Les rencontres sénatoriales de la justice : "Justice de demain : quelles conditions pour une efficacité accrue?"



Colloque organisé par M. Christian PONCELET Président du Sénat le 24 septembre 2003

III. TROISIÈME TABLE RONDE :  JUSTICE ET RÉFORME LÉGISLATIVE, UNE RÉELLE INTERROGATION : QUEL AVENIR POUR LA PROCÉDURE PÉNALE FRANÇAISE ?

M. Dominique VERDEILHAN , animateur, journaliste sur France 2 -

« C'est la volonté du législateur ». C'est une phrase que mes confrères et moi-même entendons souvent des magistrats, quand nous les interrogeons sur tel ou tel texte. Aujourd'hui, nous allons donc mettre face à face d'une certaine manière, ceux qui sont sur le terrain, ceux qui appliquent la loi et vous, sénateurs, qui décidez avec les députés du contenu du code de procédure pénale.

Le sentiment que l'on a, en tout cas le sentiment qui je crois a marqué la rencontre sur le terrain entre sénateurs et magistrats, c'est qu'un garde des Sceaux chasse l'autre et que le code de procédure pénale s'enrichit chaque fois d'un nouveau texte. On empile les textes. La Justice ne souffre-t-elle pas de réformite aigue ? L'impression aussi c'est que souvent les lois sont prises en réaction, parfois même sous l'effet d'une « erreur d'appréciation », pour reprendre une expression récente d'un Premier Ministre et d'un Garde des Sceaux.

Le Code de procédure pénale reste-t-il une garantie de sécurité ou bien sa complexité est telle, devenue telle, que magistrats et avocats, si vous me permettez l'expression, « se prennent un peu les pieds dans le tapis » ?

Je vous propose une rencontre en trois thèmes : nous évoquerons la loi Guigou, deux ans et demi après son entrée en application, la loi anti-criminalité, sur laquelle nous débattrons presque en temps réel puisque la commission des lois du Sénat s'est réunie à son sujet cet après-midi. Nous nous interrogerons également inéluctablement sur l'avenir du juge d'instruction. Reste-t-il l'homme le plus puissant de France ou bien est-il devenu le plus gênant, en tout cas du code de procédure pénale ? J'espère que des deux côtés de la barre, chacun « videra un peu son sac ».

Mais d'abord, le témoignage de quelqu'un qui est « descendu » sur le terrain, Mme Gisèle Gautier, sénatrice de Loire-Atlantique. Quel souvenir gardez-vous de ces trois jours passés au tribunal d'Angers ?

Mme Gisèle GAUTIER, sénatrice de Loire-Atlantique -

J'ai reçu un excellent accueil au TGI d'Angers, et j'en remercie à nouveau vivement leurs chefs. Vous m'avez ouvert toutes les portes.

Tous les sénateurs ne sont pas avocats -j'étais chef d'entreprise. Une telle initiative mérite donc d'être saluée et renouvelée car elle nous permet de mieux vous connaître, ce qui est essentiel puisque nous statuons sur des textes qui vous concernent.

Le tribunal d'Angers est aussi exigu que non fonctionnel. Je mesure mieux, maintenant, les disparités entre juridictions sur le plan des effectifs et des moyens et la rigidité de la gestion des ressources humaines. La réactivité des personnels est très grande et beaucoup de choses fonctionnent grâce à leur dévouement, je tiens à le souligner.

M. Dominique VERDEILHAN -

Comment avez-vous perçu le monde du droit ? Est-il un univers étranger ?

Mme Gisèle GAUTIER -

C'est un univers complexe, mais absolument pas poussiéreux, même si certains ont parfois cette image de la justice. On m'a dit que les avocats eux-mêmes peinaient parfois à se repérer parmi les textes tant leur complexité s'était accrue. La mission des magistrats est donc particulièrement difficile à accomplir, alors même que l'homme est au centre de leurs préoccupations, de leur mission. Je l'ai vraiment touché du doigt.

M. Paul GIROD , Sénateur de l'Aisne -

J'ai ramené de mon stage à Montpellier la conviction absolue que si les usines d'automobiles fonctionnaient de la même manière que l'appareil judiciaire, elles ne produiraient rien. Ce qui manque absolument me semble-t-il, c'est un bureau des méthodes à la Chancellerie. La Chancellerie gagnerait beaucoup en efficacité en se dotant d'un bureau qui évalue l'impact des textes et alerte les parlementaires en cas de problème.

Exemple de chose invraisemblable : un juge d'instruction veut placer quelqu'un en détention provisoire. On va devant le juge des libertés et de la détention, tout le monde l'escorte, etc..., attend. S'il place en détention provisoire, il faut retourner devant le juge d'instruction pour savoir quelles seront les visites autorisées. Ne serait-il pas possible de mettre tout cela à l'avance dans une enveloppe cachetée qui suivrait le mis en examen, pour gagner du temps ?

M. Dominique VERDEILHAN -

Je me tourne vers vous Monsieur Bot pour avoir vos réactions sur ces deux interventions et sur ce que j'évoquais au début à propos de l'empilement des textes.

M. Yves BOT , procureur de la République du TGI de Paris -

Je crois que l'empilement n'est pas seulement une impression, c'est une réalité. C'est d'ailleurs l'un des enjeux de la procédure pénale dans l'avenir, pour ceux qui la font et ceux qui la vivent : ne pas confondre l'augmentation de la garantie des libertés avec l'augmentation de la complexité de la procédure. (Applaudissements) Actuellement on confond les deux. On dit : « on va augmenter les garanties » ; en réalité on complique le système.

Mme Dorothée DARD , vice-présidente, chargée de l'instruction au TGI d'Evry -

Je suis parfaitement d'accord et j'ajouterai que par touches successives, on est en train de modifier des équilibres sans qu'on puisse en apprécier les effets pervers, que l'on ne mesure qu'après coup.

M. Fernand SCHIR, vice-président au TGI de Lyon -

Je serais plus nuancé : je crois que l'intérêt tout de même de la loi Guigou est celui d'un double regard, de l'intervention d'un tiers par rapport au juge d'instruction, pour une décision privative de liberté. Même si à Lyon, en deux ans, l'écart de décisions non conformes du juge des libertés et de la détention par rapport aux demandes du juge d'instruction n'est que de 8 %, cela représente 125 personnes qui ont ainsi échappé à la mise en détention : est-ce si dérisoire ?

Me Henri LECLERC , avocat au barreau de Paris -

Le code de procédure pénale avait été peu réformé depuis 1958. C'est à partir de 1981 que la procédure pénale a commencé à être beaucoup réformée, au gré des alternances politiques.

J'ai participé à deux importantes commissions, la commission Léauté en 1981-1983 et la commission Delmas-Marty en 1989-1991, qui ont accompli des travaux considérables mais dont les résultats ont été, un peu utilisés pour la première commission, et totalement mis au placard pour la seconde, même si chaque parlementaire commençait tout débat sur une réforme de procédure pénale par rendre hommage au rapport Delmas-Marty, pour mieux l'oublier ensuite.

Le problème, qui me paraît fondamental, c'est que notre système procédural est très archaïque et aurait eu besoin d'une réforme en profondeur.

La loi du 15 juin 2000 a modifié certaines choses assez profondément, mais à mon avis elle n'est pas allée jusqu'au bout.

Alors quand on ne veut pas réformer en profondeur, on ne fait qu'ajouter et empiler.

C'est ce qui s'est fait à de nombreuses reprises et encore avec la loi Perben de septembre 2002. Ce sera aussi le cas avec celle qui est en discussion au Parlement, puisqu'elle va ajouter un tiers au volume du code de procédure pénale.

S'agissant de la loi du 15 juin 2000 qui a modifié beaucoup de choses, j'ai observé que c'était la seule fois qu'une telle réforme résultait, sinon d'une unanimité, du moins d'une très intéressante convergence entre parlementaires.

Trois ajouts de cette loi me paraissent fondamentaux et ne seront pas remis en cause car ils constituent de vrais progrès. Certains d'ailleurs sont issus du Sénat :

1) la création du juge des libertés : retirer au juge d'instruction ses pouvoirs judiciaires en matière de détention est une question de principe importante qui est pour moi un progrès incontestable ;

2) la mise en place de l'appel des décisions des cours d'assises ;

3) la judiciarisation de l'application des peines -cette vieille rengaine dont nous parlions déjà en 1983.

M. Dominique VERDEILHAN -

Maître Maisonneuve, on légifère sans vous en référer ?

Me Patrick MAISONNEUVE , avocat au barreau de Paris -

Non. C'est vrai qu'il y a une accumulation des textes, mais surtout on ne laisse pas le temps à l'expérimentation. Une réforme est souvent préparée alors que l'on n'a pas encore vraiment évalué un texte. Or, en matière de justice, il faut du temps.

M. Dominique VERDEILHAN -

Encore faut-il qu'un texte puisse être mis en oeuvre, on se souvient de la loi du 15 juin 2000 dont Mme Lebranchu a été obligée de retarder la mise en oeuvre d'un certain nombre de ses dispositions.

Me Patrick MAISONNEUVE -

Oui. La question des mises en oeuvre retardées ou difficiles a déjà été évoquée ce matin. Il y a aussi les nombreux rapports dont on dit qu'ils servent à caler les meubles de la Chancellerie. Mais le plus important pour moi est le manque d'expérimentation. Je me souviens de la loi de janvier 1993, créant le juge de la détention, abrogée dès l'alternance de mai 1993. Est-ce en quatre mois que l'on peut vérifier l'efficacité du juge de la détention qui a finalement ressurgi ?

J'ai cru comprendre que demain on irait peut-être vers une collégialité en matière de détention. Quand on en a parlé dans la dernière réforme, on nous avait expliqué que c'était tout à fait impossible, notamment en termes de moyens.

M. Nicolas BLOT , Secrétaire général de l'Union Syndicale des Magistrats -

Je souscris tout à fait à ce qui a été dit précédemment. Le système n'est plus supportable ni pour les magistrats, ni pour les justiciables, qui pâtissent en premier de cet empilement de textes. Nous avons eu trente réformes pénales en trente ans, 25 modifications de la détention provisoire, et on en annonce une nouvelle. Le garde des Sceaux s'était engagé à une pause législative après la loi Perben II ; depuis, il a annoncé six projets de texte. C'est devenu en juridiction totalement insupportable !

Je suis heureux que des sénateurs soient allés en juridiction et aient vu les conditions dans lesquelles nous appliquons les lois qu'ils votent. On parlait d'un bureau des méthodes à la Chancellerie ? Sans doute, mais au Parlement aussi. Ce que je regrette beaucoup c'est l'absence d'études d'impact. Quand vous votez des lois, nous ne savons pas quelles conséquences elles auront en termes de moyens ou d'effectifs par exemple.

Il est enfin scandaleux que les lois que vous votez ne soient pas toujours appliquées : la loi présomption d'innocence, par exemple, prévoyait que le magistrat du parquet contrôle effectivement les placements en garde à vue. Mais savez-vous que pour les gardes à vue de nuit, c'est un fax qui arrive au tribunal alors que le magistrat est chez lui de permanence, qui tient lieu de tout contrôle ? C'est le résultat : à force de voter une succession de tâches supplémentaires pour les magistrats, qu'ils ne sont pas en mesure d'assurer, et bien nous n'appliquons plus les lois de la République. (Applaudissements)

M. Dominique VERDEILHAN -

La parole à la défense. Monsieur Zocchetto qu'en dites-vous ?

M. François ZOCCHETTO , sénateur de la Mayenne, membre de la Commission des Lois, rapporteur du projet de loi relatif à l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité -

Ce discours n'est pas nouveau. Notre souci en tant que législateur est de préserver le système démocratique dans lequel nous vivons. En tant qu'élus, nous voyons quelles sont les exigences de nos concitoyens. La plupart des élus n'étant pas des juristes, ils n'ont pas vos certitudes juridiques, et la tendance est de penser que s'il y a des problèmes c'est parce que les textes sont insuffisants et qu'il faut en faire de nouveaux.

Mais, même s'il y a c'est vrai, beaucoup trop de textes en matière pénale, il y a quand même une certaine cohérence, par-delà les alternances. On le voit bien quand on travaille en commission. Même s'il faudrait donner plus de temps à l'analyse, il y a des accords sur de nombreux points qui transcendent les clivages politiques. En matière de procédure pénale, il faudrait non pas faire une pause, mais tout remettre à plat. Le monde évolue, les règles doivent faire de même. Mais qui ouvrira ce grand chantier ? C'est vrai que sur les trente dernières années, personne n'a voulu le faire.

Alors comment travaillons-nous en commission ? Et bien tout d'abord nous travaillons avec vous magistrats, comme nous l'avons fait pour la préparation de la loi Perben II. Je remercie tous ceux qui nous ont ouvert leurs portes et ils ont été nombreux. Nous avons choisi d'aller dans de nombreux tribunaux, de toutes tailles, à Paris, en banlieue et en province. Beaucoup sont aussi venus ici et ont été entendus par la commission. Ces échanges nous ont permis d'améliorer notre travail. La plupart des 250 amendements que je viens de présenter en commission étaient issus de nos échanges et notamment de votre souhait de simplifier les procédures, même s'il est vrai que d'autres amendements « ajoutent ». Nous voulons non pas ne rien faire, mais rendre les textes lisibles.

M. Dominique VERDEILHAN -

Monsieur Bret vous siégiez déjà à la commission des lois lors de la loi Guigou. Les discussions ont-elles été approfondies, par exemple sur le juge des libertés et de la détention ?

M. Robert BRET , sénateur des Bouches-du-Rhône, membre de la Commission des Lois -

Le Parlement a accompli un vrai travail sur la loi présomption d'innocence, du moins dans sa première version, qui a été adoptée à l'unanimité. Nous avons été quelques-uns à avertir la garde des Sceaux de l'importance des moyens qu'il fallait pour pouvoir mettre en oeuvre ce texte, sans difficultés. Puis nous avons vu comment des pressions des gendarmes, des policiers ont conduit à modifier cette loi avant même de l'avoir expérimentée, ce qui est pour moi une méthode détestable.

Par rapport au tour de table qu'il y a eu, et au-delà de ce qu'a dit mon collègue Zocchetto sur la loi Perben II, je crois qu'il faut se dire les choses : ce texte sera, peut-être, le premier texte sur lequel nous aurons pu véritablement travailler depuis un an. Tous les autres ont été faits dans l'urgence et dans le vote conforme.

Ce que je trouve dangereux c'est que les majorités parlementaires sont amenées à légiférer par affichage politique dans l'espoir de flatter une partie de l'électorat, à l'approche des échéances électorales, dans un sens toujours plus sécuritaire. Voilà comment des méthodes détestables provoquent des effets déplorables, c'est-à-dire un code de procédure pénale illisible, incohérent. Heureusement que les magistrats sont amenés à trier dans tout le travail que nous faisons, pour travailler dans de bonnes conditions. Mais on arrive à des choses dangereuses pour notre justice.

M. Dominique VERDEILHAN -

Revenons quelques instants sur la loi Guigou. On avait annoncé que la loi présomption d'innocence allait provoquer un bug judiciaire. Monsieur Bot, la loi présomption a-t-elle été « digérée » ?

M. Yves BOT -

La loi dite « présomption d'innocence » n'est plus appliquée telle qu'elle était dans sa première « mouture », puisqu'elle a été modifiée. Même si elle a été modifiée très vite, elle l'a été sur des points nécessaires, car on en arrivait à des choses purement formelles. Qu'un interprète vienne à manquer, un soir, et toute la procédure, trop formaliste, était annulée. Le débat judiciaire était réduit à un débat sur la forme. La question n'était plus de savoir si la personne était coupable ou innocente, mais plutôt de savoir comment empêcher le jugement du prévenu en faisant « sauter la procédure ». Etait-ce là un débat qui mérite le qualificatif de judiciaire ? Moi je dis que non.

Sur ces points, je crois que c'est une très bonne chose que le Parlement ait modifié le texte, tout en conservant ses acquis incontestables, que personne ne songe à remettre en cause comme cela a été dit tout à l'heure. Je crois que cette expérience mérite d'être méditée pour l'avenir.

Me Patrick MAISONNEUVE -

Les règles de procédure ont de tous temps été prévues pour pallier l'arbitraire, ce sont des garde-fous. Ce sont les dictatures qui les ignorent. Les démocraties les ont adoptées pour éviter de laisser tous les pouvoirs entre les mains des enquêteurs. Si on suit votre raisonnement M. le Procureur, si la seule question est « est-il coupable ou innocent ? », allons jusqu'au bout et supprimons tout de suite toutes les règles de procédure.

M. Yves BOT -

Ce qui est dommage, c'est que dès qu'on aborde des questions de ce genre, on oublie que nous ne sommes pas dans un prétoire. Il ne faudrait pas que le débat dérape dans la caricature. Je n'ai jamais dit qu'il fallait supprimer les questions de forme. (Applaudissements)

M. Nicolas BLOT -

Je souscris à ce qu'a dit M. Bot. Il y avait vraiment un excès de formalisme dans la loi présomption.J'étais de permanence la nuit où l'on a basculé dans le nouveau système. Les policiers étaient tétanisés. Dans une affaire avec six personnes, ils m'ont indiqué n'avoir pu passer aux questions sur le fond qu'au bout de dix heures de garde à vue tellement le formalisme était lourd. Corriger les excès ne signifie pas entrer dans une dictature.

Le public ne le sait pas mais cette loi présomption a entraîné des séismes. Savez-vous, par exemple, qu'à Paris, on a supprimé cinquante audiences par mois ? C'est le justiciable qui a payé les pots cassés de la loi présomption d'innocence. Pour les autres tribunaux, cela a été pareil. Ce n'est qu'aujourd'hui, avec des renforts de magistrats, qu'on arrive un peu à sortir la tête de l'eau et à « digérer » cette loi.

M. Dominique VERDEILHAN -

Monsieur Schir, vous qui êtes né de cette loi, que dites-vous aujourd'hui ? Le juge des libertés et de la détention çà tient la route, il faut continuer ?

M. Fernand SCHIR -

Disons que Lyon a fait le choix de la spécialisation. Nous sommes trois JLD à avoir trois types de fonctions (la détention provisoire, les comparutions immédiates et la rétention d'étrangers), qui avons la chance de disposer d'un petit dépôt. Nous ignorons les dérives d'audiences à 22 heures comme dans d'autres tribunaux. Les premières comparutions interviennent en fin de matinée de sorte que l'oiseau de Minerve qu'est le JLD prend son envol dans l'après-midi et nous terminons vers 20 heures-21 heures, sauf exception. En outre, le greffe compte six greffiers puisque nous gérons les comparutions immédiates et les étrangers. Ce mode d'organisation permet à celui qui décide le placement en détention, de suivre tout le dossier et donc toutes les demandes de mises en liberté. Nous traitons environ 900 demandes de mise en liberté dans l'année.

M. Dominique VERDEILHAN -

Alors, Madame Dard, comment les juges d'instruction vivent-ils la réforme ? Les juges des libertés et de la détention ont-ils été vécus comme une frustration ? A l'usage, ont-ils fait leurs preuves ?

Mme Dorothée DARD -

Ecoutez, vous avez souhaité que chacun « vide son sac », je vais « vider le sac » du « juge de base » que je suis, même si je suis vice-présidente. J'ai entendu autour de moi que la loi présomption d'innocence était un acquis, mais puisque l'on peut aujourd'hui critiquer le législateur et bien, j'en profite.

La loi en question n'est pas « digérée » par les juges de base. Çà a été un formidable soufflet pour les juges d'instruction car c'est la première fois que le législateur a marqué sa défiance vis-à-vis d'une catégorie de magistrats, en laissant entendre qu'il y avait, a priori, un risque qu'ils abusent de leurs pouvoirs, ce qui est extraordinaire ! La blessure n'est pas refermée et je le dis d'autant plus librement qu'à l'époque j'étais parquetière, et que le texte m'avait déjà choquée en son principe.

Que l'on dise que la détention est une chose trop grave pour qu'une seule personne statue dessus, on est tous d'accord. Que l'on utilise des filtres, d'accord, encore qu'il faudrait aussi les prévoir lorsqu'il n'y a pas mise en détention, ce qui constitue une décision tout aussi grave. (Applaudissements)

Cependant, dans une petite juridiction, le JLD est JLD à la fin de la journée après qu'il ait eu ses audiences de divorce ou d'autre chose. Il n'est absolument pas spécialiste. C'est à peu près comme si on disait à un juge du divorce, vous avez le droit de divorcer les gens, mais pour la garde des enfants, on va demander au juge d'instruction ce qu'il en pense. Mais le juge d'instruction n'en pense rien et n'est pas plus compétent en matière de divorce que le juge aux affaires familiales en matière d'instruction.

Dans les grandes juridictions, les JLD sont certes spécialisés. Mais dans ce cas, c'est un défilé permanent dans leurs cabinets. A Evry, le JLD statue après 22 heures dans 27 % des cas et après minuit, dans 10 % des cas. Le soir, on salue les avocats qui attendent devant sa porte, qui ne savent pas à quelle heure ils finiront... C'est vrai que nous sommes une juridiction sans petit dépôt, ce qui complique l'organisation, mais de manière générale nous avons déjà tellement de formalités à accomplir et le JLD en est une de plus !

Me Henri LECLERC -

Je ne prétends pas être un avocat de base (sourires) mais je ne crois pas dire autre chose que mes confrères en disant que, quels que soient ses défauts, ce système du JLD marque un progrès important. Les juges d'instruction ne sont nullement mis en cause. J'ai le plus grand respect pour eux et j'ai d'ailleurs toujours de bons rapports avec eux. Ils font en règle générale bien leur travail avec conscience et application. Il s'agit ici d'une affaire de principe, qui n'est d'ailleurs pas nouvelle.Elle était déjà posée par le grand criminaliste, Faustin Hélie, en 1860, puis par M. Donnedieu de Vabres en 1947, avant d'être reprise dans les rapports Léauté et Delmas-Marty. C'est celle de la séparation de la fonction d'enquêteur et de la fonction de placement en détention. Dans le débat parlementaire sur cette loi, il ne s'est jamais agi de mettre en cause le comportement des juges d'instruction ou la pratique professionnelle des juges d'instruction. C'est vraiment une question de principe que je considère très importante.

Même si le JLD de Lyon ne suit pas le juge d'instruction dans seulement 8 % des cas, je rappelle que le principe que les parlementaires répètent avec constance depuis 1970, quelles que soient les majorités, est que la liberté est le principe ; la mise en détention, l'exception.

Même si la loi présomption d'innocence n'a pas abouti en fait à réduire le nombre des détentions provisoires, (je n'entre pas dans ce débat),. elle marque un progrès judiciaire essentiel, avec la séparation des fonctions, dont j'ai parlé, et un JLD qui a reçu aussi d'autres pouvoirs que celui de statuer sur la détention provisoire.

Le deuxième point que je veux aborder est celui de l'intendance qui ne suit pas. C'est vrai, elle ne suit jamais. Les parlementaires qui votent une loi, votent ensuite le budget de la Justice qui ne donne pas les moyens de l'exécuter. (On applaudit) Sur ce point, les parlementaires ne sont donc pas exempts de responsabilités par rapport au ministre. Je ne comprends pas, je le dis comme je le pense, comment vous pouvez voter un budget après avoir voté une loi, sans exiger les moyens nécessaires pour l'appliquer. Ce reproche qui est souvent fait, je le retourne aux parlementaires.

Dans la salle :

M. Jean-Yves MONFORT , président de la chambre de l'instruction à la Cour d'Appel de Versailles -

Je me permets de prendre la parole au nom d'une juridiction oubliée, méprisée, la chambre de l'instruction. Si je ne parle pas d'elle, personne ne le fera. A propos de la création du JLD, je pense qu'il aurait suffi de quelques lignes dans le code de procédure pénale pour modifier des délais, pour prévoir des saisines plus rapides de la chambre de l'instruction, afin de statuer sur les détentions provisoires. Il y aurait eu ainsi ce double regard qui me paraît effectivement une excellente chose, mais nous aurions évité cette mécanique extraordinairement lourde du JLD.

Aujourd'hui, la chambre de l'instruction est devenue une sorte de bras mort de la procédure pénale. Je serais curieux de savoir si le législateur s'est interrogé sur son rôle, ses résultats, avant d'envisager un autre système. Pourquoi ne pas avoir utilisé l'existant et lui avoir donné les moyens de fonctionner ? (Applaudissements)

M. François ZOCCHETTO -

Nous n'avons pas l'intention de revenir sur la loi présomption d'innocence. Vous nous dites que nous modifions sans cesse les textes, là ce ne sera pas le cas. C'est un bel exemple de continuité. Le rôle du JLD va perdurer. La loi Perben II conforte même le rôle du JLD.

Par ailleurs, ne confondons pas la procédure et les moyens. J'ai bien entendu l'interpellation de Me Leclerc. Il est vrai que le Parlement a un peu oublié sa fonction de contrôle. Nous devons être plus vigilants sur les moyens.

M. Dominique VERDEILHAN -

Nous allons avancer et passer à la loi Perben. Certains avaient dit que la loi Guigou était faite pour les voyous. On dit que la loi Perben est faite pour le parquet. Qu'en pensez-vous Monsieur Bot ? On passe d'un côté à l'autre ?

M. Yves BOT -

Si vous me permettez, je vais essayer de voir ce qu'il y a sous votre question. Votre question ne serait-elle pas en fait : le parquet va-t-il remplacer le juge d'instruction ?

Que le Parquet soit renforcé, ce n'est pas moi qui vais vous dire que c'est une mauvaise chose. Pour autant, soyons clairs, le juge d'instruction est une institution essentielle à la procédure pénale française.

M. Dominique VERDEILHAN -

Le juge d'instruction n'est donc pas condamné ?

M. Yves BOT -

Non, pas du tout. Il fait partie de l'esprit même de notre procédure pénale, dans laquelle plusieurs regards indépendants se penchent sur une même affaire. C'est ce qui fait l'originalité et la valeur de la procédure pénale française. C'est aussi pour cela que même si le JLD a entraîné des complications, je crois qu'il est un acquis et un progrès ne serait-ce que parce qu'il a sûrement permis de sauver le juge d'instruction, qui n'était guère populaire en juin 2000. Il faut bien voir cela.

Et chaque fois qu'aux instants cruciaux de la procédure, on arrive à maintenir des regards complémentaires et distanciés les uns par rapport aux autres, substantiellement, c'est la démocratie et la garantie des libertés qui avancent et qui gagnent.

A partir de là, il faut quand même bien voir que le glissement de la procédure pénale est aussi la conséquence du rôle qu'on lui assigne dans la société française aujourd'hui. Que lui assigne-t-on ? Pratiquement de tout faire et en particulier d'apporter des réponses là où d'autres institutions ont échoué. Voyez par exemple les incivilités, que ni la famille ni l'école n'ont su éviter.

Or, pour traiter efficacement et dans des délais raisonnables, je ne dirais pas ce flux, mais ce flot d'affaires qui nous échoit un peu plus chaque jour, il a dû être fait appel de plus en plus à des procédures rapides et je crois que c'est une bonne chose. Le traitement en temps réel par exemple, qui existe depuis longtemps, qui a connu plusieurs alternances politiques sans être remis en cause, répond à ce besoin.

Je crois que le renforcement des droits du parquet dans la loi Perben s'inscrit dans cette tendance, même s'il reste à mon avis relativement mince. En effet, finalement, la seule innovation fondamentale est que l'on pourra obtenir une écoute judiciaire sans ouvrir une information. Ce n'est pas pour autant que l'on va instruire à la place du juge d'instruction : simplement on saisira désormais le magistrat instructeur d'enquêtes plus approfondies. On verra que cela permettra de recentrer l'activité du juge d'instruction sur les affaires véritablement les plus complexes, car il n'y a que lui qui puisse vérifier à charge et à décharge, comme la procédure française l'impose.

C'est pourquoi notamment, le plaider-coupable, à mes yeux, ne remplacera jamais l'instruction car il ne fonctionne que sur une culpabilité établie ; or seule l'enquête peut établir la culpabilité.On verra que le juge d'instruction n'a pas la religion de l'aveu. Il le vérifie. Souvenons-nous que notre système pénal a évité qu'un innocent soit emprisonné à vie dans l'affaire Dickinson.

Ne cédons donc pas au fantasme. Nos magistrats, notamment du parquet, feront vivre la procédure française en ayant toujours à l'esprit ce qui l'inspire, pour peu toutefois qu'on leur en donne les moyens. Dans ce domaine il est vrai, et c'est la première fois que j'évoque ce sujet, il y a globalement beaucoup de retard.

M. Dominique VERDEILHAN -

Monsieur Schir vous vouliez réagir ?

M. Fernand SCHIR -

Oui. S'il est vrai que dans le texte Perben II, le juge d'instruction n'est pas condamné, je pense néanmoins que tous les outils juridiques pour le contourner sont en place. Je m'explique : je mets au défi quiconque de m'expliquer comment on distinguera désormais l'enquête de flagrance, qui était l'enquête de la coercition et l'enquête préliminaire, qui n'était qu'une enquête d'adhésion.

Le parquet pourra désormais délivrer un mandat de recherche, c'est quelque chose de nouveau. Il y a aussi le recours possible au JLD, qui selon certains, devient un juge d'instruction bis, pour des perquisitions sans assentiment, des écoutes, etc... D'autre part, je rappelle que le témoin récalcitrant pourra être contraint à comparaître, même dans les enquêtes préliminaires, ce qui est une innovation totale. Depuis 1993, le statut du témoin est devenu une usine à gaz.

L'inquisitoire n'est plus dans le cabinet du juge d'instruction, il est passé dans l'enquête de police et cela constitue un changement fondamental. La coercition existe même dans l'enquête préliminaire et à l'égard de quiconque : personne mise en cause ou témoin. Tout cela est bien dans la mise en place d'un contournement éventuel.

Mme Dorothée DARD -

Je souscris tout à fait à ce qui vient d'être dit sur la confusion des notions mais il y a aussi confusion des rôles. Je ne comprends pas pourquoi le procureur de la République va faire valider ses décisions en matière d'enquête de flagrance ou préliminaire, par un magistrat du siège ! Le procureur de la république n'est pas un sous-magistrat. Il est autant garant des droits et libertés que les autres magistrats. Je ne vois donc pas pourquoi on va aller chercher ce juge alibi qu'est le JLD : il n'aura aucun recul sur le dossier, et on va luidemander vite fait bien fait une validation.

En ce qui concerne le concept de bande organisée, dans le cadre duquel la réforme envisage d'étendre les pouvoirs du Procureur de la République, la définition légale en est trop large, ce qui peut conduire à des dérives. Deux individus qui décident de cambrioler un pavillon pour tromper leur ennui et qui vont se promener pour repérer ce pavillon, peuvent ou non, au gré du magistrat, constituer une bande organisée, et dans l'affirmative se voir appliquer un régime spécial.

M. François ZOCCHETTO -

Après avoir travaillé tout l'été avec la commission des lois, nous arrivons à un texte assez différent de ce qui avait été voté par l'Assemblée nationale au printemps. Il sera examiné la semaine prochaine par le Sénat. Notre souci est la recherche de l'équilibre. Il est vrai que les pouvoirs du parquet sont renforcés, c'est un choix politique.

Mais, nous, nous ferons valoir quelques différences par rapport à l'Assemblée nationale, dans les relations entre le parquet et la gendarmerie ou la police.

Par ailleurs, notre souci est que le juge soit toujours le garant de la marche de la procédure, c'est pourquoi le JLD sera plus sollicité que par le passé et que le juge du siège interviendra aussi dans des procédures telles que la reconnaissance préalable de culpabilité, au premier degré et en appel.

L'esprit du texte n'est donc pas déséquilibré au profit du parquet. Il y a une recherche d'efficacité dès le début des enquêtes.

Il est vrai qu'à partir d'un texte comme celui-là, le rôle du juge d'instruction peut évoluer. Mais quand on regarde aujourd'hui le fonctionnement des parquets et des juges d'instruction, on se dit qu'ils ne concourent pas toujours à armes égales. Certains parquets travaillent en équipes soudées, avec des relations de tutorat entre le procureur et ses substituts, alors que les juges d'instruction sont très solitaires.

Alors leurs compétences personnelles ne sont bien évidemment pas en cause, mais pourquoi ne pas revoir leur rôle ? Pourquoi ne pas leur confier les affaires difficiles, en redéfinissant aussi la carte judiciaire, en leur permettant de travailler en « pool », en groupe , avec des circonscriptions régionales. Ils seraient beaucoup plus efficaces.

Me Henri LECLERC -

Cette loi Perben marque un retour du balancier, en accroissant les pouvoirs du Parquet,tout en n'ayant aucune approche de ce « cordon ombilical » que constituent les liens entre les parquets et le Garde des Sceaux, considéré pourtant, naguère, comme un point central par le Président de la République. Il semble même que ce texte établisse au contraire le renforcement des liens du Parquet avec le pouvoir politique, et par voie de conséquence avec la police.

Je rappelle que le premier principe de la procédure pénale est la sûreté, laquelle est d'abord la sûreté individuelle par rapport au pouvoir. Or cette loi va compliquer encore la procédure au lieu de la repenser entièrement, ce qui aurait été nécessaire puisqu'elle est archaïque. A la place, on fait des ajouts. Parfois, selon les tendances, on favorise les droits de la défense, parfois on penche pour la répression alors que l'obsession du Parlement devrait être de concilier les deux. Je pense que nous sommes dans une situation très délicate car ce système de complexification s'accroît et personne ne pose le problème de refonte de notre procédure, personne ne pose la question des moyens.

Me Patrick MAISONNEUVE -

Au-delà des moyens, on est entré dans un changement total de notre logique judiciaire, pour faire traiter la procédure par le Parquet et les commissaires de police dont, je le rappelle, les syndicats réclament des fonctions de parquetiers. C'est un choix politique mais, dans ces conditions, allons au moins au bout de la logique et posons nous la question de la séparation des fonctions entre juges et procureurs.

M. Nicolas BLOT -

Première observation : la loi Perben II qui représente, nous les avons listées à l'USM, 35 charges supplémentaires, n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact. D'autre part, ce texte exprime une défiance, clairement exprimée dans la note du Garde des Sceaux avant le dépôt de son projet de loi, envers les juges d'instruction. L'idée est que l'enquête préliminaire se prolonge avec l'alibi du JLD, qui autorisera à 21 heures la réalisation d'une perquisition de nuit et qui ne connaîtra absolument rien du dossier, et un procureur de la République qui sera tout puissant, et qui continuera dans la durée, les enquêtes. C'est ce qui est pervers.

On se détourne du juge d'instruction à qui on n'a pas donné des moyens depuis des années. J'ai connu à Bobigny des juges qui avaient ...300 dossiers. Dans un premier temps on ne leur donne pas de moyens, et dans un second on trouve un dérivatif. Sauf que dans le dérivatif, il y a le Parquet et comme on l'a dit, le Parquet est hiérarchisé.

Dans la salle :

Mme Véronique ESCOLANO , vice-procureur placé auprès du Parquet général de Grenoble -

Je voudrais rappeler que le magistrat du parquet est un magistrat avant tout et ce qui vient d'être dit m'a particulièrement choquée. Parce que ce magistrat, vous venez tous le chercher, quand vous en avez besoin, en matière de tutelle, pour contrôler les gardes à vue, pour jouer le rôle de conseil parfois auprès de vous les avocats. Alors, ces sous-entendus, ces caricatures me révoltent. Deuxième point : je trouve que ce projet s'inscrit dans une forme de pragmatisme et s'appuie sur un principe de réalité. Derrière ce projet de lutter contre la criminalité organisée, c'est l'état de droit qui est en jeu. On peut ergoter mais s'éloigner des réalités c'est ignorer notre mission de paix publique. Je trouve que le texte nous apporte un certain équilibre dans la lutte contre la criminalité même s'il constitue une petite révolution puisqu'il augmente les pouvoirs du Parquet, mais le parquetier, je le rappelle, est un magistrat. Pourquoi niez-vous ce statut ?

Me Henri LECLERC -

C'est un magistrat hiérarchisé et non un juge au sens de la Cour européenne des droits de l'homme ! C'est un magistrat, c'est l'originalité de notre système et c'est quelque chose de très important, mais ne me dites pas qu'il n'y a pas de problème à renforcer le pouvoir des parquetiers et à renforcer en même temps les liens hiérarchiques de ces parquetiers avec à leur tête le Garde des Sceaux. Aucun d'entre nous ne met en cause les parquetiers. Ce n'est pas la question.

Mme Véronique ESCOLANO -

Nous sommes au service de la vérité et c'est cet aspect-là que vous oubliez.

M. Yves BOT -

Je suis en désaccord sur un point fondamental. Je n'ai pas vu que dans la loi Perben les rapports entre le parquet et le ministre étaient changés. Je pense qu'une loi simple n'aurait pas pu le faire. Les textes en la matière n'ont pas changé depuis 1993, quelles qu'aient été les prises de position politiques de certains ministres. Qu'on ne vienne pas dire que la loi Perben change les choses sur ce point.

Dans la salle :

M. Henri PONS -

Dans le prolongement de ce qu'ont dit Me Leclerc et Me Maisonneuve, M. le sénateur Zocchetto a parlé de tutorat au sein des parquets. Il est clair que les juges d'instruction ne sont pas mis sous tutelle. Il s'agit donc bel et bien, à travers la loi Perben, du maintien ou de la disparition d'une enquête pénale indépendante au niveau de la mise en état. A travers les dispositifs décrits par Mes Maisonneuve et Leclerc et mon collègue, Nicolas Blot, on voit que peu à peu le Parquet va pouvoir contourner le juge d'instruction, qui lui est indépendant, et poursuivre seul les enquêtes et procéder par voie de citation directe. Or cette question fondamentale ne me semble pas avoir été tellement posée : celle de la mise en état par un magistrat indépendant.. (On applaudit)

M. François ZOCCHETTO -

Pourquoi caricaturer ? A aucun moment, le juge d'instruction ne voit son rôle modifié. On évite simplement d'ouvrir des instructions inutiles. Il est certainement plus efficace qu'il consacre son temps aux dossiers qui le méritent vraiment. Aujourd'hui, de nombreuses informations sont ouvertes, vous le savez, alors que l'affaire ne le mérite pas.

Quant au rôle du Garde des Sceaux, il est redit qu'il veille à la cohérence de l'action pénale sur tout le territoire. Je ne vois pas ce que cela a de nouveau. De même, il est précisé qu'il pourra y avoir des instructions du Garde des Sceaux vers les procureurs généraux et des procureurs généraux vers les Parquets. Là non plus, rien de nouveau, mais ça aura le mérite d'être écrit, car aujourd'hui on vit dans un certain flou. Notre position je vous l'assure, en tout cas à la lumière des discussions que nous avons eues aujourd'hui en commission, dépasse les clivages politiques. Enfin ce texte a été précédé par une loi d'orientation et de programmation qui permet une augmentation des budgets. Il faut que cela continue et nous y veillerons.

M. Robert BRET -

Je pense que nous sommes en train de modifier en profondeur la procédure pénale pour y introduire des éléments accusatoires. Cela a été dit cet après-midi en commission, on aboutira à un système hybride et complexe qui cumulera les inconvénients des deux systèmes. Nous faisons le constat de l'effacement du rôle du juge d'instruction, de son contournement, avec l'allongement de l'enquête de flagrance, l'augmentation des pouvoirs des procureurs, l'introduction de la philosophie de la négociation avec le plaider-coupable et le statut du repenti. Et un renforcement des liens avec la Chancellerie.

Ma préoccupation est qu'il faudrait avoir un débat sur tout cela. De quelle justice avons-nous besoin ? Vouloir transposer le droit anglo-saxon, et en plus sans aller jusqu'au bout, est lourd de dérives dangereuses pour notre justice.

M. Dominique VERDEILHAN -

Très bien merci. Nous sommes obligés de clore cette table ronde. Il y aurait eu encore beaucoup de choses à dire notamment sur le plaider-coupable, le statut du repenti. Nous suivrons le débat du texte la semaine prochaine au Sénat. J'ai le sentiment en tout cas que tout le monde était d'accord au moins sur un point : c'est celui des moyens. Monsieur le Ministre, c'est le message qui a été passé aux politiques tout au long de la journée. Merci à tous de nous avoir suivis. (Applaudissements)

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