"La mondialisation, une chance pour la francophonie"



Colloque au Sénat les 27 et 28 avril 2006, organisé par francofffonies !

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Dominique WOLTON,
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique,
membre du Haut Conseil de la Francophonie

Un paradoxe entoure aujourd'hui la francophonie. Au cours des dernières années, les événements ont pris de vitesse les représentations. Un stéréotype classique présente la francophonie comme une institution vieille, ringarde et dépassée. Cette préconception s'accompagne d'une critique contre un impérialisme rampant, survivance de l'empire colonial français. La réalité historique est pourtant tout autre. En 20 ans, nous avons assisté à un profond bouleversement.

En 1986, se tenait le premier sommet des chefs d'Etats de la francophonie, sous l'impulsion de François Mitterrand, qui est l'un des deux présidents français, avec Jacques Chirac à s'être véritablement investi dans ce sujet. Les premières institutions de la francophonie datent en réalité de 1970. C'est dire le caractère récent de ce mouvement. La fin de l'affrontement Est-Ouest dans les années 90, la mondialisation économique, qui s'appuie sur ce premier événement, la naissance d'un courant critique de la mondialisation autour de l'an 2000 et l'organisation institutionnelle très rapide de la francophonie montrent le chemin parcouru. En réalité, on a changé d'époque, de monde, de référence. La francophonie institutionnelle, non souhaitée d'ailleurs par la France, n'a rien à voir avec le néo-colonialisme. C'est plutôt un laboratoire de cette diversité culturelle qu'il faut construire.

Sur ce dernier plan, il faut rappeler que la francophonie est la plus vieille institution de ce type, après le Commonwealth, qui regroupe 53 Etats. La francophonie compte actuellement 63 membres, 180 millions de locuteurs pour un bassin total de près de 700 millions d'habitants. En 20 ans, elle s'est structurée et élargie mais a également étendu son champ d'intervention. Autrefois limité au seul domaine de la défense de la langue et de la culture, elle a pris position dans le combat pour la démocratie, au travers de la Charte de Bamako en 2000, et pour le développement durable, lors du sommet de Ouagadougou en 2006.

L'élargissement de l'Europe lui fournit aujourd'hui l'occasion d'affirmer son implantation. Jusqu'alors, elle s'organisait autour d'un axe Nord-Sud, et l'Amérique, auquel s'ajoute aujourd'hui un axe Est-Ouest. Grâce à cette présence, la francophonie figurera demain au rang des acteurs de premier plan de la mondialisation, même si elle n'est pas amenée à jouer le tout premier rôle. Pourtant, les stéréotypes subsistent.

Si la mondialisation représente une chance pour la francophonie, c'est avant tout parce qu'elle lui donne l'occasion de retrouver ses sources. Elle ne trouve en effet pas son origine dans les débuts de la colonisation, au XIXe siècle, mais bien avant, dès le XVIe siècle. Elle a connu en réalité trois époques. Du XVIe au XIXe siècle, la période de la colonisation et de la décolonisation et, aujourd'hui, l'époque de la francosphère. Cette francosphère pourrait se définir de manière simple comme la francophonie à l'ère de la mondialisation. C'est au cours de cette période qu'elle va renouer avec ses racines historiques et culturelles. La mondialisation lui offre ainsi la chance de sortir de son noyau historique et de dépasser ses contentieux.

En France, le débat nécessaire sur la colonisation et la décolonisation a connu une accélération au cours des deux ou trois dernières années. Au-delà de ce débat, nous allons reprendre langue avec toutes les racines et toutes les identités. Il est raisonnablement impossible d'aller de l'avant dans une utopie politique, telles l'Europe ou la francophonie, sans régler les questions laissées en suspens par le passé.

J'estime que les aires linguistiques et culturelles peuvent devenir des amortisseurs contre la mondialisation. Elles imposent en effet un minimum de solidarité. Cela vaut aussi bien pour la francophonie, que pour la russophonie, l'arabophonie, l'hispanophonie, la lusophonie, ou le Commonwealth. Ces acteurs nouveaux de l'histoire peuvent mélanger histoire, langue, culture et projets politiques et économiques.

Cependant, la langue constitue-elle un élément de solidarité suffisant pour fonder la francophonie ? Nous savons tous que non. Malgré une langue en partage, le sort réservé aux immigrés en France illustre tristement ce constat. Il faut en plus de la langue des valeurs à partager. C'est tout l'intérêt et le défi posé à la francophonie à l'heure de la mondialisation. Quelles valeurs viendront compléter les liens créés par l'usage d'une même langue et le partage d'un patrimoine historique commun ?

Quoique positives, les mutations institutionnelles rapides de la francophonie font surgir un nouvel écueil, à savoir le risque de bureaucratisation excessive de l'organisation. Cette menace n'est pas propre à la francophonie. Elle est en réalité bien connue de toutes les institutions internationales. Une bureaucratisation excessive met en péril les racines qui plongent dans la société civile et le militantisme. Or une organisation internationale ne saurait perdurer sans ces racines.

C'est à ces deux conditions, à savoir l'enracinement dans une histoire mondiale et l'ancrage dans une utopie, que la francophonie pourra sortir de l'histoire des XIXe et XXe siècle et jouer un rôle actif dans le XXIe siècle.

La diversité culturelle représente un défi formidable pour la francophonie. L'UNESCO a voté la reconnaissance du principe de la diversité culturelle. Il est aujourd'hui nécessaire de la faire vivre entre Etats et communautés. Cela n'est pas simple, car tous les regroupements retrouvent en leur sein ce problème de diversité culturelle interne. Sans monopole sur cette notion, la francophonie essaie aujourd'hui de devenir un opérateur de cette diversité culturelle. Pour obtenir un statut d'acteur au niveau mondial, elle doit se montrer capable de gérer en interne ses propres contradictions.

C'est en cela que la francophonie devient un laboratoire de la diversité culturelle. Si elle n'explose pas, sous la pression des antagonismes entre riches et pauvres, elle prouvera qu'il est possible de dépasser le démon des divisions et des guerres. Simultanément, elle figure au rang des acteurs de cette diversité culturelle qui reste à écrire, au même titre que les autres aires linguistiques et culturelles.

Le but de ce colloque est de définir des pistes pour gérer au mieux ce laboratoire, en interne, comme sur la scène internationale. Pour être capable de relever le défi qui est le sien, la francophonie doit agir prioritairement sur trois secteurs.

L'ENSEIGNEMENT

Sa revalorisation constitue un enjeu primordial. En effet, une langue ne saurait vivre sans les hommes et les femmes qui l'enseignent. Ce sera d'ailleurs le thème du sommet des chefs d'Etats de la francophonie de Bucarest en septembre prochain.

L'ÉCONOMIE ET LE TRAVAIL

Ce thème touche aussi bien aux notions de développement durable qu'à l'action sur les grandes entreprises mondialisées. Ces dernières ont aussi un rôle à jouer dans la bataille de la diversité culturelle. La francophonie doit parallèlement se lancer dans une réflexion sur le travail et le syndicalisme, qui restent des domaines peu explorés pour l'heure.

LES INDUSTRIES CULTURELLES ET LA COMMUNICATION

La francophonie souffre du fait qu'elle ne croit pas suffisamment en ses forces sur ces questions. La mondialisation est traversée par les enjeux des industries culturelles de communication, les enjeux financiers, les questions de la langue et de la culture. La francophonie doit être présente sur ce plan au travers de médias bien installés. Hélas, sur ce plan, le paysage reste assez vide. Seuls TV5, qui fait figure de réussite, malgré des moyens très faibles, Euronews, précis et fiable mais peu mis en valeur, et RFI ou encore Radio-Canada qui souffrent tous deux d'un manque d'intérêt de la part des gouvernements, composent le paysage francophone.

Ces trois chantiers doivent aider la francophonie à créer l'utopie dont elle a besoin aujourd'hui. Ils permettront d'unir le passé, lourd et facteur de divisions mais impossible à négliger, et l'utopie, qui est facteur d'avenir.

Les six tables rondes prévues pour ce colloque ont pour vocation de pousser la réflexion plus loin sur des thèmes bien particuliers. La première, sur la francophonie à l'échelle du monde, s'appuie sur le principe qu'il n'existe aucune frontière naturelle et que tous les territoires ont vocation à être explorés.

La seconde a trait aux racines mondiales de la France. Elle veut dépasser la séparation inutile entre les outre-mer et la francophonie. Comme les dix collectivités d'Outre-mer font partie intégrante de la France, les dirigeants français refusent d'utiliser les mêmes méthodes qu'ils utilisent dans le cadre de la francophonie face à des problèmes pourtant souvent identiques. Les racines mondiales de la France se retrouvent à la fois dans l'outre-mer et la francophonie mais aussi dans l'immigration, plus particulièrement en provenance de la côte sud de la Méditerranée.

La francophonie puise sa force dans ses réseaux humains, qui font l'objet de la troisième table ronde. Avec 408 centres culturels et 1 050 Alliances françaises, la France dispose du plus large réseau culturel de par le monde. Au nombre de ces réseaux humains, les médias et les universités ne sauraient être négligées. La coopération décentralisée doit elle aussi être ajoutée à cette liste. Elle fait figure de tout nouvel acteur sur ce plan.

La quatrième touche au combat politique pour des valeurs universelles. C'est le thème le plus évident pour la francophonie, depuis le sommet de Bamako. Si évident soit-il, il n'en reste pas moins complexe, car la francophonie est traversée de contradictions. Les conflits, les dictatures et les régimes autoritaires constituent autant d'écueils sur le chemin.

La cinquième table ronde se tournera vers l'avenir et ces secteurs qui auront besoin d'être développés pour une francophonie efficace, à savoir les médias et les entreprises. Les entreprises en liaison avec le développement durable et les entreprises mondialisées ont-elles aussi un rôle de premier plan à jouer dans ce mouvement. Il serait ainsi innovant de créer un club mondial des grandes entreprises francophones internationales, afin de sortir du seul modèle dominant anglophone. Les médias pour leur part font figure en quelque sorte de parent très pauvre de la francophonie et de la réflexion politique.

Enfin, la dernière table ronde portera sur le rôle des industries culturelles. Le 20 octobre 2005 était signée à l'UNESCO la Convention sur la diversité culturelle. Pour autant, la bataille n'est pas gagnée. Cette diversité culturelle doit maintenant devenir une réalité dans les faits et les actes. Cela passe par l'instauration de limites à la concentration et la régulation de l'Internet. Si elle ne s'accompagne pas d'un respect de la diversité linguistique et d'une organisation de la concurrence au niveau mondial, la diversité culturelle restera un principe sans application.

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