L'office du juge



Paris, Palais du Luxembourg les 29 et 30 septembre 2006

LES COLLOQUES DU SÉNAT

Sous le Haut patronage de Christian Poncelet,
Président du Sénat

L'OFFICE DU JUGE

Vendredi 29 et samedi 30 septembre 2006

PALAIS DU LUXEMBOURG

Colloque organisé par le Professeur Gilles Darcy, le Doyen Véronique Labrot et Mathieu Doat

OUVERTURE

M. Christian PONCELET, Président du Sénat

Madame,

Messieurs les Présidents d'Université,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

C'est avec un véritable plaisir qu'à la demande de M. le Professeur Darcy, le Doyen Labrot et M. Doat, j'ai accepté d'accueillir votre manifestation dans les murs de la Haute assemblée. En vous accueillant aujourd'hui, le Sénat remplit en effet sa vocation de réflexions et de propositions alimentant ainsi le débat démocratique et je suis particulièrement heureux que cela se fasse en étroite liaison avec le monde universitaire grâce à chacun de vous. Je n'ai aucun doute sur la qualité de vos futurs travaux durant les deux jours qui viennent. Il y a deux raisons à cela. La première, c'est l'excellent souvenir du précédent colloque qui s'est déroulé ici il y a déjà cinq ans sur « les nouvelles normes en droit de responsabilité publique ». La seconde tient au sujet même du présent colloque « l'office du juge ». Cette question ne peut que susciter le plus vif intérêt dans cette maison. En effet, en s'interrogeant sur le rôle du juge, on s'interroge sur le devenir de la loi, sur son application et donc également, en creux diront certains, sur la place du législateur dans le processus normatif tant ces missions sont proches et imbriquées. Une telle réflexion de fond, dans une actualité où la justice est ballottée de réformes en affaires, tombe à point nommé. Elle saura nourrir la réflexion de tous, à l'heure où d'importantes et nécessaires réformes sont annoncées. Dans une société caractérisée par la complexité, la technicité, l'office du juge a connu ces dernières décennies de profondes mutations.

Evoquons d'abord l'inflation législative. Incontestablement, le Parlement a sa part de responsabilité, mais il n'est pas le seul. Cette inflation n'est bien entendu pas le propre de la loi stricto sensu. Elle peut être mise en évidence pour l'ensemble des normes, décrets, arrêtés, circulaires pour le secteur public, mais aussi règlements divers, conventions et contrats dans le secteur privé. Cette inflation normative entraîne mécaniquement un recours de plus en plus fréquent au juge lorsqu'une difficulté se présente pour son application. Face à ce foisonnement normatif, le juge est de plus en plus sollicité pour apaiser et trancher, pour reprendre deux des termes clefs du colloque. Il est le principal garant de la sécurité juridique, que des normes seules ne sont pas à même d'assurer. Augmentation du nombre de normes mais aussi complexification du droit. Les progrès scientifiques et techniques nous ont permis de nous affranchir de nombreuses contraintes matérielles. Cependant le corollaire de cette évolution est une complexité grandissante des normes et là encore le recours au juge est nécessaire pour dire le droit, interpréter la norme. En ce sens et indéniablement on demande plus au juge et on demande aussi mieux. Nos concitoyens attendent de leur justice des réponses claires dans un monde où ils ont parfois du mal à trouver de bons repères. Ils souhaitent aussi des réponses rapides. Le juge a dû s'adapter pour répondre à cette demande, à cette nécessité résultant du rythme parfois effréné de notre société, comme il s'est adapté d'ailleurs à sa dimension internationale qui va grandissante. La qualité et le nombre des intervenants qui vont se succéder à cette tribune me laisse penser que vous traiterez de toutes ces questions et de bien d'autres. Vous saurez, grâce à vos interventions et vos débats y apporter des réponses et découvrir de nouvelles problématiques. En un mot, effectuer ce travail prospectif consubstantiel à toute fonction d'autorité. Je vous remercie de votre attention et vous souhaite de fructueux débats.

Avant-propos de M. Gilles DARCY, Professeur de droit public, Université de Paris 13 (Paris-Nord)

Monsieur le Sénateur, Membre de la Commission des Lois,

Monsieur le Président de l'Université de Bretagne-Occidentale,

Madame la Présidente de l'Université de Paris-Nord,

Mesdames, Messieurs les Doyens,

Mes chers collègues,

Mesdames et Messieurs.

La Présidente de l'Université de Paris-Nord et le Président de l'Université de Bretagne-Occidentale, dans leur parfaite élégance, vous ont parlé, entre autres, de l'office de l'historien et de l'office du géographe, qui sont leur matière de prédilection. Si je n'ai pas la même délicatesse, c'est peut-être que la rhétorique dont j'entends vous brosser quelques traits n'est pas ma discipline. Je suis donc totalement libre de parler de ce que je ne sais pas. Et de vous dire, sans en déflorer le contenu, ce qui ne relève pas, apparemment, de ce Colloque.

Pourquoi la rhétorique ? Un auteur anglais, Thomas de Quincey, dans un petit ouvrage publié en 1828, évoque lui-même, l'office de la rhétorique 1 ( * ) .

Mais qu'est-ce que la rhétorique, à un moment où, depuis la fin du XIX e siècle en France, elle n'est plus enseignée dans les lycées. A lire furtivement Démosthène, Aristote, les sophistes, Cicéron, reconstruits par Chaïm Pérelmann, deux conceptions semblent la modeler, de manière antithétique 2 ( * ) .

La première, extensive et dépréciative, relève, à tout le moins, du mépris. On la qualifie d'imposture, d'artifice, de fatuité, d'ornement ostentatoire, de style emphatique qui « tourbillonne et habille la pensée ». Elle peut être employée indifféremment pour le bien et pour le mal ; ce qui compte avant tout, c'est « la virtuosité », l'art de l'éloquence où le succès vaut plus que la vérité.

La seconde interprétation, que nous utiliserons, est dans un certain sens plus restrictive, plus conforme à l'idée de convaincre par et pour l'esprit. Sous sa forme écrite ou orale, elle vient de l'entendement et s'adresse à l'entendement. Elle est le fruit précis des longues délibérations de la raison. L'argumentation et même, dans un premier temps, la confrontation des répliques, donc le contradictoire, sont le principe de la rhétorique sans emportements, couverte par la façon de persuader.

Comment peut-on passer, même de manière fragile, de l'office de la rhétorique à l'office du Juge ? Ils se mêlent par l'absence certaine de définition, par le cadre supposé rigide de la matière qui laisse une grande liberté pour atteindre l'objectif et parce que la rhétorique précède le jugement et parfois même structure l'acte de juger.

Les enseignants, les avocats, les magistrats, le procès et l'arrêt lui-même flirtent avec la rhétorique. La persuasion feint de s'arrêter là où commence la certitude relative « car juger, c'est subsumer une proposition sous une autre » 3 ( * ) . L'opération mentale consisterait-elle en définitive en un acte de magie dissimulé par un langage normatif ?

Qu'est-ce donc que l'office du Juge ? C'est ce qui est reçu par le Juge et conçu par lui. Toutefois, que deviennent les moyens d'ordre public, le rôle éminent du législateur, la faculté de moduler, de manière soit rétroactive soit non rétroactive, les effets d'un jugement ? Et puis entre « l'interpréter », « l'apaiser », « le trancher » et le « légitimer », tout ne s'entremêle-t-il pas pour constituer l'indéfinissable office du Juge ? C'est ce dont vous allez, Mesdames et Messieurs les intervenants, nous parler de manière remarquable.

* 1 Essai sur la rhétorique, le langage et le style, éd.Jordi, Domaine Romantique, 2004, p.24.

* 2 Voir de Madame Jacqueline de Romilly, Les grands sophistes dans l'Athènes de Périclès, le Livre de poche, 2004 où quelques expressions sont reprises à l'éminente helléniste dans ce bref récit.

* 3 Thomas de Quincey, op.cit. p.42.

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