L'office du juge



Paris, Palais du Luxembourg les 29 et 30 septembre 2006

LA LÉGITIMITÉ DU JUGE COMMUNAUTAIRE

M. Denys SIMON, Professeur à l'Université de La Réunion

A la fin de l'année dernière, M. Schlussel, Chancelier de la République d'Autriche et président en exercice du Conseil s'en prenait vigoureusement à la Cour de justice des Communautés européennes en pointant quatre décisions récentes, relatives respectivement au rôle des femmes dans l'armée allemande 705 ( * ) , à l'accès des étudiants étrangers dans les universités autrichiennes 706 ( * ) , au régime d'intégration des pertes des filiales étrangères dans le bénéfice imposable de sociétés britanniques 707 ( * ) et aux sanctions pénales en matière d'environnement 708 ( * ) , ces quatre prises de position illustrant selon lui une forme particulièrement grave de « gouvernement des juges ». Il proposait dans la foulée, ayant semble-t-il rencontré une oreille attentive du côté des gouvernements allemands et danois, d'instituer une instance supérieure pour « légitimer » le comportement de la Cour de justice 709 ( * ) . On peut d'ailleurs se demander quel pourrait bien être le statut d'un gardien des gardiens ou d'un juge des juges...

C'est dire que les angoisses récurrentes à l'égard du gouvernement des juges ont la vie dure. On se souvient des diatribes de Michel Debré demandant la suppression de la Cour qui avait eu l'insigne audace de se mêler de l'application du traité Euratom ou des réactions suscitées en son temps par l'arrêt AETR 710 ( * ) . Plus récemment la reconnaissance par la Cour de la possibilité d'inscrire dans une directive des sanctions pénales en cas d'atteintes graves à l'environnement 711 ( * ) a suscité le vote d'une résolution à l'Assemblée nationale, critiquant l'interprétation extensive donnée par la Commission de la portée de l'arrêt de la Cour 712 ( * ) .

La question sous-jacente est évidemment celle de la légitimité du juge communautaire.

Il est souhaitable de réfléchir à cette question de manière dépassionnée, au-delà des controverses éternelles sur l'activisme judiciaire. Comme le disait Antoine Garapon dans le numéro de Pouvoirs consacré aux juges en 1995 713 ( * ) « Il faut reprendre cette question du juge moins en termes tranchés (soit un positivisme radical, soit le « gouvernement des juges », soit le syllogisme, soit l'arbitraire) qu'en termes réalistes et nuancés », et le déroulement de ce colloque montre que c'est possible.

Il faut préciser en premier lieu que la problématique de la légitimité du juge communautaire n'est pas par essence différente des questions qu'on se pose à cet égard à propos des juridictions internes. Nature de l'opération interprétative, choix des méthodes d'interprétation, autorité des décisions de justice, relations du juge avec le constituant ou avec le législateur, ces paradigmes de la fonction juridictionnelle bien connus du droit interne ne sont pas étrangers au droit communautaire. La mise en cause de la légitimité du juge communautaire est souvent formulée dans les mêmes termes que les reproches d'activisme juridictionnel opposés à la Cour suprême des Etats Unis ou au Conseil constitutionnel français. Par parenthèse, on peut noter que les accusations de gouvernement des juges dont la pratique serait illégitime 714 ( * ) dépendent souvent de désaccords sur le fond des décisions : la contestation de la légitimité des décisions de la Cour suprême a été le fait des progressistes à propos de la jurisprudence hostile à la politique interventionniste de Roosevelt, puis des conservateurs quand il s'est agi des décisions anti-ségrégationnistes ; il est à peine besoin de rappeler qu'il en est de même à propos des décisions du Conseil constitutionnel français 715 ( * ) . Mais ce constat sociologique ne modifie en rien l'existence de la question fondamentale du statut de l'instance juridictionnelle par rapport au jurislateur, qui dans le constitutionnalisme moderne est doté d'une légitimité démocratique liée à son investiture populaire, directe ou indirecte, et à sa responsabilité politique alors que le juge n'est ni démocratiquement élu ni politiquement responsable 716 ( * ) .

Cette formulation montre immédiatement que si l'interrogation sur la légitimité du juge est commune à tous les systèmes juridiques, elle revêt néanmoins dans le système de l'Union européenne une dimension spécifique : il est clair en effet que la légitimité de celui qui dit le droit par rapport à celui qui fait le droit est rendue plus complexe à appréhender quand la fonction d'édiction des normes est partagée entre une logique institutionnelle et une logique interétatique. Il ne s'agit pas seulement d'un équilibre horizontal entre le législateur et le juge, il s'agit également d'un équilibre vertical entre les Etats membres et la Cour.

Une seconde originalité doit être immédiatement relevée sous forme de paradoxe : d'une part, la légitimité d'une juridiction internationale, créée par un traité, est par hypothèse plus fragile que celle des juridictions nationales, appuyées sur une histoire séculaire, dont l'autorité est a priori incontestable ; d'autre part, cette juridiction créée un peu par hasard, alors qu'elle ne figurait pas dans les premiers projets de traité CECA 717 ( * ) , a de l'avis unanime joué un rôle moteur, voire déterminant dans la construction juridique européenne 718 ( * ) . Comment la Cour de justice « a-t-elle été en mesure d'occuper une place aussi importante, alors que la tradition européenne, héritée de la philosophie des Lumières, s'oppose au principe d'un gouvernement des juges ? » 719 ( * ) Comment expliquer que ses décisions, fussent les plus audacieuses, n'aient à quelques exceptions près, jamais été remises en cause par les autres institutions ou par les Etats membres ? Comment saisir cette légitimité conquise et stabilisée dont peut se prévaloir le juge communautaire ?

Je voudrais tenter de répondre à ces questions en analysant successivement le processus par lequel le juge communautaire a conquis et consolidé sa légitimité et les techniques de légitimation dont use la Cour afin de garantir la pérennité de sa fonction.

I. LA CONSTRUCTION DE LA LÉGITIMITÉ DU JUGE COMMUNAUTAIRE

La légitimité du juge communautaire n'est pas un donné, mais un construit. Sans doute plus que les juridictions internes, les juridictions internationales ont besoin d'affirmer et de solidifier une légitimité qui ne leur est pas acquise a priori . Certaines demeurent sous la dépendance des Etats, qui leur consentent parcimonieusement une compétence toujours limitée et souvent remise en cause à la première décision qui heurte les intérêts jugés fondamentaux des Etats souverains. D'autres peinent à s'affirmer comme de véritables juridictions, comme en témoignent les efforts remarquables de l'organe de règlement des différends de l'OMC ou sont ignorés par les Etats qui leur préfèrent d'autres modes de règlement, comme le montre la situation actuelle du Tribunal international du droit de la mer.

Le juge communautaire a donc du s'imposer comme l'organe judiciaire exclusif habilité à dire le droit sur la base des traités instituant ces objets juridiques non identifiés que sont la Communauté puis l'Union européenne. Si l'on relit dans cette perspective la jurisprudence de la Cour depuis sa création, on constate que cette quête de légitimité est passée d'une part, par l'affirmation de sa fonction de gardien d'un ordre juridique autonome et d'autre part, par la justification de sa mission juridictionnelle spécifique.

A. LA LÉGITIMITÉ DE GARDIEN DU TEMPLE

Même si cela n'est pas toujours apparu aux yeux des spécialistes du droit communautaire, je suis convaincu que le processus de légitimation de la Cour de justice est d'abord dérivé de l'affirmation de l'autonomie et de la cohérence de l'ordre juridique communautaire 720 ( * ) .

Dès 1956, l'Avocat général Lagrange affirmait que

« le traité dont la Cour a pour mission d'assurer l'application, s'il a bien été conclu sous la forme des traités internationaux et s'il en est un incontestablement, n'en constitue pas moins, du point de vue matériel, la charte de la Communauté, les règles de droit qui s'en dégagent constituant le droit interne de cette Communauté » 721 ( * ) .

Le lien entre la mission de la Cour et la nature de l'ordre juridique dont elle a la garde est ici explicite. L'Avocat général définit le droit communautaire comme le droit interne de la Communauté et du même coup érige la Cour en juge interne de cette Communauté d'un genre nouveau.

La construction -- alors que le traité n'en dit mot -- de la théorie de l'effet direct et de la primauté du droit communautaire, en coupant le cordon ombilical entre l'ordre communautaire et l'ordre international, allait du même coup transformer une juridiction -- internationale dans son origine -- en juridiction interne d'un système juridique spécifique et donc simultanément conférer une place centrale, incontournable, au juge communautaire comme artisan de la construction systématique d'un ordre à la conquête de sa cohérence et de son autonomie. C'est en ce sens que les célèbres arrêts Van Gend en Loos et Costa/ENEL sont les arrêts fondateurs de l'édifice juridique inédit constitué par le droit né des traités, mais aussi les arrêts fondateurs de la légitimité du juge chargé de faire respecter la logique de cet ordre en devenir et de protéger le temple contre les menaces de destruction externe et de dissolution interne 722 ( * ) .

Il suffit de rappeler les formules célèbres que tout le monde a en tête :

« la Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international au profit duquel les Etats ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les Etats membres, mais également leurs ressortissants » 723 ( * ) .

ou encore :

« à la différence des traités internationaux ordinaires, le Traité de la CEE a institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des Etats membres lors de l'entrée en vigueur du traité et qui s'impose à leurs juridictions; qu'en effet, en instituant une communauté de durée illimitée, dotée d'attributions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d'une capacité de représentation internationale, et plus précisément de pouvoirs réels issus d'une limitation de compétence ou d'un transfert d'attributions des Etats à la Communauté, ceux-ci ont limités, bien, que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes » 724 ( * ) .

La répétition incantatoire de la formule magique a contribué à la formation d'un véritable mythe, ou, pour parler comme Bourdieu, à fonctionner comme « une parole créatrice, qui fait exister ce qu'elle énonce » 725 ( * ) . Toutes proportions gardées, on peut être tenté d'opérer un rapprochement avec l'affirmation de la spécificité du droit administratif sur la base mythologique de l'arrêt Blanco, qui a incontestablement fondé le droit administratif comme droit distinct du droit privé, mais aussi contribué à asseoir la légitimité contentieuse du Conseil d'Etat.

On pourrait multiplier les exemples qui illustrent ce lien étroit entre l'affirmation de l'autonomie du droit communautaire et la responsabilité éminente qui incombe à la Cour de justice à cet égard. Pour n'en retenir qu'un seul, dans son avis relatif à l'Espace économique européen 726 ( * ) , le juge communautaire a refusé l'assimilation de l'accord instituant l'EEE au traité CE, en dépit de l'identité matérielle des dispositions en cause. La Cour estime en effet, comme on l'a très bien dit, que « le premier ne se différencie pas d'une convention internationale classique puisqu'il ne crée que des droits et des obligations entre les parties et n'opère aucun transfert de droits souverains à une organisation internationale, le second se caractérise par l'institution d'un ordonnancement juridique complexe. Cette différence essentielle devait convaincre la Cour de justice à estimer que, dans sa forme initiale, la conclusion de l'accord EEE risquait de mettre en péril l'autonomie de l'ordre juridique communautaire et de compromettre la capacité de la Communauté de réaliser ses objectifs » 727 ( * ) .

Ultérieurement, l'affirmation de la nature constitutionnelle des traités permettra à la Cour de s'ériger en juge constitutionnel, chargé de veiller au respect de la « constitution interne de la Communauté » 728 ( * ) . La Cour s'auto-proclame le gardien du droit de la Communauté européenne, définie comme une

« communauté de droit en ce que ni ses Etats membres ni ses institutions n'échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu'est le traité » 729 ( * ) .

Bien avant qu'il soit question de l'élaboration d'un traité établissant une constitution pour l'Europe, la Cour avait ainsi conclu à la dimension constitutionnelle de la construction communautaire 730 ( * ) et avait implicitement renforcé sa propre légitimité comme juge constitutionnel.

On pourrait poursuivre la démonstration en montrant comment la jurisprudence relative à la délimitation des compétences entre la Communauté et les Etats membres 731 ( * ) , à l'affirmation du caractère irréversible du transfert de compétences, au jeu du principe de loyauté communautaire, sont allés de pair avec une légitimation croissante de la Cour elle-même 732 ( * ) .

De même, la construction jurisprudentielle audacieuse, sur la base des principes généraux du droit communautaire, du corpus jurisprudentiel relatif à la protection des droits fondamentaux, a incontestablement renforcé la légitimité du juge, qui est apparu, dans le silence relatif des traités originaires, comme le véritable rempart des droits individuels à l'égard des abus éventuels du législateur ou de l'administration communautaires. Habilement, la Cour a su justifier sa créativité juridictionnelle en invoquant les emprunts effectués à partir des instruments internationaux de protection des droits de l'homme, et en particulier de la Convention européenne des droits de l'homme, mais aussi des traditions constitutionnelles des Etats membres, avant de fonder plus directement son raisonnement sur le concept de Communauté de droit et sur l'exploitation intensive des dispositions protectrices des droits fondamentaux introduites lors des révisions successives des traités constitutifs.

Enfin la même démonstration pourrait être opérée dans les domaines plus techniques du droit économique communautaire. La jurisprudence relative à la libre circulation des marchandises, à la libre circulation des travailleurs, au droit d'établissement, à la libre prestation des services, au droit de la concurrence, aux aides publiques, aux activités de service public, permettrait de montrer comment les prises de position de la Cour, outre qu'elles ont contribué à générer les principaux progrès de l'intégration, ont simultanément placé le juge dans une position d'arbitre entre les exigences impératives d'intérêt général et la libre circulation ou entre la défense de l'intérêt général et la logique d'un marché concurrentiel. Sanctionnant aussi bien les excès de la Commission que les tentatives désintégratrices des Etats membres, le juge communautaire est ainsi apparu comme le détenteur légitime de la garantie du respect des équilibres voulus par les auteurs des traités.

Sans doute peut-on trouver des explications à cette intensité de la fonction jurisprudentielle au sein de l'ordre juridique communautaire dans les particularités des traités eux-mêmes. Conçus comme des traités-cadres, les textes constitutifs de l'Union européenne comprennent en particulier un nombre particulièrement élevé de notions juridiques floues, de concepts juridiques indéterminés, de standards 733 ( * ) , qui laissent par définition à l'interprète une mission de co-déterminateurs du sens 734 ( * ) et donc de co-créateurs de la norme issue de l'énoncé polysémique inscrit dans les traités de base 735 ( * ) .

Ce processus de légitimation n'a évidemment été possible que parce que la Cour pouvait s'appuyer sur un statut et une mission juridictionnelle spécifique.

B. LA LÉGITIMITÉ ISSUE DE LA MISSION SACRÉE DE DIRE LE DROIT

Il est évident que l'instance juridictionnelle créée par les traités communautaires « se singularise à bien des égards par rapport à tout ce qu'on avait jusque là imaginé et pratiqué dans la vie internationale » 736 ( * ) . En vertu de l'article 220 TCE,

« La Cour de justice et le Tribunal de première instance assurent, dans le cadre de leurs compétences respectives, le respect du droit dans l'interprétation et l'application du présent traité ».

Cette définition extrêmement large de la mission générale du juge communautaire, combinée avec le faible volume des limites à la justiciabilité des litiges, cantonnées aux piliers non communautaires (PESC, JAI), se traduit par un certain nombre de caractères qui confèrent indéniablement à la Cour le statut de pouvoir judiciaire dans le système juridique communautaire.

On rappellera d'abord que la juridiction de la Cour est obligatoire : la compétence de la Cour n'est pas subordonnée au consentement des Etats, qui a été exprimé une fois pour toutes lors de la conclusion des traités.

En deuxième lieu, la juridiction de la Cour est exclusive : les différends relatifs à l'interprétation et à l'application du droit communautaire ne peuvent être soumis à d'autres modes de règlement des différends 737 ( * ) .

En troisième lieu, la juridiction de la Cour est accessible aux recours individuels.

Enfin, les décisions de la Cour sont revêtues de l' autorité de chose jugée et de la force exécutoire dans l'ordre interne des Etats membres 738 ( * ) .

A côté de cette légitimité formelle découlant de son statut, la Cour dispose d'une légitimité fonctionnelle, qui procède de la pluralité de ses missions contentieuses.

En effet, il est tout d'abord évident que la Cour de justice exerce les fonctions d'une juridiction internationale , en tant qu'elle statue sur les différends entre Etats membres et sur la sanction des manquements des Etats membres à leurs obligations conventionnelles.

Mais la Cour est également investie des missions d'une juridiction constitutionnelle dans l'ordre communautaire : elle statue à la manière d'une cour suprême fédérale sur la délimitation des compétences entre la Communauté et les Etats membres ; elle est aussi le régulateur du fonctionnement des pouvoirs, dans la mesure où elle fait respecter la répartition des pouvoirs entre les institutions telle qu'elle est prévue par la charte constitutionnelle de base ; elle veille enfin au respect de la constitution communautaire lors de la conclusion d'accords internationaux, grâce à une procédure consultative qui reproduit mutatis mutandis le dispositif de l'article 54 de la constitution française.

En troisième lieu, le juge communautaire est le juge administratif de l'Union européenne. Il est chargé du contrôle de légalité des actes des institutions, de la mise en oeuvre de la responsabilité de la puissance publique communautaire, et, par l'intermédiaire du TPI puis du Tribunal de la fonction publique récemment créé, du contentieux des fonctionnaires et agents.

En quatrième lieu, et c'est sans doute son rôle le plus productif, la Cour exerce la fonction d'une juridiction régulatrice , chargée d'assurer l'application uniforme du droit dans l'ensemble du territoire de l'Union, à la manière d'un juge de cassation, même si la technique retenue est celle d'une collaboration juridictionnelle avec les tribunaux nationaux grâce au mécanisme des questions préjudicielles.

Pour être exhaustif, il faudrait ajouter, même si heureusement cette fonction trouve plus rarement à s'exercer, que la Cour de justice est également l'équivalent fonctionnel de la Haute Cour de justice ou de la Cour de justice de la République, comme en témoigne l'arrêt récemment rendu dans l'affaire Cresson 739 ( * ) .

Cette polyvalence fonctionnelle fait véritablement de la Cour de justice l'organe appelé à dire le droit, le lieu d'où parle le droit, d'autant plus qu'elle peut être saisie à travers un arsenal de voies de recours sans précédent : recours directs en annulation, en carence ou en responsabilité, exception d'illégalité, recours en constatation de manquement, renvois préjudiciels en interprétation ou en appréciation de validité, procédures consultatives constituent un « système complet de voies de recours et de procédures » 740 ( * ) , comme elle le constate elle-même, dont elle infère le cas échéant la possibilité de reconnaître sa compétence au-delà des attributions expresses opérées par les traités, au nom de la Communauté de droit, qui suppose qu'aucun acte n'échappe au contrôle juridictionnel 741 ( * ) .

C'est ainsi que sur la base des compétences étendues qui lui étaient attribuées, la Cour s'est érigée en un véritable pouvoir judiciaire, omniprésent et légitime.

* 705 CJCE, 11 janv. 2000, aff. C-285/98, Kreil : Rec. CJCE 2000, I, p. 69 ; J. GERKRATH, Le principe de l'égalité de traitement et l'accès des femmes aux emplois dans les unités armées dans la Bundeswehr : Europe 2000, chron. 11,p. 5-7.

* 706 CJCE, 7 juill. 2005, aff. C-147/03, Commission c/ Autriche : Europe 2005, comm. 322, obs. F. Mariatte.

* 707 CJCE, 13 sept. 2005, aff. C-176/03, Commission c/Conseil : Europe 2005, comm. 169, obs. D. Simon.

* 708 CJCE, 13 déc. 2005, aff. C-446/03, Marks & Spencer

* 709 Pour plus de détails, v. T. FERENCZI, la Cour de justice est accusée d'outrepasser ses compétences, Le Monde 12 janvier 2006 ; D. Simon, Retour du mythe du gouvernement des juges, Europe février 2006 Repère p.1. Pour une analyse du mythe du gouvernement des juges plus ancienne, v. D. SIMON, La Cour de justice des Communautés Européennes, un gouvernement des juges ? in Démocratiser la Communauté, Paris, Etudes et perspectives européennes, 1977.

* 710 M. DEBRE, Les prétentions inouïes de la Cour de justice européenne, Le Monde 11 janvier 1979

* 711 CJCE 13 septembre 2005 aff. C-176/03, Commission c/ Conseil, Europe nov 2005 comm n° 369, obs. D. Simon.

* 712 Rapport d'information C. PHILIP, n° 2829, 25 janvier 2006 ; Rapport A. MARSAUD n° 2968, 20 mars 2006 ; Rés. n° 560, 29 mars 2006, JORF 30 mars 2006 ; v. D. SIMON, L'Assemblée nationale et la compétence communautaire en matière pénale : le temps des paradoxes, Europe mai 2006 Repère n° 5

* 713 A. GARAPON, La question du juge, in Les juges, rev. Pouvoirs n° 74, 1995, p. 13 s. sp. 26

* 714 V. par ex. S. BRONDEL, N. FOULQUIER et L. HEUSCHLING (sous la dir. de), Gouvernement des juges et démocratie, Paris Publ. Sorbonne 2001.

* 715 Les mêmes constats peuvent être faits à propos de la doctrine qui se montre la plus critique à l'égard de l'activisme de la Cour de justice : c'est ainsi que H. Rasmussen dénonce les tendances au gouvernement des juges par une Cour qui privilégie les objectifs politiques de l'intégration sur le respect de la volonté des Etats membres, mais simultanément reproche à la Cour de ne pas avoir développé une jurisprudence ambitieuse sur la protection des droits fondamentaux, alors qu'à l'époque, on aurait été bien en peine de trouver dans les traités une quelconque base juridique pour de tels développements jurisprudentiels (H. Rasmussen, On Law an Policy in the European Court of Justice, Dordrecht Boston Lancaster Nijhoff, 1986.

* 716 Pour une réflexion d'ensemble sur la légitimité du juge, v. par ex. F. HOURQUEBIE, Sur l'émergence d'un contre-pouvoir juridictionnel sous la Vème République, Bruxelles Bruylant 2004 ; F. OST, Jupiter, Hercule, Hermès, trois modèles de juge, in P. BOURETZ, (sous la dir. de), La force du droit, Paris Ed. Esprit 1991, p. 241 s.

* 717 On peut toutefois trouver une allusion au contrôle juridictionnel dans la Déclaration de R. Schuman du 9 mai 1850 : « des dispositions appropriées assureront les voies de recours nécessaires contre les décisions de la Haute Autorité ».

* 718 R. LECOURT, Quel eût été le droit des Communautés européennes sans les arrêts de 1963 et 1964 ?, in L'Europe et le droit, Mélanges en hommage à Jean Boulouis, Paris Dalloz 1991, 349. ; L'Europe des juges, Bruxelles Bruylant 1976 ; D. Simon, L'interprétation judiciaire des traités d'organisations internationales, morphologie des conventions et fonction juridictionnelle, Paris Pedone 1981.

* 719 R. DEHOUSSE, La Cour de justice des Communautés européennes, Paris Montchrestien 1994, sp. p. 8

* 720 De même qu'on a pu relever qu'en droit interne, la légitimité du juge était liée au fait qu'il apparaît comme « porté par l'Etat de droit » ; v. par ex. F. HOURQUEBIE, Sur l'émergence d'un contre-pouvoir juridictionnel sous la Vème République, op.cit., sp. 95 s.

* 721 CJCE 16 juillet 1956 Fédéchar, 8/55, Rec 291

* 722 Sur ce processus, v. par ex. D. SIMON, Les fondements de l'autonomie du droit communautaire, in Droit international et droit communautaire, perspectives actuelles, Paris Pedone 2000, p. 207 à 249.

* 723 CJCE 5 février 1963 Van Gend en Loos, 26/62, Rec 3 (italiques ajoutées).

* 724 CJCE 15 juillet 1964 Costa c/ ENEL, 6/64, Rec 1141 (italiques ajoutées).

* 725 P. BOURDIEU, Ce que parler veut dire, l'économie des échanges linguistiques, Paris Fayard 1982, sp. 20-21.

* 726 CJCE, 14 décembre 1991, Accord sur la création de l'Espace économique européen, Avis 1/91, Rec. I, p. 6079.

* 727 R. KOVAR, La contribution de la Cour de justice à l'édification de l'ordre juridique communautaire, Collected Courses of the Academy of European Law, Vol. IV, Book 1, 15 s., sp. 30 (italiques ajoutées).

* 728 CJCE, 26 avril 1977, 1/76, Fonds européen d'immobilisation de la navigation intérieure, Avis : Rec. p.741.

* 729 CJCE 23 avril 1986 Parti écologiste Les Verts c/ Parlement européen, 294/83, Rec 1339, sp. § 23. V. également CJCE Ord 13 juillet 1990 Zwartveld !, C-2/88 Imm, Rec I-3365.

* 730 V. par ex. J. GERKRATH, L'émergence d'un droit constitutionnel pour l'Europe. Modes de formation et sources d'inspiration de la Constitution des Communautés et de l'Union européenne, Editions de l'ULB, 1997.

* 731 On se contentera de renvoyer sur ce point à K. BOSKOVITS, L'articulation des compétences normatives entre la Communauté et ses Etats membres, Sakkoulas Bruylant 1999 et à V. MICHEL, Recherches sur les compétences de la Communauté, L'Harmattan 2003.

* 732 V. notamment R. KOVAR, cours précité, sp. p. 110 s..

* 733 V. par ex. D. SIMON, L'interprétation des notions juridiques floues, dérive ou déviance de la normativité, in C. DUBOUIN (sous la dir. de), Dérives et déviances, Paris Le Publieur, 2005, p. 44 s.

* 734 Pour employer le vocabulaire de G. TIMSIT, Les noms de la loi, Paris PUF 1991 ; Gouverner ou juger, Paris PUF 1995.

* 735 Les énoncés en forme de standards dans les traités et dans le droit dérivé abondent : moralité publique, ordre public, loyauté dans la concurrence, affectation du commerce entre Etats membres, abus de position dominante, consommateur avisé...

* 736 P. PESCATORE, Le droit de l'intégration, Genève IHEI Leyden Sijthoff 1972, réédité par Bruylant 2005, sp. p. 73.

* 737 Conformément à l'article 292 CE. L'Etat membre qui aurait recours à un autre mode de règlement des différends est sanctionné dans le cadre du recours en constatation de manquement : pour un exemple récent, v. l'affaire de l'usine Mox, CJCE 30 mai 2006 Commission soutenue par Royaume Uni c/ Irlande, soutenue par Suède, C-459/03 Europe juillet 2006 obs. F. Mariatte, comm 207.

* 738 L'autorité des arrêts de la Cour de justice a été récemment consacrée en termes explicites par le juge constitutionnel français:(CC Décision n° 2005-531 DC du 29 décembre 2005 Loi de finances rectificative pour 2005 : « l'article 111 de la loi de finances rectificative pour 2005 a pour principal objet, par la condition qu'il pose, de priver d'effet, pour la période antérieure au 1er janvier 2001, l'arrêt précité de la Cour de justice des Communautés européennes ainsi que la décision précitée du Conseil d'Etat ; qu'il porte dès lors atteinte au principe de séparation des pouvoirs et à la garantie des droits ; que, par suite, il y a lieu de le déclarer contraire à la Constitution, sans qu'il soit besoin ni d'examiner les motifs d'intérêt général qui l'inspirent ni de statuer sur les autres griefs de la saisine ».

* 739 CJCE 11 juillet 2006, Commission c/ Edith Cresson, soutenue par République française, C-432/04, Europe oct. 2006 comm 266 obs. D. SIMON.

* 740 CJCE 23 avril 1986 Les Verts c/ Parlement européen, 284/83, Rec 1399

* 741 S'agissant par exemple de la reconnaissance de la « légitimation passive » (arrêt Les Verts précité) et de la « légitimation active » du Parlement européen (CJCE 23 mai 199à Parlement européen c/ Conseil, C-70/88, Rec I-2041).

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