Les quatrièmes et cinquièmes rencontres sénatoriales de la justice



Colloques organisés par M. Christian Poncelet, président du Sénat - Palais du Luxembourg - 20 juin 2006 et 5 juillet 2007

Table ronde : La mise en oeuvre de la LOLF par l'institution judiciaire

M. Sylvain ATTAL .- Sans intermède, parce que nous avons pris déjà beaucoup de retard sur l'horaire prévu pour le démarrage de notre table ronde, j'appelle les participants à venir sur la tribune pour succéder aux témoins sénateurs :

M. Léonard Bernard de la Gâtinais, Directeur des Services judiciaires au Ministère de la justice ;

Mme Chantal Bussière, Présidente du Tribunal de grande instance de Valence ;

M. Pierre Delmas-Goyon, Premier Président de la Cour d'appel de Bastia

M. Frédéric Fèvre, Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Poitiers ;

M. Bernard Legras, Procureur général près la Cour d'appel de Colmar ;

M. Philippe Josse, Directeur du budget au Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, qui est attendu vers 11 h 15.

M. Roland du LUART .- Philippe Josse m'a courtoisement téléphoné hier pour me dire qu'il aurait du retard. Il était au Conseil d'orientation de la fonction publique ce matin et il nous rejoindra vers 11 h 15 car c'est avec lui que les sujets qui nous tiennent à coeur vont être débattus.

M. Sylvain ATTAL .- En quelques mots, je vais resituer le sujet qui nous occupe, même s'il a déjà été abordé par Roland du Luart et plusieurs intervenants de la première partie. Nous parlons donc de la mise en oeuvre de la LOLF dans l'institution judiciaire.

La LOLF est une véritable révolution, comme cela a été suffisamment dit. Elle va permettre une meilleure utilisation de l'argent public, responsabiliser les acteurs et permettre un véritable contrôle par le Parlement, avec l'aide de la Cour des comptes, de l'exécution des lois de finance.

Cependant, sa mise en oeuvre, comme tout le monde en a conscience, va être difficile. C'est en effet un changement ou une révolution copernicienne. Le préalable sera certainement une meilleure maîtrise des frais de justice qui devient impérative, comme l'indique le titre du rapport du Sénateur du Luart, qui est disponible auprès des services du Sénat et qui est consacré justement à cette question.

Des craintes ont été évoquées tout à l'heure. On peut se demander si la mission de la justice, qui est de fournir à n'importe quel citoyen l'exercice serein, rapide et efficace de la justice, ne va pas être entravée par de nouvelles préoccupations qui seraient celles de la maîtrise comptable, comme on en a parlé pour les dépenses de santé, puisque le parallèle a été fait par le Garde des Sceaux entre ces deux domaines. Allons-nous nous retrouver dans une préoccupation voisine ?

Je commencerai par donner la parole à M. Bernard de la Gâtinais sur la question de l'augmentation exponentielle 20 % par an des frais de justice. Le Garde des Sceaux a parlé tout à l'heure au passé en disant que cette augmentation était de 20 %. Cela veut-il dire que nous avons déjà commencé à diminuer l'augmentation ?

M. Léonard BERNARD de la GÂTINAIS .- M. le Garde des Sceaux a eu raison de parler au passé. Cela dit, ce passé n'est pas si éloigné et je voudrais revenir sur la sensibilisation des juridictions et de l'administration centrale sur les frais de justice. Pourquoi une telle sensibilisation ?

Lorsque la LOLF est arrivée, que l'on nous a parlé de globalisation de crédits et que les crédits en question devenaient putatifs, tout le monde a mesuré l'impact qu'aurait, sur le fonctionnement de l'ensemble de l'administration de la justice, la poursuite des augmentations qui atteignaient, bon an mal an, environ 20 %. Les chiffres étaient des plus inquiétants.

Pendant très longtemps, les frais de justice n'étaient pas une véritable difficulté du fait de leur aspect évaluatif. En effet, personne n'avait réalisé que, malgré tout, le ministère de la justice payait et que les budgets en augmentation qui étaient accordés à la justice, notamment au service judiciaire, étaient pour une part largement consommés en administration centrale cela ne se voyait pas dans les juridictions pour les frais de justice.

Il a donc fallu évidemment revenir sur l'ensemble de nos comportements, mais aussi sur les comportements d'un certain nombre de nos prestataires qui, pendant des années, comme l'a très bien dit le Garde des Sceaux, ont trouvé quelque intérêt à notre perception un peu lointaine de la tarification des frais de justice.

La première réaction a consisté, au niveau à la fois de l'administration centrale et des juridictions, à sensibiliser chacun des acteurs, notamment les magistrats, en les rassurant sur le fait que la maîtrise des frais de justice ne signifiait en rien la limitation de leur pouvoir de prescription, le magistrat étant attaché à sa liberté de prescription. Certes, lorsqu'on est dans une recherche de la vérité, celle-ci n'a pas de prix, mais cette recherche doit quand même se mesurer et tout le monde doit être conscient du coût. Après quelques réticences, cette prise de conscience s'est faite très rapidement, chacun ayant bien compris l'enjeu majeur qui y était lié.

Je pense donc que nous avons quelques raisons d'être optimistes et que le Garde des Sceaux a eu raison d'indiquer que nous semblions rentrer dans un cercle vertueux, dans la mesure où la dépense de 2006 sera vraisemblablement en baisse assez significative, même s'il est absolument impossible de la chiffrer aujourd'hui.

Auparavant, nous n'avions pas de véritables outils de mesure sur l'engagement. Nous les avons maintenant. De cette façon, nous saurons et nous verrons sur quelles lignes se fait l'évolution des frais de justice.

En ce qui concerne les crédits de paiement, vous avez indiqué, Monsieur le Président, que vous aviez été frappé par la complexité de la chaîne, que vous aviez constatée à la Cour d'appel de Paris, entre la régie, le SAR, le contrôleur et la trésorerie. Il est certain que cette chaîne est complexe, même si on la comprend tout de suite dès lors qu'on en décrit le schéma, mais elle est alourdie encore par les masses de mémoires de frais de justice qu'il a fallu traiter et auxquelles sont confrontées les régies et les SAR. Ces masses sont arrivées pratiquement en même temps, puisque la mise en oeuvre de la LOLF a entraîné la validation des budgets opérationnels de programme et que ces validations sont intervenues un peu tardivement alors que ce sont elles qui permettaient la délégation des crédits.

Par conséquent, entre la complexité du système et le fait qu'un certain nombre de mémoires s'étaient accumulés, nous avons abouti à un engorgement qui a ralenti le rythme des paiements, contrairement à ce que chacun souhaitait. Le Secrétaire général et moi-même veillons particulièrement à suivre cette ligne de dépenses, sachant qu'il convient qu'à la fin de l'année, les crédits de paiement qui nous ont été alloués sur les frais de justice soient évidemment dépensés. C'est essentiel.

J'ai parlé de la prise de conscience des magistrats et le Garde des Sceaux a parlé tout à l'heure de la mise en place des référents en frais de justice, c'est-à-dire d'une organisation administrative propre aux frais de justice qui s'est mise en place sur l'ensemble de la chaîne, mais il est vrai aussi que le Secrétariat général et la Direction des Services judiciaires sont intervenus pour négocier avec un certain nombre de prestataires de services pour qu'ils revoient leurs tarifs à une mesure plus raisonnable. Les chiffres qui ont été indiqués par le Garde des Sceaux montrent bien cette évolution.

(Arrivée de M. Philippe Josse.)

Je voudrais revenir sur les empreintes génétiques afin qu'il n'y ait pas de confusion. En effet, il y a deux sortes de recherche autour des empreintes génétiques.

D'une part, désormais, le signalement est associé, par le biais des empreintes génétiques, à l'auteur de l'infraction, le prélèvement devant être fait au niveau du commissariat. Nous sommes là dans une procédure d'identification systématique. D'autre part, parallèlement, la recherche de trace ou la comparaison doit être faite dans une démarche de recherche de la vérité. Il est certain que l'on doit comparer ce qui est comparable. Les tarifs ont notablement baissé dans tout ce qui a un caractère systématique, à savoir l'identification des personnes suspectes au niveau de la police judiciaire qui est désormais faite par empreinte génétique.

Concernant la téléphonie, les baisses sont également significatives. Cependant, comme les outils évoluent très vite, il faut poursuivre en permanence cette négociation afin que notre négociation tarifaire s'adapte aussi à l'évolution des technologies. En effet, il est certain que toute technologie neuve nous sera facturée au prix fort. A nous de ne pas nous laisser embarquer sur ces terrains qui pourraient devenir assez vite mouvants.

Voilà ce que je voulais dire, très rapidement, sur la maîtrise des frais de justice, qui est évidemment un enjeu majeur mais qui, dans l'esprit de la LOLF, par rapport à ses enjeux et à ce qu'elle doit être, est peut-être un peu derrière nous. En effet, la LOLF pose aussi d'autres problèmes, notamment en termes de gestion, de localisation des effectifs, de performances et d'indicateurs. La LOLF, c'est aussi cela et j'aurai même envie de dire que c'est avant tout cela.

Cependant, pour pouvoir construire autre chose ensuite, il fallait absolument que nous maîtrisions cet énorme facteur de dépenses qui ont atteint à un moment 500 millions d'euros, ce qui est une somme considérable. Nous sommes arrivés à une baisse notable et je répète que ce problème devrait être derrière nous. Il convient d'accompagner le mouvement, de rester vigilant et de ne pas laisser dériver tout cela, sans quoi rien ne serait possible sur les autres enjeux, mais la LOLF n'est pas que cela.

M. Sylvain ATTAL .- Merci. Je souhaite la bienvenue à M. Philippe Josse, Directeur du budget au Ministère de l'économie et des finances, et je vais lui passer la parole en lui demandant, puisque nous avons commencé à parler de la LOLF et que nous avons posé la problématique de cette révolution, de prendre un exemple précis, à la fois pour tous ceux qui sont ici et aussi tous ceux qui nous écoutent, nos débats étant retransmis.

La LOLF signifie-t-elle, par exemple, qu'un président de tribunal pourra être amené à choisir entre le chauffage du tribunal et une expertise judiciaire dans un dossier d'instruction ? Les choix vont-ils être aussi violents que cela et pourra-t-on aller jusqu'à cette extrémité ?

M. Philippe JOSSE .- Tout dépend de l'intérêt de l'expertise... (Rires, réactions diverses.) De manière générale, dans un contexte où l'argent public n'est pas illimité, il y a toujours des choix à faire, mais je vais y venir en déroulant le fil de mon intervention.

Je pense qu'un certain nombre de choses ont déjà été dites, mais je commencerai par un bref rappel de ce que sont les trois grandes lignes de force de la LOLF. En synthétisant les choses à l'extrême, la LOLF se résume en effet à trois éléments.

Le premier est une plus grande liberté pour les gestionnaires, puisque l'on est passé d'une unité de limitativité des crédits sur plus de 800 chapitres à 130 programmes qui sont beaucoup plus vastes.

Le deuxième, en contrepartie de cette plus grande liberté, est une obligation de rendre des comptes, ce qui passe par deux canaux : d'une part, une profonde rénovation des comptabilités de l'Etat, qui n'étaient certainement pas à la hauteur des masses financières en cause ; d'autre part, la soumission de l'ensemble des ordonnateurs de la dépense à l'obligation de rendre des comptes sur la performance de leur action afin que tout le monde puisse mesurer l'efficacité de l'argent public.

La troisième ligne de force de la LOLF est un accroissement des pouvoirs du Parlement sur presque tous les segments des finances publiques.

En synthèse, nous avons donc des gestionnaires plus libres, mais astreints à un contrôle d'efficacité et d'efficience, le tout sous le regard du Parlement.

Cette réforme n'est pas seulement une série de pétitions de principe. Elle est réellement en marche, même si elle se fait avec plus ou moins de rapidité et de bonheur selon les secteurs : on rencontre toujours des problèmes quand on remet tout à plat.

Pour prendre le seul exemple du contrôle parlementaire sur l'affaire qui nous réunit aujourd'hui et qui est celle des frais de justice, sachez que nous avons eu d'ores et déjà deux rapports d'information de la commission des finances : l'un qui a été commandé à la Cour des comptes et l'autre étant une audition très détaillée et très scrupuleuse de la Commission des finances et de la Commission des lois. Bref, c'est une dépense qui est sous le contrôle et le regard du Parlement, ce qui modifie bien évidemment la perspective de l'ensemble des acteurs du système, et les oblige à rendre des comptes et à agir de manière beaucoup plus volontariste.

Pour aller un peu plus avant dans le sujet du jour et commencer à esquisser une réponse à la question difficile qui m'a été posée, je commencerai par rappeler quelques éléments du contexte budgétaire, puis je vous dirai et je ferai sans aucun doute écho à l'intervention qui vient d'avoir lieu la confiance qui est la mienne dans la capacité des différents acteurs du système judiciaire de faire face à la question des frais de justice et de la maîtriser sans dégrader la qualité de la justice. Enfin, je conclurai par quelques mots sur la question très difficile de la performance appliquée à un secteur comme la justice.

Je commence donc par le contexte budgétaire en vous donnant quelques chiffres.

La mission de justice, dans son périmètre d'aujourd'hui, en neutralisant tous les facteurs de variation qui peuvent être compliqués, a représenté environ 5 milliards d'euros en 2002 et elle en a représenté 6 milliards dans la loi de finances 2006. L'arbitrage du PLF 2007, qui vient d'être rendu par le Premier ministre (il est désormais public et figure dans les documents du débat d'orientation budgétaire), sera de 6,3 milliards d'euros.

Entre 2002 et 2007, cela représente une augmentation de plus d'un quart des moyens de la mission de justice dans un contexte dans lequel la hausse des prix est très faible. C'est donc quasiment une augmentation de pouvoir d'achat à due concurrence.

Cette affaire n'est absolument pas neutre. Dans le contexte de la dette publique que l'on connaît et dans lequel les déficits publics diminuent mais restent fragiles (certes, nous sommes du bon côté du fameux seuil des 3 %, mais seulement à 2,9 %), je tiens à vous dire en tant que technicien de la chose budgétaire que cet effort des pouvoirs publics en faveur de la justice est extrêmement important.

Il suffit de considérer, pour 2007, le taux d'évolution des moyens, qui est d'environ 5 %, là où le budget de l'Etat dans son ensemble augmente seulement de 0,8 %, cette augmentation très faible étant essentiellement destinée à couvrir des dépenses fatales, si je puis dire (évolution de la dette, évolution des pensions des fonctionnaires qui partent en retraite, etc.). Par conséquent, le budget de la justice, avec une augmentation de plus de 5 %, est un secteur qui va pouvoir renforcer ses moyens dans le cadre de dépenses que nous qualifions de discrétionnaires dans notre jargon, par opposition aux dépenses que nous subissons entièrement comme les charges de la dette ou les pensions, et ce point mérite vraiment d'être noté.

Je m'en tiendrai là sur le contexte budgétaire, même si ce rappel méritait d'être fait, pour en venir à la question plus spécifique des frais de justice qui ont trois grandes caractéristiques.

Premièrement, c'est une masse de dépenses d'environ 420 millions d'euros. Cette somme correspond à l'exécution que nous avons pu constater en 2004 et elle a été supérieure en 2005 puisqu'elle a presque atteint alors 500 millions d'euros, mais il s'agissait d'une année atypique, une année de transition d'un système à un autre.

Deuxièmement, c'est une dépense en évolution extrêmement rapide, mais depuis peu. En effet, jusqu'en 2002, la dépense était relativement stable, c'est-à-dire qu'elle n'évoluait que d'environ 2 % par an et ne se singularisait pas au sein de l'ensemble des autres dépenses du budget de l'Etat. C'est à partir de 2003 que nous avons constaté une véritable explosion qui est à mon avis en train de s'achever, essentiellement sous l'incidence de deux paramètres : le recours aux interceptions téléphoniques et les expertises médicales, notamment génétiques.

Troisièmement, c'est une dépense qui était soumise, jusqu'au 1er janvier 2006, au régime dit des crédits évaluatifs, qui consiste, pour le gestionnaire, à ne pas être limité par l'enveloppe de crédits que lui alloue le législateur quand il vote la loi de finances. Cela veut dire clairement qu'il peut dépenser au-delà des crédits prévus et qu'on le constate en loi de règlement. Par conséquent, il n'y a pas de contrainte du vote du législateur.

Voilà ce que je peux dire pour vous brosser à grands traits l'objet dont je parle d'un point de vue budgétaire, d'autres étant infiniment plus compétents que moi pour vous en parler d'un point de vue technique et juridique.

Face à l'objet que je viens de caractériser, nous avons trois questions à nous poser :

Est-il légitime d'avoir basculé d'un régime de crédits évaluatifs à un régime de crédits limitatifs ?

Est-il possible de maîtriser cette dépense ?

Les crédits sont-ils en adéquation avec la dépense ?

Première question : est-il légitime d'avoir basculé d'un régime de crédits évaluatifs à un régime de crédits limitatifs ? Vous imaginez bien que la réponse du Directeur du budget sera positive, mais je pense qu'au fond, cette affaire qui avait fait largement débat au sein de l'institution judiciaire il y a quelques années est maintenant très largement admise.

J'ajouterai simplement deux points pour vous montrer qu'il n'était pas possible, dès lors que nous rénovions notre constitution budgétaire, de conserver ce régime de crédits évaluatifs.

Le premier, c'est que la dépense de frais de justice n'est pas une dépense ordinaire. Les dépenses qui contribuent à la manifestation de la vérité judiciaire ne sont pas banales. Cela dit, d'autres dépenses qui, au sein du budget de l'Etat, sont tout sauf banales sont soumises de longue date au régime des crédits limitatifs. C'est le cas des crédits destinés à faire face aux crises sanitaires, avec tout ce que cela peut entraîner pour la population.

C'est également le cas des crédits des forces de sécurité, qui sont, en quelque sorte, en amont du système judiciaire et sans lesquels il n'est pas possible non plus d'avoir une manifestation de la vérité des libertés judiciaires.

C'est encore le cas des crédits d'investissement routiers. Il fut un temps mais on le voit encore actuellement de façon implicite où, pour le choix des investissements routiers, on faisait valoir ce qu'on appelait « le prix de la vie », c'est-à-dire que, parmi les critères pour choisir ces investissements, on intégrait leur incidence bénéfique en termes de sécurité routière. Par conséquent, dans un univers où les crédits ne sont pas illimités et dans un contexte de ressources rares qui est celui du monde dans lequel nous vivons, il y a un prix de la vie pour les investissements routiers, et ils sont néanmoins soumis au régime des crédits limitatifs.

Voilà quelques exemples qui vous montrent que beaucoup de dépenses sont extrêmement sensibles dans le budget de l'Etat. Les frais de justice en font partie et ils sont très emblématiques, mais il y en a d'autres.

J'en viens au deuxième argument qui me permet de justifier qu'il est tout à logique de transformer les frais de justice en crédits limitatifs dans le cadre de la réforme budgétaire : s'il n'y a pas de crédits limitatifs, l'autorisation parlementaire n'a pas de sens si elle ne contraint à rien et donc n'autorise rien.

Cela m'amène à répondre positivement et de façon certaine à la première question : oui, il est légitime de basculer en crédits limitatifs.

Dès lors que nous sommes en crédits limitatifs, encore faut-il, pour que cela ait un sens, que nous puissions maîtriser la dépense et lui appliquer la démarche de performance et d'efficience. C'est la deuxième question que je pose.

Le Directeur des Services judiciaires a commencé à y répondre et je suis beaucoup moins compétent que les autres orateurs de la tribune pour en parler techniquement, mais je tiens néanmoins à exprimer un message de confiance en rejoignant la conclusion de l'orateur précédent.

Premièrement, cette question a été prise à bras le corps par le Ministère de la justice, c'est-à-dire à la fois par le Secrétaire général, le responsable de programme et le Directeur des Services judiciaires. Un effort a véritablement été fait pour connaître la dépense et identifier les voies et moyens de sa maîtrise.

Deuxièmement, l'outil de mesure est profondément réformé : on ne contrôle bien que ce que l'on mesure exactement. C'est tout le sens de la comptabilité. Le ministère de la justice se dote ainsi d'un outil qui permet de connaître et de tracer la dépense afin de savoir qui l'a ordonnée, en quoi elle consiste et comment elle évolue. Il s'agit donc bien d'un outil de connaissance.

Troisièmement, il est apparu que, dans le domaine des frais de justice, il était possible de faire des économies sans dégrader la qualité du service public, c'est-à-dire, pour moins d'argent, d'avoir la même quantité de prestations fournies, en agissant à la fois sur les volumes et sur les coûts.

Sur les coûts, quatre possibilités d'action apparaissent : la massification, la mise en concurrence, la négociation et la réforme. Je vous en donne quelques exemples.

La massification et la mise en concurrence s'appliquent très bien aux analyses génétiques. On a constaté ainsi que, pour les prélèvements destinés à alimenter le fichier des empreintes génétiques, un prélèvement d'empreinte qui, au départ, coûtait 300 euros l'unité, était passé à moins de 80 euros, et nous avons conduit un audit de modernisation qui démontre que l'on peut arriver à 60 euros, tout simplement par la mise en concurrence des laboratoires et la globalisation des commandes qui leur sont faites.

Sur la négociation, le point a déjà été évoqué : c'est toute l'affaire des écoutes téléphoniques pour lesquelles des baisses de tarif de 40 % ont pu être obtenues de certains opérateurs. D'autres le contestent et les juridictions diront ce qu'il en est, mais c'est en tout cas une action qui apparaît possible aujourd'hui.

Il reste la possibilité d'action qui passe par la réforme. Par exemple, toujours en ce qui concerne les écoutes téléphoniques, jusqu'à présent, lorsqu'il y a prescription d'une interception téléphonique, il n'y a qu'une facture pour une écoute qui est adressée à chaque magistrat ordonnateur de l'écoute. Autant dire que cela coûte et que c'est facturé à l'institution judiciaire. Il semble possible de passer à la facturation détaillée qui consiste, à l'image de nos factures téléphoniques ordinaires, à avoir sur un seul relevé l'identification des différentes interceptions qui ont été effectuées. Je sais que le ministère de la justice y travaille et qu'un jour où l'autre, nous y arriverons. Voilà encore un exemple de facteur de minoration des dépenses.

Il est donc possible d'agir sur les coûts sans diminuer la qualité du service public.

On peut également agir sur les volumes. Les expériences qui ont été conduites en 2005 sur l'introduction de la LOLF ont montré ainsi qu'il y avait une diminution des volumes prescrits sans que les magistrats qui ont participé à ces expériences aient eu l'impression de dégrader la qualité du service public de la justice.

J'en viens à la dernière question concernant les frais de justice : les crédits sont-ils au rendez-vous ? En effet, il est bon de pouvoir agir sur la dépense, de la maîtriser et de la faire baisser, mais si l'adéquation est trop grande entre cette dépense, même maîtrisée, et les moyens qu'alloue la loi de finances, il y a un risque de déport sur d'autres aspects du financement du service public de la justice.

A ce point de vue, il y a eu ce que nous appelons, dans notre jargon, un effort de « rebasage » assez continuel : en 2006, nous en sommes à 370 millions d'euros inscrits au budget avec, en plus, l'assurance qu'a donnée le gouvernement de débloquer 50 millions d'euros supplémentaires si jamais cela ne suffisait pas, soit 420 millions d'euros en tout, et ces 50 millions d'assurance devraient être consolidés en 2007.

Après l'année atypique qu'a été 2005, pendant laquelle le changement de régime a conduit les gestionnaires, de manière tout à fait légitime, à apurer les factures, nous avons, dans le PLF 2007, un montant de crédits qui équilibrent la dépense de frais de justice lors de la dernière année normale d'exécution sous le régime des crédits évaluatifs, et ce avant la prise en compte de toutes les réformes dont je parlais et qui peuvent diminuer les coûts.

Je résumerai cette question des frais de justice en vous disant qu'à mon avis, comme cela a été dit, cette affaire est un peu derrière nous, même si cela s'est fait au prix des efforts de l'ensemble des acteurs du système.

Pour conclure, j'évoquerai en un mot la démarche de performance, plus globalement, au Ministère de la justice. J'espère avoir démontré qu'il était légitime d'appliquer cette démarche de performance à la question spécifique des frais de justice. Je vous rappelle que l'indicateur de performance retenu dans le projet annuel de performance de la justice est un indicateur qui rapporte la dépense de frais de justice au nombre total d'affaires et qu'il s'intitule donc « dépenses moyennes de frais de justice par affaire faisant l'objet d'une réponse pénale », l'idée étant que cet indicateur n'a pas vocation à augmenter de manière illimitée et qu'au contraire, il peut même baisser s'il a une bonne maîtrise de cette dépense avec tous les leviers que j'ai indiqués tout à l'heure.

De manière plus générale, nous avons trois catégories d'indicateurs dans les budgets que vote actuellement le Parlement.

Les premiers sont des indicateurs d'efficience, qui répondent à la question de savoir si on gère avec une économie de moyens, ce qui est typiquement l'hypothèse de cet indicateur sur les frais de justice.

Les deuxièmes sont des indicateurs de qualité de service, qui servent à vérifier si nous apportons des prestations de bonne qualité aux citoyens.

Les troisièmes sont ceux que, dans notre jargon, nous appelons « indicateurs d'efficacité socio-économique », qui consistent à se demander si nos politiques publiques répondent aux objectifs que nous leur assignons.

Dans ces trois séries d'indicateurs, la justice est surtout concernée par les indicateurs d'efficience et par les indicateurs de qualité de service. Quand on examine les indicateurs du programme de justice judiciaire, on constate que beaucoup de choses tournent autour de l'idée de rendre une justice de qualité dans des délais raisonnables. C'est le principal objectif qui est assigné au service public de la justice.

Evidemment, les délais se mesurent de manière très scientifique, de même que les coûts, comme nous venons d'en parler abondamment, mais il est vrai que la qualité se mesure beaucoup plus difficilement. Cela dit, si la LOLF peut beaucoup (je pense très profondément que cet outil va nous permettre d'améliorer le service public que nous rendons aux Français), elle ne peut pas tout. Elle ne peut pas empêcher l'erreur judiciaire, par exemple. Il n'empêche que, lorsqu'on gère avec efficience, on a en fait, à même effort demandé au contribuable, plus de moyens et donc probablement la possibilité de rendre une justice plus sereine.

Pour terminer, je tiens à donner deux exemples de réformes possibles, sans savoir si elles sont opportunes. De toute façon, ce n'est pas à moi de le dire puisque ce sont des affaires dont la mise en oeuvre relève du Ministère de la justice et du législateur.

Le premier est la visioconférence. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, et ce n'est pas moi qui suis qualifié pour le dire, mais, si elle était développée, comme un audit nous le montre, cela permettrait d'économiser 2 000 emplois dans les forces de sécurité qui sont actuellement affectées à la surveillance des transfèrements. Voilà un exemple de réforme structurelle qui peut permettre, si cela apparaît opportun, de faire mieux avec moins de moyens.

Le deuxième a été observé à Singapour récemment et ce serait un moyen d'améliorer la qualité de service. Dans les instances judiciaires ordinaires, notamment les divorces, lorsqu'on est convoqué, on peut attendre toute la journée avant de passer. Je ne l'ai pas expérimenté car je n'ai pas eu la malchance de divorcer, mais j'ai lu qu'à Singapour, il existait un système de convocation par SMS, une demi-heure avant, des personnes intéressées par une affaire. Cela leur permet de ne pas perdre leur journée de travail et d'arriver seulement une demi-heure avant et non pas plusieurs heures à l'avance... (Réactions diverses.)

Ce sont deux exemples de gestion par la performance et la qualité de service qui peuvent être intéressants. Je souhaitais vous les livrer à titre anecdotique pour conclure mes propos.

M. Sylvain ATTAL .- Merci d'avoir été concret. Je donne la parole à Roland du Luart qui souhaite réagir à vos propos, et je la passerai ensuite aux magistrats qui sont à cette tribune.

M. Roland du LUART .- Je tiens à remercier Philippe Josse de son intervention et de la précision de ses propos, ainsi que M. de la Gâtinais qui est intervenu juste avant lui.

Vous m'excuserez d'être encore le vilain petit canard qui reste dubitatif. Il est vrai que les magistrats ont pris conscience d'une culture de gestion à 99 % et que nous allons vers une meilleure maîtrise des frais de justice, comme vous l'avez tous démontré, mais il ne faut quand même pas oublier les arriérés : nous traînons un passif très important dans le domaine des frais d'expertise.

L'année 2006 est une année charnière, mais je ne suis pas sûr que nous réussissions pour autant à gommer tous les arriérés. Je voudrais donc dire au Directeur du budget, qui a le mérite exceptionnel d'avoir été un ancien haut fonctionnaire du Sénat nous nous connaissons donc depuis longtemps , que je suis personnellement très gêné par un problème de blocage des paiements, notamment au niveau des SAR, entre les régies, le contrôleur, etc. Sur ce point, Monsieur le Directeur, je vous demande instamment de faire en sorte qu'entre le Ministère de la justice et vos services, nous puissions supprimer un contrôle pour simplifier les choses. Les fonctionnaires chargés des règlements disent qu'ils ne peuvent pas passer outre un contrôle car ils sont responsables, notamment pécuniairement. Nous sommes donc dans une situation de blocage et, aujourd'hui, nous sommes en sous-consommation des frais de justice.

Comme tout le monde l'a dit, la mise en concurrence des opérateurs téléphoniques et des laboratoires va dans le bon sens, mais il faut absolument arriver à gommer l'arriéré (comme cette donnée m'a été remontée à plusieurs reprises, je ne suis pas sûr que certaines juridictions connaissent la totalité de leurs arriérés) et, en même temps, faire tout ce qui est possible pour accélérer les paiements.

Enfin, en profitant de votre présence précieuse, monsieur Josse, je tiens à vous poser une question. Je vous rappelle que la LOLF a induit des transferts de compétences et que les juridictions ont aujourd'hui la compétence de l'ordonnancement secondaire de leurs dépenses alors que cela relevait autrefois des préfectures. Il m'est remonté de façon certaine que cela correspond à 200 équivalents temps plein. J'estime donc que ces 200 équivalents temps plein du Ministère de l'intérieur, pour un coût nul, pourraient être transférés au Ministère de la justice pour rendre les SAR plus opérationnels. Cela ne coûterait pas un sou de plus et, en tant que responsable de la Commission des finances, je veille au grain sur ce point.

Je pense que ce serait très important, car ces fonctionnaires très respectables que nous avons dans les départements je vous le dis en tant que président de conseil général n'ont plus grand-chose à faire et viennent donc faire des contrôles tatillons sur ce que font les présidents de conseils généraux... (Rires.) Vous trouverez peut-être cela positif, mais je pense que cela revient à perdre son temps. Lorsqu'on n'a plus les fonctions pour lesquelles on est affecté, on doit trouver quelque chose à faire. C'est ainsi que nous sommes contrôlés par la juridiction administrative alors que nous n'avons pas besoin d'un double contrôle en plus du contrôle tatillon des préfectures. C'est une demande qui remonte de l'ensemble des présidents de conseils généraux depuis que ces 200 équivalents temps plein ne sont pas utilisés comme il était prévu qu'ils le soient.

Je n'en dis pas plus, mais je pense qu'il y a quelque chose à faire.

M. Léonard BERNARD de la GÂTINAIS .- Il est vrai que les services administratifs régionaux, sous l'autorité des chefs de cour, ont fait des efforts absolument considérables pour essayer de tenir dans l'élaboration des budgets opérationnels de programme et dans tout ce qui leur est demandé en matière de frais de justice et de traitement de ces mémoires. Par conséquent, si quelques signes pouvaient leur être donnés quant à la réalité de la transformation de l'Etat et s'ils pouvaient se dire que ce qui profite à l'un peut revenir à celui qui en a ensuite la charge, cela pourrait constituer un signe fort et avoir sans doute une audience un peu plus large.

M. Sylvain ATTAL .- Vous avez parlé des chefs de cour. Nous allons entendre tout de suite M. Delmas-Goyon qui, je le rappelle, est Premier Président de la Cour d'appel de Bastia.

M. Pierre DELMAS-GOYON .- Avant de vous faire part des réflexions que m'inspirent les riches débats de ce matin, je tiens à remercier le Sénat de prendre l'initiative de ces rencontres et de faire l'effort d'aller voir, sur le terrain même, la réalité de l'institution judiciaire. Cet effort, pour nous, n'a pas de prix (si vous me permettez d'utiliser cette formule dans un débat consacré pourtant à la maîtrise des coûts) alors que nous sommes touchés de plein fouet, précisément, par le fait que nous sommes entrés dans une société de l'émotion. En effet, on ne peut qu'être ému face à des événements qui se produisent et nous savons que l'émotion est contingente : elle peut aller dans un sens ou dans un autre.

Par conséquent, si certains des sénateurs ont pu exprimer le traumatisme qu'ils ont ressenti lorsqu'ils sont arrivés, dans une période troublée, dans les juridictions dans lesquelles ils se sont rendus, peut-être y a-t-il là, précisément, un signe important. En effet, mesurer notre efficacité, pour répondre aux attentes, quand on se situe sur le registre de l'émotion, est un séisme culturel majeur pour nous, car la justice se situe dans l'ordre du rationnel, et non pas dans celui de l'émotif, et elle s'est construite là-dessus.

Certes, tout peut évoluer et nous n'avons pas la prétention d'être les gardiens du temple dans ce domaine, mais il est certain que nous ne pouvons pas nous adapter à des attentes aussi contraires à nos constructions sans qu'il en résulte quelque désarroi pour les acteurs qui s'y trouvent.

Nous comprenons fort bien que, sur le long terme, nous sommes sommés de nous adapter aux efforts qui sont faits pour comprendre ce qui fait le noeud de notre action, mais si, en revanche, on évite de nous demander de sombrer dans une chose qui nous fait perdre des repères utiles à tous, c'est une initiative à laquelle nous sommes tous heureux de participer. Vous aurez d'ailleurs tous pu remarquer que l'institution judiciaire a répondu pleinement au désir de renseigner les gens qui viennent en son sein.

Il est vrai que l'on peut être optimiste et vous verrez que mon propos est dans la même ligne lorsque l'on constate la manière dont la LOLF s'est adaptée aux problèmes spécifiques des frais de justice. Certes, la maîtrise des coûts reste à faire, et je partage l'inquiétude du Président du Luart sur la capacité, avec le budget actuel, de faire face à la totalité des besoins en année pleine. Le problème que pose la possibilité de dépenser les crédits est une autre affaire, mais la capacité de répondre aux besoins en année pleine avec la dotation est évidemment un problème que nous n'avons pas résolu.

La réalité de la complexité vient du circuit de la dépense, qui n'est pas simple, et qui est non seulement induit par la LOLF proprement dite, mais aussi par les réformes successives du code des marchés publics qui imposent des modalités de contrôle de l'engagement de la dépense par les nouveaux ordonnateurs secondaires que nous sommes, sachant qu'en plus, nous serons étudiés dans notre capacité de faire face à nos nouvelles responsabilités. A cet égard, nous est-il possible, par souci d'efficacité, de simplifier le circuit de la dépense au point de courir après le risque de déléguer, dans des conditions qui ne seraient pas correctes, les signatures d'un ordonnateur secondaire ? Il ne me paraît pas inutile de poser la question.

Cela étant dit, je rejoins un problème sur lequel je souhaite revenir en dernier lieu : celui que nous pose la compatibilité de l'architecture de la LOLF, qui est fondée sur l'existence de responsables de budgets opérationnels de programme, avec une architecture judiciaire, qui est fondée sur un émiettement de juridictions, celles-ci étant fondées sur la réalité de l'institution judiciaire :

· juridictions du premier degré indépendantes dans leur fonctionnement et leurs prises de décisions ;

· échelon de la cour d'appel, celui de la juridiction d'appel, qui se doit maintenant, pour M. le Directeur du budget, être le seul organe qui compte dans la déconcentration, car on ne peut évidemment pas descendre en dessous de ce niveau qui est celui de l'ordonnateur.

Pour nous, c'est un problème majeur. En effet, comment concilier cette réalité avec la nécessité de promouvoir le dynamisme des juridictions du premier degré ? Il ne faut pas oublier que 80 % des affaires se règlent à ce niveau, qu'elles constituent la majeure partie du lien avec le justiciable, et que la prise en charge se fait à ce niveau. Il est très difficile, pour nous, de donner le sentiment d'approuver un système dans lequel la cour d'appel, échelon de gestion, devient le seul organe qui compte, sans quoi on risque d'avoir une démobilisation des juridictions du premier degré, ce qui posera un problème institutionnel majeur.

C'est un enjeu à long terme qui n'est pas du tout résolu, et qui va nous amener très probablement à travailler de manière progressive à un enjeu qui, pour nous, est extrêmement important dans ce domaine : celui de l'impossible réforme de la carte judiciaire. A cet égard, je ne partage pas l'enthousiasme dont nous a fait part tout à l'heure le sénateur Michel pour les petites juridictions. Je ne conteste pas que l'on puisse y rendre une justice de qualité parce qu'on est proche des décisions à prendre en matière de partenariat avec les partenaires les plus simples, mais on n'y arrive très souvent qu'au prix d'une surdotation de moyens de ces juridictions par rapport à d'autres qui, elles, ne peuvent pas se mettre au même niveau d'exigence.

Lorsque, dans des petits départements, les tribunaux de grande instance n'ont presque tous qu'une chambre, comment examine-t-on les réformes de la justice sur la collégialité de l'instruction ? Certes, on peut procéder à des délocalisations, mais n'est-ce pas aussi une réforme de la carte judiciaire qui ne dit pas son nom, au prix de contorsions qui ont leur coût en termes d'organisation ? Il ne sera pas très simple de demander à un avocat, au moment où on présente quelqu'un, de se déplacer dans un autre tribunal et de demander une escorte.

On parlait des forces de l'ordre : voilà ce qui va simplifier grandement les choses. On ne transportera tout de même pas la personne déférée par voie de visioconférence. Je crains que quelques véhicules soient encore nécessaires, de même que ceux qui les accompagnent, bien sûr.

Bref, j'ai le sentiment que nous sommes placés à long terme devant un défi majeur. Je ne dirai pas que c'est « de la faute de la LOLF ». Au contraire, je conçois fort bien que nous soyons amenés à nous engager dans cette démarche, mais je pense que nous aurons une réactivité de notre institution qui sera beaucoup moins favorable que celle que nous avons constatée dans la mise en oeuvre du dispositif sur les frais de justice.

On peut dire que la mise en oeuvre de la maîtrise des frais de justice n'est pas acquise mais que le dispositif, lui, est en place. On sait maintenant ce qu'il faut faire, l'architecture est là et l'institution est réactive. Je suis heureux que, pour une fois, l'institution judiciaire ait pu fournir la preuve de sa réactivité, parce que, je le sais, nous donnons toujours le sentiment que le juriste, et le magistrat en particulier, est le gardien d'une certaine manière de procéder et qu'il générerait une certaine pesanteur. Quelle erreur ! Au rythme où évoluent les lois, sachez que nous sommes d'une réactivité exceptionnelle !

Il suffit de penser à la procédure pénale, dont vous connaissez le rythme de réformes. Comment voulez-vous que nous ne soyons pas capables de nous adapter ? Il faut bien le dire : c'est la révolution permanente. Or nous pouvons le faire sur ce plan.

J'ajoute, pour dédouaner les parlementaires, que la procédure civile qui, comme nous le savons tous, est du domaine réglementaire, est en voie de suivre le même cheminement et que les réformes se succèdent à une vitesse accélérée, ce qui pose certainement des problèmes d'interprétation au moins égaux à ceux que nous pourrions trouver dans le cadre d'un débat parlementaire dans lequel la réflexion aurait pu ne pas être suffisante avant que le texte soit définitivement adopté.

Bref, notre réactivité existe, mais encore faut-il que nous soyons dans un contexte qui ne bouleverse pas notre efficacité. Nous avons effectivement des principes d'efficacité, de même que le Sénat, qui a nécessairement une manière de procéder. Les frais de justice ne nous ont pas pris à contre-pied et, à organisation constante, nous avons pu nous adapter.

Pour cela, il fallait un préalable : la garantie de la liberté de prescription du magistrat, pour employer un terme plus médical que juridique que nous comprenons tous et qui a été déjà employé ce matin. Autrement dit, il fallait s'abstenir de poser la question que vous avez posée : « Faut-il faire le choix entre le chauffage du tribunal et le financement d'une expertise ? » Si on fait cela, c'est terminé.

Or on a justement dit le contraire. Très vite, le Secrétariat général a rappelé, comme l'a dit M. le Directeur également, qu'il n'y avait pas d'ambiguïté : la liberté du magistrat prescripteur est entière. C'est au travers de cette garantie, qui a été précisée très rapidement, que nous avons pu éviter les interférences et le refus de certains d'entrer dans un système dont ils ont le sentiment qu'il va les priver de l'indépendance qui, indiscutablement, est une vertu cardinale de l'institution judiciaire. C'est ainsi que le processus a pu se mettre en route.

Les juges d'instruction ne sont jamais les derniers, loin de là, à signaler les difficultés qu'ils ont dans ce domaine, et à mettre leur pratique en commun, parce que tout cela est en ordre et que nous sommes en effet dans un dispositif dans lequel, loyalement, et peut-être efficacement, même s'il est trop tôt pour le dire, nous pouvons conserver l'espoir que l'institution se montre efficace dans ce registre.

Donnons-lui un peu de temps et ne soyons pas trop pressés de mesurer les résultats de 2006. En effet, si nous avons un taux de consommation des crédits qui est encore faible, nous savons que cela est dû à la difficulté de la mise en place de la dualité budgétaire dans ce domaine et à un retard de paiement qui fait que nous avons probablement, si nous ne voulons pas avoir une sous-consommation de crédits, du pain sur la planche.

Au titre des réflexions qui me venaient sur les enjeux, je vous ai dit qu'à court terme, nous avions le problème de la maîtrise des coûts et celui des frais de justice. A long terme, nous avons celui de l'architecture judiciaire, qui est à mon avis un problème majeur, et je pense que les chefs de juridiction du premier degré pourront nous dire, s'ils partagent mon souci, qu'ils se trouvent maintenant dans une situation parfois inconfortable dans cette mise en oeuvre.

Il reste le problème que je qualifierai de médian entre le court terme et le long terme, qui a été abordé par M. le Directeur du budget et qui a trait à la mesure de la performance et à la capacité, dans ce domaine, de nous doter des outils nécessaires.

Il serait caricatural de dire que la LOLF ne peut pas tenir compte de nos spécificités ou de la complexité de l'acte de juger. La LOLF n'a pas cet inconvénient majeur. Elle est simplement le reflet d'une approche gestionnaire. Dans une telle approche, on se préoccupe de ce que l'on mesure et ce que l'on ne mesure pas n'existe pas. Du moins, c'est ce que j'ai compris.

Si nous admettons qu'il faut mesurer pour que cela existe, il faudra, pour mesurer la performance, que nous mesurions deux choses que nous ne savons pas mesurer actuellement : la qualité du jugement prise au sens large (il s'agit ici de la décision judiciaire) et la charge de travail. Lorsque nous saurons mesurer la qualité de ces deux éléments, nous pourrons réellement nous engager dans un discours sur l'offre efficiente, puisque nous aurons vérifié quelle qualité nous obtenons.

Pour l'instant, nous ne savons pas mesurer la qualité du jugement. Peut-on considérer que la durée au terme de laquelle le jugement est obtenu est un indice de qualité ? On sait que le public trouve toujours que la justice est trop lente et souhaiterait qu'elle s'accélère. Je veux bien admettre que, pour le public, le fait de rendre un jugement plus vite serait le signe d'une meilleure qualité de la justice, mais, pour nous, la réduction des délais n'est pas un indicateur de qualité. En effet, il est facile de comprendre que, si nous avons mille affaires en stocks ou seulement cent, il suffit que le nombre diminue pour que le rythme du jugement s'accélère. Par conséquent, c'est beaucoup plus un indicateur quantitatif.

Je pourrai également citer les critères que l'on nous a donnés et que nous voyons apparaître à l'heure actuelle, notamment le taux de rectification des erreurs matérielles. Je vous citerai un exemple sans être du tout polémique : si un avocat vient au greffe de la juridiction pour dire que nous avons oublié, sur le chapeau du jugement, c'est-à-dire cette partie qui sort de manière informatique, de dire qu'il avait l'aide juridictionnelle (AJ) et que, de ce fait, il ne va pas pouvoir se faire payer ses frais d'AJ, la rectification va intervenir, bien entendu, mais par rapport à la construction que représente le jugement, la qualité d'écoute qui l'a précédé et le mûrissement de la décision, nous sommes dans un élément qui ne mesure pas grand-chose.

De même, le taux d'appel lui-même n'est pas un indicateur très pertinent. Certes, c'est un indicateur et il a ses vertus : si on constate une multiplication très importante du taux d'appels, ce sera naturellement un indicateur d'alerte, mais nous savons qu'en matière civile, l'appel est une loi d'achèvement en même temps qu'une loi de réformation, car les choses évoluent, et on voit donc apparaître des appels de jugement qui, en soi, ne méritent pas la critique. On constate aussi des jugements confirmés, alors qu'ils n'emportaient pas l'approbation totale et sans réserve des professionnels qui les ont examinés.

En matière pénale, nous savons tous que, lorsque quelqu'un fait appel, c'est parfois moins en fonction de l'idée qu'il a de la décision rendue que de l'appréciation que lui donne son avocat sur la jurisprudence de la chambre des appels correctionnels, ou de la chambre de l'instruction. Cela veut dire qu'en définitive, c'est le résultat escompté devant la cour qui risque de créer l'appel, plus que la décision de première instance elle-même.

Nous sommes donc dans des éléments, dont je ne dis pas qu'ils n'ont aucune valeur indicative ni qu'ils ne peuvent pas aider, mais qui ne sont pas en eux-mêmes des instruments de mesure. Nous ne connaissons pas encore cette qualité du jugement et nous ne savons pas encore vraiment la mesurer. Il faut admettre qu'il s'agit d'une chose très difficile et même redoutable. Je ne sais pas ce qu'en pense le Directeur des Services judiciaires, mais l'administration centrale doit éprouver une certaine prudence tout à fait légitime ce n'est pas une critique de ma part face à la décision de donner l'impulsion sur des critères de ce genre, sachant que tout peut être très polémique.

Le jugement lui-même procédant d'une recherche d'équilibre dans un débat contradictoire, il est extrêmement compliqué d'essayer de mesurer cet élément.

Nous payons peut-être je me permets de faire une critique de la LOLF dans ce domaine - le fait qu'elle procède d'une loi que les acteurs doivent maintenant s'approprier alors que, dans d'autres pays européens qui ont suivi la même voie, on a commencé par des expérimentations plus longues. On a travaillé à partir de réflexions de terrain sur ces indicateurs, puis les gens se les sont appropriés et y ont alors adhéré. Ensuite, il a été plus simple de parvenir à ce résultat. Je pense que nous n'arriverons pas à définir des indicateurs de la qualité du jugement s'il n'y a pas, sur le terrain, la possibilité de s'approprier ces éléments.

Il reste la charge de travail. Il est très difficile de mesurer la performance sans mesurer la charge de travail, mais mesurer la charge de travail n'est pas simple. Nous avons tous en mémoire un travail datant de quelques années qui avait été effectué par l'Ecole des Mines à ce sujet et qui consistait en une étude extrêmement fouillée, mais aussi très compliquée et très dévastatrice. En effet, j'ai tendance à penser que les évolutions du budget de la justice que vous nous avez retracées, Monsieur le Directeur du budget, étaient alors extrêmement modestes par rapport à ce qu'il aurait fallu pour entrer dans l'enveloppe. Peut-être fallait-il être plus pragmatique.

En ce sens, je me souviens d'avoir participé à un groupe de travail mené par l'Inspection générale des services judiciaires (les responsables de ce travail sont dans cette salle et je les salue volontiers au passage), qui avait pour but de vérifier si nous pouvions avoir une méthodologie de recherche très empirique, qui ne serait pas une construction intellectuelle abstraite, sur la mesure de la charge de travail. La démarche me paraissait assez bonne, puisqu'elle avait consisté à prendre une décision judiciaire et à essayer, sans se fonder sur une analyse intrinsèque de la décision, de voir ce que représentait la charge de travail des autres décisions judiciaires, selon l'appréciation des professionnels.

La norme peut être le jugement civil. On peut ainsi se demander ce que représente le jugement de droit de la famille ou le jugement pénal, par exemple, par rapport à un jugement civil. On peut ainsi décliner beaucoup de choses, et ce n'est pas une mesure abstraite. Ce serait simplement une sorte de consensus sur ce que représenteraient, par rapport au jugement civil auquel on attribuerait un coefficient 1, les autres actes de la vie judiciaire.

Cela ne nous mène peut-être pas très loin sur le plan des concepts, mais cela pourrait nous permettre d'avoir un outil de mesure à la fois pragmatique et utile, pour mesurer ce qui nous reste à mesurer.

Ainsi donc, je pense que, sur le problème de la maîtrise des coûts, nous n'aurons pas de difficultés d'adaptation de l'institution judiciaire, même s'il nous faudra du temps pour que l'efficacité soit réelle. Il a été dit que les premiers effets se faisaient déjà sentir et je pense que c'est exact.

Par ailleurs, il nous restera, dans un domaine qui n'est pas pour l'instant suffisamment mis en oeuvre, à mesurer les éléments de la performance.

Enfin, dans un troisième temps, sur le long terme, il faudra sans plus attendre s'assurer que l'architecture de la LOLF et celle de la justice soient davantage compatibles.

M. Sylvain ATTAL .- Merci. Je passe la parole à Bernard Legras, Procureur général près la Cour d'appel de Colmar, ce qui nous permettra de poursuivre sur l'aspect de la LOLF vue par un chef de cour.

M. Bernard LEGRAS .- Merci, Monsieur le Président, et merci au Sénat de donner la parole aujourd'hui aux magistrats de terrain. Je commencerai par un aveu en disant que je suis un fervent partisan, voire un militant, de la LOLF, ce qui provoque souvent, de la part de certains de mes collègues, des formes de prise à partie. En effet, je pense que la LOLF est d'abord un exceptionnel outil de transparence car elle permet de bien définir les responsabilités de chacun et de repositionner chacun sur son terrain de responsabilité.

Pour en revenir aux frais de justice, j'évoquerai les débuts de la réflexion. Lorsque nous avons ouvert ce dossier, il y a maintenant trois ans, j'ai participé à un certain nombre de groupes de travail au niveau national et nos interlocuteurs, en particulier ceux du budget, nous renvoyaient en permanence une idée reçue : les frais de justice, c'était la danseuse de la justice, l'irresponsabilité au pouvoir au Ministère de la justice, la gabegie !

J'ai lu avec beaucoup de plaisir l'analyse que M. le Sénateur du Luart a indiquée dans son rapport. Il cite en effet sans ambiguïté plusieurs causes à l'augmentation des frais de justice depuis un certain nombre d'années.

La principale est liée à une demande de plus en plus forte du corps social, relayée par les décideurs publics, et un besoin accru de justice. Parmi les objectifs que nous évoquions, il y a aujourd'hui, pour certains groupes, 80 % de taux de poursuite dans les parquets. Alors que, il y a quelques années encore, les procureurs utilisaient le classement sans suite, c'est-à-dire le pouvoir d'opportunité des poursuites, comme un moyen de gérer les contentieux, il faut aujourd'hui atteindre le taux de poursuite maximum et, naturellement, cela coûte cher.

Nous pouvons évoquer rapidement j'en parle parce que je suis confronté à ce problème actuellement , la montée en puissance sur le terrain judiciaire des victimes et de leurs associations, qui sont de plus en plus exigeantes avec cette nouvelle notion de procès exceptionnel. Désormais, pour des affaires sortant relativement de l'ordinaire, il faut l'admettre, il faut organiser des procès exceptionnels qui ont des coûts massifs là où, il y a encore quelques années, nous aurions jugé avec nos moyens. Mais ce qui est encore possible ou satisfaisant au quotidien pour les magistrats et les fonctionnaires, comme cela a été évoqué par les sénateurs revenant d'immersion, ne saurait être montré aux victimes et aux médias. D'où ces procès exceptionnels à répétition. Il faudra, à ce niveau également, définir une doctrine d'emploi : on ne peut pas continuer de cette manière car ces projets exceptionnels sont budgétivores.

J'évoquerai aussi avec prudence mais l'autocritique est intervenue dès ce matin la multiplication des lois budgétivores, sans étude d'impact réelle.

Enfin, M. le Sénateur, dans son rapport, évoque la cause qui était considérée à l'origine comme la seule : l'irresponsabilité des prescripteurs ou, plutôt, leur non-responsabilisation.

Dans le cadre des analyses que nous avons faites au cours de l'année d'expérimentation que nous avons connue dans la Cour d'appel de Colmar que j'ai l'honneur de codiriger avec le Premier Président ici présent, nous avons fait un gros travail en matière de responsabilisation des différents acteurs et prescripteurs, chacun oeuvrant dans le cadre de ses responsabilités : le Premier Président en direction des juges d'instruction et des magistrats du siège, le Procureur général en direction des services de police et de gendarmerie et des magistrats du parquet. Cette oeuvre était peut-être plus facile pour le ministère public que pour le siège, mais, globalement, la réponse a été excellente à Colmar.

Parmi ces causes sur fond d'irresponsabilité, nous avons dégagé principalement des tarifs aberrants de la part d'un certain nombre de fournisseurs. Comme les magistrats de terrain prescripteurs étaient en situation d'infériorité face à ces fournisseurs, il a fallu, dans le cadre de la bonne définition des responsabilités, que l'administration centrale monte au créneau sur cette question. C'est donc tout naturellement le ministère qui a engagé une action extrêmement volontariste sur ce terrain des frais de justice en matière de téléphonie et de génétique, et les résultats obtenus ont été très rapides. En effet, pour les analyses génétiques les plus simples, nous sommes passés dans notre cour de 160 à moins de 85 euros, ce qui veut dire que, sur une simple ouverture de dialogue, nous avons diminué de moitié le coût de chacune de ces expertises.

Il y avait aussi une vraie irresponsabilité, dans la mesure où nous étions sur crédits évaluatifs, les prescripteurs estimant qu'ils avaient, en quelque sorte, un droit de tirage et que cela ne leur coûtait rien. Les fonctionnaires de police et les gendarmes avaient tendance à faire tourner les écoutes téléphoniques pendant des mois et des mois (en se disant « on ne sait jamais, au cas où... »). On voyait également des modes se développer, en particulier en matière de génétique : on avait tendance à faire des prélèvements tous azimuts pour des affaires qui, objectivement, n'en valaient peut-être pas la peine.

On voyait aussi cela a été l'un des points essentiels sur lesquels nous avons travaillé un transfert sur frais de justice de charges de fonctionnement d'autres administrations. Les frais de justice étaient un peu la vache à lait, et les services de police et de gendarmerie avaient tendance à faire passer sur frais de justice, des frais de fonctionnement de leurs administrations. Je ne citerai pas ici un certain nombre de cas particulièrement éloquents, mais nous avons fait un énorme travail à ce niveau. Le message que nous avons fait passer, chacun à son niveau, le Premier Président et moi, a été très clair : on ne porte pas atteinte à la liberté de prescription du juge, car il faut en permanence se souvenir que le coeur de notre métier est le juridictionnel et la recherche de la vérité, mais indépendance ne doit pas rimer avec inconséquence, et liberté ne doit pas rimer avec responsabilité.

Ce message est très bien passé et nous avons obtenu, simplement sur cette nouvelle rigueur des prescripteurs, sur l'année d'expérimentation, c'est-à-dire sur l'exercice 2005, une baisse de l'augmentation des frais de justice. Alors que, comme ailleurs, nous étions sur une base de 20 % d'augmentation, nous somme passés au-dessous de 6 %, et je pense que les huit autres cours expérimentales ont obtenu sur ce point des résultats à peu près similaires.

J'en viens à la deuxième observation que je souhaite formuler. Hier, nous étions en réunion des procureurs généraux tout d'abord avec le Directeur des affaires criminelles, puis avec le Directeur des services judiciaires, et celui-ci aura pu noter comme moi que mes collègues ont exprimé un certain nombre de doutes face à la LOLF. En effet, cette année a commencé dans des conditions particulièrement difficiles. Quand on reprendra l'histoire de la LOLF, 2006 restera sans doute "l'année horrible" de la LOLF, l'année de démarrage.

Sur fond de sous-dotations budgétaires en matière de frais de justice et, surtout, en matière de masse salariale ou, peut-être, sur fond de doute sur la pertinence des dotations budgétaires, car le problème peut aussi se poser de cette manière, on constate en effet que chacun fonctionne sur la précaution : l'administration centrale constitue des réserves importantes de précaution non pas pour retenir le pouvoir, mais parce qu'elle n'a pas encore la certitude que les échelons inférieurs seront tout à fait capables de maîtriser les choses et, naturellement, les chefs de cour d'appel, eux-mêmes relativement inquiets, voire déresponsabilisés par ces sous-dotations, ont la tentation de constituer à leur tour des réserves de précaution. C'est un peu Kafka à la manoeuvre, et je ne vous parle pas des conséquences que cela peut avoir pour l'arrondissement judiciaire, c'est-à-dire le tribunal de grande instance.

Cela veut dire que, depuis le début de l'année, nous faisons en réalité de « l'anti LOLF », c'est-à-dire de la déresponsabilisation des gestionnaires de terrain qui, comme dans un passé déjà lointain, sont obligés de venir systématiquement, dans le cadre d'une forme de culture de dépendance, réclamer à l'administration centrale les budgets dont ils ont besoin.

Nous savons tous déjà que les dotations en matière de masse salariale seront insuffisantes pour nous permettre de terminer l'exercice. Bien évidemment, tous les magistrats et fonctionnaires seront payés jusqu'à la fin de l'année, mais cela passera par des dotations complémentaires et des abondements et je ne pense pas que nous soyons véritablement dans une logique LOLF.

Comme je veux être positif, je dirai que la LOLF existe et que nous l'avons rencontrée au cours de l'année d'expérimentation où nous avons été correctement dotés et où nous avons pu dégager des marges de manoeuvre, avec en particulier une fongibilité asymétrique positive qui nous a permis, en fin d'exercice, de rétribuer les magistrats et les fonctionnaires qui s'étaient lourdement investis dans l'expérimentation, rétribution non pas sous forme de primes, parce que n'était pas dans la culture de notre administration, mais sous forme d'amélioration des conditions matérielles de travail (amélioration des locaux, dotations en matériel, etc.). Je peux vous assurer que cette fongibilité est pour nous un levier essentiel de modernisation de l'institution judiciaire, et qu'en refusant aux chefs de cour toute marge de manoeuvre à ce niveau, on les prive de moyens importants de mobilisation de leur cour.

Je terminerai en disant quelques mots sur les autres sujets qui ont été abordés.

En ce qui concerne la performance, je suis d'accord avec ce qui a été dit par mon collègue Premier Président ainsi que par le Directeur des services judiciaires : aujourd'hui, il règne un consensus très clair chez les magistrats qui sont prêts bien évidemment à entrer dans cette logique de performance. Le problème est que notre activité, comme vous l'avez constaté, Messieurs les Sénateurs, est relativement spécifique. Je ne fais pas partie de ceux qui ont affirmé que le régalien n'est pas soluble dans la LOLF, car je pense que, pour une large part, le régalien aussi est soluble dans la LOLF. Nous avons donc un certain nombre de spécificités et nous constatons combien il est difficile de définir actuellement des indicateurs cohérents.

La plupart de nos collègues considèrent que les indicateurs qui nous sont proposés en matière de performances sont pour le moins artificiels et ne permettent pas d'aborder véritablement les problèmes de fond de la gestion. Nous sommes donc d'accord pour dire que, cette année, les indicateurs qui nous sont proposés ne seront pas suffisants, à l'évidence, pour alimenter le dialogue de gestion que nous devons avoir avec les arrondissements judiciaires et avec l'administration centrale.

Il nous faut des indicateurs. Cela passe d'abord par la mise à jour de nos outils informatiques en matière de statistiques, car un gros travail reste à faire à ce niveau, et par l'ouverture d'un dialogue plus ample avec les ressorts pour définir d'une manière consensuelle des indicateurs qui pourront alors être soumis et discutés avec les dispensateurs de crédits.

Parmi les orientations de modernisation qui ont été évoquées par M. le Directeur du budget, figurait le recours à la visioconférence. Celle-ci entre dans les moeurs et nous la pratiquons de plus en plus souvent ; la plupart des juridictions en seront équipées à la fin de l'année et nous travaillons beaucoup avec ce nouvel outil.

Il en est de même pour la dématérialisation. L'exemple de Singapour a beaucoup frappé un certain nombre de décideurs, y compris de ministres. Le secrétariat général a lancé sur ce point un chantier important avec la création de trois groupes de travail : l'un sur la dématérialisation des procédures civiles, l'autre sur la dématérialisation des procédures pénales et le troisième sur la dématérialisation de la gestion. Des chefs de cour ont été sollicités pour présider des groupes de travail et les expérimentations, en particulier pour le pénal, vont commencer dès le mois de septembre 2006 après élaboration d'une doctrine d'emploi.

Je ne pourrai pas terminer, Mme la Sénatrice étant présente, sans pousser un petit « cocorico » alsacien mosellan en ce qui concerne la fluidité des circuits de paiements et les difficultés qui ont été évoquées. L'Alsace Moselle, parmi ses spécificités, connaît l'absence des régies. Or nous avons constaté, en nous comparant aux autres, que cette absence de régie était plutôt un atout. Vous avez permis, en centralisant et en rationalisant la gestion au niveau des SAR, de faire sauter l'un des premiers verrous.

En même temps, cette absence de régie nous met, à travers le SAR, en dialogue direct et permanent avec le trésorier payeur général compétent. Cela nous a permis d'avoir avec lui des échanges "relativement virils". Dans le cadre de ce nouveau fonctionnement, le trésorier payeur général voulait en effet s'attribuer une forme de contrôle d'opportunité des frais de justice et, en particulier, il s'est immiscé pour évaluer la pertinence de certaines réquisitions. Grâce à l'aide de l'administration centrale, nous avons pu remettre les choses au clair et lui rappeler quelles étaient les limites de ce contrôle, mais il n'en reste pas moins et je serai également très prudent parce qu'il y a un gros débat interne au Ministère de la justice sur ce sujet qu'il nous manque un outil de contrôle. Dans la mesure où les ordonnances de taxes sont considérées comme des ordonnances juridictionnelles, les certifications faites par les greffiers sont assimilées à des ordonnances de taxes, si bien que, lorsqu'un magistrat taxe ou lorsqu'un greffier certifie, les ordonnateurs se trouvent devant une décision juridictionnelle et ne peuvent pas la contester en l'état. Le seul circuit de contestation passe par le trésorier payeur général et il faut donc que les ordonnateurs secondaires, inquiets face à une taxation, contactent le trésorier payeur général pour lui demander de saisir le procureur de la République territorialement compétent, de telle sorte que celui-ci saisisse la chambre de l'instruction qui pourra alors se prononcer sur la pertinence de cette taxe.

En tant qu'ordonnateurs secondaires, il nous apparaît qu'il faudrait effectivement réfléchir à la création d'un outil de contrôle à notre niveau. Il y avait deux hypothèses à cet égard : la première consistait à supprimer le caractère juridictionnel de l'ordonnance de taxe, mais nous sommes partis dans un débat théologique et je pense qu'il vaut mieux faire marche arrière sur ce point ; la deuxième solution consistait à donner aux ordonnateurs secondaires un droit de recours contre les ordonnances de taxes qui paraîtraient contestables à un niveau ou à un autre, auquel cas la chambre d'instruction pourrait statuer sur cette décision juridictionnelle.

Nous en sommes aux balbutiements et la réflexion est ouverte, mais je pense qu'il y a un vrai problème à ce niveau.

M. Sylvain ATTAL .- Comme la salle commence à s'impatienter car il y a des désirs de prises de parole, je vais demander à nos deux derniers intervenants, même si cela leur coûte un effort, d'intervenir de façon assez brève, de l'ordre de cinq minutes chacun, sachant que les questions qui seront posées leur permettront de répondre et d'intervenir à nouveau.

Je passe la parole à Mme Chantal Bussière, Présidente du Tribunal de grande instance de Valence, qui va nous dire ce que la LOLF a changé dans son expérience quotidienne de chef de juridiction.

Mme Chantal BUSSIERE .- Je vous remercie de me donner la parole, même si, pour un président de tribunal de grande instance, il n'est pas facile d'intervenir dans un débat sur la LOLF, notamment après le Directeur des services judiciaires, un procureur général et un premier président puisque, bien évidemment, la LOLF fait aujourd'hui des chefs de cour les acteurs centraux de la nouvelle architecture budgétaire au niveau central et de la cour d'appel l'échelon pertinent de cette très importante réforme.

Est-ce à dire pour autant que les tribunaux de grande instance ont perdu toute leur autonomie ? Bien évidemment, je ne le pense pas. Je crois tout au contraire que la LOLF est l'occasion de voir émerger une nouvelle forme d'animation budgétaire, ce que la circulaire budgétaire appelle un dialogue constructif à faire émerger au niveau local.

Bien sûr, c'est une réforme très importante qui a changé beaucoup de nos habitudes et notre culture et tout ne va pas être parfait du jour au lendemain, mais c'est à nous, acteurs de terrain, de faire vivre ces nouvelles formes d'animation budgétaire. Nous sommes en ce moment en pleine préparation de nos demandes budgétaires pour l'année 2007 et donc en pleine réunion de nos assemblées générales (commission permanente, commission restreinte, conférence budgétaire), et nous voyons déjà que nous n'abordons plus du tout les choses comme nous le faisions par le passé puisque, à l'évidence, le débat dans lequel nous étions enfermés autrefois s'est considérablement élargi, notamment en ce qui concerne tout ce volet de la performance. Nous devons maintenant nous engager sur des objectifs sous-tendus par des indicateurs qui, au final, sont extrêmement importants, puisque c'est de tout cela que dépendront les moyens qui nous seront alloués.

En réalité, nos collègues sont extrêmement sensibilisés à cette problématique et je vais évoquer deux indicateurs à ce sujet.

Le premier est celui de la charge de travail par magistrat, aussi bien en matière civile qu'en matière pénale. Pour l'instant, même si nous avons beaucoup évolué sur ce thème depuis un certain nombre d'années, nous sommes encore dans une approche assez approximative. Nous disposons d'outils extrêmement intéressants : la DSJ, notre structure de référence, nous donne beaucoup de données environnementales sur nos juridictions, la DACG diffuse elle-même un document très intéressant, nous avons aussi un outil statistique qui est d'ailleurs plus performant en matière civile qu'en matière pénale, et nous avons également pris l'habitude de voir des contrats d'objectifs se mettre en place dans nos juridictions.

Néanmoins, l'approche de la charge de travail par magistrat reste à améliorer considérablement puisque, en matière civile, par exemple, nous partons des affaires terminées que nous rapportons, certes, à un effectif de magistrats affectés en matière civile ou en matière pénale, mais nous ne faisons pas de distinguo entre un jugement de divorce, un jugement concernant un conducteur en état alcoolique ou un jugement d'affaire économique et financière.

Sur tous ces sujets, il va donc nous falloir trouver des coefficients de pondération. Ce sont des sujets sur lesquels nos collègues sont extrêmement attentifs et, même si, dans l'immédiat, en termes d'objectifs et de dossiers de performance, nous travaillons à partir de la circulaire qui émane de la Chancellerie et à laquelle nous essayons de répondre, la démarche de la performance, dans les années qui viendront, devra partir du bas vers le haut, parce que c'est par ce consensus, que nous arriverons à une véritable appropriation de toute cette démarche, et de cette révolution culturelle qui permettra d'en assurer l'efficience.

Le deuxième indicateur a trait à la qualité. Nous ne pourrons pas faire l'économie, à plus ou moins long terme, de la place de la collégialité dans tout le processus judiciaire. C'est un sujet que nous avons vu brutalement revenir à la surface en matière pénale, mais il faudra aussi le revoir en matière civile, même si nous n'allons pas passer brutalement et totalement de l'un à l'autre. Ce sont des sujets auxquels les collègues sont extrêmement attentifs et sensibles.

Cela étant dit, comment avons-nous vécu et comment vivons-nous sous l'ère de la LOLF depuis le 1er janvier dans une juridiction du premier degré ?

Au début de l'année, nous avons évidemment rencontré les difficultés qui ont été signalées et je ne vais pas y revenir. Il s'agit de toute une série de difficultés matérielles ou liées aux modalités pratiques de mise en oeuvre de la LOLF et à un certain retard dans l'actualisation du logiciel ou dans la notification de nos enveloppes. Ce sont des éléments sur lesquels nous allons pouvoir évoluer favorablement et qui ne remettent pas en cause la LOLF en elle-même.

En revanche, nous sommes plus inquiets sur certains sujets. Je citerai à cet égard deux aspects fondamentaux de la LOLF qui ont déjà été beaucoup abordés ce matin : les frais de justice et les ressources humaines.

En ce qui concerne les frais de justice, les choses ont beaucoup évolué depuis l'automne 2005. A cette époque, la crainte essentielle des collègues était de deux ordres : ils se demandaient, d'une part, si ce passage de crédits évaluatifs à des crédits limitatifs allait porter atteinte à l'indépendance du prescripteur et aux choix des experts, et, d'autre part, quelles seraient les conséquences d'une impossibilité de rester dans l'enveloppe qui a été allouée au regard des autres crédits.

En réalité, les choses ont évolué depuis parce que, comme cela a été dit avant moi, les collègues n'ont pas vécu au quotidien cette volonté de « couper la tête de l'indépendance ». Aucun chef de cour ni de juridiction n'aura donné des instructions à un juge des affaires familiales ou à un juge d'instruction en lui disant qu'il ne doit plus fonctionner comme précédemment. L'indépendance de prescription, qui est évidemment fondamentale, a donc été préservée.

En revanche, nos collègues ont été très réceptifs à la sensibilisation que nous avons essayé de leur communiquer en ce qui concerne la nécessité de parvenir à cette notion de juste rémunération de tous les opérateurs. Après tout, les collègues sont aussi des contribuables et, lorsqu'on leur a expliqué qu'à qualité égale, il était possible de dépenser 85 euros au lieu de 360, ils ont trouvé cela tout à fait normal et ils ont donc adhéré à cette démarche. De même, en matière d'écoutes téléphoniques, encouragés par des jurisprudences très rapidement intervenues de certaines chambres de l'instruction, ils ont pu pratiquer une politique de taxation qui se révélera certainement intéressante.

Malgré tous ces efforts, réussirons-nous à entrer dans l'enveloppe qui nous a été accordée au titre des frais de justice ? Il est encore un peu tôt pour le dire. Le montant des paiements reste élevé parce que nous continuons à apurer nos exercices antérieurs. Certes, le niveau des engagements dans l'outil Fraijus apparaît moins élevé, mais il faut le relativiser parce qu'on n'y rentre que des coûts moyens et il n'est pas entièrement fiable. Quant au problème de l'impact d'un éventuel dépassement sur les autres budgets, nous avons reçu des assurances soit de la DSJ, soit du Secrétaire général.

La crainte que nous avons aujourd'hui est d'un autre ordre. L'intérêt de la LOLF en matière de frais de justice et d'autres dépenses est le mécanisme de la fongibilité asymétrique. Je ne vais pas y revenir car chacun sait de quoi il s'agit. Je me contenterai d'indiquer l'intérêt de ce mécanisme : si on réussit à être économe, on peut utiliser l'économie à d'autres fins.

M. Sylvain ATTAL .- Merci d'avoir donné cette précision.

Mme Chantal BUSSIERE .- Cependant, les tribunaux de grande instance craignent qu'on leur demande de reverser l'économie qu'ils pourraient réaliser sur le terrain à un niveau régional, voire national. Certes, nous pouvons comprendre les précautions de prudence et de réserve, mais si nous ne parvenons pas à bénéficier sur le terrain des économies que nous aurons pu réaliser, ce sera quand même très démotivant en termes de gestion de nos coûts.

Je souhaitais évoquer cette problématique que nous voyons émerger en termes de frais de justice.

Pour terminer, je vais aborder une difficulté qui touche à ce qu'on appelle aujourd'hui, de façon assez technocratique, les ressources humaines, c'est-à-dire les hommes et les femmes qui rendent la justice au quotidien, les collègues magistrats et les fonctionnaires. Je ne parlerai pas des fonctionnaires parce que le temps est trop contraint. Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, mais la salle pourra revenir sur ces questions.

Je tiens surtout, en termes de magistrat, à exprimer la crainte que nous avons aujourd'hui : celle que la LOLF et la nécessaire rationalisation des moyens qu'elle induit soit le moyen contourné d'éviter ce que nous considérons, nous, comme une indispensable réforme de la carte judiciaire.

Dans certains départements très étendus géographiquement, il y aura un tribunal de grande instance départemental avec des tribunaux d'instance un peu éparpillés, parfois très loin du siège du TGI. Ce sont des tribunaux à l'activité extrêmement réduite et, de surcroît, des juridictions dans lesquelles il y a parfois très peu de candidats. Evidemment, on peut se dire que, pour rationaliser les moyens, comme il y a deux tout petits tribunaux très éloignés, l'activité des deux réunis va faire un seul équivalent temps plein travaillé et que l'on peut localiser par conséquent cet équivalent temps plein travaillé au TGI départemental, le président étant libre d'utiliser la faculté, que lui donne le code de l'organisation judiciaire, de désigner un collègue pour aller tenir ces juridictions éloignées.

En termes de rationalisation de la gestion des ressources humaines, je peux être d'accord, mais, en termes de statut des magistrats du siège, cela me semble poser un problème au regard de l'inamovibilité d'un magistrat du siège. Si on peut, à court terme, envisager une délégation d'un collègue sur une fonction qu'il n'a pas choisie, je ne pense pas que l'on puisse le faire à long terme. Si on pense que deux juridictions ont une activité insuffisante pour justifier un magistrat à temps plein sur place, il faut aller, par cette réforme de la carte judiciaire, jusqu'à avoir le courage de supprimer cette juridiction. C'est une problématique fondamentale.

M. Sylvain ATTAL .- Merci beaucoup. Je passe la parole à Frédéric Fèvre, Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Poitiers, en lui demandant de faire encore un effort supplémentaire de brièveté.

M. Frédéric FEVRE .- Je suis un militant de la première heure de la LOLF parce que je suis convaincu que l'indépendance n'exclut pas la responsabilité. Je ne vais pas revenir sur tout ce qui a été dit auparavant ; je me contenterai de vous expliquer comment, concrètement, nous avons mis en oeuvre la LOLF au tribunal de Poitiers.

Tout d'abord, nous avons organisé une journée de formation, en liaison avec le trésorier payeur régional, qui s'adressait à l'ensemble du personnel de la juridiction, c'est-à-dire que tous les magistrats, greffiers et fonctionnaires ont été dans les bureaux de la trésorerie générale et, pendant une journée, ont assisté à une présentation du budget de l'Etat dans sa problématique générale, avec les difficultés que cela représente actuellement, une présentation de la LOLF dans le cadre judiciaire, et une présentation de la problématique particulière des frais de justice, en donnant des exemples de mise en oeuvre de la LOLF dans d'autres services de l'Etat, lorsque cela avait bien fonctionné.

Notre deuxième initiative, à Poitiers, a été de créer un comité de pilotage avec la présidente, le procureur, le greffier en chef, des greffiers, des magistrats et des fonctionnaires. Ce comité de pilotage ne travaille que sur la LOLF, c'est un lieu d'échanges et de recueil de renseignements sur les bonnes pratiques. Cela nous permet de faire remonter les difficultés, quand il y en a, et de trouver les moyens de les résoudre. Par ailleurs, nous avons un groupe de discussion sur notre site Internet au sein de la juridiction qui nous permet d'échanger, entre les différents membres de ce groupe de travail, sur les difficultés de la LOLF.

Pour un procureur de la République, la question qui se pose est la suivante : la LOLF peut-elle avoir une incidence sur la politique pénale d'un parquet ? A plusieurs égards, je répondrai positivement, même si c'est un sujet assez délicat.

Poitiers se trouve à côté d'une autoroute. S'il arrive, comme cela s'est malheureusement déjà produit dans les années passées, un carambolage sur cette autoroute avec quarante voitures impliquées, cela aura évidemment des incidences sur la LOLF. On l'a vu au tribunal de Pontoise avec le crash du Concorde.

Un autre élément doit être pris en considération : un incendie de nature criminelle dans une maison d'habitation. Si les enquêteurs font vingt prélèvements de bocaux, dois-je choisir, pour des raisons d'économies, de ne faire analyser que cinq bocaux au risque de laisser passer une preuve dans les quinze bocaux restants ? C'est une question qu'un procureur de la République doit se poser.

M. Sylvain ATTAL .- Comment y répond-il ?

M. Frédéric FEVRE .- Il le fait en fonction des éléments qu'il a sur le terrain, si l'incendie apparaît criminel ou non. C'est bien souvent une question de bon sens.

Il en est de même en matière de stupéfiants. On fait souvent analyser les produits stupéfiants car il y a aussi un impératif de santé publique. Si on s'aperçoit que de l'héroïne a été coupée et qu'il y a un risque d'overdose, on fait analyser le produit et on le fait savoir. Si on refuse de faire cette analyse des stupéfiants, on n'aura pas ces éléments d'information qui permettraient peut-être de sauver des jeunes. C'est une vraie difficulté.

En termes de politique pénale, je citerai un exemple évident : lorsqu'un téléphone portable est volé, on sait que les réquisitions vont nous coûter beaucoup plus cher, au final, que le prix du téléphone portable, puisque cela peut aller jusqu'à 500, voire 700 euros à Poitiers, alors même qu'on n'est pas sûr de retrouver l'auteur. A Poitiers, j'ai dit aux enquêteurs, policiers et gendarmes que, sur un banal vol de téléphone portable, s'il n'y a pas d'éléments, il est inutile de faire des réquisitions parce que, après avoir fait le calcul, on se rend compte que cela ne vaut pas la peine, sauf circonstances particulières, bien évidemment.

D'autres problématiques nous ont permis d'avoir une vision plus claire de notre budget. Les chefs de cour, présidents et procureurs, sont des gestionnaires. Or aucun chef d'entreprise ne pourrait se satisfaire de ne pas connaître le budget de son entreprise. J'estime que, pour les chefs de juridiction et de cour, c'est la même chose : il faut de la transparence pour savoir sur quoi on peut compter. Malheureusement, un certain nombre de dépenses nous sont imputées.

Il en est de même dans les cas de mort naturelle ou de suicide avéré. On nous demande souvent de transporter le corps, ce qui coûte plusieurs centaines d'euros. J'ai donc dit aux policiers et aux gendarmes qu'il était hors de question de transporter le corps en cas de mort naturelle.

Dans le cas d'une épave sur la voie publique, la voiture étant abandonnée, si nous ne sommes pas dans le cadre d'une procédure judiciaire, ce n'est pas à l'autorité judiciaire de supporter les frais de transport ou de gardiennage du véhicule en fourrière.

Enfin, je ferai une petite observation : je constate que beaucoup de frais sont tarifés mais que les deux postes de dépenses les plus importants ne le sont pas, malheureusement, à savoir les expertises génétiques et les frais de téléphonie. C'est le principe de la libre concurrence qui s'applique en ce domaine.

Comme je ne veux pas abuser du temps qui m'a été accordé, je conclus rapidement. Les magistrats sont confrontés à cette réforme, ils ont fait une révolution culturelle et ils ont maintenant bien intégré cette réforme, mais il ne faut pas oublier que, comme le disait Yves Canac, pour être efficace, une administration doit toujours être juste.

M. Sylvain ATTAL .- Je vous remercie beaucoup de cet effort de concision. Il nous reste quelques minutes pour prendre quelques questions, en vous demandant de les formuler vraiment brièvement.

Mme THIRIEZ .- Je suis Secrétaire générale de la première organisation syndicale des fonctionnaires de catégorie C des services judiciaires. Mon intervention sera très courte et elle s'adresse à toutes les personnes qui représentent l'Etat.

Pour que vous ayez une justice équitable et sereine, il faut respecter une proportion que M. le Ministre a bien soulignée : à chaque fois que vous créez un poste de magistrat, il faut obligatoirement un greffier de catégorie B et deux fonctionnaires de catégorie C. Si vous ne créez pas de fonctionnaires de catégorie C, le magistrat et le greffier ne pourront pas assumer pleinement leur mission parce qu'ils seront débordés.

Il faut savoir que les fonctionnaires de catégorie C font un travail que les magistrats et les greffiers ne peuvent pas faire. Je précise en passant que, la plupart du temps, les fonctionnaires de catégorie C font le travail de greffier, mais c'est autre chose. En tout cas, si vous ne créez pas des fonctionnaires de catégorie C, nous ne nous en sortirons pas.

C'est tout ce que je souhaitais dire.

Marie-Luce CAVROIS .- Je suis Présidente du Tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne et je souhaite dire quelques mots pour insister sur l'échelon de l'arrondissement.

Comme plusieurs d'entre vous l'ont dit, la LOLF n'est pas simplement une affaire comptable ; elle doit être l'occasion de redonner au personnel de justice des marges de manoeuvre et du dynamisme. Or nous avons vu se mettre en place toute une économie de comptabilité qui a été assez désagréable dans la juridiction et qui a concerné les postes vacants. Lorsqu'on a des postes vacants dans une juridiction, les budgets repartent, si bien que les personnels qui souffrent de ces vacances de postes n'en voient pas les bénéfices. On pourrait imaginer que, du fait de la LOLF et de l'effet de la fongibilité asymétrique, on puisse utiliser ces vacances soit pour le fonctionnement, soit pour recruter des vacataires, mais on n'en est pas encore là pour le moment.

Il est bien dommage que nous n'arrivions pas, au niveau de l'arrondissement, à retirer une partie du bénéfice des difficultés et aussi des efforts qui sont faits. En matière de frais de justice, comme cela a été souligné par la Présidente de Valence, quand les magistrats font des efforts de gestion et de rationalisation de leurs dépenses, il faut qu'ils puissent en tirer un minimum de bénéfices. Sinon, ils ne feront plus cet effort à long terme, et il en est de même tant pour les frais de justice que pour les frais de fonctionnement.

M. Sylvain ATTAL .- M. Bernard de la Gâtinais veut-il dire un mot sur ces préoccupations qui émergent au niveau des juridictions ?

M. Léonard BERNARD de la GÂTINAIS .- Je commencerai par répondre à Mme Thiriez en lui disant  mais elle le sait  que je suis très attentif au travail des greffes et des fonctionnaires de greffe et à la situation extrêmement tendue qui est vécue dans les greffes et qui a été rappelée par le Garde des Sceaux.

Quant au positionnement des juridictions du premier degré et à leur sentiment d'avoir perdu un peu la main en matière de gestion, je répondrai cela fait partie de la réflexion menée actuellement sur le renouveau du dialogue social qu'il va falloir faire vivre d'une façon ou d'une autre l'arrondissement judiciaire. La cour d'appel a besoin d'avoir non seulement le retour de la juridiction en tant que telle, qu'il s'agisse du tribunal de grande instance, du tribunal d'instance ou du CPH, mais aussi une vision plus globale de l'ensemble de l'arrondissement judiciaire. Il faudrait qu'au niveau de l'arrondissement judiciaire, il y ait une sorte de diagnostic partagé, ce qui permettrait mais je rêve sans doute d'envisager parfois de proposer le positionnement de tel ou tel fonctionnaire, des forces et des ressources humaines dans telle ou telle juridiction, ce qui faciliterait sans doute la tâche d'arbitrage des chefs de cour lorsqu'il s'agit de définir les effectifs cibles. Je ne parle pas d'une décision mais d'une proposition.

Cela pourrait être un dialogue intéressant. En tout cas, c'est une piste qui me semble pouvoir être suivie. Tout cela doit avancer, mûrir et être partagé par l'ensemble des acteurs, mais, comme vous l'avez dit, Madame le Président, je crois que la motivation est indispensable. Or, pour être motivé, il faut partager. Ce serait une forme de partage relativement intéressante.

En ma qualité de chef de cour je l'étais encore il n'y a pas très longtemps , je voyais revenir des demandes de certaines juridictions, ne serait-ce que pour les délégations d'un greffier ou d'un C placé. C'est ce qui me fait penser qu'un certain nombre de choses pourraient être résolues à l'échelon de l'arrondissement judiciaire. En effet, lorsqu'on dispose d'un peu de temps (il peut en effet exister des juridictions qui ont un peu plus de confort en matière de personnel que d'autres, même si je sais que la plupart souffrent), la mutualisation peut aussi avoir un intérêt. Pour cela, il faut que le diagnostic soit partagé à l'échelle de l'arrondissement judiciaire.

Mon propos a un côté légèrement provocateur dans la situation tendue que nous vivons, mais je parle ici de cas particuliers et ponctuels qui existent.

M. Sylvain ATTAL .- Merci. S'il n'y a plus d'autres interventions ni d'autres questions, je donne la parole à M. le Président Poncelet, qui va clôturer les travaux de ce matin.

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