Mercredi 8 février 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 11 h 30.

Audition de M. Nicolas Dufourcq, candidat proposé par le président de la République aux fonctions de directeur général de la société anonyme Bpifrance

M. Claude Raynal, président. - En application de l'article 13 de la Constitution, nous entendons aujourd'hui M. Nicolas Dufourcq, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de la société anonyme Bpifrance.

Monsieur le directeur général, il s'agirait pour vous d'un troisième mandat de cinq ans puisque vous dirigez Bpifrance depuis sa création, en 2012. Bpifrance, qui a le statut de société anonyme, est une banque publique d'investissement. Son capital appartient pour moitié à l'État et pour l'autre moitié à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Sa mission principale est de financer les entreprises, selon différentes modalités, pour favoriser leur développement. Bpifrance cible en particulier les start-up, les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI).

Votre dernière audition par notre commission remonte au 29 avril 2020, au tout début de la crise sanitaire, audition au cours de laquelle vous aviez abordé le sujet des prêts garantis par l'État (PGE), des prêts participatifs, mais également la situation financière de Bpifrance. Nous aimerions vous entendre de nouveau sur ces sujets, et sur bien d'autres évidemment.

Votre nomination ne peut intervenir qu'après audition devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition est publique et retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Elle sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Je rappelle que les délégations de vote ne sont pas autorisées. Le dépouillement simultané sera effectué juste après le vote, votre audition par l'Assemblée nationale s'étant déroulée plus tôt dans la matinée.

En vertu du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Après votre propos introductif, je donnerai la parole à notre collègue Thierry Meignen, désigné rapporteur par notre commission pour cette audition.

M. Nicolas Dufourcq, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de la société anonyme Bpifrance. - Je suis devant vous aujourd'hui pour vous présenter ma candidature à un troisième mandat comme directeur général de Bpifrance. Certains d'entre vous se souviennent certainement des prémices de la création de cette banque, avec les débats qui se sont tenus en décembre 2012. Aujourd'hui, nous disposons d'un bel outil pour notre pays, bien plus important qu'il ne l'était à sa création et qui est à la manoeuvre sur les nombreuses missions d'intérêt général qui lui ont été confiées.

Bpifrance est une banque régulée - et très bien notée - par la Banque centrale européenne (BCE) qui fait partie de la Fédération bancaire française (FBF). Elle est profitable puisque son résultat net était de 2,2 milliards d'euros en 2021 et devrait être d'environ 1,5 milliard en 2022. Ses métiers sont les suivants : le crédit, évidemment ; la garantie des banques françaises sur leurs crédits aux entreprises françaises les plus risquées, notamment les très petites entreprises (TPE) ; les fonds propres, par des investissements directs et des investissements indirects dans des fonds privés français ; le financement de l'innovation, puisque nous sommes l'opérateur de près de 80 % des flux de France 2030 ; le conseil et l'accompagnement, qui prennent de plus en plus d'importance, les entrepreneurs ayant besoin de capital non seulement financier, mais également humain, pour rompre avec le risque de solitude ; l'accompagnement à la création d'entreprise, une mission qui nous a été progressivement transférée par la Caisse des dépôts et consignations ; le crédit export, avec les prêts sans garantie aux exportateurs, puisque nous sommes les opérateurs de la garantie publique pour le compte de l'État.

Le bilan de Bpifrance est aujourd'hui de 100 milliards d'euros, contre 50 milliards d'euros à sa création. Les volumes de crédits ont crû d'environ 70 % ; le financement de l'innovation a été multiplié par dix, et les investissements en fonds propres par quatre. Les métiers additionnels se sont multipliés par rapport à ce qui était le périmètre initial de la banque, avec un « point GPS » simple et unique : l'entrepreneur. Nous ne finançons pas des projets d'infrastructures ou dans l'immobilier. Notre seul mandat est de multiplier le nombre d'entrepreneurs et de les « potentialiser » - c'est-à-dire de leur permettre d'atteindre leur potentiel économique -, quelle que soit leur taille - du tout petit jusqu'à Stellantis.

Notre portefeuille de fonds propres sous gestion continue d'augmenter : il est de 55 milliards d'euros et atteindra 65 milliards d'euros dans quatre ans. Bpifrance est notamment une très grande banque de l'industrie, domaine qui représente 65 % de ces sommes.

S'agissant des crédits, l'encours est aujourd'hui d'environ 50 milliards d'euros, dont 25 % pour l'industrie, alors que ce secteur ne représente que 10 % du PIB. Nous sommes donc aussi une grande banque de crédit à l'industrie.

En ce qui concerne l'innovation, grâce à France 2030, le montant que nous y consacrons est aujourd'hui de 7 milliards d'euros par an, contre 700 millions il y a dix ans, dont 70 % vont à l'industrie. Le projet des fondateurs de l'époque, qui était de faire de Bpifrance une banque de la réindustrialisation de la France, a été progressivement accompli.

Nous sommes donc centrés sur l'industrie et les territoires. C'est dans nos cinquante agences de terrain que pratiquement tout se passe. L'entrepreneur n'a qu'à se mettre en contact avec la direction régionale de son territoire pour avoir accès à toute la boîte à outils : depuis la garantie export jusqu'aux fonds propres, en passant par le financement de l'innovation, les obligations convertibles, l'accès aux consultants, etc. Nous avons une culture de vélocité et de « centricité client ». Nous livrons toutes sortes de combats pour simplifier les dispositifs, et pour faire comprendre à notre écosystème administratif qu'il faut se mettre à la place du client final, c'est-à-dire l'entrepreneur dans les territoires. La banque est donc multirégionale et ascendante, bottom up.

J'en viens au plan stratégique adopté par le conseil administration de Bpifrance pour les années à venir.

Le premier chapitre est la décarbonation du tissu productif. Dans les quatre prochaines années, grâce à un porte-à-porte massif, 20 000 entrepreneurs seront vus dans tout le territoire par les équipes de Bpifrance - 2 500 l'ont déjà été.

Le deuxième chapitre est la réindustrialisation, qui se fera de trois manières.

D'une part, avec ce que j'appelle les grandes « cathédrales » financées par d'importants tickets publics, via France 2030, et les plans hydrogène, batteries, semi-conducteurs...

Ensuite, avec les PME et les ETI industrielles dont nous finançons l'innovation et dont nous encourageons les ambitions d'augmentation de capacités : extensions d'usines, diversification vers de nouveaux produits, etc.

Enfin, avec les start-up industrielles, dirigées par des entrepreneurs plus jeunes, souvent issus du monde de la recherche et de la Deep Tech, laquelle doit déboucher sur une production, à la différence du digital. Auparavant, il était évident que cette production se ferait à l'étranger, presque toujours en Chine. Aujourd'hui, la nouvelle génération d'entrepreneurs s'interroge sur la possibilité de réimplanter les usines en France. Bpifrance répond à ce mouvement sociétal patriotique, avec des outils de financement en fonds propres - des fonds de capital-risque industriel -, avec des prêts très longs à douze ans - le prêt nouvelle industrie - et avec des outils de conseil.

Notre objectif, ambitieux, est de permettre la création chaque année de 100 usines supplémentaires par rapport au flux naturel.

Le troisième chapitre est la souveraineté, qui passe par l'investissement dans les entreprises jugées nécessaires pour la résilience de notre pays. Cet objectif nous conduit à déployer un important capital, que nous n'avons pas forcément puisque nous ne sommes ni un fonds de pension ni un fonds souverain. Nous levons donc des fonds privés. Sur les 55 milliards d'euros que nous avons sous gestion, 15 milliards le sont pour compte de tiers, pour moitié de l'État, par le programme d'investissements d'avenir, pour moitié du privé, notamment des fonds souverains étrangers, des assureurs, des family offices, des grandes fortunes ou des entreprises françaises. Nous avons ainsi investi cette semaine dans Alstom grâce au fonds LAC, doté de 5,2 milliards d'euros, dans lequel Bpifrance n'a mis que 1 milliard d'euros. Ce fonds permet d'assurer l'ancrage français d'Alstom.

Le quatrième chapitre est France 2030, avec 54 milliards d'euros, dont 17 milliards attribués en direct à Bpifrance, auxquels s'ajoutent les volumes très importants qui financent les « cathédrales » que j'ai évoquées et qui sont aussi gérés par Bpifrance.

Un autre chapitre concerne l'export. Notre boîte à outils comprend la garantie de crédits, les prêts aux exportateurs, le crédit export, etc. Mais tant que l'on n'aura pas réindustrialisé la France, on ne voit pas très bien ce que l'on pourrait exporter. Nous sommes dans un moment difficile, une sorte de « vallée de la mort » : nous n'avons pas encore réindustrialisé notre pays, mais nous achetons énormément de machines à l'étranger pour équiper nos usines... Pour cette mission d'intérêt général de soutien à l'export, il faudrait prévoir des moyens publics plus importants.

Dernier chapitre, le développement de la culture entrepreneuriale en France. Nous finançons 300 associations d'accompagnement à la création d'entreprise. Vous connaissez ces réseaux : Initiative France, France Active, l'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie), les boutiques de gestion et toutes les associations affiliées. Nous avons un objectif, celui de doubler le nombre d'entrepreneurs en France. Notre pays est prêt ; nous identifions les signaux faibles de nombre de nos concitoyens, issus de toutes les composantes de la société, qui aimeraient se mettre à leur compte, ne serait-ce que pendant quelques années. Pour atteindre notre objectif, nous avons fait signer en mai dernier à tous les réseaux associatifs français une charte dite « Cap Créa ».

M. Thierry Meignen, rapporteur. - Monsieur le directeur général, nous avons bien compris l'importance pour vous de soutenir la French Tech par vos actions financières en faveur de l'innovation et des start-up. Quelle analyse faites-vous du développement de cette French Tech ? Comment mieux la soutenir à l'avenir ?

Vous avez évoqué les exportations françaises. Malgré les efforts des différents acteurs, la balance commerciale reste très négative. Comment Bpifrance pourrait-elle contribuer à améliorer la situation ?

S'agissant du plan stratégique pour 2022 à 2025, vous dites de Bpifrance qu'elle est l'un des « bastions de l'optimisme » ; son slogan est d'ailleurs « Servir l'avenir ». Dans un contexte de remontée des taux, de guerre en Ukraine et d'enjeux climatiques forts, comment traduirez-vous cet optimisme lors de votre prochain mandat ?

Enfin, deux de nos collègues Michel Canévet et Raymonde Poncet-Monge sont membres du comité national d'orientation (CNO) de Bpifrance : comment fonctionne cette instance ? Est-elle en mesure de jouer concrètement son rôle ?

M. Nicolas Dufourcq. - C'est en 2013 que nous avons lancé la French Tech, à la suite de la mini-révolte dite « des pigeons », qui a connu une large couverture médiatique. À l'évidence, nous étions face à un mouvement profond, qui n'était autre que la naissance de cet écosystème.

Nous avons déployé une communication résolument optimiste et cela a marché : la French Tech est maintenant connue dans le monde entier et représente 21 000 start-up. À l'époque, elle levait à peu près 1 milliard d'euros ; en 2022, elle en a levé 14. À l'époque, il y avait une licorne, Criteo ; maintenant, il y en a trente. Beaucoup d'entreprises de taille intermédiaire de la Tech, ou ETI Tech, sont apparues, et le mouvement va se poursuivre.

Nous entamons une nouvelle étape de la French Tech, avec de gros volumes de capitaux pour des entreprises qui ont beaucoup grandi. Il faut qu'elles soient cotées à Paris, sur Euronext. Elles doivent être accompagnées par des investisseurs patients, dits cornerstone, restant longtemps au capital, le cas échéant au board, et tenant la valorisation. Sinon nous nous exposons à un échec collectif : si le marché ne reconnaît pas la valeur de ces sociétés, le cours de bourse dévissera et les autres start-up, estimant qu'il n'y a pas de marché à Paris, iront toutes se coter au Nasdaq, ce qui serait un drame. Nous sommes donc très actifs en la matière.

Pour développer l'exportation - je le répète -, il faut commencer par réindustrialiser. Ensuite, dans les territoires, chacun doit comprendre que c'est un devoir quasi patriotique d'exporter ; c'est compliqué, mais nécessaire. Le déficit commercial, ce sont littéralement des fonds propres français qui partent à l'étranger. Or le patrimoine français n'est pas illimité : actuellement, il fond de 150 milliards d'euros par an et il faudra du temps pour le reconstituer. Cette cause nationale exige un effort de communication et une véritable mobilisation. Pour soutenir l'export, nous disposons en outre d'un très vieil outil, qui fonctionne bien : l'assurance prospection. Il ne faut surtout pas le sacrifier budgétairement.

Comment rester un bastion de l'optimisme dans les temps difficiles que nous connaissons ? Je suis tenté de répondre : en ne changeant pas. D'ailleurs, si l'économie française résiste plutôt bien en 2023, c'est parce que la culture du « tout est possible » s'est bien diffusée parmi les entrepreneurs.

M. Gérard Longuet. - Pas dans les banques...

M. Nicolas Dufourcq. - Au total, 65 % des entrepreneurs que nous avons interrogés déclarent qu'ils veulent recruter et investir en 2023 malgré les incertitudes de l'heure, qu'il s'agisse du prix de l'électricité ou des problèmes géopolitiques. J'ai beaucoup d'admiration pour eux.

En outre, le keynésianisme de l'offre fonctionne : tout cet argent que vous avez voté au titre du plan de relance et du plan France 2030, les entrepreneurs sont en train de le déployer pour des projets précis. En permettant d'investir, on ouvre l'avenir et l'on crée naturellement de l'optimisme.

Le comité national d'orientation ne s'est pas réuni depuis cinq ans, mais il va le faire, sous la présidence de Christelle Morançais. Le directeur général de Bpifrance se tiendra à la disposition de ce comité et des comités régionaux d'orientation (CRO).

M. Claude Raynal, président. - À l'origine, Bpifrance était censée renforcer les fonds propres des entreprises pour les aider à se développer. Si j'en crois ce que j'entends sur le terrain, ce travail reste difficile à mettre en oeuvre. De même, je n'ai pas l'impression que les prêts participatifs évoqués en 2020 ont connu un succès extraordinaire. Pourriez-vous nous faire un point sur ces questions ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Un célèbre général de l'armée française avait qualifié les chefs d'entreprise de « paras du temps de paix » ; de votre côté, lors de la crise sanitaire, vous avez parlé, à propos des PGE, d'un « pont aérien du cash » déployé au bénéfice des entreprises. À ce stade, quel regard portez-vous sur ce soutien et ses fragilités ? Le Gouvernement a repris certaines recommandations de mon rapport pour faciliter la sortie du dispositif, mais la tentation reste forte de repousser cette échéance. Y a-t-il des difficultés de remboursement et, si oui, à quel niveau ?

En outre, dans l'un de vos livres, vous estimez que la France est en train de rompre avec le mouvement de désindustrialisation. Mais, face à la crise des énergies et aux problèmes de compétitivité, vous avez récemment déclaré qu'une nouvelle période de difficultés semblait se profiler, notamment pour les énergo-intensifs. Quels leviers Bpifrance pourrait-elle actionner et dans quelle perspective ?

Enfin, vous souhaitez poursuivre des fonctions que vous exercez depuis dix ans déjà. Après deux mandats, avez-vous toujours l'énergie des débuts et la capacité de vous remettre en cause ?

M. Michel Canévet. - Certes, le CNO ne s'est pas réuni au cours des cinq dernières années, mais vous avez a réuni deux fois les députés et sénateurs membres du comité, ce dont je vous remercie.

À mon sens, Bpifrance fonctionne très bien. Elle accompagne beaucoup de projets dans les territoires et j'ai pu constater son dynamisme au service des entreprises bretonnes.

Bien sûr, nous avons encore des marges de progression : ne serait-il pas possible de mobiliser un peu plus l'épargne des Français en faveur des entreprises, via le fonds d'investissement ? Je pense notamment à l'assurance vie.

En outre, pour mener le combat en faveur de l'export, ne faudrait-il pas regrouper les moyens de Business France et de Bpifrance ? Plus largement, quelles améliorations institutionnelles pourrions-nous envisager ?

Mme Sylvie Vermeillet. - En préambule, vous avez rappelé que Bpifrance était d'abord une banque et que vous faisiez tout pour que le client puisse s'accomplir : comment mobilisez-vous vos bénéfices à cette fin ? En quoi Bpifrance est-elle plus concurrentielle que les autres banques ?

M. Jean-Michel Arnaud. - Vous affichez la volonté d'accompagner les territoires ; mais, sur le terrain, votre banque reste souvent méconnue, alors même que les TPE pourraient bénéficier des outils que vous développez. Quelle est votre stratégie territoriale ? Dans mon département des Hautes-Alpes, Bpifrance est aux abonnés absents, en tout cas du point de vue des grands décideurs, dont la chambre de commerce et d'industrie (CCI).

M. Christian Bilhac. - Votre volontarisme et votre optimisme font plaisir à entendre, mais l'état financier du pays reste préoccupant. En France, la création d'entreprise relève encore du parcours d'obstacle : c'est la réalité du terrain. Il est grand temps pour les pouvoirs publics de réduire les lourdeurs administratives et pour les banques de prendre un peu de risque.

Enfin, pour améliorer l'efficacité de Bpifrance, entendez-vous mettre l'accent sur le volet administratif ou financier ?

M. Thierry Cozic. - Parmi les grandes missions de Bpifrance figure la garantie des prêts accordés aux entreprises. Les fonds correspondants sont financés par diverses méthodes qui peuvent sembler complexes, voire opaques. Frédérique Espagnac et moi-même leur consacrerons un contrôle budgétaire en 2023 et serons donc appelés à auditionner Bpifrance. Dès à présent, je vous interroge sur ce point précis : en 2023, ces fonds de garantie n'ont pas fait l'objet de financements par les crédits de la mission « Économie », ce qui était jusqu'à présent l'usage. Qu'en sera-t-il a priori en 2024 ?

En parallèle, la presse a mentionné le départ concomitant de plusieurs cadres dirigeants de Bpifrance. Pouvez-vous nous donner quelques précisions à ce propos ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - À mon tour, je salue l'action de Bpifrance dans les territoires, notamment dans mon département de l'Aube.

Quel est l'état d'avancement du fonds national de venture industriel (FNVI) ? Comment et quand cet outil doit-il intervenir ?

Pouvez-vous nous préciser les modes de rémunération des équipes de Bpifrance dans les dossiers d'investissement en fonds propres ? Pour ce qui concerne les taux de rentabilité interne (TRI), êtes-vous complètement alignés sur le secteur privé ?

Enfin, s'il est fondamental de rapatrier les chaînes de production, reste la question essentielle du temps, notamment du temps perdu à cause des lourdeurs administratives. Comme chacun sait, le temps, c'est de l'argent...

M. Éric Bocquet. - En septembre dernier, lors de la parution de votre livre relatif à la désindustrialisation de la France, vous avez accordé un long entretien à La Tribune. J'y ai relevé quelques formules un peu étonnantes. Vous parlez de « l'inculture économique de la France » ; d'une France « gagnée par la paresse de l'histoire » ; de la « culture de la responsabilité qui a fui notre pays ». Vous déclarez : « C'est le réel qui nous dit que l'on ne pourra plus continuer, pendant un certain temps, à ajouter de nouvelles couches de protection. » Or, dans la crise que nous traversons, nos concitoyens sont précisément à la recherche de protections sociales et salariales.

Vous parlez de Français « déconnectés du réel » en ajoutant : « Il faut accomplir bien davantage ses devoirs que consommer aveuglément ses droits. » C'est, à mon sens, un discours idéologique. Vous parlez aussi d'une « France trop gâtée, fragilisée par le virus anticapitaliste », avant de déclarer : « Avec du capital, on féconde une activité et on part en conquête de terres inconnues. À mes yeux, il n'y a pas de modèle alternatif. » On a beaucoup entendu ce discours depuis Margaret Thatcher.

Je ne conteste à personne le droit de défendre ces idées ; mais de tels propos sont-ils bien compatibles avec les fonctions que vous exercez au sein de Bpifrance ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Merci de vos propos assez enthousiasmants. Cela étant, vous restez une banque. Quelle est votre situation financière ? Comment gérez-vous vos risques ? Quelles sont vos règles prudentielles ? Je relève tout de même que vos actifs financiers ont diminué de 2 milliards d'euros par rapport au 30 juin 2022. Comment traversez-vous la période actuelle, marquée par des risques macroéconomiques majeurs et par une très forte volatilité ?

M. Patrice Joly. - J'ai moi aussi lu votre entretien à La Tribune lors de sa publication. Selon vous, l'état d'esprit dans lequel se trouve la France depuis un certain nombre d'années expliquerait la désindustrialisation du pays ; mais quelle est la responsabilité des dirigeants des grandes entreprises ? Pour Serge Tchuruk, alors président d'Alcatel, l'idéal, c'était pour ainsi dire l'entreprise sans salarié. L'état d'esprit a-t-il changé ? Nos chefs d'entreprise ont-ils l'ambition de devenir de grands industriels, créateurs de richesses et d'emplois ?

En outre, quelle est, selon vous, la place de la ruralité et des espaces non métropolitains dans la réindustrialisation de la France ? Le potentiel de ces territoires est immense.

M. Jérôme Bascher. - À n'en pas douter, Bpifrance est une réussite, surtout quand on se souvient des instances qui l'ont précédée, comme l'Agence nationale de valorisation de la recherche (Anvar).

Vous avez dû construire assez rapidement, à partir de vos portefeuilles, un produit d'épargne à destination des Français : fonctionne-t-il et êtes-vous en mesure de le développer ?

De plus, la répartition à parts égales du capital de BpiFrance entre la Caisse des dépôts et consignations et l'État induit nécessairement une dyarchie. Ne vaudrait-il pas mieux avoir un seul patron, avec une répartition du capital à 51 %- 49 % ?

M. Gérard Longuet. - Pour ma part, j'ai beaucoup aimé votre entretien à La Tribune. Au moins, on sait à qui l'on a affaire.

Vous accompagnez les créateurs d'entreprise afin que les PME deviennent des ETI et les ETI des licornes ; ce travail est bien sûr excellent. Mais quel rôle entendez-vous jouer au côté des banques traditionnelles ? Ne craignez-vous pas d'être un acteur sine qua non, dont la non-intervention entraînerait ipso facto le retrait des banques partenaires ? Avez-vous, de ce fait, le sentiment d'une responsabilité imposée ?

M. Nicolas Dufourcq. - Monsieur le rapporteur général, la sinistralité des PGE, que nous avions estimée entre 3 % et 8 %, s'établit aujourd'hui à 5 %. Elle monte, mais très lentement, et reste faible : l'économie française tient incontestablement. Nous attendons une montée du risque, mais rien n'indique que la sinistralité dépassera 8 %. En l'état, Bercy a donc budgété le coût des PGE de manière tout à fait pertinente.

Par définition, l'industrie, c'est de la navigation par gros temps : la météo de la réindustrialisation sera difficile, pour nous comme pour tout le monde. Nous devons garder un mental d'acier et conserver la meilleure boîte à outils. Quant à notre administration, elle doit être aussi proche que possible des préoccupations des entrepreneurs.

La réindustrialisation doit faire l'objet d'une forme de contrat social, sinon, nous n'y arriverons pas. À mon sens, le consensus national autour du « produire en France » s'est reformé - c'est même l'un des rares consensus qui unifient la société française - et les conditions semblent réunies ; mais il va falloir entretenir la flamme.

Ai-je toujours l'énergie nécessaire ? Cette question est totalement légitime et je me la suis posée moi-même. Pour moi, rien n'est plus beau que le mandat qui m'est confié, d'autant que nous sommes en pleine bataille. C'est précisément pourquoi je demande à continuer.

Monsieur Canévet, comment mobiliser plus d'épargne ? À l'évidence, le volume de crédit est là : il n'y a pas de credit crunch en France aujourd'hui. Bpifrance et les banques privées travaillent ensemble - nous intervenons toujours dans le cadre de cofinancements. Il est vrai que les banques privées viennent souvent nous chercher pour parachever les pools ; elles prennent des collatéraux, et, pour notre part, nous consentons des PGE.

Le système bancaire français continue de fonctionner ; le resserrement du crédit reste extrêmement léger et je ne pense pas que les PME des territoires manquent aujourd'hui de fonds propres, car les différents fonds régionaux sont désormais bien financés. Dans les secteurs matures, une entreprise normale présentant de bons résultats ne peut pas dire qu'elle manque de fonds propres. Mais, dans la Tech comme dans les start-up industrielles, on va en manquer, d'autant que les capitaux nécessaires sont considérables. C'est mon inquiétude du moment. Les fonds d'investissement privés ne sont pas encore totalement prêts à déployer de telles sommes.

La fusion entre Business France et Bpifrance a été évoquée lors de la campagne présidentielle de 2017. J'avais alors signalé que je n'y étais pas favorable. Les deux institutions ont deux cultures très différentes ; par ailleurs, qui trop embrasse mal étreint. Nous travaillons très bien ensemble et nous allons continuer avec Laurent Saint-Martin, qui est d'ailleurs un ancien de Bpifrance. Depuis dix ans, Business France délègue dans nos directions régionales, à plein temps, quarante-cinq personnes qui sont nos chargés d'affaires internationaux. Ce n'est pas en changeant l'organisation que l'on réglera le problème du commerce extérieur français. La question est d'abord d'ordre culturel, et nous devons faire face à la désindustrialisation.

Madame Vermeillet, nos actionnaires reçoivent 30 % de dividendes, auxquels s'ajoutent des dividendes exceptionnels. Les dividendes versés à l'État sont recyclés dans les fonds de garantie de Bpifrance pour financer la garantie des petits crédits des banques françaises et les PGE, au travers de notre établissement public à caractère industriel et commercial (Epic). Les dividendes remontant à la Caisse des dépôts sont eux aussi mobilisés, dans une moindre mesure. En effet, la Caisse des dépôts et consignations nous aide à financer nos programmes entrepreneuriaux dans les territoires et a investi dans nos fonds « tourisme ». Elle a également donné un certain nombre de moyens à Bpifrance lors de la crise covid. Ce système fonctionne.

Sur nos 1,5 milliard d'euros de bénéfices de 2022, 500 millions d'euros viennent de STMicroelectronics, que nous consolidons par équivalence, puisque nous en sommes actionnaires stratégiques à hauteur de 14 %. En outre, 800 millions d'euros viennent de notre activité d'investissement : c'est la preuve que, par les fonds propres, nous pouvons exercer nos différentes missions de manière tout à fait profitable.

Depuis que Bpifrance existe, son taux de création de valeur moyen est de 7 % par an, alors que les grands fonds privés sont autour de 15 % : nous ne sommes donc pas aux TRI moyens, mais un taux de 7 % est tout sauf négligeable. Il nous permet de constituer des fonds propres, de grandir et d'accroître notre solidité.

Monsieur Arnaud, j'ai commencé ma carrière comme sous-préfet de Briançon : c'est dire si j'aime les Hautes-Alpes. Je crois me souvenir qu'il y a essentiellement des TPE dans ce département. Or l'action de Bpifrance se concentre sur les PME. Les TPE relèvent des banques privées ; cela étant, les prêts de ces dernières sont garantis par nous : vous ne le voyez pas, mais les crédits accordés à ce titre sont automatiquement garantis par nos soins. Au total, cette garantie couvre 10 milliards d'euros de crédits par an. Elle est financée par une ancienne ligne au sein du programme 134 du budget de l'État - il faudra d'ailleurs trouver une solution pour la remplacer -, héritière de la Sofaris, créée par Jacques Delors en 1982.

Monsieur Bilhac, j'avais le sentiment que la France avait fait d'énormes progrès pour faciliter la création d'entreprise. Cela étant - je suis d'accord avec vous -, on vous fait plus confiance lorsque vous fondez une start-up de la Tech que lorsque vous créez une entreprise classique : vous bénéficiez alors des 30 000 euros de la bourse French Tech. C'est un vrai sujet. Restent les prêts d'honneur : nous en proposerons 40 000 en 2023. Ces prêts à taux zéro financés par Bpifrance sont la solution pour les créateurs d'entreprise ne relevant pas de la Tech. Il faut le faire savoir très largement.

Monsieur Cozic, pour le financement de la garantie, la programmation à moyen terme (PMT) ne prévoit rien à partir de 2024 : nous devons trouver une solution d'ici à l'automne prochain. Il nous faut 300 millions d'euros en 2024 et 400 millions d'euros par an à partir de 2025.

Mon comité exécutif a effectivement connu quatre départs non coordonnés à peu près au même moment. Une personne, présente depuis dix-sept ans, est devenue entrepreneur ; une autre, en poste depuis quatorze ans, en a fait autant : c'est formidable. Mon directeur de la communication, présent depuis neuf ans, a changé de fonctions, comme la directrice des ressources humaines, présente depuis douze ans. Ces quatre personnes ont été remplacées, dont trois par le biais de la promotion interne : c'est la vie d'une entreprise.

Mme Paoli-Gagin m'a interrogé au sujet du FNVI, qui est en train de voir le jour : le règlement est signé et nous allons pouvoir commencer à le déployer. Je précise qu'il n'y a pas de carried interest au sein de Bpifrance. Nous menons notre action grâce à la ferveur et à l'esprit d'aventure qui animent nos équipes. Nous avons d'ailleurs eu le plaisir d'être classés huitième au top 25 des entreprises préférées des salariés français.

Quant à la remarque sur le temps, elle est tout à fait judicieuse. Notre institution livre d'ailleurs un combat permanent contre la prolifération des documents administratifs. Il faut se mettre à la place des entrepreneurs : c'est bel et bien notre défaut national.

Monsieur Bocquet, vous avez tout à fait raison de citer cet entretien donné en juillet 2022, lors de la publication de mon livre. Après hésitation, j'ai accepté qu'il soit publié, car il est bon que l'on sache ce que je pense et quelle est l'origine de ma réflexion.

Tout vient de l'époque, très formatrice, où j'ai travaillé auprès de Pierre Bérégovoy et de René Teulade, ministre des affaires sociales et de l'intégration, dont j'étais directeur adjoint de cabinet. En cette qualité, j'étais responsable du financement de la sécurité sociale et j'ai élaboré le grand plan de l'automne 1992. C'était le moment le plus dur jamais vécu par la sécurité sociale depuis 1945, à cause de la guerre du Golfe : le déficit se creusait de plusieurs milliards de francs chaque mois et, en ce temps-là, tout le monde était terrifié par un déficit de la sécurité sociale. Pierre Bérégovoy et René Teulade ne pensaient qu'à cela ; le retour à l'équilibre relevait de l'évidence. Je regrette que cette époque soit révolue pour tout le monde, en particulier pour les Français ; que l'on ait perdu cette sagesse, gage de respect envers l'État providence. C'est précisément ce que pensent les entrepreneurs.

Monsieur Capo-Canellas, notre risque avéré représente 142 millions d'euros au titre des crédits de 2022. Pour 2023, nous avons budgété 250 millions d'euros, soit quelques 100 millions d'euros supplémentaires. En tenant compte du hors bilan, nous gérons en tout et pour tout 300 milliards d'euros : le risque avéré budgété reste donc très faible, ce qui souligne la solidité de l'économie française aujourd'hui.

Monsieur Joly, l'état d'esprit a effectivement changé, car le consensus national revient en faveur du produire en France.

M. Patrice Joly. - Chez les grands patrons aussi ?

M. Nicolas Dufourcq. - Je le sens venir, même s'il ne faut pas « sur-promettre » en déclarant aux Français que l'on va tout relocaliser. Ce qui est parti est parti et peu de choses reviendront. Mais l'industrie se réinvente tout le temps : faisons ce qu'il faut pour que, chaque fois que c'est possible, les entrepreneurs choisissent la France.

Vous m'interrogez sur la place de la ruralité dans la réindustrialisation. En fait, l'industrie, c'est le rural - c'est dans les ruralités que se trouvent les friches -, mais nombre d'ingénieurs ne veulent pas aller travailler à la campagne. La question est donc : comment installer des industries dans les métropoles ?

Monsieur Bascher, nous avons développé deux produits de retail, qui ont permis de lever 400 millions d'euros en tout. Ils assureront des rendements très élevés, car ils correspondent à de bons millésimes. Ce sont des produits secondaires ; en revanche, celui que nous allons lancer dans trois mois sera un produit primaire, destiné à lever 50 à 100 millions d'euros.

La répartition du capital de BpiFrance à 50-50 me semble une très bonne solution. Il y a dix ans, les relations entre l'État et la Caisse des dépôts étaient dignes des Atrides : ces conflits exacerbés allaient à l'encontre des intérêts du pays et l'équilibre trouvé a totalement pacifié la relation.

Enfin, monsieur Longuet, je ne crois pas que Bpifrance soit cantonnée dans un rôle de gate keeper. Bien sûr, les banques privées sont bien contentes que nous soyons là. Elles préfèrent avoir recours à nous plutôt qu'à une banque concurrente, car nous ne demanderons jamais à gérer les flux. En parallèle, un certain nombre de fonds se sont habitués à ce que Bpifrance fasse toutes les vérifications nécessaires, les due diligences - c'est tellement plus simple...

M. Gérard Longuet. - Et moins cher !

M. Nicolas Dufourcq. - Nous luttons contre cette tendance en décidant parfois de ne pas faire le premier pas : nous attendons de voir si le marché privé s'organise et, dès lors, nous venons. Je ne veux pas que le marché, par ailleurs très bien rémunéré pour ses prestations de private equity, prenne l'habitude de penser ainsi.

M. Claude Raynal, président. - Reste la responsabilité de Bpifrance dès lors qu'elle est entrée au capital d'une entreprise.

M. Nicolas Dufourcq. - C'est une chose d'être un partenaire sine qua non ; c'en est une autre d'être rassurant. Dans un marché assez moutonnier, où les positions peuvent vite se cristalliser, ce rôle est très utile.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions de votre venue.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Nicolas Dufourcq aux fonctions de directeur général de la société anonyme Bpifrance

La commission procède au vote, puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Nicolas Dufourcq aux fonctions de directeur général de la société anonyme Bpifrance, simultanément à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale.

Le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale est le suivant :

Nombre de votants : 21

Bulletins blancs ou nuls: 3

Suffrages exprimés : 18

Pour : 17

Contre : 1

La réunion est close à 12 h 50.