-il revoir l'affectation de ces DMTO, par exemple en l'affectant aux communes, ce qui donnerait aux départements la possibilité de percevoir d'autres dotations.

M. Pascal Martin. - Merci, Madame la Présidente, Monsieur le Président, cher François. Je me réjouis de cet échange de ce matin, qui permet de rappeler que le Conseil départemental est la solidarité de proximité, celle des solidarités sociales et territoriales, ce que les collègues sénateurs savent très bien. Cela a été extrêmement bien rappelé il y a quelques instants.

Je souhaite poser deux questions. Le Président Sauvadet a cité des exemples, dont certains manquaient cruellement de bon sens. Existe-t-il une évaluation de la compétence transport scolaire, qui a bien fonctionné jusqu'à présent et qui était de la compétence des conseils départementaux ? Elle a depuis été transférée à la région, à l'exception du transport scolaire des jeunes en situation de handicap, qui reste de la compétence des conseils départementaux. Quand j'exerçais ces belles fonctions de Président de département, j'ai eu l'exemple de familles comptant plusieurs enfants, dont certains dépendaient de la région et d'autres du département. C'était devenu inextricable. Existe-t-il une évaluation du transfert de cette compétence, qui manque à mes yeux cruellement de bon sens ?

Par ailleurs, la Présidente a évoqué le sujet du SDIS, qui m'est très cher. C'est certes un établissement public, mais dont la présidence du Conseil d'administration est de droit exercée par le Président du Conseil départemental. On se retrouve alors dans une situation ubuesque, où cet établissement public est quasiment le seul placé sous une double autorité, celle du Président pour tout ce qui concerne la gestion administrative et financière et sous l'autorité du représentant de l'État, à savoir le préfet, pour la gestion opérationnelle. On sait aujourd'hui que le financement des SDIS est exclusivement porté par les Conseils départementaux, d'une part, et par les communes et les intercommunalités, d'autre part. Ce ne sont pas les 150 millions d'euros qui alimenteront les SDIS en investissement qui suffiront. Ces 150 millions d'euros divisés par cent départements (en arrondissant) donnent 15 millions d'euros. Quand on connaît le prix des matériels incendie, ce qui est proposé est quasiment une misère. Ne faudra-t-il pas à terme poser réellement la question du statut juridique des SDIS, pour qu'enfin il y ait une seule autorité qui gère l'ensemble de cette compétence ?

M. François Sauvadet. - Merci, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Madame la Présidente. Sur la question du juste prix en cas de transfert de compétences, on vient de le constater encore récemment, avec le transfert des routes nationales. La situation est extrêmement complexe. On nous demande un accord de principe, en soulignant que nous en connaissons l'armature et le mode de calcul, puisque cela renvoie à de précédents transferts. En tous cas, pour l'instant, le sujet n'avance pas très vite, mais vous voyez déjà les premières conséquences de l'effet ciseaux. Il n'y a plus que quinze départements français qui ont fait acte de candidature pour le transfert des routes nationales. Selon moi, c'est là un double indicateur, d'abord de la difficulté de la méthode mise en place par le gouvernement. Alors que je souhaite récupérer une autoroute, les éléments constitutifs du transfert ne m'ont toujours pas été remis. Je souhaite obtenir cette autoroute, parce qu'elle constitue un enjeu majeur dans mon département. Je veux également maintenir sa gratuité, mais je sais que c'est un effort qu'il va falloir mesurer concrètement. Vous voyez donc comment se pose le problème, qui est un problème de méthode et un problème d'effet ciseau.

Par ailleurs, je rejoins votre analyse, Madame la Présidente, quand vous dites qu'il faudrait transférer la médecine scolaire ou les AESH. Si les départements n'en veulent pas, ce n'est pas parce qu'ils sont mauvais pour la France, mais parce qu'ils n'ont pas les moyens et qu'ils n'ont pas l'assurance d'une étude d'impact et des conditions du transfert. Nous rencontrons déjà beaucoup de difficultés pour recruter des médecins de PMI. De son côté, la situation scolaire est indigente. Vous l'avez dit. Évidemment, il faut redonner de la cohérence, et je souhaite qu'il y ait une vraie mission, avec une étude d'impact et une clause de revoyure, en fixant un cap atteignable. Là aussi, il est possible d'innover, en s'appuyant par exemple sur des infirmières en pratique avancée. Les enfants du département sont par exemple tous vus par les services de PMI, ainsi que par des infirmières en pratiques avancées, puis le médecin intervient si des difficultés sont identifiées. Il s'agit alors d'optimiser pour obtenir une réponse maximalisée et généralisée. Ainsi, tous les enfants sont vus avant quatre ou cinq ans, puis nous les perdons. Nous ne les revoyons que s'ils se retrouvent dans une situation détériorée, confiée par le juge ou par décision administrative. Il y a clairement des trous dans la raquette. La cohérence doit progresser, pour que nous puissions assurer un meilleur suivi des publics. Dans le contexte actuel, les départements ne sont pas prompts à reprendre des charges dont il ne serait pas vérifié qu'elles seraient supportables et compensées. D'expérience, ce sont plutôt les difficultés qui sont transférées, sans les moyens qui vont avec.

Vous évoquez par ailleurs les difficultés d'application de la loi, sur l'aspect conventionnel lycée-collège. C'est aussi simplement un problème d'application de l'esprit de la loi. Les gestionnaires ne font pas preuve d'empressement dans la mise en place du guide, pour que nous ayons un pouvoir d'autorité sur les gestionnaires. Je le mettrai en oeuvre dans mon département. J'irai jusqu'au bout de la démarche. D'ailleurs, si vous le voulez, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous rendrai compte des conditions dans lesquelles l'application de la loi se fait, dès lors que l'administration tente d'en ajuster les contours à sa convenance.

S'agissant ensuite du financement des SDIS, pour répondre à Pascal Martin, je crois d'abord qu'il nous faut nous remettre à niveau. L'idée est d'abord que chaque habitant participe à l'effort contributif des collectivités, à due proportion, par l'intermédiaire de sa commune. Ainsi, Dijon regroupe la moitié de la population de mon département. Je verse 21 millions d'euros quand Dijon en verse 8, car il y a eu un décrochage du fait de l'effort consenti par les départements. Tout effort supplémentaire est pris en charge par les départements, hors inflation. A populations égales dans un même département, il en découle un décrochage. Il faudrait donc d'abord se mettre au clair là-dessus entre collectivités.

Ensuite, vous avez raison, la sécurité est une compétence d'État, sachant qu'un décrochage en matière de sécurité civile va s'observer. Nous allons connaître de nouvelles fractures en matière de sécurité civile. Il en existe déjà. Je les vois poindre. J'ai d'ailleurs insisté, lors du congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, sur la nécessité de tout mettre en oeuvre dans notre pays pour éviter de nouvelles fractures dans la prise en compte de la sécurité civile, selon les départements qui auront les moyens ou non de faire face. Il appartient à l'État d'y veiller.

Thierry a par ailleurs posé une très bonne question. Qu'est-ce qu'une vraie décentralisation ? C'est d'abord nous permettre d'accomplir nos compétences, dans de bonnes conditions. Commençons par nous mettre d'accord entre nous, régions, départements et intercommunalités. Il faut que nous nous parlions franchement. Pourquoi suis-je favorable à Territoires unis ? Parce que nous nous y retrouvons sur l'essentiel, pour dire ensemble qu'il faut des libertés locales, pour agir mieux pour les Français, parce qu'on agit mieux en proximité qu'au plan national. C'est le plan national, l'État, qui doit nous assurer la capacité à répondre aux problématiques des Français. Or, les problématiques de Seine-Saint-Denis ne se traiteront pas comme les problématiques d'autres départements, alors que les difficultés sont les mêmes pour les Français. Mais les conditions d'environnement sont différentes. L'État doit garantir l'équilibre territorial et l'équité territoriale. Telle est la vraie décentralisation. Or, ça n'est pas fait. Je pense donc qu'il faut réfléchir par blocs de compétences, ce qui rejoint la question de Pascal Martin. Je rappelle qu'il est question de garantir la présence de nos collèges, qui se joue parfois à quelques élèves. De notre côté, nous assurons la sectorisation, puis quand on contacte la région pour nous assurer du transport scolaire, elle le rejette comme trop coûteux. L'incompréhension de nos compatriotes est alors totale. Ils ne savent pas qui est responsable. Il est tout de même surprenant de nous demander de nous débrouiller entre nous. Ces situations sont incompréhensibles, d'autant que nous gérons le transport du handicap, qui peut être décalé. On pourrait tout à fait donner de la cohérence dans les déplacements, pour que la personne assure du transport scolaire et travaille jusqu'à midi ou 13 heures, avant qu'un autre reprenne le relais. Ainsi, des postes seraient constitués. Il nous est répondu que c'est impossible. Alors que faire ? Faut-il rester dans cette situation ?

Il est logique que le peuple exprime une parfaite incompréhension. Pourtant, on s'étonne de la colère qui s'exprime dans les urnes. C'est ce qu'il faut simplifier. Ensuite, j'étais hostile aux contrats de Cahors. Je vous l'ai dit. Je ne les ai pas signés. J'ai constaté que certains qui y étaient hostiles les ont finalement signés. C'est la liberté locale, que je prône de manière permanente. Je ne ferai donc aucun commentaire, si ce n'est celui que je garde pour moi.

En tant que responsable politique, comme vous l'êtes aussi, je sais que la situation de notre pays est gravissime. Qui en est responsable ? Il faut déjà arrêter les dépenses et la multiplication de distributions de chèques. C'est au gouvernement que va revenir l'addition et il va falloir regarder les conséquences.

À mon sens, notre pays dans son ensemble peut être confronté à d'énormes difficultés si l'on n'adresse pas des signaux pour rassurer des marchés financiers. Vous le savez et je le sais. Or, je sais que les collectivités territoriales ne sont pas responsables de la dégradation de la finance publique. Je renvoie donc chacun à ses responsabilités et je m'arrêterai là. Cela dit, en responsabilité, si on me dit qu'il faut adresser un signal que nous allons maîtriser la dépense publique, en tant que responsable politique je confirmerai qu'il faut maîtriser la dépense publique. En effet, on ne pourra pas tenir dans la durée à continuer à dépenser plus. Comment bâtir ce langage de responsabilité ? Il faut le bâtir comme le Sénat l'a proposé. Je ne serais pas allé jusqu'à un effort équivalent, mais il faut mettre en place un effort proportionné. Les collectivités doivent témoigner au peuple qu'elles ont conscience de ses souffrances, mais qu'elles ne veulent pas augmenter la dépense publique mais la réorienter dans leur direction, pour plus d'efficacité. Telle est la question de fond.

Je suis donc favorable à la trajectoire, parce que je ne veux pas de la situation allemande, qui a dû faire face à des difficultés d'accès à des financements, pas simplement à Bruxelles mais sur les marchés financiers. Je suis prêt à en discuter, mais il faut en discuter sérieusement. On ne peut nous demander d'accélérer les dépenses pour faire face aux difficultés des Français tout en freinant la dépense en la contingentant.

J'ai demandé plusieurs choses et j'espère d'ailleurs pouvoir compter sur votre appui. En premier lieu, toutes les dépenses non pilotables, dont nous ne sommes comptables ni de leur montant ni de leur volume, c'est-à-dire toutes les allocations individuelles de solidarité (AIS), doivent être sorties du jeu. Ce serait incompréhensible de nous demander des efforts sur des AIS dont nous ne fixons pas le montant.

Deuxièmement, j'ai mis en garde le gouvernement sur tout ce qui est contractualisé, comme les plans pauvreté ou les plans mis en place avec un regard croisé. Faut-il imposer un contingentement des sommes contractualisées sur le champ social ? J'ai bien indiqué au gouvernement que les départements ne s'engageront plus dans des démarches de contractualisation, à cause des coûts financiers, ou si le gouvernement les fait entrer dans un contrôle des dépenses.

Troisième chose, j'ai demandé au gouvernement une clause de revoyure en 2024, pour regarder le niveau d'inflation réel autour duquel s'arbitrera le 0,5. Ensuite, je prône une conception non pas individualisée du contrat, mais une conception collective. La masse des dépenses du département devra être au 0,5 en dessous de l'inflation. C'est un effort qui semble acceptable, en tous cas qui est proposé par le gouvernement. Ce n'est pas un contrat, mais un engagement. Pour ma part, je ne signerai aucun contrat, car je n'accepte pas la mise sous tutelle. Je n'ai pas besoin d'un préfet qui me dise ce que je dois faire. Le préfet doit d'abord s'assurer de mon contrôle de légalité. Pour ma part, j'ai la légitimité du peuple pour aller conduire des missions et c'est à lui que j'ai des comptes à rendre en premier lieu, et seulement ensuite au préfet. C'est d'ailleurs ce même langage qu'a tenu le Parlement et notamment le Sénat. Je me suis retrouvé dans vos propos. Bien sûr, cette position n'est pas partagée par tous les départements de France, mais je pense qu'une large majorité se dégage sur la ligne que je vous propose. La trajectoire est connue : clause de revoyure, 0,5 % sur l'inflation, constat de l'inflation 2024, pas d'année blanche, prise en compte de l'année 2023, etc.

Pour ce qui est de simplifier l'impôt local, je ne sais pas comment faire. En tous cas, le mouvement qui consiste à affirmer que l'on nous donnera des dotations de l'État et qu'il faudra discuter avec l'État en permanence sur les budgets ne convient pas. Ce n'est pas une approche qui favorise la liberté ou l'autonomie dont je rêve pour nos collectivités. Nous avons besoin d'un impôt avec une possibilité de taux. Donnez-moi une possibilité de variation du taux. Nous avons demandé l'évolution des taux sur les droits de mutation. On nous l'a toujours refusée. Dans le principe, je pense qu'il n'y a pas d'autonomie et de liberté locale sans autonomie fiscale. La question du transfert me fatigue. Comment avons-nous passé la grave crise financière de 2008-2009, avec sa chute de moitié des droits de mutation ? Nous disposions de leviers, comme le levier du foncier bâti. Nous avons décidé de faire face tous ensemble. Je l'ai expliqué à mes compatriotes. Ils ont accepté cet impôt nouveau, pour compenser et continuer d'agir. Que puis-je faire aujourd'hui, face à la baisse ? Je n'aurai d'autre choix que celui de me tourner vers le préfet, pour lui tendre les clés du département et lui demander d'agir à ma place, car je ne sais plus comment faire. Nous n'avons plus de marge. Il faudra donc réinventer une fiscalité dans laquelle nous aurons un pouvoir de taux. L'idée selon laquelle l'argent vient d'ailleurs n'est pas une idée saine en démocratie. Il faut connecter l'impôt territorial avec une logique de retour sur l'impôt payé localement. Cela s'appelle les droits et les devoirs d'une société. Il faut réinventer ce système. Or, nous avons passé notre temps à le supprimer. Qui en a voulu ainsi ? Certainement pas les collectivités locales. C'est la responsabilité de l'État central, car il ne reste rien quand l'État nous tient par les finances et par la compétence. Je tiens à le redire : nous n'avons pas vocation à être des sous-traitants de l'État. En tous cas, je ne me suis pas engagé dans l'action publique pour être un sous-traitant de l'État. Je veux avoir la capacité d'innover.

Pour sa part, la question des transports scolaires est totalement dysfonctionnelle. Il faut la régler en proximité avec les élus locaux et les maires, en adaptant le système de transport selon la réalité territoriale, sinon vous générerez des insatisfactions.

S'agissant enfin des AESH, le principe est le même que pour la médecine scolaire. Il faut vraiment être au clair là-dessus et qu'aucune charge ne nous soit transférée.

Mme Céline Brulin. - Quel regard portez-vous sur les dispositifs gouvernementaux de soutien aux collectivités en matière énergétique ? Ne pensez-vous pas qu'il faudrait réfléchir à des mesures d'ordre structurel, d'autant que la crise risque de durer ?

De plus, il semblerait que les EHPAD ne soient pas considérés comme établissements prioritaires dans les plans de délestage qui sont en cours d'élaboration. Le confirmez-vous ?

Une Ministre qui nous a récemment quittés avait remis sur la table la possibilité du conseiller territorial. Qu'en pensez-vous au regard de la situation d'asphyxie des départements que vous évoquez ?

Enfin, les Départements de France peuvent-ils soumettre des projections sur la situation sociale de nos concitoyens, au regard de leur coeur de métier de l'action sociale ? En effet, d'importantes dégradations sociales sont à noter actuellement, y compris dans la classe moyenne.

M. Olivier Paccaud. - Merci pour votre plaidoyer pour les départements. Je suis encore conseiller départemental, mais j'ai aussi été conseiller régional, jadis, dans une petite région, la Picardie. J'ai bien entendu que vous regrettiez certaines régions à taille humaine, bien équilibrées.

Je rejoins Céline sur le conseiller territorial. Or, il n'est pas remis en place par une Ministre. Il figurait dans le programme du Président de la République. J'ai entendu de nombreux points de questionnement sur les relations avec la région. Sur quelle base doit-il être élu ? Un canton ? Une liste ? Quelle est votre vision ?

Mme Nadine Bellurot. - Je vous rejoins sur le transfert des compétences et le transport scolaire. Ce sont des préoccupations importantes. Il faudrait revenir sur cette compétence.

Les SDIS et les Conseils départementaux sont très imbriqués. Où en est-on de la carence ambulancière ? Un rehaussement de l'indemnité a eu lieu. Cela correspond-il à vos attentes ou y a-t-il encore des marges de progression ?

M. François Sauvadet. - Je crois qu'une révision a été passée dans le plan concernant les EHPAD. Dans la perspective de coupures éventuelles, je crois que nous aurons une discussion très rapide avec les services de l'État. Toutes nos DGS ont prévu d'étudier les situations particulières si une coupure survenait, par exemple pour les personnes à domicile ayant des problèmes respiratoires.

Ce qui nous a été proposé concernant les problématiques énergétiques est franchement compliqué. Nous étudions ces propositions dans le détail. Je crois qu'un accompagnement s'impose, face à un tel choc et dans un contexte budgétaire tendu pour certains départements. Il faut aussi être renseigné très rapidement sur la façon dont le gouvernement compte engager l'accompagnement vers la rénovation au plan énergétique des logements et de nos propres bâtiments. Comme la tension sur les prix de l'énergie promet de durer, l'adaptation au changement climatique et la hausse des prix de l'énergie doivent nous conduire à être encore plus vigoureux. Pour cela, il faut que nous soyons accompagnés, ce qui posera d'ailleurs la question du logement et de la compétence logement. J'ai entendu à plusieurs reprises le chef de l'État affirmer qu'elle avait été transférée. Qu'est-ce que cela signifie ? Il va falloir le vérifier et clarifier les contours financiers.

Vous m'interrogez sur les critères. Je vous ai répondu : c'est extraordinairement compliqué, au point que nous devons faire un point très précis là-dessus. Vous-même avez d'ailleurs contribué à l'assouplissement des critères, car ce qui était prévu pour les communes visait à exclure de la totalité du champ du bouclier énergétique l'ensemble des départements, ce qui n'aurait pas été tenable. Cela renvoie à la discussion que nous avons tenue. Dans un premier temps, je souhaite vraiment que nous nous préoccupions de la situation des départements qui sont le plus en difficulté vis-à-vis de la montée de leurs dépenses et de la chute de leurs ressources. Une quinzaine sont concernés et je souhaite que le gouvernement engage rapidement un dialogue avec eux. Madame la Présidente, si vous le souhaitez, je vous proposerai d'ailleurs de vous informer des discussions que nous aurons avec le gouvernement.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Absolument. Je vous en remercie.

M. François Sauvadet. - Un autre point n'a pas été soulevé : les conséquences du changement de l'indemnisation chômage sur le RSA. Nous avons déjà noté une remontée du RSA, comme je vous le disais tout à l'heure, ce qui vient contredire les arguments du gouvernement, selon lequel une hausse était une baisse. Or, de façon tout à fait pratique, une hausse n'est jamais une baisse, sinon on l'appelle une baisse, voire un statu quo. Je me suis d'ailleurs entretenu de ce tour de passe-passe avec Bruno Le Maire, pour que nous soyons bien d'accord sur la syntaxe.

S'agissant du conseiller territorial, chacun a son avis sur le sujet. Je ne suis pas mandaté par les départements de France pour avoir une position là-dessus. D'une manière très générale, je crois que l'ensemble des départements n'est pas pressé de rentrer dans des discussions sur le conseiller territorial, face aux difficultés devant lesquelles ils se trouvent. On peut en faire l'économie. C'est ce que j'ai exprimé à la tribune des départements de France, en disant qu'il y avait d'autres urgences que de revoir le mode électoral des conseillers. Il vaut mieux aborder ces sujets en des temps plus calmes, ce qui n'exclut pas de pouvoir y réfléchir. À mon sens, un conseiller territorial serait intenable dans une de nos grandes régions actuelles. Elles sont trop grandes selon moi. Si vous voulez respecter à la fois la parité et le binôme, alors vous aurez des assemblées pléthoriques, à 200 ou 300 personnes, ce qui n'est pas tenable.

Ensuite, on pourrait conserver l'échelon et faire siéger dans les deux instances un pourcentage des élus, à due proportion de leur groupe dans l'échelon supérieur. Cela me paraît bien compliqué. En tous cas, je n'ai pas mandat pour entrer dans ce sujet et je n'y entrerai pas. En tant qu'élu, à titre personnel, je pense que ce n'est pas le moment d'ouvrir un tel sujet, quand le peuple est confronté à tant de difficultés. Je l'ai dit au gouvernement, ce qui ne signifie pas qu'il ne faut pas se préparer à ces sujets, mais il vaut mieux concentrer toute notre énergie pour améliorer les conditions d'action de chaque niveau d'activité et de chaque niveau de compétence. Il faut donner un socle de capacité à agir à chaque échelon.

Tout le monde a conscience que l'on a besoin des départements, tout comme on a redécouvert l'importance des maires avec la crise des gilets jaunes. Pour ma part, j'avais l'impression d'être vraiment perçu comme un ringard quand, pendant 24 ans à l'Assemblée nationale, je disais que chaque commune compte parce que chaque habitant compte. Dans un grand pays, quand on a la chance d'avoir ce socle républicain, il faut le préserver, même si ce sont des petites communes et même s'il y a peu d'élus. C'est un engagement territorial et une assurance républicaine territoriale. Ma circonscription électorale de députés comptait 343 communes. Personne ne doute de la pertinence de l'échelon départemental pour agir au quotidien. 370 000 agents sont répartis partout, sur tout le territoire. Ils sont en capacité d'agir, pour distribuer des masques ou aller au secours d'une famille. Nous disposons de centres routiers et de services sociaux qui connaissent les familles. Qu'est-ce qu'il est prévu de faire des départements ? Je vois bien poindre une certaine idée. Je l'ai entendu exposée par le Président de la République : comme l'État finance le social, il va reprendre en main le social. À chaque fois qu'une crise ou une difficulté est enregistrée dans une maison de l'enfance, on ne se demande pas pourquoi cette difficulté a émergé. On ne démonte pas la mécanique de la responsabilité de chacun. Sur ce point, je redis toute la confiance que j'ai pour tous nos agents et tous nos salariés du champ social, y compris dans la protection de l'enfance, qui est devenue extraordinairement difficile, parce que la violence est là. Veut-on faire des départements les sous-traitants de l'État ? L'État va-t-il reprendre la compétence sociale ? Les DDASS d'antan géraient-elles mieux la problématique de l'enfance que nous ? Pense-t-on raisonnablement répondre aux difficultés en éloignant les centres de décision et en laissant l'État faire des départements son bras armé et ses sous-traitants, au moment où le peuple aspire à plus de proximité ? Est-ce que les départements sont les services déconcentrés de l'État ? Non, même si nous avons un dialogue constant avec les services de l'État, parce que ces missions sont aussi exercées en partage, nous pour agir en proximité et en humanité, et le gouvernement pour nous donner les impulsions de ce qu'il souhaite faire pour le pays, en fonction des engagements présidentiels et parlementaires.

Par ailleurs, avons-nous vocation à être les acteurs de décisions prises à l'échelon régional, alors que nous sommes acteurs nous-mêmes sur le terrain ? Ça vaut pour la politique de l'eau. Ça vaut pour les espaces naturels sensibles. Nous savons parfaitement que tout cela se règle en proximité. Va-t-on laisser en permanence l'État discuter de schémas régionaux, dans lesquels nous ne sommes parfois même pas associés ? Je ne sais pas ce qui se passe dans les contrats de plan. Nous ne participons qu'à une consultation sur les SRADDET, puis le résultat nous est exposé. Est-ce bon pour le pays ? Je ne le crois pas.

Dans une région comme la mienne, en Bourgogne-Franche-Comté, y a-t-il une communauté de destins et d'approches entre la Nièvre, qui avait déjà du mal à se sentir bourguignonne, et le Territoire de Belfort, qui regarde vers l'Alsace ? Certaines régions disposent d'un périmètre, comme l'Ile-de-France, mais est-ce que ce fonctionnement a du sens pour nous ? Telle est mon interrogation.

En tous cas, je vous le dis dans l'intérêt du pays, en tant qu'ancien conseiller régional et ancien parlementaire, je ne suis pas là pour défendre des boutiques. En revanche, je veux défendre l'idée départementale, parce que je trouve que c'est une idée moderne. C'est en outre une idée qui correspond à l'attente du peuple. C'est également une idée culturelle. On est de sa commune, de son département, puis de son pays. Je pense donc que c'est une idée qu'il faut réactiver, parce que c'est l'idée de la proximité. C'est la bonne réponse à apporter. Il convient ensuite de mener une évaluation et s'assurer que tous sont traités de la même manière, mais j'y crois.

J'entends ceux qui défendent le niveau régional. Il faut alors que les régions s'occupent de l'économie, des grandes stratégies régionales et qu'on revienne à l'essence même de leur constitution, en nous laissant agir dans les domaines de proximité, de la vie quotidienne.

Je tiens enfin à attirer vraiment votre attention sur un ultime sujet, le sujet de l'eau. Le système français va progressivement s'apparenter à ce qu'ont connu certains grands pays comme l'Australie ou les États-Unis avec la Californie, etc. Le prix de l'eau va baisser dans les métropoles et les grandes villes et va exploser dans le territoire rural. Dans la structuration actuelle, seuls quelques départements jouent la carte de la mutualisation, comme l'Aube ou la Gironde, qui ont mutualisé leur production d'eau. Ces départements ont essayé de mettre en place des interconnexions. C'est le cas de l'Allier, par exemple. Le transfert aux communautés de communes va conduire à d'immenses difficultés, alors que les communautés de communes sont déjà exsangues. Il faut penser aux territoires ruraux qui n'ont pas suffisamment mobilisé en leur temps les moyens de renouvellement des réseaux. Il y a notamment beaucoup de réseaux fuyards. Dans le même temps, l'échelle des communautés de communes ne pourra pas résister face à un changement climatique qui va se traduire par une baisse du niveau des ressources. En matière de compétences, il faudra -pour les départements qui le souhaitent- la possibilité d'intervenir dans la production d'eau potable et directement dans le sujet des interconnexions. Ceux qui l'ont déjà fait peuvent continuer à le faire, mais ceux qui voudraient le faire aujourd'hui ne le peuvent plus. Dans mon département, je suis empêché d'agir par une vision trop stricte de la loi. Il m'est impossible de développer la production d'eau. En revanche, je suis sollicité pour financer. Au bout du compte, j'arrêterai le financement. Je le dis tout net. Si la loi n'évoluait pas, j'arrêterais le financement. On ne peut continuer à être un simple cofinanceur, sans avoir une vision d'ensemble à l'échelle d'un périmètre, du bassin et du département. Il faudra parvenir à une mutualisation du prix de l'eau entre métropoles, au risque d'arriver à une situation insupportable. Sinon, le monde rural en arrivera à chercher de l'eau dans le monde rural, avec des contraintes légitimes, et à la ramener en ville. Tandis que le prix de l'eau se stabilise, voire baisse dans certaines villes, il est en train d'exploser à la campagne. Parfois, on revend même de l'eau dans le périmètre. Au fond, on accélère le phénomène de densification, car sans eau, pas de développement. Dès lors que la ville se densifie, de l'eau en quantité suffisante lui est apportée, puis l'eau disponible est ensuite répartie.

J'ai récemment assisté à une scène édifiante, avec une entreprise installée en périphérie de métropole. Elle a quitté son lieu d'implantation pour s'installer sur le territoire métropolitain, au motif que le prix de l'eau y était moins élevé. Vous qui êtes au plus près de nos compatriotes, il faut vraiment que vous vous saisissiez de ce sujet.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Le sujet de l'eau est effectivement extrêmement inspirant.

M. François Sauvadet. - J'en arrive aux carences en ambulanciers. Tout reste à faire. Il y a d'abord des discussions avec les ARS sur le volume d'heures à prendre en compte sur les carences, mais il y a aussi des services à améliorer. On ne peut continuer ainsi, avec de fortes pressions qui s'exercent sur nos pompiers volontaires. Il faut qu'on continue d'assurer la sécurité et le transfert. Les pompiers sont là pour aider la population, mais nous n'aurons pas de pompiers formés durablement qui joueront le rôle de taxi. C'est aussi simple que cela. Il faut vraiment se pencher sur la question. Il serait intéressant en particulier d'étudier les conditions dans lesquelles la prise en compte de la carence ambulancière s'est traduite. Nous avons déjà réglé une petite partie financière, en portant le montant à 200 euros, mais ce n'est pas suffisant et le volume n'est pas pris en compte.

Mme Françoise Gatel, présidente. - À titre exceptionnel, Cédric Vial va poser une dernière question, avant de vous laisser le temps de conclure.

M. François Sauvadet. - Je serai toujours disponible pour le Sénat et pour vous, Madame la Présidente.

M. Cédric Vial, secrétaire. - Merci pour vos propos sur l'eau. Pensez-vous qu'il serait envisageable ou souhaitable que les départements puissent prendre la compétence sur la gestion des milieux aquatiques et sur l'eau, de façon générale, à la place des agences de l'eau ? Vous avez évoqué la question de l'autonomie fiscale. Les agences de l'eau sont financées par une taxe, puis elles mettent en place leurs propres politiques publiques, sans véritable contrôle démocratique.

Ne serait-ce pas pertinent que cette taxe revienne aux départements ? Ce serait une source supplémentaire d'autonomie fiscale. Ensuite, selon le particularisme des départements, ils mettraient en place dans un cadre national et probablement dans une logique de bassin une politique de l'eau, de l'assainissement et éventuellement de protection des milieux aquatiques. Cette idée vous semble-t-elle pertinente ? En tous les cas, il n'existe pas toujours de contrôle démocratique.

M. François Sauvadet. - Sur ce constat, il faut vraiment ouvrir le jeu et permettre aux départements qui le souhaitent d'intervenir dans le domaine de l'eau, en lien et avec l'accord des syndicats. Nous nous trouvons pour l'heure dans des situations de blocage réelles, avec des différences territoriales. Or, les départements sont en mesure de les apaiser et de rassembler, notamment par l'investissement qu'ils mènent dans le domaine de l'eau.

Je souhaite évoquer la question précise du fonctionnement des comités de bassin-agences de l'eau. J'ai présidé le comité de bassin Seine-Normandie, pendant plusieurs années, en présence de représentants de Paris et de l'Ile-de-France. La gouvernance des comités de bassin doit être revue. Nous sommes sous tutelle de l'État, avec des injonctions parfois incompréhensibles, y compris pour les élus, et pour tous les corps qui participent à la définition de ces politiques, à l'échelle d'un bassin. Je pense qu'il est utile de réunir dans une même assemblée les écologistes, parfois les plus engagés, les agriculteurs ou les industriels, parce que cela permet de dégager des consensus. C'est important de dégager des consensus et de mettre tout le monde autour de la table. Peu d'assemblées réunissent tout le monde autour de la table. Le problème, c'est l'injonction du gouvernement.

Nous avons tous travaillé sur l'assainissement non collectif. Vous vous en souvenez certainement. C'est alors que d'un seul coup, sur injonction de l'État, l'assainissement non collectif a été retiré. Seule est restée l'obligation de se mettre aux normes lors de la vente de la propriété. Dans des têtes de bassin ou à des niveaux de failles karstiques, il faut évidemment aider l'assainissement non collectif de celui qui souhaite remettre aux normes son installation. Le gouvernement a décidé de le supprimer. Je n'ai obtenu de la part du gouvernement que l'autorisation pour l'Agence de l'eau de pouvoir intervenir sur les zones de revitalisation rurale. Il faut redonner de l'autonomie de la décision, avec un plan de cadrage général, pour l'adaptation à la réalité territoriale, dans chaque bassin. Martial Saddier, qui préside Rhône Méditerranée-Corse, en sait quelque chose. Je lui avais d'ailleurs proposé de reprendre la présidence du comité interbassins.

Faut-il transférer au département ? Je ne le pense pas, car la solidarité s'exprime à travers la contribution de chacun. Si vous retiriez l'Ile-de-France du périmètre de l'agence de bassin Seine-Normandie, je ne vous suivrais pas spontanément. Faut-il en revanche qu'une proportion soit donnée au département, pas simplement sous terme de subvention, mais un accès à une partie de la taxe plafonnée dans son ensemble, pour permettre au département d'agir ? Voici une excellente idée, à laquelle je dois vous dire que je n'avais pas pensé spontanément. Il vous appartient maintenant à vous, législateurs, de faire évoluer la loi. Je compte sur vous pour qu'un amendement rapide soit passé sur un point précis, et je compte vraiment sur les Sénateurs. Il faut permettre à des départements propriétaires d'une ressource potable de la mettre en production (sans entrer dans le débat des distributions). Il faut pouvoir investir dans un lieu de notre département pour produire de l'eau potable. A l'heure actuelle, nous ne pouvons produire que de l'eau brute, pas de l'eau potable. Si vous n'avez pas de syndicat à taille suffisante à proximité, il vous est proposé de créer un petit syndicat mixte ouvert. Pourquoi pas, mais cela nous renvoie à la CDCI. Et comme la CDCI refuse toute création nouvelle, en attendant le transfert sur les communautés de communes, vous vous retrouvez dans une impasse totale.

Faut-il que je me présente avec 300 maires devant la préfecture ? Nous n'en pouvons plus. Nous avons besoin d'eau mais nous ne pouvons pas en produire. Si vous pouviez faire avancer ce dossier, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous rendriez service à tous les départements, post-lois NOTre et MAPTAM, qui ne peuvent plus intervenir pour mettre en production de l'eau dont ils sont détenteurs.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci pour cet échange approfondi sur ce sujet, qui est une obsession pour le Sénat depuis 2016. Quand on est obsédé longtemps par quelque chose, certains pourraient penser qu'on souffre d'une maladie quelconque, qui deviendrait chronique au Sénat. Pas du tout. Notre objectif est l'efficacité de l'action publique, à partir de la réalité des choses. En 2016, nous avons voté au Sénat une loi sur l'eau et l'assainissement, en soulignant le transfert facultatif aux intercommunalités. Jamais l'eau n'a coulé en France selon un parcours administratif, mais en fonction de bassins versants. Si la loi permet de gagner en efficacité dans ce domaine, ce sera une source de satisfaction.

Nous n'avons cessé de travailler sur le sujet. Le gouvernement a bien compris qu'il était compliqué, mais il n'a pas souhaité changer d'avis, du fait de la forte pression du Ministère de l'Environnement, dont la vision est simple. Pour lui, la commune est bien trop petite pour traiter le sujet. Il a donc voulu imposer la compétence de l'intercommunalité, qui n'a aucun sens. Nous avons fini par obtenir la subdélégation, qui reste inexplicable pour les élus locaux. Les maires détiennent donc la compétence, mais ils doivent la transférer, puis elle leur est subdéléguée. Les maires n'y comprennent rien. Cette disposition a d'ailleurs été malmenée à l'Assemblée, mais nous n'avons pas eu gain de cause dans le cadre de la loi 3DS. Jean Castex nous a accordé des concessions mineures, mais il reste des endroits en métropole où le système ne fonctionne pas du tout. Une nouvelle proposition de loi a alors été déposée par le spécialiste de l'eau et de l'assainissement, Mathieu Darnaud, bien appuyé et à juste titre par ses collègues. Il faudrait aujourd'hui que cette proposition de loi soit portée à l'Assemblée nationale et je trouve que notre échange un peu approfondi sur ce sujet est très intéressant. Cédric en sera un avocat extrêmement efficace. Derrière son interrogation se trouve la question de « l'agencification ». Cette notion peut être intéressante - nous n'affichons pas une position caricaturale -, mais quand nous auditionnons l'ADEME ou l'Agence de l'eau, il apparaît que des pans entiers de politique de l'État glissent progressivement vers l'autonomie, sans réelle supervision. Ainsi, les agences en arrivent parfois à mettre en oeuvre des dispositifs contraires à l'esprit de la loi, sans évaluation, faute de contrôle. Dans ce contexte, je trouve vraiment que ce qu'a proposé Cédric est vraiment remarquable.

Monsieur le Président, nous vous proposons de conclure.

M. François Sauvadet. - D'autant plus que l'État se sert abondamment dans les budgets de l'Agence de l'eau. Quand a été créé l'Office français de la biodiversité, j'étais encore Président du Comité Seine-Normandie. Nous nous étions opposés à une accélération de la ponction visant à alimenter l'Office français de la biodiversité, alors que nous sommes nous-mêmes appelés dans les agences et les comités de bassin à agir sur la biodiversité. Il s'agit d'une situation infernale, où il en est demandé beaucoup à l'eau et au budget de l'eau. Cette dérive est inquiétante. Rappelons que sans l'eau, pas de biodiversité. Le principal enjeu va donc consister à amener de l'eau dans toute la France. Dans mon département, certaines communes se retrouvent sans eau en été, alors que nous savons que nous allons perdre 30 % de notre ressource en eau dans les quinze années à venir. De même, on ne trouve plus d'eau dans les failles karstiques, alors qu'on en trouvait précédemment. Un certain nombre de communes ont le réflexe de refuser de manière épidermique qu'on touche à leurs réserves en eau, mais quel est le bon échelon sur lequel travailler ? Il faut faire évoluer l'adaptation territoriale et la réponse au changement climatique en donnant de la souplesse.

J'ai entendu le Président du Sénat évoquer la présence de compétences optionnelles devant l'Association des maires de France. Il faudrait travailler sur ce sujet-là, en accord avec les différents niveaux, par exemple s'ils veulent subdéléguer la compétence au département. Je suis prêt à y travailler. En tous cas, il faut vraiment trouver le bon échelon.

De surcroît, la grande région pourrait être impliquée sur ces sujets. Pour autant, il existe une grande diversité de situations dans une grande région au regard de l'eau. J'ai beaucoup apprécié le modèle de l'Allier, qui a créé un syndicat dans lequel figure le département et qui assure de la production d'eau et de l'interconnexion de l'eau, à l'échelle du département, et ça fonctionne bien. Ils peuvent faire jouer la solidarité entre ville et campagne. Tout le monde participe alors de la production de l'eau. En dehors d'un tel fonctionnement, les contraintes seront supportées par le monde rural. Il ne faut pas ignorer le pouvoir de l'eau dans l'aménagement du territoire et dans le développement territorial. C'est un enjeu majeur auquel je voulais vous rendre attentif, mais je sais que vous l'êtes.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci, Monsieur le Président pour cet échange qui nourrit notre réflexion et notre action. Au sein de la délégation, nous sommes tous issus de commissions différentes (affaires sociales, culture, économie, finance, etc.). Il est très important que les sujets ne soient pas seulement des sujets de spécialistes mais que l'on puisse partager cette culture, car les collectivités sont multi-compétentes. Soyez assuré de l'importance que nous accordons à votre contribution à la société.

Il a été question tout à l'heure de la notion de rentabilité. Je pense que vous êtes au coeur de l'avenir et de la cohésion sociale. En effet, sans parler des désordres écologiques qui ne font que renforcer les difficultés, je pense que nous faisons face à un enjeu de cohésion sociale, de solidarité, d'éducation et d'émancipation des jeunes. Vous avez évoqué des situations psychiatriques difficiles de certains jeunes, situations qui perturbent leurs vies et qui génèrent des dégâts. Des familles monoparentales sont en détresse, avec une violence qui s'exprime dès l'enfance, ce qui fragilise aussi l'économie. Nous devons donc investir dans la solidarité, particulièrement dans l'enfance. Il s'agit alors véritablement de prévention. De plus, en prenant soin en amont, ce sont autant de dépenses que nous n'aurons pas à engager pour guérir.

Comptez sur nous. Nous ne faisons pas de miracles, mais nous y croyons quand même.

Merci, Monsieur le Président et merci à tous, pour le dialogue constant que nous avons avec vous, et pour votre disponibilité quand nous vous sollicitons, ce qui intervient très régulièrement.

Questions diverses

Aucune question diverse n'est posée.

La réunion est close à 11 h 00.