L'ELU LOCAL AU COEUR DE LA DECENTRALISATION - colloque à l'initiative de l'Observatoire de la décentralisation



Palais du Luxembourg - jeudi 3 novembre 2005

TABLE RONDE N° 3 :
L'ÉLU LOCAL, ANIMATEUR DE LA DÉMOCRATIE LOCALE

Sous la présidence de M. Jean PUECH

Pierre-Henri GERGONNE. - Le premier point qui nous occupera sera la démocratie locale, cette démocratie de proximité, participative, renforcée par la loi et qui apparaît de plus en plus comme un remède à ce que l'on pourrait appeler la crise du politique.

Ensuite, nous aborderons un point qui nous concerne directement, à savoir le travail de l'élu local, un métier de plus en plus complexe

et aux multiples facettes. Nous en verrons peut-être les limites, nous évoquerons le cumul des mandats, du statut d'élu.

Je remercie beaucoup Valérie Léard qui a couru pour nous rejoindre, car elle était encore il y a quelques minutes dans le bureau de M. Borloo, afin de travailler sur un texte important sur le logement.

Vous êtes sénatrice du Nord, ancienne adjointe au maire de Valenciennes et une spécialiste de ce qu'on appelle maintenant la démocratie participative, de proximité, de tous ces instruments faisant que les élus se rapprochent des citoyens et inversement.

Comment est-ce que cela se passe à Valenciennes ?

Mme Valérie LÉTARD, Sénatrice du Nord

Je ne suis pas une spécialiste, mais une élue qui a eu à mettre en pratique des politiques publiques faisant largement appel à la consultation des habitants.

J'avais en charge la responsabilité de mettre en place la politique de la ville à Valenciennes, que ce soit le contrat de ville comme le grand projet de ville et, ensuite, le programme de renouvellement urbain proposé dans le cadre du dispositif ANRU.

Vous savez tous, si vous êtes originaires de territoires urbains, qu'une des conditions pour la mise en oeuvre de ce type de politique publique est d'associer la population à la réflexion visant à la reconstruction, à la requalification urbaine des quartiers complètement dégradés.

Les questions que nous nous sommes posées ont été les suivantes : comment associer les habitants de ces quartiers en grande difficulté à des dispositifs aussi complexes qui vont de la démolition et la reconstruction de logements, à la réorganisation d'une politique de peuplement sur un territoire donné ? Comment associer ces habitants à toutes les stratégies d'accompagnement des populations, de formation, d'accompagnement dans la vie sociale, dans la citoyenneté, dans la vie culturelle ? Comment faire participer et contribuer à ce débat des personnes qui ne sont pas forcément formées, aguerries à l'échange avec des élus locaux ?

Il nous a fallu tout d'abord voir de quelle manière associer ces habitants au travers de certaines structures.

Pour cela, nous avons développé des structures formelles sur l'ensemble des quartiers et pas seulement des quartiers en politique de la ville, avec des comités de quartier dans lesquels les habitants désignaient eux-mêmes leurs représentants. Depuis des années, ces comités de quartier étaient des partenaires associés à toute la réflexion communale, à tous les conseils municipaux et à leur préparation, ils étaient informés de tous les projets que nous montions sur ces quartiers, mais aussi, ils suivaient nos réflexions sur les projets annuels de développement urbain, donc sur l'investissement comme sur les actions que nous allions mener en matière de prévention sociale, etc.

Concrètement, cela signifie organiser des réunions annuelles de concertation en assemblée plénière, en associant tous les habitants, comités de quartier, représentants des associations présentes sur le quartier et tous les habitants souhaitant s'exprimer.

Ensuite, nous avions organisé des commissions thématiques où des professionnels intervenant sur ces quartiers et les représentants des habitants pouvaient venir s'exprimer et faire des propositions sur des sujets très spécifiques, comme l'éducation, la formation, l'accompagnement éducatif, le prévention de la délinquance, etc.

Pierre-Henri GERGONNE. - Qui participe à ces structures, à ces comités de quartier ? Quel est le profil du citoyen qui s'engage dans le dialogue auprès des élus locaux ?

Mme Valérie LÉTARD. - Naturellement, lorsque nous proposons des réunions, nous avons l'habitude de voir arriver les représentants du monde associatif. Lorsque vous êtes déjà engagé dans le milieu associatif, vous vous intéressez à la chose publique et il est plus facile pour vous d'aller rencontrer et échanger avec des élus locaux. Il est plus difficile de créer le lien et l'échange permanent avec des habitants qui, a priori, n'ont pas envie ou qui n'ont pas, à un moment de leur vie dans le quartier, eu l'occasion d'être sollicités au travers d'une association ou de s'impliquer sur un projet. La plupart des gens ont simplement envie de dire où ils veulent être logés et de savoir si on va les maintenir dans le quartier ou les envoyer dans un autre.

Quels outils faut-il créer pour cela ?

Nous avions créé trois types d'outils : les ateliers de travaux urbains qui permettent, au fur et à mesure que les projets de renouvellement urbain avancent, d'associer des architectes urbanistes et des services de la ville travaillant sur ces projets, une équipe d'animation politique de la ville qui a plutôt un caractère social et a l'habitude d'accompagner ces populations au quotidien et les habitants qui le souhaitent.

Dans ces ateliers de travaux urbains, nous avons, une fois par mois, des échanges avec des habitants dans des situations sociales très diverses, souvent des gens en grande difficulté qui viennent demander dans quel logement on va les mettre et qui souhaitent s'exprimer sur le type de logement dont ils ont besoin. Ces ateliers de travaux urbains permettent d'avoir un projet partagé et, surtout, de désamorcer de grosses difficultés de compréhension sur le projet qu'une collectivité peut mener sur un territoire.

Nous avons également développé deux autres types de dispositif nous permettant de travailler au quotidien avec les habitants de ces quartiers : les fonds de participation des habitants et les fonds de travaux urbains. Ils existent dans la Région Nord Pas-de-Calais depuis très longtemps et permettent de dégager des enveloppes financées à 50 % par les collectivités et à 50 % par le Conseil régional.

Ces enveloppes représentent environ 1 000 € par projet pour les fonds de participation des habitants et sont gérées par un collectif d'associations piloté par un élu et chef de projet. Cela permet, dans le cadre de la citoyenneté, du développement et de la mobilisation des associations, d'avoir une enveloppe globale utilisée pour mener de petits projets de proximité, des actions en lien direct avec les habitants, déterminées et priorisées par eux-mêmes, en accord avec les élus.

C'est un premier moyen d'accompagner des projets plus ambitieux grâce à des petits outils très réactifs et cela permet de mobiliser des associations et des organismes sur des projets en lien avec l'aménagement des quartiers, mais également de montrer qu'il leur est possible d'être acteurs ; cela leur donne surtout la possibilité de se former au montage de projet, à la recherche de financement et un peu à la fois à la responsabilisation et à l'action dans la vie de leur quartier.

Le fonds de travaux urbains était l'équivalent de ces fonds de participation des habitants. Nous avions des enveloppes d'environ 50 000 €. Ces fonds de travaux urbains permettaient, pour des projets de l'ordre de 5 000 €, de réaliser des petits aménagements de proximité, des petits espaces publics en lien avec des groupes de parents, des mamans qui souhaitaient avoir du mobilier urbain au pied d'un immeuble, de requalifier avec des jeunes une cage d'escalier, etc.

Cela se faisait toujours de la même manière, en mobilisant les habitants sur une réflexion dans l'urgence sur ces projets de proximité permettant de les associer au premier chef et qu'ils fassent eux-mêmes des choix en attendant une réalisation plus importante et au travers desquels ils se formaient progressivement pour s'approprier le projet final.

Pierre-Henri GERGONNE. - Vous parlez de cage d'escalier, de petits aménagements, mais est-ce que l'écoute et ce dialogue entamé avec vos concitoyens vous ont également amenés à modifier de grands projets ?

Mme Valérie LÉTARD. - Cela nous a amenés à modifier de grands projets, car ce que l'on imagine idéal pour nos habitants ne l'est pas forcément pour eux-mêmes. Lorsque l'on pensait utile de réaliser de grands espaces verts, eux voulaient garder leur place de parking au pied de leur logement.

Entre l'environnemental, le développement durable et l'utilité, la proximité, la gestion de leur habitat, la pratique de vie au quotidien, il fallait trouver la synthèse. Nous l'avons trouvée dans ces ateliers de travaux urbains.

Nous avons très souvent désamorcé des malentendus, car, dès qu'un problème se posait, dès que nous entendions courir un bruit sur des projets d'aménagement ou de démolition, nous avons pu nous expliquer en vis-à-vis, clarifier la situation et parfois rectifier le tir.

Un lieu de consultation et d'échange régulier a permis de rester en phase avec la réalité. Il ne faut pas non plus trop formaliser les dispositifs de concertation des habitants et il n'y avait pas que des comités de quartier dans l'organisation que nous avions mise en place à l'occasion de ces réunions de concertation. Au bout d'un certain nombre d'années, le comité de quartier "s'institutionnalise" et n'est plus forcément le représentant de tous les habitants. Pour ouvrir des concertations à l'ensemble de la population, que ce soient les associations représentatives ou l'habitant qui, à titre personnel, a envie de s'exprimer, il faut que chacun puisse trouver un lieu.

M. Didier LE MAITRE. - Je suis professeur à l'université d'Angers et je suis surtout un citoyen.

Vous nous parlez d'un monde formidable, etc., mais il y a des problèmes à côté de Paris et on se dit que tout est merveilleux. Dans Le Monde aujourd'hui, M. Sarkozy et M. de Villepin s'affrontent. M. Borloo est quelqu'un de formidable quand on l'entend et, finalement, on a des problèmes.

On vous entend depuis dix minutes...

Mme Valérie LÉTARD. - On m'a demandé d'introduire cette table ronde par une expérience. Je ne souhaitais pas mobiliser la parole, mais seulement donner un éclairage.

Ce n'est pas un paysage idyllique, mais une manière d'aborder des problèmes compliqués, avec des personnes qui ne sont pas formées pour cela, loin de là, puisqu'elles sont en très grande difficulté et vivent dans l'urgence, car, le plus souvent, elles ne savent pas comment elles finiront leur fin de mois.

Dans un projet ambitieux tel que l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), si vous dites aux personnes qu'elles verront les choses sortir de terre dans quatre ans, car c'est le temps nécessaire pour maîtriser le foncier, monter les dossiers de financement et construire des nouveaux logements décents, il faut pouvoir le leur faire comprendre...

Il ne s'agit pas de polémiquer et je ne partage pas tout ce que fait le gouvernement, mais lorsque des choses sont bien faites, elles ne se réalisent pas dans l'urgence, mais par paliers. Pour cela, il faut trouver des lieux d'échange et d'explication avec les habitants.

Effectivement, il y a des choses à améliorer et il faudrait certainement mettre plus de moyens pour accompagner les habitants de ces quartiers : démolir et reconstruire est essentiel, mais il faut voir les moyens que l'on est en capacité de consacrer pour les aider à se former, à se qualifier en fonction de la réalité économique, à faire de la prévention de la délinquance.

Ce dont je vous parle aujourd'hui, c'est d'un essai d'échange avec les habitants d'un territoire dans la proximité, c'est un témoignage comme un autre, ce n'est peut-être pas la panacée, mais il nous a permis de garder le contact avec les habitants.

(Applaudissements...)

Pierre-Henri GERGONNE. - Dominique Reynié, lorsque l'on parle de démocratie de proximité, de démocratie participative, inscrite dans la loi, peut-on en dresser un bilan ?

M. Dominique REYNIÉ, Directeur de l'Observatoire interrégional du politique (OIP), membre du Comité d'experts de l'Observatoire de la décentralisation.

C'est un mouvement en plein essor et l'on assiste à une transformation de la culture politique en France.

Tous les élus en témoignent, de plus en plus souvent, nos concitoyens expriment le souhait de participer à la décision politique : on parle de « démocratie locale », de « démocratie participative », voire de « démocratie directe ».

Cela pose différents problèmes et nous n'allons pas nous tromper de sujet de débat : il s'agit bien de l'élu au coeur de la décentralisation.

Cela pose le problème de la représentativité des citoyens actifs. Lorsqu'un élu fait face à une assemblée composée de personnes particulièrement impliquées, il n'est pas certain qu'elle soit représentative. Il peut y avoir des associations, des mouvements, même des lobbies plus efficaces que la généralité et qui imposent un intérêt particulier là où l'intérêt général devrait prévaloir.

Ce n'est pas simple et il faut arriver à identifier la nature de la revendication ou de la réclamation.

De manière générale, nous sommes d'accord pour dire qu'il est bien d'associer le plus grand nombre de citoyens à la prise de décision. Concrètement, cela signifie que, pour les élus, ce qui peut être regardé comme un progrès est aussi une contrainte supplémentaire, une contrainte forte, puisque, plus souvent aujourd'hui qu'hier, les élus locaux sont regardés comme des responsables politiques détenant un important pouvoir de décision. Il n'y a pas si longtemps, avant 1982, les élus locaux avaient une fonction d'interpellation des pouvoirs publics, voire des élus nationaux et une espèce de fonction de porte-parole.

Le mouvement de décentralisation adresse des messages qui reconfigurent entièrement la perception des élus locaux. Plaçons-nous du point de vue de l'électeur : comme vous le savez, peu d'électeurs sont en mesure de savoir exactement qui fait quoi. Ils ont peu repéré que l'école, c'est plutôt la commune, le collège, c'est plutôt le département, etc., mais excepté quelques sujets précis, grosso modo , ils mettent les élus locaux dans le même sac, confondent les compétences et l'on ne peut pas leur reprocher de ne pas savoir qui s'occupe de quoi, d'autant plus que, souvent, tout le monde s'occupe un peu de tout, comme le montre le cas des financements croisés, souvent dénoncés pour cette raison mais qui permettent par ailleurs de réaliser nombre de projets coûteux.

L'une des conséquences est que l'on entend beaucoup parler de décentralisation. Les pouvoirs publics, les représentants, les médias, les universitaires expliquent que la puissance publique est décentralisée, ainsi que la République. Si nos citoyens ne connaissent pas le détail, ils en retiennent le principe : les élus locaux ont plus de pouvoir qu'ils n'en ont jamais eus.

Par ailleurs, les électeurs sont également informés qu'une même distribution est en cours au niveau supranational, par le biais de transferts de fractions de souveraineté dans l'espace européen où se réorganise une puissance commune entre pays européens. Depuis vingt-cinq ans ou davantage, ils ont entendu que l'État a transféré des compétences à une institution supranationale, l'organisation européenne, tandis qu'au niveau infranational, l'État a transféré une fraction de ses compétences au profit des collectivités locales et aux élus locaux.

Pour les concitoyens, les élus ont donc beaucoup plus de pouvoir que jamais. Ils viennent vous voir et attendent que vous régliez beaucoup de leurs problèmes, convaincus que vos pouvoirs sont désormais réels.

Lorsque, dans le même temps, une administration ou un État, pour des raisons culturelles ou politiques, ne joue pas le jeu de la décentralisation, retient ce qu'il devait lâcher ou essaie de reprendre ce qu'il avait donné, les citoyens ne le voient pas ; pour eux, les élus locaux ont toujours ce pouvoir qui a été proclamé transféré. Conséquemment, au même moment où l'État complique la tâche des élus locaux et où l'administration ralentit le processus au lieu de libérer la compétence, ou la retient, ou essaie de la reprendre, les concitoyens eux-mêmes maintiennent le niveau de leur demande.

Pierre-Henri GERGONNE. - Vous nous expliquez en quelque sorte que la décentralisation est un piège pour les élus locaux ?

Dominique REYNIÉ. - Un piège se referme sur les élus locaux : la décentralisation a été très populaire dans l'esprit des Français, mais ce n'est pas la décentralisation qui est, en elle-même, la cause de ce mal, mais cette espèce d'entre-deux, le fait d'avoir donné et de chercher à reprendre ou d'avoir dit que l'on donnait sans véritablement le faire.

N'en faisons pas le reproche aux concitoyens, car ils ne peuvent voir les arcanes du pouvoir et ils ne peuvent s'orienter aisément dans cet entrelacs de compétences et d'institutions, mais chacun a pu identifier que le pouvoir a été décentralisé, que les élus locaux sont responsables politiquement ; c'est donc à eux qu'il faut demander des comptes et, si cela ne va pas, c'est à eux qu'il faut adresser les reproches.

Vous avez peut-être vu récemment, dans un quotidien, un sondage CSA sur la popularité des élus : on disait depuis très longtemps que les élus locaux, en particulier les maires, échappaient à la défiance. Ce n'est plus vrai et je vous invite à la prudence : les élus locaux, y compris les maires, commencent désormais à susciter une forme de déception et de défiance auprès des concitoyens qui, évidemment, au fur et à mesure que leurs pouvoirs sont censés croître.

Dans le même temps, pour des raisons tout à fait différentes, le mouvement culturel fait que, politiquement, on a envie de prendre davantage sa part dans les décisions publiques, mais ce sont comme deux mâchoires, d'un même piège, qui peuvent se refermer sur les élus locaux.

Que demande la décentralisation aujourd'hui ? Aller jusqu'au bout du geste et laisser les élus locaux pleinement responsables, c'est-à-dire avec la pleine décision et pouvant ainsi assumer totalement la responsabilité politique, électorale, ce qui est au fond la démonstration que l'idéal républicain se réalise dans une décentralisation réussie. Il n'y a pas de contradiction entre la République et la décentralisation, comme on a pu le penser au cours de nos débats.

La décentralisation est peut-être la forme contemporaine de l'idéal républicain. Autrefois, dans une société française plus asservie, il fallait un État jacobin, une tutelle centralisatrice et puissante pour conduire les affaires publiques, mener ce peuple là où il est arrivé ; aujourd'hui, rares sont les personnes qui acceptent encore ce type de relation, autoritaire et hiérarchisée. C'est un progrès qu'il faut intégrer. Il faut admettre que, désormais, comme le dit la loi, la République est décentralisée.

Pierre-Henri GERGONNE. - Voulez-vous réagir, en particulier sur le danger que vous percevez sur le pouvoir des élus de base, des maires en particulier ?

M. Jean LAUTREY. - Ne pensez-vous pas que notre espace de liberté par la réglementation s'est considérablement réduit ? Nos concitoyens nous reprochent de ne plus prendre suffisamment les initiatives auxquelles ils ont été habitués, au moins au niveau local.

Pendant longtemps, on réglait les problèmes au jour le jour ; or, la réglementation que l'on nous impose dans le cas de cette réappropriation du pouvoir par rapport à la décentralisation a réduit notre espace de liberté.

Au bout de trente-cinq ans, j'ai l'impression d'être dans un carcan et je plains les nouveaux élus qui arrivent.

Pierre-Henri GERGONNE. - Madame Létard, êtes-vous confrontée à cette réglementation de plus en plus complexe et pesante ?

Mme Valérie LÉTARD. - Oui, comme tout le monde et je pense que la difficulté d'agir est à tous les niveaux, autant au niveau réglementaire qu'au niveau local ; pour monter le moindre projet, il faut solliciter des partenariats extérieurs et des financements croisés.

Avec l'évolution de la décentralisation, chaque niveau de responsabilité s'est doté de compétences facultatives qui viennent empiéter sur les compétences obligatoires du voisin, donc chaque niveau institutionnel gère les mêmes thématiques. Pour boucler un plan de financement, il faut souvent aller chercher cinq types de financeurs différents, Intercommunalité, Département, Région, Etat et Europe (sur les territoires éligibles aux fonds européens).

Tout cela mis bout à bout, il est extrêmement difficile, pour l'élu local, de prendre une décision rapide. Il peut agir, mais plus aussi rapidement et simplement qu'avant. Il y a également de nombreuses responsabilités pour lesquelles il est l'interlocuteur vis-à-vis des administrés et pour lesquelles il n'est pas forcément compétent et doit passer par des décisions syndicales, intercommunales, etc. Il est ainsi en prise directe avec ses habitants à qui il doit donner une réponse précise et, en même temps, il n'a pas forcément tous les leviers pour donner une réponse claire et immédiate, ce qui rend sa tâche extrêmement difficile. Il y a certes des moyens supplémentaires, mais ils sont beaucoup plus réglementés, cadrés et difficiles à utiliser.

Pierre-Henri GERGONNE. - Craignez-vous que cela décourage les futurs jeunes élus de demain ?

Mme Valérie LÉTARD. - Cela montre d'abord que, plus on avancera, plus il sera nécessaire d'avoir une formation des élus, car cela devient très complexe. Aujourd'hui, soit on est dans une collectivité disposant de suffisamment de moyens humains, d'ingénierie et l'on est aidé, soit on est dans une petite commune et l'on n'est pas forcément un spécialiste de l'urbanisme, de l'action sociale, etc.

On peut être un généraliste, sentir les choses auprès de ses habitants et avoir l'aide technique autour de soi lorsque l'on a l'instance de bon niveau, mais tous les élus ne l'ont pas ; des petites communautés de commune ne sont pas forcément dotées de moyens humains suffisamment dimensionnés par rapport à la taille de leurs problèmes.

Mme Christine PIRON . - Depuis ce matin, on parle de cette frustration par rapport à la décentralisation et du fait qu'il s'agit d'une histoire de délégation de transfert de l'appareil d'Etat.

Je voudrais savoir si quelqu'un dans l'assemblée fait partie de cet appareil d'Etat et pourrait nous répondre.

UNE INTERVENANTE. - Je voudrais reprendre ce qui a été dit sur le malaise des maires. Je suis tout à fait partisane de la décentralisation qui a créé un mouvement de responsabilité chez les maires. Maintenant, avec les communautés de communes et d'agglomération, ces maires se sentent un peu frustrés.

Je ne parle pas des maires ruraux qui, dans les communautés de communes, peuvent retrouver l'appareil qui leur manque pour prendre un certain nombre de décisions, mais pour la ville centre ou chef-lieu de canton, le maire a l'impression que ses concitoyens lui demandent des comptes pour des décisions qu'il ne peut plus prendre seul et dont il n'a plus la franche responsabilité.

Je pense qu'il y a quelque chose dont l'Etat devrait se rendre compte, mais également des assemblées de maires comme aujourd'hui ; autant des communautés de communes sont un progrès, autant il faut se rendre compte que cela peut gêner des maires de communes moyennes, ayant l'impression d'être dessaisis d'un certain nombre de leurs pouvoirs qu'ils avaient acceptés depuis quelques années.

Peut-on essayer de trouver une solution, un moyen terme ou une évolution, afin que la décentralisation, notamment grâce aux communautés de communes, se fasse d'une façon plus douce, utile et efficace ?

M. Dominique REYNIÉ. - Je note, comme vous, que ce sont de nouvelles formes d'association et parfois confondues avec des échelons qui peuvent aussi poser une question intéressante. Au moment où nous constatons les progrès de la démocratie participative, locale, de la revendication de nos concitoyens, nous voyons émerger des formes d'organisation et des modes de décision - dont l'intercommunalité fournit un bon exemple -, qui ne sont pas fondées sur le suffrage universel. C'est une espèce de tension entre deux mouvements contradictoires : l'un, de type culturel, qui est la volonté plus répandue de prendre une part active à la décision publique et l'autre, plus fonctionnel, qui est l'idée d'aménager des formes d'association entre les collectivités locales afin de gagner en efficacité, apparemment parce que l'on change de taille, mais aussi bien parce que l'on réduit sensiblement la pression exercée par les électeurs.

Il faut rappeler que nos concitoyens ignorent, ce qui est dommage, l'existence de cette forme de gouvernement que sont les intercommunalités, comme ils sont plus encore ignorants sur le reste.

Je pense qu'il y a, à un moment donné, une décision compliquée à prendre, car on ne peut pas non plus multiplier les échelons élus.

J'en profite pour préciser ceci, en liaison avec ce qui a été dit précédemment : on peut quand même concevoir de travailler pour l'État sans être fonctionnaire ! Ce matin, j'avais le sentiment que l'on ne pouvait travailler pour l'État qu'en étant fonctionnaire. Dans d'autres pays comme la Suède ou le Danemark, plutôt avancés sur le plan social et pas très éloignés de nos exigences en ce domaine, on emploie beaucoup de personnes qui travaillent très bien pour l'État, y compris dans l'enseignement, sans être fonctionnaires.

Je termine en apportant un témoignage d'universitaire : les institutions locales, la décentralisation ne sont pas suffisamment enseignées ni transmises. Malgré les efforts déployés par quelques enseignants, on en reste au strict minimum. Il en va de même pour les institutions européennes, ce sont les deux aspects les plus développés depuis quelques années : le supranational et l'infranational et c'est ce qui est le moins enseigné en raison, là aussi, d'une espèce de résistance culturelle, la culture profonde de bon nombre d'enseignants est peut-être plus jacobine, ce qui peut également expliquer les résistances.

Pierre-Henri GERGONNE. - Gérard Lapie, vous présidez l'ANDAFAR, Association pour le développement de l'aménagement foncier, agricole et rural, donc une association en prise directe et en dialogue continu avec les élus locaux.

M. Gérard LAPIE, Président de l'ANDAFAR (Association Nationale pour le Développement de l'Aménagement Foncier, Agricole et Rural)

J'ai eu des responsabilités en temps qu'élu local pendant dix-huit ans.

Par rapport au débat que nous venons d'avoir, nous sentons bien aujourd'hui, au niveau notamment du territoire, que nous sommes de plus en plus interdépendants les uns des autres ; cela me paraît un élément tout à fait fondamental sur lequel il faut insister.

Je suis aussi accessoirement ancien agriculteur ; aujourd'hui, le développement local ne peut pas être le seul fait des agriculteurs. Donc, si nous voulons véritablement prôner un développement harmonieux sur la participation des uns et des autres, il faut tenir compte au départ de cette notion d'interdépendance entre les uns et les autres. L'élu local ne mettra pas en place une structure de service, comme l'école, si son village ou son intercommunalité se dépeuple.

Il faut arriver à une harmonie entre la notion de service au niveau du territoire, la notion d'activité économique et la notion d'habitat et cette interdépendance permettra aux uns et aux autres d'être acteurs dans le développement local ; c'est tout à fait fondamental.

Aujourd'hui, nous sentons bien que la mutation dans laquelle nous sommes n'est pas suffisamment prise en compte par les acteurs locaux que nous sommes. Si nous voulons prendre en compte toute cette mutation dans laquelle nous sommes, nous avons aussi davantage besoin, au niveau des ruraux, d'accompagnement de ce que j'appelle la matière grise. Il est fondamental que nous ayons la matière grise pour permettre d'anticiper les mutations dans lesquelles nous sommes.

Je prends deux exemples.

L'ANDAFAR essaie de mettre en place des groupes de réflexion au niveau du territoire sur l'ensemble des régions. Lorsque nous mettons autour d'une table l'ensemble des acteurs, que ce soit des collectivités territoriales, des responsables économiques ou du monde associatif, on arrive, au travers de cette notion d'interdépendance, à faire évoluer les choses. Donc, tout n'est pas perdu d'avance.

J'ai également eu quelques responsabilités en Champagne-Ardenne autour des pôles de compétitivité qui, au travers de cette interdépendance entre le monde économique, le monde enseignant et le monde des collectivités territoriales, nous permet de faire des choses réelles dans le cadre de la décentralisation.

Nous sommes confrontés à une réalité de difficulté qui existe, mais lorsqu'un projet cohérent apparaît au niveau du territoire, tout le monde, dans le cadre de cette interdépendance, est prêt à s'en emparer dans le cadre de l'évolution qui permettra au territoire d'être dynamique demain.

Je suis de ceux qui réagissent par rapport à la morosité ; la morosité, on la cultive, alors que l'ambition du projet peut également se cultiver. Aujourd'hui, dans le cadre de cette interdépendance, il existe une ambition du projet qui peut nous permettre de cultiver une notion de projet dynamique pour l'ensemble des territoires ; à ce moment-là, l'élu a son rôle d'animateur de démocratie locale.

Aujourd'hui, même s'il y a des difficultés, si nous arrivons, au niveau de l'ensemble de nos territoires, à avoir le diagnostic et le projet partagés, les choses peuvent bouger.

Pierre-Henri GERGONNE. - Arrivez-vous, Monsieur Lapie, à concentrer toutes les énergies chez vous ?

M. Gérard LAPIE. - Il est capital de démontrer qu'il n'y a pas de fatalité au déclin. Tout le monde sait que, aujourd'hui, une mutation est en train de se produire et le monde rural, qui était plutôt en déclin il y a une quinzaine d'années où l'on parlait de désertification, de déclin, etc., connaît un mouvement inverse.

Comment nous, en tant qu'animateurs de notre démocratie locale, allons-nous prendre en compte cette problématique ? Il existe des problèmes de cohabitation de diverses activités et de communes : comment allons-nous réussir à faire en sorte que nos concitoyens puissent s'entendre sur un projet cohérent ?

J'insiste à nouveau en tant qu'élu sur cette notion qui m'apparaît fondamentale de diagnostic partagé avant d'aller au projet.

Pierre-Henri GERGONNE. - Avez-vous le sentiment que des associations comme la vôtre, particulièrement dans les territoires ruraux, sont plus écoutées, mieux entendues par les élus ?

M. Gérard LAPIE. - Je ne veux pas passer de la brosse à reluire, mais, dans le cadre des groupes que nous animons au niveau des territoires ruraux, ce sont souvent les responsables des associations de maires ou d'élus qui demandent à s'emparer de cette animation. Cela signifie que, aujourd'hui, il y a une demande forte du côté des élus pour être des acteurs de cette animation et il appartient aux uns et aux autres de faire en sorte que les élus puissent être les animateurs de l'évolution de nos territoires.

Pierre-Henri GERGONNE. - Je donne la parole à Sylvie Errard qui représente le CELAVAR, Comité d'études et de liaison des associations à vocation agricole et rurale.

Procédez-vous de la même manière que M. Lapie ?

Mme Sylvie ERRARD, membre du bureau de l'Association de Formation et d'Information Pour le développement d'initiatives rurales (AFIP), représentant du Comité d'études et de liaison des associations à vocation agricole et rurale (CELAVAR)

Nous sommes assez proches dans la mesure où nous sommes dans une démarche de développement local où nous souhaitons faire émerger des projets de la population. Ce matin, on évoquait le fait que la décentralisation ne devait pas venir simplement du haut vers le bas, mais qu'il fallait des remontées ; en termes d'animation locale, il est important que les demandes viennent aussi de la base.

Je représente le CELAVAR, mais plus particulièrement l'AFIP, une association de formation et d'information pour le développement d'initiatives rurales. Nous insistons bien sur la notion d'information et formation. Pourquoi ?

L'AFIP est implantée sur sept régions en France avec une tête de réseau basée à Paris, car nous travaillons en étroite relation avec le ministère de l'Agriculture selon les périodes. Lorsque nous avons décelé les besoins sur les territoires régionaux, ce qui signifie une implication très forte des animateurs des associations, mais également des administrateurs, il faut les faire vivre et cela passe autant par de l'information des porteurs de projets que par leur formation et, parallèlement, la formation et l'information des élus. Nous sommes vraiment à l'interface entre des porteurs de projets, qu'ils soient agricoles ou d'activités plus économiques, et les collectivités locales.

Nous sommes dans des notions d'économie plus sociale, plus solidaire que ce qu'évoquait M. Guillon ce matin, mais il y a de la place pour tout le monde. Si nous voulons que tous les territoires puissent vivre et que tout le monde y vive à son rythme, il est essentiel de faire émerger tous les projets et d'essayer d'aider tout le monde à faire réaliser son projet. Tout le monde n'est pas capable de travailler dans une grande entreprise ou de créer une entreprise pour faire du business , mais tout le monde peut avoir des projets et l'envie de réaliser quelque chose dans lequel il se sent bien, seul ou à plusieurs.

Nous avons un pôle pour l'AFIP, très important dans la création d'activités ; il s'agit aussi bien de créer sa petite activité à soi que son association pour réaliser cette activité sur le territoire.

Lorsque tous ces projets émergent, on en parle, l'écoute prend beaucoup de temps et nous rencontrons souvent un problème de temps avec les élus, car ils ont un temps budgétaire, des lignes de budget qu'ils utilisent dans l'année et c'est tout.

Pour nous, entre le moment où nous sentons quelque chose qui émerge et celui où les personnes sont prêtes à travailler ensemble et à commencer à réaliser, la ligne budgétaire est passée.

Il est donc assez difficile de concilier ces deux choses.

Une autre difficulté que l'on rencontre avec des élus, mais ce n'est pas un reproche : ils ont besoin que nous leur disions clairement ce que nous voulons réaliser. Or, au départ, lorsqu'il y a ce frémissement, que nous sentons sur le territoire que des personnes ont envie d'agir, nous avons encore du mal à formaliser exactement ; ce sont les deniers publics qu'ils engagent et ils n'ont pas envie de nous suivre sur quelque chose de flou.

Pierre-Henri GERGONNE. - Les élus manquent-ils parfois d'audace ?

Mme Sylvie ERRARD. - Oui, dans certaines actions.

Par exemple, en Bourgogne et Franche-Comté, sur le pays d'Autun, les élus ruraux avaient vraiment besoin que nous les aidions à soutenir des porteurs de petites activités économiques, de type garderie d'enfants, etc. Ils voulaient y aller, car cela correspondait à un réel besoin du territoire, mais la ville centre, qui ne vit pas au même rythme et n'a pas les mêmes besoins, ne voyait pas pourquoi l'intercommunalité aurait suivi un tel projet.

La démocratie a fonctionné et les élus ruraux étant plus nombreux, ils ont réussi à tirer le projet.

Pierre-Henri GERGONNE. - Avez-vous le sentiment que l'élu local est l'animateur de la démocratie de ses territoires ?

Mme Sylvie ERRARD. - Les élus locaux ont de plus en plus besoin d'être des techniciens, de se former et je me demande s'ils ont encore du temps pour avoir cette dimension politique et d'écoute.

Peut-être des associations comme les nôtres peuvent-elles être des relais, afin de leur amener ces informations dont ils peuvent avoir besoin. D'un autre côté, nous les gênons un peu, car nous arrivons avec un regard très large et politique, alors qu'eux souffrent de ce besoin de devenir des techniciens dans tout. Nous avons donc un peu de mal à nous comprendre.

Lorsque nous offrons des formations très généralistes aux élus, cela ne les intéresse pas ; en revanche, si nous leur apprenons à lire ou à réaliser un budget, ils s'inscrivent. Ce n'est pas un reproche, mais un réel besoin et il faut trouver cet équilibre pour avoir une vision globale, être à l'écoute du territoire et de plus en plus capable de répondre à des besoins très précis.

Les élus sont également très demandeurs de formation autour des responsabilités de l'élu et nous sentons vraiment une angoisse réelle par rapport à cela ; dans ce cas, peuvent-ils prendre des risques, ne serait-ce que de soutenir des projets plus ou moins flous ?

Lorsque cela fonctionne, ils le reconnaissent, ce qui est valorisant.

Nous avons différents financements : les associations ne viennent pas demander de l'argent, mais proposer quelque chose et, par définition, il faut de l'argent. Ce n'est pas l'association qui apporte quelque chose, mais elle vient parler au nom des personnes et l'AFIP a toujours fonctionné avec une action sur un territoire donné, afin de permettre à des personnes de créer quelque chose ; à un moment, lorsque les personnes sont capables d'agir seules, l'AFIP se désengage et va voir ce qu'elle peut faire sur un autre territoire.

Pierre-Henri GERGONNE. - La décentralisation a-t-elle changé quelque chose dans vos méthodes de travail et vos rapports avec les élus ?

Mme Sylvie ERRARD. - Non, car nous avons toujours travaillé aussi bien avec des collectivités locales, telles que les communes et les régions, qu'avec l'Etat.

En revanche, nous constatons un grand changement au niveau du Ministère de l'agriculture qui nous refuse de plus en plus de financements en invoquant le fait que c'est la décentralisation, des actions locales et qu'il n'a aucune raison de financer quelque chose de national.

Nous avons un réel problème à ce niveau, mais les associations ne vivent essentiellement que des subsides publics.

Nous mettons beaucoup de temps à mettre quelque chose en place et les élus ont du mal à intégrer tout le temps de réflexion, de maturation d'un projet et ne prennent en compte que le moment où nous agissons.

Pierre-Henri GERGONNE. - J'ai le plaisir de me tourner vers M. Alain Griset qui préside les Chambres des métiers, vous êtes le principal artisan de la troisième entreprise de France. La formation et l'apprentissage font bon ménage depuis maintenant pas mal de temps avec les régions, en particulier.

Peut-on dire que le financement de cet apprentissage par les collectivités territoriales est une vraie réussite de la décentralisation ?

M. Alain GRISET, Président de l'Assemblée permanente des Chambres de métiers (APCM)

Entre Lille et Valenciennes, les relations ne sont pas toujours au beau fixe, mais, du point de vue des Lillois, ce qui a été fait à Valenciennes est remarquable. L'espoir est revenu grâce à l'action menée sur Valenciennes et l'on peut voir aujourd'hui la différence concrète grâce au travail réalisé.

Concernant l'apprentissage, il est évident que le passage de compétences au Conseil régional a été pour nous un vrai changement, d'abord par rapport aux interlocuteurs, mais également par rapport aux possibilités de pouvoir passer des messages nouveaux auprès d'élus pour qui l'apprentissage n'était pas la priorité.

Dans de nombreuses régions, l'apprentissage a été pris à bras le corps par les élus régionaux, aussi bien en investissement qu'en fonctionnement dans les centres de formation, et a été considéré comme un vrai outil de formation à côté de l'enseignement général ou comme outil d'insertion professionnelle des jeunes. Pour une fois, dans notre région qui est très jeune, il y avait vraiment un besoin d'insérer professionnellement, de qualifier les jeunes.

Pierre-Henri GERGONNE. - Cela fonctionne-t-il mieux avec les régions qu'avec l'Etat ?

M. Alain GRISET. - Sur l'apprentissage, oui.

Il existe 880 000 entreprises artisanales, soit 3 millions de salariés, mais elles sont de petite taille, avec en moyenne quatre salariés, même si de plus en plus en ont dix ou quinze. Tout à l'heure, on évoquait le fait que les communes de petite taille n'ont pas d'ingénierie, mais l'artisan qui a trois, quatre, cinq ou dix salariés n'a pas avec lui un directeur financier, juridique ou des ressources humaines. Toute la complexité est pour lui source de difficultés dans sa gestion de tous les jours.

Le fait d'avoir un interlocuteur de proximité a été pour nous source de facilitation dans la gestion et le développement de l'apprentissage.

Pierre-Henri GERGONNE. - Avez-vous rencontré des problèmes financiers avec les régions et cela se passe-t-il mieux aujourd'hui qu'avant dans ce domaine ?

M. Alain GRISET. - C'est plus délicat, car il y a des limites. Les régions ont des ressources provenant pour la plupart des entreprises. Un grand débat est en cours sur la taxe professionnelle, mais nos entreprises la payent et, au fur et à mesure que des politiques sont mises en oeuvre dans les collectivités, on risque de pénaliser l'emploi par l'impôt.

Nous sommes à la fois demandeurs de financement pour l'apprentissage et, en même temps, nous contribuons et souhaitons quelque chose de raisonnable.

Néanmoins, il y a une volonté politique nécessaire : la région a-t-elle une vraie volonté politique de développer l'apprentissage comme un mode de formation complémentaire d'un autre mode de formation et comme mode intégrateur dans le monde du travail ?

Pierre-Henri GERGONNE. - Quelle est votre réponse ?

M. Alain GRISET. - C'est nuancé suivant les régions. Dans certaines régions, des politiques très fortes ont été menées, avec des évolutions importantes et objectives, d'autres régions se sont moins impliquées.

Néanmoins, globalement, on peut considérer que le transfert aux Conseils régionaux a développé les moyens mis à disposition de l'apprentissage, même s'il reste un vrai problème dans lequel les sénateurs auront un rôle à jouer : sur l'apprentissage, il y a au minimum deux financeurs, le Conseil régional, dont c'est la compétence, et l'entreprise par la taxe d'apprentissage.

Aujourd'hui, la gestion de la taxe d'apprentissage peut s'améliorer : nos entreprises qui forment 30 % des apprentis ne récoltent que 3 % de taxe d'apprentissage, alors que les très grandes branches professionnelles en capitalisent et en captent une très grande partie.

Nous espérons toujours que les parlementaires décideront d'affecter en réalité la taxe d'apprentissage à ceux qui forment les apprentis. Les conseils régionaux ne devraient pas être les seuls à supporter le financement de l'apprentissage, car il existe d'autres modes de financement qui devraient être mieux utilisés de façon à mieux répartir ce financement.

Pierre-Henri GERGONNE. - Quel argument utilisez-vous ? J'imagine que vous faites du porte à porte chez les Présidents de région pour les convaincre d'investir plus encore dans l'apprentissage des apprentis.

Alain GRISET. - Autant, il y a vingt ans, l'artisanat était le seul secteur qui continuait à considérer l'apprentissage comme une vraie source de formation, autant, aujourd'hui, par ses résultats surtout en termes d'efficacité pour trouver du travail et avoir un vrai métier, tout le monde reconnaît que cette forme de formation a réellement fait ses preuves. Lorsque nous rappelons aux Présidents de conseils régionaux qu'il y a 11 ou 12 % chômeurs, en particulier des jeunes, à qui il faut donner la possibilité, par l'apprentissage, d'avoir un vrai métier, peu d'entre eux considèrent qu'il n'y a pas un effort à faire, car il faut bien gérer les jeunes qui n'ont pas de métier.

Cet argument est reconnu, car prouvé par les chiffres : plus de 80 % des jeunes étant passés par l'apprentissage sont ensuite intégrés dans le monde du travail sans difficulté et les 20 % autres trouvent aussi à s'insérer.

Pierre-Henri GERGONNE. - Nous avons constaté qu'il existe une énorme palette des responsabilités et des compétences des élus. L'élu local peut-il tout faire ? Peut-il faire face à des responsabilités de plus en plus étendues, voire lourdes ? Doit-on adapter ce statut ?

Je me tourne vers Philippe Lauvaux, professeur de droit public à l'Université Paris II, qui exerce également à l'Université libre de Bruxelles.

M. Philippe LAUVAUX, Professeur de droit public à l'Université Paris II

L'élu ne peut certainement pas tout faire et il ne doit pas tout faire. Or, c'est l'un des problèmes que pose cette tradition culturelle qui a ses lettres de noblesse, tradition culturelle politique propre à la France, même si elle existe dans quelques autres pays comme le Portugal, mais qui distingue la France de l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou l'Italie : le cumul des mandats parlementaires nationaux avec les mandats locaux.

Si nous avons tous des souvenirs d'images paternelles de sénateur ou député-maire, cette époque est bien révolue et le problème actuel n'est pas seulement un problème de temps que les élus peuvent consacrer à leur fonction, mais également un problème de compatibilité institutionnelle, lié à l'éventualité d'une extension de la corruption.

Compatibilité institutionnelle, car, si le rôle principal du Parlement, qui est de contrôler l'exécutif, est bien tenu en général en Allemagne et au Royaume-Uni, il ne l'est pas en France pour des raisons au départ constitutionnelles.

Pierre-Henri GERGONNE. - Vos propos signifient-t-ils que nos parlementaires, les sénateurs et députés rédigent mal les lois ?

Philippe LAUVAUX. - Je ne parle pas de la fonction législative, mais de la fonction de contrôle, qui avait été sérieusement rabotée par les dispositions constitutionnelles du titre V de la Constitution de 1958. Depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995, on a rendu aux parlementaires et spécialement à l'Assemblée Nationale des moyens de contrôle, que facilite la session unique (dont j'ai vu qu'un auteur était contre, car cela allait contre le principe du cumul des mandats, comme si c'était la fin en soi, et qu'il fallait tout adapter à cela) ; or, le cumul des mandats qui n'est qu'autorisé, permis du fait du silence de la loi, mais maintenant plafonné du fait des dispositions de la loi de 1985, met les parlementaires dans l'impossibilité matérielle, faute de temps disponible, d'exercer leur mission principale : le contrôle de l'exécutif. L'affaire de la directive Bolkenstein est un bon exemple de cette carence.

De plus, le cumul des mandats vient poser des problèmes en termes de corruption virtuelle. En effet, depuis les lois Defferre de 1982, cela place les élus locaux en même temps parlementaires en face d'inévitables conflits d'intérêt. Or, relevait Yves Mény, c'est une des nécessités prudentielles sinon législatives les plus absolues dans un Etat de droit moderne que d'éviter de placer les parlementaires, élus locaux en même temps, dans une situation de tentation ; c'est le moyen le plus sûr d'éviter l'extension du phénomène de corruption, dont nous avons eu quelques exemples criants il y a une dizaine d'années dans plusieurs grandes et moyennes villes françaises.

Pour éviter ce phénomène, l'interdiction du cumul des mandats me paraît la solution. Il faut l'interdire, sinon le cumul des mandats devient obligatoire, comme Michel Debré l'avait déjà remarqué en 1955. C'est une obligation politique, mais une obligation qui fait que, par rapport aux régimes précédents, depuis la V ème République, on est arrivé à ce que seulement 10 % des députés et 15 % des sénateurs n'aient pas un mandat local.

Il faut au moins instituer une interdiction du cumul des mandats parlementaires avec les mandats de direction d'un exécutif local, ceci valant non seulement pour les parlementaires nationaux, mais en premier lieu pour les membres du gouvernement. Dans le projet de loi organique de M. Jospin de 1998, l'interdiction était prévue pour les parlementaires, mais pas pour les membres du Gouvernement, ce que le rapport Larché avait bien mis en évidence : le premier danger vient d'abord des membres du Gouvernement et, ensuite, des parlementaires.

Pierre-Henri GERGONNE. - Pour vous, c'est un mandat et un seul ?

M. Philippe LAUVAUX. - En tout cas en ce qui concerne les membres de l'Assemblée nationale. Pour le Sénat, on peut discuter, car il existe une spécificité qui s'appuie sur l'article 24 de la Constitution.

Je pense que l'interdiction devrait valoir également pour le Sénat concernant la direction d'un exécutif local important, donc un conseil régional ou général ou pour une ville de plus de 30 000 habitants.

Pierre-Henri GERGONNE. - Valérie Létard, quelle est votre pensée profonde sur ce très délicat problème ?

Mme Valérie LÉTARD. - Je suis très sensible à la réalité de terrain et je ne conçois pas mon engagement politique sans une prise directe avec le terrain. Par conséquent, si je n'étais que sénatrice, je me sentirais très vite déconnectée de la réalité.

Je suis contre le cumul de multiples mandats, mais je suis convaincue qu'un bon parlementaire doit avoir un mandat territorial, tel qu'élu local, conseiller général ou régional pour être en lien avec les porteurs de projet, économiques, associatifs ou élus locaux. Vous les rencontrez au quotidien, car ils viennent vous expliquer leurs difficultés. Si vous n'avez pas ce mandat territorial, vous êtes pris dans votre engagement national, vous voyez de moins en moins le terrain et vous vous éloignez de plus en plus, et vous perdez tous vos réseaux de proximité.

Si je n'étais pas élue territoriale, je ne verrais plus de nombreuses personnes.

Aujourd'hui, mon travail parlementaire porte sur le logement et j'ai l'impression de pouvoir le faire efficacement, car je travaille au quotidien avec des gens investis sur le terrain : des associations, des organismes HLM, tous les partenaires élus locaux, départementaux, régionaux, sur les problématiques d'impayés de loyer, de types de logement, les difficultés des élus pour atteindre le quota des 20 % de logements sociaux, etc. Si vous n'êtes pas en même temps sur le territoire, vous ne pouvez pas, au quotidien, rapporter au niveau national une réalité concrète et vous creusez le fossé entre la réalité et ce qui sort de l'hémicycle.

Maintenant, si l'on est élu local et président d'une très grosse intercommunalité ou d'une communauté urbaine de la taille d'une institution territoriale, départementale ou régionale, cela commence à représenter beaucoup de responsabilités, mais, entre tout et rien, il faut peut-être trouver un juste équilibre sur lequel il faut réfléchir.

Pierre-Henri GERGONNE. - Certainement des questions ou des réactions sur le cumul des mandats ?

M. Dominique REYNIÉ. - Le problème du cumul des mandats est lié à l'absence de statut de l'élu; c'est un serpent de mer et en l'état actuel des choses, les élus sont amenés à cumuler, assez rationnellement.

Ce matin, on disait sur un mode un peu ironique que les élus se plaignent, mais se représentent en fin de mandat ; pour une bonne part d'entre eux, c'est parce qu'il n'y a pas de stratégie de sortie de statut de l'élu, à part pour les membres de la fonction publique ou les retraités, soit les deux catégories les plus représentées dans le monde des élus, ce qui pose un problème démocratique. Il faut donc introduire le statut de l'élu dans cette réflexion.

Pierre-Henri GERGONNE. - Philippe Lauvaux, partagez-vous ce sentiment ?

M. Philippe LAUVAUX. - Bien sûr. D'ailleurs, je faisais remarquer que le silence des textes fait que le cumul des mandats est politiquement obligatoire. Il faut donc commencer par un statut de l'élu.

Quant au lien avec le terrain évoqué précédemment, nous sommes bien d'accord, mais avez-vous le sentiment que le député anglais est coupé du terrain ?

Mme Valérie LÉTARD. - Nous n'avons peut-être pas la même organisation.

M. Philippe LAUVAUX. - Il peut exister une solution moyenne : que cela se fasse successivement dans le temps, comme en Allemagne où l'on commence par être un élu local et on est ensuite un élu au Bundestag, mais on ne cumule pas les fonctions.

Pierre-Henri GERGONNE. - N'y a-t-il pas un problème de lisibilité du travail de l'élu ? Parfois, le citoyen ne sait plus qui parle : le président de l'agglomération, le maire ou le président du Conseil général.

M. Dominique RÉYNIE. - Je pense qu'il ne s'est jamais retrouvé dans tout cela, mais il retient aujourd'hui qu'il y a des élus de proximité pouvant être en même temps des élus nationaux qu'il connaît, reconnaît, auxquels il sait poser des questions et, éventuellement, porter des revendications. Il sait donc à peu près comment cela fonctionne, qui aller voir et que dire, mais il est évident qu'il n'est pas en mesure de savoir qui fait quoi exactement.

Je ne suis pas certain que l'on progresse beaucoup dans cette connaissance à partir du non-cumul qui est une vraie question.

Pour les électeurs, c'est un monde complexe, mais ils surpassent cette complexité d'une manière très ingénieuse par un rapport de proximité avec les élus, des personnes très connues dans les territoires qu'elles représentent et pour lesquels elles agissent tous les jours.

M. Philippe LAUVAUX. - D'un autre côté, l'exception française peut se justifier si la France tient à sa tradition de cumul. Encore faudrait-il que les choses soient claires. Dans son rapport sur le projet de loi Jospin en 1998, dont l'objectif était la clarification des rôles en matière institutionnelle, le sénateur Larché avait fait remarquer que le cumul était bien accepté localement. D'autres études font état de sondages défavorables au cumul.

Un référendum a eu lieu récemment et s'il me paraît bien qu'il puisse y avoir un référendum dépassionné donnant lieu à un débat intéressant, il consisterait à savoir si les Français souhaitent voir poursuivre le cumul des mandats ou pas.

Mme Valérie LÉTARD. - Avant, il faudrait procéder à une très forte information sur les différents niveaux institutionnels vers l'ensemble de la population avant de lui demander de trancher. Combien de Français connaissent précisément ce qu'est une intercommunalité, une communauté de communes, une communauté agglomération, une communauté urbaine, une région, un département et pourquoi il y aurait intérêt ou pas à ne pas cumuler de mandats.

Cela représente un énorme travail qui commence par l'école.

M. Dominique REYNIE. - Le président Giscard d'Estaing disait : "Le référendum est une bonne idée à condition que la réponse soit oui !"

Pierre-Henri GERGONNE. - Madame Errard, Monsieur Lapie, cela vous gêne-t-il que les élus puissent être représentés au Parlement, au département ou à la région ?

Mme Sylvie ERRARD. - Pour nous, il existe un intérêt à avoir un mandat local de proximité, en raison des dimensions trop importantes en termes de responsabilité.

Il est également important pour nous d'avoir des représentants locaux au niveau national, car nous avons comme partenaire le ministère, et ces échelons permettent à l'information de bien circuler de manière ascendante.

Nous nous posons quand même la question, dans la mesure où les députés et les sénateurs votent des textes de loi sur le fait que l'animation rurale est dotée d'un budget de tant et que les associations sont financées sur leurs projets. Lorsque nos élus reviennent sur le terrain, ils indiquent qu'ils ont bien défendu le texte, mais nous ne voyons jamais l'argent.

M. Gérard LAPIE. - Un mot sur la démocratie locale : le problème récent du référendum a été évoqué. Il est clair aujourd'hui que les élus au Parlement européen ont besoin d'une attache locale. Si l'on veut véritablement que l'idée européenne progresse, il faut éviter une trop forte séparation entre les uns et les autres. Nous avons besoin de cohérence entre les uns et les autres et de cette nécessaire adaptation au niveau du terrain des élus.

Si nos concitoyens sont trop distants de la notion européenne, cela m'interroge. Il y a donc cette notion permanente du lien entre une responsabilité qui peut être locale et, que nous le voulions ou non, le fait que nous sommes dans l'Europe et, en plus, dans la mondialisation. Comment arriver à harmoniser cela pour faire en sorte que l'élu soit en capacité d'expliquer les évolutions dans lesquelles nous sommes aujourd'hui et soit véritablement animateur de démocratie locale ?

Je poserais plus la question en termes de réflexion prospective : dans l'évolution et la mutation dans lesquelles nous sommes, comment l'élu peut-il être moteur de cette réflexion et de cette animation sur la démocratie locale qui, pour moi, est fondamentale ?

Aujourd'hui, nous souffrons beaucoup plus d'un déficit d'animation de démocratie locale.

Je n'ai pas de responsabilités dans le domaine politique, j'ai été dans le domaine économique, des collectivités, mais je crois que nous avons besoin de cette cohérence entre les uns et les autres pour permettre une évolution dans une société en pleine mutation, à un moment où l'on demande à l'élu d'être un animateur de démocratie locale, ce qui est fondamental. Donc, il ne faut pas être complètement déconnecté de tout ce qui se passe autour de nous.

Cela mérite une vraie réflexion.

Mme Johanne VILLEGAS. - Je suis citoyenne lambda, mais pas complètement déconnectée des questions de décentralisation, etc.

Poser la question juridique du rôle d'animation par l'élu local du territoire uniquement ciblé sur la question des mandats et de façon très verticale est un peu limité. Le cumul des mandats se fait également au niveau du territoire, avec un cumul de responsabilités des élus locaux dans un certain nombre de services, etc.

Faisons attention à ne pas penser la question de l'animation de la démocratie locale que verticalement d'un point de vue juridique.

On dit que le citoyen lambda n'est pas au courant : il est vrai qu'il manque d'information et c'est le rôle d'un certain nombre d'élus, des collectivités locales, de l'Etat, des associations et les citoyens doivent également s'informer.

J'ai l'impression, à travers les interventions, que l'on va aller expliquer aux citoyens ; que ce soit des acteurs habitants au sens personnes physiques à titre personnel et collectivement de manière organisée sous forme associative, syndicale, etc., il ne faut pas les négliger.

Je trouve que cette question de l'animation au sens horizontal où l'élu peut être au centre de l'animation manque au débat. Il est élu, donc il a une représentation démocratique, mais il y a également des délégations de responsabilité, des partenariats ou des projets communs à mettre en place, ce qui sera d'autant plus facile pour l'élu local s'il fait un peu confiance aux citoyens lambda et aux acteurs organisés localement.

M. Gérard LAPIE. - Il n'y a pas d'ambiguïté : si l'on veut véritablement qu'il y ait une animation du territoire, il faut que l'élu soit l'animateur de l'ensemble des activités, qu'elles soient économiques ou associatives. Il doit donc également donner la responsabilité au monde associatif et au monde économique. Si nos concitoyens ne se sentent pas acteurs de ces développements locaux, il y aura un déphasage entre les uns et les autres.

Que nous soyons élus d'association, de collectivité territoriale ou élus économiques, notre rôle est de faire en sorte que nos concitoyens soient acteurs du développement.

Le monde consulaire doit travailler en commun pour que cette prise de conscience se produise.

Un certain nombre de structures existent et il ne faut pas que l'élu s'asseye dessus et soit omniprésent, car il n'y aura pas cette prise en compte de l'ensemble de nos concitoyens d'avoir un rôle à jouer dans cette construction dans laquelle nous sommes.

M. Roland VATRY. - Mairie d'Argenteuil

Je posais la question sur la taille des territoires que représente l'élu. Des maires sont d'office à la tête d'une ville de trois cantons ou d'une circonscription.

Je m'interroge, à propos des maires de très grandes villes, sur la nécessité de cumul des mandats concernant leur propre personne. On a l'impression depuis ce matin que l'élu de plus petite échelle, le maire, travaille seul et qu'il n'y a pas d'équipe locale autour celui. Or, pourquoi parle-t-on de cumul des mandats ? On ne pense qu'au maire, alors qu'il a été élu à la tête d'une équipe. Le cumul des mandats se résoudrait plus facilement s'il y avait de sa part une délégation de ses fonctions pour un mandat législatif ou autre plus important et indépendant de la mairie, en confiant cela à un adjoint qui sera à même de représenter la ville dans un autre mandat.

Pierre-Henri GERGONNE. - Les situations sont très hétérogènes.

M. Pierre CORNELOUP. - Je souhaiterais revenir sur le problème de l'éloignement entre l'Europe et les citoyens.

Je siège au Congrès des pouvoir locaux du Conseil de l'Europe, cette institution fonctionnant avec trois dimensions : le Conseil de l'Europe, le Conseil des Ministres et le Parlement. En 1992, le Conseil de l'Europe s'est aperçu que l'on était très loin des problèmes locaux et a voulu créer au sein de son institution le Congrès des pouvoirs locaux constitué d'élus locaux.

Nous travaillons sur des cas ponctuels au niveau le plus bas : la violence à l'école, dans les stades, l'autonomie locale, la démocratie locale, les cultes, l'intolérance, des problèmes de société.

Le Conseil de l'Europe a voulu, depuis 1992, avoir des élus de terrain, car il s'est aperçu que c'était indispensable et nécessaire.

Lorsque l'on veut travailler même à un échelon national, on a besoin de l'expérience des élus locaux.

Pierre-Henri GERGONNE. - La démocratie locale, telle qu'elle se construit et se pratique en France, est-elle un exemple pour d'autres pays européens ?

M. Pierre CORNELOUP. - Le Conseil de l'Europe aide les pays émergents arrivés chez nous, et depuis la chute du mur de Berlin, à avoir une autonomie et une démocratie locale.

Nous aidons à la préparation des élections dans ces pays, nous surveillons le déroulement et nous faisons de la formation. L'exemple à la limite de l'Europe de l'ouest pourrait être appliqué à la grande Europe pour une raison essentielle : travailler sur le respect des droits de l'Homme, des citoyens. Le Conseil de l'Europe est une institution de réflexion qui, ensuite, envoie des directives, des recommandations aux gouvernements pour essayer de les retenir, de les appliquer. Nous avons besoin des élus locaux pour faire passer nos messages.

M. Pierre-Henri GERGONNE. - Valérie Létard , on voit de plus en plus sur les écrans Internet des blogs, des forums de discussion, y compris très locaux.

L'émergence d'Internet, de ces forums, de cette parole libérée, parfois très critique, fait-elle partie de cette avancée de la démocratie de proximité, du dialogue nécessaire et fécond entre les élus et les citoyens ?

M. Valérie LÉTARD. - Il faudra une nécessaire adaptation du monde des collectivités et de la politique à ce nouveau moyen d'échanges et de communication avec la population. C'est l'évolution de notre société et de sa façon d'entrer en contact avec les autres.

Bien sûr, les collectivités doivent s'emparer de cela le plus rapidement et le plus efficacement possible et, peut-être, au niveau national, réfléchir à la façon dont nous devons l'organiser. Ce sont des moyens de communication qui évoluent très vite, que l'on ne maîtrise pas bien et sur lesquels il faut se pencher.

Je suis incapable de vous indiquer la bonne solution, mais il est certain que les jeunes communiquent majoritairement et pratiquement essentiellement via Internet et nous ne pouvons pas ignorer ce fait si nous voulons vraiment entrer en contact avec la population de tous âges.

C'est un vrai chantier en matière de démocratie qu'il faut absolument creuser et développer.

Un mot par rapport au Conseil de l'Europe et les élus locaux : il n'en reste pas moins que, à côté, il y a des parlementaires européens qui peuvent s'éloigner de cette réalité locale ; dans le cadre du processus de co-décision, ils peuvent être amenés à voter sans avoir connaissance de votre réalité territoriale. Il faudrait trouver un moyen pour que les parlementaires européens restent en contact avec le terrain. Il est essentiel que le plus haut niveau, l'Europe, puisse bénéficier de la réflexion en amont, mais, au moment du vote, le parlementaire européen doit aussi toujours être bien en phase avec sa réalité territoriale et la réalité européenne.

M. Patrick BERNARD. - Je propose de faire une distinction entre le compliqué et le complexe.

Le compliqué n'est pas tellement évitable, c'est la technicité de nos missions. Il existe de nombreuses règles très précises et détaillées, car il y a beaucoup de problèmes pour lesquels nous cherchons des solutions. En revanche, il ne faut pas que les réglementations rajoutent une couche de complexité, alors que l'on parle de simplification administrative.

Comment faire face techniquement à ces réponses ?

Les élus à la tête d'institutions importantes peuvent s'appuyer sur des techniciens en ingénierie ; a contrario , dans les petites collectivités, il n'y a pas une transparence, une mutualisation, une organisation afin de faire circuler la connaissance pour savoir qui fait quoi.

C'est le paradoxe de la question du statut de l'élu : on pourrait penser que l'on professionnalise les élus, alors que c'est tout le contraire. Aujourd'hui, les élus sont amenés à cumuler des mandats, car il n'existe pas de stratégie de sortie, donc sociologiquement, ils sont amenés à sécuriser leur parcours en ayant toujours des portes de sortie, car il n'y a pas de statut de l'élu. A contrario , le statut de l'élu permet que ce soit des mandats qui tournent, que les personnes ne se sentent pas obligées de se représenter.

La complexité vient du fait que nous vivons dans un monde d'incertitude, que l'avenir n'est pas complètement prévisible, qu'il y a des interdépendances très fortes entre les acteurs, les thématiques, ce qui n'est pas évitable.

Une des solutions pour y faire face est cette démocratie locale : comment faire vivre toutes les paroles d'expert, tout le monde ayant une parole d'expertise, y compris un citoyen ou un habitant ? S'il y a une professionnalisation des élus à mettre en place, la question n'est pas qu'ils soient des techniciens et puissent prendre une décision sur un dossier, mais qu'ils soient des professionnels de l'animation de la démocratie locale, plus outillés, afin d'animer ce débat d'experts, de toutes les parties prenantes ; grâce aux méthodologies, on peut faire participer davantage de personnes à une discussion vivante et pas simplement en organisant des grand-messes où seulement certaines personnes peuvent prendre la parole.

(Applaudissements...)

Pierre-Henri GERGONNE. - En tant que maire d'une petite commune, le fait d'être en même temps chef d'entreprise vous amène-t-il à avoir plus de facilité pour gérer cette complexité, en particulier réglementaire, que vous évoquiez à l'instant ?

M. Patrick BERNARD. - Non. M. Reynié évoquait la culture de la décentralisation que l'on n'avait pas en France. J'ai fait Sciences Po et, à cette époque, j'étais découragé par la complexité de l'Etat et je ne voulais pas rentrer dans cette institution déresponsabilisante ; je n'avais absolument pas imaginé les collectivités territoriales, car nous n'avons pas cette culture, alors que c'est un terrain d'expérimentation très intéressant.

Je me suis trouvé démuni en tant que maire, malgré mon apparente qualification, pour faire face à de nombreuses réglementations, prescriptions très impressionnantes. Il est passionnant de pouvoir contribuer à l'évolution de la collectivité, mais il n'existe pas de qualification qui prépare à exercer un mandat : c'est spécifique pour des raisons d'animation et, sur le plan technique, c'est très lourd. Il est important de mettre en place des relais, avec une certaine transparence et une accessibilité pour que les élus ne soient pas obligés d'être des techniciens de la politique.

Pierre-Henri GERGONNE. - Merci Monsieur le maire de votre témoignage.

Merci à tous d'avoir participé à cette table ronde.

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