Actes du colloque "Les modèles français et japonais du regroupement intercommunal"



Sénat - 23 février 2006 - Palais du Luxembourg
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Débats animés par M. Bruno Leprat, journaliste.

M. Bruno Leprat - Bonjour à toutes et à tous,

Kon'nichiha, Bonjour, à ceux qui nous rendent visite,

Arigatou, merci à tous d'être là.

Nous sommes ensemble pour l'après-midi et le thème de nos échanges sera le regroupement intercommunal - version française et version japonaise - qu'apprendre de ces deux modèles ?

Une demi-douzaine d'orateurs vont se succéder devant vous, et ils vont nous dire comment fonctionnent ces modèles, quels sont leurs actualités et leurs fondements, et éventuellement leur efficacité.

Après les allocutions d'ouverture de nos deux hôtes représentant le Sénat et le CLAIR, deux tables rondes vont se succéder, et pour chacune, nous vous laisserons le temps de vous adresser directement aux intervenants par le biais de questions.

Je me présente, je suis Bruno Leprat, journaliste institutionnel, et j'animerai cette rencontre. J'appelle pour son discours d'ouverture, au pupitre, M. Philippe Dallier, Sénateur de Seine-Saint-Denis, qui doit également nous faire part du message de M. Jacques Valade, Président du Groupe d'amitié France-Japon, et ensuite, M. Kazuyuki Shikata, Directeur général du Centre japonais des collectivités locales lui succédera.

ALLOCUTIONS D'OUVERTURE

Message de M. Jacques Valade, Ancien Ministre, Sénateur de la Gironde, Président du groupe interparlementaire France-Japon,
Vice-Président de la Communauté urbaine de Bordeaux

(lu par M. Philippe Dallier, Sénateur de Seine-Saint-Denis)

« Monsieur le Directeur, Cher Monsieur Shikata, mes chers collègues, Mesdames, Messieurs,

Ce troisième colloque organisé conjointement, au Palais du Luxembourg, par le Centre japonais des collectivités territoriales et le Sénat témoigne de la solidité des liens qui se sont tissés entre nos deux institutions, au fil des années.

En ma qualité de Président du groupe sénatorial d'amitié franco-japonais, je m'en réjouis, et regrette d'autant plus vivement de ne pouvoir être parmi vous en ce jour. Mais je suis hélas, retenu à Bordeaux par des obligations impératives, qu'il ne m'a pas été possible de remettre.

Permettez-moi néanmoins de vous souhaiter une très chaleureuse bienvenue au Sénat et vous dire combien je suis heureux de voir se pérenniser nos Rencontres annuelles sur des sujets relatifs à la gestion locale et à la mise en oeuvre dans nos deux pays de la décentralisation.

Ces initiatives communes apportent beaucoup au droit comparé et nous permettent de tirer de fructueux enseignements de l'analyse de nos ressemblances, mais aussi des spécificités des systèmes d'organisation territoriale au Japon et en France.

Nous avons en partage plusieurs points communs, à commencer par un État unitaire, pour lequel le concept même de décentralisation n'était pas une évidence.

Jusqu'à une période récente, il faut bien le reconnaître, l'organisation territoriale en France, comme au Japon, a été relativement centralisée. Bien que reflet d'une tradition, ce système n'en a pas moins connu, au cours des dernières années, des réformes fortes qui ont conduit, par des voies différentes, à accorder aux collectivités territoriales des marges d'autonomie nouvelles. Cela s'est même traduit en France par la reconnaissance constitutionnelle d'une « Organisation décentralisée de la République ». Le but de cette démarche est simple : rapprocher du citoyen la prise de décisions qui le concernent.

Les colloques précédemment organisés sous la double égide du CLAIR et du Sénat ont permis de mettre l'accent sur la modernité dans laquelle sont entrées les collectivités locales japonaises, notamment dans le domaine des nouvelles technologies et de la communication.

Aujourd'hui, vous abordez un sujet, certes plus austère, mais essentiel : celui de la structuration du territoire, aux niveaux communal et intercommunal.

Le Japon a fait le choix des regroupements et des fusions de communes, que vous avez réalisés en trois grandes étapes, dont la première dès la fin du XIXe siècle.

C'est une grande différence entre nous, car en France, vous le savez, des solutions aussi énergiques n'ont pas fait recette. La loi de 1971 sur les fusions de communes a été un échec retentissant et nous avons toujours en France 36 700 communes, soit à peine moins que tous les autres pays de l'Union européenne réunis.

Cependant, la loi du 12 juillet 1999, en fondant la réforme de l'intercommunalité sur les incitations financières et le volontarisme, a débouché sur une réforme de grande ampleur. Le paysage local a été redessiné. Tout en préservant l'échelon de proximité par excellence qu'est la commune, les compétences considérées comme d'intérêt communautaire ont été transférées au niveau intercommunal. La gestion locale devrait y gagner en rationalité et en lisibilité.

Le colloque de ce jour vous amènera à vous interroger sur les aspects financiers de cette réforme et sur la pertinence de la nouvelle organisation, à comparer avec votre nouvelle étape de regroupement communal.

De la comparaison et de la mutualisation de nos expériences sortira, je n'en doute pas, une vision enrichie du sujet. Les leçons qui se dégageront de vos travaux pourront inspirer les améliorations futures qu'il apparaît nécessaire d'apporter dans l'avenir à nos institutions locales. Nous vous assurons de notre plus grande attention et de notre très grand intérêt pour ces travaux comparatifs.

Les Sénateurs sauront s'en souvenir dans leur rôle de législateur.

Je vous souhaite une réunion fructueuse dans cet esprit de mutuelle compréhension et de convivialité qui a toujours marqué nos réunions et nos échanges. » (Fin du message).

M. Philippe Dallier, Sénateur de Seine-Saint-Denis - Maire de Pavillons-sous-Bois,
chargé d'une étude sur l'intercommunalité par l'Observatoire sénatorial de la décentralisation

Après la lecture de ce message de M. Valade, on m'a également demandé de parler de l'intercommunalité en tant que membre de l'Observatoire de la décentralisation que le Sénat a institué il y a plus d'une année maintenant. Cet Observatoire s'est saisi du sujet de l'intercommunalité et j'ai été chargé de la rédaction d'un rapport en cours d'élaboration actuellement. C'est donc à titre personnel que j'interviendrai aujourd'hui.

L'intercommunalité à fiscalité propre issue de la loi de 1999 s'est vue fixer par ses instigateurs un but essentiel : celui de l'aménagement du territoire en vue du développement économique. On peut se réjouir aujourd'hui que ceux qui ont fait le choix pratique de cette intercommunalité n'aient pas considéré que ce but se suffise en lui-même. En effet, deux autres ambitions tout à fait légitimes devaient animer l'essor intercommunal.

Tout d'abord, le principe traditionnel du regroupement de communes reste celui de faire ensemble mieux (il me semble que c'est une bonne définition) et à moindre coût pour le contribuable ce que chaque commune ne peut faire seule (ou quand elle le fait, elle le fait moins bien ou à un coût plus élevé). C'est la grande tradition française de l'intercommunalité née dans les débuts de la IIIe République avec les syndicats de communes.

L'autre ambition de l'intercommunalité, moins avouée et pourtant tout aussi noble, consiste à utiliser l'intercommunalité comme un remède à l'émiettement communal (36 700 communes !). L'intercommunalité doit et peut servir de correcteur de la carte communale puisque depuis l'échec des fusions forcées en 1971, il faut pallier à cet émiettement tout en conservant aux communes certaines prérogatives.

Pour ma part, je souhaite évoquer l'intercommunalité « à la française » par les deux aspects qui me semblent les plus importants : l'amélioration de l'organisation territoriale et l'efficacité de la dépense publique, mais pour ce deuxième aspect, je laisserai à mon collègue M. Joël Bourdin, le soin de l'aborder plus tard.

La multiplication des niveaux d'administration me semble un véritable problème. La nouvelle intercommunalité à fiscalité propre dite de projet s'est fortement développée après la loi de 1999, mais à ce stade, elle n'a fait qu'ajouter une strate d'administration supplémentaire. Ainsi, l'on peut dire que la France compte plusieurs niveaux d'administration : communal, intercommunal, départemental, régional et central. A ces niveaux, se superpose le niveau européen dont découlent maintenant en très grande partie les normes contraignantes nouvelles mises en oeuvre par tous les niveaux intermédiaires. L'intercommunalité devait apporter un ordre meilleur en se chargeant des compétences communales (et parfois départementales depuis 2004) devenues trop lourdes pour les communes isolées. Or, à ce jour, l'intercommunalité n'a pas apporté, à mon sens, une simplification de notre organisation territoriale. Les EPCI aspirent à devenir des collectivités territoriales à part entière, ce qu'elles ne sont pas, sans prendre en considération que cette aspiration devrait impliquer la disparition d'un autre échelon de l'administration.

Un autre thème important : la redistribution efficace des compétences. L'intercommunalité nouvelle a offert l'occasion de redistribuer les compétences en les affectant à l'échelon le mieux à même de les exercer. Cependant, la recherche du meilleur niveau d'administration, et partant la recherche du périmètre d'action pertinent, n'a pas été la préoccupation première des acteurs de l'intercommunalité (élus locaux et préfets). Je vous rappelle que les préfets ont un très grand rôle à jouer dans cette intercommunalité, parce qu'ils peuvent aussi bien imposer que s'opposer à la mise en place d'un EPCI. La constitution des nouveaux EPCI s'est faite assez souvent dans le but de bénéficier d'abord des fortes incitations financières prévues par la loi de 1999. C'est tout à fait flagrant : avant cette date très peu d'intercommunalités s'étaient mises en place ; après cette date, il y a eu un essor considérable. Il en résulte que l'espace urbain (plus encore que l'espace rural) n'a pas été véritablement structuré ; c'est pourquoi on remarque souvent que plusieurs EPCI se partagent une aire urbaine là où un seul EPCI suffirait.

Concernant la pertinence du périmètre retenu, d'une manière générale, les EPCI sont de taille insuffisante et, ainsi que le pense le Ministre chargé des collectivités territoriales, il va falloir procéder à des fusions, car le périmètre pertinent est bien celui dans lequel l'EPCI créé peut exercer efficacement les compétences qui lui ont été transférées. Le territoire choisi doit permettre une gestion viable du point de vue économique, c'est-à-dire que le territoire doit être de taille suffisante de manière à rentabiliser les investissements publics qui ont été faits. Si le périmètre est pertinent, l'intérêt communautaire est plus facile à définir. L'intérêt communautaire, c'est la notion qui permet de tracer au sein d'une même compétence la frontière entre ce qui relève de la responsabilité de l'EPCI et ce qui reste à la charge des communes membres. Inutile de vous rappeler que nous avons une réelle difficulté avec la notion d'intérêt communautaire, à tel point que nous avons dû retarder les délais pour permettre à certains EPCI de définir ce qu'ils considéraient comme l'intérêt communautaire.

Alors, devant cette situation, on est forcément tenté de considérer que l'intercommunalité est encore à un stade expérimental et qu'elle révèle surtout qu'il y a un échelon de trop dans notre organisation territoriale.

La pression exercée sur les EPCI à fiscalité propre afin que ceux-ci fixent dans leurs statuts une définition précise de l'intérêt communautaire montre que les transferts de compétences tels qu'ils ont été pratiqués jusqu'à présent n'ont pas apporté la stabilité juridique nécessaire à une répartition harmonieuse des tâches entre les communes membres et l'EPCI. De même, la faculté offerte par la loi du 13 août 2004 de transférer des compétences du département à l'EPCI par convention montre que de ce côté aussi la frontière ne saurait être parfaitement fixée. On remarque ainsi que l'EPCI à fiscalité propre -et plus particulièrement la communauté d'agglomération et la communauté urbaine- cherche sa place entre la commune (et surtout la commune centre) et le département, et souvent au détriment des deux.

C'est un phénomène qui annonce la mise en oeuvre d'une dynamique supra-communale et pourrait déboucher sur la constitution d'une nouvelle catégorie de collectivité territoriale. Les structures intercommunales les plus importantes cessent d'être perçues aujourd'hui comme issues de la réunion des volontés des communes membres pour assumer ensemble des compétences ; elles deviennent l'expression d'un lieu de pouvoir représentant l'intérêt de la population du territoire concerné, intermédiaire entre la commune centre et le département (ce qui n'est pas le cas en Ile-de-France où les communautés n'ont généralement pas de commune centre...). Cependant, cette situation ne se développe pas sans tension ou pour parler plus clairement, la ville centre ne reste pas indifférente devant ce phénomène. L'EPCI est soumis aux conséquences néfastes du clivage ville centre/villes périphériques, tandis que les intercommunalités rurales qui regroupent des communes plus semblables les unes aux autres, semblent moins concernées par ce handicap propre à l'intercommunalité de projet.

Il convient à ce propos de ne pas passer sous silence que le développement de l'intercommunalité à fiscalité propre ne se fait pas sans difficulté. Localement, outre les intérêts particuliers des communes, des EPCI existants et du département, les nouveaux EPCI sont naturellement confrontés à un environnement politique dont ils peuvent pâtir. En effet, l'intercommunalité n'est pas un simple outil technique de gestion rationalisée, elle doit aussi composer avec les autres lieux de pouvoir existants. Il s'ensuit parfois une émulation voire même une concurrence qui rend la vie quotidienne difficile.

Enfin, on reproche aux délégués intercommunaux d'être nommés et non pas élus au suffrage universel direct, mais ce mode d'élection précipiterait la transformation de l'EPCI en collectivité territoriale avant même que la carte intercommunale ait été achevée et figerait notre organisation territoriale.

On peut donc conclure que l'intercommunalité a créé un niveau d'administration locale là où on pensait d'abord qu'une simple coordination de l'existant pouvait suffire. Cette situation devrait mettre en marche une nécessaire mutation de notre administration territoriale.

A propos des collectivités territoriales, et pour conclure, je crois qu'il pourrait maintenant se dégager un consensus autour de l'idée qu'il est nécessaire de réduire leur nombre. Certains pensent même que deux niveaux d'administration locale suffiraient : l'intercommunalité ou la commune en fonction de la taille de celle-ci et la région. C'est un objectif souhaitable mais difficile à atteindre rapidement. Cependant, il faut saisir l'opportunité du développement intercommunal et de l'instabilité qu'il provoque pour mettre en branle le processus qui aboutira à la simplification de notre organisation territoriale.

Voilà les quelques mots que je voulais vous transmettre aujourd'hui.

M. Kazuyuki Shikata, Directeur général du Centre japonais des collectivités locales (CLAIR Paris)

Mesdames, Messieurs,

Je m'appelle Kazuyuki Shikata, Directeur général du Centre japonais des collectivités locales. Je suis très heureux d'accueillir de nombreuses personnes pour ce colloque franco-japonais. Je suis par ailleurs très honoré que le Centre japonais des collectivités locales organise cette manifestation avec le Sénat. En effet, le précédent colloque organisé par le Sénat et le Centre japonais des collectivités locales a eu lieu en février 2002 sur le thème des collectivités locales et des nouvelles technologies. Une visioconférence a été organisée dans le cadre du colloque qui a connu un grand succès. Aujourd'hui, c'est le troisième colloque franco-japonais que le Centre japonais des collectivités locales organise avec le Sénat. Je tiens à exprimer mes sincères remerciements à Monsieur Alain Delcamp, Secrétaire Général de la Présidence du Sénat, à Madame Marie-José Tulard, Directeur du Service des Collectivités territoriales du Sénat et à leurs collaborateurs.

Je voudrais vous présenter la situation actuelle au Japon. Comme vous le savez, le Japon a perdu la Seconde Guerre mondiale. Le pays était alors complètement anéanti, mais les Japonais assidus au travail ont accordé une grande importance à l'éducation, et ont multiplié leurs efforts pour reconstruire le pays. Le Japon a réussi à réaliser une croissance économique qui a surpris le monde entier. Son PIB est le deuxième du monde après celui des États-Unis. Cependant, depuis 1990, c'est-à-dire depuis quinze ans, l'économie japonaise continue de stagner. Pour surmonter cette stagnation, le Japon s'est attaqué activement à des réformes. Il a confié par exemple au secteur privé des tâches qui étaient accomplies jusqu'à présent par le secteur public, mais qui pouvaient l'être plus efficacement par le secteur privé. Ainsi, les fonctions du gouvernement central pouvant être assumées par les collectivités locales ont été transférées à ces dernières. Au moment des élections législatives de l'été 2005, le parti libéral démocrate de Koizumi qui défendait les réformes et qui avait pris pour cheval de bataille la privatisation postale a remporté une victoire écrasante et occupe les deux tiers des sièges à la Chambre des députés. La privatisation postale symbolise les réformes. Actuellement au Japon, les réformes avancent à grands pas dans divers domaines. Grâce à cela l'économie japonaise se rétablit et retrouve la voie de la croissance. Le soleil du pays du soleil levant recommence à se lever de nouveau.

En ce qui concerne les réformes qui touchent les collectivités territoriales, il y a une réforme que l'on appelle « la réforme tripartite », qui touche à la fois aux subventions, aux dotations et à la fiscalité. Par exemple dans cette réforme, les subventions de l'État vers les collectivités locales ont été réduites de 4 000 milliards de yens (186 milliards d'euros) et il a été décidé qu'il y aurait un transfert de 3 000 milliards de yens (214 milliards d'euros) des impôts sur le revenu aux collectivités locales au titre de la taxe de résident avant fin mars 2007. Ensuite, pour ce qui est de la fusion des communes, le nombre des communes qui était de 3 232 en mars 1999, est passé à 1 821 en mars 2006, soit une réduction de 43 % du nombre des communes en sept ans. Parallèlement, le nombre des conseillers municipaux a baissé de 18 000. L'état actuel de la fusion des communes au Japon apparaît sur l'écran. Nous vous invitons également à vous reporter à la carte du Japon incluse dans le dossier (voir annexe 3). Ainsi, de grandes réformes sont en cours même à l'échelle des collectivités locales. Pendant les quinze années de stagnation économique du Japon, sont apparus dans le même temps en Asie des pays enregistrant une grande croissance économique. Cependant, si on compare leur revenu par habitant, il représente moins du dixième du revenu par habitant au Japon. La différence entre le Japon et ces pays, c'est que le Japon est un pays démocratique qui accorde une grande importance aux droits de l'homme. C'est aussi un pays où l'autonomie locale, réputée pour être l'école de la démocratie, est développée. Sur ce point, je pense que le Japon et la France sont parfaitement identiques. Le Japon, pays du soleil levant qui se trouve à l'est du continent eurasien et le beau pays qu'est la France qui se trouve à l'ouest de ce même continent, ont une culture et des traditions différentes mais leur organisation politique, économique et sociale se ressemble beaucoup. Ils sont par ailleurs confrontés à des enjeux politiques, économiques, et sociaux similaires.

Nos deux pays ont par conséquent beaucoup à apprendre l'un de l'autre. Le regroupement intercommunal qui est le sujet du présent colloque se décline selon deux modèles différents : les fusions de communes au Japon et la coopération intercommunale en France. Cependant, leurs objectifs sont tout à fait identiques : le renforcement des moyens des collectivités locales considéré comme la base de la réforme de la décentralisation en cours dans les deux pays, et l'amélioration des services rendus aux citoyens.

J'espère de tout coeur qu'il y aura au cours de la présente manifestation, un échange actif de points de vue, que nous pourrons nous inspirer mutuellement des points positifs de chacun, et que nous pourrons approfondir la connaissance que nos pays ont l'un de l'autre. Je souhaite que ce colloque soit également l'occasion pour les collectivités locales françaises et japonaises d'approfondir plus encore leurs échanges.

Les intervenants japonais, compte tenu de l'éloignement géographique du Japon par rapport à la France, ne sont qu'au nombre de deux. Je vais vous les présenter, mais auparavant, je voudrais rappeler qu'à la différence du système français qui est à trois niveaux, le système d'administration locale japonaise est à deux niveaux : départements et communes. Le Gouverneur de département et le Maire sont élus au suffrage direct comme le Président de la République française.

L'un des intervenants, M. Tsuchino, Maire de Takayama, a ainsi été élu au suffrage direct de la population. La superficie totale de la ville de Takayama est de 2 200 km2 depuis la fusion, ce qui fait de cette commune une ville presque aussi vaste que le département des Yvelines. C'est désormais la plus grande ville du Japon.

Quant à M. Shinohara, il était jusqu'à l'an passé secrétaire de M. Aso, ancien Ministre des Affaires intérieures et des communications, compétent en matière de fusion de communes. Monsieur Aso est aujourd'hui Ministre des Affaires étrangères. Il est considéré comme l'un des futurs candidats au poste de Premier Ministre. M. Shinohara avait donc le même champ de vision que le Ministre sur l'évolution de la politique intérieure japonaise qu'il suivait nuit et jour. Nous avons par conséquent deux intervenants très importants. Je vous invite maintenant à écouter les interventions en espérant que ces débats qui suivront contribueront utilement au développement des collectivités territoriales françaises et japonaises. Je vous remercie.

M. Bruno Leprat - Merci M. Shikata. Vous retrouvez votre place au premier rang également. Et pour notre table ronde j'appelle d'abord au pupitre M. Michel Verpeaux, professeur de droit public à l'université de Paris I. Il est par ailleurs membre du comité d'experts de l'Observatoire de la décentralisation et à mes côtés Messieurs Toshihiro Shinohara, Directeur de la planification des politiques auprès du secrétariat du Ministre des Affaires intérieures, M. Mamoru Tsuchino, Maire de Takayama, et pour la touche française de cette tribune M. Marc Censi, Président de l'Assemblée des Communautés de France (ADCF) et également de la Communauté d'agglomérations du Grand Rodez.

Le thème de cette table ronde est « le regroupement intercommunal au Japon, en France, état des lieux et historique ». Comment chaque pays en est arrivé à promouvoir cette forme de simplification institutionnelle ? Michel Verpeaux, vous êtes universitaire, vous êtes actuellement en poste à Paris, vous avez démarré à Besançon, puis vous êtes allé à Dijon. C'était il y a un certain temps, semble-t-il. Est-ce que vous voulez nous parler du modèle français, étroitement fondé, d'après ce que vous allez nous dire, sur le volontarisme ? On se souvient de ce que disait tout à l'heure le Sénateur Dallier sur cet échec de 1971, cette réforme qui était censée faire fusionner des communes et qui a l'air d'avoir un peu traumatisé l'univers institutionnel français.

TABLE RONDE 1 : DEUX MODÈLES INSTITUTIONNELS
DE REGROUPEMENT INTERCOMMUNAL

I. HISTOIRE ET ÉTAT DES LIEUX DU REGROUPEMENT INTERCOMMUNAL

A. M. MICHEL VERPEAUX, PROFESSEUR DE DROIT PUBLIC À L'UNIVERSITÉ DE PARIS I, MEMBRE DU COMITÉ D'EXPERTS DE L'OBSERVATOIRE SÉNATORIAL DE LA DÉCENTRALISATION : LE MODÈLE FRANÇAIS DE COOPÉRATION INTERCOMMUNALE : UN MOUVEMENT PROGRESSIF FONDÉ SUR LE VOLONTARISME

1°) La fusion et la coopération

Quelques mots dans la suite de ce que vous venez de dire, pour indiquer peut-être, et je m'en excuse auprès du public français, quelques éléments pour nos amis japonais, ne serait-ce que pour indiquer quelques repères chronologiques.

D'abord, indiquer que le nombre et la taille des collectivités territoriales en France a toujours fait l'objet de débats en France, mais je dis bien de collectivités territoriales, c'est-à-dire de communes mais aussi de départements et de régions. La population moyenne d'une commune française est d'environ 1500-1600 habitants à l'heure actuelle. La superficie est également très petite et dans un cas comme dans l'autre, comme cela a été dit par le Sénateur Philippe Dallier tout à l'heure, la France arrive en bas du classement européen.

De la même manière, les départements, qui ont été construits à l'époque révolutionnaire, avec l'idée de pouvoir se rendre au chef-lieu en une journée de cheval, ont été considérés comme trop petits pour répondre aux exigences d'une administration moderne. Et donc, à ces départements trop petits qui sont au nombre de 100, on oppose fréquemment les régions, qui sont nées dans les années 1950 en France, pour permettre des politiques d'aménagement. Mais les régions elles-mêmes n'échappent pas aux critiques et à ce syndrome en quelque sorte de la petite taille, et plusieurs personnalités de droite et de gauche, des hommes politiques, mais pas seulement, envisagent aussi une réduction du nombre des régions pour que celles-ci puissent soutenir la comparaison avec les communautés espagnoles, ou les Länder allemands, même si on ne se situe pas tout à fait sur le même plan.

La solution à ces questions récurrentes en France consiste apparemment à réduire le nombre de communes, de départements ou de régions. Plusieurs pays en Europe ont choisi cette technique, il y a déjà quelques années, quelques décennies maintenant, notamment les pays d'Europe du Nord. C'est le cas de la Belgique, c'est le cas du Danemark, c'était le cas de l'Allemagne Fédérale et c'était le cas de la Grande-Bretagne, et plus spécialement d'ailleurs de l'Angleterre. Ceci s'est passé dans les années 1960 et de manière autoritaire.

On pouvait, en France, adopter une telle solution et opter pour la technique de la suppression, des communes principalement, puisque ce sont surtout elles qui étaient concernées, c'est-à-dire adopter la technique de la fusion. Comme cela a été rappelé tout à l'heure, cette technique avait été envisagée une première fois sous le régime de Vichy, cela n'est peut-être pas totalement anodin, et reprise en 1971 par la loi dite Marcellin, nom du Ministre de l'Intérieur de l'époque. Dans un cas comme dans l'autre, sous Vichy comme en 1971, comme je vous le disais tout à l'heure, l'échec a été patent. La fusion est en effet, mais je crois que je ne vous apprends rien, la suppression patente de communes existantes, et cette suppression est en quelque sorte extrêmement mal vécue.

Comme le droit français est extrêmement compliqué, et qu'il aime bien distinguer, il existe plusieurs formes de fusions : ce qu'on appelle « fusions simples », en réalité cela veut dire que les communes membres disparaissent au profit des collectivités nouvelles, et ce qu'on appelle des « fusions associations » dans lesquelles on maintient un certain semblant de vie municipale dans les communes qu'on laisse plus ou moins subsister de manière un peu artificielle.

La fusion suscite, de manière générale, l'hostilité des Français, et pas seulement des hommes politiques, et non des élus.

Pour aller plus loin, ce sont sans doute les Français qui n'en veulent pas, parce qu'ils sont attachés à leur commune, c'est ce qu'on appelle en français « l'esprit de clocher », qui est excessivement fort. Il existe aussi une autre raison, qui me paraît, à titre personnel, importante, c'est que le tissu communal très dense, qui existe en France, présente un certain nombre d'avantages sur le plan de la démocratie locale. N'oublions pas qu'il y a plus de 550 000 élus locaux qui sont des élus municipaux, c'est-à-dire un Français sur cent, à peu près, qui est un élu local. C'est une réalité importante en termes de démocratie et, pour employer un mot à la mode, de « proximité ». Ce tissu est remarquable quant au maintien d'un minimum de services publics, là aussi de proximité. Je crois que c'est une question qu'il ne faut jamais oublier.

Parmi les difficultés françaises, il y en a une autre, qui est que le législateur n'a jamais voulu, et cela aussi bien sous la Révolution française qu'au XIXe siècle et au XXe siècle, traiter les collectivités locales de même niveau, de manière différenciée. On aurait pu envisager que, au sein des communes, celles-ci soient traitées de manière différente en fonction de la taille, ou qu'on les dote de compétences différentes. Par un système de strates, on pouvait considérer que jusqu'à un certain nombre d'habitants, les communes exerçaient quelques compétences et puis que ces compétences augmentaient en fonction de leur taille. Cette solution, qui je crois existe en Espagne, n'a jamais été envisagée dans le système français, et je l'ai dit en d'autres occasions et je le répète ici, c'est une solution qui me paraît devoir être creusée. Dans un souci hérité de la Révolution française, un souci dit de rationalité, un souci appelons ça « d'esprit cartésien » si on veut, un souci surtout d'uniformité, la France n'a jamais voulu adopter un système en quelque sorte à plusieurs vitesses.

Parmi les solutions qui ont été envisagées, en ce qui concerne les départements et les régions, certains estiment que la question n'est pas celle de la réduction des départements ni des régions, mais celle de l'augmentation de leurs compétences. Lorsqu'on veut soutenir la comparaison avec les pays voisins, on peut considérer que ce n'est pas nécessairement un problème de nombre de régions, par exemple par rapport à l'Espagne, ou à l'Allemagne. Finalement le chiffre n'est pas très différent. On peut aussi prendre l'exemple de l'Italie, mais c'est plutôt la question de la compétence. La fusion ne semble donc pas une solution tellement prisée en France.

L'autre réponse, que la France a trouvée pour répondre à cet émiettement communal, consiste à faire coopérer entre elles les différentes communes pour la gestion d'affaires précisément communes. C'est dans ce sens que le droit français s'est orienté depuis le XIXe siècle et on peut souligner qu'il y a plusieurs formes de coopération. Une forme, que l'on appelle « verticale », qui consiste à faire coopérer entre eux différents niveaux de l'administration, c'est-à-dire les communes avec les départements et accessoirement avec les régions, et avec d'autres institutions, notamment des établissements publics, et avec même des structures comme des Chambres de commerce. Cette piste, qui est explorée par le droit français, existe mais de manière très modérée, et le droit français a beaucoup de mal à envisager des techniques de solution de coopération « verticale». Et il a fallu effectivement que la Constitution intervienne, il y a deux ans et demi, pour que l'on essaye d'aller dans ce sens, mais c'est extrêmement difficile. L'autre solution, c'est la coopération qu'on appelle « horizontale » et, vous l'avez compris, il s'agit de faire coopérer des communes entre elles. C'est cette solution qui est choisie évidemment dans le système français.

A l'heure actuelle, si l'on cherche le droit applicable, on le trouve donc dans le Code général des collectivités territoriales, et il n'est pas inintéressant de constater que tout ce qui traite de la coopération, se trouve dans la cinquième partie de ce Code général des collectivités territoriales. Et j'insiste un peu sur ce point parce que cette cinquième partie est intitulée « coopération locale » et elle envisage a priori toutes les formes de coopération, elle a une vision, en quelque sorte globalisante, de toutes les formes de coopération. Elle ne se limite pas à la coopération intercommunale, même si celle-ci est bien sûr essentielle. Cette cinquième partie consacrée à la coopération locale commence par un énoncé de quelques dispositions générales et le premier article de cette partie, qui porte le numéro un peu compliqué d'article L. 5111-1, nous dit la chose suivante : « les collectivités territoriales peuvent s'associer pour l'exercice de leurs compétences en créant des organismes publics de coopération dans les formes et les conditions qui seront définies ensuite ». Elles peuvent donc s'associer pour l'exercice de leurs compétences en créant des organismes publics. Nous sommes au coeur de la question. Et ce principe résume bien la philosophie française, c'est-à-dire, les collectivités territoriales et principalement pour nous ici, les communes restent libres en principe de coopérer ou non, lorsqu'elles le décident, elles ne peuvent faire pratiquement qu'une seule chose, c'est constituer un organisme public supplémentaire, qui viendra se superposer à elles. Cette question a déjà été évoquée tout à l'heure, c'est celle de la superposition. Et ainsi, la libre administration des collectivités territoriales qui est ainsi sauvegardée, se retrouve dans les dispositions plus spécifiques consacrées à la coopération entre les communes puisqu'un autre article L. 5210-1, premier article consacré à la coopération intercommunale, définit en quelque sorte le cadre juridique : « le progrès de la coopération intercommunale se fonde sur la libre volonté des communes d'élaborer des projets communs de développement au sein de périmètres de solidarité ». Ce sont les termes employés par le législateur. On retiendra surtout dans cette phrase, le principe de la libre volonté des communes d'élaborer des projets en commun.

On peut trouver dans ces textes fondateurs, un lien nécessaire, obligatoire, entre les établissements publics de coopération et le principe de libre administration des collectivités territoriales, qui soit dit en passant, est un principe de valeur constitutionnelle. Il y a en permanence cette tension entre les formes de coopération et la libre administration des collectivités territoriales. Il y a aussi une tension entre les collectivités territoriales elles-mêmes, et ces organismes publics que le droit français aime bien, et qui sont ces établissements publics de coopération intercommunale. Pour un étranger, on peut sans doute s'interroger sur ce qui peut distinguer une collectivité territoriale à la française, et l'un de ces établissements publics. Qu'est-ce qui les distingue ? La question a déjà été abordée tout à l'heure, permettez-moi d'y revenir deux minutes.

C'est, d'une part et sans doute d'une manière essentielle, l'élection. Les collectivités territoriales sont élues directement au suffrage universel. Pour les établissements publics, je ne dirais pas que les membres sont nommés, ils sont élus, mais à un suffrage universel indirect. La différence est essentielle.

Deuxième distinction : les compétences ne sont a priori pas les mêmes. Les compétences des collectivités territoriales sont dites générales, et celles-ci s'occupent de toutes les affaires d'intérêt local, avec toute la complexité qu'il peut y avoir derrière cette notion. Les établissements publics de coopération n'ont que des compétences d'attribution, c'est-à-dire celles que les collectivités veulent bien leur donner, et ce principe est un principe politiquement fort, mais juridiquement également très fort et très protégé, ne serait-ce que par le juge. Il y a donc des différences, mais aussi quelques points communs, entre les collectivités territoriales et les établissements publics. D'abord, et cela n'est pas évident non plus pour un oeil étranger, le personnel appartient à la même catégorie. Le personnel des établissements publics de coopération et le personnel des collectivités territoriales font partie l'un et l'autre de l'ensemble de la fonction publique territoriale et un fonctionnaire territorial a vocation à travailler aussi bien pour une commune qu'ensuite pour une forme de coopération intercommunale.

Et puis, il y a un autre point de comparaison. Les établissements publics sont soumis, comme les collectivités territoriales, au même régime juridique de contrôle de la part de l'État et il y a sur ce plan une assimilation quasiment totale. Les établissements publics de coopération intercommunale gèrent enfin, qu'on le veuille ou non, un territoire, comme les collectivités territoriales pour lesquelles l'adjectif n'est pas tout à fait neutre. Ces établissements publics de coopération, pour lesquels a d'ailleurs été forgée l'expression d'« établissements publics territoriaux » ont en commun avec les collectivités territoriales d'avoir comme préoccupation principale la gestion d'un territoire et évidemment sur ce territoire, des hommes et des femmes qui y vivent.

2°) L'évolution de l'intercommunalité

En ce qui concerne l'évolution historique, le droit français a mis très longtemps à essayer de se simplifier. Il a été évoqué tout à l'heure par M. le Sénateur que les choses avaient commencé à la fin du XIXe siècle par une loi de 1890 qui a créé une première forme de coopération, que l'on appelle en français des syndicats de communes et qui étaient une formule extrêmement souple. Et cette formule extrêmement souple est d'autant plus importante qu'elle existe toujours, on y reviendra. Ces syndicats ne pouvaient être créés à l'époque que pour un seul service public, par exemple l'eau, et plus tard l'électrification. Il fallait donc pour chaque service public que l'on voulait gérer en commun, créer un établissement public de type syndicat de communes. On le voit, ce n'était pas extrêmement simple, ce n'était pas extrêmement souple. En 1915, on ne comptait qu'une quarantaine de syndicats, ce qui indique bien la persistance de la méfiance envers la coopération à la française. Les choses se sont un peu développées après la guerre, ne serait-ce que pour l'électrification et le ramassage des ordures ménagères, toutes sortes de sujets qui sont toujours au coeur des intercommunalités contemporaines. Passons, si vous le voulez bien, sur la période de Vichy, même si on a évoqué tout à l'heure un projet intéressant. Passons sur la période de la Libération, qui avait essayé de renforcer cette coopération. Les choses n'ont pas beaucoup évolué et on en arrive à une deuxième étape, qui est celle des débuts de la Ve République, c'est-à-dire les années 50, 1959 très précisément. Pourquoi la Ve République ? Pour des raisons techniques, juridiques et politiques de l'époque, il a été plus facile de faire adopter des textes, notamment de les faire adopter par ordonnances, plutôt que par la loi, et il était plus facile de faire adopter des textes sur l'intercommunalité sans passer par le Parlement. Et par conséquent les deux textes fondateurs de l'intercommunalité de 1959, sont ce qu'on appelle en français, des ordonnances. L'une sur la création d'une nouvelle forme de coopération qui s'appelle les districts. Et l'autre ordonnance a permis de créer, ce qu'on appelle des syndicats intercommunaux à vocations multiples. A vocations multiples, cela voulait dire qu'un même syndicat pouvait enfin gérer plusieurs services publics et que les communes n'étaient plus obligées de créer un établissement public pour un service public donné.

Ces deux textes de 1959 sont tout à fait importants et ont, d'une certaine façon, bouleversé le droit de l'intercommunalité. Ils ont provoqué un élan de l'intercommunalité tout à fait essentiel. Ces textes étaient importants mais ils n'étaient pas suffisants et il a fallu les compléter par un autre texte en 1966, qui crée ce qu'on appelle des communautés urbaines. C'est une loi du 31 décembre 1966 qui avait de grandes ambitions et comme très souvent en France, ces ambitions n'ont pas toujours été suivies d'effets. Une chose quand même importante, c'est que la loi de 1966 a créé autoritairement des communautés urbaines à Bordeaux, à Lyon, à Strasbourg et à Lille. On remarque que deux métropoles échappent à cela : Paris, mais il a déjà été évoqué tout à l'heure que la situation dans la région parisienne et en Ile-de-France était de toute façon différente, et puis surtout Marseille, le Maire de Marseille refusant à cette époque toute forme de coopération. Les communautés urbaines avaient une autre caractéristique tout à fait remarquable, elles étaient des modèles d'intégration très poussée des communes puisque le nombre de compétences qui devaient être transférées était très important. Et puis les choses se sont un peu calmées. Ensuite, sous réserve de la loi sur les fusions, pratiquement rien. Il faut dire que le législateur était occupé par d'autres questions en matière de collectivité territoriale. Il faut donc attendre 1992, qui marque une sorte de renouveau de la décentralisation, mais surtout de la coopération intercommunale, lorsque tout le monde prend conscience que la situation n'est plus tenable et qu'il faut absolument que les communes puissent coopérer d'une manière ou d'une autre. Que fait-on dans cette loi de 1992, et bien on crée deux nouvelles formes de coopération intercommunale, deux nouvelles structures : les communautés de communes et les communautés de ville. La carte de l'intercommunalité ressemble à peu près à ce que l'on a sous les yeux, c'est-à-dire à quelque chose de difficilement lisible. C'est-à-dire que les élus locaux ont dans leurs mains, plusieurs modalités de coopération, ce qui n'est pas extrêmement simple. Et pour le citoyen moyen, c'est à peu près incompréhensible. Certains auteurs, ou des hommes politiques, ont employé l'expression de « millefeuille de l'intercommunalité ».

Comme cela a été évoqué tout à l'heure, la nouveauté, c'est l'année 1999 avec la loi que l'on appelle « Loi Chevènement », du nom du Ministre de l'Intérieur de l'époque et qui fait quelque chose qui ne s'était jamais produit avant : des structures intercommunales sont supprimées. Une petite révolution en France, puisqu'on a plutôt tendance à ajouter qu'à supprimer. Le législateur supprime les structures qui n'ont pas rendu les services qu'on attendait d'elles, notamment les districts, non pas parce qu'ils n'avaient pas rendu des services, mais parce qu'ils n'en rendaient plus, et qu'il fallait aller au-delà. Les effets positifs de cette technique de coopération étaient épuisés. Le législateur supprime aussi les communautés de ville, puisque, et on pourra éventuellement y revenir tout à l'heure, ces communautés de ville étaient trop intégrées et qu'elles ont fait peur aux élus, qui n'en ont pas voulu et cela a été par conséquent un échec. La loi supprime donc, mais on crée quand même en même temps, et on renouvelle aussi le droit de l'intercommunalité comme on va le voir tout de suite, et j'insiste, sur le nom de la loi, sur l'intitulé de la loi, qui est assez révélateur, c'est la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement mais aussi à la simplification de la coopération intercommunale. Et il y a dans cette loi une volonté de simplification mais aussi de codification.

3°) Le droit commun de l'intercommunalité

J'en viens à un deuxième point rapide sur ce qu'on peut appeler le droit commun de l'intercommunalité. La loi de 1999 procède à une sorte de nettoyage du droit existant et puis en même temps fixe un maximum de règles communes pour les différentes formes d'intercommunalité, dans un chapitre spécifique du Code général des collectivités territoriales. Mais dans tous les cas, la loi en revient aux principes fondateurs de tout à l'heure, le droit français choisit la forme de l'établissement public de coopération qui se superpose donc aux communes existantes, ce qui ne constitue pas une simplification de l'administration. S'il n'y a pas de substitution, il y a en quelque sorte un ajout, et on ne peut pas ne pas comparer cette situation avec une forme de fédéralisme ou d'autres constructions du même genre. La logique de type fédéral est très souvent utilisée en droit français pour comparer et en tous cas traiter de cette question de l'intercommunalité. C'est donc une personne juridique nouvelle qui est ainsi créée, qui coiffe les collectivités territoriales, les communes, mais qui est organisée comme les collectivités territoriales, c'est-à-dire avec une assemblée délibérante élue au second degré, au suffrage universel indirect, et avec un organe exécutif, mais c'est un établissement public qui a des compétences spécifiques.

Un autre principe, affirmé aussi dans ces textes et réaffirmé en 1999, veut que lorsque les communes décident de déléguer des compétences à un établissement public de coopération, elles ne peuvent plus l'exercer elles-mêmes. Cela paraît peut-être évident, et le juge l'a rappelé dans une jurisprudence déjà ancienne, mais solennelle, c'est une sorte d'abandon presque considéré comme un abandon définitif. Le juge administratif a encore une fois été très ferme sur ce point.

Dans ces dispositions générales, on peut faire ressortir quelques éléments simples, d'abord quant aux règles de création. Comment est crée un établissement public de ce type ? Rappelons que seul l'État a la compétence pour créer des personnes juridiques nouvelles, c'est-à-dire des formes de coopération intercommunale. Ce ne sont pas les communes qui les créent juridiquement. Et donc l'établissement public en question n'est pas le fruit d'un contrat. La création relève d'une décision unilatérale de l'État et ce n'est pas non plus une association au sens du droit des associations. On s'en doute, le préfet, c'est-à-dire le représentant de l'État, va jouer un rôle tout à fait essentiel dans cette création. Et c'est l'arrêté de création signé par le préfet qui donne naissance à la nouvelle structure. On a vu que, dans certains cas, c'était même la loi qui avait créé des établissements publics de coopération intercommunale. Mais ne noircissons pas trop le tableau quand même. C'est le préfet qui crée, mais l'initiative provient soit des collectivités locales, c'est-à-dire des communes, par un système un peu compliqué, soit du préfet lui-même. Peut être rappelée une règle qui remonte à cette ordonnance de 1959 et qui est une règle de création essentielle qui a bouleversé le droit de l'intercommunalité depuis cette date, et qui a toujours été reprise dans tous les textes relatifs à l'ensemble des formes de coopération intercommunale. Cette règle est un peu compliquée à énoncer. Elle vise à essayer d'établir une forme de double majorité, c'est-à-dire qu'il faut, pour que l'intercommunalité puisse voir le jour, la réunion des deux tiers au moins des conseils municipaux, mais représentant la moitié de la population, ou bien l'inverse, c'est-à-dire, la moitié des conseils municipaux, mais représentant cette fois-ci les deux tiers de la population. Je vous laisse méditer cette formule qui paraît comme ça très compliquée, en fait il s'agit de tenir compte de deux éléments, la taille respective des différentes communes, et une question essentielle qui a été évoquée tout à l'heure par Monsieur le Sénateur, celle de la commune-centre et le poids de la commune-centre au sein de cette intercommunalité. On ne peut rien faire contre elle, mais aussi, il faut tenir compte du nombre de communes et notamment des petites communes autour de cette commune-centre. Il y a par conséquent dans ce mode de calcul la volonté de tenir compte de ces deux paramètres.

J'ai parlé plusieurs fois d'élections au second degré, mais il faut préciser que dans toutes les formes de coopération, sauf les syndicats de communes, c'est-à-dire la forme la moins élaborée, ne peuvent être élus, au sein de l'organe délibérant de la structure intercommunale, que des conseillers municipaux. Mais il n'y pas de droits acquis, c'est-à-dire que le Maire d'une commune n'est pas nécessairement membre de la structure intercommunale. L'éventuel conseiller général du canton n'est pas non plus nécessairement membre de la structure intercommunale. Il y a sur ce point une relative liberté. On constate qu'à plusieurs reprises, le Parlement a voulu, avec des majorités ou dans des configurations politiques différentes de celles dans laquelle nous nous trouvons actuellement, faire élire les structures intercommunales directement par les électeurs. A chaque fois, cette proposition a été rejetée soit au sein même de cette assemblée-ci, ou simplement au sein même de l'Assemblée nationale où une majorité n'était pas suffisante pour adopter ce point.

4°) La diversité des structures intercommunales

Un mot pour terminer sur la diversité des structures intercommunales, pour indiquer qu'il existe, à l'heure actuelle, une configuration, à trois étages et demi. Trois étages c'est-à-dire, trois formes de communautés que sont les communautés de communes, les communautés dites d'agglomérations et, au dessus, les communautés urbaines. Comment faire la distinction entre les trois ? En fonction de la taille, de la population de chacune de ces structures, de chacune de ces aires territoriales. Pour simplifier, les communautés de communes sont réservées aux structures rurales ou semi-urbaines, les communautés d'agglomérations pour les agglomérations d'au moins 50 000 habitants. Cela fait environ 150 aires d'agglomérations en France d'après l'INSEE. Les communautés urbaines sont réservées désormais aux très grosses agglomérations de plus de 500 000 habitants. Il y a, à l'heure actuelle, 14 communautés urbaines. Et puis, à ces trois structures de communautés correspondent des compétences différentes et plus le seuil est élevé, plus les compétences sont importantes avec un système un peu compliqué, parfois appelé de manière imagée « de menus et de cartes », pour reprendre une image de restauration, c'est-à-dire que les communes doivent transférer obligatoirement un certain nombre de compétences, puis ensuite des compétences qu'elles choisissent dans une liste, c'est pourquoi on parle d'image de la carte, dans une liste prévue par le législateur. Plus les structures sont grosses, plus le nombre de ses compétences est important. J'ai parlé rapidement de trois et demi, parce qu'il reste les syndicats de communes, qui continuent d'exister, qui sont importants et qui sont en nombre, les plus nombreux, de très loin, alors que certains syndicats de communes existent sur le papier, et plus vraiment dans la réalité. D'autres ont encore une réalité et ces syndicats de communes, qui sont beaucoup plus souples que toutes les autres formes de coopération, ont été, pour la plupart d'entre eux, les formules qui ont précédé les formes nouvelles.

M. Bruno Leprat. - A ceux qui vous demandent : dans vingt ans, à quoi ressemblera le panorama organisationnel, administratif, institutionnel français, que leur répondez-vous ?

M. Michel Verpeaux. - Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, vous avez compris que je ne suis pas totalement favorable à la fusion de communes. Que je ne suis pas favorable à des structures trop autoritaires et que le maintien de petites structures me paraît être quelque chose d'essentiel. J'observe simplement que dans toutes les hypothèses où l'on a voulu créer des institutions vers le haut, on ressent le besoin de créer des institutions vers le bas. Lorsqu'on crée des grandes communes, on crée des comités de quartier, enfin des conseils de quartier, lorsqu'on crée des grandes villes on fait des conseils d'arrondissement à Paris, Marseille et Lyon. Il y a donc quelque chose d'un tout petit peu paradoxal.

Il y a une autre solution qui n'est pas vraiment explorée, c'est de dissocier, parce qu'on ne l'a pas évoqué tout à l'heure, les structures de l'administration de l'État et les structures locales, territoriales décentralisées. L'échelon départemental est un échelon sans doute essentiel qui a rempli des missions importantes et on ne voit pas pourquoi il faudrait absolument s'en séparer, mais on pourrait peut-être conserver cet échelon départemental simplement pour les missions de l'État. On pourrait garder un préfet de département avec des services de l'État, mais ce département pourrait ne plus être nécessairement une collectivité territoriale en même temps. On pourrait très bien concevoir des structures qui ne seraient pas totalement parallèles comme elles le sont à l'heure actuelle. C'est une piste de réflexion pour les 20 ans qui suivent.

M. Bruno Leprat. - Merci beaucoup. Alors on va entendre maintenant, et vous allez rejoindre la salle Monsieur Verpeaux, Toshihiro Shinohara, avec une précision, il est accompagné du Maire de Takayama, qui sera là plutôt en observateur passif, pendant quelques quarts d'heure afin de répondre à vos questions d'ici une demi-heure à trois quarts d'heure. Monsieur le Maire interviendra en propre plus tard.

Monsieur Shinohara, alors dites-nous un petit peu de votre côté, comment s'est passé ce mouvement de fusions de communes, dont on parlait tout à l'heure, avec aussi ces disparitions de postes de conseillers municipaux, 18 000 en quelques années, comme cela a été évoqué tout à l'heure.

Je précise que vous êtes aux affaires intérieures, depuis 19 ans, rattaché à ce ministère, et que vous avez également été en poste à l'étranger, à Paris et en Jordanie, entre 92 et 95. Alors merci de nous éclairer sur ce mouvement très japonais de fusions des communes et puis je demanderai après à Marc Censi où il était en 1971, quand cette loi française a été mise en place, la loi Marcellin évoquée tout à l'heure. Après coup vous nous direz comment vous avez vu cette loi émerger et peut-être les souvenirs d'un jeune combattant de celle-ci.

Monsieur Shinohara, s'il vous plaît.

B. M. TOSHIHIRO SHINOHARA, DIRECTEUR DE LA PLANIFICATION DES POLITIQUES AUPRÈS DU SECRÉTARIAT DU MINISTRE DES AFFAIRES INTÉRIEURES ET DES COMMUNICATIONS : LE MODÈLE JAPONAIS DES FUSIONS DE COMMUNES : COMMENT ET JUSQU'OÙ PEUT-ON FUSIONNER ?

Bonjour Mesdames et Messieurs, je vous remercie par avance de votre attention. Pour ma part, je vous parlerai de la fusion des communes au Japon. Jusqu'où la fusion de communes est-elle allée et où est-ce que l'on en est aujourd'hui ? Je tiens à vous préciser que je travaille au ministère des Affaires intérieures et des communications qui est compétent en matière d'administration territoriale. J'ai également été détaché de 1998 à 1999 auprès du département d'Ehime, en qualité de Directeur des affaires communales.

A l'époque, on parlait beaucoup de la fusion de communes. Comme l'État, les départements donnaient aux communes des conseils sur la fusion, ce que j'ai effectué dans le département d'Ehime. Ensuite, j'ai été affecté à un poste au sein du ministère pour travailler sur les projets de fusion entre 2000 et 2003, période où les communes ont commencé à se mobiliser véritablement. Du fait de ces trois années d'expérience, je connais très bien ce qui s'est passé à l'époque, et c'est ce dont je voudrais vous entretenir. Je dois toutefois vous préciser que la fusion de communes au Japon n'a pas été mise en oeuvre sans difficulté. Le ministère des Affaires intérieures et des communications en charge de la promotion de la fusion était lui-même sceptique à l'origine. En effet, il y avait beaucoup de pression politique. Le nombre des communes était d'environ 3 200 à l'époque. La majorité et l'opposition ont conjointement poussé le gouvernement à promouvoir la fusion de communes. Au début, il a même été question de réduire les 3 200 communes à 1 000 ou à 300, car des objectifs chiffrés donnent toujours un caractère sérieux à un projet. Cependant au sein du ministère, un tel objectif semblait difficile à atteindre. Un de mes supérieurs hiérarchiques m'a même dit un jour que le gouvernement se féliciterait d'une fusion de communes dans chacun des 47 départements. Par ailleurs, il est vrai que pour beaucoup de Japonais, le nombre de 3 200 était considéré comme élevé. C'est pourquoi la politique de fusion serait jugée réussie si le nombre des communes passait en dessous de 3 000. Tel était le point de départ. Mais au fur et à mesure que nous avancions, nous avons pris de l'élan, et un mouvement général s'est produit. Nous n'en sommes toujours qu'au milieu du processus mais d'après une prévision, le Japon comptera 1 821 communes le 31 mars 2006, soit une baisse de 40 %.

Personnellement, je ne pense pas que le modèle de regroupement intercommunal choisi par le Japon soit meilleur que d'autres modèles. Il existe plusieurs modèles de regroupement intercommunal, et la France et le Japon ont opté chacun pour une méthode différente. Il m'arrive souvent de me rendre dans des communes pour la promotion de la fusion, et je discute avec des acteurs communaux. Parmi les personnes que j'ai rencontrées, beaucoup étaient contre la fusion de communes et m'ont dit : « Prenons le cas de la France. Il existe 36 000 communes dans ce pays, et elles fonctionnent très bien. Au Japon, il n'y a que 3 200 communes, soit un dixième des communes françaises. En plus, la taille des communes japonaises est suffisamment grande. Où donc est le problème ? » J'ai alors répondu que la situation japonaise et la situation française n'étaient pas les mêmes. Que nos deux pays n'avaient pas la même histoire et que le rôle des communes japonaises n'était probablement pas le même que celui des communes françaises. Il est en effet difficile de faire une comparaison simple. La France a choisi un autre mode de regroupement intercommunal qui est la coopération intercommunale. Les structures intercommunales appelées « communautés » respectent l'existence des communes. Le colloque d'aujourd'hui est particulièrement intéressant puisqu'il nous permettra de faire une comparaison des deux modes de regroupement intercommunal en tenant compte de ces différences.

A la page 9 du document qui vous a été distribué vous trouverez des données chiffrées qui vous permettront d'avoir une idée sur l'administration territoriale au Japon 1 ( * ) . Il existe au Japon deux niveaux de collectivités territoriales qui sont les départements et les communes. Ces collectivités territoriales sont appelées « collectivités territoriales ordinaires ». Il y a 47 départements. Avant la Seconde Guerre mondiale, les gouverneurs de département étaient désignés par l'État. Ces représentants de l'État étaient envoyés dans les départements pour contrôler les collectivités territoriales. Depuis la fin de la guerre, les gouverneurs sont élus directement par les habitants, ce qui est appelé le « régime Présidentiel ». C'est le changement le plus important pour l'autonomie locale d'après-guerre. Selon certaines statistiques, le nombre des communes est de 2 395, un chiffre qui peut encore évoluer. Il existe par ailleurs des « collectivités territoriales particulières », qui correspondent essentiellement à des « syndicats pour affaires partielles ». Il y a aussi des structures intercommunales appelées « groupements intercommunaux à grand périmètre » qui disposent de compétences plus importantes que les syndicats intercommunaux.

Vous trouverez ensuite, à la première page du document, l'historique de la fusion de communes2 ( * ). Le Japon a connu trois vagues de fusion de communes. La première vague a eu lieu entre 1888 et 1889, époque très ancienne. En France, c'était l'époque de la IIIe République. Une vingtaine d'années auparavant, nous étions encore à l'époque d'Edo au Japon. Il y avait encore des samouraïs qui déambulaient dans les rues. Soudain, le système changea brutalement. La nécessité de moderniser rapidement le pays pour le doter d'un système semblable à celui des pays occidentaux se ressentit fortement. Et tout naturellement, il a semblé nécessaire de créer des communes. Une délégation fut envoyée en Europe pour étudier les systèmes d'administration territoriale des pays européens. A l'origine, les communes japonaises ont été créées à l'instar des communes françaises. Cependant, le Japon a adopté à cette époque une partie du système prussien pour renforcer les compétences des communes et a organisé des fusions forcées. En six mois, le nombre des communes a été divisé par cinq. La deuxième vague correspond à la période allant de 1953 à 1961. Comme ces années se situent pendant l'ère Showa au Japon, elle est appelée « la grande fusion de l'ère Showa ». Après la guerre, le Japon a adopté le système américain. Les communes devaient désormais assurer un nombre important des services, et pour cela, les communes ont été appelées à fusionner. Il s'agissait cette fois de fusions volontaires. Le nombre de communes qui était de 10 000 environ est passé à 3 500. Enfin, la dernière vague de fusion, appelée « la grande fusion de l'ère Heisei », correspond, quant à elle, à la période de 1995 à 1999 jusqu'au 31 mars 2005 3 ( * ) . Précédemment, je vous ai présenté le nombre des communes à la suite de cette fusion. A la page suivante de votre document, vous pouvez voir l'évolution du nombre des collectivités territoriales au Japon. Beaucoup de personnes trouvent la taille démographique des communes japonaises importante, et selon elles, c'était déjà le cas avant la fusion. Ceci est vrai en comparaison des communes en France. En mars 1999, il existait 3 229 communes au Japon, et la moyenne de la population était alors d'environ 36 000 habitants. Toutefois, en réalité, la disparité de population entre les communes était très importante. Cet état de fait était notre préoccupation. Par exemple, la ville de Yokohama comptait 350 000 habitants alors qu'il y avait en contrepartie des communes rurales d'environ 200 habitants. Il y avait vraiment des déséquilibres. La moyenne de la population des communes était de 36 000 habitants, mais la moitié de ces 3 200 communes avaient moins de 10 000 habitants. La taille de ces communes n'était donc pas suffisamment importante par rapport à celle que les communes japonaises devraient avoir. C'est pourquoi la grande fusion de l'ère Heisei a été mise en oeuvre. J'en ai terminé avec ma présentation. Je vous remercie.

M. Bruno Leprat. - Merci, on s'attendait à d'autres pages divulguées, mais ce sera pour un peu plus tard. Marc Censi, une réaction par rapport à tout ce que vous avez pu entendre jusqu'ici. On rappelle que vous êtes le Président d'une assemblée qui rassemble des structures intercommunales, Président de longue date, je crois, cela fait combien de temps, à l'ADCF ?

M. Marc Censi. - 15 ans.

M. Bruno Leprat. - Alors une réaction par rapport à ces propos ? Une réponse de type testimonial, sur cette réforme de 1971, et puis le point que vous vouliez partager avec notre public : où en sommes-nous aujourd'hui concernant cette répartition des compétences entre collectivités, entre EPCI et collectivités ?

II. LE REGROUPEMENT INTERCOMMUNAL : LA RECHERCHE D'UNE NOUVELLE RATIONALITÉ TERRITORIALE

A. M. MARC CENSI, PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE DES COMMUNAUTÉS DE FRANCE (ADCF), MAIRE DE RODEZ, PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ D'AGGLOMÉRATION DU GRAND RODEZ : LE SYSTÈME FRANÇAIS DE RÉPARTITION DES COMPÉTENCES

Bien, tout d'abord, je voudrais saluer Monsieur Shikata que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans des circonstances un peu semblables à celles-ci sur les mêmes thèmes, et que je suis très heureux de retrouver aujourd'hui. Ensuite pour répondre plus précisément à votre question, en 1971, j'étais Maire-adjoint de Rodez et vice-Président du district du Grand Rodez. Ce qui par un calcul simple permet de constater que j'ai un certain nombre d'heures de vol en intercommunalité, 35 ans de pratique de l'intercommunalité. Et que sauf tout le respect que je dois à Monsieur le Sénateur Dallier qui est intervenu tout à l'heure, nous avons semble-t-il sur l'intercommunalité des visions assez différentes, ce qui est bien d'ailleurs, parce que cela prouve qu'un débat est ouvert. Mais que ce que vous avez entendu de la part de Monsieur le Sénateur, n'est pas le seul point de vue que l'on puisse exprimer sur l'intercommunalité.

Bon, ce n'est pas le propos que l'on m'a demandé de développer. Je souhaite Monsieur le Sénateur que nous ayons une rencontre qui nous permettrait d'harmoniser nos points de vue, et que je puisse vous faire part de la modeste expérience de la part de quelqu'un qui, je le répète, pratique l'expérience de l'intercommunalité depuis 35 ans.

Alors vous m'avez demandé de dire quelque chose sur une autre curiosité française qui mérite certainement le détour, c'est la répartition des compétences entre les divers niveaux de collectivités territoriales. On parle souvent des exceptions françaises. Dans ce domaine de la gestion territoriale, il y en a trois qui reviennent souvent sur les devants de la scène. La première, déjà évoquée par les orateurs précédents, ce sont les 36 730 communes, ce qui en effet est une exception, et un record probablement mondial, ramené au nombre d'habitants. Mais c'est assorti d'une autre circonstance qui va de pair avec celle-là, qui est son corollaire, qui a été évoquée d'ailleurs tout à l'heure par M. Verpeaux, et qui est la présence de près de 500 000 conseillers municipaux, c'est-à-dire pratiquement 1 % de la population de la nation qui diffuse de la démocratie locale au sein de la population. Et donc comment essayer de régler la trop grande dispersion entre 36 000 communes en conservant cette richesse de la démocratie locale ? C'est l'intercommunalité, la coopération intercommunale qui, en effet, a été préférée récemment, à la fusion. Et je dois dire, pour avoir longuement participé à toutes ces années de combat, qu'il a fallu beaucoup de temps, à tous ceux qui étaient convaincus des mérites de l'intercommunalité pour convaincre le législateur d'abandonner l'idée de fusion, et d'opter plutôt pour cette solution innovante, qui est également une exception française dont nous sommes particulièrement fiers. La coopération intercommunale permet de modifier le maillage des 36 000 communes en trouvant une dimension de maille beaucoup plus pertinente avec les attributions, les missions et les fonctions des collectivités de base, tout en conservant cette extraordinaire richesse que représentent les quelque 500 000 conseillers municipaux.

Et enfin la troisième exception française, et c'est celle-là que je voudrais notamment développer, c'est ce qu'on appelle la clause générale de compétence, autrement dit, comment ces trois niveaux de collectivités territoriales, qui sont des niveaux gigognes imbriqués les uns dans les autres, se répartissent-ils l'ensemble des compétences de la gestion des collectivités territoriales ?

Donc trois niveaux, je vous le rappelle, et cela n'est pas une exception française, un certain nombre de nations, d'États, notamment dans l'Union européenne, ont en effet trois niveaux de collectivités territoriales, la commune, le département et la région, le problème est de savoir qui fait quoi, et donc quelle est la répartition des compétences. On se heurte (je crois que le mot convient) à deux principes qui ont un caractère à la fois contraignant et contradictoire. Le premier principe résulte de la Constitution, l'article 72 de la Constitution : « en France les collectivités s'administrent librement, par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ». C'est donc la liberté d'administration totale par les conseils élus par le peuple, c'est d'ailleurs ce qu'a rappelé tout à l'heure M. Verpeaux. Premier point.

Deuxième principe : le conseil municipal, régional, ou général, gère par ses délibérations les affaires de la commune, du département ou de la région. Les affaires, c'est tout ce qui concerne la population et le territoire. Ce qui débouche sur un constat que les étrangers en général examinent avec un certain étonnement. Il existe cependant des compétences d'attribution en ce sens qu'elles sont affectées à chaque niveau, par exemple souvent citées en matière d'enseignement, les communes ont l'enseignement primaire, les départements les collèges, et les régions ont les lycées.

En dehors de ces compétences d'attribution, chaque échelon est autorisé à faire ce qu'il souhaite, pourvu que cela dépende et que cela ressorte des compétences de son échelon territorial. C'est ce qu'on appelle la clause générale de compétences qui est une particularité dont vous saisissez bien qu'elle est en quelque sorte une clause subsidiaire car certes, je le répète, il y a des compétences d'attribution, mais tout ce qui est au-delà des compétences d'attribution est un champ ouvert aux collectivités territoriales. C'est la clause générale de compétence.

Donc retenez bien cela. Les trois niveaux de compétences territoriales, en matière par exemple, de culture, de tourisme, d'aménagement du territoire, de développement économique..., ont la possibilité de tout faire. On ne peut contester à aucun d'entre eux que cela représente bien les affaires de la collectivité qu'il administre. Et alors, deuxième aspect, ou deuxième constat qui découle lui aussi des attributions, aucune collectivité locale n'est autorisée à établir ou à exercer une tutelle sous quelque forme que ce soit sur une autre d'entres elles. Tout le monde comprend bien ce que cela veut dire : « charbonnier est maître chez lui », et que ni la région, ni le département ne peuvent exercer une tutelle quelconque sous quelque forme que ce soit sur la commune et réciproquement. Mais en général, la tentation de tutelle, elle est toujours du plus fort sur le plus faible. Il y a quand même quelques exemples qui sont assez croustillants.

Alors la question qui se pose dans ce paysage qui est quand même assez étonnant, c'est : qui assure la coordination des politiques territoriales de ces échelons qui sont, je le répète, imbriqués, puisque par définition, ils ont une composition gigogne ? Qui exerce la coordination ? Autrement dit : qui est susceptible d'orienter les divers efforts et actions de chacun des niveaux, pour que la résultante de l'action de ces diverses actions locales ne soit pas nulle dans le plus mauvais des cas, parce qu'on peut arriver parfois à des initiatives qui peuvent être contradictoires, en tout cas qui ne sont pas toujours et systématiquement convergentes. Et bien la réponse à cette question un peu angoissante, c'est : personne. Personne, aujourd'hui dans le contexte actuel, n'assure la moindre coordination et je le dis avec conviction et sans risque d'être fondamentalement démenti, personne n'assure cette coordination. Vous imaginez que cela a quand même quelques conséquences, et quand on recherche des économies, notamment M. le Sénateur des économies dans l'intercommunalité, je suis à peu près persuadé que si une commission d'enquête voulait bien se pencher sur les conséquences négatives, notamment financières, de cet extraordinaire manque de coordination des initiatives et actions locales, on déboucherait probablement sur des sommes qui relativiseraient beaucoup les reproches que l'on peut encore faire parfois à l'intercommunalité. Evidemment, le législateur est parfaitement conscient de cette situation. Vous imaginez bien que cela n'a échappé aux yeux de personne, mais on se heurte à des inerties qui ont été évoquées ici à plusieurs reprises, et qui font qu'il est très difficile de revenir sur ce qu'on appelle les situations acquises historiquement, parfois très anciennes.

Des propositions ont été faites pour essayer d'apporter une réponse intelligente et efficace. La première a été avec les lois de 1981-82, et c'était suggéré par le père des lois qui a laissé son nom aux lois de décentralisation, Gaston Defferre, à l'époque Ministre des Affaires intérieures : c'était les blocs de compétences. Gaston Defferre avait dit, d'ailleurs il l'a écrit, à l'époque : l'important c'est qu'on ne puisse pas revenir en arrière, on ne règle pas tout, mais ensuite on s'attachera à régler les conséquences de ce premier acte politique important de décentralisation, et il était parfaitement conscient qu'en matière de compétences il faudrait en effet, légiférer, et l'idée qui avait été retenue à l'époque et qui n'a pas été mise en pratique, c'était ce qu'on appelait les blocs de compétence. C'est-à-dire que petit à petit on devait se trouver dans une situation où l'un se chargerait de la culture, l'un du tourisme l'autre du développement économique et par niveau, chacun aurait en charge un véritable bloc de compétences qui éviterait les incidents de frontières ou les financements croisés, enfin un certain nombre de joyeusetés que l'on connaît actuellement. C'est totalement impossible, le système des blocs de compétences se heurte, comme vous vous en doutez à la liberté laissée à chaque niveau de gérer les affaires de son échelon. Puisque, comment pourrait-on dénier à un Maire par exemple de s'occuper du tourisme dans sa commune au prétexte que c'est le département qui s'en occupe ? On ne peut pas prétendre quand même que cela ne dépend pas des affaires de la commune. Et donc on s'est heurté à une impossibilité et le système des blocs des compétences a péri avant de pouvoir être appliqué.

On a également trouvé plus récemment, d'ailleurs inscrite dans la Constitution, la notion de chef de file, autrement dit quand plusieurs partenaires de niveaux différents devraient coopérer pour réaliser un projet commun, ou une action commune, ou une stratégie commune, l'un d'entre eux des trois niveaux, de n'importe quel niveau, n'importe lequel en fonction de la nature de l'opération, pourrait devenir le chef de file. Mais même problème, et la docte assemblée qui nous héberge aujourd'hui dans ses locaux a, si mes informations sont bonnes, longuement réfléchi et discuté sur l'application que l'on pourrait donner à la notion de chef de file sans en définitive pouvoir régler la quadrature du cercle, c'est-à-dire donner systématiquement et toujours retomber sur cette notion de non-tutelle d'une administration d'un niveau quelconque sur les autres. La notion de chef de file, bien qu'elle soit inscrite dans la Constitution depuis 2003 n'a, à ma connaissance, à ce jour donner lieu à aucune application sur l'ensemble du territoire.

Je parlerai d'abord de l'expérimentation. La Constitution prévoit également que les collectivités locales peuvent être autorisées à lancer des expérimentations. Et donc là on a, me semble-t-il, fondé quelque espoir sur la capacité d'innovation. Les collectivités territoriales, on me dira ont peut-être de l'imagination d'où naîtraient des solutions auxquelles on n'avait pas pensé, et qui pourraient ici et là s'appliquer de façons diverses d'ailleurs, et en essayant d'échapper à cette norme républicaine qui, il faut bien le répéter, est un peu contraignante chez nous. Même chose à ce jour, et bien que ce soit inscrit dans la Constitution la notion d'expérimentation a fait l'objet de quelques propositions qui n'ont pas été retenues par le législateur. J'en connais une, puisque c'est nous qui l'avions faite dans le cadre de l'Assemblée des communautés de France. Nous proposions, pour la distribution d'une dotation de l'État qui s'appelle la Dotation globale de fonctionnement, ce qu'on appelle la DGF territoriale, je ne rentre pas dans le détail, ce qui est intéressant, c'est que nous avons proposé une expérimentation et que l'on n'a pas pu l'appliquer.

Autre principe, et autre solution, inscrit lui aussi dans la Constitution, c'est la subsidiarité. Alors peut-être que nos amis qui viennent de territoires lointains ne connaissent pas, ou connaissent mal le débat sur la subsidiarité. C'est un vieux thème de philosophie politique que l'on retrouve chez les anciens. On en retrouve des traces chez Aristote, chez Saint-Thomas d'Aquin, puis chez Hobbes, chez Locke, enfin tous les philosophes qui se sont penchés sur ces questions-là ont abordé plus ou moins cette question de subsidiarité qui consiste tout simplement à dire que quand un niveau ne peut raisonnablement exercer une compétence au plus près du terrain, alors il peut éventuellement la transférer à un niveau d'organisation plus large, mais seulement à cette condition, c'est-à-dire que le niveau le plus important dans cette optique, c'est le niveau de base et que les autres ne sont que des niveaux subsidiaires. En France, c'est tellement révolutionnaire qu'on a pris la précaution en l'inscrivant dans la Constitution de la désigner par un euphémisme mais d'éviter au moins le mot de subsidiarité, qui en fait n'apparaît pas et qui, je le répète, est défini par une périphrase.

Et puis enfin, une dernière solution, qui celle-là a donné quelques résultats et est à mes yeux la piste la plus concevable et la plus raisonnable, c'est le contrat, puisque chaque niveau est totalement libre de ses décisions et de ses mouvements et d'apprécier ce qui dépend des affaires de son territoire et de sa collectivité. Puisque aucun d'entre eux ne peut exercer de tutelle sur l'un quelconque des autres, qu'est-ce qui reste ? Il reste de s'entendre par conventions entre niveaux. Et de fait, c'est une formule qui marche depuis maintenant quelques années avec les contrats de plan État-région, je ne vais pas rentrer dans le détail, qui ont généré toute une série d'approches et de relations contractuelles en cascades entre les divers niveaux, les projets et les contrats d'agglomération, les chartes de pays, les chartes de parcs naturels régionaux... Voilà donc tout un attirail, une boîte à outils de relations contractuelles, qui finalement, très objectivement, apparaissent apporter une réponse extrêmement raisonnable. Mais c'est trop facile. Et du coup, on voit naturellement ressurgir ici ou là, des tentations pour notamment les plus importants, les plus forts, de s'imposer. Comment voulez-vous que l'État négocie avec les régions sans imposer ce qu'on a appelé les noyaux durs ? L'État veut bien négocier mais à condition de définir un cadre absolument strict et de dire quelles sont ses volontés. On accepte ces volontés ou on les refuse. Je ne pense pas que ce soit une bonne méthode, une méthode raisonnable de négociation. De même quand un département ou une région négocie avec une commune ou une intercommunalité, à votre avis qui est le pot de terre et qui est le pot de fer dans cette négociation ? Je crois qu'on s'est heurté là à quelques limites du système et c'est bien dommage parce qu'à mes yeux et à l'expérience il me semble que dans l'architecture actuelle de la gestion territoriale de la France, c'est probablement la meilleure voie qui nous soit offerte.

Et je suis un peu désolé de constater qu'en ce moment, des interrogations s'expriment sur la continuité des politiques contractuelles pour une raison qui n'a rien de psychologique et qui est infiniment prosaïque, c'est que plus personne n'a suffisamment d'argent pour s'engager dans des contrats surtout pas l'État et probablement bientôt plus l'Europe. Alors évidemment à partir du moment où on ne sait plus quoi amener à l'issue d'une négociation dans un contrat, il ne reste plus grand-chose, mais je pense que c'est quand même probablement la meilleure solution à trois conditions et ce sera ma conclusion. Premièrement, que les aides extérieures, c'est-à-dire que les niveaux supérieurs de l'État et de l'Europe conditionnent leur participation à l'existence d'un véritable contrat. Voilà le rôle de l'État. J'interviens, je vous aide, d'accord, mais à la condition que vous vous soyez d'abord entendus entre vous. Et ça a été suggéré, ça a été tenté. Hélas aujourd'hui, cela n'est plus du tout de mise.

Deuxième point, que les négociations soient équilibrées, et que chaque niveau aille à la convention ou au contrat avec des capacités de se faire entendre, équivalentes pour tous, et enfin troisième point, que tout manquement à la parole et à la signature du contrat puisse faire l'objet d'une sanction. Ce qui n'est pas le cas. Avec, pour donner le mauvais exemple, l'État, je suis désolé de le dire mais qui, constatant à certains moments qu'il n'a plus les moyens de faire face à l'ensemble de ses engagements, décide que le contrat de plan va être allongé ou raccourci ou que tout un volet va être interrompu. Ce n'est pas possible. On ne peut pas fonder des politiques et des stratégies sur les relations contractuelles si l'une des parties ne tient pas parole. Et je vous assure que, et je remercie d'ailleurs les organisateurs de cette réunion de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer sur ce sujet, parce qu'il représente à mes yeux, et de loin, et peut-être plus encore que les interrogations que l'on peut avoir sur l'évolution de l'intercommunalité, ou des divers niveaux, un problème d'urgence auquel il convient de s'attaquer, d'abord de bien l'identifier, de faire accepter qu'il existe, et lui apporter des solutions. Je vous remercie.

M. Bruno Leprat. - Merci. Avant de réentendre M. Shinohara et de faire place à quelques questions, Monsieur Censi, juste une question. Quelle signification a le mot « fusion » pour vous ?

M. Marc Censi. - Ah si, la loi sur les fusions existe toujours, et par conséquent si les communes ont la volonté de fusionner, il ne faut surtout pas les en empêcher. Mais je crois que l'excès en tout est un défaut. Il y a aujourd'hui en France, cinq communes qui ont zéro habitant, qui n'ont plus d'habitant. Elles ne sont pas à côté sinon on pourrait les fusionner les unes avec les autres. Mais c'est vrai que l'on peut s'interroger sur la volonté systématique de tout conserver et qu'il n'est tout de même pas très raisonnable d'avoir des communes qui n'ont même pas d'habitant pour pouvoir constituer un conseil municipal.

M. Bruno Leprat. - M. Shinohara, sur la relation entre tout ce qui est fusion et dispositif de décentralisation.

B. M. TOSHIHIRO SHINOHARA, DIRECTEUR DE LA PLANIFICATION DES POLITIQUES AUPRÈS DU SECRÉTARIAT DU MINISTRE DES AFFAIRES INTÉRIEURES ET DES COMMUNICATIONS : LE SYSTÈME DE FUSION JAPONAIS, FONDEMENT DE LA DÉCENTRALISATION

Et bien, je vous invite à vous reporter à la page 3 du document distribué 4 ( * ) qui présente les raisons et les effets attendus de la fusion de communes. Au Japon, il y a quatre raisons de promouvoir la fusion avec en premier lieu, la décentralisation. Je pense que c'est une tendance que l'on retrouve dans le monde entier. Au Japon, la loi globale sur la décentralisation est entrée en vigueur en 1999 pour promouvoir une décentralisation qui s'appuierait sur les décisions et les responsabilités des collectivités territoriales. En effet, une prise de décision engage des responsabilités, donc les communes sont amenées à prendre des décisions et en assumer les responsabilités.

M. Censi a parlé du principe de subsidiarité. Au Japon, nous en sommes très conscients. Ce principe fait partie de la tradition de notre administration locale d'après-guerre. La commune qui est la collectivité territoriale la plus proche de la population peut assurer tous les services. Il faut d'abord envisager de faire assurer des services par les communes, toutefois le département se chargera des services qu'elles ne peuvent assurer. De même, l'État assurera les services que le département ne pourra pas assurer. Tel est le principe, mais dans la réalité c'est difficile. Il existe encore de nos jours un fossé entre la théorie et la pratique. La loi globale sur la décentralisation prévoit que l'État, les départements et les communes sont égaux et qu'ils entretiennent des relations de coopération. C'est un peu comme le contrat de plan État-Région que M. Censi a présenté. Il s'agit d'une relation réciproque. Ceci aussi est facile à dire que difficile à mettre en pratique.

En outre, je peux citer le problème de la dénatalité et du vieillissement de la population comme une deuxième raison de promouvoir la fusion de communes. Le Japon a atteint un pic de population l'an passé et, pour la première fois dans l'histoire du Japon, la population va dorénavant commencer à décroître. A l'avenir il y aura de moins en moins de jeunes et de plus en plus de personnes âgées, ce qui signifie que la charge de l'administration publique sera de plus en plus importante. Il faut donc augmenter la superficie des communes.

Par ailleurs, la demande de services couvrant un périmètre plus étendu croît. En France, il y a l'intercommunalité, et au Japon, on élargit le périmètre des communes par la fusion. Précédemment, M. le professeur Verpeaux nous a expliqué que le département français était d'une taille qui permettait de se rendre au chef-lieu à cheval. Au Japon, durant l'ère Meiji, la commune représentait une superficie que l'on pouvait parcourir à pied. Et à partir de la fusion de 1953, la commune avait un périmètre que l'on pouvait parcourir à bicyclette. Comme on utilise la voiture aujourd'hui, le périmètre de la commune s'élargit pour essayer de recouvrir la sphère d'activités quotidiennes comme le travail ou l'école.

Ensuite, on parle beaucoup de réformes structurelles. C'est le mot clé de la politique de M. le Premier Ministre Koizumi. A une époque où les finances locales présentent beaucoup de difficultés, il est nécessaire de réformer fondamentalement l'État et les collectivités territoriales. La fusion de communes est l'un des volets importants des réformes structurelles.

Alors pour parler plus concrètement, mais succinctement, je vous remercie de vous reporter à la page 4 du document 5 ( * ) . On constate que les mairies ont vraiment très peu de moyens en termes de personnel. Il y a par exemple dix ou vingt personnes, et un grand nombre de tâches à effectuer avec cet effectif. Prenons le troisième service sur le tableau. Il s'agit du service de la santé et des actions sociales en charge de divers services pour les personnes âgées. A gauche, on voit que deux personnes de la mairie doivent travailler avec cinq services du département. Elles doivent donc faire face à toutes sortes de demandes adressées par le département. Elles n'ont même pas le temps de réfléchir, et répondent tout juste à ces demandes. Il leur est donc impossible de faire un travail créatif. Et pourtant il serait souhaitable que les communes soient les plus créatives de toutes les collectivités locales. Mais dans un tel système, même si les agents se donnent beaucoup de mal, il leur est impossible de réaliser un travail créatif. Ensuite, le tableau de la page suivante présente le budget de la commune par habitant 6 ( * ) . Je me demande s'il est approprié de parler de la gestion communale uniquement de la dimension financière, mais il est important de savoir si les recettes fiscales sont utilisées de manière efficace pour chacun des habitants. Par exemple, pour une commune de 30 000 ou 40 000 habitants, le budget par habitant est d'environ 360 000 yens, soit environ 2 500 euros par an. Pourtant lorsqu'il s'agit d'une commune de moins de 5 000 habitants, le budget par habitant est le triple, environ 7 500 euros par an. Le contribuable peut légitimement se poser la question de savoir si les impôts qu'il a payés sont correctement utilisés.

M. Bruno Leprat. - Avons-nous terminé votre intervention, M. Shinohara ? Je vous remercie.

Alors, on a donc maintenant une petite séance d'échanges relais, pour respirer un peu. On aura ensuite un changement de quelques orateurs en tribune. Monsieur, s'il vous plaît. Peut-être pourriez-vous vous présenter ? Je crois que vous venez de l'Ambassade.

C. DÉBAT AVEC LA SALLE

Je m'appelle M. Uemura. Je travaille à l'Ambassade du Japon en France. Comme je suis détaché du ministère des Affaires intérieures et des communications, je suis personnellement impliqué dans la décentralisation et dans les diverses réformes. Au sein des collectivités territoriales, je ne me suis pas occupé de fusions de communes, mais également d'autres domaines dont les finances locales.

J'ai un commentaire à faire et deux questions à poser. Je commencerai par le commentaire. M. Shinohara a soulevé une question sur les capacités des communes. En effet, lorsqu'on compare les systèmes d'administration territoriale de différents pays, on cherche à comparer le nombre de communes, le nombre de niveaux de collectivités territoriales. On a tendance à se contenter des chiffres, mais il faudrait en fait étudier les compétences dont les communes disposent et les services assurés par les communes. On ne peut pas faire de comparaison pertinente sans étudier ces questions. Et en ce sens, on peut imaginer qu'en France où les communes sont de petite taille, le volume de services assurés n'est pas important, ou bien que ces communes ne peuvent pas exercer certaines compétences alors que ces dernières leur sont bel et bien attribuées. Une telle situation peut expliquer le choix de la coopération intercommunale par la France, ce qui fait une grande différence avec le Japon qui a opté pour la fusion de communes. C'est pourquoi une telle différence devra être absolument prise en compte dans ces diverses recherches à mener.

Voici maintenant mes deux questions. Premièrement, au Japon, la fusion de l'ère Heisei n'est pas une fusion forcée. Elle respecte avant tout la volonté des communes. Ceci dit, il est vrai que la fusion a été mise en oeuvre en même temps que la décentralisation et les réformes des finances publiques, pour que les communes puissent exercer leurs compétences dans un nouveau cadre. Au Japon, un grand nombre des compétences ont été attribuées aux collectivités territoriales après la Seconde Guerre mondiale, mais le problème du contrôle exercé par l'État, correspondant à la tutelle exercée par l'État autrefois en France, et le contrôle financier de l'État subsistait depuis. C'est une grande différence entre nos deux pays. C'est ce que je voulais ajouter. En France, la réforme de la décentralisation a été mise en oeuvre au début des années 1980 avec un transfert de compétences de l'État aux collectivités territoriales. La France a procédé ensuite au renforcement de la coopération intercommunale, mais avec un laps de temps entre les deux. J'aurais souhaité connaître les observations des acteurs locaux français sur ce décalage. Est-ce que la décentralisation et le renforcement de la coopération intercommunale auraient dû être mis en oeuvre en même temps ? Ou bien est-ce qu'il y a eu des effets positifs dans le fait qu'il y ait eu un intervalle entre les deux ?

Deuxièmement, je voudrais poser une question sur le rôle du préfet en France. Il n'y a pas d'équivalent du préfet au Japon. L'État et les collectivités locales sont donc complètement distincts, alors qu'en France, il y a le préfet dans le département qui remplit depuis quelque temps un rôle de coordinateur. Si le préfet dispose d'un large pouvoir en matière de création d'un EPCI, est-ce qu'il tient compte vraiment des intentions des communes ? S'il ne donne pas suite au projet de création d'un EPCI, sur quoi s'appuie-t-il pour se prononcer de manière défavorable ? Est-ce que ce ne serait pas là une marque de pouvoir centralisateur ? A ce niveau quelle est la philosophie du système en vigueur et comment ce système est-il apprécié ?

M. Bruno Leprat. - Merci, M. Censi cela s'adresse plutôt à vous en tant que représentant des institutions françaises à cette tribune. Bien sûr, si des personnes dans la salle veulent apporter des éléments de réponse à notre interlocuteur, elles sont bienvenues. M. Censi, sur ces étapes de décentralisation, cette présence du préfet... ?

M. Marc Censi. - D'abord il y a eu une erreur d'interprétation de la part de l'intervenant sur les étapes de la décentralisation. L'intercommunalité s'est généralisée certes après les années 80, et après la décentralisation mais l'intercommunalité à fiscalité propre a été créée en France en 1959, et à la fin des années 70, il y avait à peu près en France, je n'ai pas le chiffre exact, mais en gros 200 districts, donc 200 structures de coopération intercommunale.

La décentralisation s'est produite et dans l'esprit du législateur, jusqu'en 1992, la solution qui avait la faveur officielle, c'était la fusion, pas l'intercommunalité. Et ce sont des mouvements spontanés, associatifs, dont le nôtre, qui ont tenté de dire pendant plusieurs années : « mais l'intercommunalité c'est possible, ça marche et c'est une meilleure solution que la fusion ». Tout ça pour dire que ce sont deux phénomènes finalement qui se sont passés un peu séparément et qui n'ont pas vraiment de répercussions l'un sur l'autre. La seule chose, c'est que l'intercommunalité, comme on la découvre aujourd'hui, est véritablement le premier niveau d'expression d'une volonté de maîtrise d'un projet de développement de la base. Et je crois que c'est vraiment la caractéristique du mouvement intercommunal et c'est un point sur lequel évidemment j'étais en désaccord avec ce qui a été dit par M. le Sénateur en début de réunion. La plupart des politiques des collectivités territoriales sont des politiques qui viennent d'en haut, de l'État. Parce que c'est une tradition française et que cela tient à notre histoire jacobine. Pour la première fois, le niveau de base qui était impuissant du fait de sa dispersion, -- 36 000 communes, cela ne pouvait pas marcher, que voulez-vous qu'elles fassent ces 36 000 communes ? Elles étaient dépendantes du département, de la région, de l'État. Et voilà que dans le cadre de l'intercommunalité, les communes en se regroupant sont capables d'atteindre un niveau d'organisation qui leur permet d'afficher une ambition de maîtriser leur destin et l'avenir d'un territoire déterminé. Est-il pertinent ou pas ? Pas toujours. Mais c'est une première tentative et en cela l'intercommunalité va à la rencontre de la décentralisation. C'est vraiment un mouvement qui émane de la base.

S'agissant du préfet, c'est une autre curiosité française, la présence de l'État sur le territoire à travers les départements et ceci date de la Révolution française et très exactement de la Constitution de l'An VIII, c'est-à-dire 1801, si mes souvenirs sont bons. C'était purement et simplement la volonté d'abord du Consulat et ensuite celle alors affichée, embellie par Napoléon, de maîtriser absolument la totalité de l'appareil de l'État. Cela a été l'expression même du centralisme jacobin et son installation en France pour près de deux siècles (1801-1981). Car il a fallu attendre 1981 pour qu'intervienne le véritable acte qui a ébranlé le système jacobin en France : la suppression de la tutelle par les lois de 1981-82, considérée comme une véritable révolution, maintenant on ne s'en rappelle plus, mais il ne faut pas oublier qu'en 1981, dans les départements, l'exécutif était assuré par le préfet, c'est-à-dire par l'État. Les Maires étaient sous la tutelle du préfet, ils ne pouvaient pas prendre de décision sans en avoir référé au préfet. Et du jour au lendemain, l'État lève le pied, il laisse le pouvoir exécutif à des Présidents élus, il crée la région d'ailleurs et les Présidents des régions sont également détenteurs de l'exécutif, alors qu'auparavant c'était le préfet de région. Alors voyez c'était véritablement un séisme qui a fait que du jour au lendemain, ce n'est plus l'État qui a dirigé les affaires locales, ce sont véritablement cette fois les assemblées élues, y compris avec un pouvoir exécutif. Nous restons dans une organisation où l'échelon départemental est la rencontre harmonisée en termes territorial, du local et du national. Et on assiste, et on a assisté je vais me livrer un peu, j'espère que je ne vexerai personne, dans les diverses étapes de la décentralisation, ainsi que vous l'avez entendu dans les expressions utilisées, même de la part de M. le Sénateur Dallier, à une interrogation sur le département. Et le professeur Verpeaux, quand vous lui avez demandé dans vingt ans comment il voit le paysage, a quand même hésité à dire que le département aurait disparu parce que c'est un peu trop audacieux, mais vous avez senti à travers ses propos qu'il y avait une interrogation.

Et pourtant que ce soit les lois de 82 et puis tous les textes qui ont suivi pour la décentralisation, les lois de 92, les lois de 94, 98, à chaque fois on a dit : « attention le département est menacé... », et à chaque fois, le département est sorti conforté de ces diverses étapes. Ce n'est pas une énigme, en réalité on a assisté à des transferts de compétences de l'État vers qui ? Les compétences de l'État qui étaient essentiellement, pour beaucoup en tout cas, organisées dans le cadre départemental, dès lors que l'État se retire, qui est le plus à même de récupérer par transfert les compétences qui étaient exercées dans le cadre départemental ? Le département. Et donc là, il y a un cas de filiation directe qui remonte à la Révolution française, et qui montre bien qu'il y a parfois non pas des inerties, mais disons des continuités à travers les décennies et les siècles sur lesquelles on a des difficultés à revenir.

M. Bruno Leprat. - Merci, nouvelle question ?

Oui merci. Fabrice Huriot du Centre de recherche sur la décentralisation territoriale de l'université de Reims. C'est une question qui concerne le Japon.

En France, la coopération intercommunale combine respect de la démocratie locale, efficacité des services et rationalisation des coûts. Les projets de fusion qui ont pu être réalisés, dans différents pays européens, au Japon, mais aussi au Canada, récemment, sont axés principalement, voire exclusivement, sur l'efficacité et la rationalisation des coûts. Alors la question concerne la démocratie locale, et l'identité des communes. Par exemple, en Belgique, les communes sont fusionnées, mais l'identité communale a subsisté et les gens sont toujours rattachés à leur ancien village. Alors de quelle manière, au Japon, perçoit-on encore l'identité communale, et de quelle manière les habitants de ces communes, voire des quartiers de ces communes, peuvent-ils faire valoir leur voix au sein d'ensembles qui sont très larges et qui risquent d'oublier la dimension de proximité avec les habitants ?

M. Bruno Leprat. - Merci. M. Shinohara peut-être, M. Tsushino aussi sur cette question très locale puisque là on entre dans la psychologie des individus, des habitants et des quartiers.

M. Toshihiro Shinohara. - Oui, au Japon aussi, les opposants à la fusion abordent souvent cet aspect. Je pense qu'il y a deux fonctions que les communes ont des difficultés à assurer conjointement. C'est d'ailleurs un trait commun des communes du monde entier. Tout d'abord, la commune est une communauté mais également une entité qui défend cette communauté. En outre, la commune est une administration qui assure des services. Ces deux fonctions doivent être remplies dans un même cadre, et c'est là que réside le problème. Au Japon, à la différence de la France, la dimension administrative a été privilégiée, mais des mesures ont été prévues pour préserver l'identité locale dans le cas de la fusion en cours. Par exemple, une commune créée peut installer différentes organisations dans les communes datant d'avant la fusion. Elle peut également mettre en place des conseils pour écouter les habitants. De plus, pour certaines des communes qui allaient perdre leur nom, une mesure leur permettant de garder ce nom a été prévue. Il reste à savoir si ces mesures ont été suffisantes. De toute manière, le but est d'éveiller une prise de conscience de la population sur son appartenance à la commune. Je connais en tous cas très bien la préoccupation d'identité communale.

M. Bruno Leprat. - M. Tsushino, s'il vous plaît ?

M. Mamoru Tsushino. - Je vais de toute façon reprendre la parole tout à l'heure, mais je voulais aborder cette question d'identité locale qui était l'une des questions que nous avons eu à résoudre lors de la fusion. Dans le cadre des dispositifs de fusion prévus, la ville de Takayama a mis en place des conseils locaux afin de remplacer les conseils municipaux des communes qui existaient avant la fusion. Ces conseils locaux ont pour mission d'écouter les habitants et de communiquer leurs avis au Maire. Par ailleurs, les locaux des anciennes mairies sont désormais utilisés comme annexes de la mairie de la nouvelle commune afin que la population continue à bénéficier des services comme avant. La ville de Takayama a en outre prévu un budget spécial de développement local pour préserver l'identité locale dans les domaines de la culture, des traditions, des industries et des particularités locales. Peu de communes ont prévu un budget similaire. Ce budget a été réparti entre les différents quartiers de la nouvelle commune afin d'être utilisés en fonction des besoins. Cela permet de préserver l'unité des anciennes communes.

M. Bruno Leprat. - Merci. Monsieur, troisième question ?

Christophe Mondou, maître de conférences à l'université de Lille. Trois petites questions à M. Shinohara --

Est-ce qu'au Japon, il existe un système qui permet aux communes de « défusionner », le terme n'est pas forcément évident, c'est-à-dire de sortir d'une fusion ? En France il y a souvent eu cet aspect là. Deuxième chose, comment se fait finalement le partage entre communes et départements puisque vous avez quand même deux niveaux ? Sous forme de bloc ou de clause générale ? Troisième chose, dans le tableau qui nous a été distribué 7 ( * ) , sont mentionnées certaines formes de collectivités sous forme de syndicats. Est-ce que ces syndicats pour affaires partielles correspondent à des intercommunalités comme en France ou est-ce que c'est complètement autre chose ? Merci.

M. Bruno Leprat. - Vous voilà soumis à la question.

M. Toshihiro Shinohara. - Pour ce qui est du « défusionnement », c'est une éventualité. Mais ce qui est étrange, c'est que rien n'est précisé sur le « défusionnement » alors que les procédures de fusion sont déterminées dans le détail. C'est normal puisque nous promouvons la fusion, mais en tout cas juridiquement il est possible de « défusionner ». Parmi les fusions qui ont été réalisées juste après la Seconde Guerre mondiale ou dans le cadre de la grande fusion de l'ère Showa commencée en 1953, certaines étaient contre nature. Il y a donc eu des cas de « défusionnement ».

Quant à la deuxième question, le principe de répartition des compétences entre communes et départements est le suivant ; toutes les compétences qui peuvent être exercées à l'échelle communale sont attribuées aux communes. Celles qui couvrent un territoire plus important qu'une commune relèvent des départements. Et l'État assume les autres compétences qui sont exercées au delà de l'échelle départementale. Ceci est un peu approximatif, mais cela se passe de cette façon. Ce qui ne peut pas être fait par les communes est réalisé par les départements, et ce qui ne peut pas être fait par les départements est pris en charge par l'État. C'est le cas de la diplomatie ou de la défense. Enfin, je voudrais vous parler des syndicats pour affaires partielles. Ils correspondent en effet aux syndicats intercommunaux en France, à moins que je n'aie pas bien compris la coopération intercommunale en France. D'ailleurs, je pense que ces syndicats ont pris pour modèle les syndicats intercommunaux français. Ces syndicats existent depuis 1870. Parallèlement à la grande fusion de 1953, l'État a cherché à renforcer la coopération intercommunale durant une vingtaine d'années sans pouvoir atteindre le résultat escompté. Au cours de ces années, il a tenté de mettre en place une structure intercommunale dotée de compétences renforcées qui devait remplacer le syndicat. Il s'agit du groupement intercommunal à grand périmètre, auquel le pouvoir de lever l'impôt n'a toutefois pas été donné.

Par ailleurs, il a été envisagé que le Président du groupement intercommunal à grand périmètre soit élu au suffrage universel, mais cette idée n'a pas été partagée. Nous en sommes arrivés à un compromis, et le groupement intercommunal à grand périmètre qui était conçu initialement comme une structure intercommunale à compétence renforcée s'est retrouvé comme un équivalent du syndicat pour affaires partielles. C'est donc ce constat d'échec ou la réaction à cet échec qui a poussé en quelque sorte le Japon vers la fusion de communes.

M. Bruno Leprat. - Nous allons prendre les deux questions à la suite l'une de l'autre, pour qu'ensuite la parole se termine en tribune.

Je suis Monsieur Naiki, Directeur général du CLAIR Londres. Je voudrais tout d'abord remercier Monsieur Shikata qui m'a invité à ce colloque.

Je voudrais poser des questions aux intervenants français et japonais. C'est avec grand intérêt que j'ai écouté les intervenants français. Il me semble que la question de la taille appropriée des communes est la plus importante et la plus pertinente. C'est en effet une question délicate, mais il est fondamental d'avoir une vision claire sur cette question. En France, la taille des communes est petite. Les communes japonaises, quant à elles, sont assez grandes, mais les communes anglaises sont encore plus grandes. Il existe en plus un courant pour avoir un seul niveau de collectivité territoriale et accroître encore la taille des communes. Cela risquerait cependant d'éloigner les communes de leurs habitants. C'est pourquoi le Ministre chargé de cette question souhaite prendre la France comme modèle.

Ma question est la suivante. Si l'on continue, à l'époque des nouvelles technologies, d'accroître la taille des communes pour deux objectifs qui sont la rationalisation des coûts et l'élargissement du périmètre de la vie quotidienne, comme l'a dit M. Shinohara, je me demande si les communes, collectivités territoriales de proximité, ne finiront pas par devenir, à terme, aussi grandes que des États. En outre, demeure la question de la démocratie locale qui permet de prendre des décisions sur tout ce qui est du ressort du territoire. Les habitants élisent pour cela leurs représentants. Les habitants se rendent toutefois à la mairie en bicyclette, en voiture ou à pied pour y bénéficier de services. Il existe donc deux aspirations. En France, lequel de ces deux aspects les communes vont-elles privilégier ? Et qui, selon vous, devrait prendre la décision sur cette orientation ?

Je voudrais maintenant poser une question aux intervenants japonais. J'ai été Maire adjoint de la ville de Kita-Kyûshû qui a eu le statut de ville désignée par décret à la suite de la fusion de cinq communes. Quels sont les critères pour déterminer le périmètre de la vie quotidienne des citoyens ? Je m'adresse en particulier à M. le Maire Tsuchino. En effet, la procédure de fusion est compliquée, mais la gestion communale suite à la fusion est encore plus difficile. S'il s'agit d'une fusion par regroupement de cinq communes, la nouvelle commune se trouve avec cinq hôpitaux ou cinq bibliothèques. Pour rationaliser la gestion de la commune, il faut donc réduire le nombre de ces établissements, mais cela oblige à modifier la sphère de la vie quotidienne des habitants. La recherche de la rationalité économique et le maintien de la démocratie locale doivent être assurés en même temps. Le périmètre de la vie quotidienne des habitants doit être modifié rapidement. Pourtant l'état d'esprit de ces derniers ne change pas vite. Il est également nécessaire de changer l'état d'esprit des employés municipaux. La ville de Kita-Kyûshû a mis 32 ans. J'aurais donc souhaité connaître le point de vue de Monsieur le Maire.

M. Bruno Leprat. - Merci, je propose qu'on entende la deuxième question et on passera à la table ronde suivante. On a deux Sénateurs qui sont patients et qui attendent, qui peuvent d'ailleurs déjà participer à ces échanges.

Oui bonjour, Daniel Parizot, je suis Directeur du budget dans la région Poitou-Charentes. La question que je voudrais poser s'adresse à M. Censi et je pense qu'il ne sera pas étonné de l'entendre, lui qui a été Président du Conseil régional.

Je pense qu'on oublie aussi le rôle des régions qui ont oeuvré pour l'intercommunalité. Parce que pendant deux décennies il ne faut pas que l'on oublie que les régions ont été des acteurs essentiels en termes d'aménagement du territoire, et qu'on a souvent entendu parler de contrats de pays, et de contrats de territoire. Et donc la question que je voulais poser à M. Censi est : est-ce que vous ne pensez pas que ces deux décennies où les régions ont travaillé sur ces thèmes là, n'ont pas oeuvré en faveur justement de l'intercommunalité ?

M. Bruno Leprat. - Ecoutons peut-être nos interlocuteurs japonais sur ces hésitations de la réglementation et décisions entre rationalité et usage au quotidien, vie pratique, vie quotidienne. M. Shinohara, ou bien M. Tsushino, à leur guise.

M. Mamoru Tsushino. - Je voudrais vous parler de la situation actuelle dans la ville de Takayama. A la suite de la fusion, la longueur des routes que la nouvelle commune doit désormais gérer est passée de 620 km à 1 800 km, ce qui correspond au triple de la distance initiale. Le nombre des équipements publics a également été multiplié par trois, avec 644 équipements au lieu de 220. Quant au nombre de ponts, il est passé d'environ 220 à 1 000. Il était en effet très difficile de conserver tous les équipements. Certains équipements étaient très anciens et d'autres avaient besoin de travaux antisismiques. La rationalisation de la gestion des équipements municipaux faisait donc naturellement partie des conditions préalables de la fusion. Au Japon, récemment, un système de la délégation de la gestion des équipements publics appelé « le gestionnaire désigné » a été prévu par la loi. Dans ce cadre, la commune a décidé de déléguer les deux tiers des 644 installations municipales. Il est d'ailleurs prévu de déléguer la gestion d'environ 170 équipements à des gestionnaires désignés à partir du mois d'avril 2006.

Il faudrait également penser à l'intégration et à la suppression de certaines écoles. Cette perspective peut toutefois remettre en cause les questions d'identité locale précédemment évoquées. Par ailleurs, les enfants qui fréquentent une toute petite école rencontrent des difficultés à exercer un sport collectif, et ils ont peu d'amis. Il faudra donc se mettre à la place des enfants et avoir leur regard pour réfléchir au devenir des écoles. Le projet sera mis en oeuvre dès avril 2006, mais en accord avec les parents. Il existe à l'heure actuelle un grand nombre de petits équipements dispersés qui ne sont pas forcément utiles pour les habitants. Avec les moyens de transports d'aujourd'hui, ils peuvent se déplacer assez facilement pour profiter des équipements plus importants mais situés un peu loin. Cela élargit le périmètre de la vie quotidienne des habitants sans poser de problème particulier. Je crois, moi aussi, qu'il est très important de changer la mentalité des agents municipaux. Pour cela, nous avons organisé des échanges de personnel entre l'ancienne ville de Takayama et les anciennes communes voisines jusqu'à 40 % des effectifs. Plusieurs mesures, comme le renforcement de la formation du personnel, ont également été prévues pour que la ville nouvellement créée puisse présenter rapidement une certaine unité. Il nous faudra bien sûr du temps avant que tout soit bien mis en place. Nous cherchons également à promouvoir la réforme administrative, mais je vous en parlerai plus tard.

M. Bruno Leprat. - M. Shinohara ?

M. Toshihiro Shinohara. - En quelques mots si vous voulez. Monsieur le Directeur général Naiki a été Maire adjoint de la ville de Kita-Kyûshû, grande ville désignée par décret. Il faudra du temps pour que la sphère de la vie quotidienne se superpose au territoire communal. La ville de Kita-Kyûshû est une commune créée à la suite de la fusion par regroupement de cinq communes. Ces communes avaient chacune une identité et aujourd'hui encore, elles continuent à exister au sein du périmètre de la ville de Kita-Kyûshû. Lorsque les communes d'une certaine taille fusionnent pour créer une grande commune, elles restent telles qu'elles étaient dans la commune créée. Quant à la question de l'état d'esprit des agents communaux, je voudrais vous dire que le ministère des Affaires intérieures et des communications a été mis en place il y a trois ans à la suite de la fusion de trois ministères. Aujourd'hui encore, la gestion du personnel du ministère se fait selon les trois compétences et l'effectif est composé du personnel des trois anciens ministères. Par conséquent, le ministère est mal placé pour préconiser la fusion. Je pense qu'il faudra du temps pour qu'il change.

M. Bruno Leprat. - Marc Censi sur cette question d'un haut fonctionnaire territorial ?

M. Marc Censi. - Oui tout d'abord le couple communauté/région, en termes d'aménagement du territoire, en termes de développement local : l'assemblée que je représente ici a toujours eu cette notion d'un couple vertueux entre région et communauté. Et cela se traduit en effet par des contrats de toutes natures : le contrat d'agglomération tel qu'il est sorti de la loi Chevènement est un exemple de l'efficacité, de la rationalité de ce couple région/communauté. Que les régions y aient travaillé, cela me paraît indiscutable, moi mon énigme vient du fait que quelqu'un qui en a toujours été l'ardent défenseur et qui était précisément Président de la région Poitou-Charentes, quand il est devenu Premier Ministre, s'est trouvé confronté à des difficultés et à la réalité des arbitrages du pouvoir, qui l'ont amené pratiquement à abandonner cette notion, à tel point que je l'ai entendu dire, il me semble bien que c'était à Strasbourg, en congrès des départements que le couple à privilégier c'est le couple département/commune.

Bon, ce qui prouve qu'entre les grands principes et puis l'inertie et les résistances du terrain et la modification et les réformes, il y a parfois des accommodements qu'il faut bien trouver. Je reste persuadé aujourd'hui et de plus en plus qu'en termes d'aménagement du territoire et de développement économique, la relation entre le projet de développement régional et le projet de développement local, c'est le couple région/communauté qui me paraît complètement évident.

Sur la question concernant l'arbitrage entre la proximité et la rationalité, les réponses dépendent dans chacun de nos États de notre histoire locale. Les communes en France ont au moins dix siècles, les premières libertés, les premières chartes de liberté communales datent du XIe siècle et du XIIe siècle mais on en retrouve les traces beaucoup plus en amont. Et dès l'époque gallo-romaine et petit à petit avec le développement de la chrétienté dans tout l'Occident chrétien, on a vu se mettre en place des communautés qui ont préfiguré les communes. Donc c'est chez nous une telle réalité ancienne et historique que nécessairement, en France, les solutions que l'on met en place tiennent compte de ce poids de l'histoire. Ceci dit c'est un vrai débat de philosophie politique, j'y ai fait allusion tout à l'heure, et qui a animé les réflexions philosophiques depuis les origines.

C'est toute la question de la relation de l'individu ou du citoyen avec la société et la réponse théorique qui a été apportée, pour notamment l'Union européenne, c'est la subsidiarité qui est inscrite dans les textes fondateurs de l'Europe. Et la subsidiarité a une conséquence inéluctable, c'est qu'elle progresse vers un système fédéral, et que par conséquent cette évolution fatale qui est inscrite dans ses gènes et dont on a un exemple presque chimiquement pur en Suisse -- la Suisse est une organisation qui est fondée très exactement sur le principe de subsidiarité -- se heurte ici ou là à des traditions, à des habitudes nationales qui font que c'est très difficile à mettre en pratique et que vous avez vu la France voter « non » à la Constitution européenne, pour un certain nombre de motifs naturellement, et de tous ordres, mais je pense que au fond la France, vous le savez bien, n'est pas un état fédéral, c'est un État dans lequel l'État a précédé la nation. L'État est venu bien avant la notion de Nation. Et donc la notion même de fédération nous est totalement étrangère en France. Donc, proposer à des Français une évolution vers un système qui présente un caractère fédéral, c'est une véritable provocation. Alors moi j'accepte naturellement, en ce qui me concerne, la provocation. C'était l'occasion de relever le défi, mais majoritairement vous avez vu que la France en a décidé autrement. C'est un véritable problème de fond. Et tous les philosophes depuis 2 500 ans s'y sont un peu cassé les dents.

M. Bruno Leprat. - Je vous remercie.

Nous faisons place maintenant à un nouveau temps fort, c'est une série d'interventions sur l'évaluation des fonctionnements de ces regroupements intercommunaux en France et au Japon. Est-ce qu'ils ont atteint leurs objectifs ? Je suggère que nos invités japonais restent à nos côtés. Merci à Marc Censi, bon retour à Rodez ou bon séjour à Paris, et deux Sénateurs vont se joindre à nous il s'agit de M. Bourdin et de M. Frécon, Joël Bourdin, Sénateur de l'Eure est également conseiller municipal de Bernay, et Jean-Claude Frécon est Sénateur de la Loire, vice-Président d'une communauté de communes.

Les fusions de communes, M. Shinohara, ont-elles permis de rationaliser la gestion ? Vous êtes partis, je crois, pour une réponse à deux voix ? Alors M. Shinohara peut-être sur cette question sur la rationalité. Les premiers résultats, les évaluations, est-ce que cela a porté des fruits ? Quels sont aujourd'hui les points faibles de cette réforme des fusions ? Vous avez l'intention de répondre avec M. Tsushino ?

TABLE RONDE 2 : QUELS SUCCÈS POUR
LES REGROUPEMENTS INTERCOMMUNAUX ?

I. LE REGROUPEMENT INTERCOMMUNAL PERMET-IL DE RÉALISER DES ÉCONOMIES D'ÉCHELLE ?

A. M. TOSHIHIRO SHINOHARA, DIRECTEUR DE LA PLANIFICATION DES POLITIQUES AUPRÈS DU SECRÉTARIAT DU MINISTRE DES AFFAIRES INTÉRIEURES ET DES COMMUNICATIONS ET M. MAMORU TSUCHINO, MAIRE DE TAKAYAMA : LES FUSIONS DE COMMUNES ONT-ELLES PERMIS DE RATIONALISER LA GESTION LOCALE ?

Pour ce qui est des effets de la fusion, elle permet de baisser les coûts et d'offrir en même temps de meilleurs services à la population. En termes de coûts, c'est sur les frais de personnel que la fusion se répercute le plus. Cela a déjà été évoqué par M. Shikata lors de l'ouverture de ce colloque. Je vous remercie de regarder la page 7 du document 8 ( * ) . M. le Premier Ministre Koizumi aime beaucoup ces chiffres qu'il cite souvent. On voit ici que les postes de Maire, de Maire adjoint et de trésorier ont été réduits de près de 40 %, ce qui a naturellement baissé les dépenses. Il en est de même pour les conseillers municipaux. Le nombre maximal de conseillers municipaux étant fixé légalement, avec autant de fusions, leur nombre diminue forcément, et ce dans une proportion importante.

Cependant, l'amélioration des services ne peut être constatée aussi rapidement. L'effectif de la commune augmente après la fusion. Il faut donc à la fois réduire le personnel et améliorer les services. Cela demande beaucoup d'efforts, mais la fusion donne plus de potentiel à la commune. C'est ce potentiel qui produira des effets de la fusion que nous attendons. Je laisse la parole à M. Tsuchino.

M. Mamoru Tsushino , Maire de Takayama.

Je me présente à nouveau, je suis M. Tsuchino. Je vais vous décrire la situation de la ville de Takayama et les effets de la fusion. J'aurai voulu vous présenter brièvement la commune, mais comme il ne nous reste que très peu de temps, je vais abréger cette partie. La ville de Takayama a fusionné le 1 er février 2005 avec neuf autres communes en les intégrant. Sa population a augmenté de 30 000 personnes à la suite de la fusion, et elle compte aujourd'hui 97 000 habitants. Avec une superficie de 2 200 km2, la ville de Takayama est la commune la plus vaste du Japon. C'est une très belle ville qui bénéficie de beaux paysages montagneux. Je crois qu'elle pourrait plaire aux visiteurs français. Je vous ai remis la copie de la page de présentation du site internet de la ville. Vous trouverez d'ailleurs des informations en français en accédant à ce site. Je vous remercie d'avance de votre visite.

Je vais vous présenter maintenant l'historique qui a conduit à la fusion. Il a été question tout à l'heure de la situation qui entoure les collectivités locales. La ville de Takayama menait déjà une réforme avant la fusion. Il s'agissait de la réduction du nombre d'agents, de la délégation de certains services au secteur privé et de la baisse des dépenses de travaux publics. Sur le plan financier, la ville présentait une certaine stabilité. En outre, les neuf autres communes intégrées lors de la fusion de Takayama, comptant entre 800 à 8 000 habitants, manquaient de ressources propres. Ces communes étaient donc dépendantes des subventions étatiques comme des dotations de l'État dans la réalisation des travaux publics, et se trouvaient dans une situation financière très difficile. Dans un tel contexte, la ville de Takayama n'était pas au départ favorable à la fusion, mais la demande de la part des communes l'entourant était forte. En effet, la ville de Takayama étant la ville centre de ce territoire, les habitants des communes voisines y venaient pour le travail, les études, les courses ou les soins médicaux. La ville de Takayama faisait donc déjà partie de la sphère de leur vie quotidienne. C'est pourquoi la ville de Takayama a pris la décision de fusionner. Les habitants de Takayama craignirent la dégradation de la situation financière de la commune du fait de l'endettement des autres communes. Cependant, la prise en charge de leurs dettes était inévitable, et nous avons accepté la fusion en connaissance de cause.

Je voudrais d'abord vous parler des effets de la fusion du point de vue de la gestion locale, avant d'aborder la question de l'amélioration des services rendus à la population.

Je peux citer comme premier effet de la fusion, la renaissance du dynamisme local. C'est à mon avis l'un des effets les plus importants de cette fusion. En effet, grâce à la fusion, les communes qui ont été intégrées dans la ville de Takayama ont retrouvé leur dynamisme. Les neuf communes qui ont fusionné avec la ville de Takayama étaient confrontées aux problèmes du vieillissement de leur population ainsi qu'à la désertification, entraînant une perte de leur vitalité. Dans une telle situation, leur fusion avec la ville de Takayama, connue dans tout le Japon comme un haut lieu touristique de la région de Hida-Takayama, leur permettait d'acquérir une nouvelle identité locale. Les habitants des anciennes communes voisines et les entreprises implantées dans ces dernières ont désormais une nouvelle aspiration, et s'engagent davantage dans la vie locale et les activités économiques. En effet, les habitants des communes intégrées s'investissent plus dans la vie locale au lieu de laisser travailler leur mairie. C'est une nouvelle attitude qui est constatée.

Le deuxième effet de la fusion est l'amélioration de l'image de la ville de Takayama grâce aux ressources apportées par les communes intégrées, qui a apporté un dynamisme général. Takayama, qui posséde déjà ses sites historiques et une culture traditionnelle, bénéficie également de ressources attractives comme les montagnes grandioses des Alpes du Japon, les paysages ruraux ou de nombreuses stations thermales. Ces diverses ressources ont amélioré l'image de la ville, et ont apporté un nouveau dynamisme. Par ailleurs, le tourisme vert est développé dans la région. La promotion du tourisme vert qui était jusqu'à présent faite individuellement dans chacune des communes fusionnées sera désormais assurée pour l'ensemble du territoire de la nouvelle commune. J'espère que cela va créer une nouvelle demande touristique.

Le troisième effet correspond à l'un des grands objectifs de cette fusion. La base financière des communes fusionnées avec la ville de Takayama était fragile à l'origine, mais la fusion a apporté des économies d'échelle qui ont permis à l'ensemble du territoire de se doter d'une base financière stable et durable. C'est un enjeu commun à tout le Japon qui fait face au phénomène croissant de dénatalité et de vieillissement de la population. Ce phénomène s'accélère également dans notre région. Les communes fusionnées étaient touchées par le problème du vieillissement de la population qui entraînait une diminution de la population. Plus de 30 % de la population de ces communes avait plus de 65 ans. Dans une telle situation, les dépenses de santé et d'action sociale continuaient à augmenter et il était très difficile pour les petites communes dépourvues de moyens financiers d'assurer la continuité des services sociaux. Ces communes ont eu un portefeuille commun avec la ville de Takayama grâce à la fusion, stabilisant leur situation financière et apportant une garantie de continuité des services aux habitants.

Le quatrième effet de la fusion est la rationalisation de l'administration et la gestion financière à grande échelle. Par exemple après la fusion, 35 postes de Maire, Maire adjoint, trésorier et Président de comité d'éducation dans les neuf communes ont été supprimés. Le nombre des conseillers municipaux a été par ailleurs réduit de 100. De plus, au moment de la fusion, il y a eu 77 préretraites parmi les agents municipaux. Cette réduction du personnel a abouti à une économie des frais de personnel de 1,1 milliard de yens, soit 7,9 millions d'euros par an. Cette économie a été affectée à l'amélioration des services à la population. Le nombre des agents communaux au moment de la fusion était de 1 269, ce qui représentait une augmentation importante pour la commune. Mais sur les cinq années à venir, 30 % des postes seront supprimés. Cette réduction concernant 400 personnes est en cours. A la fin du mois de mars 2006, 100 personnes partiront en retraite. Les ressources obtenues par la réduction des frais de personnel seront utilisées pour améliorer les services rendus à la population ou pour réduire les dettes. Et puis comme je vous l'ai dit tout à l'heure, la ville de Takayama examinera la nouvelle répartition des équipements publics dans les différents secteurs de la ville, la suppression et l'intégration de certaines écoles et la délégation de la gestion de certains équipements au secteur privé, bien sûr tout cela avec l'accord de la population.

Je voudrais vous présenter comme cinquième effet de la fusion, l'urbanisme mis en oeuvre d'un point de vue du périmètre élargi, et la diversification des politiques. Depuis la fusion, la ville de Takayama a le territoire communal le plus vaste du Japon et aujourd'hui, la ville peut élaborer un plan d'utilisation des sols sur un périmètre élargi qui met en valeur différents secteurs de la ville. Il y a donc beaucoup de possibilités pour les projets d'urbanisme. L'aménagement des infrastructures telles que les routes ou les équipements publics peut être fait de manière plus efficace. Par ailleurs, la promotion de l'histoire, la culture traditionnelle, la nature, les paysages de montagne et les stations thermales de la ville de Takayama que je vous ai présentés tout à l'heure se fera sur un périmètre élargi et en coordination. Cela permettra de déployer une nouvelle stratégie touristique pour augmenter encore la demande touristique.

Le sixième et le dernier effet de la fusion est le renforcement de la capacité de mise en oeuvre des politiques de la commune dans différents domaines. Depuis fort longtemps, la ville de Takayama dispose au sein de la mairie de services en charge des questions qui demandent une compétence spécifique telle que la coopération décentralisée, les TIC, la promotion touristique, l'urbanisme, la protection de l'environnement, l'égalité des chances entre hommes et femmes ou le soutien à la vie associative. Toutefois, les communes qui ont fusionné avec Takayama n'avaient pas les moyens d'affecter un personnel hautement qualifié dans ces domaines. La fusion a donc profité à ces anciennes communes voisines qui peuvent aujourd'hui bénéficier des mesures en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées, de l'aménagement des infrastructures de la télécommunication ou de la promotion touristique offerts par la ville de Takayama. Voilà les résultats de la fusion que je voulais vous présenter du point de vue de la gestion locale. Je vous parlerai ultérieurement de l'amélioration des services rendus aux habitants. Je vous remercie.

M. Bruno Leprat. - Merci une petite précision sur le parcours de M. Tsushino. Il vit actuellement son troisième mandat et est par ailleurs un ancien fonctionnaire du ministère des Affaires intérieures.


Alors M. Bourdin, sur les implications financières de la montée de l'intercommunalité en France ? Peut-être quelques précisions, vous êtes conseiller municipal aujourd'hui, d'une commune qui s'appelle Bernay ? Vous avez été Maire de cette commune, comment est-elle intégrée dans un dispositif intercommunal ?

B. M. JOËL BOURDIN, SÉNATEUR DE L'EURE, PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DE BERNAY ET DES ENVIRONS : QUEL EST L'IMPACT FINANCIER DE LA MONTÉE DE L'INTERCOMMUNALITÉ EN FRANCE ?

Oui, j'ai été Maire de cette commune, je suis toujours Président de la communauté de communes et Président de la commission départementale de l'intercommunalité, et suis donc effectivement impliqué dans le mouvement intercommunal.

Je voudrais tout d'abord vous rappeler que l'intercommunalité à fiscalité propre date de 1992, puis un autre texte important a été voté en 1999 et durant cette période, on a pu constater une montée en puissance de l'intercommunalité. L'essentiel du territoire français est couvert par l'intercommunalité, peut-être pas l'essentiel du territoire bien sûr, mais une grande proportion de la population avec cette particularité que le mauvais élève de l'intercommunalité, c'est l'Ile-de-France où l'intercommunalité est moins développée que dans bien d'autres régions.

M. Bruno Leprat. - Et le meilleur c'est la Bretagne ?

M. Joël Bourdin. - Oui, le plus avancé c'est la Bretagne. Alors l'idée qui a prévalu au moment où on s'est lancé dans les textes sur l'intercommunalité c'est l'idée de l'exploitation des économies d'échelle, économie de taille, permettant de faire plus avec moins, ou permettant pour un même coût de dégager plus d'utilités publiques, c'est ça l'idée.

Effectivement, le territoire français était très morcelé avec 36 000 communes, il y avait certainement beaucoup de choses à faire à un moment où la technologie impliquait de gros investissements. Il n'est pas facile de faire une piscine dans une commune de 1 000 habitants. Il vaut mieux quand même être à plusieurs pour le faire. Il n'est pas facile de faire un grand site sportif avec piste d'athlétisme etc.., même dans une commune de 7 000 à 8 000 habitants, il vaut mieux disposer d'un hinterland beaucoup plus large donc l'idée c'était cela, avec l'intercommunalité, il y avait d'autres idées, bien sûr, mais l'idée essentielle c'est celle-ci. On doit, pour une même utilité réduire les coûts, ou pour un même coût créer plus d'utilités. Il n'y a pas eu d'évaluation pour le moment, il y a eu simplement un document, tout à fait récent d'ailleurs, il date de novembre 2005, il a trois mois, de la Cour des comptes. Document qui s'appelle « Rapport sur l'intercommunalité » qui reprend un certain nombre d'observations qui ont été faites ici ou là par les chambres régionales des comptes, mais on ne peut pas dire que c'est une évaluation. Il y a des observations, il y a des idées intéressantes, il y a des critiques mais ce n'est pas à proprement parlé vraiment une évaluation. On n'a pas encore vraiment fait d'évaluation sur l'intercommunalité. D'ailleurs vous savez, on n'est pas très fort, je le dis devant nos amis étrangers, on n'est pas très fort en France pour l'évaluation, on ne le fait pas toujours réellement, et c'est le cas ici.

Néanmoins on peut observer que l'intercommunalité s'est accompagnée d'un gros effort de l'État, il a fallu aider les communes à penser à l'intercommunalité. Il ne suffisait pas de leur dire c'est bien, il fallait leur donner un intérêt financier. On a utilisé la carotte, je ne sais pas comment on dit au Japon, il a fallu utiliser des tas de douceurs pour inciter les communes à se rapprocher et pour s'engager dans l'intercommunalité, donc l'État a fait un gros effort, effort différencié d'ailleurs, suivant l'importance des transferts des compétences des communes vers les formules intercommunales.

L'effort de l'État le plus important par habitant est évidemment pour les communautés urbaines, les communautés d'agglomérations, et les communautés de communes qui ont accepté de mettre en commun leurs ressources de taxes professionnelles avec la TPU. Il est moins fort évidemment pour les autres. Et donc dès le début, il a été prévu dans nos textes instituant nos différentes communautés, il a été prévu que l'État participerait largement, d'ailleurs il y a d'autres intérêts financiers à être en intercommunalité. Donc le mouvement d'intercommunalité s'est effectivement enclenché dans les années 90 et ceci a entraîné de la part de l'État un effort soutenu puisque au fur et à mesure que se créaient des formules intercommunales alors qu'on ne voulait pas retirer des ressources d'État vers les communes, la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes n'a pas bougé avec l'intercommunalité, elle est toujours répartie selon les mêmes critères, donc on a ajouté des dotations importantes, mais au fur et à mesure qu'on créait des communautés urbaines et des communautés d'agglomérations et de communes, l'État évidemment a ajouté dans son budget et dans les lois de finances de plus en plus de moyens d'année en année.

Et ces dernières années la dotation financière de l'intercommunalité a augmenté de l'ordre de 20 % par an. Alors la progression est freinée maintenant qu'il y a une couverture assez importante de la France, par l'intercommunalité, et donc la progression, on a vu cela en Comité des finances locales la semaine passée, l'enveloppe de l'intercommunalité doit augmenter de 4,5 à 5 % ce qui montre bien que l'effort de l'État est toujours là, il est toujours en progression mais la plupart des formules intercommunales sont installées. Donc, effort de l'État important. Quand l'État donne par exemple 14 milliards d'euros à la dotation de fonctionnement pour les communes, il en met 5 pour l'intercommunalité, je le répète, ceci est un surplus. Cet effort est bien sûr accompagné par les communautés de communes, d'agglomérations et autres, par le moyen de leur propre fiscalité, la fiscalité de l'intercommunalité a augmenté bien sûr au fur et à mesure que l'intercommunalité s'est installée, que les communautés de communes et autres bénéficiaient de compétences, elles engageaient bien sûr des programmes d'investissement, parfois de fonctionnement, et pour cela elles ont fait appel à la fiscalité.

La fiscalité de l'intercommunalité a augmenté de manière plus importante que la fiscalité des communes au cours de ces dernières années. Je crois que l'an passé, j'ai fait un rapport à l'Observatoire des finances locales. Je pense que l'augmentation des ressources fiscales de l'intercommunalité a été de l'ordre de 4,5 à 5 %. Donc l'intercommunalité elle-même a ajouté sa propre touche par l'appel à la contribution des contribuables. Ceci est clair. Ce que l'on voit, c'est que dans les feuilles d'impôts locaux que reçoivent les contribuables français qui relèvent des impôts locaux, parce qu'après tout il y en a quelques-uns qui ne payent pas les impôts locaux, et bien on s'aperçoit qu'il y a une couche supplémentaire qui s'est ajoutée depuis quelques années et que les contribuables se disent que la fiscalité augmente beaucoup.

Alors, ce que l'on observe aussi dans la fiscalité, c'est qu'il y a eu une modification de la structure de la fiscalité de l'intercommunalité depuis son lancement. Au début, on a créé des structures qui faisaient appel aux quatre impôts classiques : taxe d'habitation, foncier bâti, foncier non bâti, taxe professionnelle. Lorsqu'on a créé les communautés d'agglomérations, on a vu apparaître surtout la ressource de taxe professionnelle, pour les communautés urbaines aussi. Et puis ont été créées les communautés de communes à taxe professionnelle unique, c'est-à-dire que dans ce cas, les communes renonçaient à leur ressource de taxe professionnelle, donc celle des entreprises et cela devenait une ressource pour la formule intercommunale. Actuellement, vous devez avoir à peu près 60 % de la communauté française qui est soumise à la taxe professionnelle de type taxe professionnelle unique. Et si vous prenez le global de la fiscalité de l'intercommunalité, on a vu se gonfler dans le total la part de la taxe professionnelle, parce que la plupart du temps les communautés de communes en taxe professionnelle unique lorsqu'elles bénéficient de la taxe professionnelle unique ne font pas appel aux autres impôts. Cela reste du domaine communal. Donc il y a eu modification de la structure des ressources fiscales de l'intercommunalité en faveur de la ressource taxe professionnelle. Voilà si vous voulez le panorama.

Alors on peut se demander si cet ensemble, c'est-à-dire les ressources qui viennent de l'État, qui viennent de la fiscalité, si cet ensemble est économiquement correct ? C'est-à-dire si la somme des ressources a créé un équivalent en utilités plus important. Là on est incapable de le dire, pour le moment puisqu'il n'y a pas eu d'évaluation. On ne le sait pas. On sait et le rapport de la Cour des comptes le dit qu'il y a des intercommunalités de projet dont on peut dire qu'elles ont augmenté les satisfactions des usagers parce qu'elles ont créé des services nouveaux, parce qu'elles ont créé des structures nouvelles, on le sait. On peut se poser la question pour un certain nombre de structures qui ont bénéficié de ressources, sans qu'on s'aperçoive vraiment qu'au niveau du terrain, au niveau de l'usager, il y a vraiment eu une augmentation de la satisfaction. Il y a une interrogation, probablement que le mouvement n'est pas encore stabilisé, on est à peu près sûr qu'il y a une partie de l'intercommunalité qui n'est pas économiquement correcte, à peu près sûr. C'est pour ça d'ailleurs qu'on a favorisé dans nos textes l'année dernière en 2004, les fusions. On a parlé de fusions tout de suite très largement de la part de nos amis japonais, et bien depuis la loi de finances de 2004, on a prévu des dispositions qui facilitent, qui doivent faciliter, favoriser, les fusions d'intercommunalité, et je crois qu'on est à une période maintenant qui va se traduire par la rationalisation de l'intercommunalité, et la rationalisation va certainement passer ici ou là. Lorsque l'intercommunalité qui n'est pas pertinente sur le plan économique, et on s'en rendra compte de temps en temps, va se traduire par des fusions.

Donc voilà, si vous voulez, quel est le panorama, je suis persuadé quant à moi, pour faire un rapport sur un sujet voisin tous les ans, que globalement, le système de l'intercommunalité est positif c'est-à-dire qu'il s'est traduit par des progrès en matière de services aux citoyens et en matière d'investissements. Il n'en reste pas moins qu'il y a encore une marge d'amélioration dans certains territoires, je ne sais pas si cela dépend de la taille, je crois que cela dépend de la taille quand même et des populations, et dans certains domaines des progrès restent à accomplir. Donc voilà si vous voulez le panorama que je peux faire de l'intercommunalité en m'inspirant très librement, mais en m'inspirant quand même, des travaux de la Cour des comptes qui ont été publiés tout à fait récemment et qui sont d'une excellente qualité. Ce n'est pas une évaluation bien sûr mais c'est un travail très sérieux et qui nous incite à aller plus loin, et j'indique d'ailleurs que le gouvernement, qui s'est inquiété un peu trop d'ailleurs à mon sens sur le devenir de l'intercommunalité au cours de cet automne, a demandé au préfet de chaque département d'établir pour la fin du mois de juin, dans quatre mois, un schéma de renouvellement de l'intercommunalité avec consultation des comités qui sont prévus pour cela, c'est-à-dire qu'on est dans un mouvement, dans un système, qui n'est pas encore arrivé à sa stabilisation.

M. Bruno Leprat. - Merci, avant d'entendre le Maire de Takayama à nouveau, juste une petite question, M. Bourdin. De qui accepteriez-vous la mise en place d'une évaluation financière de l'intercommunalité ? Peut-être la même question à votre voisin, Monsieur...

M. Joël Bourdin. - Je souhaite une évaluation de la part d'organismes indépendants, mais pas de l'État.

Pas de l'État et pas d'organismes dépendants de l'État. Non pas que je sois un adversaire de l'État mais on ne peut pas être juge et partie, et donc je pense qu'il serait souhaitable que l'État éventuellement commande à des organismes indépendants, il y en a, notamment.

M. Bruno Leprat . - Vous pensez à des entreprises privées ? Qui seraient payées par l'État néanmoins ?

M. Joël Bourdin. - Oui, cela peut être le Sénat, admettons, je plaisante, mais je crois que l'on glisse sur un problème qui est un vrai sujet politique en France puisqu'on va vers le sujet de l'évaluation, je crois que si on va, et l'on doit aller vers l'évaluation, pas simplement dans ce domaine-là mais dans d'autres, il faut le faire sérieusement, sans qu'il y ait disons ingérence de qui que ce soit, à titre politique, et donc il faut se préserver une indépendance, mais nous avons des organismes indépendants même si c'est l'État qui paye.

M. Bruno Leprat. - Monsieur Frécon sur cette question ?

M. Jean-Claude Frécon. - Sur cette question, avant d'aborder le sujet que vous m'avez demandé d'exposer ce soir, sur cette question, j'ai une opinion très proche de celle de Joël Bourdin. D'abord parce que nous travaillons souvent ensemble tous les deux, nous sommes tous les deux des élus du monde rural, même si nous n'appartenons pas à la même famille politique, nous nous retrouvons beaucoup sur le terrain. Je crois qu'une évaluation qui serait demandée par les collectivités et par l'État ne peut pas être faite directement par l'État. Je crois que c'est indispensable, et si les préfets ont reçu comme consigne de faire un état de l'intercommunalité, de faire un bilan, bilan d'étape pour voir si justement dans une deuxième partie, nous ne pouvons pas essayer d'aller un petit peu plus loin. Je crois que c'est bien de se poser cette question, mais ce n'est pas l'État qui peut y répondre. Alors j'irai un petit peu plus loin que Joël Bourdin en disant que le Sénat, dans son double rôle, d'abord de législateur et deuxième rôle - dans la Constitution française il est prévu que le Sénat est le représentant des collectivités territoriales - je crois que le Sénat dans cette double représentation me paraît un opérateur indispensable. Probablement pas tout seul, mais un opérateur indispensable.

M. Bruno Leprat. - Merci, nous accueillons je crois M. Henri Revol au premier rang, qui va clôturer cet après-midi. Merci de votre présence. M. Mamoru Tsushino, quel a été l'impact de cette fusion de Takayama avec les communes voisines dans la qualité des services offerts aux habitants ? Je demanderai ensuite à M. Shinohara quel est le montant des émoluments du salaire d'un conseiller municipal puisque ce chiffre de 18000 conseillers municipaux « supprimés », on parle des postes, a été mis en avant plusieurs fois, quelle est l'économie réalisée tous les mois, est-ce que c'est important ou non ? Voilà, pour quantifier un peu les choses. Mamoru Tsushino s'il vous plaît.

II. LE REGROUPEMENT INTERCOMMUNAL PERMET-IL D'AMÉLIORER LE SERVICE AUX CITOYENS ?

A. M. MAMORU TSUSHINO, MAIRE DE TAKAYAMA : LA FUSION DE LA VILLE DE TAKAYAMA POUR UNE MEILLEURE QUALITÉ DE SERVICES COMMUNAUX

Je voudrais vous présenter cette fois les effets de la fusion sur l'amélioration des services proposés à la population. D'abord, avant de fusionner, il a fallu faire un ajustement des services proposés à la population. C'était en effet la question la plus importante pour la population. La ville de Takayama a fusionné avec neuf autres communes, et les services proposés à l'origine aux habitants étaient très différents. Nous avons donc fait l'ajustement des politiques sur 4 000 points. Pour cela, 29 groupes de travail thématiques ont été mis en place, et plus de 500 réunions de concertation ont été organisées. C'est ainsi que les niveaux des services proposés à la population et de la contribution de la population après la fusion ont été arrêtés. Comme il y avait dix communes, les services proposés variaient entre elles. Etant donné que le niveau des services proposés par la ville de Takayama avant la fusion était le plus élevé, les autres communes ont aligné le niveau de leurs services sur celui de Takayama. Je pense que l'amélioration des services rendus à la population ne signifie pas l'amélioration de tous les services ni la baisse systématique de la contribution des habitants. Il s'agit de services dont la population a besoin et qui sont assurés à un niveau satisfaisant et de manière stable et durable. Pour les habitants de la ville de Takayama, il n'y a pas eu d'amélioration visible des services à la suite de la fusion. Par contre pour les habitants des autres communes qui ont rejoint la ville de Takayama, le niveau des services s'est amélioré considérablement. Quant à leur contribution, elle a baissé pour certains services, mais a augmenté pour d'autres.

En outre, comme la fusion allait faire de la ville de Takayama la commune la plus grande du Japon, certains craignaient que la voix de la population ne soit plus entendue ou encore que la culture et les traditions locales ne soient perdues. Il fallait donc faire disparaître toutes ces inquiétudes. Pour que le niveau des services ne baisse pas, quatre mesures ont été prévues. Premièrement, comme je vous l'ai déjà dit dans ma réponse à la question, nous avons mis en place, dans tous les secteurs correspondant aux anciennes communes voisines, des conseils locaux représentés par un certain nombre d'habitants afin de refléter les avis de la population sur les politiques menées par la ville. Deuxièmement, dans chacune des neuf anciennes communes, des annexes de la mairie ont été installées pour que les habitants puissent continuer à bénéficier des services comme avant. Troisièmement, ce qui est particulier dans la ville de Takayama, c'est qu'indépendamment du budget général, il existe un budget spécial de développement local d'un montant annuel d'un milliard de yens, soit 7,15 millions d'euros, utilisé pour des événements touristiques, des spectacles traditionnels, des manifestations locales ou des services publics spécifiques assurés dans un secteur déterminé. Enfin, quatrièmement, un service chargé du développement local directement placé sous l'autorité du Maire a été mis en place pour assurer une bonne coordination entre la mairie et ses annexes. Ces quatre mesures avaient pour objectif de donner rapidement l'unité à la nouvelle ville, de conserver la culture et les traditions locales, et de maintenir le niveau des services sur l'ensemble du territoire.

Pour ce qui est des effets de la fusion du point de vue de l'amélioration des services, je voudrais vous en parler sous deux aspects : la réponse à la demande de services de plus en plus techniques et diversifiés d'une part, et la facilité d'accès aux services de la population d'autre part. Je vais présenter quelques exemples. D'abord, en ce qui concerne le premier aspect, nous constatons l'amélioration des services dans des domaines très étendus. Les actions menées en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées, et les actions en matière de garde d'enfants en particulier ont été renforcées. Je n'entrerai pas dans le détail puisque le temps est limité, mais par exemple, pour la petite enfance, les horaires d'ouverture des crèches en semaine ont été prolongés et les enfants peuvent être accueillis dans les crèches le dimanche. D'autre part, les enfants peuvent bénéficier de soins médicaux gratuits dès leur naissance et jusqu'à leur troisième année d'école élémentaire. A compter du mois d'avril 2006, cette gratuité s'appliquera jusqu'à la sixième année d'école élémentaire.

Dans le domaine du travail, du commerce et de l'industrie, un système de financement personnalisé et d'aide au remboursement des intérêts d'emprunt a été prévu pour les PME et les travailleurs.

Dans le domaine du tourisme, la promotion touristique, qui était faite autrefois par chacune des communes fusionnées, est assurée aujourd'hui pour l'ensemble du territoire de la nouvelle commune. La fusion a d'ailleurs donné davantage de possibilités de promotion touristique.

Quant au domaine de l'éducation, je vous ai parlé tout à l'heure de la suppression ou de l'intégration des écoles élémentaires et des collèges de petite taille. Cela permettra aux enfants de suivre un enseignement plus complet ou de former des équipes pour participer à des compétitions sportives, ce qui était auparavant difficile à réaliser faute d'élèves en nombre suffisant. Il s'agit donc d'une amélioration de la qualité de l'enseignement qui se fera en partant du point de vue des enfants. Voici donc quelques exemples qui illustrent la diversification ou l'amélioration des services proposés à la population.

Je vais maintenant parler de l'amélioration de l'accès des habitants aux services communaux. La fusion a élargi le territoire de la commune. Les habitants ont aujourd'hui plus de choix en termes d'équipements culturels et sportifs tels que les bibliothèques, les salles polyvalentes, les salles de sport, ou les équipements sociaux comme les centres d'action sociale ou les crèches. Les habitants peuvent utiliser les équipements de leur choix et ceci est un effet très positif.

La réforme administrative mise en oeuvre après la fusion a permis à la ville de Takayama de dégager des ressources nécessaires à l'amélioration des services. Et la commune améliore la qualité des services rendus à la population dans des domaines très étendus. La ville de Takayama, collectivité territoriale de proximité, cherchera à améliorer davantage les services dont les habitants ont vraiment besoin, en exerçant pleinement les compétences qui seront transférées par le département ou par l'État dans l'avenir, et en contribuant ainsi à la mise en oeuvre de la décentralisation.

Voilà la présentation de la fusion de la ville de Takayama. On dit que la fusion de communes est une réforme administrative poussée à l'extrême. Je crois que l'un des principaux objectifs de la fusion de communes est de renforcer les moyens administratifs et financiers de la commune créée en restructurant son organisation, son effectif et ses équipements qui ont pris chacun de l'importance à la suite de la fusion. Aujourd'hui, la ville de Takayama fait des efforts pour atteindre cet objectif le plus rapidement possible. A terme il faut rassurer les habitants, et c'est notre responsabilité à nous qui sommes chargés de l'administration territoriale. C'est dans ce sens que nous travaillons. Je vous remercie de votre attention.

M. Bruno Leprat. - Merci. M. Shinohara peut-être avez-vous fait quelques calculs financiers.

M. Toshihiro Shinohara. - Monsieur Bourdin a parlé des économies d'échelle réalisées par l'intercommunalité. Il en est de même pour la fusion de communes qui a deux effets, l'effet de taille et l'effet d'étendue des questions traitées. L'effet de taille permet d'absorber les coûts fixes et l'effet d'étendue des questions traitées permet de faire face à des enjeux comme la baisse de la natalité, le vieillissement de la population ou les technologies de l'information. Comme Monsieur Tsuchino l'a dit, les communes japonaises déploient leurs efforts pour réaliser des économies d'échelle, mais cela prendra du temps. Depuis le début de l'année, cette question fait l'objet d'une étude du ministère des Affaires intérieures et des communications. Il est toutefois très difficile d'en faire l'évaluation au Japon comme en France, car l'évaluation de la fusion de communes ne se mesure pas au nombre des communes réduit à 1 821, mais plutôt aux effets de la fusion sur la vie de la population. Cette étude est en cours et nous espérons la mener à bien.

M. Bruno Leprat. - Merci. Jean-Claude Frécon, vous êtes Sénateur de la Loire, vous êtes également le Maire d'une commune de 1000 habitants qui s'appelle Pouilly-lès-Feurs, cela doit être joli en japonais, vous êtes également vice-Président d'une communauté de communes qui s'appelle quant à elle Feurs-en-Forêt, vous évoquiez la ruralité de vos territoires, elle n'est pas à démontrer, 14 000 habitants pour cette communauté, et vous présidez également une commission des communes et territoires ruraux à l'Association des Maires de France, voulez-vous nous parler de cette dynamique de cette intercommunalité sur laquelle vous avez préparé quelques éléments de langage ?

B. M. JEAN-CLAUDE FRÉCON, SÉNATEUR DE LA LOIRE, MAIRE DE POUILLY-LÈS-FEURS, VICE-PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DE FEURS-EN-FORÊT : LA DYNAMIQUE DES POLITIQUES INTERCOMMUNALES EN FRANCE

Oui, merci, j'ai effectivement préparé quelques petits points à vous dire sur la retombée sur les populations de l'intercommunalité, telle qu'elle est vue en France.

Je voudrais auparavant si c'était possible simplement après avoir assisté à tout cet après-midi comme la plupart des gens qui sont ici, bien mettre en avant les situations différentes, du Japon et de la France par rapport à cette institution qu'est la commune. Dans tout ce que nous avons entendu cet après midi, j'ai noté quelques chiffres aussi, naturellement ces différences vont avoir des conséquences aussi sur le domaine qui nous concerne, c'est-à-dire quels services on peut rendre à nos populations car on est tous dans la même dynamique, on veut tous essayer de rassembler pour rendre un meilleur service encore à la population, comme nous venons de l'entendre, et nous nous inscrivons tout à fait dans la même démarche.

Mais avec des situations de départ, des situations d'arrivée et des moyens qui sont en grande partie bien différents. Quelques chiffres simplement par rapport à ce qui a été dit. Au Japon vous êtes partis de 71 000 communes. En France nous étions partis de 44 000 paroisses avant la Révolution française. Au moment de la Révolution française, il y a eu très peu de différences entre le nombre de paroisses qui existait avant, et le nombre de communes qui a existé une dizaine d'années après. Après la période trouble qui avait entraîné un certain nombre d'événements, on est à 40 000 communes. Et on est resté en France à 40 000 communes jusque dans les années 1960, 1970. 150 ans plus tard, nous étions au même chiffre de 40 000 communes. Là, est arrivée la loi dont Monsieur Verpeaux vous a parlé tout à l'heure, la loi de 1971, loi de fusions de communes, je dis bien de fusions. Et ça c'est un point commun avec vous, Japonais, mais c'est un des seuls. Avec cette loi de fusion il y a eu à peu près 4 000 communes de moins. On est donc passé à 36 000 communes dans les années 70 à 75. Et puis dans les années qui ont suivi 75, et bien cela a été le phénomène inverse. Moins important bien sûr, mais il y a eu à peu près 700 communes qui se sont créées parce qu'on a annulé les fusions qui avaient été faites, quelques années auparavant. Voilà pourquoi nous sommes au chiffre de 36 700 communes. Première différence importante.

Population moyenne, d'après les chiffres que vous nous avez donnés, et dont je vous remercie, je remercie nos amis japonais, population moyenne par commune maintenant 65 000 habitants au Japon, population moyenne des communes en France (population moyenne ne veut pas dire grand-chose), population moyenne 1 500 habitants. 1 500 habitants d'un côté, 65 000 de l'autre. Naturellement les effets, les conséquences ne sont pas les mêmes. Et au niveau du nombre des communes, vous annoncez dans votre document 489 communes de moins de 10 000 habitants. Nous c'est 35 700. Ce qui veut dire là aussi c'est un point de rassemblement, qu'au Japon vous avez 1 300 communes de plus de 10 000 habitants, nous on en a 1 000. Le nombre de communes de plus de 10 000 habitants est pratiquement le même, mais celui des communes de moins de 10 000 habitants n'a rien de comparable. Alors naturellement, en partant de ces chiffres les conséquences ne peuvent pas être les mêmes, et puis l'autre point de différence essentielle, c'est que vous vous êtes engagés au Japon, et je ne fais pas de reproche, c'est un constat, vous vous êtes engagés dans une politique de fusion de communes, depuis plus de 100 ans, avec des chiffres qui nous ont été donnés tout à l'heure et qui sont très intéressants d'ailleurs, avec différentes vagues successives de fusions.

Nous, en France, mis à part le petit moment de la loi Marcellin, entre 1971 et 1975, on s'est engagé pour l'intercommunalité, quand je dis « on », c'est l'ensemble de la classe politique, tous partis politiques confondus. Dans chacun de nos grands partis politiques en France, on a quelques individualités qui sont pour les fusions de communes, mais dans chacun de nos grands partis politiques, ceux qui sont pour les fusions sont très minoritaires. Et dans chaque parti politique, la grande majorité disent : « on ne touche pas au nombre de communes », alors on fait de la coopération intercommunale. Voilà pourquoi le nombre de communes ne diminue pas chez nous.

Voilà les deux grandes différences que je voulais vous rappeler car naturellement nous n'avons pas tout à fait les mêmes visions. Alors ce qui peut nous rassembler par contre, c'est l'objectif. J'ai entendu tout à l'heure certaines phrases qui rejoignent des phrases que j'avais entendues aussi par ailleurs. J'avais entendu un élu, c'était un élu étranger, pas un élu français, mais d'un pays francophone, qui disait « seul on peut aller vite, mais ensemble on peut aller plus loin ». Et je crois que c'est très vrai dans notre coopération intercommunale française. Chacun d'entre nous étant engagé dans une communauté de communes, on peut dire que si on est à 10 à 15 communes ensemble dans une communauté, et bien il faut d'abord discuter à 15, se mettre d'accord à 15, et puis c'est un peu plus long que s'il y en avait un seul qui décidait, c'est sûr. On va moins vite, mais est-ce qu'on ne peut pas aller plus loin, pour ma part la réponse est oui, et je voudrais faire un petit aparté par rapport à ce qui s'est dit tout à l'heure.

Deux de mes collègues vous ont parlé en début de réunion, mon collègue Sénateur Philippe Dallier, et mon collègue et ami Marc Censi qui n'est pas Sénateur mais qui est un élu rural comme moi. Naturellement, nous n'avons pas les mêmes approches. Parce qu'il y en a un, mon collègue Sénateur qui vous a parlé au début, qui est élu dans la grande agglomération parisienne, et naturellement les problèmes ne sont pas les mêmes que dans nos zones rurales, et dans les zones rurales, ce n'est pas pareil dans toutes les zones rurales, il y a des zones rurales très fragiles, et puis il y a des zones rurales qui vivent une vie à peu près normale, alors tout ceci naturellement avec une loi, Monsieur Verpeaux vous l'a dit tout à l'heure, avec une loi qui est la même pour tous quelle que soit l'importance de nos communes.

Le petit aparté sur les communes qui ont zéro habitant : cela arrive périodiquement, tous les 10-15 ans. L'État, et c'est bien normal, supprime quelques communes qui ont zéro habitant, toutes, et puis après il s'en recréé d'autres, pourquoi ? Et bien parce qu'une commune, avec la logique de ce qu'était une paroisse avant la révolution, c'est d'abord un territoire, et dans certains endroits le territoire se désertifie, et au bout d'un moment et bien tous les gens qui habitaient dans la commune sont partis. Mais le territoire, les hectares, les forêts, les propriétés restent là. Donc, il n'y a plus que zéro habitant dans la commune, c'est vrai mais le territoire est toujours là. Actuellement, il y a six communes sans habitant. Il va donc y avoir bientôt un « petit balayage » de ce qui n'est qu'une toute petite anecdote, mais il est vrai qu'il y a de toutes petites communes et qu'il y a même des communes dans lesquelles il n'y a pas suffisamment d'habitants adultes pour composer un conseil municipal. Mais le conseil municipal dans notre législation française peut ne pas être composé uniquement par des personnes qui habitent la commune mais aussi par des gens qui y payent des impôts, même s'ils n'y habitent pas mais qui sont propriétaires par exemple de terrains ou de maisons, ce qui veut dire que dans les toutes petites communes et bien c'est vrai qu'il y a des gens qui habitent à l'extérieur quelquefois loin : pour ma part, j'ai des exemples précis dans mon département d'une commune administrée par une majorité de parisiens, c'est une commune qui a une très grosse valeur touristique avec des propriétés qui valent cher et beaucoup de gens de la région parisienne sont venus acheter ces propriétés et le conseil municipal est composé en majorité de personnes qui ne vivent pas dans la commune. Ce sont des exceptions, mais c'est notre législation française puisque c'est la même pour les 36 700 communes.

Alors « seul on peut aller plus vite, mais ensemble on peut aller plus loin ». Tout à l'heure on nous a dit aussi, « faire mieux et à moindre coût ». Je crois que c'est tout le défi de l'intercommunalité, que nous avons essayé de relever en France avec la loi de 1992, et Marc Censi a bien fait de le rappeler tout à l'heure, il y a eu avant cette loi des quantités d'intercommunalités. Il y avait en 1992, il a dit 200, je suis à peu près d'accord sur le chiffre, je crois que c'était 180 structures intercommunales qui existaient avant, dont les neuf communautés urbaines dont vous a parlé Monsieur Verpeaux, neuf communautés urbaines qui avaient été constituées bien avant et puis les districts, districts urbains ou districts ruraux. Voilà ce qui existait. La loi de 1992 a commencé de donner un formidable essor. Beaucoup plus dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Ce qui fait que sept ans plus tard en 1999, Monsieur Verpeaux vous l'a dit aussi tout à l'heure, une deuxième loi est arrivée et a nettement favorisé la coopération en milieux plus urbains. Cela a été une explosion c'est vrai, comme l'a dit Joël Bourdin il y a un instant, et nous siégeons lui et moi depuis longtemps dans un organisme qui s'appelle le Comité des finances locales où justement nous voyons toute l'importance de tout ce qui est mis à disposition par l'État au titre de la dotation globale de fonctionnement, c'est quand même de l'argent qui appartient aux communes, c'est de l'argent qui est aux communes, qui a une origine communale si on veut remonter un petit peu loin dans la fiscalité. Donc c'est une redistribution d'argent, mais cette redistribution d'argent, l'État a dit qu'il fallait en consacrer une partie pour l'intercommunalité. Alors qu'on l'appelle « carotte » ou d'un autre nom, c'est de toute façon quelque chose qui a marché. Cela a marché au-delà des espérances des législateurs. Le législateur de 1992 puis le législateur de 1999, ne pouvait pas penser que, quinze ans après la première loi de 92, notre territoire français serait à 90 %, et peut-être que cela sera à 100 % sous peu, on passera par 95-98 % - les derniers pour cent sont toujours difficiles à faire - mais à une presque totalité, recouvert par des structures intercommunales. La loi de 1992 au Parlement, pas au Sénat, mais à l'Assemblée nationale en première lecture a été votée à une voix de majorité. Parce qu'il y avait un grand débat pour savoir si justement les communes n'allaient pas perdre leur âme dans l'intercommunalité, si on n'allait pas supprimer les communes, et personne ne voulait le faire. Mais les joutes politiques ou les jeux politiques font qu'il y avait un débat très important. Et après cette loi votée à une voix de majorité, l'année suivante il y a eu en France, changement de majorité, et ceux qui sont arrivés au pouvoir en 93, qui n'étaient pas les mêmes qui avaient voté la loi de 92, et qui avaient même voté contre, ne sont pas revenus sur cette loi parce que c'était dans la dynamique de l'histoire, et que dans cette dynamique de l'histoire, les communautés ont continué et que le gouvernement après 93 a même fait une loi pour améliorer l'intercommunalité.

Voilà donc des éléments qui vous disent comment cette intercommunalité, finalement les gens sur le terrain, dans le fond, la vivaient bien et c'était un besoin pour eux. Et on s'est engagé là-dedans. Alors quels sont les services rendus ?

Faisons un bilan, au bout de douze ans d'intercommunalité. D'abord elle est différente cette intercommunalité entre les zones rurales et les zones urbaines. Elle est différente pourquoi ? Je suis élu rural d'une commune de 1 000 habitants. La communauté de communes qui s'est faite chez moi et bien c'est une petite ville centre de 8 000 habitants et puis onze communes autour. Des communes, la mienne a 1 000 habitants, les autres ont toutes moins de 1 000 habitants. On s'est mis tous ensemble parce que qu'est-ce qui fait vivre tous ensemble ? Ce sont les activités qui sont rassemblées dans la petite ville. Ce sont les équipements de la petite ville qui nous font aussi tous travailler. Et c'était normal que nous soyons ensemble car l'intercommunalité mise en oeuvre dans la loi, c'est une intercommunalité de projets : vouloir se mettre ensemble parce qu'ensemble on a des choses à faire. C'est pas simplement parce que c'est l'air du temps et qu'il faut se mettre ensemble, comme ça pour faire bien ? Non, cela ne sert à rien. Si on se met ensemble c'est pour travailler ensemble. C'est parce qu'on a des intérêts communs et que l'entreprise qui est installée dans une des douze communes, que ce soit la grosse ou une petite commune à côté, elle ne vit pas qu'avec des ouvriers qui sont originaires de sa commune, mais elle vit évidemment avec des ouvriers qui viennent de toutes les communes autour aussi. Les commerçants, en particulier de la petite ville, ne vivent pas qu'avec les clients de la petite ville, mais tous les habitants des communes autour viennent aussi dans ces commerces. Et quelquefois même trop, parce que ça laisse les petites communes sans commerce. Donc il faut équilibrer tout ça et c'est le rôle d'une communauté de communes. D'ailleurs la loi de 1992, comme la loi de 1999 ont mis comme première compétence obligatoire pour les communautés de communes, le travail économique, la vocation économique. Il s'agit de voir ce qui se passe au niveau du commerce et naturellement ce qui se passe dans une autre activité du monde rural qui est l'agriculture. Alors les communautés du monde rural se sont beaucoup bâties sur ce mode avec quelquefois des petites communautés. On en a parlé dans l'après-midi, il y a des communautés qui sont trop petites, et bien il faudra encore qu'elles fassent avec la voisine qui est aussi trop petite. Qu'elles en fassent une plus grande, cela viendra. Mais là aussi, il n'y a pas de mode obligatoire, c'est un mode de volontariat. Volontariat suscité quelquefois, les « carottes » c'est fait pour ça, et les finances aussi, mais c'est ça l'intérêt et la population est-ce qu'elle s'y retrouve ?

Quand on dit qu'il y a une amélioration du service rendu et si on pose la question, pour ma part je réponds oui. Sans problème. Mais je distinguerai trois parties dans le service rendu. La première partie c'est de savoir si l'intercommunalité coûte trop cher. Je n'ai pas eu la réponse que j'espérais moi aussi de nos amis japonais, sur le coût des conseillers municipaux. Dans le document qui nous a été donné tout à l'heure et je suis sûr que tous les citoyens français qui sont ici doivent se poser cette question, il y a une économie considérable, sur le nombre de conseillers municipaux.

Alors soyons clairs pour nous la France, en France les conseillers municipaux sur ces zones rurales ne perçoivent rien du tout comme indemnités : zéro. C'est pas là-dessus qu'on aurait fait des économies. Par contre au Japon ils doivent certainement percevoir quelque chose puisqu'il y a une économie substantielle. Donc en France l'intercommunalité ne peut pas avoir coûté plus cher. Ce n'est pas possible, par contre ce qu'on peut dire c'est que les citoyens n'ont pas une vision négative de l'intercommunalité, des sondages récents dont je vous parlerai tout à l'heure font état d'une bonne vision du citoyen par rapport à cela.

Deuxième question, on l'a abordé beaucoup, je la passerai donc en vitesse, est-ce que l'intercommunalité permet des économies d'échelle ? Oui, sur certains domaines incontestablement. Sur les marchés publics à faire, sur l'importance des commandes à passer, sur des personnels qui peuvent être parfois doublonnés, et qui à terme peuvent être remplacés par une seule personne alors qu'il y en avait deux avant. Je dis à terme, parce qu'il n'y a pas forcément beaucoup de suppressions d'emplois mais plutôt de transformations.

Troisième question, est-ce que l'intercommunalité améliore le service rendu ? Là, je suis, comme je vous l'ai dit, tout à fait affirmatif et je réponds oui. Et ça certains de nos élus, nationaux, certains de nos collègues au Sénat, il n'y en a pas beaucoup qui parlent de ceci mais il y en a dans tous les partis politiques qui disent : « ça coûte cher l'intercommunalité ». Qu'est-ce qui coûte cher ? Si c'est des communes qui ont transféré une de leurs compétences à la communauté de communes, je prends un exemple précis, l'entretien des chemins, l'entretien de la voirie et des rues (on n'a pas beaucoup de rues en milieu rural, ce sont surtout des chemins, mais c'est aussi quelques rues), si on a transféré ça à la communauté de communes, naturellement que la communauté de communes devra émettre des impôts pour avoir les moyens nécessaires pour entretenir les chemins. Mais à ce moment-là, comparativement, la commune, les communes qui avant entretenaient ces chemins n'ont plus maintenant cette dépense à faire. Elles peuvent donc baisser leurs impôts et la communauté montera les siens, et l'équilibre devrait être à peu près le même pour le citoyen contribuable. Par contre, s'il s'agit de créer un service nouveau, et nos communautés de communes ont fait des services nouveaux, dans ce cas-là évidemment, il y a des dépenses supplémentaires qui arrivent parce qu'il y avait un service qui n'était pas rendu. Je vous donne deux exemples. Le transport en commun, dans nos zones rurales il n'y en avait pas beaucoup, dans les villes il y en a un peu. S'il y a une communauté de communes avec une ville au centre qui a un transport, et bien dans le cadre de la communauté, le transport va être étendu et il y aura dans chaque village, une fois par jour, deux fois par jour, quatre fois par jour, un bus qui passera, ça c'est un service nouveau. Naturellement ce service nouveau a un coût et ça se paye et ça c'est une augmentation effectivement de la fiscalité, mais il y a un service rendu à la place. Dans ma communauté de communes nous avons décidé de faire une piscine pour le public. Cette piscine n'existait pas. C'était un service qui nous était demandé par la population. Aucune des petites communes, bien sûr, mais même pas la commune-centre, ne voulait s'y engager toute seule parce que c'était un coût trop important. A douze communes, on s'y est mis. Naturellement, ça coûte. C'était un service qui n'existait pas avant, qui existe maintenant, et bien il faudra le payer. Il faut le payer déjà. Donc voilà une augmentation du service rendu qui correspond effectivement à des dépenses supplémentaires. Par contre, je le répète bien, il y a certains services qui ne sont pas des services supplémentaires, qui sont des services réorganisés. Dans ce cas-là, il ne doit pas y avoir de services supplémentaires. Je connais des communes qui ont baissé leur taux d'imposition aussi. Ah il n'y en a pas autant qu'on le voudrait, ça c'est sûr, mais il y en a. Alors cela m'entraîne vers une autre question, est-ce que l'intercommunalité a joué surtout dans certains domaines ? Oui, en particulier, dans ce qu'on appelle les milieux mi-urbains mi-ruraux, avec une ville moyenne de l'ordre de 30 000, 50 000 habitants, 70 000 habitants, ce qu'en France on appelle une ville moyenne. Autour des villes moyennes il y a souvent toute une zone qui n'est pas forcément une zone rurale, qui peut être déjà une zone urbanisée, et qui s'est organisée, et bien qu'est-ce qu'on constate ? La Fédération des villes moyennes en France a fait un sondage là-dessus et montre que ces villes ont transféré à la communauté, souvent d'ailleurs des communautés d'agglomérations (et pas des communautés de communes), elles ont souvent transféré les gros réseaux : le réseau d'eau potable, le réseau d'assainissement, tout ce qui concerne les ordures ménagères, aussi bien le ramassage que le transport ou le traitement, et aussi les transports urbains. Tout ça, ce sont de gros réseaux que la commune-centre avait pour elle et qu'elle a transférés à l'intercommunalité, en revanche, les communes ont souvent gardé ce qui concerne la restauration scolaire, les parcs de stationnement, les médiathèques, les écoles de musique. Naturellement c'est une moyenne, vous trouverez tous des exemples inverses, on aura à reprendre ça aussi, mais ces équipements de proximité, équipements ponctuels, sont plus souvent restés au niveau des communes. Et alors quand on parle entre nous de la façon dont les citoyens perçoivent ces évolutions et bien c'est peut-être bien aussi après d'aller leur demander. Et pour cela je voudrais vous faire part de deux sondages, réalisés très dernièrement. Un sondage vient d'être effectué par un grand institut, l'IFOP, qui a montré que les citoyens sont très favorables à l'intercommunalité. Ces derniers sont encore plus favorables que les élus municipaux à l'intercommunalité car il y a eu des effets financiers positifs sur certains services.

85 % des Français sont contents d'être dans une commune qui appartient à une intercommunalité, 85 %. L'opinion publique, d'après ce sondage, juge favorablement le rapport qualité-prix qui a découlé de l'adhésion de leur commune à une intercommunalité. Et les élus ? Il y a un autre sondage qui a été fait, un sondage partiel : notre Président du Sénat est allé dans différentes régions de France et a fait des états généraux de l'intercommunalité pour savoir où ça en est. La dernière fois, il est parti en Franche-Comté où on a interrogé les Maires. Et là on trouve 57 % seulement des élus qui sont contents de l'intercommunalité, il y en avait 85 % au niveau de la population, il n'y en a que 57 % au niveau des élus. Et pourtant ce sont des élus qui la pratiquent cette intercommunalité. Cela veut dire qu'il y a des moments où ça ne se passe pas si bien que ça. Il ne faut pas être idyllique bien sûr. Il y a des conflits à certains moments. Il y a des affrontements, il y a des votes qui sont parfois arrachés à peu de choses près. C'est vrai. C'est la vie. C'est comme ça aussi qu'on avance.

Alors, en conclusion générale, l'intercommunalité a incontestablement amélioré le service rendu aux citoyens. Toutefois, il y a encore des améliorations à apporter, des périmètres qui sont trop petits qu'il va falloir agrandir, des services qui doublonnent ici ou là. Et je suis sûr que dans les pays qui ont pratiqué des fusions, là aussi il y a des choses à améliorer. Merci.

M. Bruno Leprat. - Merci. Merci pour cette énergie qui est à l'image de l'intercommunalité en France. On va peut-être faire l'économie d'un échange avec la salle pour privilégier un échange interpersonnel lors du petit cocktail qui vous sera servi, et demander à Henri Revol, qui nous a rejoint, de conclure cet après-midi. Sénateur de la Côte-d'Or, également Maire de Messigny-et-Vantoux, c'est dans la Côte-d'Or avec une population que je ne connais pas, cela ne doit pas être très grand, et vous venez de l'énergie de l'industrie atomique, vous êtes ingénieur, et cela devait être assez bien pour décortiquer l'usine qu'est aujourd'hui le millefeuille institutionnel français.

CLÔTURE DU COLLOQUE

M. Henri Revol, Sénateur de la Côte-d'Or, Président fondateur du Syndicat intercommunal de protection du site de Val-Suzon,
Maire de Messigny-et-Vantoux, Secrétaire du groupe interparlementaire France-Japon

Merci. Mesdames, Messieurs, mes chers collègues, je voudrais dire un mot déjà parce que mon collègue Frécon a souligné l'échec de la loi Marcellin, en 71, et j'étais déjà Maire, je le suis toujours, et je suis arrivé à la tête de cette commune un peu subrepticement. Cette commune de 600 habitants s'appelait Messigny à côté d'elle il y avait une commune de 150 habitants qui s'appelait Vantoux. J'ai trouvé la situation un peu bizarre. Il y avait un syndicat entre ces deux communes pour gérer l'essentiel des services que gère habituellement une commune, car la commune de Vantoux n'avait pas de service propre. J'ai donc profité de l'opportunité de la loi Marcellin avec mon sous-préfet de l'époque, pour susciter cette fusion. Et dans le département de la Côte-d'Or, qui a 707 communes encore aujourd'hui, il y a eu à l'époque une vingtaine de fusions, ma commune a fusionné en 1973, elle est devenue Messigny-et-Vantoux, on a failli trébucher sur la fusion car le conseil municipal de Vantoux voulait absolument que l'on mette « et Vantoux ». Or, le projet, c'était un tiret, Messigny-Vantoux, donc nous avons mis « et Vantoux » et ça a marché, et ça marche toujours très bien. Par contre sur les 20 autres communes de mon département, qui ont fusionné, je crois qu'il en reste une ou deux seulement réunies car ensuite beaucoup de celles qui avaient fusionné ont divorcé.

M. Bruno Leprat . - Est-ce que vous auriez encore le droit de divorcer d'ailleurs ?

M. Henri Revol - Oui, tout à fait. Donc j'ai une petite expérience dans ce domaine. Ma commune est à 10 km de la ville centre, Dijon, qui elle, était organisée en district, qui est maintenant organisée en communauté d'agglomération, et s'appelle le Grand Dijon, avec quelques communes qui sont autour de la mienne. Nous n'avons pas souhaité intégrer cette grande communauté de communes qui représente 22 communes et plus de 200 000 habitants. Nous avons souhaité rester indépendants. Alors on verra bien dans l'avenir, nous sommes une petite communauté de communes : six communes, 4 300 habitants, sans doute trop petite, mais nous avons souhaité faire l'expérience du travail en commun, et puis probablement que nous évoluerons. Ceci pour dire, mes chers collègues, qui avez fait des présentations de la situation française fort intéressantes et détaillées, que l'on a toujours respecté la liberté ici dans notre pays et que l'on n'a pas imposé pour le moment d'intercommunalité obligatoire. La plus petite commune de la Côte-d'Or n'en est pas encore à zéro habitant mais à neuf habitants !

Je me félicite de l'excellent déroulement de ce colloque, c'est le signe de l'amitié profonde qui existe entre nos deux nations, comme je peux le constater régulièrement en tant que secrétaire du groupe d'amitié France-Japon du Sénat. C'est aussi le signe de la bonne entente existant entre le CLAIR et le Sénat dont les liens se renforcent d'année en année. Le colloque d'aujourd'hui est le signe d'un renforcement de nos amicaux échanges qui nous permet aussi de nous comprendre l'un et l'autre pour nous enrichir de nos comparaisons. Les débats qui se sont déroulés cet après-midi sur le regroupement communal en France et au Japon ont fait apparaître des différences des deux systèmes, choix de l'intercommunalité pour la France, de la fusion pour le Japon, quelques fusions en France, mais aussi des similitudes notamment sur les objectifs de rationalité économique et territoriale.

En effet, je crois comme le Président Jacques Valade l'a souligné dans le message qu'il vous adressait au début de cet après-midi, que l'on pouvait tirer de ce colloque des leçons pour améliorer nos institutions locales. La comparaison entre le modèle français d'intercommunalité et le regroupement des communes japonaises a permis d'améliorer l'analyse des aspects financiers de l'intercommunalité française et de sa pertinence territoriale. J'espère que nos amis Japonais vont pouvoir tirer les leçons de notre regroupement intercommunal, notamment pour celles de leurs communes qui n'ont pas encore fusionné. Les maux français sont bien connus. Multiplication des niveaux de l'administration, périmètre de gestion politique parfois peu pertinent, notamment en zone urbaine, et fiscalité locale complexe.

L'intercommunalité à fiscalité propre, issue de la loi de 1999, avait pour principal objet, l'aménagement du territoire, en vue du développement économique, mais comme l'a noté mon collègue Dallier, les objectifs plus larges d'amélioration des services rendus et de rationalisation territoriale sont vite apparus primordiaux. L'intercommunalité a pu ainsi apparaître comme la solution à tous les problèmes. Mais elle peut être améliorée, car elle est bénéfique, c'est la conviction exprimée par l'ensemble des intervenants aujourd'hui.

Monsieur Shikata, Directeur du CLAIR, nous a informés des importantes réformes qui ont été mises en oeuvre au Japon au niveau local, en particulier la réforme dite de la « Trinité », grâce à laquelle le nombre des communes est passé de 3 232 en 99 à 1 821 en 2006. Il est vrai que le Japon et la France se trouvent confrontés à des problèmes économiques et sociaux similaires, et que quelles que soient les voies choisies, fusion au Japon et regroupement intercommunal en France, l'objectif est toujours le même : il s'agit d'améliorer le service rendu aux citoyens et au vu des résultats établis pour la France, j'estime qu'il est fort utile d'approfondir la connaissance que nous avons de nos deux pays.

Monsieur Michel Verpeaux nous a livré un intéressant panorama du modèle français de coopération intercommunale, il est vrai, comme il l'a dit que le nombre et la taille des collectivités territoriales ont toujours fait l'objet de débats, nos collectivités sont souvent considérées trop petites, mais paradoxalement les tentatives de fusion se sont soldées par des échecs patents et j'en signalais des exemples pour mon département. Il a fort bien résumé la philosophie française, les communes sont libres de coopérer ou non. Si elles décident de le faire, un organisme supplémentaire est créé et on l'ajoute au millefeuille territorial. La libre administration est néanmoins sauvegardée, malgré le rôle fort de l'État dans la création des intercommunalités, il a bien souligné l'importance de la loi du 2 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de l'intercommunalité qui a mis fin à un siècle de tentatives plus ou moins réussies de regroupements et fusions intercommunaux.

L'intervention de M. Shinohara sur les fusions de communes vues du ministère de l'Intérieur nous a appris que le Japon avait su procéder à des réformes radicales. Passer de près de 40 000 communes au XIXe siècle à 1 821 au XXIe, en dépassant ainsi les objectifs fixés pendant chaque vague de fusions, cela ne peut qu'impressionner l'élu français que je suis, mais ce qui est remarquable, c'est que la volonté de l'État central japonais de rationaliser l'organisation du territoire s'est accompagnée d'un transfert progressif de compétences aux communes. Moins de communes et plus de compétences. C'est la clé du succès de la fusion de communes telle que décrite par M. Shinohara.

M. Marc Censi, Président de l'ADCF nous a bien fait comprendre que ce modèle de rationalité à la japonaise ne pouvait être transposé au modèle français, l'échec de la fusion après 71 a conduit les gouvernements à encourager le développement de l'intercommunalité pour améliorer le service rendu aux citoyens. Mais la recherche d'une nouvelle rationalité territoriale ne passe pas seulement par l'intercommunalité mais aussi par une réflexion sur le modèle de décentralisation. En réponse à un intervenant, il a bien aussi mis en relief l'importance du couple intercommunalité/région en termes de projets dans le respect de la subsidiarité, M. Shinohara est ensuite utilement revenu sur la loi de décentralisation au Japon, de 99, et les difficiles applications de ce principe de subsidiarité qui se heurte souvent aux réalités locales. Nous connaissons également cela chez nous, en particulier du fait de notre intégration à l'Europe qui a fait de ce principe un élément fondateur de nos politiques menées.

La seconde table ronde nous a permis d'approcher concrètement le modèle japonais avec la présentation si vivante de la commune regroupée de Takayama que nous a faite Monsieur Tsushino. Nous avons eu l'eau à la bouche et surtout nous avons apprécié la qualité des nouveaux services rendus à l'issue du regroupement.

S'agissant du modèle français, mon collègue Joël Bourdin a démontré que le but était de faire mieux et à moindre coût pour le contribuable avec l'intercommunalité. Les évaluations manquent encore et nous n'avons pas encore beaucoup de recul. L'État a apporté une contribution financière notable, considérée comme une « carotte ». Une partie de l'intercommunalité n'est pas encore satisfaisante, on va dans la bonne direction et l'intercommunalité s'est traduite par plus de projets au service des citoyens.

Et mon collègue Jean-Claude Frécon citait des exemples éloquents tout à l'heure. Pour ce qui est de l'expérience française, justement, Jean-Claude Frécon a répondu sans détour et par l'affirmative à la question de l'amélioration du service rendu. L'expérience montre ainsi qu'il existe une dynamique vertueuse ou positive qui fait que l'on s'aligne toujours sur la meilleure des solutions car l'intercommunalité, il nous l'a montré, permet d'améliorer les services rendus ; d'une part les services anciens sont gérés à moindre coût, de meilleure façon, et d'autre part les nouveaux services ont un surcoût d'accord, mais dont les citoyens sont satisfaits car ils leur apportent vraiment quelque chose de nouveau.

En conclusion finale, je dirais que chaque modèle correspond à des cheminements historiques différents, mais ils ont pour point commun la recherche d'une plus grande rationalité et d'un meilleur service rendu aux citoyens. Nous avons chacun beaucoup appris au cours de cette journée et je suis sûr que nous allons chacun pouvoir nous en inspirer pour donner à nos réformes respectives tous les atouts pour le succès.

Nous aurons côté français des résultats dans quelques années. Nous avons des interrogations, il ne faut pas se le cacher, mais je crois que nous sommes dans la bonne voie.

Je vous remercie Mesdames et Messieurs de votre attention.

M. Bruno Leprat. - Merci Monsieur Revol, merci à nos interlocuteurs, à nos intervenants français et japonais, Monsieur Shikata, Monsieur Tsushino, Monsieur Shinohara, et encore Monsieur Frécon bien sûr.

ANNEXES

1. Carte intercommunale de la France : EPCI à fiscalité propre au 1er janvier 2006

2. Carte intercommunale du Japon : la grande fusion de l'ère Heisei au Japon, avril 2005

3. Fusions de communes au Japon : état des lieux et perspectives

4. Statistiques portant sur les EPCI à fiscalité propre (au 1er janvier 2006)

1. Annexe 1 : Carte intercommunale de la France

EPCI à fiscalité propre au 1 er janvier 2006

2. Annexe 2 : Carte communale du Japon

La grande fusion de l'ère Heisei au Japon, avril 2005

3. Annexe 3 : Fusions de communes au Japon : état des lieux et perspectives

Présentation par M. Toshihiro Shinohara, Directeur de la planification des politiques
auprès du cabinet du ministre des Affaires intérieures et des Communications

Février 2006

²



4. Annexe 4 : Statistiques portant sur les EPCI à fiscalité propre (au 1er janvier 2006)

- Evolution du nombre de groupements depuis 1972

- Evolution des EPCI à fiscalité propre du 01/01/1999 au 01/01/2006

- Répartition du nombre de groupements par région

- Répartition des groupements par nombre de communes regroupées

- Répartition des groupements par taille démographique


* 1 Cf. annexe 3.

* 2 Cf. annexe 3.

* 3 Cf. annexe 3.

* 4 Cf. annexe 3.

* 5 Cf. annexe 3.

* 6 Cf. annexe 3.

* 7 Cf. annexe 3.

* 8 Cf. annexe 3.

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