Mercredi 7 décembre 2022

- Présidence de M. Pascal Allizard, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Guerre en Ukraine - Audition du Général de corps aérien Bruno Clermont

M. Pascal Allizard, Vice-président - Nous sommes heureux de vous accueillir, mon Général, pour cette audition sur la guerre en Ukraine et ses enseignements.

Nous avons récemment auditionné le colonel Michel Goya à ce sujet. Après avoir entendu un terrien, nous nous réjouissons de pouvoir bénéficier du regard complémentaire d'un aviateur. Votre éclairage nous sera précieux. Vous avez effectué 35 années de service dans l'armée de l'air comme pilote de chasse, puis en état-major et à plusieurs postes à responsabilité au sein du secrétariat général de la défense nationale, du commandement du soutien des forces aériennes et, enfin, comme directeur de la sécurité aéronautique d'État. Vous avez donc aussi une grande expérience du regard interarmées. De 2014 à 2021, vous avez exercé les fonctions de conseiller du président de Dassault Aviation, avant de créer votre propre société de conseil en stratégie.

Notre commission est très attentive à ce que la France ne passe pas à côté des enseignements de la guerre en Ukraine. Ce conflit est loin d'être achevé, ce qui nous oblige à une certaine prudence. Vous pourrez d'ailleurs nous livrer votre analyse de la situation sur le terrain, alors que les villes et les infrastructures ukrainiennes continuent d'être bombardées par les Russes, faute pour ces derniers de pouvoir repousser la contre-offensive ukrainienne à l'est et au sud. Comment le rapport de force est-il susceptible d'évoluer au cours d'une guerre qui s'annonce malheureusement longue ?

Cette guerre n'épuise bien sûr pas, à elle seule, l'ensemble des problématiques de la réflexion prospective, mais toutes les caractéristiques de ce conflit de haute intensité sur le sol européen devront être prises en compte dans la prochaine loi de programmation militaire, qui est actuellement en préparation par le gouvernement.

C'est pourquoi la commission a constitué un groupe de travail sur le retour d'expérience du conflit ukrainien. Les rapporteurs sont Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini. Il s'agit d'évaluer la portée de cette guerre sur le plan géostratégique et ses enseignements sur le plan militaire.

Vous nous livrerez en particulier votre analyse de l'usage de l'arme aérienne dans ce conflit. Les Russes n'ont pas acquis la supériorité aérienne, ce qui a été pour beaucoup une surprise. L'ont-ils cherchée ? Si non, pourquoi ? Dans la doctrine occidentale, l'acquisition de la supériorité aérienne est essentielle.

Nous avons vu une nouvelle fois, après la guerre au Haut Karabagh, l'usage massif des drones. Ce changement fondamental repose sur l'usage de drones relativement peu coûteux, mais aux effets cinétiques et psychologiques dévastateurs. Quelle sera la place de l'aviation de combat dans ce nouveau contexte ? Le concept du SCAF est-il adapté à ces évolutions ?

Nous sommes préoccupés par le retard de la France en matière de drones, mais aussi par la rareté de notre défense sol-air et de nos capacités de suppression des défenses aériennes adverses. Nous disposons de moyens de haute technologie enviés de tous, en particulier des Ukrainiens, mais dans des quantités quasi échantillonnaires. Où fixer le partage entre le contenu technologique et la masse ?

Mon Général, vous avez la parole.

Général Bruno Clermont - Je vous remercie de m'accueillir. Mon analyse sera plus stratégique que tactique. En préambule, un point important. Je m'attache aux faits. J'évite la morale ou l'émotion. Pour autant, il est clair que ce que fait Poutine est inacceptable. L'armée russe se livre à une succession ininterrompue de crimes de guerre depuis huit mois. Si leurs auteurs ne comparaissent pas devant le tribunal des hommes, ils comparaîtront devant le tribunal de l'Histoire.

Mon propos s'articulera en deux parties. Je brosserai d'abord les caractéristiques principales de cette guerre, avant d'en tirer les enseignements.

Il faut bien comprendre que les deux armées sont issues du même moule : celui de l'Union Soviétique. Au début de la guerre, elles utilisaient les mêmes équipements militaires. Ces deux armées ont longtemps conservé les modes de fonctionnement rigides et centralisés des forces soviétiques. La seule différence : environ 10 fois plus d'équipements côté russe, souvent un standard plus avancé et aucune marine de guerre côté ukrainien depuis 2014. Le rapport de puissance est donc en faveur des Russes, qui auraient dû faire la différence. Cela n'a pas été le cas.

Du côté ukrainien, l'invasion russe en Crimée et le début de la guerre dans le Donbass en 2014 ont servi d'électrochoc. La guerre n'a pas commencé en 2022, mais en 2014. À partir de cette date, l'OTAN d'un côté, les États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne de l'autre, ont commencé à former l'armée ukrainienne. Au début de la guerre, on estime que 40 000 des 80 000 soldats de l'armée régulière ont été formés par les occidentaux et combattent « à l'occidentale ». Des unités de forces spéciales ont même été créées ; elles se montreront extrêmement efficaces sur le théâtre d'opération.

De leur côté, les forces russes n'ont rien à voir avec les forces soviétiques, notamment pour ce qui concerne la quantité. En réalité, elles sont très réduites. Si Poutine a modernisé ses forces nucléaires, la modernisation de ses forces conventionnelles est très loin d'être achevée lorsqu'il déclenche l'offensive. En Russie, les forces nucléaires captent une large part des crédits, au détriment des capacités conventionnelles.

De plus, l'armée russe est minée par la corruption et la violence, à l'image de la société russe, par la médiocrité de ses chefs militaires et par le manque d'entraînement. Parachutistes, appelés fraîchement engagés, professionnels, mercenaires de Wagner, soldats de Kadyrov : ce n'est pas une armée, mais la juxtaposition d'armées différentes agissant de manière non-coordonnée. Surtout, ces forces sont trop réduites en nombre. La Fédération de Russie, c'est 17 millions de kilomètres carrés, soit 30 fois la taille de la France, pour un budget de la défense de l'ordre de 1,5 fois celui de la France.

Le rapport de force sera progressivement modifié par la livraison massive d'équipements militaires à l'Ukraine : d'abord des équipements ex-soviétiques de la part d'anciens pays du Pacte de Varsovie, puis très rapidement des équipements occidentaux.

Pour résumer la situation du début de la guerre, qui prévaut toujours aujourd'hui : les Ukrainiens ont des combattants à volonté, mais pas assez d'armements, tandis que les Russes ont de l'armement à volonté, mais pas assez de combattants.

La guerre peut se décomposer en 4 phases. La première est celle de l'invasion manquée. Elle débute le 24 février et dure 45 jours, jusqu'à la mi-avril, le temps que Poutine réalise que ses généraux lui mentent. L'offensive russe repoussée par les Ukrainiens s'est terminée par un désastre stratégique et militaire pour la Russie. Les explications sont multiples. Ce désastre est d'abord la conséquence d'une analyse totalement erronée des Russes sur 3 points : l'existence d'une nation ukrainienne, la sur-estimation de la puissance de l'armée russe et la sous-estimation de la puissance de l'armée ukrainienne.

Les Russes pensaient que la résistance ukrainienne serait minime et que Kiev et le Donbass tomberaient aussi facilement que la Crimée en 2014. C'est une faute majeure de la part de Poutine et de ses services de renseignement, dont il a d'ailleurs très vite limogé la plupart des chefs. Ainsi, les forces parachutistes, qui sont la fine fleur de l'armée russe, ont été décimées lors d'une tentative de débarquement sur l'aéroport d'Hostomel au début de la guerre.

Durant cette phase, les Russes ont conquis une grande partie du territoire de l'Ukraine, pratiquement sans combattre, dont la région de Kherson et la centrale de Zaporijia. Cette phase se termine le 18 avril avec une humiliation majeure pour la Russie : la marine ukrainienne, qui n'a pas de bateau, est parvenue à couler le croiseur Moskva, qui était le bateau amiral de la flotte russe en mer Noire. Les Ukrainiens ont gagné la première phase de la guerre sans aucune ambiguïté.

Commence alors la deuxième phase, celle de la nouvelle stratégie russe. Il s'agit de concentrer les efforts sur le Donbass d'abord, sur le contrôle de la mer Noire ensuite. Cette phase durera 4 mois. Les Russes progressent dans le Donbass au prix de lourdes pertes. À la mi-juillet, ils ont pris la totalité de l'oblast de Louhansk et 80 % de celui de Donetsk. Ils contrôlent alors une partie importante de l'Ukraine en plus de la Crimée. Pour autant, ils sont toujours confrontés aux mêmes problèmes : manque d'hommes, commandement défaillant. Les Russes ont tout de même gagné cette deuxième phase de la guerre, marquée notamment par la prise de la ville martyre de Marioupol. En revanche, ils se montrent incapables de poursuivre l'offensive jusqu'à Odessa.

Du côté ukrainien, la mobilisation décidée le premier jour porte ses fruits. Des dizaines de milliers de combattants armés par les occidentaux renforcent l'armée régulière. La nation ukrainienne est en armes. Elle est galvanisée par un chef exceptionnel : Volodymyr Zelensky.

La troisième phase est celle de la contre-offensive ukrainienne. Elle ne sera visible qu'en août avec des mouvements de troupes, mais elle a démarré en juin avec la livraison d'armes, notamment les Himars. Ces armes frappent loin et fort, avec une très grande précision. Chaque roquette tirée est un coup au but. Pendant des semaines, les Ukrainiens s'emploient à détruire le deuxième échelon russe (logistique, dépôts de carburant, dépôts de munitions). En outre, les Ukrainiens conçoivent une opération de déception remarquable, faisant croire aux Russes qu'ils attaqueront à Kherson, alors qu'ils lancent l'offensive dans la région de Kharkiv. N'ayant pas assez d'hommes, les Russes choisiront de sauver Kherson, ce qui entraînera une débâcle dans le nord. Le 21 septembre, Poutine déclare la mobilisation partielle et annexe les territoires occupés. La troisième phase de la guerre a été gagnée par les Ukrainiens.

Nous sommes actuellement dans la quatrième phase, qui a débuté le 8 octobre par l'attentat contre le pont de Kertch, qui relie la Crimée à la Russie. Cette affaire a été une humiliation pour Poutine, qui en a profité pour nommer un nouveau commandant chargé des opérations en la personne du général Sourovikine. Sourovikine a commandé les forces russes en Syrie. Il y a largement utilisé l'aviation de bombardement. Il a aussi commandé les forces aérospatiales russes. Pour la première fois, le général à la tête des opérations connaît l'aviation et la puissance aérienne. À compter de sa nomination, la guerre change de nature.

Cette phase comprend le retrait inattendu, et en bon ordre, des troupes russes de Kherson, qui évitent ainsi une défaite inéluctable. C'est à ce moment-là que Sourovikine décide de lancer la première campagne aérienne vraiment efficace, avec des raids incessants de drones iraniens et des bombardiers stratégiques qui décollent de bases russes sans franchir la frontière avec l'Ukraine ; ils sont donc totalement invulnérables. La seule solution, pour les Ukrainiens, est d'intercepter les missiles. C'est possible, mais ils manquent de système de défense anti-aérien.

Les cibles sont d'abord des infrastructures civiles, mais aussi des cibles plus militaires. L'objectif de la campagne aérienne est de faire souffrir la population et de paralyser l'économie ukrainienne afin de freiner l'effort de guerre. Dans le même temps, les Russes prennent des positions défensives sur la rive gauche du Dniepr pour protéger la Crimée. Nous en sommes là aujourd'hui, alors que l'hiver approche. Cette météo permettra-t-elle aux Ukrainiens de reprendre l'offensive ou aux Russes de regagner du terrain ? Nous le saurons bientôt.

La campagne aérienne se poursuivra aussi longtemps que la Russie aura des missiles. L'été dernier, Poutine a fait passer l'économie russe en économie de guerre. Priorité est donnée aux usines d'armement.

Il est évident que sans la formation de l'armée ukrainienne, débutée en 2014, et sans les livraisons massives d'armes, le sort de cette guerre aurait été différent. 50 pays participent au groupe de Ramstein, lequel coordonne, sous autorité américaine, la livraison des armements fournis par les occidentaux (qui ne sont d'ailleurs pas qu'occidentaux puisque les Japonais, les Israéliens et les Coréens du sud sont impliqués). Les États-Unis ont créé un état-major pour coordonner cet effort colossal. Les armements qui ont été livrés équivalent à quatre fois le budget de la défense de l'Ukraine. La nature des armes a évolué au cours des quatre phases de la guerre. La coordination entre l'OTAN et les forces ukrainiennes est étroite et permanente. Certains pays considèrent que la Russie poursuivra son offensive au-delà de l'Ukraine ; ils livrent donc massivement leurs armements, au risque de s'affaiblir. C'est le cas de la Pologne et des pays baltes. Ces pays livrent une guerre par procuration à la Russie. Ce n'est pas le cas de tous les pays.

Les occidentaux fournissent également un renseignement militaire permanent et extrêmement précis, qui permet aux Ukrainiens de connaître la position de chaque canon, de chaque char. Du côté russe, le renseignement est certainement de bonne qualité également.

La livraison de 25 000 terminaux Starlink par Elon Musk au début de la guerre garantit une circulation de l'information.

Le Pentagone ne cache pas qu'il fournit un conseil opérationnel, par exemple dans la planification de la contre-offensive ukrainienne.

De son côté, la France donne ce qu'elle peut. En réalité, nous n'avons pas grand-chose à donner. Toutefois, à la différence de certains, nous donnons tout ce que nous annonçons.

Le soutien militaire de l'Iran est un facteur important. Se poursuivra-t-il ? Se diversifiera-t-il ?

A priori, la Chine ne fournit rien. Elle a trop peur des sanctions brandies par les Américains.

Les Ukrainiens ont mené une offensive contre la marine russe en mer Noire et à Sébastopol avec des drones navals qu'ils ont fabriqués eux-mêmes.

Les Shahed 126 iraniens sont redoutables. Ils sont faciles à intercepter, mais il y en a au moins 30 qui passent dans une salve de 50.

Les munitions rodeuses sont aussi redoutables. Elles se tirent comme un mortier. La munition déploie ses ailes, monte en altitude et le soldat la guide avec une petite commande. Ce système est encore manuel, mais des versions automatiques arrivent sur le marché. N'oublions pas que le but de la guerre, c'est de faire des morts. Le but des munitions est donc de faire des morts.

Il existe différents types de guerre : terrestre, aérienne, navale, cyber, spatiale. Aujourd'hui, les militaires ne parlent plus de guerre interarmées, mais de milieu. Regardons comment ces milieux ont été traités depuis le début de la guerre.

Dans la guerre de l'information, il est évident que l'Ukraine a pris l'avantage dès le début. Les Ukrainiens nous parlent, quand la propagande russe parle au peuple russe. En réalité, nous ne savons pas grand-chose de fiable dans cette guerre. Ainsi, nous n'avons pas d'éléments fiables sur le matériel détruit et le nombre de victimes. Le seul élément objectif est celui qu'a donné le général Milley, chef d'Etat-major des armées américaines, qui a évoqué il y a 3 semaines les chiffres de 100 000 soldats hors de combat des deux côtés et de 40 000 civils tués.

La cyberguerre est un domaine très confidentiel, que les nations ne partagent pas. Nous ne savons donc pas vraiment ce qu'il se passe. En revanche, nous savons que nous n'avons pas assisté au « grand soir » de la cyberguerre. Il serait intéressant d'interroger le responsable de la guerre cyber en France. Une chose est certaine : ce n'est pas une guerre du XXIème siècle. La guerre du XXIème siècle aura une dimension cyber très importante.

Il n'y a pas de guerre dans l'espace car les moyens sont russes et américains. Or les Russes et les Américains font tout pour ne pas se confronter directement.

La guerre navale est particulière dans la mesure où les Ukrainiens n'ont pas de marine. Ils sont néanmoins parvenus à couler le Moskva et à empêcher une opération de débarquement amphibie en direction d'Odessa. La Turquie, spécialiste du rôle trouble, a joué un rôle important en bloquant l'accès à la mer Noire.

Le principal échec de l'armée russe tient à son mauvais emploi de sa puissante aviation. Les Russes se sont montrés incapables de conduire une campagne aérienne comme l'OTAN l'aurait fait, sous leadership américain. Cette campagne aurait consisté à détruire l'essentiel des radars, des systèmes de défense aérienne, ainsi que l'aviation adverse, afin d'obtenir la supériorité aérienne, condition indispensable à la liberté d'action des forces terrestres. C'est d'ailleurs ce que craignait Zelensky lorsque, dès le début de la guerre, il a demandé à l'OTAN une no fly zone. Il s'attendait à une campagne de supériorité aérienne des Russes. De leur côté, les Ukrainiens ont été très malins. Ils ont su protéger leur cinquantaine de chasseurs en les déplaçant. Ils ont très bien utilisé leurs systèmes mobiles de défense anti-aérienne.

L'opération terrestre est devenue le coeur de cette guerre, qui est une guerre de position, de destruction et d'attrition. En cela, elle ressemble plus à la première et à la seconde guerres mondiales qu'à une guerre du XXIème siècle. A la puissance destructrice et au manque de troupes des Russes, les Ukrainiens ont répondu par une maîtrise de la guerre et de la manoeuvre terrestre, avec une force morale et une motivation qui font défaut aux Russes depuis le début.

Le nucléaire est une épée de Damoclès depuis le début de cette guerre. Le risque d'accident s'est cristallisé sur la centrale de Zaporijia, qui est très vite tombée entre les mains des Russes. Le Président Macron a rappelé l'importance de la sécurité de cette centrale, qui est située sur la ligne de front. Le risque d'accident nucléaire reste majeur.

Cette guerre a surtout rappelé l'importance de la dissuasion nucléaire et de sa grammaire. Nous vivons une situation inconnue depuis la fin de l'URSS, avec une gesticulation nucléaire faite de menaces récurrentes. Le conflit implique directement la première puissance nucléaire mondiale, la Russie, et indirectement trois puissances occidentales, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, ainsi que l'OTAN à travers sa dissuasion partagée. Si la Suède et la Finlande ont tourné la page d'une très longue neutralité, c'est d'abord pour se placer sous la protection du parapluie nucléaire américain. On n'a jamais autant parlé de l'arme nucléaire, même durant la guerre froide. La menace nucléaire fait partie de la grammaire nucléaire.

La dissuasion nucléaire a fonctionné pour les Français et pour l'OTAN. La dissuasion nucléaire française est remarquable dans son concept et ses moyens. Néanmoins, elle a été maintenue au détriment de nos forces conventionnelles de haute intensité. C'est la première leçon militaire de ce conflit pour la France.

Récemment, les Ukrainiens ont frappé la base d'Engels, située en Russie, avec un drone Tupolev 141, détruisant l'un des bombardiers Tupolev 195 utilisés par les Russes contre eux. L'Ukraine peut-elle gagner la guerre si elle ne peut pas attaquer son adversaire en Russie ? La réponse est non.

Quand la politique et la diplomatie échouent, la parole est à la guerre. Cela pose la question des accords de Minsk.

Nous sommes dans une guerre proche de la seconde guerre mondiale, mais ce n'est pas une guerre totale. Nous ne sommes pas en présence de deux pays qui veulent se détruire, mais en présence d'un pays qui veut prendre le contrôle d'un autre. Il s'agit d'une guerre de haute intensité, mais pas d'une guerre de très haute intensité.

Il s'agit d'une guerre de procuration entre la Russie et certains pays de l'OTAN. La Pologne et les pays baltes donnent tout leur armement à l'Ukraine. De son côté, la France est dans une logique d'aider l'Ukraine à se défendre, pas à contre-attaquer. On peut évidemment comprendre que la Pologne et les pays baltes n'aient pas les mêmes inquiétudes que nous.

Cette guerre régionale a des conséquences mondiales. Les combats se déroulent en Ukraine, mais tout le monde en subit les conséquences.

Nos armées tiennent leur place dans l'OTAN, qui est incontournable.

Nous sommes surpris des limites de l'armée russe. Personne ne connaissait l'armée russe. De la même manière, personne ne connaît l'armée chinoise. Nous avons une liste impressionnante d'unités, mais c'est au combat qu'une armée se juge, pas sur une liste d'équipements.

L'Ukraine fait preuve d'une grande résilience. Qu'en serait-il de la résilience, ou de la résistance, de la France ? Comment la nation résisterait-elle à une guerre du même type ?

L'art de la guerre est admirablement utilisé par les Ukrainiens, qui sont très bien conseillés par les Occidentaux.

Les Russes ont très peu de munitions de précision. Il s'agit d'un handicap majeur. Une seule munition rodeuse peut détruire un char plus sûrement qu'une salve de 250 obus.

Nous sommes dans la première guerre des réseaux sociaux. Si vous n'êtes pas sur Twitter, vous ne savez pas ce qu'il se passe. Vous ne pouvez donc pas répondre.

C'est la première guerre des drones aériens et navals. Les engins pilotés par des hommes à distance ne sont que la première étape. La seconde étape sera celle des engins qui, avec l'intelligence artificielle, choisiront eux-mêmes leurs objectifs. Nous n'éviterons pas la guerre des robots.

Sans attaquer l'ennemi au sol, il est difficile de gagner la guerre. Les Ukrainiens ont lancé quelques frappes limitées en Crimée, jamais avec des équipements occidentaux. Pour gagner la guerre contre la Russie, l'Ukraine doit frapper le sol russe, ce qu'elle ne fera pas. Dès lors, elle ne peut pas gagner la guerre. Mais la Russie ne peut pas gagner cette guerre non plus, pour des raisons différentes.

L'OTAN est incontournable. La France doit y prendre toute sa place. L'OTAN est à la fois une organisation militaire qui sert à apprendre aux alliés à combattre ensemble et une organisation politique qui donne parfois le sentiment de vouloir imposer la loi occidentale. Autant l'OTAN est un outil militaire indispensable, autant il faut faire attention à l'instrumentalisation de l'OTAN. L'OTAN n'a rien à faire en Afghanistan, en Irak ou en Indopacifique.

La dissuasion nucléaire fonctionne pour les États qui la possèdent. L'Ukraine doit amèrement regretter le mémorandum de 1994, qui l'a conduite à rendre ses armes nucléaires contre la protection de la communauté internationale. Cela conforte certainement des pays comme la Corée du Nord et l'Iran dans l'idée que la dissuasion nucléaire les protège.

La France n'est pas prête à une guerre de haute intensité, hypothèse dont nous n'avons jamais tenu compte dans nos programmations militaires. Nous n'avons pas les capacités conventionnelles. Notre doctrine est axée autour de la dissuasion nucléaire. Les forces nucléaires sont centrales et extrêmement efficaces. Or, pour la guerre de haute intensité, il nous faut des forces conventionnelles qui évitent le contournement de la dissuasion nucléaire.

La France a un rôle à jouer en tant que puissance au Conseil de sécurité et acteur majeur d'une construction européenne ambitieuse. Il nous faut des forces armées ambitieuses. Notre industrie d'armement est un atout extraordinaire. Nous ne sommes pas obligés d'acheter du matériel aux États-Unis ou en Allemagne puisque nous fabriquons 95 % de notre matériel.

J'en ai terminé. Je suis prêt à répondre à vos questions.

M. Olivier Cigolotti. - Je souhaiterais revenir sur les faiblesses de la soi-disant « redoutable armée russe ». Dès les premières semaines du conflit, les problématiques de logistique ont affaibli l'invasion russe. Chacun se souvient des convois militaires stationnés pendant des jours, dans l'incapacité de progresser dans la profondeur. Vous avez aussi évoqué l'engagement très incomplet de la flotte aérienne. S'agit-il de faiblesses capacitaires ou de lacunes opérationnelles ? Doit-on en déduire qu'il existe d'importante lacunes en termes de doctrine d'emploi ?

Par ailleurs, ce qu'il s'est passé le 5 décembre constitue un tournant car le territoire russe n'avait plus été attaqué depuis 1944. Les Ukrainiens ont osé le faire avec des drones bricolés. N'est-ce pas une ultime tentative de Volodymyr Zelensky pour donner un nouveau tournant à ce conflit ?

M. François Bonneau. - Que peut faire la France pour renforcer sa défense anti-aérienne ? Que manque-t-il à l'Ukraine en termes de défense anti-aérienne pour stopper davantage de missiles arrivant sur son sol ?

M. Cédric Perrin. - Depuis un certain temps, on nous explique que l'artillerie a repris ses lettres de noblesse. Certains disent que c'est parce que les Russes ont commis une erreur monumentale en considérant cette affaire comme une guerre de quelques jours et en ne bombardant pas les zones qui permettent aux Ukrainiens de leur répondre. D'autres disent que des raids aériens n'auraient servi à rien compte tenu de l'état de l'aviation russe et de la faible formation des pilotes. Qu'en pensez-vous ?

Combien de temps peut durer un conflit sous parapluie nucléaire dans lequel les deux belligérants retiennent leurs coups ? Il y a quelques mois, Vladimir Poutine a affirmé que ses intérêts vitaux seraient attaqués si des missiles touchaient le territoire russe, donc qu'il répondrait de manière radicale. Les récentes attaques ukrainiennes sur des bases aériennes russes ont-elles atteint des intérêts vitaux pour les Russes ?

M. Olivier Cadic. - Permettez-moi d'abord une précision : l'intelligence artificielle a permis de repérer et d'éliminer les forces spéciales russes qui avaient été projetées à Kiev afin de neutraliser Zelensky au début de l'invasion.

Je voudrais vous interroger sur la capacité de renouvellement des forces russes. Le président Poutine a lancé un ordre de mobilisation. Quel en est l'impact ? De quelles marges de manoeuvre disposent encore les Russes pour mobiliser davantage de monde ?

Vous dites que la France n'est pas prête pour une guerre de haute intensité. Quel pays est prêt ?

M. Joël Guerriau. - Nous connaissons tous l'importance de l'aviation pour gagner une guerre. Pourquoi les Russes n'axent-ils pas davantage leurs attaques de cette manière ? Lorsqu'il fait extrêmement froid, tout bombardement est une manière d'affaiblir les troupes ennemies, surtout qu'il existe des outils de précision.

M. Jacques Le Nay. - Pensez-vous que les industriels français sont prêts à entrer dans une nouvelle ère de production ? Comment l'État peut-il les accompagner ?

L'opinion russe semble s'inverser sérieusement. N'est-ce pas la véritable arme qui arrêtera Poutine ?

M. Yannick Vaugrenard. - Certes, Twitter permet l'instantanéité, mais il est tout aussi important de prendre le temps de la réflexion. Les deux peuvent aller de pair.

Vous dites que le but de la guerre est de faire des morts. Je conteste ce point de vue. Il est possible de faire la guerre sans être obsédé par le fait de faire des morts, en attaquant sur le plan militaire ou en procédant à des frappes stratégiques destinées à diminuer l'adversaire. Il semble y avoir 40 000 morts civils. Connaissez-vous le nombre de civils ukrainiens et russes qui sont morts dans cette guerre ?

Nous serions à un tournant de cette guerre. Cela fait plusieurs mois que nous entendons cela. Les Ukrainiens ont frappé en territoire russe. Les États-Unis ont toujours indiqué qu'ils ne soutenaient pas ce type d'intervention. Pensez-vous qu'il soit possible à l'Ukraine de frapper des objectifs militaires sur le territoire russe sans le soutien, notamment logistique, des États-Unis ?

M. Hugues Saury. - Quelle est la place des satellites dans cette guerre ? À quelles missions participent-ils ? Comment ces missions pourraient-elles évoluer ?

Jean-Marc Todeschini. - On parle de guerre de haute intensité. Est-ce que la France peut s'y préparer en dehors d'une coalition ? Nous voyons bien que ce qu'il se passe en Ukraine a renforcé l'OTAN, sachant qu'il faudra encore beaucoup de temps avant qu'une véritable Europe de la défense ne voie le jour. Nous sommes donc à la merci des Américains.

Par ailleurs, faut-il encore réfléchir, dans le cadre de la préparation de la LPM, en termes d'avions, de bateaux et de canons ? Ne faudrait-il pas changer complètement de boussole ?

M. Guillaume Gontard. - Que serait réellement une guerre du XXIème siècle ? Qu'est-ce qu'une guerre à l'occidentale ?

Vous dites que l'Ukraine ne peut pas gagner la guerre sans frapper en Russie. Je pense, au contraire, que cela amènerait à une extension du conflit. Pouvez-vous vous expliquer ?

Général Bruno Clermont. - L'armée russe ressemble plus à une non-armée qu'à une armée. La marine russe, qui est particulièrement puissante, n'a pas été engagée. Les forces aérospatiales sont également puissantes, mais elles ne sont pas entraînées et pas suffisamment modernisées. Les Russes, comme les Chinois, connaissent la doctrine occidentale. Ils essaient de la répliquer dans leur propre doctrine, mais ils n'en ont ni la technique, ni les moyens. Ils ne s'entraînent pas comme les occidentaux.

L'armée russe a beaucoup de problèmes comme la corruption, le clientélisme ou la violence. Elle n'est pas prête à faire la guerre. La seule guerre sérieuse qu'elle ait menée, c'est en Syrie. Elle bombardait tout le monde, puis elle envoyait les soldats de Kadyrov faire la police et garder les camps de prisonniers. L'entraînement, la préparation et les équipements sont des sujets clés.

Les occidentaux ont la bonne doctrine et le bon niveau d'entraînement ; ils savent travailler dans les différents milieux. Les Russes ne le savent pas. Ils n'ont ni la technique, ni les outils de planification pour gérer la sortie de centaines d'avions chaque jour pendant des semaines. Dans le système russe, tout le monde ment à tout le monde. C'est au combat que se juge une armée. C'est là que l'armée russe a été jugée.

L'affaire du 5 décembre est difficile à analyser. Les occidentaux ont toujours dit que leurs armes ne devaient pas servir à frapper la Russie, ni même la Crimée. Les rares frappes en Crimée ont été faites avec des armements ukrainiens. La priorité des occidentaux est de ne pas aller jusqu'à une confrontation directe entre l'OTAN et la Russie parce que cette dernière a 6 000 têtes nucléaires. Tout le monde peut le comprendre, mais ce n'est pas le sujet de Zelensky. Son sujet, c'est la survie de l'Ukraine. Il a une stratégie qui a tendance à pousser les limites au-delà de ce que les occidentaux acceptent. Nous arrivons à un moment où cette guerre devient extrêmement inquiétante. Les positions sont gelées sur le terrain. Les populations subiront des bombardements massifs tout l'hiver. Des contre-attaques sont menées contre la Russie. Zelensky n'a aucune retenue. Il est dans son rôle. C'est à la communauté internationale de prendre ses responsabilités. Je suppose que les représailles des Russes seront très sérieuses, avec des missiles qui ne manqueront pas de tomber en grande quantité sur l'Ukraine.

Je ne crois pas à une frappe nucléaire, même de faible puissance, en Ukraine. Le monde s'arrêterait. Poutine pourrait le faire pour geler les positions, mais je pense qu'il a trouvé mieux que cela : la campagne de bombardements massifs pour annexer la partie de l'Ukraine qu'il contrôle. Toutefois, les Ukrainiens n'ont pas l'intention de courber l'échine. Reste à savoir ce qu'il en est de notre propre échine.

Il existe des manques criants dans l'armée française en matière de défense anti-aérienne. Le sujet est compliqué car il existe plusieurs couches. Il faut 4 systèmes différents pour contrôler de 0 à 50 km. C'est un investissement majeur que nous n'avons pas fait. Nous devons renforcer nos capacités car nous sommes très loin du compte pour une guerre de haute intensité.

Nos forces conventionnelles ne sont pas suffisantes pour mener une guerre de haute intensité. Nous avons besoin de tout. Nous avons besoin d'augmenter la masse et de faire des efforts dans tous les domaines de la guerre (cyber, renseignement, drones). Nous n'avons pas de drones car nous n'avons pas d'industriel adapté. Il faut une entreprise de taille intermédiaire (ETI) française qui soit capable de produire ce type d'objet.

La guerre de demain sera une guerre de tirs de longue portée, que ce soit par des sous-marins, des avions ou par le sol. Le principal investissement des armées américaines porte sur les missiles hypersoniques de longue distance. Les Américains prévoient une guerre de missiles de longue distance avec la Chine, pas une guerre de tranchées. Nous devons également considérer cette hypothèse, qui nécessite des moyens très supérieurs à ceux que notre budget autorise. Nous sommes passés en-deçà de la ligne de flottaison pour ce qui concerne les armes conventionnelles. Nos chefs militaires ont une qualité essentielle : ils sont loyaux. Ils acceptent les moyens qu'on leur donne et font le maximum avec ces moyens.

La directrice nationale du renseignement américain, auditée par le Sénat au mois de juin, avait évoqué deux cas dans lesquels Poutine pourrait utiliser une arme nucléaire tactique : s'il perd la guerre ou s'il y a un changement de régime en Russie. Poutine n'est pas fragile. Il restera au pouvoir jusqu'à la fin. D'ailleurs, l'attaque directe de la Russie par l'Ukraine peut réveiller le sentiment national. Je pense que la Crimée fait partie des intérêts vitaux de la Russie et que les Américains l'ont identifié, ainsi Poutine ne laissera pas tomber la Crimée. Nous sommes dans l'ordre du symbole. Nous sommes donc à un moment particulièrement dangereux de cette guerre. Soyons-en conscients.

La mobilisation est très importante en Russie. Il n'y a pas que des traîne-savates dans l'armée russe. Il y a aussi des jeunes qui veulent se battre. Simplement, ils ne sont pas bien organisés. Cela fonctionne mal, mais la Russie envoie quand même des soldats sur le front. Si Poutine déclare la guerre et la mobilisation générale, il aura 2, 3 ou 4 millions d'hommes. La mobilisation est sa seconde arme, après l'arme nucléaire tactique. Je ne pense pas qu'il lancera cette mobilisation car l'Ukraine n'a pas cette importance pour la Russie, mais ce n'est que mon avis.

Pourquoi l'aviation russe a-t-elle été si mal utilisée ? Parce que les Russes ne savent pas faire. Ils savent comment il faut faire, ils savent ce qu'il faut faire, mais ils ne s'entraînent pas. Ils n'ont ni les outils, ni les chefs, ni les structures. En sens inverse, les Ukrainiens ne sont pas nombreux, mais ils sont bons. Ils compensent leur sous-effectif et leur sous-équipement par une excellente gestion de leurs moyens.

Un industriel a besoin de commandes. C'est un miracle que nous ayons encore des industriels de l'armement, alors qu'ils ont été malmenés depuis 30 ans, recevant des commandes faméliques. Ils ont vécu grâce à l'export. Il ne tient qu'à nous de passer des commandes pour que les industriels aient des perspectives et qu'ils puissent produire des armements. Nous savons tout faire, sauf les fusils d'assaut et les drones. D'ailleurs, nous attendons l'eurodrone depuis 20 ans. Nous l'aurons en 2030.

Pendant la guerre, il faut des drones consommables et des drones de combat. Demain, il y aura deux types de pays : les riches, c'est-à-dire la Chine et les États-Unis, auront la panoplie complète ; les autres devront choisir entre des technologies anciennes modernisées et ce mouvement vers les drones. Je suis persuadé que nous n'échapperons pas à la guerre des drones. Le Haut-Karabagh avait été un signal. La guerre en Ukraine a commencé avec très peu de drones. Elle se terminera avec des milliers de drones, de tout type. Tout le monde veut des drones, qu'ils soient terrestres, sous-marins ou aériens, petits ou gros. Il faut essayer de cadrer leur usage. Nous pouvons constituer des comités d'éthique, mais ne pensons pas que les autres en feront autant.

Le concept de zéro mort qu'ont apporté les Américains, c'est zéro mort de leur côté, pas en face. Nous ne savons toujours pas combien la première guerre du Golfe a fait de morts côté irakien, alors que 98 000 tonnes de bombes ont été déversées sur l'Irak.

Il faut évidemment des conventions, mais celles-ci ont des conséquences sur nos forces. Il faut appliquer le droit de la guerre, en étant conscient qu'il a des conséquences sur le coût des munitions. Les lois de la guerre ont des conséquences sur le coût de la guerre.

Je ne suis pas compétent sur le sujet des satellites, qui sont évidemment essentiels aux Américains et aux Russes. Les Russes les utilisent, mais il n'y a pas de confrontation ou d'agressivité.

Nous ne ferons évidemment pas de guerre de haute intensité seuls. La question tient à la place que la France veut tenir dans une guerre dirigée par les Américains au sein de l'OTAN. Il faut bien étudier la question de la dualité des moyens dédiés et non-dédiés au nucléaire afin de trouver un équilibre plus favorable à la guerre de haute intensité.

Il faut changer notre logiciel, mais le processus d'acquisition est difficile à changer. Les militaires passent tellement de temps à se batte sur la LPM qu'ils ont du mal à regarder droit devant. Il faut que la DGA, les industriels et les think tank les aident.

Enfin, une guerre du XXIème siècle, c'est une guerre avec davantage de technologie et de cyber, des mouvements de satellites et des frappes à longue distance. Il y aura sans doute une première phase avec une grande bataille aérienne et navale, avant une opération terrestre.

M. Pascal Allizard, Vice-président - Nous vous remercions pour cette intervention extrêmement précise et très intéressante.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Principauté d'Andorre relatif à l'exercice des activités professionnelles des membres de la famille du personnel diplomatique, consulaire, technique et administratif des missions officielles - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Ronan Le Gleut rapporteur sur le projet de loi n° 143 (2021-2022) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre relatif à l'exercice des activités professionnelles des membres de la famille du personnel diplomatique, consulaire, technique et administratif des missions officielles.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et la Cour pénale internationale sur l'exécution des peines prononcées par la Cour - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Édouard Courtial rapporteur sur le projet de loi n° 145 (A.N., XVIe lég.) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et la Cour pénale internationale sur l'exécution des peines prononcées par la Cour (sous réserve de sa transmission).

Déplacement à l'ONU - Communication

M. Olivier Cadic. - Nous avons conduit, du 7 au 9 novembre, la mission que notre commission mène chaque année dans le cadre de l'Assemblée Générale des Nations unies. Je rappelle que presque tous les pays du monde sont membres des Nations unies. N'y manquent que le Kosovo, la Palestine, le Somaliland et Taïwan, pour les raisons que vous connaissez. Organisation universelle, l'ONU a les faiblesses de cette force : c'est un système lourd et lent, où la recherche du plus petit dénominateur commun entraîne souvent un nivellement par le bas. De plus, le contexte n'a guère été favorable à l'ONU avec la conjonction de plusieurs éléments :

- la pandémie de Covid ;

- la crise syrienne, commencée il y a 11 ans et sans perspectives de résolution, ni de traitement des nombreux crimes commis ;

- les atteintes nombreuses aux droits de l'homme, parfois par des États au coeur du système onusien, en particulier deux des cinq membres permanents du Conseil de sécurité : la Chine et la Russie ;

- et maintenant la guerre en Ukraine, guerre d'agression menée par la Russie, un membre permanent du Conseil de sécurité, contre un État souverain, en violation directe de la charte des Nations Unies.

Cette mission nous a permis de rencontrer de nombreuses délégations étrangères, au niveau de leurs représentants permanents ou de leurs représentants adjoints. Nous avons vu notamment nos partenaires traditionnels du P3, les Américains et les Britanniques, mais aussi la délégation allemande. Nous avons également pu échanger longuement, notamment sur les enjeux indopacifiques, avec les délégations du Japon et de la Corée du Sud. Enfin, nous avons rencontré le représentant permanent ukrainien. Nous avons également rencontré au meilleur niveau des responsables des Nations unies.

Il est évident que la guerre en Ukraine a complétement modifié le cadre dans lequel fonctionnent les Nations Unies, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, ce conflit a conduit à une forme d'isolement de la Russie. On le voit dans les résolutions sur la guerre en Ukraine, qui ont vu progresser le nombre de pays condamnant explicitement cette agression. Nous l'avons noté aussi dans l'attitude de blocage systématique et de confrontation avec le P3 de la Russie. Lorsque nous avons assisté à la communication du procureur général de la Cour Pénale Internationale (CPI) faite au Conseil de sécurité, communication qui portait sur la Libye, l'intervention de la délégation russe a consisté à prétendre que la CPI était financée par les occidentaux pour dissimuler leurs crimes en Libye. C'est une certaine conception de l'échange diplomatique. C'était un bel exemple de ce phénomène par lequel la guerre en Ukraine et la dégradation des relations avec la Russie impactent tous les dossiers des relations internationales.

Le second élément important de cette nouvelle donne est la position complexe de la Chine : celle-ci soutient la Russie, mais en même temps, cette aventure mal maîtrisée lui pose trois difficultés :

- d'une part, si la Russie devient plus dépendante de la Chine, ce rapprochement signe un fort affaiblissement du partenaire russe et entraine un regain d'unité et de mobilisation des pays occidentaux, ce qui va à l'encontre des objectifs de la Chine ;

- d'autre part, l'affaiblissement de la Russie est également un problème pour son partenaire traditionnel indien, et pourrait rapprocher l'Inde des pays occidentaux, ce qui rendrait plus complexes encore les relations sino-indiennes ;

- enfin, la position russe consistant à dire qu'il est possible d'annexer des portions d'un territoire dès lors qu'une majorité de ces territoires souhaiterait être indépendante de l'état souverain dont elle fait officiellement partie fragilise les revendications de Pékin sur Taïwan et d'autres iles de l'indopacifique. En soutenant la Russie, la Chine discrédite son discours de défenseur de l'application stricte du droit international et crédibilise ceux qui dénoncent la politique expansionniste de Pékin, calquée sur celle de Moscou, au Xinjiang, au Tibet ou à Hong Kong.

La question des relations entre la Chine et la Russie doit aussi nous amener à réfléchir de façon prospective à la possibilité d'une simultanéité des crises. À une crise avec la Russie, ou à la poursuite de la guerre en Ukraine, pourrait s'ajouter une crise majeure dans l'indopacifique, par exemple autour de Taïwan ou en Corée. Cette hypothèse pose la question de la capacité des États-Unis à faire face sur deux fronts, voire trois, s'il fallait imaginer qu'à une crise européenne s'ajouteraient des crises à la fois à Taïwan et en Corée. Bien sûr, cela nous renvoie à notre capacité à nous, Européens, à assurer par nous-mêmes notre défense en Europe et nos approvisionnements en Asie.

M. Mickaël Vallet. - A plusieurs reprises, nous avons pu mesurer la montée en puissance de la Chine dans le système onusien. Cela tient à deux choses.

D'une part, de façon mécanique, la part de la Chine dans le financement des Nations Unies ne cesse de progresser. Rappelons que la clef de répartition des contributions des États dépend du PIB et de la démographie, avec un surcroît de cotisation pour les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. La Chine est aujourd'hui, avec 15 % du budget régulier et 18 % des opérations de maintien de la paix (OMP), le deuxième contributeur au budget des Nations Unies derrière les États-Unis. La poursuite de sa montée en puissance économique et son poids démographique lui donneront bientôt la première place.

Il est évident que ce poids budgétaire toujours plus important permet à la Chine d'accroître son influence et de tenter d'orienter les travaux et actions des Nations unies dans le sens de ses positions et de ses intérêts. C'est le cas, par exemple, sur les questions de développement durable. La vision chinoise, qui se veut respectueuse d'une application stricte du droit international, dessine un multilatéralisme anti-interventionniste, observateur plus qu'acteur, laissant in fine toute sa place au libre jeu de la puissance. Il s'agit d'un point très concret puisque la Chine peut être tentée de revenir sur des décisions politiques des Nations unies en discutant le budget nécessaire à leur mise en oeuvre.

De ce point de vue, il est intéressant de rappeler la situation de la France : nous sommes le premier contributeur de l'Union Européenne et le sixième contributeur mondial, avec 4 % du budget de 3,5 milliards d'euros.

Le second facteur de montée en puissance de l'influence chinoise est la capacité de ce pays, pour l'instant, à se présenter aux pays en voie de développement (pays du G77) comme appartenant à leur monde, à l'inverse des anciennes puissances coloniales ou des États-Unis. Naturellement, plus la Chine revendique son statut de grande puissance, moins son discours d'identification aux pays du G77 est crédible.

L'exemple de la Chine, mais aussi l'évocation du G77, illustre bien l'un des défis majeurs auxquels l'ONU fait face aujourd'hui : la question de sa légitimité et de la représentation des uns et des autres. La critique de légitimité porte en particulier sur la composition du Conseil de sécurité, notamment pour ce qui concerne les membres permanents. Naturellement, comme Français, il nous semble qu'un élargissement du cercle des membres permanents serait sans doute la solution. On évoque souvent l'entrée du Japon, de l'Inde, du Brésil, de l'Allemagne et d'un pays africain (resterait encore à savoir lequel). De telles pistes d'évolution rencontrent de nombreux obstacles. On peut penser qu'elles gênent en particulier la Chine, qui n'est sans doute pas pressée de voir élevés au statut de membres permanents l'Inde et le Japon.

Enfin, un des points particulièrement intéressants de notre mission a été de mettre en lumière le positionnement des pays du G77. Là où les occidentaux se mobilisent rapidement et massivement, à raison, pour l'Ukraine, ces pays nous interrogent : que faisons-nous pour le Yémen ? Pour l'Éthiopie ? Pour le Venezuela ? Que sommes-nous prêts à faire pour Haïti ou pour le Liban, deux pays francophones en pleine implosion ? Ayons le courage et la lucidité d'entendre ces critiques sur le « deux poids-deux mesures » occidental. Ce n'est que si nous prenons au sérieux ces critiques que nous pourrons construire un dialogue approfondi avec ces pays, et offrir une alternative au narratif chinois, russe ou turc.

Cela pose aussi la question de nos contributions volontaires aux actions des Nations unies. C'est une mesure de notre volonté de peser sur les dossiers pour contrebalancer notre recul relatif dans les contributions obligatoires du fait du niveau de notre PIB et de notre démographie.

M. André Guiol. - Je voudrais présenter deux points qui ont particulièrement retenu mon attention.

Tout d'abord, notre échange très marquant avec le représentant permanent ukrainien. Il faut noter que, de son point de vue, on ne pouvait nier l'apport de l'ONU dans la situation dramatique qui frappait son pays. Certes, le statut de membre permanent du Conseil de sécurité qu'a la Russie aboutit à la paralysie du Conseil, mais il ne faut pas oublier les pouvoirs de l'Assemblée Générale, que la Russie n'a pas la possibilité juridique de bloquer, et l'action personnelle du secrétaire général Antonio Guterres. Le représentant ukrainien a particulièrement salué l'engagement du secrétaire général pour aboutir à la conclusion de l'accord sur les exportations ukrainiennes et russes de céréales, enjeu pour la stabilité du monde, tant sont nombreux les pays qui dépendent essentiellement de ces deux fournisseurs.

Au-delà, vous serez peut-être étonnés de l'attention que notre interlocuteur portait au continent africain. Il nous a fait part d'une analyse assez décapante sur le fait que les Américains et les Européens ont abandonné le continent africain aux appétits des États autoritaires. Cette analyse ne manque pas de pertinence, et elle témoigne d'un manque de profondeur stratégique de la part des Européens. Avant-hier en séance, nous avons esquissé cette question à l'occasion d'amendements qui réduisaient de 200 millions d'euros le montant de l'aide publique au développement. Je pense que laisser le champ libre en Afrique à la Russie, à la Chine, à la Turquie, mais aussi à d'autres acteurs qui ont une vraie politique d'influence pour atteindre leurs objectifs politiques ou économiques, c'est rendre un mauvais service à notre pays, mais aussi aux pays africains. Nous voyons bien aujourd'hui que les pays africains qui ont fait le choix russe ou chinois paient un lourd prix, surtout leurs populations.

Vous savez comment, en Europe, on oppose parfois les pays dits « du sud », qui auraient un intérêt pour la stabilité de l'Afrique et du bassin méditerranéen, et les pays du nord et de l'est de l'Europe. Je peux vous assurer que l'Ukraine est bien consciente du lien qui existe entre les enjeux de sécurité africains et européens. Cela doit nous faire réfléchir. Du reste, sur le plan opérationnel, la France est capable de faire cette bascule puisqu'au moment où nous arrêtons Barkhane, nous renforçons notre posture de réassurance sur le flanc est.

Par ailleurs, notre interlocuteur ukrainien nous a aussi interrogés sur notre conception d'une paix entre la Russie et l'Ukraine. Pour les Ukrainiens, la question est de savoir si un accord de paix déboucherait sur une situation stable dans la durée ou s'il s'agirait simplement d'une cessation des hostilités sans changement de la donne politique. Dans ce cas, d'après lui, il faudrait s'attendre à une nouvelle attaque russe dans les 3 à 7 ans, le temps que la Russie tire les leçons de son échec, réorganise son armée et constitue les stocks de matériels et de munitions nécessaires à une nouvelle guerre. Il nous a aussi précisé qu'à l'heure actuelle, les différents sondages montraient que 83 à 87 % des Ukrainiens refusaient que l'Ukraine fasse des concessions territoriales à la Russie.

Un autre dossier sur lequel je souhaite revenir est celui des opérations de maintien de la paix (OMP). Nous avons notamment pu rencontrer le général Diop, conseiller militaire du sous-secrétaire général chargé des OMP. Des différents échanges que nous avons eus sur ce sujet au cours de notre mission, je retiens notamment la difficulté à dégager une unité des membres du Conseil de sécurité sur ce que doivent faire les Casques bleus là où ils sont déployés. Cela nous renvoie à la difficulté déjà évoquée à assurer un fonctionnement efficace des Nations unies lorsque les membres du Conseil de sécurité s'opposent entre eux. D'autre part, il ne faut pas méconnaître la difficulté de la situation des Casques bleus, qui ne peuvent s'affranchir du strict mandat qui leur est assigné et qui, par conséquent, déçoivent toujours, à terme, les attentes des populations, alors même qu'ils prennent des risques significatifs. En 70 missions, les Casques bleus ont déploré plus de 4 000 soldats tués. C'est un chiffre à avoir en tête lorsque l'on critique les troupes qui participent à ces OMP.

Une piste de progrès, tout de même : il me semble qu'on pourrait et devrait aller plus loin pour clarifier la position des pays où les missions des Casques bleus sont déployées. Il s'agirait d'éviter ainsi qu'après quelques mois les Casques bleus ne soient critiqués ou stigmatisés par les autorités locales. Naturellement, cela ne répond pas à une situation où il y a un changement de régime, ce que la France a vécu de son côté au Mali, où nous nous étions déployés en réponse à une demande malienne.

Enfin, le général Diop nous a confié qu'il était de plus en plus difficile de convaincre les pays de contribuer aux OMP. Il a estimé que de façon croissante, on voyait une distinction entre ceux qui votent les OMP, ceux qui les financent (les pays à plus fortes contributions) et ceux qui prennent les risques en étant déployés sur le terrain. De façon croissante, on attend des pays voisins qu'ils soient les premiers contributeurs à une OMP. Il reste le problème de certaines capacités critiques rares et coûteuses dont seuls les pays développés disposent, comme les vecteurs aériens. Il y a un vrai déficit des OMP sur certaines capacités, en particulier au niveau de la mobilité.

M. Olivier Cadic. - Je vais maintenant vous donner lecture de l'intervention d'Edouard Courtial, qui n'a pu être présent aujourd'hui.

Vous l'avez compris : on peut parfois s'interroger sur la portée des actions des Nations unies dès lors que ses institutions sont affaiblies par les dissensions des grandes puissances.

Il y a toutefois des actions concrètes pour tenter de consolider le droit international pas à pas. C'est le cas de la mission UNITAD (équipe d'enquête des Nations Unies pour favoriser la traduction en justice pour les crimes de Daech). Nous avons pu rencontrer une des responsables de cette mission, qui est une procureure française travaillant pour les Nations unies.

L'objectif d'UNITAD, qui existe depuis 2017, est de recueillir les preuves des crimes commis par Daech en Irak, et d'aider les autorités nationales à instruire les dossiers de poursuite en justice de leurs propres nationaux. Cette mission de 254 personnes (dont seulement 5 français) est une émanation directe du Conseil de sécurité. Son mandat doit être renouvelé chaque année. Ce renouvèlement peut être rendu plus difficile par les tensions actuelles au sein du Conseil.

La principale coopération est, bien sûr, avec les autorités irakiennes. Elle ne porte plus seulement sur la lutte contre le terrorisme, mais sur la poursuite de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide. UNITAD coopère également avec 17 juridictions nationales, en mettant à leur disposition les preuves recueillies lorsqu'elles intéressent une personne poursuivie dans le pays en question. Cette coopération a ainsi permis la condamnation d'une personne en Suède et de deux en Allemagne.

Très concrètement, UNITAD analyse les preuves recueillies lors de l'ouverture de charniers. Les trois-quarts des preuves recueillies sont transmises par l'état irakien, le quart restant directement par les équipes d'UNITAD ou par d'autres états. L'analyse de plusieurs dizaines de charniers et le travail des six unités d'enquête déployées pour analyser les massacres ont abouti au recueil de 7 millions de pages digitalisées documentant les crimes de Daech. Le travail d'UNITAD a abouti notamment à la publication de deux rapports particulièrement marquants : l'un sur le génocide yézidi ; le second sur le massacre du camp militaire de Tikrit.

Je voudrais soulever un point intéressant sur le traitement de ces questions en France. Dans notre pays, le choix a été fait de poursuivre sur le chef d'association de malfaiteurs terroristes. Cela ne couvre pas tout le champ des crimes commis. Cela n'en couvre même qu'un quart. Cela pose deux problèmes : un problème moral ou d'efficacité de la justice, à savoir que ce faisant, on n'entend pas la voix des victimes ; d'autre part, cela limite le champ possible des poursuites.

Enfin, nous avons interrogé notre interlocutrice sur le lien entre l'action d'UNITAD et ce qui pourrait exister sur d'autres lieux, comme en Ukraine. Elle nous a confirmé que le travail d'UNITAD fournissait des outils et des modèles précieux pour envisager le travail de collecte des preuves et d'aide à la poursuite des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité commis dans d'autres circonstances. Les Nations unies sont donc bien, de ce point de vue, dans le coeur de leur vocation universelle, l'idée étant de limiter toujours plus, et peut-être un jour d'empêcher, l'impunité pour les crimes les plus graves et les plus révoltants, partout dans le monde.

M. André Gattolin. - Je tiens à féliciter les rapporteurs pour leur travail. J'ai eu la chance de faire partie de cette délégation l'an dernier. Ce fut à la fois un grand moment de vérité et un grand moment de mensonge. J'ai l'impression que notre représentation peut parfois se leurrer. Ce jeu de vérités et de mensonges est-il toujours aussi prégnant depuis la guerre en Ukraine ?

M. Olivier Cadic. - Le fait que la France soit le seul pays européen à être membre permanent du conseil de sécurité confère à notre représentation un rôle particulier. Il existe une vraie harmonie et un travail collectif avec la délégation de l'Union européenne. J'ai aussi été très content de rencontrer les Britanniques. Je n'ai pas senti d'écart. Au contraire, ils ont mis en avant le nombre de fois où ils avaient voté exactement comme nous. Le malaise a été beaucoup plus fort lorsque nous avons croisé l'ambassadeur du Mali dans les couloirs. Cet échange a très vite été tendu. Je lui ai rappelé que nous étions intervenus à la demande des Maliens et que nous étions préoccupés par la situation des Maliens. Nous verrons si ce sera aussi le cas de leurs nouveaux alliés.

L'ONU fonctionne très difficilement. L'agressivité est omniprésente. Les 5 membres du conseil permanent ne travaillent plus ensemble. Cela a des conséquences sur pratiquement tout. On nous l'a bien dit à plusieurs reprises : il est très compliqué de fonctionner sur le terrain quand ceux qui dirigent se font front.

M. André Guiol. - L'ONU est sclérosée par son organisation actuelle. Elle ne tient que parce qu'il est prévu que les statuts évoluent. Par ailleurs, j'ai été surpris que la justice internationale n'ait pas plus de relations avec la justice française, alors que les excellents procès qu'a menés la France sur les attentats pourraient constituer une mine de renseignements.

Mme Michelle Gréaume. - L'ONU, c'est l'Amérique. Or, l'Amérique a sa propre stratégie. Je reçois beaucoup de témoignages de Français qui voyagent et qui ont le sentiment d'être mal perçus aux États-Unis. Il doit y avoir une problématique dont on ne parle pas. Nous devons avoir un oeil vigilant sur la stratégie et le rôle des États-Unis.

M. Pascal Allizard. - Nous avons rendu un rapport cette année sur les États-Unis. La politique étrangère des États-Unis n'a pas changé avec l'administration Biden, même si celle-ci est plus compatible sur la forme avec la nôtre que ne l'a été celle de l'administration Trump.

M. Mickaël Vallet. - Nous avons été pilotés, pendant notre séjour, par le secrétaire général pour la représentation française. Le programme qu'il nous a contacté avait un tropisme sur les questions de désarmement. Cela a été extrêmement intéressant.

Je fais un lien avec la réforme du corps diplomatique. Je vois mal comment nous pourrions envoyer un commissaire de police ou un ancien grand directeur d'administration centrale au sein de l'équipe de la représentation permanente aux Nations Unies. Cette équipe est parfaitement affutée. Ces agents font preuve d'un professionnalisme total sur les questions de multilatéralisme.

Le sujet du plurilinguisme est ressorti de nos échanges avec les diplomates de la représentation permanente. C'est un combat de tous les jours, voire de toutes les heures. Les difficultés se posent à partir de 18h, lorsque les interprètes ne sont plus présents. Il faut pourtant terminer les réunions et la pression se fait forte pour les terminer en anglais. Nos diplomates se battent, mais ils ont besoin d'être aidés par leurs gouvernements.

UNITAD est une équipe de 250 personnes qui passent une partie de leur temps à regarder des vidéos de décapitation ou à fouiller des charniers. Ce travail très particulier est d'une grande importance pour les conflits à venir. Ce sujet mériterait que nous intervenions auprès de la Ministre pour soutenir cette action de l'ONU.

M. Pascal Allizard. - Merci pour ces éclairages. Concernant la problématique des langues utilisées dans ces espaces multinationaux, il ne faut rien céder. Si nous cédons, l'anglais sera utilisé partout. Nous avons exactement le même problème à l'OSCE.

Concernant l'utilisation du mensonge, je voudrais citer ce que dit régulièrement un ancien diplomate russe qui vit en exil à Paris depuis plus de 20 ans : la différence entre la Guerre froide et maintenant, c'est que pendant la Guerre froide, tout le monde mentait, mais personne ne croyait aux mensonges, alors qu'aujourd'hui, tout le monde ment, mais beaucoup croient aux mensonges.

Mme Gisèle Jourda. - Je m'étais rendue à l'ONU il y a quelques années, sous la présidence Trump. Antonio Guterres affichait une véritable volonté de réformer l'administration du secrétariat général afin de rendre les choses plus transparentes et plus légères. En a-t-il été question au cours de votre mission ?

M. Olivier Cadic. - Lorsque nous avons abordé ces sujets, la question était vraiment : qui paie ? Cela renvoie à l'importance de l'augmentation des contributions volontaires de la France afin que nos équipes puissent être plus influentes sur les programmes. Par exemple, le département sur le contre-terrorisme est dirigé par un Russe, et les deux principaux contributeurs sont le Qatar et l'Arabie Saoudite. Il est indispensable de mettre des moyens pour être influent. Ce sont ceux qui paient qui influent.

La réunion est close à 11 h 30.