Les quatrièmes et cinquièmes rencontres sénatoriales de la justice



Colloques organisés par M. Christian Poncelet, président du Sénat - Palais du Luxembourg - 20 juin 2006 et 5 juillet 2007

Le recrutement et la formation des magistrats -
M. Charles Gautier, Sénateur de la Loire-Atlantique

M. Charles GAUTIER .- Mesdames et Messieurs, je suis heureux de vous saluer ce matin et de participer à ces travaux. Je le suis d'autant plus que j'ai l'impression d'être le prototype de ce que vient de décrire mon Président tout à l'heure : des sénateurs, y compris membres de la Commission des lois, qui ne sont ni de formation ni d'origine du monde juridique ou judiciaire. C'est pourquoi, je me suis porté volontaire lorsqu'il nous a été proposé de faire des stages en juridiction, et je remercie les représentants de ces juridictions de m'avoir agréablement accueilli, que ce soit à Brest ou à Rennes. Je constate d'ailleurs que, dans un cas comme dans l'autre, ils sont assidus à ce rendez-vous des Rencontres sénatoriales de justice.

Il est vraiment d'actualité aujourd'hui d'intervenir dans le domaine du recrutement et du système de formation des juges, en connexion avec le démarrage dans la carrière. C'est tellement vrai que les plus hautes autorités du monde judiciaire se sont exprimées dans l'année ou les mois qui viennent de s'écouler.

J'emprunterai au Procureur général de la Cour de cassation la formule suivante : il s'agit de « l'obligation de forger cette nécessaire humilité, cette capacité d'écoute, de compréhension et d'ouverture sans laquelle l'acte de juger risque de déboucher sur l'incompréhension. » Cela veut dire qu'au-delà de la formation technique ou juridique et de ces règles formelles, il convient évidemment d'aborder tout un contexte de relations humaines, dans lequel les futurs magistrats doivent baigner.

Il a été fait allusion tout à l'heure à cette catastrophe que fut l'affaire d'Outreau et à ses conséquences. Je ne m'étendrai pas sur ce point que vous connaissez beaucoup mieux que moi. Cela a conduit à la création de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale qui a été extrêmement suivie et médiatisée, parfois beaucoup trop, qui n'a en tout cas pas permis, par ce moyen, de faciliter la réflexion sur le fond et qui a débouché sur des propositions qui ont déçu un certain nombre d'observateurs.

A cette occasion, le rôle de la formation et les modalités de recrutement ont été évoqués et il était normal que les travaux de réflexion se poursuivent. Depuis, comme cela a été dit, il y a eu une loi adaptant à la marge la procédure pénale, puis la loi organique du 5 mars sur le recrutement et la formation, qui est entrée en vigueur récemment, le 5 juin, et qui portait sur des éléments également assez ponctuels.

C'est ce qui a autorisé la Commission des lois et son Président à poursuivre les travaux de réflexion et c'est ainsi qu'a été créée cette commission d'information avec ses deux co-rapporteurs : mon collègue le Sénateur Fauchon, qui n'a pas pu être présent ce matin, et moi-même. En arrière-pensée, nous avions la volonté de ne pas limiter la formation à des professionnels brillants mais à tout ce qui va autour, c'est-à-dire en les dotant d'un solide bon sens et d'un minimum d'expérience des choses de la vie nécessaires au développement de la faculté de discernement, condition majeure dans l'art du juger. C'est en tout cas notre appréciation.

Une autre question plus ponctuelle a été abordée : le niveau de connaissance juridique compte tenu de la technicité croissante du droit. Vous avez d'ailleurs évoqué ce matin dans un certain nombre de domaines les évolutions qui font que, quel que soit l'apport que l'ont peut donner aux étudiants en la matière, on sera toujours un peu en retard compte tenu des évolutions fulgurantes auxquelles on assiste dans le monde économique, dans lequel la mondialisation vient tout perturber, le monde financier ou le monde médical, notamment dans le domaine de la bioéthique. Le besoin de technicité est donc croissant.

Nous nous sommes comparés à d'autres systèmes et il est vrai que le nôtre est original mais qu'en la matière, il emmène les étudiants vers des niveaux de technicité qui peuvent paraître insuffisants de temps en temps.

Pour faire ce travail dont le Président Hyest a décrit la méthodologie, nous avons procédé à un grand nombre d'auditions de magistrats de tous rangs impliqués dans des juridictions de tailles diverses. Nous avons également auditionné un certain nombre d'auditeurs de justice, notamment des étudiants de l'école de Bordeaux, ainsi que de tout jeunes magistrats issus depuis peu de cette école pour voir comment la greffe se fait dans le premier poste ou le début de la carrière.

Enfin, nous avons effectué trois déplacements : l'un à l'Ecole nationale de la magistrature, à Bordeaux, et les deux autres à l'étranger pour voir deux systèmes extrêmement différents du nôtre et qui ont entre eux une certaine analogie : ceux de l'Allemagne et de l'Espagne. Délibérément, nous avons laissé le Royaume-Uni de côté compte tenu du fait que son système était assez éloigné du nôtre, mais nous ferons plusieurs fois référence dans notre rapport au système britannique ainsi qu'au système italien. C'est donc un tour d'horizon européen qui est fait à cette occasion et je m'appuierai sur les deux grandes expériences allemande et espagnole pour vous indiquer nos champs d'observation, dans lesquels nous avons pu recueillir quelques avis.

Ma marge de manoeuvre est un peu étroite ce matin, comme vous pourrez le reconnaître, en ce sens que le rapport de la commission est en phase rédactionnelle terminale et qu'il sortira le 11 juillet. Aujourd'hui, je ne peux donc que vous en donner des pistes, ce qui représente un inconvénient, mais aussi un avantage : si des avis ou des réactions extrêmement pertinentes peuvent émerger, nous pourrons encore apporter quelques modifications. Je précise que le rapport sera rendu public la semaine suivante, puisque le rendez-vous est pris pour le 17 juillet.

L'Allemagne et l'Espagne constituent des cas extrêmement différents, mais avec un point commun pour les futurs juges : le niveau d'exigence d'une formation juridique extrêmement poussée, beaucoup plus qu'en France.

Tout à l'heure, le Président Haenel a fait allusion aux magistrats de liaison. Je tiens à cette occasion à les remercier parce que tout ce que nous avons pu faire, dire, voir ou entendre en Allemagne ou en Espagne, n'a été possible que grâce à leur collaboration extrêmement précieuse. J'avais déjà eu l'occasion d'user de leurs compétences sur une autre mission et je peux témoigner de leur excellent apport dans notre travail.

Je commencerai par le cas allemand. La première grande caractéristique de l'Allemagne, c'est que, dans cet Etat fédéral, le recrutement et la formation des juges relèvent de chaque Land. C'est pourquoi nous avons dû faire deux points de visite : l'un à Munich, pour le Land de Bavière, et l'autre à Berlin, capitale fédérale, pour mesurer ce qui relevait d'une nature plus globale.

La deuxième caractéristique, c'est que la formation généraliste est commune, en Allemagne, à tous les métiers du droit. La différenciation se fait donc très tardivement dans le cursus de formation. Quand j'évoque tous les métiers du droit, cela recouvre non seulement les magistrats du parquet ou du siège (je précise sur ce point que leur système est assez proche du nôtre, c'est-à-dire que les gens font plutôt carrière dans l'un ou dans l'autre, mais avec un passage possible, même s'il est plus rare que chez nous et si cette rareté peut nous interpeller eu égard à la question qui a été posée précédemment), mais aussi les avocats, les notaires et les huissiers. Tous suivent la même formation.

Cette formation est longue et le recrutement des juges n'intervient qu'à l'issue d'un cycle de formation très complet alors que, chez nous, leur recrutement est inséré entre une formation universitaire commune et une formation spécifique qui se fait à l'école de Bordeaux. C'est le concours de recrutement à cette école qui sert de concours de recrutement dans le corps judiciaire.

En Allemagne, la formation initiale des juges comprend deux périodes :

- une période exclusivement universitaire, qui dure au minimum quatre ans avec un flux d'environ 20 000 personnes par an ;

- une période centrée sur des pratiques professionnelles des métiers du droit, qui dure environ deux ans.

Cela veut dire que, si tout se passe bien, la formation dure six ans.

Après la première période, il y a ce que l'on appelle le premier examen d'Etat, qui n'a pas lieu obligatoirement tous les ans et qui est organisé par les Lander et non pas par l'université.

C'est ensuite que débute la deuxième période qui s'appelle le Referendariat. Cela veut dire que l'étudiant est référendaire. Il n'est pas fonctionnaire, mais il dispose déjà d'une bourse ou d'un présalaire qui est assez modeste mais qui lui permet de poursuivre ses études. Le flux est d'environ la moitié du nombre que je citais précédemment, c'est-à-dire environ neuf à dix mille personnes par an.

C'est pendant ces deux années que se déroule de façon prioritaire, une période de quatre stages pratiques, l'un pour le civil, le deuxième pour le pénal ou le parquet, le troisième pour l'administratif et le quatrième pour les avocats, d'une durée de trois à neuf mois. On ajoute à cela un cinquième stage optionnel qui relève de la personnalité, ou de l'ouverture vers le monde civil ou associatif, ou vers une expérience particulière, la gamme étant extrêmement large. Durant ces stages, il est dégagé du temps pour suivre des cours de procédure.

Ce sont les cours d'appel qui organisent ces deux années de stage, ce qui signifie que les personnes sont prises en charge par l'organisation juridique. C'est à l'issue de cette deuxième période que vient le deuxième examen d'Etat, sur lequel il y a, cette fois, assez peu d'échec : environ 10 %.

Comme le disait Sacha Guitry, quand on se regarde, on se désole, et quand on se compare, on se console. Il est vrai que, lorsqu'on se penche sur des exemples à l'étranger, on y trouve souvent toutes les vertus spontanément et sans y être allé, et c'est lorsqu'on approche ces systèmes, ou que l'on interroge les personnes concernées, qu'arrivent les critiques. Deux grands débats ont lieu là-bas.

Le premier concerne le protocole de Bologne qui a été signé par 45 pays européens ou en voie d'entrer dans l'Union. Il porte sur la convergence des cursus de formation. Il faut savoir que cette formation est extrêmement originale, puisqu'elle n'est ni française, ni anglaise.

Le deuxième débat porte sur l'opportunité d'avoir une filière commune et exclusive à toutes les procédures juridiques. En effet, alors qu'un effort considérable est déployé pour former des juges, ils se destinent à 80 % à exercer une autre fonction. Vous voyez quel problème cela peut poser.

Le recrutement des juges, qui relève du deuxième examen, est complété par des entretiens sur les compétences sociales. J'ajoute qu'à la différence de ce qui se passe chez nous, il n'y a qu'un recrutement en filière unique, et que l'originalité du système allemand se vérifie également dans le début de carrière : dans les premières années, le débutant est juge stagiaire pendant trois ans et il ne peut pas être juge aux affaires familiales pendant cette période. Il n'est alors pas inamovible, mais il doit passer obligatoirement un certain temps au parquet, il est régulièrement évalué par le Président et le Procureur de la juridiction auxquels il est confié, et il est révocable à tout moment.

J'en viens aux grandes caractéristiques du cas espagnol. Là aussi, on constate une forte décentralisation puisqu'on compte dix-sept communautés autonomes. La décentralisation va même jusqu'à la reconnaissance de lois locales, ce qui fait qu'il est assez compliqué de gérer les problèmes de mobilité des juges parce que les références catalanes ne sont pas forcément celles de Séville.

Par ailleurs, il y a là-bas une stricte séparation entre le parquet et le siège, au point qu'elle a même lieu avant la formation. En effet, il existe deux écoles distinctes et c'est pourquoi nous avons dû faire deux haltes en Espagne, l'une à Barcelone pour le siège et l'autre à Madrid pour le parquet.

Le recrutement se fait sur concours, mais après une formation extrêmement longue d'au moins cinq ans d'études supérieures. Ces années, contrairement au système français, ne sont pas sanctionnées année après année : le concours n'a lieu qu'à la fin du cursus, ce qui représente un risque considérable pour ceux qui le tentent et ce qui a fait l'objet de grandes discussions entre nous.

De même, le concours est unique pour le siège et le parquet, et la séparation se fait à l'entrée de l'école puisque, en fonction du rang de classement à ce concours, on choisit l'une ou l'autre carrière sans pouvoir jamais y revenir.

C'est un conseil général du pouvoir judiciaire qui organise le concours et qui gère la carrière des juges du siège, alors que, pour le parquet, c'est le pouvoir politique qui en a l'autorité.

Voilà ce que je voulais vous dire sur le système espagnol.

Quant à nous, nous débouchons sur trois niveaux de préconisations de différentes densités.

Sur le recrutement, nous recherchons des gens qui ont des compléments par rapport à la capacité juridique. A l'évidence, cela consiste à renforcer ce qui existe déjà puisque plusieurs filières permettent d'entrer dans la magistrature, sachant qu'il convient de regarder de près les unes et les autres, et que nous donnerons notre appréciation sur ce sujet.

En ce qui concerne la formation, nous avons entendu, non seulement chez nous, mais aussi à l'étranger, de nombreuses louanges concernant la qualité de l'école de Bordeaux, et nos propositions sont donc loin de bouleverser le système établi aujourd'hui.

Au demeurant, ce que nous proposerons aura tendance à remédier à l'isolement et au cloisonnement de l'école, à renforcer l'efficacité des stages et, peut-être, à nous interroger sur le caractère probatoire de la formation, puisqu'il faut bien se dire que, même si ce point est partagé avec beaucoup d'autres grandes écoles en France, lorsqu'on entre dans l'école, on en sort toujours par le haut et que seuls des accidents empêchent que ce soit le cas.

Enfin, notre troisième niveau de préconisation porte sur les débuts de carrière, en évoquant un certain nombre de systèmes permettant d'apporter un filet de sécurité aux jeunes magistrats. A l'évidence, c'est ce qui a dû manquer un certain nombre de fois. Nous avons parlé tout à l'heure de l'affaire Outreau, et je ne reviendrai pas sur la jeunesse du magistrat concerné parce que ce n'est pas cela qui en est la cause, mais c'est néanmoins le cas et, pour la petite histoire, je précise que ce poste est de nouveau vacant et qu'il sera pourvu par un magistrat sortant de l'école, même si je ne ferai pas de commentaires sur ce point.

Voilà ce que je voulais vous dire.

(Applaudissements.)

M. Emmanuel KESSLER .- Merci. Je vous précise qu'un document de travail du Sénat fait le point sur les législations comparées dans un certain nombre de pays européens, en ce qui concerne l'état du recrutement et de la formation des magistrats.

Mme Louisa AIT HAMOU , Substitut du procureur au TGI de Lille .- Vous venez de nous parler, Monsieur le Sénateur, des projets qui sont à l'étude concernant le mode de recrutement des magistrats.

Je souhaite surtout revenir sur l'aspect du recrutement. En effet, vous avez parlé de l'affaire Outreau et, comme vous avez terminé votre propos en disant que, finalement, la jeunesse du magistrat n'était peut-être pas le seul élément qui motivait les projets de modification du recrutement des magistrats, j'ai envie d'enfoncer les portes ouvertes en disant qu'à mon avis, la jeunesse n'est un gage ni de qualité, ni d'efficacité, mais que le fait d'avoir 50 ou 55 ans n'est pas non plus un gage d'efficacité ou de qualité. L'essentiel est l'état d'esprit. Sauf erreur de ma part, on peut être député à 28 ans et voter des lois que nous sommes chargés d'appliquer. Le fait de voter des lois est quelque chose de grave et je répète que les députés peuvent être élus à 28 ans.

M. Emmanuel KESSLER .- Ils ne sont pas seuls à apprécier, quand même.

Mme Louisa AIT HAMOU .- C'est vrai, mais les magistrats ne sont pas tous jeunes non plus.

J'ajoute que, sur la liste des recrutements, il faudrait évoquer la question du profil de l'auditeur de justice, une question qui dépasse l'école de la magistrature et qui est commune à toutes les grandes écoles de notre pays. Le profil de l'auditeur de justice est une personne qui a 26 ans vous le dites dans votre rapport , ce qui signifie qu'il sort de l'école à environ 29 ans. Je ne pense pas que cela soit un si jeune âge pour commencer à travailler.

De même, il faudrait peut-être réfléchir à un élargissement du recrutement au départ, afin qu'il corresponde davantage à la sociologie de notre pays. C'est une voie à explorer car cela me semble important.

Véronique MALBEC , Directrice adjointe de l'Ecole de la magistrature .- J'ai été évidemment particulièrement intéressée, Monsieur le Sénateur, par votre rapport qui va sortir le 11 juillet.

Je reviendrai en quelques mots sur la loi organique du 5 mars 2007 que vous avez évoquée assez rapidement alors qu'elle contient déjà des avancées conséquentes, puisqu'elle a rendu la formation continue obligatoire, ce qu'il convient de noter : jusqu'à présent, nous avions un droit à la formation continue de cinq jours par an alors qu'à partir du 1er janvier 2008, l'ensemble du corps, c'est-à-dire 8 100 magistrats, si on inclut à la fois les détachés et les mis à disposition, devra venir à l'Ecole de la magistrature, dans le cadre de la formation continue déconcentrée, pour suivre cette formation continue obligatoire. Je pense que c'est une avancée importante eu égard à ce que vous disiez sur la technicité des lois qui exigent du magistrat une adaptation au quotidien.

Je précise, par ailleurs, que ce texte a également modifié la scolarité initiale à Bordeaux, en augmentant de façon conséquente le stage avocat, qui est passé de deux à six mois minimum, l'Ecole ayant choisi de le limiter à six mois. Cela représente un cinquième de la scolarité des futurs magistrats et va nous obliger à revoir de A à Z le séquençage, en diminuant les parties importantes de la scolarité de l'auditeur de justice, c'est-à-dire la formation bordelaise et le stage en juridiction.

Enfin, j'évoquerai un dernier point lié à ce nouveau texte : celui qui concerne le recrutement. La loi organique a en effet modifié le recrutement en rendant possibles des recrutements beaucoup plus importants, non pas par les voies du concours étudiant, mais par des voies externes, c'est-à-dire à la fois les concours administratifs et les recrutements de l'article 18. Je pense donc déjà que cette loi organique, même si elle n'est pas uniquement liée à la formation des magistrats, a modifié considérablement la formation initiale et la formation continue.

Pour terminer, je vous remercie de vos propos sur la scolarité à l'Ecole. Il est vrai qu'elle est connue dans le monde entier, puisque nous recevons de nombreuses délégations étrangères et qu'on nous demande énormément de magistrats à l'étranger. Je crois cependant que nous sommes perfectibles, et c'est la raison pour laquelle nous attendons avec beaucoup d'intérêt, Monsieur le Sénateur, la sortie de votre rapport, votre visite à Bordeaux ayant été extrêmement bénéfique.

M. Franck NATALI , Président de la Conférence des bâtonniers .- En écho à ce que vient de dire la Directrice adjointe de l'Ecole nationale de la magistrature, je souhaite apporter deux ou trois observations en me permettant d'intervenir dans ce débat auquel j'ai eu le plaisir d'être invité à partager les réflexions du Sénat qui sont toujours très enrichissantes, sachant que, généralement, il n'y a pas beaucoup d'avocats.

Ma première observation concerne la formation continue, dont les avocats font l'expérience depuis trois ans à raison de vingt heures par an. Cela n'a l'air de rien, mais sachez à titre d'expérience, que cela bouleverse beaucoup de choses dans la profession d'avocat et nous oblige à créer des synergies au sein de la profession, à remettre en cause des pratiques professionnelles et à permettre aux uns et aux autres de se retrouver dans ces cycles de formation. Cette formation continue est en train de bouleverser beaucoup de choses dans l'exercice de la profession d'avocat, notamment sur les notions de compétences et d'échanges.

Comme la formation continue fait partie de la loi organique du 5 mars 2007, peut-être aurons-nous un échange à faire dans ce cadre.

Ma deuxième observation sera consacrée au stage qui devra désormais être suivi pendant six mois dans un cabinet d'avocats. Nous n'avons pas tous encore bien mesuré l'importance de ce stage qui va être initié à partir d'octobre 2008, si j'ai bien compris, mais il semble que plus de 200 stagiaires vont arriver dans un premier temps dans les cabinets d'avocat. Soyez en tout cas assurés à cet égard qu'en liaison avec l'Ecole, nous cherchons des stages de qualité.

Il est donc un fait que, pour éviter les cloisonnements et les regards en chiens de faïence que nous avons trop souvent déplorés, il va s'instaurer une nouvelle synergie commune entre avocats et magistrats, qui permettra un meilleur fonctionnement et qui amènera les futurs magistrats à être placés en immersion dans les cabinets puisque, si je l'ai bien compris, il s'agit de véritables stages d'immersion.

Je tiens simplement à vous assurer qu'en ce qui concerne notre Conférence et les différents ordres, nous allons nous mettre au travail pour que les stages offerts aux futurs magistrats soient de qualité afin qu'ils ne se résument pas simplement à la formule : « Venez passer quinze jours dans mon cabinet pour quitter vos audiences », et qu'une véritable relation de synergie puisse s'instaurer. Je pense que, sur ce point, quelque chose se passe au sein du monde judiciaire et cela me paraît vraiment tout à fait essentiel.

Une intervenante .- Je suis auditrice de la promotion 2005, c'est-à-dire que je suis actuellement en stage de pré-affectation et que je vais prendre mes fonctions dans quelques mois. Je tiens à faire quelques remarques.

Vous avez dit, Monsieur le Sénateur, que lorsqu'on entre à l'école, on est quasiment sûr de devenir magistrat. Sachez que, dans ma promotion, nous étions 286, tous auditeurs confondus, c'est-à-dire ceux qui ont passé les premier, deuxième et troisième concours ainsi que les recrutés au titre de l'article 18-1, et que nous sommes 275 à sortir.

M. Emmanuel KESSLER .- On me dit que c'est la première fois dans l'histoire de l'Ecole.

L'intervenante .- C'est faux : chaque année, il y a des redoublements et des exclusions.

M. GAUTIER .- A ce nombre-là, les échecs ne représentent que quelques unités sur environ trois cents, quand même.

L'intervenante .- Cela signifie cependant que nous n'avons pas la garantie de devenir magistrats. J'ajoute que certains auditeurs, bien qu'ayant le concours, vu la difficulté du métier et l'intensité du travail qu'on nous demande, renoncent d'eux-mêmes à exercer la profession.

Par ailleurs, s'agissant du poste de juge d'instruction à Boulogne-sur-Mer, je précise qu'il a été choisi par le major de la promotion qui n'est pas elle-même issue du premier concours (le concours étudiant, qui fait visiblement le plus débat) mais qui a été recrutée au titre de l'article 18-1.

M. Emmanuel KESSLER .- Elle avait donc déjà une expérience professionnelle antérieure.

L'intervenante .- Exactement.

De même, je dirai à Mme la Substitut de Lille que ce n'est pas parce qu'on est jeune qu'on ne peut pas juger avec humanité, et que l'on n'a pas les capacités pour faire notre travail.

Enfin, en ce qui concerne le stage avocats, je préciserai que j'ai suivi avec mes collègues un stage avocats de seulement deux mois, que je l'ai effectué en décembre et qu'il est tombé pendant l'examen de classement, ce qui fait que nous n'étions absolument pas concentrés sur notre stage du fait de la nécessité de penser à notre relogement à Bordeaux, sachant que, selon le résultat de l'examen de classement, nous obtenons ou non la fonction qui nous plaît ou la préservation de nos vies familiales. Nous n'étions pas toujours très investis dans ce stage et les avocats, qui nous connaissaient souvent en tant qu'auditeurs et qui nous avaient entendus requérir au parquet, par exemple, n'étaient pas toujours enclins à nous laisser regarder tous les dossiers, puisque nous faisions nos stages dans les barreaux de nos juridictions.

Je suis ravie de constater aujourd'hui que, du côté des avocats, on va prendre la mesure du stage avocats pour les auditeurs, et je tiens à préciser que si le stage total est prévu pour une durée de six mois, c'est souvent un stage plus long que celui que nous aurons pour notre premier poste. La formation d'avocats prend donc une ampleur toute particulière avec cette réforme.

M. Emmanuel KESSLER .- Ce que vous dites est important et nous permet de constater combien les rencontres comme celle-ci sont importantes, dans la mesure où elles permettent la rencontre de professions qui appartiennent au même monde, mais qui sont parfois cloisonnées.

Mme Claire ESTEVENET , V ice-présidente du TGI de Senlis .- En ce qui concerne le bon sens du magistrat, je tiens à dire que l'intérêt de la formation initiale à l'Ecole nationale de la magistrature était non seulement de permettre les stages extérieurs (je suis partie deux mois à Madrid pour faire un devoir comparé sur la justice espagnole), mais aussi de faire des stages avec les huissiers, la police et la gendarmerie. Je crains donc que l'allongement de la procédure du stage avocats à six mois ne se fasse au détriment d'autres stages à l'extérieur.

Dans le cadre de l'ouverture d'esprit, il faut, certes, avoir à l'esprit le droit de la défense, mais il faut aussi connaître le fonctionnement de tous nos partenaires et auxiliaires de justice par la suite. Je m'inquiète donc de constater cette réduction de l'ouverture d'esprit uniquement à un stage sur la défense et ses droits.

M. Emmanuel KESSLER .- Monsieur Gautier, vous voyez à quel point vos propositions et votre réflexion sont attendues, tant ces éléments soulèvent d'intérêt face à ce que vous vivez tous ici en tant que professionnels ou futurs professionnels de la magistrature. J'y ajouterai la question de savoir si vous êtes favorable à ce que des personnes qui ont eu une longue carrière professionnelle puissent devenir magistrats, comme cela se fait dans certains pays, notamment au Royaume-Uni, avec les difficultés liées à la rémunération que cela implique. En effet, quand on a travaillé dans une entreprise, il peut être intéressant d'avoir une expérience que l'on met au service de la justice, mais on ne peut pas pour autant obtenir le salaire d'un magistrat.

Vous nous donnerez votre position sur cette question et je vous demanderai ensuite de conclure rapidement avant de laisser M. Lecerf procéder à la dernière intervention de la matinée.

M. Charles GAUTIER .- Je ne conclurai pas car je partage tous les questionnements qui ont été exprimés et que nous nous posons à nous-mêmes. En effet, nous n'avons pas une vision interne qui s'impose et des échos externes qui viennent nous percuter. Tout cela se percute chez chacun d'entre nous. Le problème n'est pas là, bien évidemment : il s'agit surtout d'un problème d'expérience. Quand on constate que les postes à risques sont majoritairement proposés à des personnes dont l'expérience n'est pas démontrée, je trouve que c'est la société qui prend un risque.

Mme Claire ESTEVENET .- Qu'est-ce qu'un poste à risque ?

M. Charles GAUTIER .- Je vous donne un exemple : en Allemagne, le jeune magistrat sera en fonction, mais il sera en co-pilotage, pour le dire ainsi, et un poste lui est interdit pendant un certain temps : celui des affaires familiales. Pourquoi ? Tout simplement parce que, dans ce pays, on a sans doute considéré que c'était un poste à risque, et qu'il valait mieux avoir plus d'entraînement avant de se lancer dans ces affaires.

Jérôme BOURRIER , Substitut au parquet de Bordeaux .- Se pose-t-on la question pour un directeur de cabinet d'un préfet qui a en charge l'ordre public sur toute une circonscription et qui a 28 ans ?

M. Charles GAUTIER .- J'espère que certains se la posent... (Rires.)

M. Emmanuel KESSLER .- Il est vrai que vous avez le pouvoir de cet acte terrible de la mise en détention d'un individu...

(Réactions diverses dans la salle.)

Je vous propose d'organiser un prochain colloque sur ce thème à la suite de la discussion sur le rapport de M. Gautier, tellement ce sujet semble passionnel.

Nous allons terminer avec une autre affaire passionnelle ou parfois difficile, celle du divorce ou de la séparation dans les familles, à travers le travail qu'a effectué la Commission des lois sur la résidence alternée et l'éventualité de retoucher un certain nombre de dispositifs. C'est sur ce point que nous conclurons notre matinée, sachant que nous sommes là dans une matière concrète, dans l'observation de ce qui se passe et dans la nécessité d'ajuster les dispositifs existants et non pas forcément dans la recherche d'une loi nouvelle.

Je rappelle à tous que, parmi les documents préparés à votre intention pour ce colloque, il vous a été remis le compte rendu d'une journée d'auditions de la Commission des lois sur le sujet de la résidence alternée (cf. Annexe II), et que M. Jean-René Lecerf, sénateur du Nord et membre de la Commission des lois, était rapporteur de ce dossier.

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