Les rencontres sénatoriales de la justice : "Justice de demain : quelles conditions pour une efficacité accrue?"



Colloque organisé par M. Christian PONCELET Président du Sénat le 24 septembre 2003

INTRODUCTION

M. JEAN-LOUIS NADAL, Procureur général près la Cour d'Appel de Paris

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Mesdames et Messieurs

C'est avec beaucoup de plaisir que je prends la parole aujourd'hui devant vous, à l'occasion de ces rencontres sénatoriales de la justice.

Je voudrais d'abord vous remercier pour votre accueil, Monsieur le Président, Mesdames et messieurs les sénateurs, mais aussi vous dire que je mesure à l'aune de l'importance de la Haute Assemblée dans notre dispositif constitutionnel, l'honneur qui m'est fait de pouvoir ainsi m'exprimer dans ce cadre prestigieux.

Les magistrats savent la part prise par le Sénat dans des réformes majeures touchant la justice et aucun d'eux ne peut être indifférent à ce que vous représentez.

Je pense en particulier, mais ce n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres, à l'introduction du double degré de juridiction pour les cours d'assises, qui a hissé notre système judiciaire au niveau des standards européens et plus simplement au niveau des exigences d'équité et d'humanité que votre Assemblée a su faire valoir, car c'est bien dans l'enceinte du Sénat qu'est né cet appel contre les décisions des cour d'assises.

Au commencement de ce bref propos, permettez-moi aussi, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, de tout spécialement saluer les 45 sénateurs qui ont bien voulu accomplir un stage dans une juridiction, dont six dans un tribunal du ressort de la cour d'appel de Paris.

Sans pouvoir les citer nommément, je voudrais dire à chacun d'entre eux combien leur présence a été appréciée, et je pense pouvoir me faire l'interprète de mes collègues procureurs généraux pour adresser le même message à ceux qui ont séjourné dans des juridictions en dehors du ressort de la cour d'appel de Paris. S'ils ont pu tirer un profit de ce contact avec les acteurs et les réalités de la vie judiciaire, l'échange , par définition, n'a pas été à sens unique. Cette venue dans nos juridictions des représentants «du législateur», selon le terme désincarné en usage à la faculté a justement permis d'ajouter un peu de chair à cette expression, de montrer qu'au delà des textes qui la créent et organisent son fonctionnement, une institution existe par les femmes et les hommes qui la composent et qui la font vivre.

Merci donc, à tous ces «stagiaires», qui ont enrichi le savoir des magistrats.

A cet égard, cette journée me paraît avoir une double vertu. Elle est l'occasion d'un bilan et je ne doute pas que les discussions qui vont suivre seront très instructives. Elle est aussi, me semble-t-il, une étape , car j'ai du mal à croire que nous avons épuisé les occasions de rencontre et je préfère penser que vos observations permettront d'organiser d'autres stages en satisfaisant au mieux les attentes des parlementaires.

* * *

En lien direct avec les constats faits sur le terrain, vous avez choisi trois thèmes pour guider vos réflexions :

*/ le travail du juge,

*/ les moyens du juge,

*/ et, troisième sujet auquel conduisent naturellement les deux premiers, la réforme de la justice .

Ces questions concernent bien sûr au premier chef tous ceux qui s'intéressent à l'institution judiciaire et je me réjouis des interventions qui vont suivre. J'observerai, pour ma part, qu'elles sont le prolongement d'une lancinante interrogation, bien connue de tous les praticiens de la justice.

- S'interroger sur les moyens de la justice, c'est déjà s'interroger sur ce que l'on attend d'elle et donc du juge ;

- s'interroger sur le contenu du travail judiciaire, c'est, me semble-t-il, se renvoyer à soi-même la conception que l'on a de ce travail ;

- s'interroger enfin sur la réforme de la justice, c'est mesurer la distance qui sépare la justice telle qu'elle est de la justice telle qu'on la voudrait .

Et, finalement, l'ensemble de ces interrogations ne renvoie-t-il pas à cette unique question qui domine toutes les autres, sur le rôle du juge ?

Il a déjà été beaucoup dit et écrit sur le sujet, car à bien des égards, la fonction judiciaire a beaucoup évolué, au point que bien des magistrats en fonctions aujourd'hui sont loin de pratiquer le métier qu'ils ont appris il y a 20 ans à l'Ecole nationale de la magistrature, quand ils ne viennent pas d'un autre horizon.

Je n'aborderai pas ici certaines interrogations récurrentes que vous connaissez bien,

- soient qu'elles intéressent le parquet, dont certains viennent suggérer que ses membres pourraient être des non-magistrats,

- soit qu'elles concernent le juge d'instruction, dont l'existence est régulièrement remise en cause.

Peut-être évoquerons-nous ces questions tout à l'heure ; je me livrerai pour le moment à des observations plus générales.

On remarquera que la question du rôle du juge, est sortie du cercle de la réflexion philosophique lorsque l'institution a pris de plein fouet l'explosion des contentieux civils, sociaux, commerciaux et pénaux. Des trésors d'activité et de créativité ont été déployés, avec l'aide de l'informatique, avec la mise en place progressive d'un parc immobilier moderne et rationnel, avec des réformes de procédure, mais aussi et surtout avec le très fort engagement des magistrats et des fonctionnaires. J'insiste sur le rôle capital des fonctionnaires .

Ces efforts ont permis des gains de productivité considérables puisqu'avec des moyens humains à peu près stables, le nombre de décisions rendues ou celui des procès-verbaux traités a très sensiblement augmenté. Et l'on emploie maintenant dans les juridictions un langage productiviste qui a pu choquer certains d'entre vous lorsqu'ils ont entendu parler, par exemple, d'évacuation des stocks.

Cette augmentation considérable de l'activité judiciaire a, me semble-t-il, une signification bien claire : c'est le besoin de justice qui a explosé, pas seulement le besoin de droit , qui peut être comblé par le conseil juridique mais bien le besoin de justice , par lequel on veut voir reconnu ou rétabli un intérêt juridiquement protégé au travers d'une décision judiciaire.

Ce besoin de justice, que je crois légitime, et en tout cas irréversible, présente au moins deux caractéristiques.

*/ il contribue à l'encombrement de nos juridictions en matière civile.

*/ il nourrit l'activité pénale des cours et des tribunaux car la justice a le devoir impérieux d'apporter une réponse à tout acte de délinquance. Vous savez et vous avez pu voir que nous nous y employons non seulement par des poursuites que j'appellerai «classiques», mais aussi par cette autre forme de réponse pénale que constitue la «troisième voie» qui permet, par exemple, la réparation ou le rappel à la loi.

A ce besoin de justice s'ajoute bien souvent une seconde caractéristique, qui est la complexité . En dehors des nombreuses affaires dites «simples», le juge doit aussi se pencher sur des dossiers marqués par la technicité. C'est que le droit se complique, se technicise, se spécialise, s'internationalise et surtout évolue rapidement avec les moeurs et les techniques.

Autrement dit, si l'office du juge est toujours, à titre principal, de trancher les conflits individuels, il ne peut être confiné à une sorte de fonction olympienne par laquelle, il serait réduit, telle la divinité, à rendre sa sentence. Ce juge qu'un haut magistrat exhortait il y a maintenant quatre décennies à «sortir du néolithique», ce juge à qui l'on a répété qu'il devait descendre de sa tour d'ivoire est devenu un personnage actif, dans le procès, dans la vie judiciaire, un juge obligé de se tenir informé des évolutions de plus en plus rapides de notre société.

Qu'il le veuille ou non, il participe dans bien des domaines, en matière pénale tout particulièrement, à une politique publique et peut même se trouver en position - bien que le sujet soit à aborder avec précaution -, en charge de mettre en oeuvre une politique judiciaire , dans le respect, bien évidemment, de son indépendance juridictionnelle qui reste, avec sa compétence, la meilleure garantie qu'il puisse offrir au justiciable.

* * *

Ainsi, être juge, c'est tous les jours faire mentir l'aphorisme selon lequel juger reviendrait à «refuser de comprendre». C'est au contraire s'astreindre à connaître le contexte dans lequel on intervient, c'est surmonter la complexité, c'est aussi, me semble-t-il, dans ce contexte de besoin exacerbé de justice, faire oeuvre de pédagogie pour que la décision soit non seulement reçue par celui qui gagne mais aussi comprise par celui qui perd.

Un magistrat britannique déclarait qu'un procès bien jugé est celui dans lequel la partie qui a perdu repart satisfaite. Mais peut-être ne faut-il pas trop en demander ...

* * *

Voici donc ce que je crois important de souligner ou de rappeler : le métier de juge a changé, dans le sens d'une plus grande complexité, à hauteur de l'évolution de notre société, à hauteur aussi des sollicitations de plus en plus fortes dont il est l'objet.

Et là n'est pas le moindre des paradoxes : ce juge dont on réclame avec force l'intervention est aussi un juge dont l'action entraîne la méfiance. Vous avez sans doute le souvenir de cette enquête de satisfaction conduite en mars et avril 2001 auprès d'usagers de la justice. Ses résultats étaient éloquents en ce qu'ils révélaient des usagers majoritairement confiants dans la justice et majoritairement critiques à l'égard de son fonctionnement. L'inquiétude portait sur les conditions d'exercice de la fonction judiciaire, en raison tout particulièrement, précisait le sondage, d'un manque d'information et de trop longs délais de jugement.

Il me semble que cette enquête pointait en réalité ce que le Sénat avait déjà mis en évidence lorsque votre Commission des lois a désigné en 1996 une mission chargée d'évaluer les moyens de la justice. Sous la présidence de M. JOLIBOIS, cette mission avait recensé parmi les difficultés ressenties par les justiciables, celles qui avaient retenu l'attention dans l'enquête de satisfaction que je viens d'évoquer.

M. le Président LARCHÉ, présentant les travaux de cette commission, avait utilisé cette formule qui résume bien la situation :

«notre problème actuel n'est plus tellement d'aider le citoyen à accéder à la justice mais peut-être de lui donner les moyens d'en sortir, c'est à dire de lui permettre de recevoir une réponse de la justice dans des délais raisonnables»

Il est vrai que, chaque année, des progrès importants sont accomplis, avec des budgets en progression constante qui permettent notamment une politique de recrutement très volontariste. A ces progrès s'ajoute une réforme de première grandeur, avec la prochaine entrée en fonction des juges de proximité dont l'existence même et l'appellation sont une preuve, s'il en était besoin, de ce que j'avançais à l'instant à propos de la transformation du métier de juge.

Je ne doute pas que ces rencontres sénatoriales apporteront une réponse à ces interrogations sur le rôle du juge, sur les conditions d'une efficacité de la justice.

Mais avant de laisser la place à la première table ronde, permettez-moi de vous livrer une dernière réflexion sur cette transformation de la fonction judiciaire. Il faut ici rappeler une autre dimension, de plus en plus prégnante, et qui est la responsabilité du juge .

* * *

Ce juge sorti de sa tour d'ivoire, descendu de son Olympe, est un juge qui doit aussi accepter de rendre des comptes, tout simplement parce qu'il est comptable de la manière dont il rend la justice au nom du peuple français. Si le contenu de ses décisions lui appartient et doit rester inattaquable sauf par les voies de recours reconnues par la loi, il en va différemment de tout ce qui se situe en dehors de la sphère juridictionnelle et sur lequel il peut être conduit à fournir des explications.

Cette transformation du métier de juge et le renforcement des moyens de la justice, débouchent nécessairement sur une évaluation de la fonction, sur un contrôle de la bonne utilisation des moyens mis à disposition pour améliorer l'administration de la justice.

Ce renforcement du contrôle est également lié aux nouvelles règles budgétaires qui nous conduisent à définir des objectifs et donc à développer des instruments permettant de vérifier qu'ils ont été atteints.

Or, cette démarche d'évaluation, de contrôle de qualité, est, à tout le moins, un changement notable. Je ne crains pas d'être fortement démenti si j'avance que pendant trop longtemps, le monde judiciaire, focalisé sur la seule fonction juridictionnelle, habitué à s'administrer lui-même, à invoquer son imperium pour combattre toute interrogation vécue comme une mise en cause, ne s'est pas suffisamment intéressé à son propre fonctionnement.

Il me semble que le retard a été comblé : il existe maintenant dans nos juridictions une culture non seulement juridictionnelle mais aussi administrative. C'est me semble-t-il un progrès important par lequel le juge accepte de rendre des comptes sur sa manière de rendre la justice qui ne saurait constituer un domaine protégé, bien au contraire.

Les comptes rendus annuels d'activité, les multiples états statistiques, les états budgétaires sont autant de moyens par lesquels le juge accepte de s'inscrire dans un processus administratif classique et normal d'évaluation.

Ce n'est certainement pas un hasard si un colloque européen s'est tenu les 26 et 27 mai dernier à l'Ecole nationale de la magistrature sur le thème de l'évaluation de la qualité de la justice en Europe : tous les partenaires européens sont confrontés à la même problématique.

Ces questions touchant à la responsabilité ont un autre aspect devant lequel l'ancien inspecteur général des services judiciaires que je suis ne veut pas se dérober : c'est l'éthique et la déontologie .

Vaste sujet sur lequel je ne ferai qu'une brève observation : je veux ici affirmer ma conviction non seulement, de la nécessité absolue, pour tout magistrat, d'une infaillible boussole déontologique, mais aussi de l'existence de celle-ci pour l'immense majorité d'entre-eux. Je pense que les sénateurs qui se sont déplacés dans les juridictions ont rencontré des magistrats n'appelant aucune réserve à cet égard.

Par les textes qui nous gouvernent, au premier rangs desquels l'ordonnance statutaire du 22 Décembre 1958, par la jurisprudence très fine du Conseil supérieur de la Magistrature, dont l'un des membres est désigné par le Président du Sénat, nous disposons d'un corpus déontologique précis que viendront prochainement enrichir les observations et propositions de la Commission chargée par M. le Garde des Sceaux de mener une réflexion sur l'éthique dans la magistrature.

Ainsi peuvent être prévenues les dérives, tandis que ceux, peu nombreux, qui ont manqué aux devoirs de leur état, sont exposés à des sanctions sévères. Je crois, avec tous mes collègues magistrats, que cette dimension de la responsabilité est évidemment indispensable, ainsi que j'ai pu le mesurer dans mes anciennes activités. Mais je m'arrête là car ce n'est pas directement le sujet de cette rencontre.

* * *

Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements)

I. PREMIÈRE TABLE RONDE : « MYTHES ET RÉALITÉS DES MOYENS DU JUGE :FORTE PROGRESSION DES BUDGETS ET PERSISTANCE DES DIFFICULTÉS »

M. Maurice PEYROT , animateur, vice-président de l'association de la presse judiciaire -

Bonjour, je suis plus habitué aux salles d'audience qu'aux enceintes parlementaires, en tant que chroniqueur judiciaire. Ceci dit, même en fermant les yeux, je sais que je ne suis pas dans un tribunal ou une cour d'assises, car ici les micros fonctionnent. Nous sommes déjà un peu dans le sujet. Quand on parle moyens, on parle argent. Il n'y a pas si longtemps, parler d'argent pour la justice, c'était un peu blasphématoire... (Sourires) Mais des progrès ont été accomplis, comme dans le dialogue entre élus et magistrats. Alors que pendant longtemps, ils se sont ignorés. Il y a maintenant des rencontres et ils travaillent ensemble. En tout cas, c'est ce que nous allons faire aujourd'hui.

Nous allons aborder en premier lieu la question de la sécurité dans les palais. Vu de l'extérieur, on a l'impression, peut-être un peu naïve, que la police s'est emparée des cours et tribunaux. (Murmures) Les tribunaux ne sont plus aussi ouverts qu'il y a trente ans. Mais il est vrai que le terrorisme est passé par là...

Je vais demander à des sénateurs partis en stage, leur témoignage sur cette question.

M. Paul GIROD , sénateur de l'Aisne -

J'ai eu l'impression exactement inverse de la vôtre ! Je suis allé à Montpellier où j'ai été très bien reçu par des magistrats qui s'entendent très bien. Je crois que ce n'est pas toujours le cas et je voulais en apporter témoignage en premier lieu. J'ai pu assister à une audience correctionnelle, au cours de laquelle des insultes sexistes, grossières, graves ont été proférées depuis la salle à l'encontre du tribunal ; et j'ai constaté que les forces de l'ordre étaient absentes si bien que la capacité de remise en ordre de la salle était limitée. L'insulteur n'a pas pu être arrêté. Je dois dire que c'est un miracle qu'il n'y ait pas davantage d'incidents, compte tenu de ce qui se passe dans la salle et du peu de présence des forces de l'ordre !. Il importe que le public sente la présence de l'Etat dans les salles d'audience, ce ne serait pas une mauvaise chose ! Je suis revenu avec une autre impression dont je parlerai peut-être cet après-midi : la Chancellerie manque cruellement d'un bureau des méthodes !

M. Alain Gérard , sénateur du Finistère -

Mon micro fonctionne mais au TGI de Vannes où j'ai fait mon stage, il fonctionnait aussi ! Sur la question de la sécurité, j'ai fait la même constatation à Vannes, l'absence de policiers à l'extérieur comme à l'intérieur du tribunal, l'absence même, de concierge... Je profite de l'occasion pour relever que le sas d'entrée de la maison d'arrêt n'est pas assez grand pour que l'on puisse attendre la fermeture de la première porte avant d'ouvrir la seconde à un véhicule...

J'ai noté aussi la proximité un peu dangereuse et incongrue de la salle d'attente du juge aux affaires familiales et de celle de la cour d'assises...

M. Maurice PEYROT -

J'ai cru comprendre que même dans les nouveaux palais se produisent des croisements fâcheux...

M. François WERNER , directeur du cabinet de M. Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice -

La sécurité des palais de justice est un problème particulièrement complexe parce que se superposent toute une série de difficultés. Un tribunal, tout d'abord, c'est un lieu emblématique - il peut donc être tentant de s'y attaquer ; c'est aussi un lieu où tout doit se passer dans la transparence, où la liberté d'aller et venir doit être préservée ; troisième point, c'est évidemment un lieu où sont conduites des personnes dangereuses ; quatrième point, vous l'avez souligné, beaucoup de palais sont anciens, et n'ont pas été conçus en fonction des préoccupations de sécurité d'aujourd'hui. Tout cela explique que les problèmes sont assez nombreux. En outre les dangers évoluent. Le péril le plus classique vient du grand banditisme, il arrive aujourd'hui du terrorisme, qui ne fait qu'accentuer un problème qui existait déjà.

Depuis un certain nombre d'années déjà, la toute première priorité, pas mal prise en compte je crois, a été la sécurité autour du détenu qui arrive au Palais pour y être jugé, et du justiciable. Il y a des progrès à faire bien sûr. Je vois le sourire à ma gauche, mais sincèrement c'est une préoccupation prise en compte depuis un certain temps et qui est extrêmement difficile à améliorer dans un certain nombre de cas. L'exemple qu'a donné M. Gérard de la Maison d'Arrêt de Vannes est très parlant. Et puis M. Paul Girod a souligné un fait qui se développe considérablement : les incivilités commises par des visiteurs qu'on laisse entrer, comme il est naturel, dans les palais. La prise de conscience de ce phénomène est, il est vrai, assez nouvelle. La réaction n'est pas encore en place. Par rapport à ces sujets, les réponses doivent être multiples, la présence des forces de l'ordre n'étant qu'une d'entre elles. Je m'arrête là, je reprendrai la parole plus tard.

M. Maurice PEYROT -

Je crois que M. Barella veut répondre à M. Werner.

M. Dominique BARELLA , président de l'Union Syndicale des Magistrats -

En cette matière, les sénateurs l'ont relevé, ils n'étaient pas dans des tribunaux spécialement chargés de grosses affaires terroristes, premier point. L'ampleur des incidents que nous constatons n'est pas évaluée par le ministère de la justice, qui a toujours des difficultés à évaluer quoique ce soit d'ailleurs. Ces incidents ne remontent pas : interruptions d'audience, jet de chaussures, couteau sous la gorge d'un huissier... Nous publierons bientôt un livre blanc qui recensera l'ensemble des incidents que nous avons relevés. On sent bien monter un manque de respect pour l'institution judiciaire, comme d'ailleurs des autres institutions de l'Etat. Celui-ci a sans doute une grande responsabilité dans ce qui se passe. Le ministère de l'intérieur, par exemple, au travers de sa doctrine, qui prend de plus en plus d'ampleur, des « charges indues », soutient que les gardes statiques ne sont pas de la responsabilité de la police. Comme si l'Etat n'était pas un et un seul ! Pour nous magistrats, la sécurité de nos concitoyens est une chaîne continue ; la police n'aurait pas dû se dégager de la sécurité des palais de justice, qui doivent être le lieu d'un débat contradictoire serein, qui sont aussi l'image de notre démocratie. La tranquillité du débat doit donc être préservée. Nous souhaitons tous que la police soit présente dans les Palais, sans être trop présente, bien sûr, mais suffisamment dans les salles d'audience.

Les deux exemples donnés par les sénateurs sont des exemples vécus à longueur de temps dans les tribunaux, notamment les grands tribunaux de la périphérie parisienne.

L'Etat, nous tous, avons une grande responsabilité quand à minuit, une heure du matin, nous laissons des victimes, des témoins, des avocats, des magistrats et des greffiers seuls, sur le parvis du tribunal de Bobigny, de Créteil ou d'ailleurs, en présence de la personne condamnée et de ses amis.

Par cette absence d'Etat et de police, on permet la création d'incidents. Je crains qu'à l'avenir ce soit de plus en plus difficile. Le Garde des Sceaux a bien voulu prendre en compte ces problèmes en permettant la prise en charge des retours en taxi des intervenants, mais au-delà de ce point particulier, on ne peut pas laisser la sécurité des tribunaux à des sociétés privées, comme cela se fait dans certains tribunaux autour de Paris. A 17 heures, elles cessent leur travail, or il y a des audiences nuit et jour. Il faudrait qu'elles fassent les 3 x 8. On s'est même demandé à Bobigny s'il fallait mettre un terme à la publicité des débats, pourtant exigée par le code de procédure pénale, en fermant les portes du Palais à partir de 17 heures, ou si on les laissait ouvertes, avec le risque d'avoir la salle envahie, des témoins sous pression, des victimes et des magistrats insultés. Ce problème de la sécurité est bien un problème quotidien et non un problème lié au terrorisme ou à un contentieux spécifique.

Il doit être pris en compte, sauf à donner l'image d'un Etat qui n'est plus capable, au sein de la République, d'assurer des zones de débat apaisées. (Applaudissements)

M. Patrice DAVOST , directeur des services judiciaires du ministère de la justice -

Juste une précision après ce que vient de dire M. Barella. C'est vrai qu'il y a des difficultés. J'ai moi-même été Procureur de la République à Bordeaux et j'en ai connu. Ce que je voudrais dire c'est que la mission « Sûreté des palais de justice », mise en place par le garde des Sceaux et confiée à M. Philippe Ingall-Montagnier, Procureur général à Rouen, est à pied d'oeuvre et un recensement des difficultés principales est en cours. Quand l'étude sera achevée, un référentiel « sûreté des Palais » sera élaboré et des moyens dégagés. Une somme d'un million d'euros est pour l'instant dégagée à cet effet. C'est un souci réel que nous avons et les incidents sont évalués et nous remontent et nous les prenons en compte. Cette mission « Sûreté des Palais » est une véritable priorité.

Dans la salle :

M. Etienne APAIRE , conseiller judiciaire du ministre de l'intérieur -

Je ne peux laisser entendre que le ministère de l'intérieur est insensible aux problèmes de sécurité rencontrés par les magistrats. Je crois tout d'abord qu'on ne résout rien en rejetant la faute sur les autres.

Ensuite, le respect se perd, c'est vrai ; mais ce sont les magistrats qui ont la charge de faire respecter les normes ! Je dis cela parce que quelquefois on s'aperçoit qu'il y a un lien direct entre la faiblesse des condamnations en matière d'outrages à l'égard des policiers et la multiplication de ceux-ci. (Mouvements divers) Comment s'étonner que les désordres extérieurs pénètrent les tribunaux ? Il ne faut pas s'étonner qu'il y ait un effet de contagion. Quand on ne respecte pas les autorités à l'extérieur, on ne les respecte pas non plus à l'intérieur.

Dernier point, le débat n'est pas de savoir s'il faut plus de policiers. Tout à l'heure, nous avons entendu M. Peyrot qui trouvait qu'il y en avait trop dans certains tribunaux. Assurer la sécurité dans les tribunaux peut se faire de différentes façons : dispositifs techniques, construction de galeries sécurisées et, pourquoi pas, instauration d'une garde judiciaire, comme dans les pays anglo-saxons, qui assure la sécurité des cours et tribunaux, les missions de transfèrement et la protection des magistrats. Je crois qu'il faut trouver des solutions originales.. Les policiers sont là pour déférer les délinquants à la justice ; sécuriser les lieux clos est un tout autre travail...

M. Maurice PEYROT -

Votre intervention a suscité quelques réactions qui nous entraîneraient dans un débat passionnant, mais que nous n'avons malheureusement pas le temps d'évoquer, je le regrette. Je passe la parole à M. Jacques Beaume, sur cette question de la sécurité.

M. Jacques BEAUME , procureur de la République du TGI de Marseille -

Ce problème de la sécurité est un vrai débat aujourd'hui. Je ne dirai pas que les magistrats travaillent sous influence mais ils exercent désormais leur métier avec la crainte constante de l'incident, sans avoir les moyens d'y répondre.

Je voudrais énoncer quatre idées : Sécurité périphérique des palais : c'est clairement de la compétence de la police et je ne saurais imaginer qu'elle puisse être déléguée à des organismes privés. C'est un service régalien.

On peut agir d'autre part sur les circuits des détenus, élément plutôt bien pris en compte dans les palais neufs.

Troisième point : aucune réflexion n'est menée sur la gestion des flux qui se présentent dans les palais. Je souscris tout à fait à ce qu'a dit M. le Sénateur, la vraie insécurité, en l'espèce, c'est le mélange de tous types de gens susceptibles soit de travailler au tribunal soit d'avoir affaire à la justice, qu'il s'agisse de parties civiles, de délinquants, d'excités, de majeurs protégés qui viennent régulièrement au service civil. Les Palais n'ont jamais été conçus, peut-être un peu plus les Palais neufs, un peu seulement, pour éviter que ces gens se rencontrent.

Dernier point : les audiences sont de plus en plus difficiles à tenir, il faut déployer des trésors de doigté et de diplomatie pour les mener à bien. J'ai le souvenir d'un incident à Bordeaux qui a contraint les magistrats à fuir parce que la BAC, appelée, n'est pas arrivée assez promptement. Dans d'autres cas, les appariteurs devaient eux-mêmes faire la police... Donc il faut dire que, réellement, la tenue des audiences est bien une difficulté actuelle d'exercice de leur métier pour les magistrats. (Applaudissements)

Dans la salle :

M. Philippe INGALL-MONTAGNIER , procureur général de la Cour d'Appel de Rouen -

Je suis chargé de la mission de sécurité des bâtiments de la justice. Je voudrais simplement préciser qu'effectivement nous achevons actuellement le dépouillement des questionnaires envoyés à toutes les juridictions. Même si nous n'avons pas encore tous les résultats, les premiers listings confirment les impressions et les témoignages de ce matin. La sécurité a pris une acuité très nouvelle. Cette question de la sécurité n'avait donc jamais auparavant été traitée dans son ensemble. L'intérêt de cette enquête nationale est donc d'avoir une première approche. Il faudra ensuite sérier les types de problèmes puis trouver des solutions au cas par cas, ne serait-ce qu'à cause de l'hétérogénéité du parc judiciaire qui comprend plus de 1 500 établissements très hétérogènes. Nous déterminerons ensuite les mesures d'urgence à prendre par catégorie de bâtiments. Mais comme le dit Jacques Beaume, il n'y a pas que les questions de bâtiments, c'est-à-dire de périmètres de sécurité autour des bâtiments et de contrôle des accès, il y a aussi le problème des flux de personnes dans ces bâtiments.

Les réponses théoriques sont simples : gardiennage, protection, barreaux, ou tout autre dispositif permettant d'éviter des irruptions inopinées, mais quand il s'agit de gérer des flux de personnes et d'activités, c'est plus compliqué. Voilà pourquoi un comité de pilotage, composé notamment de magistrats et de spécialistes de la sécurité d'autres administrations, sera installé cet automne avec pour mission d'élaborer un référentiel de sûreté des bâtiments, pour définir les mesures à prendre pour la sécurité de ces bâtiments mais aussi pour définir les comportements et l'organisation qu'il faut avoir en leur sein. En dernière phase, des audits régionaux faits par les chefs de Cours permettront de dégager les priorités, car le besoin est certainement très important, et cela coûtera une certaine somme, qu'il conviendra d'étaler sur plusieurs exercices budgétaires.

Dans la salle :

M. Michel VALET , procureur de la République du TGI de Clermont-Ferrand -

Je suis très préoccupé par ces problèmes de sécurité dans les Palais. Chacun trouve normal et légitime que les policiers gardent l'entrée des préfectures ; pourquoi ne le serait-ce pas pour l'entrée des palais de justice ? C'est une mission régalienne. Prenons garde à cette dérive qui consiste à transférer les missions de l'Etat à des organismes privés ! (Applaudissements)

M. Maurice PEYROT -

Merci beaucoup. Les réactions montrent que ce sujet a une grande importance et qu'il faudra peut-être le réévoquer dans d'autres réunions.

Nous en venons aux moyens humains et à la gestion des effectifs. Le chroniqueur judiciaire que je suis est bien placé pour voir, chaque jour et j'allais dire chaque nuit, le dévouement et la bonne volonté des magistrats et des personnels. Mais on peut se demander ce qu'est devenue, faute de temps et d'effectifs, la sérénité de la mission judiciaire...

Le problème des moyens est clairement visible par le chroniqueur judiciaire. Mais, autre place intéressante, celle de M. le Sénateur Charles Gautier.

M. Charles GAUTIER , sénateur de Loire-Atlantique -

Je reviens un instant sur la question de la sécurité. J'ai fait un stage au tribunal de Rennes, un bâtiment d'une grande beauté qui a plutôt bien vieilli. Mais la gestion des flux y est très difficile, surtout, comme cela arrive souvent, m'a-t-on dit, en cas d'évacuation suite à une alerte. Le mélange des différents publics qui a été évoqué tout à l'heure est particulièrement frappant et problématique dans ces circonstances.

Pour en venir aux moyens, le groupe de travail sénatorial sur les métiers de la justice, auquel j'ai participé en son temps, avait déjà mis fortement l'accent sur l'insuffisance des moyens. Au cours de nos déplacements dans les tribunaux, à l'ENM et à l'ENG, cette question a été beaucoup soulevée. Pendant le stage, il est vrai que comme tout est programmé, je l'ai moins vu sans doute que si je venais de manière impromptue.

M. Alain GÉRARD -

J'ai pu constater qu'à Vannes, le manque de personnel était une question récurrente et très préoccupante. Les remplacements en cas de maladie ou autre, et même en cas de mutations, sont très problématiques. La féminisation de la magistrature entraîne aussi un certain nombre de conséquences qu'il faut appréhender dans toutes leurs dimensions., le souci de la vie familiale entre autres. Et la mise en place des 35 heures n'a rien arrangé. Il est clair qu'il y a actuellement deux catégories de personnels, ceux qui font les 35 heures et ceux qui font plus. Le message est très clair, il faut absolument trouver des personnels pour que les 35 heures puissent être mises en place et que chacun puisse en profiter.

M. Maurice PEYROT -

Avant d'interroger M. Haenel, je voudrais passer la parole à M. Cramet, car nous voyons, nous chroniqueurs judiciaires, de la petite place où nous nous trouvons, les greffiers et c'est là que nous voyons plus qu'une surcharge, parfois une impossibilité de travail.

M. Michel CRAMET , greffier en chef, coordonnateur du SAR de Lyon -

Effectivement, le bon fonctionnement de la justice repose pour beaucoup sur le dévouement et la bonne volonté des personnels. On peut d'ailleurs difficilement parler de gestion des ressources humaines au ministère de la justice ! D'une part, les modes de gestion sont différents pour les magistrats et les fonctionnaires, et d'autre part, pour ces derniers, la déconcentration est encore extrêmement limitée si bien que nous évoluons dans un univers extrêmement contraint, avec les moyens que le ministère nous donne.

Quant à la RTT, j'ai entendu il y a ceux qui la font et ceux qui font plus. C'est une vraie difficulté pour les fonctionnaires, notamment pour les heures supplémentaires. Les heures supplémentaires dues aux audiences tardives ne peuvent légalement être compensées que par la récupération, ce qui signifie que l'on génère encore des absences dans la journée. Une des pistes aurait pu consister à les payer. Mais on ne peut pas les payer !

M. Maurice PEYROT -

Alors, Monsieur Haenel, les moyens budgétaires ont fortement augmenté depuis 1995. La situation s'est-elle significativement améliorée pour autant ? La loi d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) suffit-elle ? Ne peut-on envisager d'autres modes de gestion ?

M. Hubert HAENEL , sénateur du Haut-Rhin, rapporteur spécial du budget de la justice à la commission des finances -

Je vais mettre ma casquette de rapporteur spécial des crédits de la justice que je suis à la commission des finances, et qui me conduit à faire un rapport annuel sur le budget du ministère de la justice ainsi que des contrôles sur pièces et sur place. Sans compter les nombreux contacts que j'ai avec tous mes anciens collègues, magistrats de l'ordre judiciaire.

Sur le terrain, je dois dire que chaque fois que je rencontre les magistrats et les personnels des juridictions, il y a une très grande incompréhension : vous avez parlé des 35 heures. Quand je suis allé notamment faire un contrôle sur pièces et sur place dans les juridictions du Haut-Rhin, je me suis rendu compte qu'on avait vraiment sous-estimé, pour ne pas dire occulter, l'impact qu'auraient les 35 heures sur le fonctionnement des juridictions. Quand on ajoute à cela les réformes de fond ! Et quand on voit les études d'impact, pardonnez-moi l'expression c'est de la foutaise !

J'ai donc proposé à plusieurs reprises aux gardes des sceaux successifs que les études d'impact soient faites par des organes extérieurs au ministère de la justice. Comment voulez-vous que face à tel ou tel garde des sceaux, je ne nommerai personne, homme ou femme, plutôt autoritaire ( sourires) , et qui tient à sa réforme, les services du ministère chargés d'évaluer l'impact de cette réforme sur les juridictions ne soient pas conduits nécessairement à minimiser cet impact ! (Applaudissements)

Les études d'impact, je ne les regarde même plus !

J'ai également souvent souhaité que le rapporteur spécial des crédits de la justice puisse donner son point de vue lorsqu'une réforme de fond vient devant le Parlement... Donc, plus de réforme s'il n'y a pas d'études d'impact faites par un organe indépendant, à destination du Garde des Sceaux mais aussi du législateur, car le Parlement n'est pas outillé pour y procéder.

Enfin, il faut que toute loi fasse systématiquement l'objet d'une évaluation, par exemple tous les cinq ans. Si on ne met pas en place ces petites réformes de bon sens, vous n'arriverez jamais à rien. Vous serez toujours à la recherche de votre personnel !

S'agissant de la gestion des personnels, il faut absolument déconcentrer encore, donner plus de pouvoirs aux chefs de cours, de juridiction, et aux SAR. Il n'est pas normal que les chefs de Cour n'aient pas leur mot à dire lorsque, par exemple, un greffier demande un temps partiel. De toute façon, même s'ils disaient non, le temps partiel serait accordé par la chancellerie. Et s'il faut réformer quelque chose, c'est d'abord la Chancellerie. (Applaudissements) Les magistrats me le disent, je vous assure, leur gros problème c'est qu'ils ont le sentiment de n'avoir personne en face d'eux, le sentiment qu'on n'essaie pas de les aider, de les accompagner.

Quant aux annonces de création d'emplois, personne n'y comprend rien. Si vous prenez les journaux avec toutes les annonces de créations d'emploi, il devrait y avoir au moins 10 000 magistrats, et les greffiers n'en parlons pas. Çà c'est un désastre pour la justice...

Dernier point, lors de l'examen de la LOPJ, j'ai plaidé devant le Garde des sceaux pour l'expérimentation de nouvelles procédures, de nouveaux modes de gestion, de nouvelles organisations sur le terrain et notamment la carte judiciaire. J'y suis très attaché. Le Garde des Sceaux m'a d'abord dit oui, puis, comme d'habitude, les Cabinets aidant, on m'a expliqué que c'était anticonstitutionnel. Il semble aujourd'hui que la Constitution, récemment révisée, le permette : j'attends qu'on y procède ! Parce que vous ne réformerez jamais rien dans le domaine de la justice si vous ne démontrez pas que votre réforme est positive et en quoi elle l'est ! J'arrête là mais j'aurais encore beaucoup de choses à dire. (Applaudissements)

M. Patrice DAVOST -

J'entends les critiques et les difficultés dont vous faites part M. le Sénateur, et que j'ai connues aussi sur le terrain.

Mais il faut tout de même dire, en ce qui concerne les fonctionnaires par exemple, qu'en 14 ans, il y a eu 3 413 emplois créés : 1 000 emplois d'agents de justice et 1 200 d'assistants de justice. Entre 1990 et 1997, 1 000 emplois créés, entre 1997 et 2001, 1 000 emplois également et 1 300 pour les seules années 2002 et 2003. Il a des difficultés avec la RTT, c'est vrai, mais la Cour des comptes avait relevé, en 1996, que la moitié des juridictions était déjà à 35 heures ce qu'a confirmé un rapport de la sous-direction des greffes. Il y a des difficultés bien sûr dans certaines juridictions, mais les créations de postes prévues par la LOPJ, 950 emplois de magistrats et 3.500 de fonctionnaires sur cinq ans, permettront de faire face aux difficultés actuelles comme aux conséquences des réformes à venir.

Les études d'impact sont faites par la Direction des Services judiciaires mais aussi les autres directions, Direction des Affaires criminelles et des Grâces notamment sur les pôles interrégionaux en matière de lutte contre la criminalité organisée. C'est vrai, elles ne sont pas faites par des organismes indépendants. C'est peut-être toute une réflexion qu'il faut mener.

Ce que je crois, c'est qu'en termes de moyens, les emplois de la LOPJ permettent vraiment de faire face aux difficultés. Sans compter les 3.300 juges de proximité. (Rires et interruptions ironiques) Il y a des problèmes dans certaines juridictions, nous les connaissons, et à travers une application informatique, « outil gref », nous comblons les vacances d'emploi qui existent. Mais réellement toutes ces créations de poste constituent un effort sans précédent, et apportent une nette amélioration dans les juridictions.

M. Jacques BEAUME -

Quelques petites observations en tant que chef de juridiction concrètement sur le terrain : Par rapport à d'autres de même taille, la juridiction de Marseille n'est pas défavorisée sur le plan des effectifs, j'en ai longuement parlé avec ma Présidente avant de venir, même si nous connaissons des difficultés.Donc, ce que je dis n'est pas sous-tendu par une animosité quelconque sur la situation de notre juridiction : nous avions 256 fonctionnaires en 1989, nous en avons aujourd'hui 260. Entre temps, nous avons eu la réforme du 15 juin 2000 et l'avalanche des réformes successives que nous avons connues, et nous sommes 4 fonctionnaires de plus. Encore ce chiffre est-il théorique : si l'on tient compte du nombre de personnes indisponibles, le plus souvent pour des motifs parfaitement légitimes, on tombe à 209. Ce qui n'est pas dramatique par rapport à d'autres juridictions.

Je peux en donner le détail. Nous avons : trois vacances de postes, ce n'est pas scandaleux sur 260, d'autres juridictions sont beaucoup plus malheureuses que nous, dix équivalents temps plein non remplacés, trois mises à disposition, cinq décharges liées à des activités autres, un encours de 19 équivalents temps plein de congés de maladie et un encours de deux ou trois en congé de formation et un encours de neuf ou dix équivalents temps plein liés à la RTT.

Je ne dis pas du tout que ce soit scandaleux qu'ils soient en formation ou en RTT, je dis simplement qu'il est indispensable que ces charges « naturelles » soient prises en compte, au moment où on nomme physiquement les gens dans les juridictions.

Deuxième point : je regrette en outre, et je ne dis pas cela contre la DSJ dont j'ai été membre trop longtemps pour pouvoir dire quelque chose, que les charges réelles de travail, donc les besoins, ne soient pas évaluées et analysées ; le bon effectif de fonctionnaires, pour Marseille, est-ce 260 ? Je n'en sais rien, je le dis très clairement. Est-ce 247 ou 322, je ne le sais pas. On part d'un effectif théorique, établi certes avec de nombreuses statistiques d'activités, mais qui en réalité ne sont pas des analyses réelles de charges de travail. C'est d'ailleurs la même chose pour les magistrats, dont on n'a aucun instrument de mesure de la manière dont ils travaillent et de la quantité de travail qu'ils ont. J'en reparlerai plus loin.

Troisième point : Nous souffrons aussi, non pas d'un manque d'engagement de nos fonctionnaires, je le dis clairement, y compris dans le Midi où on passe pour des fainéants, ce n'est pas le cas du tout, nous souffrons d'un manque terrible d'encadrement. Nous n'avons que onze greffiers en chef pour 260 fonctionnaires, ce qui est profondément insuffisant. Marseille n'est d'ailleurs pas la plus mal lotie. Nous avons un besoin réel d'encadrement, de gestion concrète des sections et des chambres de nos juridictions, qui nous manque cruellement.

La rigidité des statuts, enfin, est insupportable ; ce n'est plus la fonction de la personne mais le contenu de son statut qui définit ce qu'elle a à faire. Un exemple : le procureur de permanence le week-end n'a pas de greffier pour l'assister, parce que, statutairement, les greffiers sont les assistants du juge et non du procureur. C'est donc le magistrat qui est obligé de tout faire seul. Dans quelques grandes villes, comme Marseille, Bordeaux, il y a eu des accords et quelques greffiers acceptent de nous aider un peu ; mais c'est totalement incohérent. La vraie difficulté est donc beaucoup plus une difficulté de notre greffe que de nos magistrats.

Mme Catherine TROCHAIN , P remière Présidente de la cour d'appel de Caen, présidente de la Commission de l'informatique, des réseaux et de la communication électronique du ministère de la justice (COMIRCE) -

A la cour d'appel de Caen, nous avons constitué le CTPR en qualité de comité de suivi des « 35 heures » qui a montré qu'il nous faudrait au moins une trentaine d'emplois supplémentaires de fonctionnaires en raison surtout du cumul des heures supplémentaires. Quant aux études d'impact préalables aux réformes, je suis moi aussi plutôt favorable au recours à des organismes extérieurs pour en apprécier la réelle portée dans nos juridictions.

M. Dominique BARELLA -

Vous êtes, parlementaires, les élus du peuple : ce que j'ai envie de vous dire au nom de mes collègues, c'est dites-nous ce que vous souhaitez de la justice et du juge ! Que voulez-vous que nous fassions ? Pour cela engagez-vous dans une étude sur le recentrage des missions du juge. Celui-ci ne peut pas être partout, à chaque instant. Sans ce recentrage, le juge français, et c'est une particularité européenne, devient le juge à tout faire. Et à tout faire, le juge ne peut plus rien faire !

Deuxième chose : de grâce, simplifiez les procédures, ne vous laissez pas faire par les ministres qui, parfois, n'annoncent des réformes que pour passer au « 20 heures » car celui qui n'annonce pas de réformes, ne passe nulle part ! Si vous pouviez vous sénateurs, vous rapporteurs, nous aider, en ayant chaque fois la préoccupation de l'impact sur les juridictions, ce serait une aide formidable, non pas pour nous magistrats, mais pour les justiciables. Ceux-ci sont perdus.

On nous annonce trois réformes : celle d'un nouveau fichier, celle de la collégialité optionnelle en JLD, celle du jugement des personnes irresponsables. Sur ces trois textes, j'aimerais que les rapporteurs au Sénat fassent ce qu'ils ont toujours fait, mais, avec encore plus de volonté et d'acuité, en faisant en sorte que ce soit gérable pour les juridictions. Une pause législative est vraiment nécessaire, sinon les tribunaux ne pourront jamais suivre, ne pourront pas être efficaces bien que les budgets augmentent. C'est une question de politique publique.

L'argent du contribuable doit être utilisé de la manière la plus efficace possible, mais à condition que les responsables publics, que l'Etat sache ce qu'il veut. C'est ce que souhaitent les magistrats.

Que le Garde des Sceaux nous dise dans une circulaire de politique pénale générale annuelle quelles sont les priorités. J'ai noté que nous avions 24 priorités, annoncées par cinq ministres différents. Çà fait beaucoup de priorités de politique pénale !

Sans ces éléments de choix qui appartiennent aux élus, nous magistrats qui devons appliquer la loi, nous courrons toujours après des budgets que vous tenterez de nous donner, sans y parvenir !

M. Maurice PEYROT -

Avant de vous redonner la parole, Monsieur Haenel, -puisque vous êtes le « budget », c'est-à-dire d'une certaine manière le « contrôle du politique », il y a des choses que vous avez évoquées tout à l'heure qui vont dans le sens de ce qui vient d'être dit-, je vais donner la parole à quelques personnes dans la salle et vous répondrez plus globalement.

Dans la salle :

Mme Elisabeth LINDEN , première présidente de la Cour d'Appel d'Angers -

J'ai une très brève question qui rejoint un peu la préoccupation de M. Barella. C'est celle des collaborateurs des magistrats et des chefs de juridiction. Nous n'avons sur ce point que très peu de moyens. On a parlé tout à l'heure des assistants de justice. Ils nous rendent certes un service mais il pourrait être démultiplié pour nous permettre de nous recentrer sur l'essentiel de nos tâches. Si nous avions des collaborateurs qui nous apportent une valeur ajoutée intellectuelle nous pourrions le faire. Les fonctionnaires des greffes font ce qu'ils peuvent à cet égard, mais ils ont leurs propres contingences et nous ne pouvons pas compter sur eux pour tout ce qui pourrait être fait par des collaborateurs.

Mme Gisèle GAUTIER , sénateur de Loire-Atlantique -

Je suis en plein accord avec beaucoup de choses qui ont été dites. J'ai moi-même constaté que les 35 heures n'avaient pas conduit à des créations de postes supplémentaires, contrairement à ce qui se fait dans les collectivités territoriales. On ne remplace pas non plus les longues maladies. J'ai vu beaucoup de magistrats et de fonctionnaires qui ne raisonnaient pas en terme de 35 heures mais plutôt de 70 heures Je suis très admirative du travail que les uns et les autres accomplissent.

On m'a aussi beaucoup parlé de la multiplication des textes de loi et de leur complexité croissante, on m'a dit : assez de réformes ! Il paraît qu'en matière pénale, on en a fait trois fois plus ces quinze dernières années qu'en un siècle ! Les parlementaires doivent réfléchir à cette situation !

Dans la salle :

Mme Anne-Rose FLORENCHIE , vice-présidente du TGI de Montpellier -

Je voudrais réagir sur la difficulté des procédures en donnant un exemple : le traitement du dossier d'un voleur à l'arraché arrêté un vendredi soir pour être jugé un lundi matin nécessite la présence de trois avocats de l'aide juridictionnelle, de quatre magistrats, de trois fonctionnaires -plus la rédaction d'une trentaine de pages pour beaucoup inutiles...

En ce qui concerne l'application des 35 heures, les fonctionnaires du tribunal de Montpellier travaillaient sur la base de 37,5 heures. Au greffe correctionnel, il y avait cinq personnes, il reste cinq personnes. Le système de récupération fonctionnait déjà mais avec une souplesse et une liberté qui permettaient aux fonctionnaires d'avoir un agrément de vie en compensation des horaires tardifs liés aux audiences. Les 35 heures ont apporté aujourd'hui de la rigidité, les fonctionnaires sont tous mécontents car ils n'ont plus d'agrément de vie, et la mémoire du service se perd parce qu'ils ne se rencontrent plus. Ils ne sont plus jamais tous en même temps dans le service : cela génère du retard, de la paperasse supplémentaire et un risque d'erreur incommensurable. Je ne pense pas que la justice y ait eu un quelconque profit. (Applaudissements)

M. Hubert HAENEL -

Tout d'abord, je partage le sentiment de M. Barella, on ne peut pas continuer sans vision claire de ce que doit être la justice, de ce qu'elle est seule à pouvoir faire et de ce qui peut être confié à d'autres régulateurs de la société. Sinon on fera réforme sur réforme, en fonction de l'actualité, du 20 heures dont on parlait tout à l'heure.

Ce que je vais vous dire maintenant, je le dis d'une certaine manière, presque d'une « voix tremblante ». Je me souviens du débat au Sénat sur la loi du 15 juin 2000. Ne nous étonnons pas si les procédures sont si complexes : les débats parlementaires se font entre avocats ! (Rires et applaudissements) On me connaît pour mon franc-parler. J'aurai sûrement des réactions de protestation ! Ce sont eux qui mènent la danse, à l'Assemblée nationale comme au Sénat -et ils ne travaillent pas dans le même esprit que nous... Les bâtonniers sont d'ailleurs plus réactifs que les magistrats lorsque des réformes sont annoncées. Ils font connaître leurs points de vue à leurs élus. Les magistrats, eux, protestent sur la place publique, à la radio ou sur les TV. Je voudrais qu'on les entende dans nos provinces, que l'on ait des réunions de travail. Je l'ai toujours proposé. On m'a répondu un jour que c'était contraire à l'indépendance de la magistrature ! Aujourd'hui, nous faisons la démonstration, avec les stages que les sénateurs ont fait dans vos juridictions et notre rencontre de ce jour, que nous pouvons débattre ensemble en toute objectivité et sérénité des questions de justice.

Et puis je me souviens du débat sur la garde à vue, on voulait un avocat présent partout et tout le temps... J'ai posé la question : les magistrats du parquet sont-ils moins à même de garantir l'état de droit que les avocats ? Faites passer le message ! (Applaudissements)

M. Maurice PEYROT -

Y a-t-il un avocat dans la salle ? (Sourires) C'est dommage, il aurait été intéressant qu'un avocat vous réponde.

M. Hubert HAENEL -

Je n'attaque pas la profession, mais l'esprit dans lequel elle agit parfois...

M. Maurice PEYROT -

Ceci dit, on pourrait tout de même discuter votre dernière affirmation sur l'indépendance et les garanties offertes par magistrats et avocats. Ils ne font peut-être pas tout à fait le même métier.

M. Hubert HAENEL -

Si les parquets pouvaient contrôler convenablement la garde à vue, nous n'aurions pas besoin de mettre de plus en plus d'avocats !

Dans la salle :

M. Alain LE DRESSAY , président du TGI de Coutances -

Je suis un ancien avocat mais je ne parle pas en qualité d'avocat. Je parle en qualité de magistrat. Dans nos petites juridictions, les avocats en ont ras le bol. C'est le lobby parisien des avocats qui veut l'intervention de l'avocat à tous les stades de la procédure ! Ce ne sont pas les avocats provinciaux, je tenais à le dire. (Applaudissements)

M. Maurice PEYROT -

Intervention brève mais solide. Merci. Nous abordons maintenant la gestion des moyens matériels et de l'informatique.

M. Paul BLANC , sénateur des Pyrénées-Orientales -

J'ai pu constater à Nîmes, où j'ai eu le bonheur de faire mon stage, que le renforcement des moyens informatiques permettrait de mieux utiliser les personnels. La grande disponibilité des magistrats et des fonctionnaires, en particulier des greffiers, m'a frappé, mais aussi le manque d'effectifs. Il n'est pas normal qu'un magistrat soit obligé de taper lui-même une déposition, etc... parce qu'il n'a pas le personnel pour le faire. En matière informatique, l'absence de connexion entre les fichiers d'un département à l'autre m'a semblé aberrante car la délinquance circule. Je pense plus particulièrement au fichier des délinquants des tribunaux dont la consultation est plus rapide que celle du casier judiciaire

Une réflexion générale : on reproche au législateur de faire trop de lois, mais on nous le demande sur le terrain ! J'ajoute que les décrets d'application tardent en général trop, quand ils ne dénaturent pas la loi !

M. Jean-François PICHERAL , sénateur des Bouches-du-Rhône -

J'ai été remarquablement accueilli à la Cour d'Appel de Versailles. J'en remercie à nouveau vivement les chefs de Cour et tous leurs collaborateurs. Sur la question informatique, je n'ai pas eu de remontées négatives. En revanche, on a notamment soulevé devant moi la question embarrassante des transferts de détenus, qui mobilisent de plus en plus de moyens matériels et humains ; je suis persuadé que des systèmes de vidéoconférence auraient l'aval des magistrats et des avocats.

M. Jean-François KRIEGK , président du TGI de Nîmes -

J'ai eu le plaisir d'accueillir M. le Sénateur Paul Blanc et je le salue au passage : sur le plan informatique, de grands progrès ont été accomplis ces quinze-vingt dernières années, mais nos outils statistiques de chefs de juridiction sont encore « bricolés ». Nos tableaux de bord et autres ratios ne nous permettent pas toujours d'avoir des analyses parfaitement fines. Autre point, la gestion des bureaux d'ordre des parquets : la saisie des informations pourrait être grandement améliorée si on pouvait récupérer, de plano, les informations recueillies par les services de police et de gendarmerie. On gagnerait un temps infini et on utiliserait mieux les fonctionnaires que nous avons.

M. Maurice PEYROT -

Je vais maintenant passer la parole à une experte, Mme Trochain, Première Présidente de la Cour d'Appel de Caen mais aussi Présidente de la COMIRCE.

Mme Catherine TROCHAIN -

Merci. D'emblée, je voudrais dire que les observations qui ont été faites sont exactes, mais il faut regarder un peu en arrière. Il y a à peine dix ans, l'informatique se résumait à de la bureautique. Le schéma directeur 1998-2002 a dégagé des crédits très significatifs pour le ministère, de 281 millions d'euros, et défini des priorités. On a dépensé en réalité 331,8 millions d'euros. Ceci pour vous dire qu'il y a eu de l'argent dépensé et que des efforts importants ont déjà été accomplis, en 2002 particulièrement, puisque rien que sur cette dernière année, 50 millions d'euros étaient prévus et 75 ont en fait été dépensés.

Alors, il n'est pas dans mon propos cependant de dire qu'il n'y a plus rien à faire. Mais vous le savez tous, çà a été évoqué tout à l'heure, il y a des priorités à gérer. Chaque fois que vous parlementaires, vous votez une loi, elle a un impact sur les juridictions mais aussi sur nos outils et logiciels informatiques qu'il faut adapter en conséquence.

Premier exemple : la création du PACS en 1999 a été votée, de mémoire fin novembre et est entrée en application dès le 15 décembre. Il n'y avait aucun logiciel et aucune connexion de prévue. C'était la priorité des priorités. C'est un choix que je ne juge pas bien entendu. Et bien qu'est-ce qui a été « sacrifié » ? C'est le logiciel « tutelles majeurs », alors qu'il figurait dans les priorités du schéma directeur 1998-2002. Cela explique que le logiciel ne soit pas encore dans les juridictions et que ce projet ait pris du retard.

Deuxième exemple et il est très important actuellement : c'est la nouvelle chaîne pénale. Les logiciels en matière pénale, c'est le bât qui blesse dans toutes les juridictions car çà a été les premiers logiciels installés il y a dix ans environ, et ils doivent maintenant être changés.

Cette nouvelle chaîne devrait apporter un remède à tous les maux dénoncés précédemment. Mais à condition qu'aucune autre « urgence », aussi justifiée soit-elle, ne vienne en contrarier la mise en place.

C'est vrai que la LOPJ de septembre 2002 a un impact important dans le domaine informatique à condition que les crédits ne soient pas gelés et que l'on nous mette bien tout ce qui a été prévu, ce qui se monte à 550 millions d'euros. Et la loi de programmation intègre environ plus de 100 millions d'euros pour l'informatique judiciaire, ce qui devrait permettre de couvrir toutes les missions de la justice, de l'enregistrement jusqu'à la fin, en matière pénale comme en matière civile. Dernier chiffre : les crédits alloués aux infrastructures, c'est-à-dire les réseaux, les câblages et les matériels atteignent 245 millions d'euros pour l'ensemble de notre ministère qui compte plus de 60 000 agents. C'est un poste de dépenses très important. Mais tout le monde comprend bien que l'action du ministère doit aussi s'inscrire dans un cadre budgétaire européen.

Enfin, je l'ai dit, il y a deux grands projets qui sont en cours et qui ont un impact important sur le budget de l'informatique : CASSIOPEE, c'est-à-dire la chaîne pénale dont j'ai parlé, et GEREHMI, pour la gestion des ressources humaines.

Il y a aussi un projet qui est piloté par le ministère des finances, le projet ACOR 1 et 2 qui va nous permettre, dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances, de mieux gérer et de mieux indiquer comment nous avons dépensé l'argent.

Mme Michèle ANDRÉ , sénatrice du Puy-de-Dôme -

Un témoignage simplement. J'ai été remarquablement bien accueillie au TGI de Nanterre. Comme je suis provinciale, je voulais voir les vraies difficultés des tribunaux de la couronne parisienne qu'on nous présente toujours comme plus complexes et plus difficiles, ce qui est réel. J'ai trouvé l'outil informatique très performant. Les personnes dans les bureaux le disent : çà fonctionne bien. Ce n'est pas un compliment majeur, mais çà leur est utile. Mais je veux évoquer les pertes de temps considérables dues à l'absence d'escorte policière pour conduire les justiciables. Les juges sont là et attendent. Dans une journée de comparutions immédiates, on a perdu au moins 1 heure 30. Les gens de la police m'ont dit que les 35 heures avaient fait disparaître le tiers des effectifs d'escorte en quelques années... Si on ajoute qu'à Nanterre, le palais est mal pratique et très isolé, on comprend que les magistrats aient des difficultés à obtenir qu'un taxi vienne les chercher de nuit... Cette remarque vaut pour d'autres palais comme, je crois, celui de Bobigny...

M. Maurice PEYROT -

Votre témoignage était très intéressant notamment sur le dernier point car nous aussi, journalistes, nous avons très souvent pu le vérifier. Je crois qu'il y a eu une erreur historique pour ces deux tribunaux.

Dans la salle :

M. Christophe KAPELLA , procureur de la République du TGI de Troyes -

Je voudrais simplement apporter un témoignage. Les parquets enregistrent les procès-verbaux de tous les crimes et délits, des dizaines de milliers de procès-verbaux sont ainsi enregistrés. Or ils le sont déjà remarquablement par les services de police et de gendarmerie ! N'y aurait-il pas moyen d'envisager un suivi ? Il y aurait là un gain considérable.

Mme Catherine TROCHAIN -

Je peux répondre. Effectivement, ce projet-là est inscrit dans le projet Cassiopée : le projet de chaîne pénale. La DSJ, la DACG et la COMIRCE travaillent dessus. C'est vrai qu'il y a un problème d'interopérabilité avec les logiciels du ministère de l'intérieur. Je suis contente d'avoir vu que le Premier ministre avait souhaité, dans sa dernière circulaire, que les administrations harmonisent leurs données techniques. Mais vous avez raison, c'est l'avenir. Des expériences sont d'ailleurs conduites par exemple à Limoges et Marseille : les PV sont scannés puis transmis directement aux substituts. Ce sont d'autres méthodes de travail et il faudra y venir.

Je voudrais répondre aussi sur la vidéoconférence : c'est vrai que cela fait débat actuellement. Mais la possibilité a été récemment ouverte dans les textes d'entendre plusieurs personnes : les experts, les victimes, de cette manière. Ce sont d'ailleurs les textes européens qui nous y conduisent. La priorité a, pour le moment, été donnée aux victimes : des expériences vont être conduites dans certaines juridictions pour éviter de les faire se déplacer. Elles seront dans des lieux sécurisés où on pourra s'assurer de leur identité. C'est là l'expérimentation que vous souhaitez Monsieur le Sénateur.

Dans la salle :

Mme Lucie BLANCHET-LE HOUX , présidente du TGI de Cahors -

Dans un domaine rustique, puisque je suis Présidente du tribunal de Cahors, je voudrais dire que nous rêvons un peu lorsque j'entends Mme Trochain parler de ses projets. L'informatique, en matière pénale, est quasi inexistante dans les petits tribunaux, d'abord parce qu'il n'y a pas de matériel -je n'ai pas moi-même d'ordinateur... Mais il faudrait aussi parler du manque de formation des magistrats et des fonctionnaires pour utiliser les logiciels. C'est un gros problème, par exemple pour les permanences de week-end, où il peut y avoir des greffiers qui n'ont jamais touché un ordinateur de leur vie ! Pour préparer une mise en examen et faire un débat de JLD, c'est parfois un peu hasardeux.

M. Philippe LEMAIRE , procureur de la République du TGI de Lille -

J'ai eu des responsabilités à la chancellerie sur la question informatique. J'ai envie de dire quel chemin parcouru en cette matière, quand j'entends nos débats aujourd'hui. C'est certainement dans ce domaine que la Chancellerie s'est le plus réformée dans son organisation et qu'il y a eu le plus de déconcentration. Je rappelle également que s'il faut des techniciens, la responsabilité de la décision doit rester entre les mains des magistrats et des fonctionnaires, surtout à la chancellerie.

M. Maurice PEYROT -

Je crois entendre les paroles de M. Pierre Drai.

M. Jacques HOSSAERT , procureur adjoint au TGI de Nanterre -

J'ai fait partie des magistrats qui ont accueilli avec plaisir Mme André. Je voudrais apporter un petit bémol à ce qu'elle dit sur le fonctionnement de l'informatique à Nanterre. C'est vrai qu'il est bon mais, au-delà du fonctionnement en vase clos du seul TGI de Nanterre, de grands progrès restent à faire pour éviter que les procédures soient écrites et réécrites, à l'instruction, à la cour d'appel, aux tribunaux de police - tout cela parce que les logiciels ne sont pas compatibles même au sein de la juridiction (c'est le cas de l'instruction). Le projet CASSIOPEE permettra-t-il de s'affranchir des frontières qui existent d'une juridiction à une autre pour le traitement d'un même dossier ?

M. Maurice PEYROT -

Madame Trochain, vous voulez répondre ?

Mme Catherine TROCHAIN -

Oui, je vais répondre, en apportant toutefois une précision. L'informatique judiciaire ne repose pas uniquement sur mes épaules. Je suis chargée de la coordination. Ce sont les directions qui ont pour mission de « mettre en musique ».

Sur votre question, oui, ce projet devrait permettre la communication aux juridictions des procédures enregistrées par la police et la gendarmerie dans la mesure où ce module sera réalisé. Les premiers sites expérimentaux du projet Cassiopée seront en place en 2005.

Dans les tribunaux de police, le logiciel MINOS a déjà permis d'énormes progrès, à quoi il faut ajouter l'interface avec le ministère des finances pour le paiement des amendes.

Mais on ne peut tout régler en même temps, il y a des priorités à respecter dans le cadre de notre budget comme le disait tout à l'heure M. Barella.

M. Dominique BARELLA -

Selon l'information que le Cabinet du Garde des Sceaux nous a donnée il y a un mois ou deux, seuls 40 % des magistrats sont reliés au réseau interne du ministère de la justice. Le fait que les magistrats puissent avoir accès aux circulaires et aux informations que le ministère met en ligne est très important. En la matière, les engagements pris au plus haut niveau de l'Etat ne sont pas tenus. Théoriquement, fin 2002, on aurait dû avoir un taux de connexion de 100 %. Je comprends qu'il puisse y avoir des priorités, mais il faut faire attention que la crédibilité de l'Etat vis-à-vis du justiciable et des magistrats soit toujours maintenue.

Deuxième observation : je remercie à nouveau les sénateurs, dont les stages ont permis un fructueux dialogue entre élus et magistrats, mais aussi, à entendre les questions de la salle aujourd'hui, entre les magistrats eux-mêmes et entre ces derniers et les représentants de la Chancellerie... Ce qui prouve qu'il est bon que les réalités de fonctionnement sur le terrain remontent régulièrement vers ceux qui sont chargés de prendre les décisions !

M. Maurice PEYROT -

Merci. Je me tourne maintenant vers M. Cramet, greffier en chef, coordonnateur du Service administratif régional (SAR) de Lyon. Les SAR apportent un plus en matière de gestion. Mais jusqu'où peut aller la déconcentration ? Comment les prérogatives et libertés de chacun peuvent être préservées ? Comment les SAR peuvent-ils évoluer et à quelles conditions ?

M. Michel CRAMET -

Les SAR sont de création récente : 1996. Ceci dit, l'expérience a montré que le fait de placer auprès des chefs de Cour ces structures qui ont pour but d'assurer la logistique, de préparer et de suivre la mise en oeuvre de leur politique régionale, avait amélioré un certain nombre de choses. Si leurs structures se sont étoffées, elles restent insuffisantes. M. le Sénateur a dit tout à l'heure qu'il fallait poursuivre la déconcentration, donner plus de pouvoirs aux chefs de cour ou de juridiction et aux SAR. C'est une vraie question. Certains disent que les SAR ont déjà trop de pouvoirs, d'autres disent qu'ils n'en ont pas assez. Mais ont-ils vraiment du pouvoir, puisque, je le rappelle, les SAR ne sont là que pour assurer le travail préparatoire auprès des chefs de cour ?

Je crois qu'il faut effectivement avancer dans le processus de déconcentration. La réalité d'aujourd'hui est que nous sommes bien avancés dans le domaine de la gestion des moyens, moyens de fonctionnement, moyens informatiques, mais pas du tout en matière de gestion des ressources humaines ; notre marge de manoeuvre sur cette question est inexistante puisque notre rôle se limite essentiellement à de la remontée d'informations vers la chancellerie après analyses de dossiers. En effet, toutes les décisions qui touchent la carrière individuelle des fonctionnaires sont prises par l'administration centrale après consultation des commissions administratives paritaires.

Je pense que progressivement il va falloir accentuer la déconcentration et permettre aux services déconcentrés de bénéficier de nouvelles marges de manoeuvre. L'application de la loi organique relative aux lois de finances, qui impose l'intégration de tous les crédits de rémunération dans les enveloppes déconcentrées, est incontestablement une occasion à saisir. Elle permettra de répondre à cette question : combien coûte la justice ? Une expérimentation va d'ailleurs commencer à la cour d'appel de Lyon, dès la fin de cette année.

M. Patrice DAVOST -

Je voudrais confirmer ce que dit M. Cramet. Les SAR, qui restent sous l'autorité des chefs de cour, et c'est indispensable, sont des composantes essentielles de la politique de déconcentration nécessaire de notre administration. Ils ont pour but d'instaurer un dialogue avec les juridictions dans le cadre de la politique définie par les chefs de Cour et de la politique définie par l'administration centrale. Je crois en leur avenir. Il y a des difficultés, je les entends et j'entends vos suggestions.

Je rappelle tout de même que la LOPJ a ouvert des voies nouvelles avec son lot de créations d'emplois. Nous devons aller vers encore plus de souplesse, notamment pour les magistrats (214 aujourd'hui) et les greffiers placés (pour lesquels je vais proposer au Garde des Sceaux une augmentation substantielle), qui sont des outils de management importants à la disposition des chefs de cour. Nous allons aussi, dès le mois d'octobre, engager un dialogue de gestion avec tous les chefs de cour, dans les domaines de la gestion budgétaire mais aussi des ressources humaines, afin d'aboutir, notamment, à de meilleurs bilans de carrière au moment de l'évaluation annuelle des magistrats, et à de véritables profils de postes aussi bien pour les magistrats que pour les greffiers. Nous entamons ce dialogue pour les juridictions interrégionales spécialisées dans la lutte contre la criminalité organisée, mais nous l'avons fait aussi pour les pôles de santé. Il faut le continuer.

Ce dialogue de gestion dans l'esprit de la LOLF et une déconcentration, notamment des personnels de catégorie C au niveau des cours d'appel, paraissent être la voie qu'il faut suivre.

Encore une fois, plus de souplesse et de déconcentration sont nécessaires. Tout ne peut pas venir de l'administration centrale.

Je crois beaucoup à ce dialogue, ainsi qu'à l'avenir des SAR, peut-être renforcés, même s'ils comptent déjà 822 fonctionnaires. Je crois que c'est l'avenir de notre organisation judiciaire.

M. Dominique BARELLA -

Vous avez posé M. Peyrot, la question des bornes à poser aussi à ces méthodes de gestion. Je voudrais rappeler l'excellent rapport de l'Assemblée nationale sur la crise sanitaire de cet été. Il a montré qu'on ne pouvait séparer totalement la gestion hospitalière de l'acte de soigner ; de même pour la justice : l'acte de gérer ne peut pas être totalement coupé de l'acte de juger. Donc soyons très prudents : autant l'intervention expertale des SAR est utile, autant il serait dangereux d'envisager une évolution de cette mission d'expertise vers, comme le souhaitent certains, une fonction d'administrateur coupée de la juridiction, voire vers la création de sortes d'établissements publics voués à la gestion et coupés des réalités judiciaires. La gestion n'a en réalité de sens qu'en fonction des politiques publiques suivies, dont l'objectif doit être de rendre la justice dans les meilleures conditions possibles en termes de délais, de flux et de qualité.

Enfin, ce problème est également lié à celui qui est encore en débat ; celui de la désignation des ordonnateurs secondaires. Je souhaite très fortement que sur ce sujet, les premiers présidents et procureurs généraux s'entendent le mieux possible, que leur lien judiciaire soit très fort.

M. Maurice PEYROT -

Merci beaucoup. Monsieur Haenel, il va vous revenir de donner votre avis sur ce point, très important, puis de conclure.

M. Hubert HAENEL -

C'est un débat depuis 35 ans que je suis les questions judiciaires. Il y a toujours eu des tentations de dire que les magistrats n'étaient pas faits pour s'occuper de près ou de loin de gestion administrative, mais je suis d'accord avec M. Barella : tout est lié. Il faut absolument que les chefs de cour et de juridiction gardent la main, fût-ce au travers des SAR. J'en ai passé au crible quelques-uns. Je trouve que c'est une excellente chose. Les SAR, quelle que soit la personne qui les dirige, greffiers en chef ou pas, doivent rester sous l'autorité des chefs de Cour. Cessons de dire qu'il faudrait un peu d'énarques à la chancellerie ou dans les juridictions. Non. On ne peut pas séparer l'acte de juger de l'administration qui y concourt.

Pour conclure, je dois vous dire que je me réjouis, avec tous mes collègues, de l'initiative de la présidence du Sénat. Je sais la part qu'y a prise une magistrate qui s'y trouve et que nous connaissons bien. (Applaudissements)

La preuve est faite qu'il était nécessaire que les sénateurs aillent dans les juridictions et découvrent ce qu'est la réalité du travail judiciaire. Il était bon aussi que les magistrats appréhendent mieux la dimension technique et surtout humaine des sénateurs et sénatrices. Je me félicite aussi que cette journée permette le débat entre des représentants de la centrale et des magistrats de tous grades et de toutes juridictions. (Sourires) Il faut continuer ! (Applaudissements)

La séance est suspendue à 12 h 40 et reprend à 14h35.

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