« Femmes et pouvoirs » (XIXe - XXe siècle)


DÉBAT AVEC LA SALLE

Monique Pelletier

La parole maintenant est à la salle. Je remercie beaucoup toutes les intervenantes parce qu'elles ont été concises, ce qui est parfois très difficile. Maintenant, quelques questions.

Denise Brival, association Atalante Video s

Je voudrais vous poser une question à toutes, Mesdames. Que retirez-vous de l'expérience du pouvoir patriarcal dans ce pays qu'est la France ? Quelles ont été vos blessures personnelles ? Et quels conseils donner aux jeunes générations ? Par rapport à ce que vous avez vécu, et surtout aux blessures que vous avez eues de cette expérience.

Deuxième chose, qui est une réflexion sur l'ensemble du débat. Il y a un paradoxe, en France. Comment se fait-il que, lorsqu'il y a des ministres ou des secrétaires d'État dites de droite, cela s'appelle la Condition féminine et elles sont toutes plus ou moins juristes, et que, lorsqu'il y a des ministres des Droits de la femme, elles ne sont pas forcément juristes ?

Troisième paradoxe dans ce pays : comment se fait-il qu'il y ait des enjeux électoraux, qu'il y ait des débats concernant le pouvoir, surtout lorsqu'il y a des enjeux qui mettent en cause l'équilibre de certains enjeux politiques ? En ce moment, en ce qui concerne les femmes, tout va mal. Nous sommes d'accord ? Remise en cause de l'IVG, le droit fondamental des femmes acquis dans les années 70, par peut-être Mme Veil mais contre son parti et avec toute la gauche et surtout toutes les féministes... Il faut tout de même rendre hommage au passage aux femmes des années 70. Deuxième chose : en ce moment, et c'est gravissime à mon avis, il y a un climat délétère dans ce pays sur les droits des femmes. Entre la laïcité et le voile, qui est traité d'une façon diverse et variée, et souvent on n'ose pas prendre parti. Quand va-t-on dire que le voile est une infamie, quand va-t-on dire que le voile est l'étoile jaune des femmes, quand va-t-on dire que symboliquement nous n'en voulons pas ?

Monique Pelletier

Les blessures, moi je n'en ai eu que peu, sinon celle d'avoir été précipitée en mai 1981 comme candidate à une élection législative dans une circonscription où mes petits collègues du parti qui était le mien savaient très bien que c'était impossible. J'y ai été franco. J'ai eu ce que je pensais, et c'est peut-être la seule petite blessure que j'ai eue. Par contre, je dirais aux jeunes femmes qui s'engagent en politique : restez vous-mêmes, gardez vos convictions, menez vos projets et, j'allais dire, foutez-vous comme de l'an 40 de ce qu'on vous dira à droite et à gauche.

Edith Cresson

Il est évident qu'une femme qui s'engage en politique subit des coups et donc en sort avec des blessures. Je crois que les blessures qu'on peut ressentir sont les attaques qui sont dirigées contre la personne et non contre la politique. C'est-à-dire qu'on est en dehors du combat politique normal. Dans un combat politique, les gens qui ne sont pas d'accord avec vous vous le disent d'une façon plus ou moins désagréable, mais ce n'est pas très choquant. Mais quand j'ai été nommée Premier ministre et que j'ai entendu un député de la droite (M. d'Aubert, pour ne pas le citer), dire : « Voilà la Pompadour », alors que j'avais été cinq fois ministre, élue députée, élue maire, élue conseiller général, c'est-à-dire totalement légitimée par le suffrage universel, effectivement on ne peut pas répondre. Je pense donc qu'il faut être blindée, il faut avoir une famille, des gens avec soi, proches, en qui on peut avoir confiance.

Et puis il faut avoir une circonscription. J'ai eu beaucoup de satisfactions à retourner à ma base, à retrouver des gens qui me connaissaient bien, qui m'avaient élue, et qui étaient tout à fait fidèles et gentils, y compris d'ailleurs des gens qui n'étaient pas à mon parti. Les gens qui sont de chez vous vous connaissent, donc ils savent que tout cela n'est que du baratin, du machisme, largement soutenu d'ailleurs par les médias. Dès que quelque chose est un accident, dès que quelque chose est choquant, les médias le reprennent mille fois au lieu de le dire une seule fois. Donc le fait d'avoir une circonscription est important. Tout à l'heure, on a parlé de la légitimité qui vient de l'élection. On a dit que François Mitterrand avait pris des députées, en tout cas au début, qui étaient presque toujours des élues. Je me souviens que, quand j'ai donné ma démission du Parlement européen en 1981, il m'a dit : « vous êtes très imprudente, parce que, si vous n'êtes pas élue aux législatives, je ne pourrai pas vous garder au gouvernement ». Sur le moment, cela m'a un peu surprise, mais après je me suis dit qu'au fond il avait raison. Et pour cela, il faut que les femmes obtiennent des circonscriptions qui soient quand même gagnables, pas forcément faciles mais gagnables. C'est vrai qu'il faudrait que les femmes refusent, qu'il se passe un mouvement quelconque qui soit transversal par rapport à la gauche et à la droite, disant : « on ne peut pas toujours nous donner des circonscriptions impossibles ». Monique Pelletier le disait tout à l'heure. Elle, elle s'est présentée une fois. Moi, je me suis présentée plusieurs fois avant d'être élue. Cette circonscription était très difficile, elle n'avait jamais été à gauche même sous le Front populaire. Donc il fallait vraiment s'accrocher. Les circonstances, le mouvement de 81, ont fait que j'ai été élue, et puis je me suis accrochée...

Je pense qu'on est passées un peu vite sur le problème de l'élection, car il est très important. Il faudrait qu'on mette fin à cette hypocrisie qui dit qu'on donne autant de candidatures aux femmes qu'aux hommes dans les partis politiques. On en donne peut-être autant, mais ce ne sont pas les mêmes endroits ! Il faudrait que ce ne soit pas seulement la quantité, mais aussi la qualité. Je ne sais pas comment on peut s'y prendre, mais il faudrait probablement réfléchir à cela.

Yvette Roudy

J'ai une petite idée sur la façon dont on pourrait s'y prendre. J'ai beaucoup réfléchi à cette question, comme Edith d'ailleurs et comme toutes celles qui ont fait des campagnes. J'ai fait une quinzaine de campagnes, j'ai été battue six ou sept fois, élue le reste du temps. On ne sait jamais, quand on part, si on sera élue ou pas. Je n'ai jamais eu de circonscriptions faciles, moi non plus. Je crois que ce qu'on peut dire aux jeunes, c'est qu'il faut y aller. Il faut que les jeunes y aillent, car elles peuvent changer la politique, et elle en a besoin. Parce que cette loi que nous avons sur la parité, c'est une demi-loi. Elle concerne seulement les scrutins à la proportionnelle. Il reste encore tout ce qui est très important, c'est-à-dire l'Assemblée nationale et le Sénat, et là tous les partis confondus ont préféré payer plutôt que de présenter 50 % de femmes. Donc il faut se battre là-dessus. Il faut demander et exiger que le principe des 50 % s'applique à tous les degrés des circonscriptions.

Je vous signale qu'il y a quatre types de circonscriptions : il y a les quatre étoiles, les trois étoiles, les deux étoiles et les une étoile. Je les connais, pour mon parti ! On peut s'y retrouver très bien. Alors qu'on fasse la parité, qu'on n'envoie pas les femmes uniquement dans les circonscriptions perdues, qu'on en envoie dans celles qui sont peut-être gagnables, celles qui le sont à peu près, celles qui le sont sûrement...

Il y a pour chaque parti un découpage... Cela, c'est M. Pasqua qui me l'avait expliqué, il m'avait dit : « Ne vous inquiétez pas, j'ai veillé dans le découpage à ce que vous ayez au moins quatre-vingts députés socialistes, quelles que soient les circonscriptions. » Le découpage est là. Donc vous avez des circonscriptions béton, il y en a d'autres qui sont moins bonnes. Tout dépend du courant, après. Il faut que les femmes se mettent à l'arithmétique, qu'elles se collent à la technique, et qu'elles regardent ce que c'est, qu'elles ne prennent pas n'importe quoi. On peut aller dans une circonscription de témoignage, on en a fait plein, mais vient un moment où il faut dire : « assez de campagnes de témoignage ! ». Moi, j'en ai fait deux. On m'en avait proposé une troisième, et là j'ai dit que j'en avais fait deux déjà, que cela suffisait comme ça. On m'a dit : « Tu as tort, tu te feras connaître, tu vas aller contre Marchais ». C'était très bien, bien évidemment, il passait au premier tour ! J'ai dit : « Merci, pour ma part je ferai autre chose ».

Donc il faut aussi faire très attention, parce que la politique a besoin des femmes. La politique ne va pas bien dans ce pays, la politique n'a pas bonne réputation dans ce pays. L'opinion publique aime les femmes en politique, c'est pour cela que les hommes politiques ont peur, c'est pour cela qu'ils ne veulent pas leur faire de la place, parce qu'ils savent qu'elles ont au moins un ou deux points de plus qu'eux, a priori. Pour l'instant, c'est un principe nouveau, l'opinion publique aime les femmes, donc elles doivent savoir qu'elles ont un plus au départ. C'est ce qui fait peur à leurs partis. Il faut qu'elles se concertent, qu'elles s'organisent en réseaux, qu'elles n'aient pas peur de trouver des soutiens à l'extérieur, il faut y aller, il faut résister, il faut s'organiser. Il faut faire comme eux ! Regardez comment ils font : ils sont organisés, surtout dans leurs clubs, que ce soient des clubs de cigares (il y en a un très connu à l'Assemblée nationale)... Il faut qu'elles se mettent au courant, qu'elles apprennent le métier aussi. Elles ont un plus, elles doivent l'utiliser.

Anne Le Gall

Je voudrais simplement dire quelques mots à Mariette Sineau. Mariette, tant qu'on conclura un exposé constructif, éclairant et de qualité par ces mots : « la parité ou presque »... Ce presque est une béance. Toute l'affaire tombe là-dessus. La parité, ce n'est pas un « presque », c'est une adéquation qui doit être réalisée par un système de résultats, et pas de moyens. Toutes les assemblées délibératives doivent être constitutionnellement à la parité. Et c'est une novation institutionnelle, comme la séparation des pouvoirs, comme le suffrage universel. Et je dirai une chose, parce qu'il s'agit véritablement d'un nouveau paradigme politique, d'un changement d'air : c'est quelque chose qui est de l'universel de l'avenir, ce n'est pas contraire à l'universalité, c'est l'universel même, étant donné que la domination des femmes par les hommes est aussi quelque chose que nous constatons, qui est généralisé sans exception dans le temps comme dans l'espace. Cette rupture-là, elle est universelle. Elle doit être réalisée par une parité institutionnelle assumée comme telle.

Mariette Sineau

Je ne pense pas être en désaccord sur le fond avec Anne Le Gall, même si je lui donne acte que j'ai pu employer une expression malheureuse (« à égalité ou presque »). J'ai plaidé pour que les femmes acquièrent une légitimité qui vienne du suffrage universel, la seule qui vaille en démocratie. Mon exposé portait sur les femmes ministres et j'ai essayé de montrer qu'il y avait un grand décalage en France entre la proportion de femmes ministres et celle de femmes députées. La loi du 6 juin 2000, dite sur la parité, n'y a pas mis fin car elle est lacunaire. En effet, elle n'impose la parité des candidats que pour les scrutins de liste, alors que pour les scrutins uninominaux (soit, la moitié des sièges du Sénat, la totalité de ceux des conseils généraux et de l'Assemblée nationale), ou bien elle ne dit rien ou bien ne dit pas assez. Ainsi, pour les députés, la parité des candidats n'est qu'incitative par voie de pénalités financières. Une disposition qui a été torpillée par les grands partis lors des législatives de juin 2002, et qui a abouti à ce que seules 12,3 % de femmes siègent à l'Assemblée nationale. Un score qui classe alors la France se retrouve au 65 e rang mondial et au 12 e rang de l'Europe des quinze.

Marie-Victoire Louis

On a abordé à plusieurs reprises le rôle très positif qu'ont joué les relations entre les femmes de droite et les femmes de gauche, ministres, députées, pour obtenir ou faire avancer la loi sur la parité. Mme Pelletier s'est elle-même personnellement engagée en disant qu'elle souhaitait une loi antisexiste. Est-ce que nous, nous ne pouvons pas demander à toutes les femmes politiques de droite et de gauche de faire le même travail, soutenu par les féministes, pour faire en sorte que la loi antisexiste soit élaborée dans les plus brefs délais ? Je rappelle que M. Raffarin a promis à trois reprises les articles du Monde sont dans nos archives une loi anti-homophobe. Si cette loi anti-homophobe que nous, les féministes, soutenons depuis toujours, passe en l'état, ce sera en l'état, pour les femmes de ce pays, pour les femmes politiques, pour les féministes, la plus grande gifle politique, et cela voudra dire qu'institutionnellement le sexisme est partie constitutive des valeurs de la République française.

Monique Pelletier

Je réponds oui, et tout à fait oui, à votre proposition. Il faudrait aussi qu'il y ait des jeunes élues qui participent à ce groupe. Mais je suis tout à fait d'accord avec vous, et je vais même essayer de voir ce qu'il est possible de faire, étant donné que la loi anti-homophobe en est à sa préparation tout à fait première... Je pense qu'il serait très intéressant d'agir ensemble.

Yvette Roudy

Je veux bien qu'on prenne l'engagement, de la même façon dont nous nous sommes engagées sur ce manifeste pour la parité que nous avions fait ensemble, que nous puissions nous engager sur la loi antisexiste. Parce que, comme vous, je suis très préoccupée. Je vois bien que le lobby des homosexuels est en train de gagner sur le lobby féministe. Il y aura une loi contre l'homophobie, et on attendra toujours depuis vingt-cinq ans la loi antisexiste. Je suis d'accord pour faire quelque chose avec Nicole, Hélène, Simone Veil, comme on avait déjà fait pour la parité... Élisabeth sera d'accord aussi. Qu'on puisse faire un petit groupe là-dessus et qu'on puisse monter quelque chose qui soit équivalent, pour dire : « Nous, nous attendons depuis vingt-cinq ans ». Je veux bien m'engager là-dessus.

Jean Garrigues

Je crois que nous pouvons remercier Mesdames les ministres, Madame le Procureur, pour ce débat qui a été si animé. Je m'aperçois que les femmes politiques ont un sixième sens, car elles n'étaient pas là ce matin et elles savaient pourtant les questions que je leur avais posées ce matin, et je suis surpris que vous ayez si bien répondu à toutes ces interrogations qui étaient les nôtres.

Nous allons réunir les deux tables rondes qui étaient prévues à la suite de la première : celle qui concerne la loi sur la parité, et celle qui concerne l'application elle-même de la parité. Nous les réunissons parce que certaines de nos intervenantes doivent partir assez vite, et d'autre part il y a eu une ou deux défections parce que nous sommes en période de campagne électorale. Nous allons donc réunir les deux tables rondes, qui vont être présidées par Mme Edith Cresson, et qui vont donner la parole à des historiennes, à des sociologues, et bien sûr à des acteurs de la vie politique.

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