Les rencontres sénatoriales de la justice : "Justice de demain : quelles conditions pour une efficacité accrue?"



Colloque organisé par M. Christian PONCELET Président du Sénat le 24 septembre 2003

CLÔTURE

M. Dominique PERBEN, Garde des Sceaux

Merci Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les magistrats.

Le débat que je viens d'entendre, nous le reprendrons le 1 er octobre ici même au Sénat et, je voudrais rappeler que sur ce texte important, qui comporte beaucoup de dispositions de natures diverses, j'ai obtenu du Premier Ministre que l'urgence ne soit pas déclarée. Nous aurons ainsi au moins deux lectures dans chaque assemblée ce qui je pense permettra à tous de s'exprimer et de faire avancer le débat.

A l'Assemblée nationale, déjà, un certain nombre d'amendements ont été introduits, même si quelques-uns l'ont été sans le plein et entier assentiment du Garde des Sceaux, et je pense qu'au Sénat le texte sera encore enrichi. Sur des projets aussi complexes, et en particulier des textes de procédure, il faut savoir prendre un peu son temps. C'est une excellente chose que le débat parlementaire apporte cette possibilité de décantation, de réflexion et d'amélioration du texte.

Je voudrais adresser à Monsieur le Président Poncelet, mes remerciements pour avoir initié cette idée d'échanges entre magistrats et sénateurs, magistrats et parlementaires. Je crois en effet très intéressant qu'une telle ouverture réciproque soit mise en place. L'ancien député que je suis, aujourd'hui devenu Ministre de la Justice, entend les différences de culture qui existent entre le monde judiciaire et le monde parlementaire. J'entends aussi les incompréhensions qui naissent entre eux et les critiques qu'ils s'adressent, souvent en raison d'une méconnaissance mutuelle. C'est pourquoi la démarche qui consiste à aller à la rencontre les uns des autres constitue à mes yeux nécessairement une source d'enrichissement mutuel, ne serait-ce qu'en termes d'échange de culture et de compréhension réciproque.

Mais cette démarche est également très importante sur le fond car je suis convaincu que pour le juge, dont la mission est d'appliquer la loi, il est très précieux de mieux savoir comment elle se fabrique, comment aussi, parfois, elle s'improvise -j'ose l'avouer-. A cet égard, en tant que Ministre, je l'ai dit souvent, notamment à M. Zocchetto, qui est le rapporteur du texte sur la grande criminalité, mon inquiétude c'est l'amendement de deux heures du matin ! Vous savez, lorsqu'il n'y a plus que cinq personnes en séance, un amendement sort, et est adopté parce qu'une majorité de circonstance a pu se former. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je suis personnellement très réservé à l'égard des textes adoptés « en urgence », c'est-à-dire avec en réalité une seule lecture.

Enfin, il m'apparaît également essentiel pour les parlementaires de voir, en allant dans les juridictions, comment la loi est appliquée et combien cette application est souvent beaucoup plus complexe qu'ils ne l'imaginaient quand ils en débattaient dans leur assemblée. Le parlementaire que j'ai longtemps été peut en attester. C'est pourquoi, encore une fois,cet exercice réciproque me paraît une excellente idée.

Je tiens d'ailleurs à souligner que le Sénat s'est, depuis bien longtemps, intéressé au fonctionnement de la justice. Chacun garde en mémoire le rapport des sénateurs Hubert Haenel et Jean Arthuis, en 1991, sur le fonctionnement de la justice, ainsi que celui des sénateurs Charles Jolibois et Pierre Fauchon en 1996, sur les moyens de la justice.

Plus proches de nous, je pense également aux rapports sur les infractions classées sans suite en 1998 (Hubert Haenel) puis en 2001 à celui sur les « Splendeurs et misères de la justice dans le Haut-Rhin » (Hubert Haenel).

Sans vouloir être exhaustif, je pourrais citer encore, en 2002, le rapport des sénateurs Jean-Jacques Hyest et Christian Cointat, dont le titre était « Quels métiers pour quelle justice ? ».

Beaucoup de ces travaux ont ensuite permis de préparer des réformes législatives. Je crois que çà aussi c'est extrêmement important.

Alors, vous avez évoqué au cours de votre journée, et c'était un peu la conclusion de la dernière table ronde, la question des moyens. Cette conclusion était d'ailleurs peut-être une sorte de recherche de consensus apparent. Je voudrais faire une petite parenthèse sur ce point, qui est d'ailleurs plus une réflexion politique : Evitons de nous mettre d'accord sur le débat des moyens faute de pouvoir le faire sur celui des réformes. Je ne dis pas cela du tout pour éluder la question des moyens -je vais y venir dans un instant-, mais cette question ne réglera pas tous les problèmes qui se posent à l'institution judiciaire. Un certain nombre de réformes de fond sont incontournables et il ne faudrait pas que l'augmentation des moyens, qui est indispensable, les cache ou permette de les éluder simplement parce qu'elles sont moins consensuelles.

S'agissant justement des moyens, nous sommes à la veille de l'adoption du budget en Conseil des Ministres. Je ne ferai pas de révélations sur le budget 2004, mais je voudrais simplement remettre en perspective les choses : la plupart d'entre vous qui êtes ici, parlementaires ou magistrats, vous le savez bien, nous sommes dans un processus qui, pour moi ministre, est assez confortable, puisque j'ai une loi de programmation. Je voudrais à nouveau remercier très sincèrement les parlementaires de m'avoir aidé à la bâtir, car il est vrai qu'à partir du moment où nous pouvons construire chaque exercice budgétaire dans un cadre général d'augmentations des dépenses d'investissements, mais aussi des dépenses de fonctionnement et bien, c'est une sécurité considérable et c'est aussi un moyen d'anticiper.

Je prends un exemple auquel vous êtes, les uns et les autres, très sensibles ; l'augmentation du nombre de magistrats. Vous magistrats, vous y êtes sensibles, bien entendu, parce que vous me demandez souvent des collègues supplémentaires pour renforcer les juridictions dans lesquelles vous travaillez, et vous parlementaires, parce que vous ne cessez de m'écrire pour me dire qu'il y a un poste vacant ici, trois postes vacants là, etc... Le fait d'avoir une perspective de création budgétaire de 950 emplois de magistrats supplémentaires sur cinq ans, nous permet de faire monter en puissance progressivement les structures de formation, parce qu'un magistrat çà ne se fabrique pas en six mois.

Et c'est la même chose pour les greffes, ou pour la pénitentiaire. Et si en cette fin d'année 2003 et début d'année 2004, nous allons je crois être en capacité de combler les postes budgétaires vacants -ce qui ne s'était pas vu depuis longtemps-, c'est parce qu'il y a cette facilité d'anticipation sur les créations d'emplois à venir et donc sur la nécessité de former des magistrats ou des greffiers ou des personnels de la pénitentiaire, supplémentaires.

Je rappelle donc les chiffres : 950 magistrats de l'ordre judiciaire sur cinq ans. J'ai déjà eu l'occasion de le dire au Parlement, je pense que ce chiffre est nécessaire mais aussi très probablement suffisant. Je ne pense pas opportun en effet, ni même positif, à structures judiciaires constantes, d'aller au-delà. Passer de 7 200 à environ 8 200 me paraît une évolution satisfaisante. Aller au-delà de ce chiffre serait, je crois, une erreur, par rapport à la mission du magistrat, qu'il soit magistrat du parquet ou magistrat du siège.

S'agissant des fonctionnaires et agents des services judiciaires, c'est plus de 3 500 postes sur cinq ans qui seront créés. S'agissant de l'administration pénitentiaire, il y en aura 3 740 et à la PJJ, il y en aura 1 250.

Je voudrais donner un exemple dans l'administration pénitentiaire : nous sommes actuellement sur un flux de recrutement, compte tenu des départs en retraite, de 2 000 personnes par an. Nous nous sommes mis en capacité à l'école de la pénitentiaire de suivre ce mouvement et effectivement, depuis le mois de septembre, nous voyons arriver dans les établissements pénitentiaires des personnels supplémentaires qui étaient très attendus par leurs collègues, dans la mesure où le travail, vous le savez bien, est extrêmement difficile dans les prisons.

S'agissant des greffes, je crois qu'on va arriver aussi, progressivement, à une situation plus satisfaisante en terme de vacances d'emplois. Je pense que comme pour les magistrats, fin d'année 2003-début d'année 2004, sur les postes budgétaires préexistants, nous serons, je dirai, au complet. Alors bien sûr, comme nous allons créer des postes budgétaires, nous allons recréer une certaine forme de vacance apparente, mais dans un contexte qui sera évidemment plus confortable.

Je voudrais également évoquer un sujet dont un journal du soir s'est fait aujourd'hui l'écho : c'est celui du système indemnitaire. Parallèlement à l'augmentation des effectifs, j'ai effectivement mis en oeuvre une revalorisation des régimes indemnitaires. Je souhaite que les magistrats judiciaires puissent bénéficier, le plus rapidement possible, d'un système indemnitaire comparable à celui des autres hauts fonctionnaires de l'Etat, et en particulier, comparable aux magistrats financiers et aux magistrats de l'ordre administratif. Nous allons donc continuer à augmenter le taux des primes au cours de l'année 2004, comme nous l'avons déjà fait au cours de l'année 2003 à hauteur de quatre points. Mais, c'est vrai, cette augmentation s'accompagnera, à partir du 1 er janvier 2004, comme cela existe déjà à la Cour de Cassation, ainsi que dans les juridictions administratives et financières, d'une certaine individualisation, mais seulement au-delà du taux de 37 %. Une discussion devra s'engager entre les chefs de cour, les chefs de juridiction et les intéressés sur cette modulation.

Autre rappel en terme de moyens, auquel j'attache une grande importance. Le 1 er septembre dernier, 15 nouveaux tribunaux pour enfants ont été créés sur l'ensemble du territoire national.

La création de ces juridictions, qui permettront de mieux traiter la délinquance des mineurs au niveau local, s'est accompagnée de la création de nouveaux postes de magistrats et fonctionnaires des services judiciaires. Je crois que c'est un souci souvent partagé par les parlementaires.

Je voudrais simplement, à l'occasion de ce rappel, dire mon souci, au cours des mois qui viennent, de progresser dans la réflexion et dans la réforme de notre système de justice des mineurs, de la protection judiciaire de la jeunesse, de l'organisation du travail entre l'Etat, les associations habilitées et les départements. J'ai le sentiment que notre système fonctionne mieux qu'on ne le dit souvent, mais qu'il doit cependant être résolument amélioré.

Je crois que la société française ne peut pas se permettre de rester dans la situation actuelle, en ce qui concerne la lutte contre la délinquance des mineurs et l'accompagnement des mineurs victimes. Sur ce dernier point, nous avons un gros effort à faire. Mais cet effort ne sera pas uniquement quantitatif. Certes il faut créer des postes d'éducateurs, augmenter un certain nombre de budgets, créer des établissements, mais je crois que nous avons surtout à débattre entre nous, -tous les partenaires et pas seulement les fonctionnaires de la PJJ-, afin d'améliorer notre dispositif. Je suis très préoccupé par le développement de cette délinquance des mineurs. Si nous n'y apportons pas une réponse de fond, nous allons avoir dans nos villes, sur nos territoires, de véritables bombes.

Moi, je suis vraiment très inquiet là-dessus. Bien sûr, je pense qu'il nous faut renforcer la répression, et j'ai fait adopter un certain nombre de dispositions dans ce sens, mais nous devons aussi nous doter de structures, d'une administration, de moyens d'action en matière de réinsertion, en matière d'accompagnement de ces jeunes, plus efficaces qu'ils ne le sont aujourd'hui. Je sais que les départements sont prêts à dialoguer avec nous, l'Etat, pour mieux organiser la collaboration qui existe déjà mais souvent sur des frontières mal définies, et qui varient d'ailleurs d'un département à l'autre.

Je crois que nous devons également réfléchir à la manière dont les métiers sont exercés, nous devons travailler sur la formation des éducateurs, sur la façon dont on les aide à faire leur travail. Lorsque je vais sur le terrain, je suis frappé par la bonne volonté de ces éducateurs, mais en même temps par un certain désarroi de leur part : ils ont le sentiment que nous ne prêtons pas attention à leur travail. Je crois qu'il nous appartient, à moi Ministre, mais peut-être aussi aux parlementaires, d'accorder plus d'importance à ces métiers et puis de les aider à orienter leur travail et à dialoguer avec les autres acteurs de la vie sociale.

Autre point que je voudrais évoquer -et ce n'est pas une pure question de moyens- ce sont les contrats d'objectifs. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'en parler au cours de la journée. Les chefs de juridiction qui sont ici ou les chefs de cour savent que c'est chez moi un peu un refrain. Il faut un peu d'opiniâtreté je crois.

Mon propos n'est pas de verrouiller quoi que ce soit ou d'enfermer les magistrats dans des contraintes artificielles. Mon propos c'est de pouvoir dire, année après année, au Parlement : vous nous avez donné des moyens, voilà ce qu'on en a fait. Çà me paraît normal.

Pour le budget 2004, vous le verrez demain, mais vous avez sans doute dû en entendre parler, le ministère dont j'ai la charge va bénéficier, malgré les contraintes financières, d'une hausse substantielle de ses moyens. Cela prouve que la priorité en faveur de la Justice est affirmée dans la durée, dans la continuité. C'est alors une obligation pour nous de rendre compte, non pas de justifier -parce que je crois que les Français sont favorables à cette augmentation et ils savent qu'elle se justifie parfaitement- mais d' expliquer ce que nous faisons des moyens que l'on nous a accordés. Je crois que les contrats d'objectifs, qui consistent à mettre à plat une situation à un moment donné et à affecter les moyens nécessaires pour atteindre les résultats que l'on cherche à atteindre, permettent effectivement de rendre compte. C'est d'ailleurs une démarche classique dans toute organisation.

Mais, bien sûr, il faut tenir compte de la spécificité du monde judiciaire. La justice, çà ne se met pas en critères quantitatifs. Il y a tout l'aspect qualitatif, sur lequel bien entendu un contrat d'objectifs n'a rien à dire -il faut que les choses soient claires, c'est l'indépendance du juge qui fait la décision-, mais sur le plan quantitatif, avec des critères suffisamment globalisés, je pense que nous pouvons avancer dans un souci d'efficacité.

Dernier point qu'il me paraît important de rappeler, c'est le bilan législatif de ces 18 derniers mois. Je l'ai fait au début de l'été et, je dois dire que je me suis étonné moi-même. Mais je sais que les amis sénateurs qui sont ici en ont un souvenir quasi physique ! Dans le domaine de la justice, en effet, nous avons en 18 mois mis au point ensemble et vous avez adopté définitivement : 12 textes, dont deux lois constitutionnelles, une loi organique et 4 propositions de loi.

Nous avons également devant nous un certain nombre de textes importants.

Vous avez évoqué, juste avant que je n'arrive, le texte criminalité organisée qui va être complété par des amendements parlementaires, en particulier sur le mandat d'arrêt européen et par un certain nombre de propositions que Jean-Luc Warsmann nous a faites au sujet des peines alternatives à l'incarcération et de l'amélioration du dispositif d'aménagement des peines. Il me paraît absolument nécessaire de nous pencher sur ces sujets, car la question de l'exécution des peines n'est tout de même pas à la gloire de notre système, puisque 30 % des peines globalement, d'après l'inspection générale des services, ne sont pas exécutées.

Nous aurons en outre, dans les mois qui viennent, j'espère le plus vite possible, le texte « divorce ». C'est un texte sur lequel nous avons, je crois, un assez large consensus, après un travail très approfondi qui a été mené par des magistrats, des avocats, un notaire et un certain nombre d'autres professionnels. Je sais qu'il est maintenant attendu parce que, comme il est normal, les professionnels du droit anticipent sur le nouveau texte. C'est pourquoi j'espère que nous pourrons l'inscrire au tout début de l'année 2004.

Enfin, il y a un texte sur lequel je travaille beaucoup et qui j'espère apportera des choses positives : c'est le texte relatif aux entreprises en difficulté. Nous devons nous doter d'un texte plus cohérent par rapport à l'économie d'aujourd'hui, permettant d'anticiper sur les difficultés économiques, permettant aussi de simplifier, en particulier les liquidations, pour gagner du temps afin que notre tissu économique puisse se régénérer plus rapidement. Au total, un texte permettant de sauver des emplois. Je crois que nous avons un projet qui, certes, a été amélioré depuis 1984 mais qu'il est nécessaire de remettre sur le métier. Un avant projet sera prêt d'ici quelques semaines et nous engagerons à ce moment-là une très large concertation pour, je l'espère, aboutir à un texte en Conseil des Ministres soit à la fin de l'année 2003, soit au tout début de l'année 2004. Un débat extrêmement important devra alors être organisé au Parlement, dans le premier semestre de 2004.

Voilà les quelques éléments que je voulais vous donner, en clôture à votre journée de travail.

Je voudrais une nouvelle fois remercier le Sénat d'avoir apporté sa contribution à l'ouverture de l'institution judiciaire sur l'extérieur, en organisant un mode de collaboration tout à fait original et intéressant, entre magistrats et parlementaires.

Je vous dis encore une fois ma disponibilité. Je crois que nous allons travailler à partir du 1 er octobre ensemble, jour et nuit, pendant un certain nombre de semaines.

Je souhaite, enfin, remercier chacun d'entre vous qui êtes ici, magistrats, avocats, parlementaires, de votre participation. (Applaudissements)

La séance est levée à 18 h 40 .

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