Lundi 27 février 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 00.

Audition de l'Observatoire national de la rénovation énergétique

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous débutons nos travaux par l'audition de plusieurs responsables du service statistique du commissariat général au développement durable (CGDD) qui sont en charge de l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE) et collaborent étroitement à l'enquête Logement menée périodiquement par l'Insee, à savoir M. Jérôme Harnois, sous-directeur des statistiques du logement et de la construction, Mme Bérengère Mesqui, sous-directrice des statistiques de l'énergie, Mme Béatrice Boutchenik, responsable des études et synthèses sur le logement et la construction à la sous-direction des statistiques du logement et de la construction, M. Ronan Le Saout, expert en économie de l'énergie et en méthodologie statistique à la sous-direction des statistiques de l'énergie et M. Guillaume Rateau, chef du bureau des enquêtes et synthèses sur le logement et la construction.

La commission a souhaité vous entendre pour faire avancer sa compréhension de la gouvernance de la politique de rénovation énergétique, l'état actuel du parc de logements et la mesure de l'efficacité des aides.

Concernant la gouvernance de la politique de rénovation, nous voudrions comprendre comment se positionne l'ONRE dans le dispositif public et savoir quelles missions précises lui sont confiées. Nous avons notamment retenu de l'audition de Mme la ministre Emmanuelle Wargon qu'aucune politique ne pouvait être pilotée sans une connaissance statistique fiable.

Concernant le parc de logements, et alors que la France s'est donné des objectifs ambitieux avec un parc devenu économe en 2050, où en est-on aujourd'hui sachant que, depuis plusieurs années, on souhaite réaliser 500 000 rénovations par an, sans pour autant y parvenir ? De quelles données dispose-t-on alors que le diagnostic de performance énergétique (DPE) reste très critiqué ? Combien y a-t-il de passoires thermiques et, à l'inverse, de logements déjà aux normes souhaitées pour 2050 ?

Enfin, concernant l'efficacité des aides, peut-on mesurer les gains en termes d'émissions de gaz à effet de serre ou d'énergie consommée ? Arrive-t-on à savoir combien de logements sortent du statut de passoire thermique ? C'est évidemment central pour ajuster les moyens, déjà très importants, aux objectifs poursuivis alors que la Cour des comptes a, par exemple, vivement critiqué les résultats obtenus.

L'ensemble de ces données vous permet-il d'identifier des « points noirs », par exemple quant à une surreprésentation des passoires thermiques, des points de blocage pour la réalisation des travaux ou, au contraire, des leviers qui pourraient être actionnés ?

Enfin, pour reprendre les propos du Président de la République dans une récente vidéo postée sur les réseaux sociaux, peut-on mesurer là où est maximale l'efficacité d'un euro public pour atteindre nos objectifs en matière de transition énergétique ? Est-ce exact qu'il vaudrait mieux aujourd'hui investir dans les transports plutôt que dans la rénovation ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une vingtaine de minutes, j'indique que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jérôme Harnois, Mme Bérengère Mesqui, Mme Béatrice Boutchenik, M. Ronan Le Saout et M. Guillaume Rateau prêtent serment.

Mme Bérengère Mesqui, sous-directrice des statistiques de l'énergie. - Nous allons commencer par vous présenter les résultats de l'enquête Logement, puis nous évoquerons plus largement les travaux de l'ONRE.

M. Guillaume Rateau, chef du bureau des enquêtes et synthèses sur le logement et la construction. - L'enquête nationale Logement a débuté en 1955 et est normalement menée tous les 5 ou 7 ans par l'Insee. La précédente enquête date de 2013 et, exceptionnellement, celle de 2020 a été réalisée par la sous-direction des statistiques du logement et de la construction sur un champ un peu plus restreint, à savoir la métropole. La prochaine enquête aura lieu à l'été 2023 et sera réalisée par l'Insee sur l'ensemble du pays.

Cette enquête couvre un champ assez large de thématiques : le parc du logement, la qualité de l'habitat, les dépenses, les ressources, les taux d'effort, les opinions sur le logement, les mobilités résidentielles, l'équipement énergétique, qui revêt ici un intérêt particulier. Le questionnaire est globalement comparable d'une enquête à l'autre, permettant ainsi de possibles mesures d'évolution.

Par ailleurs, cette enquête fait partie des études les plus importantes dans le cadre de la statistique publique, puisque 37 000 ménages y ont répondu. Elle est également large par le nombre important de questions posées : elle compte environ 1 500 variables. Il y a un besoin administratif sur certains chiffrages, notamment les loyers imputés qui entrent dans le calcul du produit intérieur brut (PIB), construits à partir de cette enquête. Un grand nombre d'acteurs attendent l'ensemble de ces résultats. L'enquête est également majeure dans le sens où elle produit certains indicateurs de référence, notamment sur les conditions de logement et la partie financière supportée par les ménages. Elle produit le taux de surpeuplement et les taux d'effort, lesquels se déclinent en taux d'effort énergétique et en précarité énergétique.

L'enquête a débuté fin 2019 et devait s'achever au printemps 2021, mais elle a donc pris un certain retard à cause des mesures mises en place pour lutter contre le covid-19. Elle devrait donc s'achever au troisième trimestre de cette année.

Une première publication a été réalisée mi-décembre sur les conditions de logement. Dans les quelques mois à venir seront publiés d'autres éléments importants, notamment avec un bilan du parc de logements par rapport à l'étiquette énergie et sur les taux d'effort avec une déclinaison des taux d'effort énergétique. Nous nous sommes également interrogés sur le cas particulier des logements qui se situent dans le cadre des zones de protection patrimoniale, notamment au regard de leur qualité et de leur performance énergétique.

Mme Béatrice Boutchenik, responsable des études et synthèses sur le logement et la construction à la sous-direction des statistiques du logement et de la construction. - Je vais vous présenter quelques résultats préliminaires de l'enquête publiés en décembre 2022 ; des pondérations pourront être faites par la suite. Nous avons choisi de vous présenter les résultats concernant les défauts majeurs de confort, ce qui va au-delà des questions de performance énergétique.

Le graphique présente la part de logements comportant au moins un défaut majeur de confort par statut d'occupation, type de logement - collectif et individuel - et par période d'occupation, les logements les plus anciens étant ceux d'avant 1949 et la période de construction la plus récente commençant en 2010. Nous constatons, quelle que soit la période d'occupation, une proportion de logements présentant un défaut majeur plus élevée parmi les locataires du parc social et, dans une moindre mesure, du parc privé que parmi les propriétaires occupants. Cette proportion diminue nettement avec l'année de construction, même s'il existe une légère stagnation à la période de l'après-guerre et lors de la période allant de 1975 à 1998.

Pour entrer dans le détail de ces défauts majeurs de confort, je m'attarderai sur celui qui a un lien plus direct avec la performance énergétique, à savoir la proportion de logements ayant au moins une fenêtre laissant passer l'air. Celle-ci est bien plus élevée parmi les locataires, aussi bien dans le parc privé que dans le parc social, que chez les propriétaires occupants. Si elle diminue pour les propriétaires occupants et les locataires du parc privé entre 2013 et 2020, il n'en est pas de même pour les locataires du parc social.

Par ailleurs, nous pouvons aussi nous intéresser à un autre ensemble de défauts, qui ne sont pas considérés comme des défauts majeurs, mais dont un certain nombre ont trait à la performance énergétique des logements, c'est-à-dire les logements trop difficiles à chauffer, ceux qui présentent un défaut en termes d'humidité, des problèmes d'isolation du toit ou des murs ou qui manquent d'aération. Dans la plupart de ces cas, nous constatons une nette amélioration entre 2013 et 2020, quel que soit le statut d'occupation, de l'isolation. Par ailleurs, nous demandons aux ménages s'ils ont souffert du froid, ce qui dépend des années en termes de ressenti. En 2020, ce sont les locataires du parc social qui ont déclaré le plus souvent avoir souffert du froid pendant l'hiver précédant l'enquête.

Mme Bérengère Mesqui. - J'évoquerai maintenant les travaux plus généraux de l'ONRE.

Cet observatoire, qui a été créé en septembre 2019 par une lettre de mission d'Emmanuelle Wargon et de Julien Denormandie, a pour vocation d'améliorer la connaissance sur la rénovation des bâtiments à la fois résidentiels et tertiaires.

Cet objectif général s'accompagne de trois missions principales : caractériser l'état du parc de logements, suivre la dynamique de la rénovation et suivre les dispositifs de soutien à la rénovation. L'idée est de diffuser le plus possible des études et de mettre à disposition des données, au niveau national et au niveau territorial pour éclairer l'action publique.

En termes de gouvernance, cet observatoire est piloté par le CGDD et le service des données et études statistiques (SDES) en assure le secrétariat. Il compte deux instances principales : un comité stratégique, interne à l'administration, qui regroupe la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et le CGDD, qui définit les orientations et valide le programme de travail ; et un comité des partenaires, constitué d'environ 25 membres, qui se réunit une à deux fois par an, selon les années, à qui sont présentés les résultats, qui en débat et formule des propositions sur les études à mener.

En parallèle de ces deux instances, des groupes de travail ad hoc peuvent être créés. En ce moment a été mis en place un groupe de travail sur l'évaluation du coût des travaux de rénovation. Des membres externes à l'ONRE peuvent s'y adjoindre.

Permettez-moi de vous présenter trois publications, plus ou moins récentes, qui permettent d'illustrer les travaux que nous menons.

La première publication porte sur le parc de logements par classe de performance énergétique, que nous avons publiée en juillet 2022. L'objet de cette étude est d'estimer la répartition des DPE sur l'ensemble du parc de logements. En termes de données, nous disposons d'une base collectée par l'Ademe, qui répertorie l'ensemble des DPE réalisés. Toutefois, les DPE ne sont pas effectués aléatoirement dans l'ensemble du parc des logements, ils sont produits en général lors des mises en location ou en vente des logements. Il y a donc un biais de cette base en faveur des logements neufs, dont la classe est de fait moins énergivore. Il nous faut donc extrapoler ces données pour estimer la répartition du parc de logements.

Au 1er janvier 2022, sur les 30 millions de résidences principales, 5,2 millions d'entre elles sont des passoires énergétiques (étiquettes F et G) ; 1,5 million d'entre elles auraient des étiquettes A ou B ; l'étiquette D, la plus fréquente, concernerait 32 % du parc.

Les passoires énergétiques sont plus nombreuses dans les résidences secondaires et dans les logements vacants. Ce n'est pas étonnant dans la mesure où celles-ci ne sont pas chauffées toute l'année. Pour l'ensemble du parc, nous comptons 7,2 millions de passoires énergétiques (étiquettes F et G).

En termes de répartition dans le parc, nous dénombrons davantage de passoires dans le parc locatif privé : 43 % de logements sont classés E, F ou G.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Les passoires thermiques correspondent-elles seulement aux étiquettes F et G ?

Mme Bérengère Mesqui. - Oui, les passoires énergétiques sont exclusivement celles qui sont classifiées F et G.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Et G + ?

Mme Bérengère Mesqui. - Oui, la classification G les comprend.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Avant la création de l'ONRE, existait-il un organisme qui accomplissait tout ou partie des missions qui vous ont été confiées ?

Mme Bérengère Mesqui. - En effet, le service des données et études statistiques réalisait des études. L'enquête sur la performance de l'habitat, équipements, besoins et usages de l'énergie (Phébus) avait évalué, en 2013, les performances énergétiques sur un échantillon de logements. Ainsi, même s'ils étaient moins fournis, des travaux existaient déjà.

Concernant les DPE, une évaluation du parc avait déjà été effectuée le 1er janvier 2018. Cependant, la méthodologie du DPE ayant changé depuis, la comparaison est impossible. Ainsi, il nous est impossible d'indiquer si le nombre de passoires énergétiques a baissé ou augmenté.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Vous parlez de 5,2 ou de 7,2 millions de passoires énergétiques ?

Mme Bérengère Mesqui. - On comptabilise 5,2 millions de résidences principales comme étant des passoires énergétiques et 7,2 millions avec les résidences secondaires.

Le parc social compte un peu moins de passoires thermiques que le parc locatif privé ou les maisons individuelles. Les petits logements et les logements chauffés au fioul - l'étiquette DPE combinant une partie énergie et une autre partie climat -, sont également plus énergivores. Les passoires sont plus nombreuses dans l'agglomération parisienne. Les ménages du premier quintile dans le parc privé occupent plus souvent des passoires énergétiques que les autres classes de revenus.

En outre, les réglementations thermiques mises en place progressivement démontrent que les logements les plus récents sont plus performants.

Par ailleurs, l'ONRE a réalisé une étude sur le suivi des aides à la rénovation. Nous venons de publier un rapport relatif aux principales aides à la rénovation entre 2016 et 2020.

Nous avons des données détaillées sur le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), qui n'existe plus aujourd'hui, les certificats d'économies d'énergie (C2E), MaPrimeRénov' (MPR) et Habiter mieux sérénité (HMS). Les données MPR sont disponibles assez rapidement, contrairement aux données C2E que nous recueillons avec deux ans de retard, car elles nécessitent un travail important de recodage des adresses, afin d'éviter les doubles comptes.

En 2020, 2,1 millions de logements ont bénéficié en France métropolitaine d'une aide à la rénovation au titre du C2E, du CITE, de MPR et du dispositif HMS, quel que soit le geste de rénovation réalisé. Entre 2016 et 2020, le nombre de logements aidés variait entre 1,7 million et 2,4 millions, selon les années.

En matière d'énergie conventionnelle, en fonction du type de gestes de rénovation, nous calculons des économies d'énergie conventionnelles, c'est-à-dire théoriques, ce qui donne une idée sur l'efficacité des gestes les plus efficaces. En 2020, nos travaux ont montré que des économies d'énergie conventionnelles ont été réalisées à hauteur de 7,7 térawattheures (TWh) par an, ce qui correspond à 1,7 % de la consommation totale d'énergie finale du parc de résidences principales. Entre 2016 et 2020, ce gain énergétique moyen conventionnel s'est accru, passant de 2,8 mégawattheures (MWh) à 3,6 MWh par an par logement.

La plupart des économies théoriques proviennent des travaux réalisés sur le chauffage et l'eau chaude sanitaire (57 %), sur l'isolation de la toiture, des murs et du plancher (38 %), sur les fenêtres, les volets et portes, puis sur la ventilation, dont la part est mineure. La part des économies réalisées avec l'isolation des fenêtres a tendance à décroître dans le temps dans nos statistiques, du fait que le remplacement des fenêtres a été de moins en moins aidé.

Concernant le suivi des aides, nous constatons que ce sont surtout les maisons individuelles qui bénéficient d'aides. Néanmoins, les C2E se distinguent par une part plus importante de logements collectifs, notamment dans le parc social. Les aides MPR et le dispositif HMS ciblent plutôt les ménages modestes ; le versement des C2E est plus équilibré et les ménages aisés bénéficient surtout du CITE.

Les gains énergétiques se retrouvent plutôt concentrés dans une diagonale entre les Pyrénées et le nord-est de la France et sont moins importants dans le bassin méditerranéen, du fait d'un climat moins rigoureux.

Enfin, la troisième et dernière enquête concerne les travaux de rénovation des maisons individuelles (Trémi). Réalisée en 2020 et copilotée par l'Ademe et le SDES, elle visait à mieux connaître les travaux de rénovation réalisés dans les maisons individuelles. Il s'agit de la seule source d'information disponible sur les rénovations non aidées. Cette enquête permet d'avoir des données détaillées sur les travaux, les coûts, la connaissance des dispositifs, les freins à la rénovation et, a contrario, les motivations.

Si l'enquête Trémi de 2020 concerne uniquement les maisons individuelles, nous ne disposons d'aucune information sur la rénovation non aidée de l'habitat collectif - nous essaierons d'y remédier.

Cette enquête montre que, en 2019, 3,1 millions de ménages ont réalisé 5 millions de gestes de rénovation, pour une économie d'énergie conventionnelle de 8,1 TWh par an. Avec les bouquets de travaux, les gains se montrent plus importants : trois postes de travaux ou plus ont représenté 30 % des gains énergétiques en 2019.

S'agissant des gestes, à l'instar des aides, les gains sont d'abord largement liés aux travaux sur les systèmes de chauffage, devant ceux qui portent sur l'isolation des murs, la ventilation, la toiture, le plancher, et enfin l'eau chaude sanitaire.

Nous avons observé également les réductions de gaz à effet de serre selon le poste. Nous retrouvons sensiblement la même classification que pour les économies d'énergie. En revanche, l'impact sur le chauffage est beaucoup plus important. Il s'agit, je le répète, d'économies conventionnelles.

La principale motivation pour les ménages reste la réduction du montant de la facture énergétique. Ainsi, 70 % des ménages qui ont réalisé des travaux de rénovation dans leur maison individuelle déclarent une amélioration du confort thermique ainsi qu'une baisse de leurs dépenses d'énergie.

En ce qui concerne les freins et les blocages, au-delà du fait que certaines maisons sont déjà performantes, le premier d'entre eux demeure la situation financière des ménages au regard du coût des travaux.

Quant à la planification des futurs travaux, il faut savoir que près des trois quarts des ménages qui ont procédé à une rénovation entre 2017 et 2019 estiment qu'ils ont encore des travaux à réaliser, mais ceux-ci n'ont pas été encore planifiés. Là aussi, la question financière pose problème.

En ce qui concerne les travaux que nous avons prévu de mener, le premier concerne l'estimation des gains énergétiques réels. En effet, nous ne calculons pour l'instant que des gains conventionnels, et nous souhaiterions mesurer les évolutions de la consommation des ménages après rénovation. Deux scénarios peuvent en effet modifier les résultats attendus après une rénovation : un effet rebond - on chauffe davantage pour le même prix - et une qualité de travaux moins bonne qu'escomptée.

Dans ce cadre, il est prévu que nous accédions aux données de consommation mensuelles d'un million de ménages qui seront corrélées avec les chiffres des aides à la rénovation. L'objectif est d'évaluer la consommation de ces ménages avant et après rénovation et la comparer à celle des ménages qui n'ont pas rénové.

Un autre projet concerne le renouvellement et l'extension de l'enquête Trémi pour l'étendre aux logements collectifs, c'est-à-dire aux copropriétés de plus de 10 logements - les petites copropriétés sont aujourd'hui sous-représentées dans le registre de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) - et aux logements du parc social. Dans le cadre de cette enquête qui aura lieu à l'automne 2023, seront interrogés les occupants des logements, les propriétaires bailleurs, les bailleurs sociaux et les syndics, afin d'avoir une vision des travaux aussi bien dans les parties privées que communes.

M. Ronan Le Saout, expert en économie de l'énergie et en méthodologie statistique à la sous-direction des statistiques de l'énergie. - Les objectifs de l'ONRE concernent également le domaine du tertiaire qui est aujourd'hui relativement mal couvert d'un point de vue statistique. L'enjeu des mois et des années à venir consiste donc à mieux caractériser ce champ des bâtiments et des activités tertiaires. Dans ce cadre, une analyse qualité de la base disponible sur l'outil de suivi des fluides interministériels (Osfi) a déjà été réalisée. Cette base qui permet d'évaluer la performance énergétique des bâtiments de l'État assez finement pourrait être reliée à des actions de politiques publiques déjà mises en oeuvre sur ces bâtiments, mais ne permet pas de diffuser des statistiques agrégées du fait de défauts de couverture ou d'exhaustivité.

Les prochains mois seront donc consacrés à l'analyse des remontées statistiques via l'Observatoire de la performance énergétique, de la rénovation et des actions du tertiaire (Operat), c'est-à-dire les remontées des assujettis au décret tertiaire en termes de consommation et d'obligation de baisse consommation d'énergie, afin d'évaluer si les statistiques agrégées sur le parc tertiaire pourraient être diffusées de manière élargie. Nous envisageons la possibilité à moyen terme de lancer une enquête statistique quant à ce champ du tertiaire sur le modèle de l'enquête visant les travaux de rénovation énergétique dans les logements (Trélo). En conclusion, la connaissance en termes de statistiques est encore insuffisante dans ce domaine, mais nous cherchons à l'améliorer.

Mme Bérengère Mesqui. - Je vous signale que si vous souhaitiez en savoir davantage, vous pouvez consulter le site internet de l'ONRE : nous ne pouvons pas être exhaustifs dans le cadre de cette audition.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Estimez-vous que les données dont vous disposez soient suffisantes ? Je pense notamment aux modifications intervenues pour le DPE et aux impacts que celles-ci peuvent avoir sur votre travail.

S'agissant des résidences secondaires dont 32 % sont des passoires thermiques, contre 17 % pour les résidences principales, avez-vous réalisé une analyse plus précise au regard des taux d'occupation de ces résidences secondaires ? De plus, s'il y a 20 % de passoires thermiques parmi les maisons individuelles et 15 % dans les logements collectifs, on note une prépondérance en zone rurale et dans l'agglomération parisienne, avez-vous réalisé une analyse localement ou par région, notamment au regard des dispositifs mis en place dans certains acteurs locaux ?

Possédez-vous des indicateurs sur la qualité énergétique réelle des rénovations ? De même, avez-vous des données sur le type de matériaux utilisés : matériaux biosourcés ou locaux ?

Enfin, disposez-vous d'informations pour expliquer le non-recours aux aides, notamment en ce qui concerne le CITE ?

M. Jérôme Harnois, sous-directeur des statistiques du logement et de la construction. - S'agissant de la première question, il apparaît assez clairement que, en moins de trois ans, le SDES et l'ONRE ont réalisé des miracles, qui plus est dans un contexte de pandémie. En effet, au moment où Mme Wargon a donné l'impulsion à la création de l'ONRE, nous partions de zéro. Ainsi, un important travail de recensement des sources disponibles a été opéré et des prises de contact avec les producteurs de ces données ont eu lieu, telles que la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), l'Ademe et l'Anah. De plus, le SDES adapte son système d'information en complétant le dispositif Trémi par le dispositif Trélo pour l'élargir aux logements collectifs.

Nous arrivons néanmoins à une forme de plateau : il nous manque tout d'abord une certaine rapidité de la disponibilité des données. Nous nous appuyons en effet beaucoup sur les données administratives et sommes donc dépendants des organismes producteurs. Ainsi, dans le cadre des C2E, le délai de disponibilité des informations est problématique, puisque tant que nous n'avons pas réceptionné ces données, nous ne pouvons rien produire, ce qui frustre les utilisateurs et pénalise le pilotage.

Un autre sujet d'ordre technique correspond à la capacité à rapprocher les sources et à réaliser des jointures. Nous sommes en effet particulièrement sensibles à ce sujet sur la question des logements et plus généralement des locaux. Il est certain que les travaux qui vous ont été présentés aujourd'hui mobilisent une force assez disproportionnée par rapport aux enjeux. Il faut comprendre que les sources sont assez peu adaptées aux jointures : nous sommes obligés de passer par la notion d'adresse, ce qui ne correspond pas toujours à la structuration des DPE : il nous faut trouver le bon logement pour le bon DPE. En vue d'améliorer ces points, le SDES travaille avec la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), avec l'Insee et avec la direction générale des finances publiques (DGFiP), afin d'élaborer un système de répertoire des locaux qui serait mis à la disposition d'acteurs chargés d'administrer des données sur les locaux. Ce travail qui a débuté il y a deux ans connaît une accélération en 2023, puisqu'un service d'exposition du référentiel du service des impôts permettra désormais au détenteur de certaines données de consulter le répertoire existant et de rapatrier dans sa base de données l'invariant fiscal, qui sert aujourd'hui à la taxe d'habitation et à la taxe foncière, pour pouvoir rapprocher les sources. Ce service sera mis en place en mode expérimental à la fin de l'année, mais on peut penser que, dès 2024, la plupart des sources évoquées par Mme Mesqui auront pu être rapprochées, ce qui permettra de gagner en qualité et en précision géographique.

Mme Bérengère Mesqui. - S'agissant des résidences secondaires, nous n'avons pas procédé à des analyses spécifiques ; nous les avons introduites pour la première fois et je ne vois pas comment nous pourrions récupérer des données sur leur taux d'occupation. Néanmoins, si ce sujet n'est pas pour l'instant prioritaire, il nous faudra l'examiner un jour.

En ce qui concerne la précision géographique, l'étude que nous avons publiée montre des données à l'échelle départementale, sachant que les méthodes statistiques n'ont pas la capacité d'approcher un niveau très local et que la source première d'informations délivrée par les DPE ne permettra pas de constater des effets signifiants à une échelle locale.

Pour répondre à la question sur les zones rurales et l'agglomération parisienne, il s'agit d'une question de type de bâtis : les maisons individuelles ont davantage de surfaces de déperdition et sont donc plus souvent classées dans la catégorie des passoires énergétiques.

Par ailleurs, nous n'avons pas pour l'instant d'informations quant à la qualité de rénovation et aux types de matériaux utilisés.

Enfin, le non-recours aux aides n'a pas été étudié via le Trémi, et je ne sais pas dans quelle mesure cette question pourrait être ajoutée via le Trélo. Si le CITE correspond à un crédit d'impôt, il est probable que le délai associé à cette aide peut avoir une influence dans le cadre de situations financières plus délicates. Nous pourrions nous pencher sur cette question lors de la prochaine enquête.

M. Ronan Le Saout. - Sur la question des statistiques locales et de la qualité des données, nous alertons sur le fait qu'il y a des incertitudes sur les statistiques relatives aux DPE. Cette incertitude est liée au fait que nous mesurons un concept qui est le fruit d'une mesure administrative conventionnelle pouvant évoluer dans le temps et pouvant être sujet à contestation.

L'incertitude est également liée au fait qu'il s'agit d'un travail de modélisation. En parallèle de l'étude publiée, nous menons conjointement un travail dans le cadre d'une mission Connaissance avec la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) de Normandie qui vise à définir un outil dénommé « la boussole de la rénovation énergétique ». Cet outil délivrerait des statistiques à un niveau local plus fin, notamment à l'échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), statistiques qui porteraient sur les aides à la rénovation énergétique. La question de la fiabilité de ces chiffres à une échelle locale se pose pour l'instant : s'ils offrent une vision théorique de la situation du parc de logements au vu de ses caractéristiques, ils ne peuvent pas tenir compte des politiques spécifiques locales mises en oeuvre. L'expertise des acteurs locaux reste donc nécessaire pour commenter ce type d'analyse.

En ce qui concerne la future enquête Trélo, il existe des cadres sur la connaissance des aides auxquelles ont eu recours les ménages, aides que l'on peut ensuite relier aux situations de revenus ou de composition de ces ménages. Le questionnaire sera donc à étudier pour y ajouter éventuellement l'analyse du non-recours.

M. Jérôme Harnois. - S'agissant de l'analyse des raisons du non-recours, il faut savoir que ce type d'étude est très coûteux techniquement et que l'on ne peut être jamais sûr d'avoir parfaitement traité le sujet : ce champ n'est traitable de manière satisfaisante qu'en ce qui concerne le logement social, en raison de la présence de l'invariant que nous sommes en train d'implémenter au sein du répertoire du parc locatif social (RPLS).

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Avez-vous pu identifier le nombre de logements qui seraient déjà aux normes fixées par la stratégie nationale bas-carbone 2050 ?

M. Ronan Le Saout. - Nous évaluons le nombre de logements par classe DPE, notamment les logements classés A, B et C. S'agissant des normes « bâtiment basse consommation » (BBC) qui correspondent à l'horizon 2050, la question est de savoir quelle définition adopter. Si l'on peut caractériser les logements A et B, je ne sais pas vraiment comment nous pourrions les relier aux normes d'efficacité énergétique des bâtiments à horizon 2050. En outre, une autre difficulté se pose quant aux logements très performants : il existe trois méthodes de calcul du DPE. La première correspond à la méthode de Calcul de consommations conventionnelles des Logements (3CL) et les deux autres concernent les logements neufs, selon la réglementation thermique (RT) 2012 et la réglementation environnementale (RE) 2020. Les DPE des logements neufs ne sont donc pas les mêmes que les DPE-3CL. Nous essayons d'harmoniser les calculs autour de la méthode 3CL, mais il persiste un mélange de concepts pour les logements BBC, ce qui rend la mesure des logements très efficaces d'autant plus difficile.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous parvenez néanmoins dans le cadre des logements neufs à mesurer le nombre de constructions RT 2012, BBC, passives ou autres. La vraie question qui demeure est le lien et l'uniformisation avec les données de l'existant des DPE.

M. Ronan Le Saout. - Notre travail de modélisation porte effectivement sur les logements DPE-3CL, c'est-à-dire des logements neufs qui ont fait l'objet d'un DPE-3CL, parce qu'ils ont été construits il y a quelques années et renouvellent leur DPE. En parallèle, nous connaissons la situation du parc des deux dernières années des logements neufs et nous utilisons donc ces informations pour faire vieillir nos statistiques, mais cette méthodologie reste incertaine.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Seriez-vous à même d'évaluer des fraudes ou des effets d'aubaine des différents dispositifs ?

Mme Bérengère Mesqui. - Ce n'est pas le rôle d'un service statistique. Par ailleurs, les effets d'aubaine pourraient être étudiés, mais il faudrait dans un premier temps définir l'effet d'aubaine d'une aide à la rénovation. Il serait très difficile de mesurer le cas des effets incitatifs de l'aide à la rénovation.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - On peut penser à l'effet d'une aide mise en place sur le coût des matériaux. L'exemple des chaudières semble assez facile à mesurer quant à l'évolution des coûts.

Mme Bérengère Mesqui. - Nous avons lancé un groupe de travail pour déterminer la manière de suivre le coût des travaux de rénovation. Nous étudions pour l'instant la pertinence des sources. Les fichiers MPR seront a priori utilisés pour suivre les coûts et identifier, éventuellement, un effet de l'aide sur l'évolution d'un matériau ou d'un dispositif spécifique, mais nous n'en sommes pas encore là.

M. Franck Montaugé. - Les statistiques présentées constituent-elles la base de ce que les cabinets d'études utilisent pour le calcul du coût d'émissions de dioxyde de carbone ? Ces calculs sont notamment utilisés par les collectivités locales eu égard aux politiques qu'elles mettent en oeuvre ou auxquelles elles contribuent.

Par ailleurs, vous avez donné des chiffres bruts des émissions de dioxyde carbone : intègrent-ils la production de carbone des entrants correspondant aux différentes opérations envisageables en matière d'économie d'énergie pour les bâtiments ? Il peut s'agir de matériaux ou d'énergie, puisqu'une rénovation peut donner lieu à des changements de mode de chauffage et parfois des émissions de carbone supplémentaires.

Mme Bérengère Mesqui. - Les émissions présentées correspondent à des émissions en usage et ne prennent donc pas en compte l'empreinte carbone des matériaux. Elles intègrent en revanche les gains d'émission liés à un changement de mode de chauffage.

Pour répondre à la première question, les gains d'émission ont été calculés en fonction des gains théoriques d'énergie et du type de chauffage, c'est-à-dire au regard d'une hypothèse sur chaque type d'émission en fonction du mode de chauffage. Dans la plupart des études réalisées par les collectivités territoriales, la base des calculs est plutôt constituée de ces hypothèses par type. Ainsi, nos calculs ne sont pas forcément réutilisés tels quels.

M. Franck Montaugé. - Je pensais à la possibilité de comparer les chiffres issus d'études différentes.

Mme Bérengère Mesqui. - Cela paraît possible dans la mesure où les bases de calcul sont les mêmes : les facteurs d'émission proviennent essentiellement des bases de l'Ademe.

M. Ronan Le Saout. - Quant au calcul des gains conventionnels, nous nous appuyons sur une modélisation conventionnelle de type DPE et pour certaines hypothèses techniques, sur le travail d'un cabinet de consultants qui définit certaines hypothèses techniques en les associant aux données de l'enquête, afin d'arriver à ces chiffrages. Ainsi, les chiffres sont bien comparables, puisque la plupart des acteurs utilisent la méthodologie DPE pour calculer des gains conventionnels, même s'il peut y avoir des variantes. De plus, les données du Trémi sont utilisées dans le cadre de calcul de consommation ou sous forme de données d'entrées pour des modèles macroéconomiques servant à la définition de politiques publiques de rénovation énergétique.

M. Franck Montaugé. - Avez-vous une vision ou une appréciation de l'efficacité de ces labels dans le temps ? Ce qui fonctionne aujourd'hui pourrait-il donner lieu à une moindre efficacité avec le temps.

Mme Bérengère Mesqui. - Il existe effectivement une durée de vie des équipements : les travaux macroéconomiques fixent la durée de vie des travaux de rénovation à vingt ou vingt-cinq ans. Les gains d'émissions que nous calculons aujourd'hui correspondent au moment où la rénovation est fonctionnelle à 100 %, mais cela peut ne pas durer éternellement. Ce délai dépend des équipements. Ainsi, une chaudière a une durée de vie de quinze ans à vingt ans, une isolation peut durer, selon nos modèles, vingt-cinq ans, mais nous n'avons pas encore assez de recul sur les travaux de rénovation réalisés aujourd'hui pour connaître exactement leur durée de vie, notamment la durée d'efficacité des matériaux.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Ma première question porte sur l'écart entre le calcul conventionnel et le constat : ne faudrait-il pas être plus précis en sélectionnant par exemple 1 000 ménages types, comme on le fait pour comprendre la pollution de l'air intérieur, en étudiant les conditions de vie réelles des populations. En effet, j'ai observé que les accédants à la propriété à qui on annonce un très bon DPE ont un sentiment de frustration lorsqu'ils observent leur consommation réelle par rapport à ce qui leur avait été annoncé. Or la crédibilité du DPE est très importante pour nos concitoyens, en particulier au regard de la faisabilité financière dans le cadre de leur investissement personnel. Cette étape de calcul est-elle prévue dans vos études statistiques ou faudrait-il la prévoir sous une autre forme ?

Par ailleurs, cela fait longtemps que je lis beaucoup d'études et de statistiques et je me demande si celles-ci nous aident vraiment à définir les politiques publiques. Toute connaissance est bonne, mais je n'ai jamais observé que cette obsession de la pensée par les comptes permettait de trouver une solution au problème. Lors de vos études, avez-vous observé des faits saillants qui révéleraient des fragilités, des nécessités ou des sujets qui seraient vraiment nouveaux ? Pour ceux qui sont familiers de ces sujets, il est bien connu que ce sont les riches qui réalisent le plus de travaux, que le pavillon pollue plus que le collectif, que la rénovation du toit a davantage d'impact que celle des fenêtres... Et pourtant les particuliers continuent à rénover leurs fenêtres. Avez-vous découvert la réponse à ce qui nous ramène finalement à un débat philosophique : ce qui compte vraiment se compte-t-il ?

Mme Bérengère Mesqui. - Je commencerai par répondre à votre première question. Nous nous lançons dans un exercice macro puisque nous nous pencherons sur la consommation d'un million de ménages, examinerons l'évolution de leur consommation réelle, que nous apparierons aux aides et aux données fiscales. Nous aurons toutefois des informations relatives à la composition et au type des logements. En comparant les données des ménages qui ont rénové et de ceux qui ne l'ont pas fait, nous pourrons observer, à un niveau macroéconomique, l'impact de la rénovation sur la consommation réelle. Il s'agit d'un premier élément important.

Il pourrait aussi être utile de savoir de façon précise à quels usages les ménages ont recours et à quel moment, pour comprendre ce qui s'est passé quand l'efficacité de la rénovation sur la consommation n'est pas aussi importante que prévu. Cependant, nous n'avons pas prévu de le faire à ce jour. Toutefois, je voudrais mentionner l'existence d'un projet mis en oeuvre autour d'un panel rassemblant, me semble-t-il, Réseau de transport d'électricité (RTE), l'Ademe et les distributeurs d'électricité et de gaz, pour suivre et analyser la consommation d'un petit échantillon de ménages. Il s'agit d'un projet que nous suivons, mais auquel nous ne participons pas, et qui ne semble pas avoir encore rendu de résultats. Les deux types de travaux sont complémentaires, chacun ayant son intérêt.

Concernant votre seconde question, vous avez raison, nos connaissances sont nombreuses. Cependant, je ne maîtrisais pas les données liées au chiffrage des montants d'économies d'énergie, aux données que nous récolterons peut-être sur les économies réelles et à l'ampleur de ce que la rénovation énergétique peut apporter aux politiques publiques, notamment en lien avec les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Si nous n'avions pas mesuré ces éléments à partir de nos enquêtes, nous n'aurions pas développé ces connaissances. Les statistiques sont donc assez intéressantes afin de définir les politiques publiques.

M. Jérôme Harnois. - Si Mme Wargon nous a demandé de produire des statistiques sur la rénovation énergétique, c'est précisément parce qu'il n'en existait pas. Nous n'avons probablement rien découvert de fondamental, mais il n'existait pas de mesures et notre mandat consistait à créer des indicateurs afin d'y remédier. Il me semble que nous l'avons plutôt bien rempli, dans un temps assez court.

Ce qui compte se compte-t-il ? Il s'agit effectivement d'un débat philosophique et cette question me fait penser au recensement de la population, qui repose sur ce principe : tout le monde compte. Nous serons sans doute tous d'accord pour dire que le recensement, notamment en matière de finances des collectivités locales, reste un outil fondamental.

M. Philippe Folliot. - Je voudrais aborder la question de la certification des différents produits en partant d'un exemple concret. Dans la région Occitanie, plus particulièrement dans le Sud-Aveyron et surtout dans l'est du Tarn, le cheptel ovin, lié à la filière roquefort, est important. Toutefois, la laine reste un sous-produit assez mal valorisé, pour différentes raisons. L'isolation représente pourtant une opportunité intéressante puisqu'elle permet de valoriser ce sous-produit tout en ayant un impact environnemental zéro par rapport à d'autres isolants, fabriqués à partir de pétrole par exemple. Cependant, la labellisation de ce type d'isolation demeure particulièrement complexe et il serait irréaliste de demander à un agriculteur qui livre sa laine de se lancer dans ces démarches de certification.

Dans ce cadre, serait-il possible de faire en sorte que l'on puisse utiliser des matériaux locaux et bio-sourcés qui répondent à un besoin, sans rentrer dans le cadre des éléments purement statistiques puisqu'ils n'obtiennent pas de label ?

Pour être plus concret encore, dans mon village, nous mettons en oeuvre un projet qui consiste à bâtir des maisons à l'ossature de bois, dans lesquelles nous avons décidé d'utiliser la laine comme isolant. Cependant, il apparaît que nous ne rentrons pas dans les cases, y compris pour bénéficier du fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires dits « Fonds vert ». Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Mme Bérengère Mesqui. - En tant que statisticiens, nous sommes souvent dépendants des fichiers administratifs, qui comptent ce qui est labellisé. Ainsi, dans les fichiers d'aide, nous comptons les éléments ayant droit à cette aide. Parfois, cela limite notre champ de vision et c'est pourquoi nous conduisons aussi des enquêtes en population générale, comme l'enquête Trémi, qui permettent de capter ce qui ne rentre pas dans les cases de l'administration, n'est pas labellisé et ne donne pas forcément droit à une aide. Cependant, la labellisation des méthodes ne relève pas du service des statistiques. Nous comprenons les difficultés rencontrées, mais, en tant que statisticiens, nous mesurons plus facilement ce qui est déjà labellisé.

Mme Sabine Drexler. - Vous avez évoqué la motivation des ménages pour effectuer des travaux d'isolation. Cette motivation va forcément évoluer puisque le DPE va devenir obligatoire et opposable pour continuer à louer son bien. Envisagez-vous d'évaluer le nombre de propriétaires-bailleurs qui décideront de ne pas effectuer des travaux d'isolation, notamment dans le bâti patrimonial datant d'avant 1948, qui nécessite des gestes et des matériaux particuliers ? Allez-vous évaluer le nombre de biens qui seront délaissés puis démolis à ce titre ?

De plus, dans le cadre du zéro artificialisation nette (ZAN), les terrains vont devenir rares et chers. Nous risquons d'être confrontés à une forte spéculation foncière et le bâti patrimonial pourrait être en danger. À cet égard, envisagez-vous d'évaluer le nombre de maisons qui vont être démolies pour que les terrains puissent être remis sur le marché ?

Enfin, questionnez-vous l'objectivité des DPE et la qualification des diagnostiqueurs ?

Mme Bérengère Mesqui. - En ce qui concerne votre première question, nous n'avons pas de travaux prévus quant à l'impact sur le marché du logement de l'interdiction à la location de certains logements, en fonction de leur DPE. Cependant, nous réfléchissons au sujet et, si aujourd'hui le SDES n'a pas prévu de conduire des travaux, nous échangeons avec la DHUP, qui s'interroge sur ces questions, et avec le conseil d'analyse économique, qui souhaite évaluer cet impact. Rien n'est encore précis, mais des études seront lancées.

M. Ronan Le Saout. - La mission de coordination sur la rénovation énergétique coordonne des travaux relatifs à la feuille de route pour la mise en place de la rénovation énergétique dans le parc locatif privé, vis-à-vis des propriétaires-bailleurs. Une demande politique forte émane du ministre du logement sur cette thématique.

Dans ce cadre, l'ONRE ne mesure pas le nombre de logements qui ne seront plus mis en location et sortiront du parc. Cependant, nous publierons un document de travail complémentaire sur les DPE spécifiques au parc locatif privé. De plus, nous avons conduit des échanges avec des acteurs privés comme la société Meilleurs agents, qui a publié des études basées sur d'autres données. Certes, on peut questionner la qualité de ces travaux, mais ils n'en demeurent pas moins sérieux et ils complètent nos données sur certains aspects conjoncturels. L'ONRE ne travaille donc pas directement sur le sujet, mais échange avec d'autres acteurs pour tenter de mesurer ce phénomène.

En ce qui concerne l'objectivité des DPE, nous nous basons sur des concepts administratifs préexistants pour faire nos statistiques. Nous essayons d'être prudents quand nous valorisons nos analyses et diffusons nos statistiques. Cependant, nous suivons l'actualité et savons que les débats sur ce sujet ont été nombreux. Dans le document de travail, nous avons mis en avant des effets de seuil. Par ailleurs, nous n'avons pas nié que la chaîne informatique de remontée de l'information des DPE n'était pas encore tout à fait stabilisée. Depuis, nous constatons une amélioration en termes de remontée de l'information et de prise en compte par les diagnostiqueurs de certaines hypothèses. Toutefois, nous ne pouvons juger directement de la qualité de la méthode utilisée et il peut rester des biais sur certains points, comme les petits logements. À cet égard, des améliorations pourraient être apportées pour la mesure des DPE. En effet, ces petits logements sont très représentés parmi les passoires thermiques, en raison de critères de consommation par mètre carré.

M. Jérôme Harnois. - J'en reviens aux biens démolis. En termes d'observation, nous avons accès au Système d'information et de traitement automatisé des données élémentaires sur les logements et les locaux (base de données Sitadel), souvent présenté comme le répertoire des permis de construire. Cependant, elle engrange aussi des permis de démolir, mais pas tous, car, historiquement, l'intérêt pour cette source était plutôt lié au fait qu'elle suivait les projets de constructions neuves, de logements ou de locaux. Toutefois, on observe depuis quelques années un grand intérêt pour les données liées à des projets de démolition et une volonté de disposer de statistiques pérennes, sous forme de séries chronologiques. Aujourd'hui, nous ne sommes pas complètement armés pour le faire, mais nous avons bien identifié le besoin.

J'ajouterai une précision à ce sujet. Si un certain nombre de projets de démolition sont engrangés dans la base de données, on oublie souvent que de nombreuses constructions neuves se font à partir de structures anciennes qui ne sont pas nécessairement démolies. Beaucoup de constructions et de reconstructions partent de l'existant, qu'il ait ou non une vocation résidentielle. Nous avons bien ces sujets en tête, mais, aujourd'hui, le système d'informations statistiques est plutôt en fragilité à cet égard.

Par ailleurs, le ZAN ne concerne pas seulement le résidentiel et on peut observer, par exemple, le recyclage de friches industrielles. À ce sujet aussi nous sommes encore en fragilité d'observation.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - En parlant de démolition, vous faites une différence entre le nombre de passoires thermiques parmi les résidences principales, que vous estimez à 5,2 millions, et les 7,2 millions de passoires que vous recensez sur l'ensemble du parc, en prenant en compte les résidences secondaires et les logements vacants. Avez-vous conduit une étude spécifique pour estimer la part de passoires thermiques dans les logements vacants ? En effet, la mauvaise qualité énergétique d'un logement pourrait être l'une des raisons de sa vacance. Il faudrait peut-être chercher comment inciter alors à la rénovation, car aucun outil n'existe. On taxe - et je suis très favorable à la taxe -, mais quand de nombreux travaux sont nécessaires, les logements restent vacants. Nous devrions nous interroger sur la représentation tendancielle des logements vacants parmi les passoires thermiques, surtout en zone urbaine, où les logements sont taxés.

M. Ronan Le Saout. - La notion de logement vacant repose sur la vacance au sens fiscal et on observe donc aussi une vacance frictionnelle. Cette notion regroupe un ensemble de situations diverses. Il est aussi difficile d'étudier les résidences secondaires ; la connaissance de ces parcs est moindre.

J'en reviens à ce sujet à l'utilité des statistiques. Nous avons souhaité mettre ces chiffres en avant parce que les débats sont nombreux sur le nombre de passoires et il s'agissait d'alerter sur la part des résidences principales. De plus, nous voulions poser la question de la réallocation des parcs.

M. Michel Dagbert. - Vous avez évoqué une expérimentation conduite par la Dreal. Je suis toujours très attentif à l'État déconcentré et à la manière dont les élus se saisissent de ces problématiques dans les territoires. Comment considérez-vous les remontées de données des différentes structures intercommunales ? Je pense notamment aux communautés urbaines et aux communautés d'agglomération, qui commencent à se structurer d'un point de vue administratif et technique. Les communautés de communes sont peut-être moins outillées. Quels partenariats votre structure pourrait-elle nouer dans le futur avec ces entités afin de permettre une remontée plus fine des informations, notamment sur les sujets que nous venons d'évoquer, comme les démolitions à l'heure où nous nous apprêtons à entrer dans le ZAN ?

Mme Bérengère Mesqui. - À ce stade, nous n'avons pas forcément accès à des remontées venant des communautés de communes, sauf dans des bases déjà cadrées.

M. Ronan Le Saout. - Le CGDD comprend une mission « Connaissance », qui vise à coordonner des pôles de statistiques locales à visée nationale au sein des Dreal. La Dreal Normandie héberge un pôle portant sur la rénovation énergétique, d'autres pôles se préoccupent de l'artificialisation des sols ou d'autres sujets. Le projet est en train de se monter. En termes de gouvernance, il doit être porté par la Dreal et, dans un premier temps, l'outil doit être mis à la disposition interne de l'administration, des directions départementales des territoires (DDT), des Dreal et des préfectures, ce qui nous permettrait d'engendrer une remontée de la qualité statistique, par rapport à ce que nous avons dit plus tôt de la pertinence des statistiques locales.

Par ailleurs, nous avons reçu des questions émanant de communautés de communes sur nos statistiques, mais il s'agissait de demandes ponctuelles. L'idée est plutôt que nous fournissions des éléments statistiques à la Dreal Normandie, qui pilotera la relation avec les acteurs. Il n'est pas prévu que nous interagissions avec l'ensemble des intercommunalités.

Mme Bérengère Mesqui. - Dans l'ensemble, nous essayons plutôt de décliner des statistiques nationales plutôt que d'agréger des remontées locales. D'expérience, l'agrégation de statistiques locales, qui ne sont pas au même format et ne sont pas collectées de la même façon, n'est pas évidente.

M. Jérôme Harnois. - Par ailleurs, nous travaillons avec un réseau de statisticiens régionaux en Dreal. Notre système est assez jacobin et le partage des rôles l'illustre. Les deux sous-directions travaillent dans une approche plutôt nationale-territoriale : les indicateurs sont normés à l'échelle nationale et déclinés progressivement, pour s'assurer de la qualité des indicateurs aux différents échelons. Ensuite, à partir d'un certain moment, nous serons en capacité de mettre à disposition de nos collègues des Dreal les indicateurs établis au niveau national, de manière fluide.

Je terminerai par un petit rappel. Nous travaillons en collaboration assez étroite avec le réseau des cellules économiques régionales de la construction (Cerc), qui ont aussi une structure nationale, en partie subventionnée par le CGDD, qui vise à harmoniser les méthodologies et à coordonner. Les fédérations professionnelles au niveau national et le groupement d'intérêt économique (GIE) réseau des Cerc travaillent, de manière parallèle à nous, mais de façon coordonnée, à MonSuiviRénov', qui a pour objet de mettre à la disposition des acteurs locaux un outil commode.

M. Michel Dagbert. - J'insiste sur cette question parce que le ZAN risque d'avoir des effets induits, y compris parfois des effets pervers. Du point de vue de la méthode, je comprends la nécessaire sécurisation des données. Néanmoins, un accompagnement des EPCI pourrait avoir lieu en matière de méthodologie, ce qui pourrait permettre d'observer l'évolution de la situation dans les années à venir. La Fédération nationale des agences d'urbanisme pourrait notamment donner des indications utiles quant au suivi de la mise en oeuvre du ZAN.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons donc ouvert quelques pistes de réflexion et vous avons soumis certaines propositions. Je vous remercie pour ces échanges et votre présentation. Nous suivrons les résultats des études à venir.

Mme Bérengère Mesqui. - L'étude sur les consommations réelles sera terminée fin 2023 et l'enquête Trélo en 2024.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Simon Huffeteau, coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique des bâtiments

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Simon Huffeteau, coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique des bâtiments.

Vous exercez ces fonctions depuis juin 2022 et pour une durée de trois ans. Vous êtes polytechnicien et ingénieur des ponts. Vous exerciez précédemment des responsabilités au sein de l'entreprise Dassault Systèmes.

Votre audition a lieu après celle des représentants de l'ONRE et doit nous permettre de mieux appréhender le pilotage de cette politique publique.

Julien Denormandie et Emmanuelle Wargon ont été à l'origine de la création de cette mission de coordination, ayant pris conscience que les grandes administrations ne se coordonnaient pas d'elles-mêmes et que la plupart des décisions remontaient pour être soumises à l'arbitrage de leurs deux cabinets. C'est ce qu'Emmanuelle Wargon a indiqué à notre commission lors de son audition.

La commission a souhaité vous entendre pour mieux comprendre la gouvernance présidant à cette politique publique. Cela sera d'autant plus utile qu'en juillet 2022, soit un mois après votre prise de fonction, la Cour des comptes a émis un certain nombre de critiques et a demandé, dans son référé sur la rénovation énergétique des bâtiments, que ce pilotage soit renforcé.

La Cour notait notamment : « Dotée de faibles moyens, cette mission de coordination n'est pas équipée pour assumer le pilotage national de la politique de rénovation énergétique et en particulier le suivi des actions en lien avec les collectivités locales. » En outre, elle recommandait l'adoption d'outils pour évaluer l'efficacité des aides publiques attribuées. Cependant, le maintien d'une logique d'aide par geste est-il compatible économiquement et administrativement avec la systématisation d'une évaluation avant et après les travaux de rénovation ? Est-ce tout simplement possible alors que la fiabilité des DPE reste questionnée ?

Enfin, la Cour demandait le renforcement de l'accompagnement des ménages. La commission souhaiterait donc que vous fassiez un point d'étape sur le déploiement du réseau France Rénov', dont vous être maître d'ouvrage délégué.

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une vingtaine de minutes, j'indique que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Simon Huffeteau prête serment.

M. Simon Huffeteau, coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique des bâtiments. - Je commencerai par des rappels d'ordre général au sujet de la rénovation énergétique des bâtiments avant d'évoquer la structuration et le rôle de la mission. Enfin, je partagerai quelques éléments afin de dresser un état des lieux.

Avant de commencer, je souhaiterais rappeler que j'ai été nommé le 15 juin dernier et que je n'ai pas connaissance de l'intégralité de l'historique de la politique publique ni de celui de la coordination ministérielle. Je vous éclairerai du mieux que je le pourrai, au regard de mes connaissances et des recherches que j'ai effectuées.

En premier lieu, je souhaiterais revenir sur le parc des bâtiments, qui comprend un parc résidentiel et un parc de secteur tertiaire, chacun étant décomposé entre public et privé. Ainsi, le résidentiel compte un parc social, mais aussi un parc de résidences privées et, de la même manière, il existe un tertiaire public - relevant notamment de l'État et des collectivités - mais aussi un tertiaire privé.

S'il existe des segments spécifiques, leur objectif reste commun. Cet objectif est connu et a été formulé dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) : assurer une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 49 % en 2030 par rapport à 2015 et une réduction de 23 % de la consommation d'énergie finale sur la même période. Ces objectifs représentent des efforts importants, mais ne constituent que des étapes vers la neutralité carbone, prévue à l'horizon 2050.

Lorsque l'on considère ces objectifs en même temps que le nombre de logements - environ 30 millions - et de mètres carrés - 1 milliard dans le secteur tertiaire -, on fait le constat que chaque progrès compte, qu'il faut agir vite et même accélérer. Toutefois, il faut garder en tête que la rénovation reste un sujet très complexe. Pour le logement, on touche à l'espace de vie des ménages et en ce qui concerne les entreprises, elles peuvent avoir d'autres priorités, économiques notamment. Par ailleurs, le bâtiment constitue un objet complexe. Structurellement, l'acte de rénovation découle donc de décisions complexes et demeure un acte compliqué. Cette réalité explique aussi le besoin d'une action publique s'appuyant à la fois sur des dispositifs incitatifs et sur des outils réglementaires - obligations et interdictions.

À ce titre, la politique publique choisit des approches différentes selon les segments. Pour le secteur tertiaire, l'approche est davantage basée sur des obligations règlementaires quand, du côté du logement privé, un ensemble d'incitations est déployé, en plus des obligations.

Je souhaite souligner que la coordination gouvernementale a vocation à porter un regard d'ensemblier sur cette politique publique. Cependant, je ne peux pas être derrière chaque action et l'essentiel de mon rôle consiste à m'assurer que l'objectif que je mentionnais, en matière de réduction des GES et de consommation énergétique, reste l'objectif principal poursuivi dans chacun des segments.

Quand on mentionne les objectifs, on se dit que la tâche est urgente. Mais quand on mentionne les échéances, on se dit aussi qu'il s'agit de mener une politique publique de long terme et qu'il faut que les dispositifs mis en place soient suffisamment puissants pour avoir des effets de long terme.

J'en viens à la coordination gouvernementale. La personne qui m'a précédé a été nommée par une lettre de mission cosignée par Emmanuelle Wargon et Julien Denormandie le 1er octobre 2019. Je n'étais pas présent lors de cette création et me base donc sur le contenu de cette lettre. En termes de contexte, les résultats en matière de rénovation énergétique étaient alors jugés comme n'étant « pas à la hauteur ». Il était également fait mention d'une demande d'accélération de la rénovation énergétique provenant des citoyens eux-mêmes et les remontées du grand débat national étaient notamment évoquées. Le contexte de 2019 était bien différent de celui d'aujourd'hui.

En ce qui concerne son rôle, la mission est chargée de mobiliser les acteurs publics dans un cadre mieux coordonné. Les lettres identifient explicitement l'Agence nationale de l'habitat (Anah), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et les filières du bâtiment et de l'énergie. Par ailleurs, l'objectif mentionné est clair et explicite : il faut permettre une accélération significative du rythme des rénovations. Voilà le mandat confié à la mission de coordination. Il s'agit de piloter et de suivre la politique publique, de mettre en place une organisation de manière à produire des résultats de court et moyen termes en matière de rénovation énergétique.

Toutefois, il est bien précisé que ces activités ont vocation à être exécutées sans se substituer à l'action des administrations centrales. À ce titre, la mission de coordination n'est pas une délégation interministérielle et ne s'ajoute pas aux administrations travaillant à la rénovation. Elle constitue un complément et vise à assurer un collectif de travail au sein de l'administration centrale.

Une seconde lettre de mission a été signée le 26 avril 2021 et décrit de manière plus précise les objectifs des mois qui suivent.

Aujourd'hui, la coordination gouvernementale pour le plan de rénovation énergétique des bâtiments est une direction de projet de l'administration centrale. Elle est doublement rattachée à la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) et à la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). De façon concrète, je rapporte à la directrice générale de la DGALN et suis rattaché d'un point de vue opérationnel au directeur général de la DGEC. Ce rattachement formel s'est fait à l'occasion de la réorganisation de la DGALN et notre mission figure bien dans l'organigramme de cette direction. Cela a été clarifié début 2022.

Nous nous inscrivons dans une démarche de collectif de travail et il ne s'agit pas d'ajouter une couche d'administration ni de faire travailler les administrations contributrices. Nous sommes dans une logique d'animation et faisons partie du collectif DGALN et DGEC qui, au sein de l'administration centrale, élabore et met en oeuvre la politique publique en matière de rénovation énergétique. Nous sommes au carrefour des mondes de l'énergie et de l'habitat, et l'un de nos objectifs consiste à nous assurer que le monde énergie est bien aligné avec celui de l'habitat et que les décisions prises de part et d'autre sont pleinement cohérentes.

Outre l'effectif de mon équipe, il faut compter les dizaines de personnes travaillant à la rénovation énergétique des bâtiments au sein de la DGALN-DHUP - la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages - et de la DGEC - service climat et efficacité énergétique. Il faut aussi ajouter les dizaines de personnes oeuvrant à ces sujets au sein de l'Anah et de l'Ademe, avec lesquelles nous sommes également en relation.

Mme Wargon souhaitait qu'une structure soit consacrée au pilotage de la politique de rénovation énergétique. Tel est bien le mandat de mon équipe !

Nous avons un rôle transversal. Notre mission est organisée en fonction des types d'usagers, et non par types d'outils ou d'aspects de la réglementation, comme le sont classiquement les directions d'administration centrale. Outre mon poste, la mission en compte six : un sur le parcours des usagers au sein du service public ; un sur la rénovation du parc locatif privé et des copropriétés ; un sur l'offre de travaux et la lutte contre la fraude ; et trois sur les bâtiments tertiaires, dont deux sont des créations récentes à la suite du lancement du fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires dit « Fonds vert ». Cet effectif est à comparer avec celui des différentes sous-directions avec lesquelles nous travaillons au quotidien. Nous n'avons évidemment pas la capacité de piloter intégralement la politique publique de rénovation énergétique : notre rôle est de nous inscrire dans un collectif et de l'animer pour atteindre les objectifs assignés.

Depuis la création de la mission en 2020, la politique publique de rénovation énergétique a évolué.

La création de MaPrimeRénov', en lien avec les certificats d'économies d'énergie (C2E), a permis de massifier les gestes de rénovation. En 2019, l'objectif était d'accélérer le rythme des rénovations énergétiques. La politique publique de rénovation énergétique a été érigée en chantier prioritaire du Gouvernement. Le nombre de gestes de rénovation fait partie des indicateurs de suivi. C'est sur cette base que nous sommes évalués.

La loi « Climat et résilience » a instauré de nouvelles obligations.

La création de la bannière unique France Rénov' renforce le service public. Il s'agit de garantir aux ménages une information et un conseil neutres et indépendants. Cette politique publique se fait évidemment en lien avec les collectivités territoriales.

La création du secrétariat général à la planification écologique (SGPE) vise à renforcer la coordination, dans une logique de planification de long terme. L'apparition de ce nouvel acteur change la donne même si, comme elle est récente, nous n'en avons pas encore perçu toutes les conséquences sur le plan opérationnel.

Les dossiers sur lesquels nous intervenons sont nombreux.

Je citerai tout d'abord la mobilisation de la filière afin de respecter les obligations définies par la loi « Climat et résilience » concernant le parc immobilier privé. Un groupe de travail destiné à élaborer une feuille de route sur la rénovation du parc locatif privé est en cours de constitution, sous la présidence de M. Olivier Klein, pour mobiliser la filière et définir les mesures à prendre afin que les interdictions de mise en location puissent être effectives. Il revient à mon équipe de définir les indicateurs de suivi.

Nous sommes associés au dispositif Mon Accompagnateur Rénov', qui est entré en vigueur le 1er janvier 2023, assorti de dispositifs transitoires qui seront valables en 2023 et 2024.

Nous sommes aussi impliqués dans la lutte contre la fraude et l'éco-délinquance ; nous animons un groupe de travail interministériel sur ce sujet.

Enfin, il nous revient de rédiger le chapitre relatif à la rénovation énergétique des bâtiments des collectivités dans le cadre de la mise en place du Fonds vert.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - En ce qui concerne la rénovation énergétique, les anciens ministres du logement que nous avons auditionnés ont tous mis l'accent sur la simplicité d'accès au dispositif, sur la nécessité d'un accompagnement. Ils plaident pour des politiques publiques visibles et pérennes.

La mise en place de France Rénov' est présentée comme une simplification. Pourriez-vous faire le point sur son déploiement ? Quel est le rôle de Mon Accompagnateur Rénov' ? Quels sont les liens avec les collectivités ? Certaines avaient déjà mis en place des plateformes de rénovation. Elles ont l'impression que l'on modifie à nouveau le dispositif, avec de nouveaux mécanismes d'aides et de subventions. Le nouveau service public de la performance énergétique de l'habitat (SPPEH) manque encore de visibilité. Comment pourrait-on simplifier ?

Quel est le rôle de votre mission en matière de pilotage du label « Reconnu garant de l'environnement » (RGE) ? De même, votre mission est-elle compétente pour coordonner un nouvel ajustement technique du diagnostic de performance énergétique (DPE) ?

M. Simon Huffeteau. - Pour répondre à vos questions, je commencerai par vous expliquer comment nous travaillons. La mission est à la jonction entre la DGALN et la DGEC. Nous intervenons de trois manières. Nous pouvons piloter des projets qui ne sont pas portés par une autre organisation : c'est le cas par exemple du reporting sur les politiques prioritaires du Gouvernement, de la rédaction du chapitre consacré à la rénovation énergétique dans le cadre du Fonds vert, ou encore du déploiement de France Rénov'. Notre pouvons aussi jouer le rôle d'animateur d'équipe, comme nous le faisons pour définir la feuille de route destinée à garantir l'adaptation du parc locatif privé aux nouvelles normes ou encore dans le cadre du groupe de travail de lutte contre la fraude, qui réunit plusieurs administrations. Enfin, nous pouvons intervenir en appui : dans ce cas, nous exprimons la voix de l'usager auprès des autres directions de l'administration centrale.

La décision de créer le réseau France Rénov', sous l'égide de l'Anah, a été prise en 2021. Le déploiement opérationnel du réseau et du service public multicanal a commencé en 2022 : site internet, numéro de téléphone national unique, guichets, etc. Force est de constater que, sous cette bannière, le nombre de conseillers est passé d'un millier à plus de 2 500, répartis dans 550 espaces-conseils France Rénov', grâce notamment aux collectivités territoriales. Il ne s'agit pas de dire que rien n'existait auparavant, différentes initiatives avaient été prises et des dispositifs fonctionnaient, mais l'esprit du nouveau mécanisme est de créer un dispositif unique, sous une bannière nationale, afin d'inciter les Français à engager des travaux de rénovation énergétique tout en leur donnant un point d'accès simple au parcours de rénovation.

L'accompagnement existait déjà avant, notamment dans l'aide à la pierre de l'Anah. L'objet du service Mon Accompagnateur Rénov' n'est pas de reprendre sous un autre nom ce qui existait déjà, mais de multiplier les opérations de rénovation. Les collectivités territoriales peuvent devenir des accompagnateurs Rénov'. Il leur suffit de demander un agrément. Il en va de même pour les opérateurs privés. L'objectif est non pas d'empêcher les collectivités territoriales d'intervenir, mais plutôt d'augmenter la capacité globale d'accompagnement. Le choix a été fait de s'appuyer à la fois sur des acteurs associatifs, publics, comme les collectivités, et des acteurs privés. Cette articulation entre différents acteurs crée des difficultés opérationnelles, car la mise en oeuvre de l'agrément suppose des textes réglementaires complexes. C'est ce qui explique la phase d'adaptation actuelle.

La simplification de l'accès pour les ménages au service public de la rénovation de l'habitat risque de se traduire, de manière passagère, par un accroissement de la complexité opérationnelle pour les collectivités et pour les acteurs du service public. Cette phase transitoire est inévitable si l'on veut créer un parcours simple et accessible. L'objectif est d'instaurer un service public de la rénovation de l'habitat, qui ne soit pas centré sur la rénovation énergétique, mais qui réponde à toutes les problématiques de l'habitat. Là encore, certaines collectivités avaient déjà créé des maisons de l'habitat. Nous voulons étendre et généraliser ces dispositifs à l'échelle nationale, tout en tenant compte des spécificités locales. Cela ne peut pas se faire sans le concours des collectivités. Dans tous les cas, une phase de transition est nécessaire pour réunir tous les acteurs sous le label France Rénov' afin, in fine, que le parcours des ménages soit plus simple.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Combien de temps cela prendra-t-il ?

M. Simon Huffeteau. - Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' entre en vigueur progressivement depuis le 1er janvier. Les conventions de financement du service public de la performance énergétique de l'habitat par le programme Service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare) prennent fin le 31 décembre 2023. Nous devrons donc avoir des discussions sur la suite. Il est évident que le service public continuera. Reste à définir le schéma cible, la date de sa mise en oeuvre. Au 1er janvier 2024, le financement est garanti, même si les modalités restent en discussion ; le schéma cible et sa date d'entrée en vigueur dépendront des discussions avec les collectivités. La réglementation comporte déjà certains jalons, comme la jonction entre Mon Accompagnateur Rénov' et les opérations programmées de rénovation de l'habitat à partir du 1er juillet 2024. D'autres jalons pourront faire l'objet d'une discussion avec les collectivités territoriales.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Des discussions ont donc lieu avec les collectivités sur la mise en oeuvre de cette procédure ?

M. Simon Huffeteau. - Les collectivités attendent de connaître les modalités de financement du SPPEH à partir du 1er janvier 2024. C'est normal, nous y travaillons d'arrache-pied. Il y aura un financement. Nous essaierons de faire en sorte que le nouveau mécanisme soit le moins disruptif possible, mais nous voulons aussi discuter du schéma cible.

Le label RGE est piloté par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP). Mon équipe a un rôle d'appui, c'est-à-dire que nous exprimons la voix de l'usager dans les travaux de l'administration. Nous sommes principalement dans une démarche de veille et de suivi du dispositif. Nous intervenons dans les réflexions internes concernant l'évolution du dispositif, la formation, l'augmentation du nombre d'entreprises RGE - qui stagne -, l'attractivité de la filière, etc. Nous avons ainsi contribué à une campagne de communication en 2022 visant à renforcer l'attractivité de la filière.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - La mise en place du label RGE vous semble-t-elle positive ? D'autres pays n'ont pas de label, mais préfèrent un contrôle a posteriori sur le résultat des travaux.

M. Simon Huffeteau. - Nous avons bien connaissance des dispositifs alternatifs que vous évoquez, et qui existent d'ailleurs en France dans d'autres domaines : je pense par exemple aux contrôles a posteriori sur les installations de gaz ou d'électricité. À ce stade, il n'y a pas de remise en cause du dispositif ; l'objet de nos réflexions est plutôt de l'améliorer.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Les entreprises se plaignent de la complexité des démarches.

M. Simon Huffeteau. - En effet, mais les fédérations professionnelles peuvent aussi jouer un rôle moteur dans ce label. La DHUP est à l'écoute des remontées de la filière. On entend les appels en faveur de plus de simplification, mais il n'a pas été possible de donner suite à certaines demandes, notamment sur la fusion des contrôles liés au RGE, aux C2E ou à MaPrimeRénov' : chaque contrôle a, en effet, un objet spécifique ; on ne contrôle pas les mêmes personnes ni les mêmes points.

Sur le DPE, nous intervenons là encore en appui de la DHUP, qui est chargée de définir les textes réglementaires. Je précise d'ailleurs que nous n'avons pas de compétence réglementaire ni budgétaire, nous nous appuyons sur la DGALN ou la DGEC.

Le choix a été fait en 2021 de faire reposer le DPE sur les caractéristiques physiques du logement. Une méthode a été définie pour obtenir une description aussi fiable que possible. Les diagnostiqueurs doivent justifier les données qu'ils renseignent. Le temps n'est plus, comme cela pouvait encore arriver il y a deux ans, aux DPE vierges ou sur facture. L'essentiel de nos efforts consiste aujourd'hui à fiabiliser les diagnostics, homogénéiser la méthode, en approfondissant la logique de justification des données inscrites. Je vous invite à interroger la DHUP pour en savoir plus sur les réflexions en cours mais, à ma connaissance, la méthodologie consistant à se baser sur les caractéristiques physiques du logement n'est pas remise en cause.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La mission intervient-elle dans la possible extension des interdictions de location des passoires thermiques aux meublés de tourisme ?

M. Simon Huffeteau. - Le cabinet du ministre de la ville et du logement étudie la possibilité d'étendre l'interdiction de louer aux meublés touristiques ; des réflexions sont en cours, mais ma mission n'a pas été sollicitée.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Une telle interdiction vous semble possible ?

M. Simon Huffeteau. - Compte tenu de la complexité juridique du sujet, il devrait être confié à la DHUP. De notre côté, nous serons mobilisés sur un sujet connexe : comment éviter les effets d'éviction et la raréfaction de l'offre locative privée ? Nous travaillons ainsi à la feuille de route relative à la rénovation énergétique du parc locatif privé. Il s'agit de définir des indicateurs permettant de suivre l'effet des mesures d'interdiction de mise en location. Nous devons apprendre à analyser les données - le risque étant de les surinterpréter -, car elles peuvent participer d'un mouvement plus général. Nous allons travailler avec les professionnels ou les associations de locataires pour voir comment nous pouvons, collectivement, éviter une réduction du parc locatif privé.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Quel est le rôle de votre mission dans la lutte contre la fraude ?

M. Simon Huffeteau. - Lors de l'opération proposant des offres d'isolation à 1 euro, de nombreuses situations frauduleuses ont été signalées, et notre mission de coordination s'est vu confier un rôle d'animation d'un groupe de travail de lutte contre la fraude à la rénovation énergétique. Nous n'avons pas le pouvoir de sanction ni celui d'élaborer une politique de contrôles, mais nous mettons en relation les services de l'État qui ont ces prérogatives.

Ce groupe de travail se réunit toutes les semaines ; il rassemble la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la DGALN, l'Anah, l'Ademe, le pôle national des C2E de la DGEC, le service central de renseignement criminel de la gendarmerie nationale, et le service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) de la police nationale.

Nous nous concentrons sur des chantiers structurels : si nous pouvons ponctuellement échanger des informations opérationnelles sur des fraudes en cours, lorsque la réglementation nous le permet, l'essentiel de nos travaux consiste à élaborer des messages de prévention auprès du grand public, rédiger des conventions de partage d'informations entre services pour faciliter la transmission des données en cas d'identification d'une fraude, définir des outils pour permettre aux ménages de signaler des fraudes, etc. Nous avons donc une mission d'études sur des chantiers structurels ; nous n'avons pas d'autre mandat, même si nous sommes bien placés pour faire des propositions, ce que nous faisons à destination des cabinets ministériels.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Quand ce groupe de travail a-t-il été mis en place ?

M. Simon Huffeteau. - Il a été créé en 2019.

Mme Sabine Drexler. - La Cour des comptes a déploré l'absence d'une doctrine claire pour articuler protection du patrimoine et transition écologique. Ma question portera sur le patrimoine non protégé, non les monuments historiques ou le patrimoine protégé dans les documents d'urbanisme, mais bien les maisons traditionnelles de nos villages. Les préconisations des DPE ne tiennent pas compte des spécificités de ce type de bâti. Existe-t-il un travail conjoint entre les ministères de la transition écologique, de la culture et de l'agriculture à ce sujet ?

M. Simon Huffeteau. - Lorsqu'un ménage demande la réalisation d'un DPE, des préconisations standards peuvent être proposées par le diagnostiqueur. Mais les préconisations de travaux relèvent plutôt de l'audit qui a vocation à formuler des propositions plus précises, en donnant des indications plus complètes aux propriétaires.

Il existe un groupe de travail entre les ministères de la culture et de la transition écologique : il travaille non pas sur le DPE, mais sur les typologies de préconisations.

Par ailleurs, des bonnes pratiques ont déjà été formulées. C'est le rôle du centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (Creba) au sein du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), de les diffuser. Elles concernent le patrimoine non protégé, les corps de ferme, les logis ruraux non classés, etc. Je ne crois pas que le Creba préconise en priorité l'isolation thermique par l'extérieur dans ces cas. Un effort est à faire pour diffuser ces bonnes pratiques et éviter les préconisations qui vont à l'encontre du bon sens dans nos villages.

M. Franck Montaugé. - Cela concerne aussi le patrimoine urbain.

M. Simon Huffeteau. - Absolument.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Parfois, des personnes se trompent en toute bonne foi en remplissant leur dossier MaPrimeRénov'. Il semble difficile de corriger ses erreurs par la suite et de faire valoir son droit à l'erreur. Avez-vous des éléments à ce sujet ?

Enfin, observe-t-on un renchérissement du coût des travaux, des effets d'aubaine en raison de l'existence d'aides publiques ?

M. Simon Huffeteau. - Sur les dossiers mal renseignés, sur le droit à l'erreur et sur le cas des personnes qui ne sont pas parvenues à aller au bout des démarches, il convient de mettre en rapport le nombre de dossiers engagés - c'est-à-dire les dossiers ayant atteint la fin de la première phase du processus, l'obtention d'un accord de principe pour l'obtention de l'aide MaPrimeRénov' -, qui est très élevé puisqu'il atteint 650 000 en 2021 et plus de 600 000 en 2022, avec les quelques centaines de dossiers qui se sont trouvés dans une impasse. Sur ce sujet, je vous engage à solliciter l'Anah mais, de notre côté, nous suivons précisément et régulièrement le traitement des dossiers en difficulté - l'Anah va jusqu'à appeler des ménages pour les aider à achever la rédaction de leur dossier - et, sans entrer dans le détail, même si certains dossiers ne peuvent être clos pour diverses raisons, les cas concernés représentent un volume limité.

Par ailleurs, dans un objectif de massification, on a choisi de recourir à une plateforme nationale. L'Anah travaille à une convention avec France Services pour accompagner individuellement les ménages souffrant d'illectronisme et les aider à aller au terme de leur dossier mais, en pratique, c'est déjà fait par certains des guichets de service public que j'évoquais. Donc, il existe déjà des actions ; il y a sans doute des efforts à faire pour aller plus loin, mais beaucoup a été fait sur ce sujet, qui reste un point d'attention à nos yeux.

Sur le lien entre les aides et le coût des travaux, je n'ai pas la liste complète des dossiers, mais la DGEC et la DGALN suivent, avec mon équipe, sur un document A3 de 90 lignes, les actions des opérateurs de l'État sur la rénovation énergétique. Chaque ligne d'indicateur recèle des heures de travail. L'un des indicateurs suivis rapporte le montant des aides de MaPrimeRénov' au coût des travaux, récupéré par l'Anah. On a donc la possibilité de vérifier si le montant de l'aide est approprié au montant moyen des travaux et d'ajuster les dispositifs pour éviter ou minimiser les effets d'aubaine. L'objectif est de les identifier le plus tôt possible pour corriger les dispositifs mais aussi, réciproquement, de proposer des ajustements à la hausse en cas d'inflation. On a ainsi rehaussé, à compter du 1er janvier 2023, des plafonds de MaPrimeRénov' Sérénité, afin que l'aide soit corrélée à l'augmentation du coût des travaux et que les propriétaires soient sensibilisés à la nécessité d'engager ces travaux plutôt que des gestes unitaires.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Travaillez-vous sur la question des copropriétés ?

M. Simon Huffeteau. - Nous n'avons pas encore commencé, mais nous allons le faire. Notre objectif en la matière est analogue à celui que nous avons pour les propriétaires bailleurs et les transformations du parc locatif privé : mobiliser les professionnels, notamment les syndics, pour aider les copropriétaires à s'engager dans la rénovation énergétique. Aujourd'hui, cette mission est essentiellement prise en charge par la DHUP et par l'Anah, dont c'est le coeur de métier. J'appréhenderai pour ma part cette thématique sous l'angle de la rénovation énergétique.

M. Franck Montaugé. - Selon vous, la notation d'un DPE peut-elle se dégrader dans le temps ?

M. Simon Huffeteau. - Du fait de la dégradation du bâti ou de l'évolution des objectifs de politique publique ?

M. Franck Montaugé. - Du fait de la qualité des matériaux, des processus, du vieillissement du bâti.

M. Simon Huffeteau. - D'abord, nous souhaitons que les notes moyennes des DPE s'améliorent, puisque l'objectif est de rénover.

Ensuite, le DPE est une note conventionnelle : la note est déterminée par convention, à partir de ce que le diagnostiqueur a observé et renseigné. S'il sait qu'il y a telle épaisseur de laine de verre dans un mur en 2023 et qu'elle est toujours là en 2030, la note du DPE ne peut changer.

En réalité, l'analyse est d'ordre physique. Le DPE est une description conventionnelle du logement, c'est un proxy de la réalité physique de la consommation d'énergie. Si votre question est : « la performance énergétique des bâtiments dans le temps va-t-elle se dégrader ? », je ne suis pas expert, mais je dirais : « très probablement. » Si l'isolation des combles, par exemple, est soumise à une certaine humidité, son niveau réel de performance va baisser. On craignait naguère le tassement de certains isolants, conduisant à ce que l'enveloppe du bâtiment ne soit pas hermétiquement fermée, ce qui pouvait entraîner des fuites d'air ou une diminution de l'isolation ; c'est moins le cas aujourd'hui, mais il peut y avoir un effet de vieillissement du bâti. C'est ce qui justifie la maintenance régulière des bâtis. Cela vaut bien évidemment pour les systèmes, de chauffage par exemple - on estime qu'une chaudière dure quinze ans -, mais aussi sur le bâti. Un bâtiment a une durée de vie très longue, certes, mais il n'est pas éternel.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Nicolas Hulot, ancien ministre de la transition écologique et solidaire et de Mme Michèle Pappalardo, ancienne directrice de cabinet

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique avec l'audition de M. Nicolas Hulot, ancien ministre de la transition écologique et solidaire. Votre audition s'inscrit dans la série d'auditions d'anciens ministres par laquelle nous avons débuté nos travaux et qui s'achèvera la semaine prochaine avec celle de Julien Denormandie. En effet, il nous semble à la fois utile de bénéficier de vos retours d'expérience et il est de la responsabilité des ministres de répondre de leur action devant le Parlement. C'est ce que vous faites aujourd'hui en répondant à la convocation de notre commission d'enquête.

Monsieur le ministre, vous avez été, de mai 2017 à septembre 2018, ministre d'État, en charge de la transition écologique et solidaire.

Vous êtes accompagné de Mme Michèle Pappalardo, qui était alors votre directrice de cabinet. Madame, je précise que vous avez également été, auparavant, présidente de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'Ademe, et commissaire général au développement durable, puis présidente de chambre et rapporteure générale du rapport public et des programmes à la Cour des comptes.

Monsieur le ministre, dès juillet 2017, vous avez présenté un « plan climat » ambitieux, suivi en avril 2018 d'un plan d'aide à la rénovation énergétique des bâtiments, dont l'objectif de 500 000 logements rénovés par an visait à massifier et à accélérer la dynamique des travaux, en mobilisant 14 milliards d'euros sur cinq ans.

Qu'est devenu le plan de rénovation que vous aviez lancé ? A-t-il été victime de votre départ et de l'obligation pour un ministre de faire des annonces plutôt que d'appliquer les décisions de son prédécesseur ?

Avec le recul qui est le vôtre aujourd'hui, quel bilan tirez-vous de cette expérience gouvernementale ? Lors de votre départ du Gouvernement, vous aviez dénoncé la présence excessive des lobbies dans la décision publique. Était-ce le cas en matière de rénovation énergétique ? Avez-vous identifié d'autres difficultés qui vous auraient empêché d'aller aussi loin et aussi vite que vous le souhaitiez ?

Vous n'exerciez pas la tutelle du ministère du logement. Était-ce un handicap pour mener la politique que vous souhaitiez ?

Aujourd'hui, le bâtiment demeure un secteur particulièrement énergivore et émetteur de gaz à effet de serre. Les objectifs de rénovation énergétique que nous nous étions fixés, notamment la rénovation de 500 000 logements par an, ne sont pas atteints. Les résultats contrastent avec les ambitions assignées.

Il nous sera donc intéressant que vous puissiez, avec votre expérience, nous partager votre jugement de la politique menée depuis votre départ du Gouvernement. La rénovation énergétique bute-t-elle sur des questions de financement, de réglementation, de méthode, d'inconstance ou sur une prise de conscience insuffisante des enjeux ?

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc tous les deux à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Nicolas Hulot et Mme Michèle Pappalardo prêtent serment.

M. Nicolas Hulot, ancien ministre de la transition écologique et solidaire. - Merci pour cette invitation. Une remarque pour commencer : ayant pris de la distance avec ce sujet complexe, il est possible que je manque de précision sur certaines données ou dates, je vous prie d'en tenir compte et je me réjouis que Mme Pappalardo m'accompagne, pour compléter et corriger mon propos quand il y a lieu.

Plutôt qu'un bilan de mon passage au gouvernement, qui serait très vite fait étant donné sa brièveté, je vous proposerai un enseignement. J'ai gardé de ce passage une réflexion, qui me semble s'appliquer à toutes les politiques publiques qui achoppent et à l'échec desquelles on cherche un coupable, alors que les raisons de l'échec sont bien plus complexes. C'est particulièrement vrai dans le domaine de l'écologie, où les objectifs se combinent, où l'on prend des engagements, avec des objectifs fixés dans la loi, puis des plans d'action ; prenez le cas des pesticides : on s'engage à en diminuer la consommation dans un calendrier, mais arrivé au délai fixé, on constate que cette consommation, loin de diminuer, a augmenté - que s'est-il passé entre temps ? Il faut examiner précisément les choses, nos concitoyens s'interrogent. Alors il y a toutes les raisons que vous avez dites, la complexité des sujets, l'écart entre le déclaratif et les moyens effectivement engagés, mais ce qui m'a frappé surtout, et c'est l'enseignement que je crois pouvoir en tirer, c'est le manque de méthode et de stratégie, pour agir sur le temps long. Car à cette échelle, nous parlons de mutations profondes de notre société, vous le savez bien comme parlementaires. Dans ces changements, la rénovation thermique est la clé de voûte de la transition énergétique, après une période longue pendant laquelle la préoccupation était l'accès à l'électricité pour le plus grand nombre, alors que nous n'avions pas idée de la crise climatique et que nous avions l'illusion que l'énergie serait à bon marché pour toujours, ou presque. Les initiatives n'ont pas manqué depuis vingt ans, entre le Grenelle de l'environnement, la loi de transition énergétique, le plan climat, la stratégie bas-carbone, et bien d'autres lois encore ; je ne crois pas que leur raison d'être ait été de tromper nos concitoyens, de jouer les apparences, même si chaque ministre aimerait avoir sa loi à soi, sa solution pour « éradiquer » les problèmes - ce terme me vient à propos, encore un mot plus gros que le ventre...

Dans le fond, il me semble que la transition énergétique, qui s'impose désormais clairement avec la raréfaction de l'énergie et la gravité de la crise climatique, demande qu'on mette en oeuvre quatre principes dans l'action publique. D'abord, la prévisibilité, c'est-à-dire le fait de fixer des objectifs clairs, en fonction d'impératifs scientifiques et sociaux ; c'est ce que nous avons fait par exemple lors de la Cop 21 - et il faut aussi tenir compte de la difficulté de ces politiques. Deuxième principe, la progressivité : il est très important de ne laisser personne sur le carreau. C'est bien pourquoi j'ai voulu accoler l'adjectif « solidaire » à l'intitulé de mon ministère, nous avons besoin d'une transition écologique et solidaire. L'alignement du prix du diesel sur l'essence est justifié, mais on ne peut changer de pied, sur un sujet qui touche tant de ménages, sans accompagner le mouvement, il fallait de la progressivité, avec des moyens d'accompagnement spécifiques. Troisième principe, l'irréversibilité, cela vaut particulièrement pour la rénovation thermique : pour que tout le monde s'engage, s'il faut certainement des adaptations pour tenir compte des situations particulières, il faut aussi tenir le rythme de la transition, donc cranter l'objectif. Enfin, quatrième objectif, il faut de la visibilité et du suivi, pour savoir ce qu'on fait année après année. Le temps long est un intrus dans notre vie démocratique, il nous faut de l'évaluation active pour adapter les moyens mis en oeuvre ; j'ai trop vu de promesses énoncées avec sincérité, alors même qu'on savait que les moyens de la mise en oeuvre ne suivraient pas, il faut hiérarchiser les priorités. Un exemple récent : le Gouvernement consacre 45 milliards d'euros au bouclier tarifaire pour l'électricité, c'est 18 fois plus que pour la rénovation énergétique du bâti.

Votre sujet est central, la rénovation énergétique est la clé de voûte de la transition écologique, car toute politique énergétique est conditionnée par la sobriété et l'efficacité énergétiques. Cela vaut quel que soit le mix énergétique, l'efficacité énergétique, qui est d'ailleurs un objectif fixé par la loi, est prioritaire. On découvre bien tard notre précarité énergétique, le mouvement s'aggrave et le bâtiment occupe une place centrale, représentant 44 % de notre consommation d'énergie primaire et 27 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Enfin, il faut prendre en compte l'enjeu économique, l'énergie compte éminemment dans notre balance commerciale, nous dépendons du gaz russe, de l'uranium, de ressources venues de loin et les métiers de l'énergie représentent des emplois nombreux qui ne sont pas délocalisables.

Un mot sur les lobbies : la rénovation énergétique n'est pas un sujet où j'ai souffert des assauts de lobbies. Je dirai plutôt que, pendant longtemps, le métier d'EDF a surtout consisté à vendre de l'énergie et que l'efficacité énergétique n'était pas dans ses priorités.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mme Pappalardo, avez-vous un propos liminaire ?

Michèle Pappalardo, ancienne directrice de cabinet. - Non, je n'ai pas de déclaration liminaire et j'interviendrai en complément des réponses du ministre.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - La rénovation thermique fait consensus, politiquement et, d'après ce que l'on nous dit, la question des lobbies n'est pas prégnante sur le sujet : il devrait donc être plus simple d'aboutir, mais ce n'est pas le cas. Des objectifs très ambitieux sont posés, vous aviez regretté il y a plus de dix ans, comme président d'une ONG, qu'on n'aille pas plus loin - cependant nous sommes encore loin d'atteindre les objectifs qu'on avait alors fixés : que pensez-vous du fait de poser des objectifs toujours plus importants, qu'on n'atteint pourtant pas ?

Devant notre commission d'enquête, Mme Ségolène Royal nous a dit qu'en 2018, tout ce qu'elle avait mis en place - en particulier les territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV) et le crédit d'impôt transition énergétique (CITE) - avait été balayé par ses successeurs, donc vous en l'occurrence : pourquoi avoir changé les dispositifs qui avaient été mis en place sous le quinquennat précédent ?

Vous avez été ministre d'État mais sans tutelle sur le logement : était-ce un problème dans la conduite de votre action ? Quel a été le dialogue avec votre collègue du logement ?

En 2010, l'idée avait été émise de rendre obligatoire la rénovation énergétique des logements au moment de leur vente - cette idée n'a toujours pas été retenue, pourquoi est-ce si difficile, à votre avis ?

Enfin, s'agissant du budget, Emmanuelle Wargon nous a dit qu'il manquerait 1 milliard d'euros à la rénovation globale, qu'en pensez-vous ?

M. Nicolas Hulot. - Quand nous sommes arrivés au ministère, il y avait eu l'annonce du grand plan d'investissement, d'un montant de 57 milliards d'euros, dont 30 milliards pour notre ministère, sur lesquels 9 milliards étaient fléchés vers l'efficacité énergétique, en particulier pour accompagner les ménages modestes. C'est une somme, et je vous avoue qu'il m'est arrivé de me demander où était passé cet argent - je le dis sans esprit de soupçon, bien sûr. Et à chaque réunion interministérielle, il nous fallait batailler contre le fameux « rabot ». D'autant que, contrairement à ce que laisse penser Ségolène Royal, nous avions besoin de plus de fonds qu'elle n'en avait obtenus, pour mettre en place ce qu'elle avait engagé : ainsi, elle avait engagé 750 millions d'euros de l'État en direction des territoires à énergie positive pour la croissance verte, mais lorsque nous sommes arrivés, nous nous sommes aperçus qu'elle n'avait obtenu que 400 millions d'euros, et nous n'avons pas ménagé notre peine pour combler le déficit de 350 millions, et tenir ainsi les engagements pris avec les collectivités territoriales. Il y a eu ici ou là des projets qui ont été arrêtés, mais nous nous sommes attachés à tenir les engagements pris par l'État et nous nous sommes beaucoup investis à cette fin.

Sur le CITE, ensuite, les experts sont venus nous expliquer que ce crédit d'impôt était peu efficace, parce qu'il ne suffisait pas de changer ses portes et fenêtres pour être efficace sur le plan énergétique, qu'il fallait aussi isoler les combles ; comme d'autres, j'en ai été surpris, mais j'ai entendu ce qu'on me disait, et nous avons remplacé le crédit d'impôt par la prime forfaitaire MaPrimeRenov'. Ce à quoi je me suis attaché alors, c'est à faire que ce remplacement ne soit pas brutal, parce que la suppression qu'on m'avait proposée initialement m'était apparue trop rapide et qu'elle se traduisait par un sacré coup de rabot sur les dépenses de rénovation énergétique.

Mme Michèle Pappalardo. - Effectivement, le projet de suppression rabotait 700 à 800 millions d'euros, sur un CITE d'environ 1,8 milliard d'euros. Nous avons recherché à étaler dans le temps cette modification, pour atténuer les effets sur les filières professionnelles, mais nous voulions aussi que ces 700 à 800 millions d'euros puissent financer d'autres opérations de rénovation, ce qui n'était pas dans le projet initial. On voit que, par la suite, avec le mouvement des gilets jaunes et le plan de relance, nous sommes revenus aux 2 milliards d'euros initiaux, mais il a fallu des allers-retours, qui sont peu compréhensibles pour le public, même si, en l'occurrence, le changement se justifiait pour des raisons d'efficacité énergétique.

M. Nicolas Hulot. - Chacun sait ici que Bercy a sa logique propre, avec l'objectif de maîtriser les finances publiques : c'est ce qui a conduit le ministère des finances à passer d'une enveloppe de 1,8 milliard à 800 millions d'euros pour la rénovation énergétique. C'est ainsi que les choses se passent : on présente un plan ambitieux, bien ficelé - je le dis parce que c'est le résultat d'un travail collectif -, mais on réduit les moyens budgétaires, on réduit les effectifs alors que les DPE demandent du personnel et qu'il faut de l'accompagnement. Je crois donc que le problème est moins le fait que chaque ministre chercherait à laisser sa marque, qu'une tendance à aller trop vite - et l'application de cet adage : le mieux est l'ennemi du bien. Passer d'un crédit d'impôt à une prime pour des travaux d'ensemble, c'était une bonne chose pour rehausser le niveau de la rénovation thermique, on ne peut plus se contenter d'aider à passer d'une catégorie énergétique E à D, il faut entrer dans des rénovations globales, en conditionnant l'aide publique au résultat une fois les travaux achevés. Et ce soutien doit aussi être la partie d'un ensemble bien plus large, il faut rénover les DPE, il faut parler des matériaux, en particulier le fait que les matériaux bio-sourcés soient insuffisamment développés, il faut parler des démarches trop complexes, il faut mieux former les professionnels, il faut aussi parvenir à créer un choc de la demande comme on l'a fait pour le solaire, donc débloquer des aides importantes pour donner un signal fort - or, la comparaison avec le bouclier tarifaire parle d'elle-même.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Quid de l'absence de tutelle sur le ministère du logement : a-t-elle été un frein à votre action ?

M. Nicolas Hulot. - Après mon départ, le logement est revenu dans le périmètre de mon ministère. Dans le fond, si le regroupement est intéressant, les choses ne changent pas tant qu'il n'y a pas de feuille de route commune, tant que l'efficacité énergétique n'est pas un objectif commun. Dans la pratique, je m'entendais bien avec Jacques Mézard, avec Élisabeth Borne, mais cela n'a pas fait faire de progrès au ferroutage. Dans l'exercice de mes fonctions, j'ai demandé ce qu'un ministre pouvait décider seul : c'est bien peu ! Vous arrivez avec une vision, une ambition, puis il y a ce que vous pouvez faire effectivement. J'ai, par exemple, annoncé un « plan hydrogène » sur les crédits de mon propre ministère, mais j'ai aussitôt été démenti par une dépêche de Matignon, c'est ainsi que les choses se passent et c'est pourquoi il faut une planification pour coordonner tous les niveaux d'action gouvernementale, car la transition énergétique concerne tous les secteurs. La confrontation avec le ministère de l'agriculture a pu être caricaturale, alors qu'il y a des points de concordance et d'intérêt commun, et cet état des choses perdurera tant que les secteurs ministériels seront en confrontation, sans planification. L'organisation ministérielle change peu les choses : j'avais plaidé pour l'institution d'un poste de vice-premier ministre chargé de la transition écologique et solidaire, j'ai obtenu le titre de ministre d'État, cela a été un symbole beaucoup plus qu'un moyen d'action...

Mme Michèle Pappalardo. - Les choses se passaient bien avec le ministère du logement, même si l'introduction de normes supplémentaires augmente les prix, ce qu'on nous opposait régulièrement. Le fait qu'il y ait deux ministères a pu ralentir un peu l'action, mais sans complication insurmontable.

Pourquoi l'obligation de rénover pour la vente n'a-t-elle pas été retenue ? Cette piste a été examinée lors du Grenelle, avec l'idée de retenir une partie du prix de vente pour faire les travaux de rénovation, ce qui serait utile en particulier pour les copropriétés, où les ventes successives font qu'on ne dispose pas des moyens de rénover. Cette piste était donc intéressante, même si celle de la contrainte sur la location l'est également, je crois même que les deux sont complémentaires. Cependant, on avait imaginé des calendriers longs, pour que les travaux aient le temps de se faire, mais on décide finalement dans des calendriers bien plus raccourcis, ce qui complique encore les choses.

Nous nous étions demandé également s'il était bien légitime que les dispositifs d'aide soient identiques sur tout le territoire, alors que la valeur des biens, selon que le marché soit tendu ou non, change considérablement les choses : les travaux valorisent les biens là où le marché est tendu, mais pas toujours lorsque la demande de logement est faible. Il n'y a pas de solution simple en la matière. Manque-t-il un milliard d'euros à la rénovation énergétique ? Cela dépend beaucoup des mesures que l'on choisit, de leur mise en place sur le territoire, de leur caractère plus ou moins social. Cependant, je crois qu'il ne faut pas changer trop souvent les règles ; on veut constamment améliorer les dispositifs, je le sais pour travailler sur ce sujet depuis des années, l'équilibre est difficile à trouver entre l'amélioration qu'on veut apporter, et l'avantage de la stabilité pour que les règles soient comprises, c'est une dimension du sujet.

Je signalerai aussi qu'on ne sait jamais bien de quel point on part, alors que c'est important de le savoir. Nous fixons des objectifs sans savoir précisément où l'on en est, c'est un problème. C'est pour avancer qu'a été installé l'Observatoire de la rénovation énergétique ; il fait un très bon travail, mais à partir de données qui ont nécessairement quelques années, les études qu'il publie actuellement se fondent sur des chiffres de 2020. Nous savons donc qu'il y a des progrès mais nous les mesurons mal, il y a toujours un décalage dans le temps, et nous mesurons mal aussi comment ces progrès sont vécus par les gens eux-mêmes.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - On n'arrive pas à lever la défiance de nos concitoyens à l'égard de ces politiques publiques, bon nombre renoncent à rénover ou bien s'en tiennent à une rénovation limitée.

M. Nicolas Hulot. - Oui, d'autant qu'on ne peut ignorer qu'il y a eu des malfaçons, que des artisans n'ont pas toujours été bien formés et que les changements de mesures n'ont pas facilité les choses... Et il est clair que la rénovation globale est facile pour certains bâtiments, mais pas pour tous.

Je signale aussi que, parmi les difficultés de mise en oeuvre, il y a aussi l'application des lois : un tiers des décrets d'application de la loi « Climat et résilience » ne serait pas pris, c'est un problème.

Nous devons clarifier ce qu'est une rénovation énergétique performante pour protéger les consommateurs face à l'augmentation des prix de l'énergie, et pour faire face à la crise climatique. La rénovation énergétique est la priorité des priorités en matière de transition énergétique, alors qu'elle en a été le parent pauvre. Quelle que soit la stratégie du mix énergétique, il faut baisser la consommation ; c'est un peu l'angle mort. J'espère que vos travaux amélioreront les choses. Les gens y trouveront du pouvoir d'achat, en particulier pour l'alimentaire ; c'est très concret et important.

M. Franck Montaugé. - Vous dites qu'on manque de méthode et de stratégie opérationnelle, avez-vous recouru à un ou des cabinets de conseil pour vous aider sur cet aspect de la question ? Si oui, ce recours a-t-il fait faire des progrès, en particulier sur la rénovation énergétique ? Ou bien, comment avez-vous traité cet aspect stratégique en interne ? Ou peut-être n'en avez-vous établi les faiblesses qu'a posteriori...

M. Nicolas Hulot. - Non, aucun cabinet de conseil n'a été sollicité sur ce sujet. Le plan d'action pour la rénovation énergétique, que nous avions fait après de nombreuses consultations, préconisait un suivi de l'action par l'Ademe et par le ministère, mais nous n'avons pas eu le temps de mettre en place ce suivi. Quand le ministre passe, tout ne reste pas ; il n'y a pas de tuilage, c'est dommage pour l'action qui s'inscrit dans le temps long. En réalité, il faudrait être garants de l'application des lois - et nous sommes un peu hors la loi, à ne pas appliquer entièrement les lois... Si l'on avait duré au Gouvernement, notre vigilance aurait-elle suffi ? Ce serait prétentieux de le dire. Je me souviens d'ajustements que nous avons dû faire, par exemple sur une aide à la voiture électrique, où nous avions dû en rabattre. À qui, finalement, confier le monitoring de la rénovation thermique, pour la rendre irréversible ? Je n'ai pas la réponse, alors que ce suivi est nécessaire, j'en suis convaincu. Pourquoi, par exemple sur les pesticides, avoir attendu l'échéance de l'objectif pour constater que la consommation avait augmenté, alors que l'objectif était de la diminuer ? Que s'est-il passé entre l'énoncé de l'objectif et l'échéance du calendrier ? Nous sommes dans du temps long, il faut évaluer les alternatives, les impasses - est-ce que cela a été fait ? Je n'en ai pas le sentiment. Il me semble qu'on se concentre sur l'énoncé des objectifs et qu'on s'en contente, on fait comme si les objectifs allaient s'auto-réaliser. J'ai le sentiment qu'on se débarrasse du problème en faisant un plan très élaboré, remarquable, très bien communiqué, puis qu'ensuite, on ne cherche pas assez à voir comment les choses se passent.

Mme Michèle Pappalardo. - Il y a quand même une continuité, on le voit avec l'action de l'Ademe, qui travaille dans le même sens depuis des années. Nous n'avons pas travaillé avec un cabinet de conseil sur le sujet de la rénovation énergétique. La stratégie a été d'en faire une priorité nationale qui s'est traduite par un plan d'action, dont certains éléments venaient du programme présidentiel - par exemple la transformation du crédit d'impôt en prime pour la rénovation. Les mesures ont changé, mais elles sont allées le plus souvent dans le même sens. On le voit aussi pour le décret tertiaire : les choses ont pris du retard, mais elles se sont faites progressivement - mais nous sommes alors dans des calendriers d'application trop courts, c'est un problème. Les certificats d'économie d'énergie, les DPE, la formation des professionnels, toutes ces mesures ont été lancées il y a près de deux décennies et elles sont encore au fondement de nos politiques actuelles, il y a une continuité.

Pourquoi, alors, est-ce si difficile d'aboutir ? D'abord parce que la rénovation énergétique des logements est très complexe, il faut que 20 millions de ménages rénovent leur logement, c'est énorme quand on sait ce qu'il en coûte d'efforts pour rénover chez soi, les gens le savent bien. Ce qui nous manque aussi, c'est de mesurer précisément les gains que l'on a faits. Si la consommation a tendance à diminuer alors que la population augmente, c'est bien que l'on est plus efficace. Ces gains d'efficacité énergétique ont-ils été faits au bon coût ? On ne le sait pas précisément, mais on peut tout de même se rassurer en disant qu'on fait quelque chose d'utile, qui va dans le bon sens.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je partage votre diagnostic sur la méthode. Ne pensez-vous pas qu'une loi de programmation pluriannuelle sur six ans serait un bon outil pour agir avec plus de continuité et avoir un impact sur le temps long ?

Ensuite, je ne comprends pas qu'en matière de rénovation énergétique, on ne commence pas par « le plus facile », c'est-à-dire les bâtiments publics - les écoles, les hôpitaux par exemple : l'État et les collectivités territoriales ont la décision, ils peuvent définir des objectifs précis pour avancer avec des moyens assortis, non pour tout régler en un an, mais pour avancer : pourquoi n'est-ce pas le cas ? Il est également plus facile de commencer par un plan précis dans le logement social où l'on a des interlocuteurs bien identifiés, qui peuvent s'engager sur des objectifs et des moyens précis.

Ensuite, je me souviens que dans la planification gaullienne, où tout n'était pas à jeter, il y avait des groupes de suivi des politiques publiques qui examinaient le déroulement de l'action, avec une évaluation active des politiques publiques, de la mise en oeuvre : qu'en pensez-vous ?

Il ne faut pas oublier, enfin, que la France est décentralisée : il faut donc trouver une nouvelle articulation entre les engagements de l'État et ce que les collectivités territoriales estiment devoir faire chez elles. Pourquoi ne pas adosser une loi à une programmation opérationnelle, avec l'obligation pour les collectivités de faire le point tous les deux ans par une délibération précise ? Une telle planification revisitée ne serait-elle pas un bon outil pour avancer ?

M. Nicolas Hulot. - Je ne peux qu'adhérer à ce propos. On fait la programmation pluriannuelle de l'énergie dans cet esprit - et je suis aussi d'accord avec cette idée qu'il faut des points d'étapes et de la norme. J'ai vu revenir le Commissariat au plan avec espoir. Nous avons besoin d'une planification juste et performante. Il faut l'organiser ; notre démocratie a été prise de court par le long terme. Le sujet de la rénovation énergétique est prépondérant, les outils dont vous parlez seraient effectivement très utiles.

Mme Sabine Drexler. - M'intéressant de près au patrimoine non protégé, je suis très inquiète du nouveau DPE et des préconisations de rénovation qui ne prennent pas du tout en compte les particularités des bâtiments anciens. On risque des altérations définitives et, littéralement, du saccage patrimonial. On recommande par exemple d'isoler avec du polystyrène des structures en bois : elles vont pourrir, et on n'aura bientôt pas d'autre choix que de démolir des maisons devenues inhabitables. Lorsque vous étiez ministre, avez-vous travaillé sur ces questions avec le ministère de la culture qui est chargé de protéger le patrimoine ? Avez-vous tenu compte des travaux du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) ? Avez-vous envisagé des alternatives à certaines pratiques qui détruisent le patrimoine ancien, ou bien à faire dépendre les aides de la prise en compte de certains critères qui protégeraient le patrimoine ?

M. Nicolas Hulot. - Non, nous n'avions pas pris de position commune avec le ministère de la culture alors que c'est décisif, effectivement, pour la protection du patrimoine. La réflexion mérite d'être lancée, il faut examiner les alternatives, les matériaux bio-sourcés, il faut de la souplesse pour trouver les meilleures solutions. C'est aussi le cas pour les énergies renouvelables, personne ne veut d'une éolienne au sommet d'une cathédrale, il faut aussi de l'intelligence pour ne pas sacrifier un objectif - et je crois aussi très utile de travailler avec les architectes, qui n'ont pas toujours été formés à ces questions.

M. Michel Dagbert. - Vous parlez à raison de la dimension sociale de la rénovation énergétique ; la précarité énergétique est croissante. Vous rappelez aussi que les constats font consensus. Dans ces conditions, que pensez-vous du fait de donner la priorité aux bâtiments publics ? On sait que les contrats de plan État-Régions vont être renégociés bientôt : la clé de la rénovation énergétique des logements n'est-elle pas dans le dialogue entre l'État et les territoires ?

M. Nicolas Hulot. - Oui, je le crois également et certains territoires ont déjà bien avancé. Je suis convaincu qu'il faut avancer dans les deux directions, climatique et sociale ; ce n'est pas l'un ou l'autre, mais les deux simultanément. Je crois à l'outil de la fiscalité, dès lors qu'elle est incitative et progressive. Il est décisif de clarifier l'objectif de la performance après travaux, et d'indexer la fiscalité sur cette performance.

Mme Michèle Pappalardo. - La rénovation des bâtiments publics est sur la table depuis des années, surtout quand on demande aux Français de faire des efforts. Cependant, les moyens financiers manquent car ils vont d'abord à l'action ministérielle, et les économies de fonctionnement réalisées grâce à l'efficacité énergétique sont réintégrées au budget général, le gain échappant au ministère : ainsi vont les choses dans l'action publique, ce n'est guère incitatif. Il y a donc un très gros travail à faire pour rendre possible la rénovation énergétique des bâtiments publics, en y intégrant d'ailleurs l'adaptation au changement climatique. Les sujets se croisent et il n'y aura pas plusieurs vagues de travaux.

Sur le logement social, l'intervention est plus facile et on a mis en place des mesures efficaces contre les passoires thermiques.

M. Guillaume Gontard. - Avez-vous un regret sur la taxe carbone, sur le fait qu'il aurait été possible de la relier clairement à la rénovation thermique, en disant par exemple que ses recettes financeraient un reste à charge zéro pour la rénovation thermique ?

M. Nicolas Hulot. - Oui, un regret. J'ai, en vain, essayé d'organiser une réflexion globale sur la fiscalité écologique, qu'on traite toujours à part et dans sa dimension punitive plutôt qu'incitative. Or, il faut taxer non pas ce qui peut l'être, mais ce qui doit l'être. Et il faut de la progressivité. Or, j'ai eu le sentiment que la taxe carbone, que je défendais depuis longtemps, a été utilisée un peu brutalement pour abonder les caisses de l'État plutôt que pour l'écologie. Il était légitime de faire rattraper le prix du diesel, il fallait donner un signal, mais pas avec cette brutalité, il fallait de la progressivité dans la mise en oeuvre. J'espère qu'on aura un jour une réflexion globale sur la fiscalité écologique.

Vous allez recevoir Esther Duflo et je tiens à préciser, sachant les propositions qu'elle serait à même de vous présenter, que nous avions fait évaluer l'individualisation des frais de chauffage : le gain serait d'environ 10 %, aussi me paraît-elle utile, mais pas au détriment d'autres mesures car ce n'est pas réalisable dans tous les immeubles.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour votre participation à nos travaux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 20.